Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie (n° 463) (M. Antoine Armand, rapporteur) 2
– Informations relatives à la Commission..................27
Lundi 2 juin 2025
Séance de 18 heures
Compte rendu n° 104
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Aurélie Trouvé,
Présidente
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La commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie (n° 463) (M. Antoine Armand, rapporteur).
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de loi adoptée par le Sénat, portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur de l’énergie. Ce texte a été déposé voici un peu plus d’un an par le sénateur Daniel Grémillet et la présidente Dominique Estrosi-Sassone. Nous avons désigné M. Antoine Armand rapporteur.
Le texte adopté par le Sénat le 16 octobre 2024 comporte à présent trente-huit articles, contre vingt-cinq initialement. Il s’agit d’un texte long, qui touche un grand nombre de sujets de la politique énergétique – sans en faire le tour d’ailleurs... Vous avez reçu une note à propos du contrôle de recevabilité exercé sur les amendements au regard de l’article 45 de la Constitution.
Je rappelle que notre commission a délégué au fond à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire les articles 11, 16 bis, 22 ter, 22 quater et 22 quinquies, ainsi que les amendements s’y rapportant. En conséquence, nous n’en débattrons pas et je vous proposerai de les entériner, à la fin de l’examen des autres articles, comme nous l’avons fait récemment dans le cadre de l’examen de la proposition de loi dite « Duplomb ».
Notre commission est saisie sur ce texte de 481 amendements, contre 55 amendements déposés devant la commission du développement durable. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu la possibilité de poursuivre nos travaux non seulement demain et après-demain, mais aussi, si nécessaire, vendredi toute la journée. Ce calendrier s’explique par le fait que la journée de jeudi, aura lieu en séance l’examen des textes inscrits à l’ordre du jour de la niche réservée au groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR). Comme pour la niche du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), nous avons fait en sorte de ne pas examiner la proposition de loi en même temps que ces travaux en séance publique. Je rappelle que l’examen de la proposition de loi en séance publique se déroulera à compter du lundi 16 juin. J’ajoute que, si l’Assemblée devait entamer ce soir l’examen d’amendements à la proposition de loi visant à améliorer l’accès au logement des travailleurs des services publics de M. David Amiel, qui est inscrite en quatrième point à l’ordre du jour de la séance, nous serions conduits à lever un peu plus tôt la réunion de la commission.
Nous avons, enfin, prévu de reprendre l’examen de cette proposition de loi demain, à 17 heures 30, après la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements de notre collègue Romain Daubié. Je précise que six amendements ont, après consultation du président de la commission des finances, été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution du fait de leur incidence financière – ils créaient des charges – et trois au titre de l’article 20 de la Constitution car ils constituaient des injonctions au Gouvernement.
Trente-huit amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45, pour absence de lien avec les dispositions dont nous sommes saisis : ces « cavaliers législatifs » représentent donc moins de 8 % des amendements – ce qui se situe plutôt dans la moyenne des recevabilités des propositions et des projets de loi. N’ont ainsi été déclarés recevables que les amendements présentant un lien explicite avec les objectifs programmatiques de la proposition de loi transmise par le Sénat ou avec les dispositions spécifiques du titre II qui visaient à simplifier les normes pour les projets de production et d’exploitation d’énergies nucléaire et renouvelables, et d’hydrogène.
J’espère pour ma part que de prochains textes législatifs nous permettront d’aborder certains sujets évoqués dans les amendements déclarés irrecevables faute de lien avec la proposition de loi. Je pense par exemple à l’encadrement de l’agrivoltaïsme, à l’obligation d’installer des panneaux solaires sur les toitures de bureaux et de commerces ou aux compétences intercommunales pour la réalisation d’opérations d’autoconsommation. Certains amendements auraient clairement mérité d’avoir leur place dans le cadre d’une loi relative à l’énergie, mais la construction du texte dont nous sommes saisis a conduit à ce qu’ils ne puissent être déclarés recevables. Il ne s’agit donc pas d’une loi globale sur l’énergie, dans la mesure où certains sujets ne figurent pas dans le texte et ne permettent donc pas le dépôt d’amendements.
Cette proposition de loi était néanmoins très attendue, puisqu’elle fixe des orientations programmatiques et stratégiques en ce qui concerne la poursuite de la transition énergétique, la détermination de la part des énergies renouvelables et carbonées ou de production d’énergie nucléaire.
Je rappelle que le Gouvernement envisageait de fixer par simple décret la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Or, nous avons été nombreux, en Conférence des présidents notamment, à insister sur la nécessité pour la PPE de prendre en compte le nouveau cadre législatif, ainsi que les débats et votes relatifs à cette proposition de loi, bien que celle-ci ne couvre pas l’entièreté d’une programmation énergétique.
Je regrette à titre personnel – mais nous sommes sans doute un certain nombre dans ce cas – que nous ne disposions pas d’un vrai projet de loi sur l’énergie nous permettant d’avoir un débat global et d’aborder aussi les questions qui ont été évacuées du fait de l’irrecevabilité des amendements.
M. Antoine Armand, rapporteur. Madame la présidente, je vous remercie d’avoir dégagé un créneau qui convienne à tout le monde pour permettre l’examen de ce texte, dans un ordre du jour parlementaire surchargé. Je partage pleinement votre conclusion. Le débat que nous entamons vise à combler une lacune gouvernementale. La loi prévoit en effet que le Parlement doit être saisi d’un projet de loi avec toutes les exigences entourant l’examen d’un tel texte : une étude d’impact, des consultations préalables et l’inscription à l’ordre du jour selon la procédure qui convient. Cela a toujours été le cas en matière de programmation, bien au-delà de la question énergétique.
Cette lacune avait commencé à être comblée grâce à l’initiative de notre collègue Julie Laernoes, qui avait déposé une proposition de loi qui avait été examinée par notre commission. Tel est à nouveau l’objet de la proposition de loi du sénateur Grémillet, avec toutes les limites d’un tel texte. En tant que députés, il serait toutefois malvenu de notre part de critiquer un collègue parlementaire au motif qu’il aurait déposé une proposition de loi qui ne répondrait pas aux exigences techniques ou de qualité légistique et ne serait pas assorti de l’étude d’impact, comme cela aurait été le cas avec un projet de loi.
Nous attendons depuis fort longtemps d’avoir, en commission des affaires économiques, en commission du développement durable puis en séance, un débat de fond sur la stratégie énergétique du pays, fondé sur des questions techniques, scientifiques, économiques, et non sur la sempiternelle guerre de religion énergétique, dont personne n’a envie et qui conduit à se renvoyer des anathèmes, entre ceux qui pensent que la meilleure manière d’être pro-nucléaire est d’être anti énergies renouvelables et ceux qui pensent l’inverse.
Ce débat peut en outre avoir lieu sans prétendre tout intégrer dans la loi au risque de la rendre bavarde, nécessairement incomplète et imprécise. Je ne crois pas qu’il relève du rôle des parlementaires, a fortiori dans une proposition de loi, de fixer par exemple le rythme annuel de progression de telle ou telle énergie au dixième de gigawatt installé près, sauf à ce que chacun d’entre nous puisse être capable d’expliquer les raisons pour lesquelles il faudrait privilégier, pour l’éolien en mer, le photovoltaïque ou toute autre énergie, un rythme de progression annuel de 1,2 gigawatt par an plutôt que de 1,3. Il existe en France des institutions très nombreuses et très expertes, dont les travaux sont ouverts à la critique, puisque publiés et en libre accès, qui nous permettent d’appréhender ces questions.
Nous disposons également de l’outil que constitue la programmation pluriannuelle de l’énergie. La PPE doit découler de la loi et des grands objectifs que nous allons essayer de définir faute de projet de loi. Elle seule a la faculté de fixer précisément les choses, en abordant des aspects extrêmement importants, comme l’équilibre du réseau électrique, ou encore la capacité à supporter l’intermittence et à mener à bien des grands chantiers industriels tels que ceux du nucléaire.
C’est pourquoi – et je constate que d’autres collègues semblent défendre la même position – je vous proposerai de ne pas entrer dans un niveau de granularité par énergie qui ne peut selon moi être défendu ici, tant techniquement que scientifiquement. Si la proposition de loi est adoptée, nos travaux permettront d’orienter la future PPE.
Pour que la loi soit la moins bavarde possible et ait une chance d’avancer puisque son examen n’a pas été prévu selon la procédure accélérée, il importe que nous fassions collectivement l’effort de nous concentrer sur l’essentiel qui nous préoccupe depuis longtemps, c’est-à-dire la programmation, et de ne pas nous attarder sur les articles non programmatiques, si importants soient-ils, concernant par exemple la protection du consommateur – dont personne ne niera par ailleurs l’importance dans un marché de fourniture d’électricité et d’énergie qui a montré ses limites, avec des comportements de prédation inacceptables. S’il semble très important à ceux qui ont introduit ces dispositions au Sénat et au Gouvernement qu’une protection du consommateur soit rapidement mise en place dans ce domaine, je ne doute pas qu’un projet de loi puisse être rapidement déposé sur le sujet et nous serons tous ravis d’y travailler. Nous avons déjà 481 amendements à examiner ! Si nous parvenons à nous concentrer sur la dimension programmatique, nous aurons déjà effectué un très gros travail.
Un immense travail a déjà été accompli sur la stratégie française énergie climat, la PPE, sur la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et nombre d’autres acronymes – ce qui montre que la simplification reste au niveau du concept et ne se traduit pas encore en réalité normative. Ces travaux sont naturellement importants et doivent nous guider. Toutefois, certains datent de 2024 ou 2023, voire des années antérieures ! Or, des scénarios considérés voilà deux ans avec mépris ou sarcasme – je pense notamment à celui de Réseau de transport d’électricité (RTE) fondé sur la mondialisation contrariée, la fracture géopolitique, le besoin de résilience et une inquiétude portant plutôt sur la sécurité d’approvisionnement que sur la vitesse de décarbonation – sont presque devenus centraux et parfois même jugés optimistes. Nous devons nous interroger sur la consommation d’énergie à un horizon de cinq et dix ans, ainsi que sur notre capacité, d’une part, à atteindre nos objectifs de sobriété et d’efficacité énergétiques et, d’autre part, à mener de grands chantiers industriels dans le temps imparti, avec les chaînes de valeur telles qu’elles sont, , qu’ils soient dans le domaine des énergies renouvelables thermiques, renouvelables électriques ou nucléaires. Ne pas reconnaître que la situation a évolué et considérer qu’une PPE écrite voilà un ou deux ans pourrait convenir, alors que le monde a changé plusieurs fois depuis lors, sur le plan des tensions sur les matières premières, en ce qui concerne le libre-échange, le commerce, l’approvisionnement et le prix énergétiques, serait parfaitement t inconcevable.
En résumé, je vous propose de nous concentrer sur les articles programmatiques, d’essayer de nous en tenir au niveau de la loi et de laisser le Gouvernement, si le texte est adopté, adapter la PPE aux exigences législatives, en nous appuyant sur la technique et la science pour mener nos débats. C’est déjà un beau programme de travail !
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Maxime Amblard (RN). Chers collègues, enfin, la représentation nationale va enfin pouvoir débattre de la politique énergétique de notre pays. Il s’agit d’un sujet fondamental, qui conditionne notre souveraineté, notre prospérité et jusqu’à notre confort quotidien. Si le débat a lieu dans cette commission et n’a pas été contourné par un décret silencieux, c’est bien grâce à Marine Le Pen et à la mobilisation des députés du Rassemblement national. Pour nous, l’énergie n’est pas un sujet secondaire ! Elle est la clé de voûte de notre société. Sans énergie, pas d’industrie, pas de transports, pas de soins, pas d’agriculture, pas de chauffage !. Sans énergie, il n’y a ni confort, ni progrès, ni avenir !
Trois visions vont vraisemblablement s’exprimer lors de nos débats.
La première, animée par une idéologie décroissante et une foi aveugle dans le tout-renouvelable, entend restreindre les usages, contraindre les Français et leur faire payer au prix fort une transition punitive.
La deuxième, plus confuse, croit que l’on peut composer un mix énergétique comme on gère un portefeuille boursier, avec un peu de tout, sans hiérarchie, sans cap, en espérant que quelque chose fonctionne.
La troisième enfin, la nôtre, est celle du bon sens, du pragmatisme, de la science ! Le Rassemblement national défend une stratégie fondée sur les réalités physiques et promeut à ce titre un mix énergétique pilotable, décarboné, centralisé, garantissant une énergie abondante, stable et abordable, incluant notamment le nucléaire, l’hydroélectricité, la géothermie, la biomasse, la cogénération et les pompes à chaleur.
Le nucléaire est selon nous la clé de voûte de la puissance énergétique de demain. Notre parc historique doit être soutenu, modernisé, prolongé. Le nouveau parc doit être planifié avec ambition, depuis les réacteurs de troisième génération jusqu’à la fermeture du cycle du combustible et avec le déploiement des réacteurs de quatrième génération, ceux-là mêmes qui garantiront pour des siècles à notre pays une autonomie en matière de combustible, sans avoir à extraire un gramme d’uranium supplémentaire.
L’hydroélectricité, énergie renouvelable par excellence, doit aussi être pleinement mobilisée et développée, grâce notamment à des stations de transfert d’énergie par pompage (Step), indispensables au stockage et à la stabilité de notre réseau.
La biomasse et le biogaz – s’ils sont exploités avec sobriété et intelligence – constituent également une réponse adaptée à nos ressources locales.
La géothermie et le développement des pompes à chaleur permettent enfin de valoriser l’énergie présente dans le sol et dans l’air.
Réussir cette transition suppose par ailleurs d’avoir le courage de dire : « Non ! » Non à la prolifération des énergies intermittentes, qui déstabilisent notre système, alourdissent les factures et ralentissent la décarbonation.
Notre cap est clair : viser un mix énergétique essentiellement décarboné à l’horizon 2050 avec une production annuelle d’au moins 1 400 térawattheures, en considérant les baisses potentielles dues à l’efficacité énergétique, à l’électrification des usages et à la baisse du gaspillage énergétique, ainsi que les augmentations potentielles liées aux effets rebond, à la réindustrialisation, à l’agriculture, à la préservation de l’environnement, à la reforestation, à la dépollution, à notre lutte contre le réchauffement climatique et aux adaptations qui en découlent.
Tous nos amendements procèdent d’une même ambition : doter la France d’une politique énergétique sérieuse, cohérente, fondée sur le réel et tournée vers notre prospérité et notre souveraineté.
M. Antoine Armand, rapporteur. Merci, cher collègue, d’avoir donné un ordre de grandeur sur les besoins, car cette dimension nous inquiète tous ! Même si l’on peut débattre des 1 400 ou 1 200 térawattheures, donner un chiffre permet de s’interroger sur la partie non électrique du mix énergétique. L’électricité représente environ un tiers de ce mix, les deux tiers restants étant composés d’énergies fossiles, essentiellement importées. Lorsque l’on promeut, comme vous et moi, la souveraineté énergétique et la production locale, la décarbonation des deux tiers d’énergies fossiles doit être une priorité absolue. Une partie pourra être électrifiée et alimentée par diverses sources, parmi lesquelles le nucléaire, l’hydroélectricité et d’autres énergies que vous n’avez pas citées. Mais cela ne supprimera pas la question des quelques 500, 700 ou 800 térawattheures d’énergies renouvelables, ou en tout cas décarbonées thermiques, qu’il faudra produire au minimum ! Le sujet mérite d’être abordé. Je suis sûr que vous allez, lors des discussions, me détromper et montrer que vous n’êtes pas opposé à toutes les énergies renouvelables. Je ne doute pas que nous allons trouver, au moins techniquement, des points d’accord sur un très grand nombre de sujets.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Comme je l’ai indiqué le 28 avril dernier lors du débat sur la souveraineté énergétique de la France voulu par le Premier ministre, nous faisons face à un défi majeur : la sortie progressive de notre dépendance aux énergies fossiles. Ce défi – qui dépasse les clivages politiques –, répond à une nécessité écologique en même temps qu’à un impératif économique et de souveraineté. Il comporte également un enjeu de responsabilité envers les générations futures.
La France dispose pour y faire face d’un atout fort, avec un mix électrique décarboné à 95 %, reposant pour deux tiers sur le nucléaire et pour un tiers sur les énergies renouvelables, selon des chiffres de 2024.
Notre consommation énergétique globale reste toutefois dominée à 60 % par les énergies fossiles, raison pour laquelle la baisse des émissions de dioxyde de carbone amorcée ces dernières années doit non seulement se poursuivre, mais s’intensifier. Pour y parvenir, nous ne pouvons nous offrir ni le luxe, ni le temps d’opposer les énergies bas-carbone entre elles. Nous avons en effet l’opportunité de nous appuyer à la fois sur l’énergie nucléaire et sur les énergies renouvelables, électriques comme thermiques, pour construire un mix énergétique pluriel et résilient, dont le développement est largement soutenu par les Français. Une étude Ifop publiée la semaine dernière indique que 56 % d’entre eux estiment que la production d’électricité doit reposer sur un mix entre nucléaire et énergies renouvelables.
La diversification de notre production énergétique s’impose ainsi comme une évidence. Tel est le sens du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie, issu d’une large concertation lancée depuis quatre ans. Cette troisième PPE, qui articule développement du nucléaire et des énergies renouvelables, sobriété et efficacité énergétiques, devrait être selon nous publiée le plus rapidement possible pour donner aux filières la visibilité nécessaire à leurs investissements. Sa publication devrait par ailleurs s’accompagner d’une stratégie pluriannuelle de financement, alignée sur les objectifs de chaque filière d’ici à 2035.
Nous considérons que l’examen de la proposition sénatoriale doit nous permettre de préciser notre stratégie énergétique. Notre ligne est claire : poursuivre et massifier le développement des énergies renouvelables, en complément de l’énergie nucléaire qu’il importe également de soutenir fortement. Nous souhaitons ainsi que nos débats confirment les objectifs relatifs au photovoltaïque, traduisent dans la loi le pacte éolien en mer signé par l’État en 2022 et valorisent notamment l’énergie hydrolienne, l’hydrogène et la chaleur renouvelable issue des combustibles solides de récupération (CSR). Nous soutenons également des mesures de simplification afin d’accélérer le déploiement des réacteurs nucléaires et formulons plusieurs propositions de nature à renforcer l’information des consommateurs.
Ce débat sur la stratégie énergétique ne saurait en outre faire l’économie d’une réflexion plus large sur la planification et le financement de notre modèle. En effet, l’électrification des usages, le développement des réseaux, du stockage et de la flexibilité imposent d’effectuer sans délai des choix structurants. C’est la raison pour laquelle nous appelons de nos vœux une loi prospective sur l’énergie. L’enjeu dépasse en effet celui de la simple PPE de 2035 : le véritable enjeu est celui de la sortie progressive des énergies fossiles pour atteindre la neutralité carbone en 2050, au plus tard.
M. Antoine Armand, rapporteur. Je partage pleinement vos propos et me permets d’insister sur la question du financement, qui m’offre l’opportunité de lancer un appel préalable au Gouvernement, dans la mesure où nous allons avoir une discussion dans le cadre d’un groupe de travail sur la PPE demandé par le Premier ministre. Qu’elle soit ou non adoptée, la loi va fixer des objectifs d’électrification et de décarbonation. Sans perspective, sans trajectoire claire de financement entre ce qui relèvera de l’électrification et ce qui procédera simplement d’un passage des énergies fossiles aux énergies thermiques renouvelables, nos objectifs n’auront aucune chance de se concrétiser. Il sera donc urgent, au moins dans le prochain budget et avec une autre forme législative si le Gouvernement le décide, de disposer d’une visibilité financière sur l’électrification, la décarbonation et les moyens, financements obligatoires ou autres, mis en place pour financer cette transition.
M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, chers collègues, faute de loi de programmation en bonne et due forme, le Gouvernement bricole en inscrivant cette proposition de loi sénatoriale – sans véritable soutien de ses propres troupes –, M. Bayrou assurant qu’il tiendra compte de son examen pour amender la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie avant sa publication, déjà repoussée à de multiples reprises.
La PPE 3 est très attendue par les acteurs du secteur. Le Haut Conseil pour le climat (HCC) rappelle en effet que la France se réchauffe plus vite que le reste du continent, que le coût et les risques de l’inaction sont exorbitants et que nous avons besoin d’objectifs et de budget suffisants et pérennes.
L’examen de cinq articles par la commission du développement durable a été plutôt rassurant : nous nous sommes retrouvés dans la plupart des amendements adoptés. Après l’article 11, un amendement proposé par LFI visant à réduire notre empreinte carbone, c’est-à-dire nos émissions de gaz à effet de serre importées, a même été adopté.
Il nous est toutefois impossible de voter cette proposition de loi en l’état. Le texte ne comprend en effet quasiment rien sur la sortie des énergies fossiles, qui représentent toujours 60 % de notre mix énergétique et 74 milliards d’euros de déficit commercial. Il préfère parier en lieu et place sur le techno-solutionnisme du captage et du stockage du carbone.
Il ne comporte rien non plus s’agissant de la planification de la sobriété énergétique, qui restera largement subie par les uns et inexistante pour les autres.
On note également, en matière d’efficacité énergétique et pour ne parler que de la rénovation thermique des logements, un nouveau décalage de l’objectif dans le temps.
Concernant enfin les énergies renouvelables – qui sont les seules à pouvoir être déployées avec succès dans les années à venir –, le texte ne dit rien du soutien à apporter aux filières industrielles souveraines et pourvoyeuses d’emplois.
Pire : ce texte veut dissoudre les objectifs spécifiques de déploiement des énergies renouvelables dans un objectif abscons d’énergies décarbonées, pour donner toujours plus de place au nucléaire – alors que ce dernier n’a aucune chance de progresser dans un délai raisonnable. Cette obsession nucléariste est grave, car elle nous expose à six risques systémiques. Nous risquons ainsi, sans soutien apporté aux énergies renouvelables, sans capacité nouvelle – alors que de nombreux réacteurs nucléaires seront à l’arrêt dans les dix ans à venir pour leur visite décennale –, de manquer d’électricité. Dès lors, il nous faudra en importer massivement, ce qui viendra alourdir les factures. Les ménages seront en outre davantage précarisés et ne pourront électrifier leurs usages, restant ainsi dépendants des énergies fossiles. Les entreprises ne pourront pas décarboner leurs procédés de production, ni investir dans la réindustrialisation, et nous ne respecterons pas nos engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Face à cela, le pouvoir sera tenté de prolonger la durée de vie des réacteurs existants, en faisant fi des risques d’accident liés à leur vieillissement.
Nous espérons, lors de ce débat, amener chacun à la raison, faute de quoi nous voterons contre ce texte.
J’espère par ailleurs que nous pourrons mettre fin au très mauvais mécanisme de calcul des factures prévu pour 2026, dont nous n’avons trouvé aucun partisan au cours des nombreuses auditions déjà menées dans le cadre de la mission d’information sur les prix de l’électricité que nous avons lancée avec Philippe Bolo.
M. Antoine Armand, rapporteur. Cher collègue, je ne comprends pas le sens de votre propos sur les prix. On peut le déplorer, mais ce texte n’a vocation à traiter ni des prix de l’énergie, ni des filières industrielles parce qu’il n’en a pas pris le chemin et qu’il n’a pas la forme d’un projet de loi. Nous pourrons avoir ce débat dans le cadre de la PPE. Lorsque l’on se donne, en matière de solaire par exemple, des objectifs de développement du photovoltaïque, que l’on met l’accent sur la possibilité de produire les installations nécessaires en France mais que l’on n’en voit finalement pas la trace, il est légitime de s’interroger sur la réalité de la chose ! On peut également se questionner sur le caractère résilient et souverain du processus.
Je n’ai pas le temps de répondre précisément à l’amorce de procès que vous avez intenté au nucléaire. L’argument que vous avez utilisé est largement démenti par les constats que j’ai pu effectuer dans mes fonctions actuelles et passées : c’est parce que nous disposons du nucléaire que des entreprises continuent à produire en France et choisissent de s’implanter dans notre pays. Cela concerne notamment des entreprises qui investissent et innovent dans des technologies extrêmement consommatrices d’électricité. Croire que le nucléaire, et en particulier l’électricité nucléaire, est un handicap constitue un contresens majeur. Cela est au contraire présenté comme un atout majeur par l’ensemble des acteurs industriels concernés.
M. Karim Benbrahim (SOC). Quel mix énergétique pour réussir la transition écologique ? Comment garantir notre souveraineté énergétique, notamment face aux menaces venant de Russie ? Comment assurer un prix de l’énergie compétitif pour nos entreprises et nos concitoyens ? Voilà quelques-unes des réflexions auxquelles la représentation nationale devrait être pleinement associée.
Le Premier ministre a toutefois déjà annoncé que le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie était prêt. L’examen de cette proposition de loi apparaît donc d’abord comme un gage politique adressé à la droite sénatoriale et au Rassemblement national, ensuite comme un coup supplémentaire porté au respect du travail parlementaire.
Une politique énergétique doit pourtant s’inscrire dans le temps long. L’adoption par la représentation nationale d’une loi de programmation avant la publication d’un décret aurait permis de donner plus de robustesse à l’orientation stratégique prise.
Si le Gouvernement semble faire fi de cette séquence parlementaire, le groupe Socialistes et apparentés l’abordera avec sérieux et responsabilité. Nous défendrons une stratégie énergétique fondée sur trois impératifs : la lutte contre le dérèglement climatique, la garantie de notre souveraineté énergétique et l’accès de toutes et tous à une énergie abordable.
Le texte transmis par le Sénat fait du nucléaire son axe central, de manière dogmatique. Nous nous y opposerons et proposerons une autre vision, structurée autour de quatre axes.
Le premier vise la réduction de nos consommations énergétiques. Cela passe par des politiques ambitieuses de sobriété et d’efficacité énergétiques, combinant l’impérieuse nécessité d’allier transition écologique et justice sociale. Il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale !
Le deuxième axe est le soutien à l’électrification des usages pour sortir de notre dépendance aux énergies carbonées.
Le troisième consiste à soutenir massivement le développement des énergies renouvelables. Dix ans après l’accord de Paris sur le climat, la France demeure largement en retard sur ses objectifs. Nous soutiendrons un développement des énergies renouvelables qui doit s’appuyer sur des filières industrielles françaises et européennes, car la transition énergétique ne pourra se faire sans souveraineté industrielle. Le passage vers un mix 100 % renouvelable pose encore des défis majeurs, tant sur le plan technique, sociétal, qu’économique.
Si l’objectif d’un mix énergétique renouvelable et décarboné doit être réaffirmé, la préparation de la décennie 2040 nécessite encore une part de nucléaire, significativement moins importante qu’actuellement, mais qui ne doit pas compromettre nos ambitions en matière d’énergies renouvelables. Tel est le quatrième axe que nous défendrons !
C’est en se fondant sur ces lignes directrices que nous abordons les débats à venir, afin de construire un mix énergétique à la fois écologique et social, à même de garantir notre souveraineté.
M. Antoine Armand, rapporteur. Monsieur le député, je vous rejoins largement sur plusieurs points. Il importe de mettre l’accent sur la stratégie industrielle. Si tout ne peut pas être inscrit dans la loi, nous devrons être très vigilants pour que la programmation pluriannuelle de l’énergie et le projet de loi de finances concrétisent de manière législative ou réglementaire, par des stratégies de financement, le soutien industriel que l’État et les collectivités publiques en général sont prêts à apporter au projet énergétique, dont il nous revient de définir les grands objectifs. Sans faire de mauvais esprit, il est arrivé ces dernières années que les parlementaires – pas forcément nous, intuitu personae – fixent des objectifs – en pourcentage d’ailleurs plus souvent qu’en térawattheures –, qui n’avaient aucune réalité ou sous-jacent industriel et qui, naturellement, n’ont jamais vu le jour, ou alors sous forme d’appels à projets et de prix garantis qui coûtent, aujourd’hui encore, des milliards d’euros à la France.
La réunion est suspendue de dix-huit heures quarante à dix-huit heures cinquante-cinq.
M. Henri Alfandari (HOR). Nous débattons enfin d’énergie, question centrale de l’attractivité économique de la France grâce à l’effet prix et de la réalisation de ses objectifs climatiques grâce à la décarbonation du mix énergétique. Le groupe Horizons et indépendants se réjouit que la proposition de loi du sénateur Gremillet nous donne enfin l’occasion de corriger les incohérences de notre politique énergétique et de tracer un chemin ambitieux pour la France.
Nous saluons votre travail, Monsieur le rapporteur, mais nous n’oublions pas, surtout, le constat et les préconisations du rapport de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance de la politique énergétique de la France, dont vous étiez aussi le rapporteur. C’est pourquoi je proposerai deux amendements qui visent à tirer les leçons de ces travaux et qui réécrivent une large partie de la proposition de loi. Je sais que s’ils sont adoptés, chers collègues, ils feront tomber un grand nombre des amendements déposés. Cependant, c’est le moment ou jamais de se saisir de ce sujet et de corriger des points majeurs. Quels sont-ils ?
Pour commencer, la question a été posée de savoir ce qui relève de la loi, du domaine réglementaire ou du décret. Comme vous le savez, c’est la loi qui oriente la prise de décret. Si nous voulons introduire de nouvelles contraintes dans la programmation énergétique, nous devons le faire aux articles L. 100-1 et suivant du code de l’énergie,
Plusieurs d’entre vous ont regretté de ne pas disposer, comme c’est le cas pour un projet de loi, d’une étude d’impact et des consultations préalables. Or, c’est précisément ce qu’il faut faire à intervalles réguliers en matière de politique énergétique, dès lors qu’on y apporte des modifications !
Ensuite, il faut garder de la souplesse, afin de corriger nos erreurs. Nous ne pouvons attendre l’adoption d’une nouvelle loi lorsque les trajectoires dévient et que le pays n’est pas au rendez-vous.
Enfin, il faut rendre compte, non seulement devant les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais aussi devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) – car il s’agit bien de choix scientifiques.
Le groupe Horizons saisira donc toutes les occasions pour protéger les Français et permettre à notre pays de trouver les voies de son indépendance énergétique et stratégique.
M. Antoine Armand, rapporteur. Cher collègue, je vous remercie pour vos mots. Je ne peux que vous rejoindre sur la question de la souveraineté et sur la nécessité de dépasser les oppositions classiques en matière d’énergie. Il faut en effet se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire fixer des ordres de grandeur : quelle part d’énergie décarbonée devrons-nous atteindre en 2030, en 2035 et en 2050 ? Voilà un domaine dans lequel la transition écologique et la souveraineté nationale vont dans le même sens, pour peu que l’on privilégie d’abord les outils existants, qui sont bel et bien pilotables, industriels et fonctionnels – n’en déplaise à certains – , et qu’on développe ce qui peut l’être, dans la limite des capacités du réseau électrique. Il s’agit, non pas de reproduire je ne sais quelle guerre de religion, mais d’observer ce qui se fait dans les autres pays et ce que les réseaux peuvent absorber avant d’atteindre leurs limites potentielles.
M. Philippe Bolo (Dem). Monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voilà enfin réunis pour mener le débat qui nous était promis depuis l’adoption de la programmation pluriannuelle de l’énergie en 2018 ! Depuis deux ans, nous avons été nombreux à le réclamer. Mais la nouvelle PPE devrait être prise par décret. La méthode pose question : alors que certains y voient l’aboutissement d’une large concertation, d’autres déplorent une entorse au processus parlementaire. Quoi qu’il en soit, la proposition de loi du sénateur Gremillet, adoptée au Sénat, nous donne enfin la possibilité de débattre de la programmation énergétique. Au groupe démocrate, nous espérons que nos échanges déboucheront sur des éléments de nature à amender le projet de décret, notamment en matière de programmation, et que nous réussirons à nous extraire de la polarisation habituelle autour de la part du nucléaire et de celle des énergies renouvelables pour trouver des points de consensus importants.
J’en vois au moins quatre : premièrement, la nécessité de réduire notre consommation d’énergie fossile ; deuxièmement le renforcement de notre souveraineté énergétique ; troisièmement, l’importance de considérer les réseaux comme le point de rencontre entre l’offre et la demande électrique – un enjeu insuffisamment pris en compte dans nos débats – ; quatrièmement, la question du prix de l’électricité, car même s’il ne nous appartient pas de le fixer par nous-mêmes, nous devons faire en sorte qu’il soit abordable, prévisible et stable. Avec mon collègue Maxime Laisney, je travaille, dans le cadre d’une mission d’information de la commission des affaires économiques, sur ce sujet majeur que tout le monde a pu toucher du doigt lors de la crise de 2022-2023. À l’époque, accéder à l’énergie n’était qu’un simple réflexe : il suffisait de brancher une prise ou d’appuyer sur un interrupteur. Durant la crise, chacun a pu mesurer les conséquences de l’augmentation des prix : l’impact sur le pouvoir d’achat pour les ménages ; les difficultés à mener les politiques publiques pour les collectivités territoriales ; les conséquences économiques – on parle souvent des entreprises dites électro-intensives, mais je pourrais également citer tous les boulangers de tous les territoires de France, qui ont connu d’énormes difficultés au moment de renouveler leur contrat d’énergie, alors que les prix atteignaient des niveaux exorbitants. Par conséquent, même si le prix n’est pas au cœur de nos débats, nos orientations doivent être suffisamment rationnelles pour garantir des prix prévisibles, stables et lisibles.
Le groupe Les Démocrates est heureux que le débat ait enfin lieu, même s’il n’a pas la forme attendue initialement. Nous souhaitons une programmation utile pour le climat, la souveraineté énergétique de la France, la fixation des prix, les réseaux et le partage de la valeur dans les territoires. Si nous sommes prêts à accueillir favorablement les évolutions pertinentes, nous resterons vigilants face à celles que nous jugerions inopportunes.
M. Antoine Armand, rapporteur. Merci, cher collègue ! Puisque vous m’y invitez, permettez-moi de dire un mot sur le prix de l’électricité, sujet sur lequel vous menez, avec votre collègue Maxime Laisney, une mission d’information. Plusieurs éléments, pourtant fondamentaux, ne figurent pas dans ce texte. Il y a tout d’abord, la fiscalité : l’électricité continue à être davantage taxée que le gaz. Pourtant, à chaque fois que nous avons essayé de rétablir un équilibre – nos collègues sénateurs l’ont encore tenté à l’automne dernier –, le débat s’est révélé impossible et problématique. À ce titre, le débat que nous aurons sur l’article 2 de la proposition de loi sera sans doute évocateur, et les positions des uns et des autres montreront que, lorsqu’il s’agit de rééquilibrer la fiscalité énergétique en faveur de la décarbonation, c’est moins simple qu’il n’y paraît.
Ensuite, comme dans tout marché, le prix dépend de la quantité produite : à cet égard, développer notre indépendance énergétique et favoriser la production d’énergie décarbonée ne pourra qu’être un facteur positif. Toutefois, il faut souligner un phénomène nouveau – plus national qu’européen –, qui est incompréhensible et insupportable pour nos concitoyens : celui des prix négatifs. Chaque jour, nous produisons un nombre croissant de minutes à prix négatif, qui ne se reflète pas sur la facture des Français. On peut toujours expliquer en quoi ce processus est normal, mais il reste parfaitement insupportable ! C’est pourquoi nous devons élaborer un mix électrique convenable et cohérent.
M. Jérôme Nury (DR). Madame la Présidente, Monsieur le rapporteur, chers collègues, l’énergie est le socle de notre économie, de notre souveraineté, de notre capacité à produire et à innover. Nous n’avons plus le droit à l’erreur, ni à l’idéologie : la France doit faire des choix fondés sur la science et la raison, et non plus sur des dogmes ou des illusions ! Nous avons en main une force que beaucoup nous envient : un mix électrique décarboné et pilotable, fruit de décennies d’investissements dans le nucléaire et l’hydroélectricité.
Pourtant, le décret relatif à la PPE3, tel qu’il était initialement proposé, sacrifiait cet atout en continuant de pousser à marche forcée le développement des énergies électriques intermittentes, au mépris du bon sens économique, technique et écologique. C’est encore le cas, dans une moindre mesure, de ce texte. La France a non pas besoin d’éolien ou de photovoltaïque supplémentaires, mais d’investissements sur le long terme ! Le nier serait terrible pour notre souveraineté et nos finances publiques, voire dangereux pour le bon fonctionnement de notre réseau électrique – nous l’avons constaté lors du black-out survenu récemment en Espagne.
En 2022, nous avons touché du doigt les conséquences du délaissement du nucléaire et du développement massif des énergies électriques intermittentes. La chute de la production nucléaire, combinée à une absence de vent et de soleil, a entraîné des importations records et une explosion des prix pour nos concitoyens et nos entreprises.
Depuis, avec une production nucléaire record de 361 térawattheures en 2024 – qu’il est encore possible d’améliorer –, la surproduction d’électricité intermittente provoque des prix négatifs en spot durant des périodes de plus en plus longues, au cours desquelles l’énergie est vendue à perte. Pourtant, les Français continuent de la payer toujours plus cher !
Nous devons donc entériner une politique énergétique permettant de préserver notre souveraineté et, surtout, de faire en sorte que les prix de l’électricité ne soient plus aussi élevés. Nous proposons une stratégie claire : priorité à l’électrification des usages, à la décarbonation des secteurs les plus consommateurs d’énergies fossiles, au renforcement du nucléaire existant et à sa montée en puissance ! Enfin, nous disons « stop ! » aux subventions déguisées aux énergies intermittentes, qui désorganisent notre réseau et enrichissent des fonds d’investissement au détriment du pouvoir d’achat des Français et de nos entreprises. L’heure n’est plus aux chimères, mais au courage !
La semaine dernière, nous sommes revenus, en séance, sur la suppression des zones à faible émission (ZFE), qui allaient conduire à une division sociale terrible entre les ruraux et les urbains. Poursuivons ce travail et protégeons les Français qui n’ont pas les moyens de payer une électricité chère, alors qu’il est possible d’agir afin d’en limiter la hausse. La France a besoin d’une énergie non pas idéologique, mais compétitive. C’est en ce sens que nous défendrons plusieurs amendements qui visent à améliorer le texte sénatorial dont il convient encore de conforter les objectifs principaux – même s’il va dans la bonne direction.
M. Antoine Armand, rapporteur. Merci, cher collègue ! J’entends et je partage naturellement la nécessité de décarboner, en particulier les secteurs qui consomment le plus d’énergies fossiles, car ils sont polluants et ne permettent pas d’assurer la souveraineté énergétique que nous appelons de nos vœux. Toutefois, ces secteurs représentent deux tiers du mix énergétique. Par conséquent, même si le nucléaire et les énergies renouvelables, telles que l’hydroélectricité, seront à même de combler une partie des besoins, tout ne pourra pas être électrifié ! L’énergie décarbonée qui fait actuellement défaut porte en priorité sur le thermique. Nous avons déjà eu de nombreux débats sur cette question, en matière de transport et de mobilité électrique. Il faudra répondre à cette exigence – c’est d’ailleurs l’une des ambitions de ce texte. Nous devrions pouvoir trouver des convergences sur ce point.
Quant aux défauts de la proposition de loi sénatoriale, je suis à votre disposition pour servir d’intermédiaire avec notre collègue sénateur Daniel Gremillet, mais je crois que vous le connaissez aussi très bien.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cela fait trois ans que ça dure ! Faute d’examiner en temps et en heure un projet de loi de programmation énergétique – qui, faut-il le rappeler, aurait dû être adopté avant le 1er juillet 2023…–, nous examinons, dans un contexte délétère, une proposition de loi à l’objet ambigu. Combien de consultations, de travaux prospectifs et de groupes de travail ont-ils été lancés et pour quels résultats ? La ministre chargée de l’énergie a bien élaboré un projet de programmation, mais il n’a jamais été examiné par le Parlement ! L’idée a même été avancée de contourner l’obstacle et de l’adopter par décret. Or, voilà le Gouvernement contraint de reprendre en urgence une proposition de loi – qui affiche pourtant des priorités totalement contraires à celles de la PPE qu’il a lui-même élaborée –, pour éviter une menace de censure de l’extrême droite... Quelle étrange conception de la planification énergétique et quelle étrange manière de préparer l’avenir !
Disons-le sans tergiverser : cette proposition de loi n’est pas sérieuse ! Elle est bâclée et ne dispose ni d’une étude d’impact, ni de l’avis du Conseil d’État, du Conseil supérieur de l’énergie (CSE) ou du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Elle ne traite pas de ce qui nous semble une priorité : la réduction de la part des énergies fossiles et la réduction de la facture qu’elles impliquent, à hauteur d’une centaine de milliards d’euros. Telle qu’elle nous parvient du Sénat, elle constitue un texte politico-religieux, totalement déconnecté des réalités concrètes du terrain ! Elle n’a pour seul objectif que de témoigner de la foi irrationnelle dans le recours aux technologies actuelles et futures du nucléaire, aux antipodes d’une stratégie cohérente de décarbonation de notre économie et au mépris de la réalité du changement climatique : pertes agricoles, fonte des glaciers, inondations, sécheresses et canicules, phénomènes de retrait-gonflement des argiles.
Alors que la France est l’un des pays qui se réchauffe le plus vite au monde, nous ne ferions rien pendant dix ans, dans l’espoir d’une hypothétique mise en service de six réacteurs de type EPR2 avant 2035 ? Et, ce, sans tenir compte du retour d’expérience de Flamanville qui a connu douze ans de retard, nécessité une dépense de plus de 23 milliards d’euros et dont la rentabilité est médiocre – moins de 2 % – ? Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais un excellent rapport de la Cour des comptes de janvier dernier... Je vous le demande, est-il raisonnable de privilégier la fuite en avant ?
La programmation pluriannuelle de l’énergie doit fixer un cap sérieux pour les dix prochaines années. Qui peut croire à cet engagement, alors que le Conseil de politique nucléaire affiche déjà un report de plus de trois ans ? Le texte évite soigneusement d’aborder chacune des étapes d’une stratégie de décarbonation et de résilience : sobriété énergétique, déploiement massif des renouvelables, renforcement de la souveraineté énergétique et une plus grande justice en la matière. Il repose sur des hypothèses techno-solutionnistes, totalement déconnectées des réalités techniques, industrielles, scientifiques, économiques et climatiques qui s’imposeront à nous, quel que soit l’enthousiasme avec lequel vous l’adapterez, amendement après amendement.
Cette proposition de loi spécule et rêvasse, au mépris des faits scientifiques et des réalités techniques, sous l’influence de lobbys puissants ! C’est le cas de l’hydrogène vert, dont la production est quasi nulle, cette technologie n’étant pas encore mûre. Le calendrier de ce texte, coïncidence ou non, accompagne les récents reculs du Gouvernement en matière écologique : sur les néonicotinoïdes, sur l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) et sur les zones à faibles émissions (ZFE) – autant de décisions dangereuses pour l’environnement et pour notre santé.
Assurément, ce texte ne peut tenir lieu de cap énergétique ! Construisons plutôt une programmation pluriannuelle de l’énergie crédible. C’est pourquoi nous défendrons des amendements en ce sens, afin de la corriger et de la réorienter.
M. Antoine Armand, rapporteur. Madame Voynet, vous n’étiez pas présente lorsque j’ai moi-même souligné avec autant de modestie que possible les limites de la proposition de loi et qu’elle ne possédait pas toutes les caractéristiques d’une loi de programmation. Sur ce point, je peux vous rejoindre. Toutefois, vous évoquez un texte technico-religieux, bâclé et sans étude d’impact ; vous parlez même d’une proposition de loi qui spécule et qui rêvasse. C’est exactement ce que je pense de la politique énergétique dont votre mouvement est responsable depuis une trentaine d’années ! Ce n’est pas une attaque personnelle, mais un rappel des faits : vous avez présidé à la fermeture du démonstrateur Superphénix qui aurait pu nous permettre de disposer d’un réacteur de quatrième génération ; vous avez tenté de fermer le parc nucléaire existant grâce auquel nous avons de la lumière ce soir et qui permet à la France de rester une puissance industrielle. Tâchons, vous et moi, de ne pas spéculer ni de rêvasser en examinant ce texte !
M. Joël Bruneau (LIOT). Cela a été dit, depuis juillet 2023, nous attendons que le Gouvernement présente une loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat, conformément aux dispositions inscrites dans la loi énergie et climat adoptée en 2019. Sur ce sujet crucial pour l’avenir de notre pays, le monde économique patiente, ou plutôt s’impatiente ! En effet, l’absence de texte programmatique crée une insécurité juridique persistante et dommageable à l’économie. Les filières énergétiques du nucléaire comme des énergies renouvelables ont besoin d’orientations claires et d’une stratégie stable pour mobiliser les investissements nécessaires. Les différents choix opérés en matière énergétique conditionneront – il faut que nous en soyons tous bien conscients – notre capacité non seulement à nous réindustrialiser, mais aussi, plus globalement, à maintenir notre niveau de vie. Les enjeux sont donc à la fois économiques, écologiques et de souveraineté naturellement.
En somme, nous avons besoin urgemment d’une loi de programmation. Or, nous pouvons légitimement douter de l’efficacité de la méthode choisie, puisqu’en reprenant une proposition de loi d’initiative sénatoriale – aussi positive soit-elle –, le Gouvernement nous prive de l’avis du Conseil d’État ainsi que d’autres instances, et d’une étude d’impact. Sur un sujet aussi technique et déterminant, nous ne pouvons que le regretter !
En matière énergétique, nous avons quelques convictions. Il importe tout d’abord de décarboner notre consommation énergétique et de s’attaquer prioritairement à une consommation dont la part des énergies fossiles représente encore 60 %. Pour y parvenir, l’électrification massive des usages est nécessaire, ce qui devrait nous conduire à augmenter à due concurrence la production d’électricité, à moins qu’une sobriété vertueuse, fondée sur l’évolution des comportements et des innovations scientifiques, nous permette de l’éviter – pour l’heure, la sobriété résulte plutôt d’une réduction de l’activité industrielle.
Il faut ensuite que notre mix repose sur les deux piliers complémentaires que sont le nucléaire et les énergies renouvelables, la question étant de quantifier la part de chacune de ces sources d’énergie.
Au-delà de ces certitudes, beaucoup d’interrogations demeurent : quel sera le calendrier raisonnable de la relance du nucléaire ? À quel prix pourrons-nous construire les nouveaux EPR ? Où en sont les négociations européennes sur les conditions et les modalités d’accompagnement de l’État à ce nouveau nucléaire ? Comment garantir l’acceptabilité sociale des énergies renouvelables ? Avons-nous réellement les capacités de stockage et de flexibilité pour faire face à leur caractère intermittent – cette insuffisance chronique explique les difficultés d’équilibrage du réseau. Par ailleurs, l’électrification des usages suivra-t-elle la trajectoire prévue ? La consommation sera-t-elle au rendez-vous ? Et si ce n’est pas le cas, qui paiera la facture correspondant à la différence ?
M. Antoine Armand, rapporteur. Cher collègue, vous posez des questions légitimes, que je partage. Permettez-moi de mentionner un point qui a été peu évoqué jusqu’à présent : celui de la maîtrise de la demande, grâce à la sobriété et à l’efficacité énergétiques. Il faut reconnaître notre incapacité à penser les technologies et les usages de demain pour atteindre la sobriété dans les secteurs résidentiel, tertiaire et industriel, ainsi que notre incapacité – y compris celle de notre propre sensibilité politique – à faire évoluer les critères techniques et physiques en matière de rénovation énergétique. Il faut sortir du tabou du simple geste de rénovation, même s’il fait plaisir car il permet d’afficher des opérations et des progrès. S’il n’aboutit pas à économiser des térawattheures, ni à remédier à la précarité sociale dans laquelle se trouvent certains de nos concitoyens, il ne répondra pas à la réalité des besoins. Nous devrions trouver des convergences sur ce point.
M. Julien Brugerolles (GDR). Monsieur le rapporteur, l’examen de ce texte soulève toujours autant de questions, soyons honnêtes. Quelle est la stratégie du Gouvernement ? La proposition de loi est-elle censée remplacer la loi de programmation prévue tous les cinq ans par le code de l’énergie, ou s’agit-il d’un simple préambule à la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie, annoncée, puis repoussée à la fin de l’été ? Autant de questions, mais toujours pas de réponses claires...
Alors que nous devrions bâtir la politique énergétique de la France dans la transparence, sur la base de données fiables, d’une étude d’impact rigoureuse et de trajectoires scientifiquement étayées, nous sommes contraints de légiférer à vue, par petites touches. Cette opacité n’est pas nouvelle : elle s’explique en partie par les revirements successifs du Président de la République ! Son premier quinquennat a été marqué par une foi inébranlable dans le tout marché, avec une dérégulation et une libéralisation, coûte que coûte, du secteur énergétique. Puis, il a fallu opérer un virage à 180 degrés. Rattrapé par la crise géopolitique, on a soudain redécouvert les vertus de la souveraineté, de l’entreprise publique et des tarifs réglementés. Mieux vaut tard que jamais !
Comme nous l’avons souligné le 28 avril, à l’occasion de la déclaration du Gouvernement sur la souveraineté énergétique de la France, il est difficile de construire une stratégie sans trajectoires de référence, ni objectifs chiffrés s’agissant des émissions, de la consommation et de la production. C’est pourtant le cœur d’une loi de programmation : fixer un cadre, une direction et des ambitions. Or, tout se fait à l’envers ! La SNBC, la PPE, le plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), le plan national intégré énergie-climat (Pniec), tous les documents censés découler de cette loi sont soit déjà présentés, soit en projet ou dans les tuyaux, alors que le texte fondateur, lui, manque toujours à l’appel. Cherchez l’erreur !
Certes, cette proposition de loi affiche des objectifs que nous partageons : la péréquation tarifaire, les tarifs réglementés, la maîtrise publique des outils de production et de distribution, le maintien de nos capacités de production nucléaire – autant de mesures qu’en tant que députés communistes nous défendons depuis des années, souvent à contre-courant face à la vague libérale.
Toutefois, comment actualiser la programmation énergétique nationale, comme le prévoit le titre Ier, si nous ne savons toujours pas vers quelle trajectoire tendre ? Je pense notamment au retard criant en matière d’électrification des usages ou à la dégradation majeure de nos puits de carbone, qui compromet la mobilisation de la biomasse dans les années à venir.
Enfin, deux grands sujets sont une fois de plus absents dans ce texte. Le premier sujet concerne l’empreinte carbone : les émissions liées à nos importations représentent plus de la moitié des émissions réelles des Français. Le deuxième sujet a trait aux moyens : quels investissements publics, quels financements concrets ? À budget constant, voire en baisse, l’ambition énergétique devient un vœu pieux. Rien non plus sur l’indispensable volonté de maîtriser à long terme les tarifs de l’énergie, en sortant du marché européen, ni sur les risques que ce dernier fait peser sur les factures des usagers.
Monsieur le rapporteur, nous abordons donc ces travaux dans un esprit constructif. Toutefois, tant que ces questions fondamentales n’auront pas trouvé de réponses, il sera difficile – je dirais même très difficile – de redonner à ce débat la cohérence et la portée qu’il mérite.
M. Antoine Armand, rapporteur. Merci, cher collègue ! Je le disais dans mon propos liminaire, je partage vos interrogations et les incohérences que vous signalez. Cela ne doit pas nous empêcher pour autant de travailler, puisque nous avons enfin l’occasion de débattre de ces sujets. Vous avez déposé des amendements qui vont dans le sens d’une cohérence et d’une stratégie industrielle plus importantes, quels que soient les types d’énergies, pourvu qu’elles présentent des caractéristiques techniques compatibles avec les réseaux – je connais l’attachement de votre mouvement au réseau électrique et à sa capacité à assurer les raccordements pour les années à venir et dans les prochaines décennies. Il ne nous reste plus qu’à y travailler ensemble !
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, il aurait fallu non seulement un projet de loi, mais une véritable loi de programmation en matière d’énergie et de climat, assortie d’une étude d’impact. Cette vision globale nous aurait permis d’aborder des sujets comme la fiscalité, la maîtrise publique ou encore la trajectoire financière – ce dont nous sommes privés puisque, sous Emmanuel Macron, dans la Ve République, les budgets sont adoptés en recourant à la procédure du 49.3, sans débat parlementaire. D’ailleurs, vous vous souvenez peut-être que le premier 49.3 est intervenu, en 2022, précisément après des votes portant sur la rénovation thermique et le développement des transports collectifs, ce qui a un lien avec la question énergétique. Et peut-être déposerez-vous une motion de rejet préalable à l’ouverture de la discussion en séance publique, pour continuer d’assurer la mainmise du Sénat ?
Pourtant, Monsieur le rapporteur, vous avez commencé votre carrière ministérielle en maintenant le Rassemblement national à distance. Je suis donc stupéfait de constater que certains de vos amendements vont exactement là où ce parti veut nous conduire, c’est-à-dire vers un sabordage des énergies renouvelables, pour lesquelles vous proposez, ni plus ni moins, de supprimer tout objectif chiffré de développement. La Macronie entend-elle vraiment appliquer le programme du Rassemblement national sur ces questions ?
M. Antoine Armand, rapporteur. Je ne savais pas que le photovoltaïque sur toiture avait une couleur politique, ni que l’uranium enrichi était de droite plutôt que de gauche ! À vous entendre, je finis par le penser – mais ce n’est en tout cas pas votre couleur politique. Au-delà de nos échanges presque sympathiques, je suis sûr que lorsque nous en viendrons à l’examen des amendements, vous ne mettrez pas en avant mon positionnement politique, mais chercherez à déterminer ce qu’il est possible de faire en matière d’hydroélectricité, de photovoltaïque sur toiture ou d’éolien en mer. Au fond, c’est ce qui nous intéresse tous ici.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Antoine Armand s’est livré tout à l’heure à une mise en cause personnelle me concernant. Auditionnée par la commission d’enquête sur la souveraineté énergétique de la France, j’ai, sous serment, répondu à vos questions. J’ai, en effet, au sein d’un gouvernement qui a l’a portée et assumée avec moi, pris la décision de fermer Superphénix en 1997. Cela fait bientôt trente ans ! Les partenaires de la France au sein du consortium européen d’actionnaires Nersa n’ont alors pas protesté ni demandé un dédommagement. Aucun gouvernement – et il y en a eu beaucoup depuis…– n’a souhaité relancer cette filière, sous une forme ou une autre. Par conséquent, si nous voulons continuer à travailler ensemble au sein de cette commission, évitons à l’avenir les attaques personnelles ! Tenons-nous en aux faits et au contenu de la proposition de loi !
M. Antoine Armand, rapporteur. Madame Voynet, votre réponse démontre que ce n’était pas une attaque personnelle ! Je ne vous reproche pas quelque chose que vous n’auriez pas commis, mais précisément ce dont vous êtes à l’origine. D’ailleurs, vous venez de l’assumer, trente ans après, ce qui est plutôt curieux – à titre personnel, j’aurais pris un peu de recul…
Mme Dominique Voynet (EcoS). J’espère que vous n’y reviendrez pas à chaque amendement !
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je constate, sur la base de toutes ces interventions, qu’une grande majorité d’entre nous regrettent fortement l’absence d’un projet de loi de programmation énergétique, qui nous aurait permis d’aborder des sujets qui ne peuvent l’être dans le cadre de ce texte. Je le répète : j’ai dû déclarer un grand nombre d’amendements irrecevables et j’en suis désolée – et plusieurs angles morts demeurent. Certes, nous ne pouvons pas en rejeter la faute sur les sénateurs, mais nous pouvons regretter que le Gouvernement ne nous ait pas présenté un projet de loi de programmation énergétique.
Titre Ier – Actualiser la programmation Énergétique nationale
Chapitre Ier – Fixer une programmation énergétique ambitieuse
Avant l’article 1er
Amendement CE295 de M. Henri Alfandari et sous-amendements CE564, CE565 et CE569 de M. Maxime Amblard, CE601 de M. Jérôme Nury, CE571 de M. Maxime Amblard, CE600 de M. Jérôme Nury, CE572, CE573, CE576, CE577, CE578, CE587 et CE588 de M. Maxime Amblard, CE591 de M. Robert Le Bourgeois, CE593, CE595, CE597 et CE585 de M. Maxime Amblard ; amendement CE550 de M. Antoine Armand et sous-amendements CE574 de Mme Cyrielle Chatelain et CE592 de M. Robert Le Bourgeois (discussion commune)
M. Henri Alfandari (HOR). Cet amendement a pour objectif de stabiliser, dans la durée, la trajectoire énergétique de la France. Nous ne pouvons continuer à changer de pied, d’une législature à l’autre. N’oublions pas que l’énergie repose sur un système industriel qui se prévoit, se finance, s’amortit et s’entretient sur le long terme.
L’idée est de fixer un cap sur soixante ans. Pourquoi une telle échéance ? Cela a été rappelé, tant dans le cadre de la commission d’enquête que dans différents rapports, notre système électrique a été bâti sur l’énergie nucléaire, énergie dense et centralisée, et sur l’hydraulique. Il est donc nécessaire de coordonner ces deux types d’énergie, qui interviennent sur le temps long.
Il faut également sortir de l’obsession qui consiste à stigmatiser le renouvelable et le nucléaire. Nous avons besoin d’une énergie décarbonée, pour supprimer les deux tiers de consommation d’énergies fossiles dont nous sommes dépendants, tant en matière d’importations depuis des pays parfois hostiles que s’agissant des prix de marché. Inutile donc d’opposer les énergies entre elles.
La proposition de loi Gremillet modifie de nombreux articles du code de l’énergie. La structure principale concerne les articles L. 141-1 et suivants pour ce qui est de la programmation pluriannuelle qu’il faut conserver, tandis que les articles L. 100-1 A et suivants conditionnent la prise de décret. C’est ce dernier que le présent amendement vise à modifier, dans un souci de coordination et de simplification.
M. Maxime Amblard (RN). Le sous-amendement CE564 vise à mettre en cohérence l’amendement CE295 avec l’article 2 de la proposition de loi, en supprimant une disposition assimilable à une taxe carbone.
Le sous-amendement CE565 vise à préciser la structuration des filières industrielles de la décarbonation, soit le secteur du nucléaire, l’hydroélectricité, la géothermie, la valorisation de la biomasse, les pompes à chaleur et la rénovation thermique des bâtiments, en veillant à leur compétitivité économique et à leur ancrage territorial.
Le sous-amendement CE569 vise à insérer un objectif de développement des sources d’énergie pilotables et décarbonées, seules capables d’assurer à la fois la stabilité du réseau, la sécurité d’approvisionnement, la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et la minimisation des prix de l’énergie. Il mentionne explicitement le nucléaire, l’hydroélectricité, la géothermie et la biomasse.
M. Jérôme Nury (DR). Dans la mesure où l’amendement CE295 précise qu’il faut atteindre 1 600 térawattheures (TWh) de production d’énergie décarbonée, le sous-amendement CE601 vise à faire passer la part du nucléaire dans la production d’électricité à 70 % à l’horizon 2030. Maintenir une part élevée du nucléaire assure aux Français une électricité compétitive et protège leur pouvoir d’achat, tout en confortant la souveraineté énergétique de la France.
M. Maxime Amblard (RN). Le sous-amendement CE571 vise à mettre en cohérence nos objectifs de déploiement du nucléaire avec l’objectif, fixé par l’amendement CE295, de maintenir 1 600 TWh de production d’énergie finale d’ici à 2050, en prévoyant de tendre vers 130 gigawatts (GW) de capacité installée de production d’électricité nucléaire totale, soit 70 GW de nouvelles capacités à l’horizon 2050, dans le cadre d’une programmation un peu plus précise en plusieurs échéances, afin de garantir le maintien de la production d’énergie finale dont nous avons besoin de façon décarbonée et pilotable.
M. Jérôme Nury (DR). Le sous-amendement CE600 vise à donner une marge d’adaptation en fonction des besoins du système et des évolutions technologiques. Il s’agit de mentionner l’objectif de construction d’au moins 27 GW de nouvelles capacités nucléaires à l’horizon 2050 plutôt que le limiter à un seuil fixe.
M. Maxime Amblard (RN). Le sous-amendement CE572 vise à s’assurer du maintien du parc nucléaire historique et de la prolongation de sa durée de vie, sous réserve de la protection des intérêts mentionnés au premier alinéa de l’article L. 593‑1 du code de l’environnement, en vue de maintenir une capacité installée de production du parc nucléaire historique de 63 GW au moins jusqu’en 2040. Il s’agit d’anticiper l’effet falaise que provoquera la fermeture de réacteurs et d’assurer la continuité de la fourniture d’énergie.
Le sous-amendement CE573 vise à atteindre un facteur de charge du parc nucléaire d’au moins 72 % en 2030 et de 85 % en 2050, en maintenant un facteur d’utilisation pendant la disponibilité d’au moins 94 %. Il s’agit de faire en sorte que le coût de production du nucléaire soit le plus bas possible, la meilleure électricité nucléaire que nous ayons étant celle produite par nos réacteurs. Cela permet d’augmenter la production tout en diminuant le coût de production de l’électricité d’origine nucléaire.
Le sous-amendement CE576 vise, en complément du maintien de la puissance du parc nucléaire historique, à lancer un chantier d’augmentation de la puissance de ses réacteurs, comme le Gouvernement l’a envisagé, jusqu’en 2035, en visant une augmentation de puissance d’au moins 3 GW, soit presque l’équivalent de deux réacteurs de type EPR.
Le sous-amendement CE577 vise à compléter le trente et unième alinéa par les mots « et en développant une filière de production et de retraitement du combustible pour les réacteurs de quatrième génération d’ici 2040 en vue de la fermeture du cycle combustible ».
Le sous-amendement CE578 vise à soutenir un programme scientifique sur le développement des réacteurs de quatrième génération en vue du déploiement industriel d’un parc de tels réacteurs au plus tard à partir de 2040 pour l’installation d’au moins 12 GW d’ici 2050. Cela permettra d’entamer véritablement une politique de fermeture du cycle du combustible nucléaire.
Le sous-amendement CE587 vise à exploiter les gisements restants pour la production d’énergie hydraulique, qui est la meilleure des énergies renouvelables (EnR), en veillant à garantir la sûreté des installations hydrauliques et en favorisant le stockage de l’électricité grâce au développement de stations de transfert d’énergie par pompage.
Le sous-amendement CE588 vise à insérer un objectif concret de développement de la production de chaleur et d’électricité par cogénération à partir de biomasse, assorti de seuils chiffrés. Il s’agit de valoriser, en faisant preuve d’esprit logique et de pragmatisme, une matière renouvelable, disponible, pilotable et décarbonée.
M. Robert Le Bourgeois (RN). Par le biais du sous-amendement CE591, je me fais le porte-voix de mon territoire, en Seine-Maritime. Il y a chez moi, comme sur d’autres territoires du nord de la France, une colère sourde mais bien réelle suscitée par le développement anarchique des EnR, et singulièrement des éoliennes.
Cette colère constitue une véritable bombe à retardement. Nous devons l’entendre et la respecter. Dans ma circonscription, j’ai rencontré une foule de citoyens, d’associations, d’élus absolument démunis et révoltés de voir pousser des éoliennes à une vitesse folle, de ne pas pouvoir s’y opposer et de subir la dénaturation totale de leur environnement.
Derrière cette colère, il y a parfois des motifs très simples, tels que la perte de valeur des biens immobiliers, mais il y a aussi, et peut-être surtout, un sentiment d’injustice criant face aux méthodes de certains promoteurs relevant du harcèlement, voire du chantage. Il me semble donc essentiel de rappeler que les éoliennes sont implantées sur des territoires ruraux jusqu’alors préservés, et que leur acceptation sociale doit être enfin prise en compte.
M. Maxime Amblard (RN). Le sous-amendement CE593 est un sous-amendement de repli en cas de rejet du sous-amendement CE588, dont il ne reprend pas les objectifs chiffrés, mais dont il maintient, par cohérence avec l’amendement CE295, l’exigence de développement de la production de chaleur et d’électricité par cogénération à partir de biomasse. Le sous-amendement CE595 est un sous-amendement de repli conservant certains objectifs chiffrés.
Le sous-amendement CE597 vise à modifier l’objectif de production d’énergie finale d’ici à 2050 de 1 600 à 1 400 TWh par an, soit une diminution d’environ 12 % qui devrait être permise par l’amélioration de l’efficacité énergétique et par l’électrification des usages, sans nous priver de procéder à un certain degré de réindustrialisation, de satisfaire nos besoins énergétiques et de garantir notre confort. Il s’agit d’un objectif raisonnable et raisonné d’efficacité et de sobriété énergétiques évitant l’écueil de la sobriété forcée, qui équivaut à un appauvrissement énergétique.
Le sous-amendement CE585 est un sous-amendement de repli en cas de rejet du sous-amendement CE587, auquel il ajoute des objectifs chiffrés.
M. Antoine Armand, rapporteur. L’amendement CE550 vise à réécrire l’article L. 100-1 du code de l’énergie, qui est, comme il peut arriver à la loi, un peu bavard. Nous pourrions profiter de ce débat pour essayer de clarifier les choses, tant la portée opérationnelle de certaines dispositions échappe à quiconque les lit.
Outre la clarification de l’article, l’amendement vise à préciser que nous n’opposons pas les énergies entre elles, en ne distinguant pas, au sein des énergies décarbonées, entre l’énergie nucléaire et les EnR. Surtout, il vise à permuter le 1° et le 2° de l’article, en fixant comme objectif prioritaire, au sein des objectifs de politique énergétique de la France, notre sécurité d’approvisionnement, qu’il est du devoir d’une nation d’assurer avant tout, comme en attestent largement les difficultés que nous avons eues en la matière au cours des dernières années.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Le sous-amendement CE574 a pour objet d’assurer la cohérence de nos approvisionnements avec la politique étrangère de la France. La France a condamné – elle a bien fait – l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, en violation de la Charte des Nations unies. Cette opération très choquante se poursuit, provoquant de très nombreuses violences, des morts, des blessés, de la torture et des violences sexistes et sexuelles (VSS).
Toutefois, au premier semestre 2024, les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) russe représentaient 31 % des importations françaises et la France restait la première importatrice européenne de gaz russe. L’amendement a pour objet de veiller à ce que cette situation ne perdure pas et à ce que nous soyons plus cohérents si possible.
M. Robert Le Bourgeois (RN). Député d’une circonscription exposée à un véritable risque de mitage, je dois dire et redire toute la colère que je rencontre chaque jour à propos des éoliennes. Au Rassemblement national, nous dénonçons souvent l’écologie punitive, qui défavorise les plus mal lotis. Dans le cas des éoliennes, il s’agit d’une écologie punitive qui défavorise les ruraux, plus exactement les ruraux ayant la malchance, si j’ose dire, de vivre dans un coin où il y a plus de vent qu’ailleurs, ce qui au demeurant reste à prouver.
L’amendement CE550 fait de la cohésion sociale et territoriale l’un des objectifs de notre politique énergétique, ce à quoi je souscris pleinement. Toutefois, il convient, pour l’atteindre, de l’assortir de la prise en compte de l’acceptabilité des projets d’implantations d’installations de production d’électricité, notamment d’éoliennes, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.
M. Antoine Armand, rapporteur. De nombreuses dispositions de l’amendement CE295 me semblent importantes, notamment la clarification de la loi, la fixation d’objectifs décarbonés clairs et la visibilité offerte, notamment en matière d’énergie nucléaire.
Toutefois, il soulève des difficultés de fond et de forme : certaines filières industrielles ne sont pas mentionnées ; la suppression de la loi « énergie-climat » (LPEC) ; si l’objectif à 60 ans d’une consommation finale de 1 600 TWh me semble être un cap qu’il est vital de viser ensemble, il ne saurait l’être par voie d’amendement.
Par ailleurs, cet amendement vise à réécrire les articles L. 100-1-A, L. 100-1 et L. 100-4 du code de l’énergie. Or, la proposition de loi, telle qu’elle a été déposée sur le bureau de la présidente de l’Assemblée nationale, modifie ces articles par plusieurs de ses propres articles. L’adoption de l’amendement CE295 pourrait donc nous placer, dans la suite de nos débats, dans des contradictions. J’en suggère donc le retrait et émets à défaut un avis de sagesse.
Les sous-amendements à l’amendement CE295 ne sont pas sans intérêt, mais un sous-amendement n’offre pas un cadre adéquat pour décider, par exemple, que la consommation finale d’énergie pour les soixante prochaines années doit être de 1 400 TWh et non de 1 600 TWh, comme le prévoit l’amendement CE597 de M. Amblard au motif que cet objectif « semble plus cohérent ». Monsieur Amblard, vous avez comme moi le goût de la technique et de la science ; vous conviendrez donc que, sur cette base, de nombreuses autres propositions sont possibles. Cet exemple illustre l’avis défavorable que j’émets sur tous les sous-amendements à l’amendement CE295.
S’agissant des deux sous-amendements à l’amendement CE550, j’en suggère le retrait et émets à défaut un avis défavorable, aucun des deux n’ayant de portée normative. Garantir la cohésion sociale et territoriale inclut la question de l’acceptabilité sociale de la politique énergétique, qui a été clairement et fortement entamée dans certains départements. Quant à la formulation « pays inamicaux », elle me semble vague et doit à tout le moins être précisée pour être opérationnelle.
M. Henri Alfandari (HOR). Je maintiens l’amendement. Il me semble opportunément placé dans nos débats, même si son adoption aurait pour effet de faire tomber les autres amendements portant article additionnel avant l’article 1er. Il procède à une clarification nette des articles L. 100-1-A, L. 100-1 et L. 100-4 du code de l’énergie. Il offre une visibilité à soixante ans en fixant le curseur à 1 600 TWh. Le fixer à 1 400 TWh au nom de la sobriété énergétique telle qu’elle est dessinée par la stratégie nationale bas-carbone et par l’objectif de réduction de 40 % – au lieu de 34 % – de la consommation d’énergies fossiles est tout à fait recevable. Je préférerais que le débat porte sur ce point.
Par ailleurs, l’amendement soulève la question pertinente du combustible destiné aux réacteurs de quatrième génération. Nous finançons le « nouveau nucléaire » pour 2040, mais nous ne commandons pas à Orano le combustible nécessaire, ce qui est complètement incohérent. Il est opportun d’adopter l’amendement CE295. Les sujets abordés par les amendements qui tomberaient en conséquence pourront être abordés en séance publique de manière forte.
M. Charles Fournier (EcoS). L’amendement CE295 vise à réécrire en profondeur la loi. Il supprime notamment la LPEC au profit d’une programmation de l’énergie sur soixante ans : plus de débats ni de discussions, à moins de modifier à nouveau la loi, ce que l’on peut toujours s’amuser à faire !
Quant à l’argument selon lequel il ne faut pas discriminer les énergies entre elles, il est battu en brèche par le fait que l’énergie nucléaire est seule nommée clairement et assortie d’objectifs, notamment celui d’en maintenir la part dans la production d’électricité à plus de 60 %.
La rédaction actuelle des articles L. 100-1-A, L. 100-1 et L. 100-4 du code de l’énergie nous semble meilleure. Elle ne mérite pas d’être remplacée par celle prévue par l’amendement CE295. Se priver d’une loi de programmation, c’est se priver de débat. S’il est utile de regarder loin, il ne faut pas oublier que les trajectoires que nous adoptons sont régulièrement mises à l’épreuve des faits.
M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Nous voterons également contre l’amendement CE295. Nous tenons au débat et refusons que la politique énergétique soit gravée dans le marbre pour soixante ans. Monsieur le rapporteur, vous ne l’avez pas dit aujourd’hui, mais vous l’avez dit auparavant : vous souhaitez que les parlementaires n’aient pas à se prononcer sur la politique énergétique, considérant que cette prérogative relève de l’exécutif.
Aucun scénario crédible n’est bâti sur l’hypothèse d’une consommation finale d’énergie de 1 600 TWh, moins encore si elle est décarbonée. Il faut décroître. Tendre vers une diminution des émissions de GES de 40 % est un net recul par rapport à ce qui est prévu actuellement. Maintenir à 60 % la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2030 fait fi des décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) en matière de sécurité s’agissant de la prolongation des réacteurs.
Quant à l’objectif de veiller à la préservation de la ressource en eau « sans préjudice du nécessaire fonctionnement des installations de production d’électricité », il équivaut à faire tourner des réacteurs plutôt que réserver l’eau à la consommation humaine. Et puisqu’il s’agit de « maintenir un prix de l’énergie compétitif », je vous invite à renoncer au dispositif post-accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh).
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Notre groupe ne votera pas l’amendement CE295, considérant que la suppression de la LPEC est un problème de fond, en plus d’être un paradoxe, dans la mesure où nous entamons un débat sur la programmation de l’énergie que nous sommes nombreux à avoir appelé de nos vœux. Nous voterons l’amendement CE550.
M. Jérôme Nury (DR). Simplifier et clarifier la loi est souhaitable. Rien n’est gravé dans le marbre pour soixante ans, tout ce que fait une loi pouvant être défait par une autre si un gouvernement un tant soit peu courageux ou en désaccord avec ce que nous votons le décide.
Par ailleurs, ce qui importe est le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en cours de rédaction. Il ira naturellement dans le sens de la rédaction que nous aurons adoptée. Ce qui me pose problème, c’est la part d’électricité d’origine nucléaire, qui me semble insuffisante pour aujourd’hui comme pour demain. Il me semble pertinent de viser 70 %.
Le sous-amendement CE574 est retiré.
La commission rejette successivement les sous-amendements CE564, CE565, CE569, CE601, CE571, CE600, CE572, CE573, CE576, CE577, CE578, CE587, CE588, CE591, CE593, CE595, CE597 et CE585.
Elle rejette l’amendement CE295.
La commission rejette le sous-amendement CE5952.
Elle rejette l’amendement CE550.
Amendement CE159 de Mme Cyrielle Chatelain
Mme Dominique Voynet (EcoS). Notre groupe est préoccupé par le comportement de la France qui, tout en menant une politique d’affirmation forte de sa volonté de mettre en cohérence ses politiques commerciales avec sa politique étrangère, fait affaire avec Rosatom et importe du GNL de Russie.
Le rapporteur m’objectera, à raison, que la formulation « pays inamicaux » n’est pas claire. J’aimerais l’entendre dire, avant de retirer l’amendement, qu’il partage ces préoccupations et qu’il sera éventuellement disponible pour qu’une préoccupation d’ordre éthique soit intégrée dans le texte lors de son examen en séance publique la semaine prochaine.
M. Antoine Armand, rapporteur. Je partage votre préoccupation éthique et suis disponible pour en discuter d’ici à l’examen du texte séance publique en vue de l’y inscrire. Si l’on se préoccupe de la réduction de l’approvisionnement énergétique en provenance de pays inamicaux, on ne vote pas, comme vous venez de le faire, contre l’inscription dans la loi de la sécurité d’approvisionnement en tant qu’objectif prioritaire.
L’amendement est retiré.
Amendement CE 249 de M. Karim Benbrahim
M. Karim Benbrahim (SOC). Cet amendement a pour objectif de confier le monopole de la construction et de l’exploitation des réacteurs électronucléaires à la puissance publique, plus particulièrement à la société Électricité de France. En effet, dans un contexte géopolitique chahuté, l’indépendance énergétique n’est pas un luxe, ni un jouet. Cette activité hautement sensible mérite de rester sous le contrôle public national. Les enjeux de la sûreté nucléaire justifient que cette activité soit, par ailleurs, sous le contrôle d’une entreprise qui en a l’expérience. À cet égard, la perspective du développement de SMR aiguise l’appétit de start-up privées : alors que nous n’avions jamais été confrontés à l’hypothèse d’une prise de participation d’entreprises privées, nous ne sommes plus totalement à l’abri. Même pour ce qui est de la mise en service des EPR, nous ne sommes pas totalement protégés contre une offensive de financiers, français ou internationaux, s’agissant de nos centres de production électronucléaires. Cet amendement permettra d’y remédier.
M. Antoine Armand, rapporteur. Je partage votre préoccupation et votre objectif. En l’état, cependant, cet amendement aurait pour conséquence, non pas de garantir opérationnellement l’existence d’un monopole pour la construction et l’exploitation des réacteurs, ce qui est déjà le cas en France et le restera dans les prochaines années, mais de déclencher, sans doute immédiatement, de la part d’entreprises « inamicales », pour reprendre un terme déjà usité dans cette commission, des procédures de contentieux à l’égard d’EDF qui coûteraient des millions d’euros. Par conséquent, demande de retrait ; sinon, avis défavorable au nom des intérêts stratégiques de notre pays.
M. Karim Benbrahim (SOC). Je n’ai pas tout à fait compris votre argument, monsieur le rapporteur. Rien ne garantit aujourd’hui qu’une entreprise privée ne puisse pas contrôler des réacteurs nucléaires. Des entreprises privées développent d’ailleurs des projets, notamment au sujet des SMR.
M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Vous connaissez la position de La France insoumise : nous pensons qu’il est urgent de planifier notre sortie du nucléaire, mais que, tant qu’il y en a, et quitte à ce qu’il y en ait, il est absolument indispensable qu’il soit géré par un monopole. Cela ne devrait même pas faire l’objet d’un débat dans cette assemblée, quels que soient les réacteurs concernés, y compris demain des SMR. Plus globalement, nous pensons que le monopole et la maîtrise publique sont de bonnes réponses à la crise énergétique actuelle et au besoin de planification à long terme que nous exprimons tous. Nous voterons donc pour cet amendement, même s’il faudrait aller beaucoup plus loin selon nous. J’en profite pour dire un mot de l’exigence qui doit être la nôtre à l’égard des salariés des sous-traitants qui interviennent dans les centrales nucléaires. Ce sont les principales victimes des doses de radiations reçues et, bien souvent, les oubliés de cette politique.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE356 de Mme Julie Laernoes
M. Charles Fournier (EcoS). Il s’agit de sortir de notre dépendance à la Russie pour l’importation de combustible nucléaire, par l’intermédiaire de Rosatom, et d’énergie fossile, notamment le gaz naturel : tant que le conflit en Ukraine continue, nous devons nous en assurer. Cet amendement est plus précis que celui examiné précédemment.
M. Antoine Armand, rapporteur. Je comprends l’esprit et l’intérêt de cet amendement mais, malheureusement, je ne pense pas qu’il puisse avoir sa place dans une proposition de loi, à moins que cela ne concerne l’intégralité des pays qui se trouvent dans la même situation, s’agissant de toutes les marchandises et de tous les biens et, à chaque fois, pour une durée limitée, ce qui pose un problème, me semble-t-il. Ce serait, selon la rédaction de l’amendement, « tant que dure la guerre d’agression » : je ne sais pas comment la justice administrative et les tribunaux internationaux pourraient en juger. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CE358 de Mme Julie Laernoes
Mme Dominique Voynet (EcoS). Il s’agit de préciser une finalité essentielle de notre politique énergétique, qui est de contribuer à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré par rapport à l’ère pré-industrielle – c’est assez mal barré, il faut le dire, mais il s’agit de la colonne vertébrale de l’accord de Paris, à l’adoption duquel la France a fortement contribué lors de la COP21, organisée sur notre sol. Il ne serait pas inutile de rappeler dans le code de l’énergie que nos décisions doivent s’aligner avec cet horizon climatique. Nos politiques de production, de consommation et d’investissement doivent être orientées en conséquence.
M. Antoine Armand, rapporteur. Une réflexion concernant la forme, tout d’abord : je me demande si cet amendement n’aurait pas davantage sa place à l’article 11, qui relève de la commission du développement durable. Sur le fond, je partage l’objectif, mais il me semble qu’un problème opérationnel – dont nous pourrons rediscuter d’ici à la séance – se pose de nouveau. Je ne vois pas, en effet, comment pourrait se mesurer la contribution de la France à la réduction des émissions en vue de limiter l’élévation de la température mondiale à 1,5 degré. Faudrait-il plutôt renvoyer à notre contribution nationale dans le cadre de l’accord de Paris ? Sans doute ; en tout cas, je suis très ouvert à un travail sur cet amendement, parce que je trouve qu’il a du sens. Pour le moment, demande de retrait.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Une façon de montrer notre volonté serait de respecter nos engagements dans tous les domaines – nous n’en prenons pas toujours le chemin. Je retire l’amendement compte tenu de votre disponibilité pour dialoguer à ce sujet avant la séance.
L’amendement est retiré.
*
Information relative à la commission
La commission a créé une mission flash sur l’évaluation de l’expérimentation de l’encadrement des loyers et a désigné rapporteurs de cette mission Mme Annaïg Le Meur et M. Inaki Echaniz.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du lundi 2 juin 2025 à 18 h 10
Présents. - M. Henri Alfandari, M. Maxime Amblard, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Karim Benbrahim, M. Benoît Biteau, M. Philippe Bolo, M. Julien Brugerolles, M. Joël Bruneau, Mme Alma Dufour, M. Inaki Echaniz, M. Frédéric Falcon, M. Charles Fournier, M. Moerani Frébault, M. Julien Gabarron, Mme Olga Givernet, M. Maxime Laisney, M. Didier Le Gac, Mme Annaïg Le Meur, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Lebec, M. Robert Le Bourgeois, M. Eric Liégeon, M. René Lioret, M. Patrice Martin, M. Max Mathiasin, M. Nicolas Meizonnet, Mme Sandrine Nosbé, M. Jérôme Nury, M. René Pilato, M. Jean-Pierre Taite, M. Matthias Tavel, M. Frédéric Weber
Excusés. - M. Laurent Alexandre, Mme Françoise Buffet, M. Harold Huwart, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
Assistaient également à la réunion. - Mme Danielle Brulebois, Mme Dominique Voynet