Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– ...Audition de M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie 2
– Informations relatives à la Commission..........................25
Mardi 24 juin 2025
Séance de 17 heures 45
Compte rendu n° 115
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Aurélie Trouvé,
Présidente
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La commission des affaires économiques a auditionné M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Notre commission auditionne aujourd’hui M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
Ce matin, en intervenant dans le cadre d’un colloque consacré à la décarbonation, organisé par France Industrie, et en visitant le salon VivaTech, j’ai pu constater combien étaient nombreuses les interrogations et inquiétudes des responsables de nos entreprises au sujet de l’industrie. Les chiffres sont assez cruels : le nombre de projets d’implantation ou d’extension d’entreprise a chuté de 14 % en 2024, tandis que le nombre de plans de licenciements augmente fortement. La part des emplois industriels n’a jamais été aussi faible dans notre pays : elle est inférieure à 10 %, alors qu’elle représente encore plus de 16 % en Allemagne ou en Italie.
Les choix opérés par le Gouvernement en ce domaine, ces dernières semaines, ont suscité beaucoup d’interrogations : on pense à l’absence de conditionnalité dans le versement des aides publiques, au saupoudrage des plans d’investissement conduits ces dernières années, au manque de visibilité que subissent les entreprises du fait, notamment, de la remise en cause de dispositifs primordiaux pour elles (comme les aides aux véhicules propres ou les aides à la rénovation énergétique) ou encore aux défaillances rencontrées dans le contrôle stratégique des investissements directs étrangers ou la protection des entreprises locales face à la concurrence déloyale.
Nous souhaitons faire le point, monsieur le ministre, sur votre feuille de route pour les prochains mois. Peut-être pourrez-vous aussi nous dire quelques mots de la préparation du projet de loi de finances (PLF) pour 2026 ?
Avant de donner la parole aux membres de la commission, je vous poserai quelques questions. Les risques géo-économiques s’accumulent depuis plusieurs mois, et les récentes attaques américaines sur l’Iran font peser un risque d’embrasement de tout le Proche-Orient. Depuis l’invasion russe en Ukraine, nous traversons une série de crises qui déstabilisent l’économie mondiale, particulièrement les prix de l’énergie. Le parlement iranien vient de voter en faveur de la possibilité de fermer le détroit d’Ormuz, par lequel transitent 20 % du pétrole et un tiers du gaz naturel liquéfié (GNL) consommés dans le monde. Cette simple menace sur le trafic maritime a suffi à emballer des marchés extrêmement volatils, avec les répercussions que cela implique sur les factures des entreprises comme des ménages.
Monsieur le ministre, comment préparez-vous le pays à l’éventualité d’une nouvelle montée des prix du pétrole et du gaz ? Comment comptez-vous protéger davantage les familles et les entreprises face à des marchés et des prix internationaux toujours plus chaotiques, compte tenu de l’ampleur grandissante des bouleversements géo-économiques et politiques ?
La France pourrait-elle réguler davantage les prix de l’énergie ? Serait-elle susceptible, le cas échéant, d’organiser un blocage pour les ressources en tension, alors qu’il n’y plus de bouclier tarifaire ou de tarifs réglementés de vente de gaz naturel (TRVg) ? Comment entend-elle défendre les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVe) auprès de Bruxelles, à l’heure où ils sont menacés ? Je rappelle que plus de deux tiers des entreprises n’en bénéficient plus.
Notre pays doit être au rendez-vous pour protéger les ménages et les entreprises et les extraire du chaos grandissant des marchés internationaux.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie. Je vous remercie de me recevoir pour cette audition, à un moment où les questions industrielles et énergétiques occupent une place particulière dans les débats politiques, notamment au sein de votre assemblée. Les tensions économiques montent, les doutes énergétiques s’installent, les fractures politiques s’exacerbent et, dans un tel climat, je veux commencer par un message simple : compte tenu du caractère existentiel de ces enjeux, mon ministère se mobilise pleinement pour notre souveraineté économique et pour notre avenir productif. Nous sommes engagés dans un combat pour l’énergie et l’industrie : l’énergie, c’est ce qui fait battre le cœur de notre nation, ce qui éclaire nos écoles, ce qui alimente nos usines, ce qui chauffe nos hivers ; l’industrie, c’est ce qui structure nos territoires, c’est ce qui donne un sens au mot « progrès ».
Trois fils conducteurs parcourent notre action : nous suivons une stratégie, celle de la réindustrialisation ; nous nous appuyons sur un socle, celui d’une énergie abondante et décarbonée au service des Français et de l’industrie ; nous appliquons une méthode, celle des filières.
Avant de parler d’avenir, parlons du réel. L’industrie française, ce sont trois millions de femmes et d’hommes, trois millions de compétences, ce sont des bassins d’emploi, des savoir-faire ancrés dans notre territoire. L’industrie, c’est un ciment, un ciment social qui crée du lien et du sens. Depuis 2017, notre pays, pour la première fois depuis des décennies, renoue avec une ambition industrielle. En 2024, année pourtant politiquement et industriellement difficile, nous avons recensé 89 ouvertures ou extensions nettes d’usine et dix mille créations nettes d’emplois industriels. Les projections que vous avez évoquées, madame la présidente, peuvent paraître pessimistes, mais je préfère me fonder sur des faits : les statistiques portant sur un passé très récent ne remettent pas en cause la trajectoire de réindustrialisation entamée il y a déjà sept ou huit ans. Pour la sixième année consécutive, la France est le pays le plus attractif d’Europe pour les investissements étrangers. Au sommet Choose France 2025, 40 milliards d’euros (Md€) d’investissements supplémentaires ont été annoncés. Derrière ces chiffres, il y a des projets très concrets partout sur le territoire, à Dunkerque, à Belfort, à Saint-Nazaire, au Havre, à Fos-sur-Mer ou encore à Noirmoutier.
Notre attractivité n’est pas une simple note de conjoncture, elle est le résultat de décisions ayant contribué à inverser la tendance à la désindustrialisation observée ces dernières décennies. Il ne faut toutefois pas s’y tromper : l’industrie d’aujourd’hui est numérisée, elle repose sur l’énergie bas-carbone et elle est compétitive. Je tiens ici à saluer nos industriels, bâtisseurs silencieux de notre souveraineté. Ils relocalisent, ils investissent, ils renouent avec l’audace et le risque. Alors qu’on a tendance à se focaliser sur les difficultés, les plans sociaux, les fermetures de sites, j’aimerais mettre l’accent sur les bonnes nouvelles : les investissements qui se font, les usines qui ouvrent. Regardez AESC Envision à Douai, qui a été l’une des premières giga-usines de batteries en France : 650 emplois ont déjà été créés en son sein et 900 sont annoncés d’ici à la fin de l’année. On disait qu’il était impossible de structurer une filière de batteries sur notre territoire ; nous l’avons fait, avec les élus notamment, grâce au travail collectif qui sied à ce genre de projets d’investissement. Regardez Stellantis qui produit douze modèles de voitures électriques en France à partir de composants français. En l’espace de quatre à cinq ans, soit un temps record, nous avons réussi à implanter l’ensemble de la filière des véhicules électriques dans notre pays : douze usines sont mobilisées de Metz à Caen, de Trémery à Sept-Fons. C’est tout un territoire qui vibre au rythme de l’industrie électrique. C’est une fierté que nous devons tous partager.
En même temps, il nous faut être lucides. Le chemin est long et nous sommes exposés à certains vents contraires. Le premier, ce sont les chocs : la covid-19, l’Ukraine, l’inflation, la guerre commerciale. L’incertitude règne ; or l’incertitude est le poison de l’investissement industriel. Le deuxième vent contraire, même s’il peut aussi se révéler porteur, ce sont les transitions, qui génèrent parfois des contraintes. Nos filières changent de peau : pensons à l’automobile électrique, à la chimie bas-carbone, à la sidérurgie verte. Ces mues sont coûteuses mais, bien effectuées, elles deviennent un levier vital de puissance et de croissance. Le troisième vent, qui est véritablement un vent contraire, c’est la concurrence déloyale. La Chine subventionne massivement ses filières, les États-Unis mènent une guerre commerciale et l’Europe, il faut bien le dire, ne se bat pas encore à armes égales. Ce sont nos industriels qui en paient le prix, particulièrement dans les secteurs de l’automobile, de la chimie ou encore de la sidérurgie.
Depuis 2017, nous avons beaucoup semé, mais nous devons irriguer davantage, en nous adaptant, en amplifiant et en intensifiant nos actions. Face aux vents contraires, nous avons besoin d’un cap. Notre stratégie de reconquête industrielle est simple : elle repose sur un impératif de souveraineté. Comme l’a rappelé le ministre de l’économie Éric Lombard devant votre commission, beaucoup de choses en dépendent. L’industrie, c’est notre souveraineté, c’est notre compétitivité, c’est notre cohésion sociale.
La reconquête industrielle se traduit d’abord par un devoir sur lequel je vais insister : celui de protéger. Plus de 160 entreprises industrielles ont été accompagnées depuis 2023 et aux côtés des élus, des préfets, des salariés, nous avons sauvé des milliers d’emplois. Je citerai des exemples, car il est important de parler des sauvetages d’entreprises et pas seulement des fermetures ou des restructurations douloureuses : Arc International dans le Nord, Niche Fused Alumina en Savoie, Aubert et Duval. Ces sites auraient pu tomber, nous les avons défendus.
Protéger, c’est aussi garder la main sur ce qui est stratégique. En 2023, au titre du contrôle des investissements étrangers, 255 décisions assorties de conditions strictes ont été rendues. Pensons à Alcatel Submarine Networks (ASN), Atos ou Velan. À chaque fois, un même objectif a été visé : protéger le socle de notre puissance et de notre souveraineté industrielles.
On ne reconquiert pas uniquement en défendant, on reconquiert aussi en avançant et, pour avancer, la bonne échelle, c’est l’Europe. Face au dumping chinois et aux distorsions américaines, aucun État européen ne peut réussir seul. Le « Pacte pour une industrie propre » annoncé par la Commission européenne est un point de départ, mais il faut aller plus loin avec une taxe carbone aux frontières efficace, avec une préférence européenne que la France a très largement contribué à mettre à l’agenda européen et avec des commandes publiques. Le « Plan d’urgence pour l’acier et les métaux » défendu par le vice-président exécutif Stéphane Séjourné reprend explicitement certaines des propositions françaises.
Il faut être ferme et lucide. Conjuguer souveraineté et ouverture, telle est notre ligne. Pour avancer – et l’ancien président de la banque centrale européenne Mario Draghi l’avait malheureusement établi de manière clinique dans son rapport en 2024 – il importe de résoudre le problème du décrochage de l’Europe par rapport à la Chine et aux États-Unis en matière de compétitivité. Une stratégie offensive s’impose. Depuis 2017, nous avons réduit le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) à 25 %, nous avons supprimé 20 Md€ d’impôts de production et nous avons transformé le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allègements de charges pérennes. La France est redevenue attractive, mais pas encore suffisamment. Il faut aller plus loin. Nous pouvons, par exemple, repenser les leviers de financement de la protection sociale. À titre personnel, j’estime que c’est un débat que nous devons avoir, car notre industrie a besoin de gagner encore et toujours en compétitivité.
Notre industrie a également besoin d’innovation : « France 2030 » est le socle de notre stratégie en la matière, avec 54 Md€ pour préparer l’avenir. Citons aussi le crédit d’impôt recherche (CIR) dont nous avons su préserver l’intégrité, malgré la contrainte budgétaire, en lui consacrant 7 Md€, et les investissements dans des filières d’avenir – hydrogène, batteries, biomédicaments, aéronautique, intelligence artificielle. La France est là pour irriguer tout le territoire national, diffuser ces innovations, donner aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) un accès au financement, aux technologies et aux talents.
Les talents représentent une autre urgence. En 2024, soixante-dix mille postes industriels restent non pourvus – une hérésie dans un pays qui forme parmi les meilleurs ingénieurs du monde. Il faut donc réconcilier les jeunes avec l’industrie, faire de l’alternance un levier d’excellence et adapter la carte des formations aux besoins réels des territoires.
Enfin, il faut simplifier. Les normes croissent sans cesse jusqu’à former une jungle luxuriante, presque impénétrable. Les délais s’ajoutent les uns aux autres, étouffant les initiatives. La transition écologique ne doit pas se faire contre l’industrie, mais avec elle. C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé sur le projet de loi de simplification de la vie économique afin d’assouplir le dispositif du « Zéro artificialisation nette » (ZAN) pour l’industrie et de sanctuariser dix mille hectares pour l’installation de sites industriels. Citons aussi notre position sur la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D) et celle relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD). Évidemment, elles sont bonnes dans leur esprit, mais elles sont parfois excessives dans leur mise en œuvre. Avec 1 200 points de données à remplir chaque année par nos entreprises, elles peuvent devenir contre-productives et doivent, à ce titre, être revues.
Pour le dire autrement, l’écologie doit aussi aider à réindustrialiser l’Europe. Il n’y a pas de souveraineté sans transition écologique et pas de cohésion nationale sans industrie.
La conviction qui fonde le deuxième pilier de notre action, vous la connaissez, puisque je viens de l’exposer devant l’hémicycle, il y a quelques minutes : il n’y a pas d’industrie sans énergie et pas d’industrie compétitive sans énergie compétitive. C’est aussi simple et aussi stratégique que cela. Notre cap est clair : il s’agit d’assurer une énergie abondante, décarbonée et souveraine et surtout de viser la « neutralité carbone » en 2050. C’est la ligne fixée par le Président de la République lors de son discours de Belfort ; c’est l’axe que nous avons suivi dans le débat sur la proposition de loi sénatoriale portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie, dite « PpL Gremillet ».
La priorité qui écrase toutes les autres, c’est de sortir de la dépendance aux énergies fossiles, qui se solde par une lourde facture économique (70 Md€ en 2023 pour l’importation du pétrole, du gaz et du charbon) mais ouvre aussi une brèche dans notre souveraineté. À un moment où les tensions se ravivent autour du détroit d’Ormuz, comme vous le rappeliez, madame la présidente, il nous faut rompre cette dépendance. Une partie de la réponse à cette instabilité géopolitique réside dans l’accélération de notre stratégie de décarbonation. France 2030 y consacre déjà des moyens massifs. En 2025, 1,6 Md€ a été ajouté en loi de finances. Dans tous nos territoires, les usages doivent s’électrifier – véhicules électriques, passage à l’hydrogène dans les usines, équipement et isolation des logements.
Nous investissons dans l’électrification avec méthode, avec discernement et dans un contexte budgétaire contraint. Pour mener cette politique à bien, il faut toutefois produire plus d’énergie, beaucoup plus d’énergie. Notre boussole, c’est celle d’un mix souverain susceptible de nous fournir une énergie abondante et décarbonée. Les crises nous l’ont montré, notre résilience repose sur plusieurs sources d’énergie complémentaires et non pas concurrentes : le nucléaire et les énergies renouvelables. L’un sans l’autre, ce serait l’illusion de la souveraineté.
Le nucléaire est notre socle, notre colonne vertébrale, mais aussi notre avantage comparatif par rapport aux pays voisins. C’est pourquoi nous avons lancé le programme du « nouveau nucléaire français » qui fixe un cap : six réacteurs de type EPR ont été confirmés et huit autres sont en discussion. Je salue ici le consensus parlementaire autour de la relance du nucléaire, car tel n’a pas toujours été le cas. C’est l’un des acquis des débats tumultueux de ces derniers jours.
Nous croyons au nucléaire… et pas simplement au nucléaire d’hier. Nous croyons au nucléaire d’innovation, aux petits réacteurs modulaires (SMR), aux réacteurs à neutrons rapides et, à terme, à la fusion nucléaire, qui ouvre des perspectives très enthousiasmantes.
Mais pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures, qui pèsent encore pour deux tiers dans notre consommation d’énergie, l’atome seul ne suffit pas, d’autant que les premiers EPR ne verront le jour qu’à l’horizon 2038. Si nous voulons relever le défi de l’électrification, il nous faudra, en attendant, compter sur les énergies renouvelables appelées à jouer un rôle clé, non comme substitut mais comme complément. C’est un levier d’agilité, d’ancrage territorial, de flexibilité et aussi d’emplois. Solaire, éolien, biomasse, géothermie, gaz, gaz vert : nous avons besoin de chacune d’entre elles.
C’est pourquoi je salue le choix qu’a exprimé, il y a quelques minutes, votre assemblée lors du vote solennel sur la PpL Gremillet. En rejetant un texte qui avait perdu sa cohérence au fil des amendements, vous avez refusé des options techniques contradictoires. Le Gouvernement assumera ses responsabilités dans le cadre de la navette. Nous poursuivrons, j’en suis convaincu, les échanges sur la trajectoire énergétique de notre pays. Ce vote est un signal fort envoyé à celles et ceux qui, chaque jour, œuvrent concrètement sur le terrain en faveur de notre politique énergétique, notamment dans l’ensemble des filières industrielles des énergies renouvelables.
Ces filières ont cru en la trajectoire énergétique fixée par le Gouvernement. Elles sont déjà déployées dans nos territoires, après avoir investi et pris des risques. Elles créent des dizaines de milliers d’emplois et j’aimerais rappeler que, pour le premier semestre 2024, elles représentent la moitié des ouvertures nettes de sites industriels. La réindustrialisation de notre pays passe par la transition énergétique et par les énergies renouvelables. Ce n’est ni une conviction ni une opinion, c’est un constat. Notre engagement en faveur du développement de toutes les énergies renouvelables n’est pas un dogme : nous n’investissons pas pour planter des mâts ou poser des panneaux, mais pour produire sur nos territoires l’énergie dont la France a besoin en suivant une logique industrielle et une stratégie territoriale, dans un esprit de responsabilité collective.
C’est cela, notre chantier énergétique. Il est immense, il est exigeant, il est vital, il est existentiel, mais il est surtout cohérent. Ce que nous faisons pour l’énergie rejoint ce que nous faisons pour l’industrie : nous menons la même bataille, la bataille de la compétitivité, de la souveraineté et surtout de l’avenir.
Pour que l’énergie irrigue l’industrie, encore faut-il des filières solides et des écosystèmes complets, car une politique industrielle efficace, c’est une politique qui pense et se pense en filières, troisième pilier de notre action. Une filière, ce n’est pas une addition d’usines, c’est une chaîne de valeur intégrée, de la recherche à la production, de la formation au débouché. Start-ups, ETI, grands groupes, matières premières, hautes technologies : c’est tout un écosystème qui respire ensemble. Une filière se vit dans les territoires. Il s’agit d’innover ici, de produire ici, d’exporter demain.
Nous poursuivons notre stratégie en procédant, filière par filière, avec les industriels, avec les chercheurs, avec les élus locaux, avec les financeurs, avec l’État et tous ses services déconcentrés. Les comités stratégiques de filière (CSF) du Conseil national de l’industrie (CNI) sont les enceintes de ce dialogue qui se décline dans les « Territoires d’industrie », programme que vous connaissez bien. Demain, chaque filière stratégique – l’énergie, l’aéronautique, l’hydrogène, l’électronique, les batteries, la santé – devra pouvoir former, produire, innover ou encore exporter.
Une filière, ce sont aussi des bras et des cerveaux. Et là, ne nous mentons pas, nous avons une bataille à gagner : un recrutement sur deux est jugé difficile ; soixante-dix mille postes industriels sont à pourvoir et d’ici à 2030, il y en aura cent quarante mille de plus. Dans le secteur automobile, ce sont 7 000 mécaniciens, 2 600 carrossiers et 2 300 techniciens poids lourds qui manquent à l’appel. Ce sont autant d’entreprises qui ralentissent et de territoires qui doutent. Face à ce phénomène, notre défi est triple : il s’agit d’attirer, de former et de fidéliser.
Pour cela, nous construisons des ponts entre l’école et l’industrie en adaptant la carte des formations, en accélérant la réforme des lycées professionnels et en mobilisant les filières elles-mêmes. C’est tout le sens de la commission du CNI consacrée aux compétences et à l’attractivité des métiers de l’industrie, qui vient de publier un guide pratique intitulé « Comment proposer des stages ou des interventions auprès de scolaires ». Un stage de troisième peut – si ce n’est doit – faire naître des vocations industrielles.
Notre cap, mesdames et messieurs les députés, est clair : c’est celui de la réindustrialisation. C’est un défi colossal, mais c’est aussi une opportunité pour la France de retrouver sa place dans le concert des nations productives. Nous voulons une France qui peut, une France qui agit, une France qui construit.
J’en viens, madame la présidente, à vos questions. Vous avez évoqué des projets industriels en baisse, mais il s’agit précisément de projets et nous ne savons pas comment ces chiffres se concrétiseront. Pour l’heure, s’agissant des ouvertures et extensions nettes de sites, le bilan est toujours positif. Cela ne signifie pas pour autant que les choses vont bien car, c’est un fait, la réindustrialisation ralentit. Nous sommes au milieu du gué, qu’il s’agisse des créations de sites ou des emplois industriels. Toutefois, en 2024, les créations d’emplois industriels l’emportent sur les destructions. J’invite chacun à se focaliser sur ce solde net, car ne prêter attention qu’aux destructions d’emplois, par le biais des plans sociaux ou des fermetures de sites qui alimentent l’actualité, ne donne qu’une vision partielle du tableau.
Pour illustrer le stop and go, vous avez, madame la présidente, cité les aides aux véhicules propres. Or il s’agit d’aides destinées aux consommateurs. Elles ne bénéficient qu’indirectement aux entreprises dans la mesure où elles nourrissent la demande. Les aides directes et les mesures de soutien aux entreprises sont restées constantes, dans un contexte budgétaire contraint. J’en veux pour preuve le maintien du crédit d’impôt recherche, dont les grandes masses, à quelques ajustements près, ont été maintenues, puisque les sommes qui lui sont dédiées s’élèvent toujours à plus de 7 Md€.
Je ne me prononcerai pas sur le projet de loi de finances, sur lequel je n’ai pas d’informations à vous fournir car les discussions sont en cours.
Sur les risques géopolitiques, je vous rejoins. Nous devons anticiper, au-delà du court terme, en réfléchissant à la manière dont nous pouvons nous désensibiliser à ces aléas. La fermeture du détroit d’Ormuz – qui n’est pas, aux dernières nouvelles, à l’ordre du jour mais la situation change d’heure en heure – aurait un effet direct sur les prix du pétrole et sur les prix à la pompe. À moyen terme, il nous faut accélérer notre stratégie d’électrification pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. Il importe également de nous pencher sur ce qui pourrait aider les ménages les plus modestes à passer le cap. Nous n’en sommes pas là. Nous avons été à la hauteur de nos responsabilités au moment où la crise en Ukraine a renchéri la facture énergétique des Français. Les contraintes budgétaires se sont depuis alourdies. Ne crions pas avant d’avoir mal et projetons-nous dans l’avenir.
S’agissant de la régulation administrée des prix de l’énergie, je reprendrai ma casquette d’économiste universitaire pour rappeler qu’intervenir trop directement conduit toujours à des distorsions, voire à des pénuries. Cela expose au risque que les producteurs n’engagent pas les investissements nécessaires pour satisfaire la demande quand elle est dynamique. Il faut donc aborder cette question avec d’extrêmes précautions, presque d’une main tremblante.
Vous avez aussi évoqué les tarifs réglementés. Les TRVg ont disparu il y a déjà un certain temps, alors que nous continuons à défendre les TRVe – y compris auprès de la Commission européenne, à laquelle j’ai moi-même adressé un rapport en ce sens. Lors des débats sur la PpL Gremillet, j’ai souligné la différence fondamentale qui séparait le gaz de l’électricité : les prix du gaz, nous les subissons car nous consommons à 99 % du gaz importé, soumis à une grande volatilité des prix mondiaux. Cela signifie, très concrètement, que si on devait réintroduire des tarifs réglementés dans le contexte actuel, certains fournisseurs, s’ils étaient confrontés à des prix de marché supérieurs aux TRVg, seraient obligés de vendre à perte – ce qu’ils se refuseraient à faire, d’où le risque de pénurie. Si, d’aventure, les prix du marché se situaient au même niveau que les TRVg, nous nous retrouverions dans une situation comparable à celle que nous connaissons actuellement, avec un prix de référence permettant d’accompagner la consommation dans des conditions satisfaisantes. Je ne vois donc pas quelle logique justifierait la réintroduction des TRVg. Quant aux TRVe, le Gouvernement continue de soutenir cette spécificité française, ce qui nous vaut parfois quelques discussions vives avec la Commission européenne. Nous les avons même étendus aux très petites entreprises (TPE), le 1er février dernier.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Reprenant à mon tour ma casquette universitaire, monsieur le ministre, je vous dirai qu’il n’y a pas de pensée unique en sciences économiques. Le courant de pensée qui considère que l’intervention de l’État dans l’économie est forcément néfaste n’en est qu’un parmi d’autres. Certains, par exemple, prônent une politique de la demande. Il est bien évident qu’agir sur la demande est important pour les industriels : remplir leurs carnets de commandes est le premier problème auquel ils sont actuellement confrontés. Dès lors, bouleverser les modalités des aides aux véhicules propres réduit la visibilité pour ces entreprises… et cela se vérifie aussi pour les aides à la rénovation énergétique, dans d’autres secteurs.
S’agissant de la situation de l’industrie dans notre pays, il faut être réaliste. En 2024, les créations de postes dans l’industrie ont chuté de 27 %, autre chiffre très inquiétant qui doit nous amener à passer à l’action.
M. Hervé de Lépinau (RN). Monsieur le ministre, votre audition intervient dans un contexte industriel particulièrement préoccupant. La France, jadis grande puissance productive, voit son tissu industriel se dégrader inexorablement sous l’effet combiné de politiques publiques d’abandon, d’une fiscalité décourageante et d’une politique énergétique aussi coûteuse qu’incohérente. La méthode Coué que vous pratiquez avec conviction n’y changera rien. Face à cette situation, le Rassemblement national a privilégié l’action, la clarté et le sérieux en obtenant la tenue d’un véritable débat parlementaire sur la PpL Gremillet, ce qui a permis à l’Assemblée de se saisir enfin de l’avenir de la politique énergétique française.
Outre le moratoire sur les énergies renouvelables, la sortie du mécanisme européen de fixation des prix de l’électricité – à ne pas confondre avec la sortie du marché européen de l’électricité, vous me l’accorderez – ou encore la suppression des exemptions ZAN pour les installations solaires de grandes dimensions, nous avions inscrit dans ce texte un principe simple : le nucléaire français doit redevenir le pilier central de notre stratégie énergétique. Maintien des capacités existantes, extension du parc nucléaire, réouverture de Fessenheim, développement des réacteurs à neutrons rapides, voilà autant de victoires du Rassemblement national en séance qui auraient permis à la France d’enfin se doter d’une politique énergétique adaptée aux enjeux du XXIe siècle. Malheureusement, la coalition des contraires s’est une fois de plus réunie et la PpL Gremillet a été rejetée, privant les Français d’avancées concrètes et attendues. Cet échec incombe d’abord et avant tout aux membres du socle commun, par manque de courage politique, par idéologie ou par simple pusillanimité.
Notre industrie réclame lisibilité, souveraineté et compétitivité. Vos tergiversations technocratiques, vos compromis à Bruxelles et votre soumission au « dogme vert » mettent gravement en péril ce triptyque essentiel.
Êtes-vous le ministre d’une majorité qui refuse de voter la relance indispensable du nucléaire français ou reprenez-vous à votre compte la vision de monsieur Bruno Bonnell, responsable de France 2030, lequel a affirmé, juste avant le sommet Choose France, qu’il fallait « arrêter de parler de réindustrialisation » ? Quelle que soit votre réponse, voilà un beau révélateur du projet macroniste pour les années à venir.
Vous feriez mieux de vous inspirer de monsieur Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, qui a déclaré ce matin qu’il fallait rétablir un prix national de l’électricité, arrêter les éoliennes et qu’Emmanuel Macron n’avait « aucune vision de politique énergétique ». Si votre majorité continue de rejeter ces évidences, c’est par l’alternance que nous rendrons aux Français le contrôle de leur politique énergétique et que nous referons de l’industrie la pierre angulaire de l’économie française.
Nous souhaitons vous donner un conseil amical : toute tentative de publier la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) avant la fin de l’examen parlementaire de la PpL Gremillet ne resterait pas sans conséquence. La discussion doit aller à son terme au Parlement avant toute prise de décision. Comme l’a très bien résumé notre collègue Jean-Philippe Tanguy, la PPE 3 sans vote serait un casus belli. Vous engagez-vous à laisser l’Assemblée nationale dessiner l’avenir énergétique de la France, sans passage en force ni déni de démocratie ?
M. Marc Ferracci, ministre. L’Assemblée nationale a dessiné, notamment dans son vote de cet après-midi, un avenir énergétique pour la France, mais il n’est pas celui prôné par le Rassemblement national (RN).
Parler de « fiscalité décourageante » à un ministre membre de majorités successives qui ont massivement baissé les impôts et les charges sociales et qui ont introduit des mécanismes visant à diminuer de 20 Md€ les impôts de production – alors que, dans le passé, de nombreux gouvernements avaient mis en avant la nécessité de le faire sans jamais l’accomplir… – suscite chez moi, pour le moins, de la circonspection.
Je ne vous accorde pas le bénéfice du doute sur l’absence d’adéquation entre la sortie du marché européen de l’électricité et celle des règles de fixation des prix sur ce marché. Pour qui prend le temps d’analyser avec un peu de méthode le fonctionnement d’un marché, il apparaît clairement que sortir des règles de fixation des prix équivaut à sortir du marché. J’ai eu l’occasion, lors de l’examen de la PpL Gremillet, de dire que l’exemple, souvent convoqué, du mécanisme ibérique, n’était pas pertinent : tout d’abord, parce que la décision de retrait de l’Espagne et du Portugal du mécanisme de fixation des prix européen devait être transitoire et qu’il a d’ailleurs pris fin ; ensuite, parce que ce choix était lié aux spécificités des interconnexions de ces pays. Sortir du mécanisme de fixation des prix comme vous le proposez reviendrait à quitter le marché européen de l’électricité, donc à renoncer aux potentialités de celui-ci. Or nous exportons désormais 20 % de notre production électrique – en termes de flexibilité, cela me semble important.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). À la « Une » d’un journal du dimanche, on pouvait lire, ce week-end, que la facture énergétique allait exploser pour nos concitoyens si la PPE 3 était adoptée – je rappelle que ce texte a fait l’objet de nombreux travaux et concertations. Qu’en est-il exactement ?
Un volet de la PpL Gremillet concerne la protection des consommateurs. Lors de l’examen du texte devant cette commission, le groupe Ensemble pour la République a suivi le rapporteur, qui souhaitait concentrer le dispositif sur la partie programmatique liée à la PPE. Nous soutenions également plusieurs articles visant à renforcer l’information et la protection des consommateurs. Que comptez-vous faire dans ce domaine ?
Le Gouvernement envisage-t-il une commande publique destinée à soutenir l’émergence des technologies nucléaires innovantes en France ? Une dynamique s’est enclenchée aux États-Unis, au Canada et en Chine pour le développement des petits réacteurs modulaires et du nucléaire innovant. Quelles initiatives la France compte-t-elle prendre pour se positionner sur ces marchés, stratégiques pour la décarbonation et la défossilisation progressives de notre économie et de notre industrie ?
M. Marc Ferracci, ministre. Les tarifs de l’électricité ont baissé de 15 % le 1er février. D’une manière générale, un bon moyen de diminuer les prix est de produire beaucoup, même si d’autres éléments entrent en jeu dans la facture d’électricité et d’énergie comme la fiscalité. S’opposer au développement de capacités installées supplémentaires – je pense en particulier aux énergies renouvelables – entre en contradiction avec l’objectif de faire baisser la facture énergétique des Français.
Nous avons l’ambition d’accompagner l’essor des technologies nouvelles, dans les énergies renouvelables comme dans le nucléaire, afin de faire baisser les coûts de production et in fine les prix de marché. Certaines énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien terrestre et en mer) sont compétitives face au nucléaire. Un quatrième appel d’offres d’éolien en mer s’est conclu par un tarif de 45 euros le mégawattheure, il y a quelques mois. Il faut faire preuve de pragmatisme : exclure les projets non compétitifs et inclure ceux qui trouvent leur modèle économique. Voilà la réponse que nous devons apporter à la question de la facture énergétique.
Les fournisseurs d’électricité sont tenus à la transparence vis-à-vis de leurs clients, notamment sur les tarifs réglementés de vente de l’électricité. Nous aurons l’occasion de débattre à nouveau de ce sujet si le texte législatif que nous avons examiné ces derniers jours revient à l’Assemblée nationale avec un périmètre incluant des mesures de protection des consommateurs.
Nous devons sélectionner les projets de SMR en fonction de leurs perspectives et de leur maturité technologique. Nous appuyons ceux qui ont une maturité proche, à l’horizon 2030, les SMR calogènes. Nous continuerons à aider d’autres projets à la temporalité plus longue, en particulier les réacteurs à neutrons rapides.
M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Je ne reviens pas sur votre déroute complète sur la PpL Gremillet, que l’Assemblée nationale vient de repousser.
Mon collègue Philippe Bolo et moi-même avons lancé une mission d’information sur le prix de l’électricité, la compétitivité des entreprises et l’action de l’État, laquelle se penchera sur l’accord entre l’État et EDF. Nous avons auditionné les représentants d’entreprises, de toutes tailles, ayant passé un contrat. Les fameux contrats d’allocation de production nucléaire (CAPN) sont jugés trop chers et trop risqués, donc réservés aux plus gros acteurs : par conséquent, aucun n’a encore été signé. Les contrats nucléaires simplifiés pourraient intéresser certaines entreprises intermédiaires, mais EDF se montre réticent. Quant aux contrats à long terme, ils n’offrent pas de garantie de prix et sont parfois trop longs pour les PME, lesquelles ne parviennent pas à se projeter aussi loin. Ces contraintes pèseront sur l’approvisionnement des entreprises, lesquelles seront soumises au versement nucléaire universel (VNU) imposé dans la dernière loi de finances, adoptée grâce à l’article 49.3 de la Constitution, et qui concernera, outre les entreprises, les particuliers et les collectivités territoriales. Personne ne soutient ce dispositif, qui empêche toute prévisibilité : on nous a parlé à son sujet d’un « parapluie percé et troué ».
Ce dispositif exposera intégralement les acteurs économiques aux mécanismes du marché ; or la guerre au Moyen-Orient rend inquiétante la situation des semaines et mois à venir. Il souffre également d’une grande opacité. Le premier seuil de taxation doit inclure l’investissement d’EDF dans de nouveaux réacteurs, dont le modèle est inconnu : dès janvier 2026, les Français paieront de nouveaux réacteurs qu’ils ne connaîtront pas. Même si un décret est en cours d’élaboration, nous ignorons également le calcul des revenus issus des surprofits d’EDF dans le nucléaire. Quant à la ventilation du VNU, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) vient de s’y opposer à cause de son opacité.
Allez-vous enfin présenter au Parlement un projet de loi sur le sujet ou vous contenterez-vous d’insérer un article dans un futur projet de loi de finances, lequel sera adopté par 49.3 ?
M. Marc Ferracci, ministre. Vous parlez de « déroute », mais ce n’est pas moi qui ai présenté le texte rejeté par l’Assemblée nationale. En outre, je me suis exprimé très clairement pour expliquer que le Gouvernement souhaitait le rejet de la PpL Gremillet. Il n’y a donc aucune déroute ; mais il est vrai qu’il nous faut un cap, donc les débats continueront dans le cadre de la navette parlementaire.
Sur les contrats de long terme et les CAPN, vos informations datent quelque peu. Depuis déjà quelques mois, la direction d’EDF dispose d’une feuille de route extrêmement claire pour fournir aux industriels une électricité à des prix compétitifs et à un horizon suffisamment long. Les structures électro-intensives ne sont pas les seules concernées : les contrats de moyen terme, à quatre ou cinq ans, sont adaptés aux besoins des ETI et des PME. Treize lettres d’engagement ont été signées pour des CAPN et une quatorzième a été annoncée, ce matin, au colloque sur la décarbonation auquel a assisté la présidente Trouvé. Une trentaine d’autres sont en cours de discussion. Les choses s’accélèrent donc nettement, car EDF suit désormais une feuille de route très claire dans ce domaine.
Le VNU a été conçu pour protéger les consommateurs contre une trop grande volatilité des prix de marché : on ne peut donc pas affirmer, comme vous le faites, qu’ils seront totalement exposés aux mécanismes de marché. Le fonctionnement du VNU repose, comme les décrets actuellement en discussion et, pour certains d’entre eux, déjà transmis pour consultation le prévoient, sur la fixation de seuils au-delà desquels EDF rétrocède au consommateur, directement sur sa facture, une partie de ses revenus additionnels. Il s’agit d’un mécanisme protecteur, dont le but est d’éviter l’explosion des factures observée en 2022 et 2023, au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine. Il y a donc une incompréhension sur ce mécanisme et je serais heureux que vous me fournissiez des éléments précis, voire nominatifs, sur le sujet.
M. Karim Benbrahim (SOC). Depuis le mois d’avril, la Chine a considérablement restreint, en réaction à la guerre commerciale déclenchée par l’administration Trump, l’exportation de matériaux stratégiques, en particulier les terres rares et les aimants permanents qui en proviennent. Cette décision affecte, par ricochet, les industries française et européenne. Les matériaux stratégiques sont nécessaires au fonctionnement d’industries aussi essentielles que l’automobile, l’électroménager, la défense, l’aérospatiale ou encore l’énergie.
Notre dépendance à la Chine pour les terres rares et les matériaux stratégiques n’est pas nouvelle, mais elle est massive. Pékin assure 70 % de la production mondiale de terres rares et contrôle plus de 90 % de leur transformation. Ce quasi-monopole place nos chaînes de valeur dans une position de fragilité. Depuis juin, les équipementiers automobiles européens, qui ont besoin de ces métaux rares pour produire des véhicules thermiques ou électriques, tirent la sonnette d’alarme. En Europe, plusieurs lignes et usines ont dû arrêter leur production. Les industriels nous disent que ce n’est qu’un début : les stocks s’amenuisent et le ralentissement de la production devrait s’étendre.
L’Union européenne a déjà pris des initiatives pour faire face à notre dépendance. En mars 2024, elle a adopté une réglementation sur les matières premières critiques, afin d’accroître la production, diversifier l’approvisionnement et créer de nouvelles filières de recyclage. En mars dernier, la Commission européenne a lancé quarante-sept projets d’extraction ou de transformation de matériaux stratégiques sur le sol européen : neuf d’entre eux doivent se déployer en France. La production sur le sol européen et la diversification de nos importations sont nécessaires, mais elles ne seront pas suffisantes. Nous devons parallèlement renforcer la circularité, y compris le recyclage, améliorer la durabilité et soutenir la recherche et l’innovation en matière d’utilisation efficace des ressources et de mise au point de substituts.
Dans ce contexte tendu, quelles réponses concrètes et immédiates le Gouvernement entend-il apporter à cette crise d’approvisionnement ? Quels investissements sont consentis à l’échelle française pour soutenir la recherche sur la substitution et le recyclage de matériaux encore non traités actuellement ?
M. Marc Ferracci, ministre. Je partage plusieurs de vos constats. Nous souffrons d’un problème de dépendance à l’égard de la Chine pour les terres rares et les matériaux qui en sont issus. Pour affronter ce problème, nous devons déployer une stratégie reposant sur trois piliers.
Le premier repose sur l’extraction et le raffinage dans notre territoire, quand cela est possible. À ce titre, j’ai annoncé il y a quelques mois, en tant que ministre chargé de l’industrie, la relance, par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), de l’inventaire minier, lequel prendra deux à trois ans. De nouvelles techniques d’imagerie permettront de révéler le potentiel en notre possession. Nous savons que celui-ci existe pour le lithium et le tungstène, en particulier.
Pour sortir de la dépendance, nous devons diversifier nos approvisionnements, mais la Chine dispose d’un quasi-monopole sur les terres rares, sur plusieurs métaux et sur les aimants pour la filière automobile.
Enfin, le troisième pilier tient au recyclage. Dans ce domaine, des initiatives existent. Il y a quelques semaines, le Premier ministre a annoncé le lancement d’un projet sur les terres rares dans le Sud-Ouest, qui sera porté par Carester et Solvay : une usine de raffinage sera installée afin de séparer les terres rares lourdes. L’objectif est de couvrir de 10 % à 12 % des besoins mondiaux d’ici à 2030. Le chantier est considérable par son volume et son ampleur.
D’autres projets s’inscrivent dans le cadre de la législation européenne sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act). Comme vous l’avez dit, neuf des quarante-sept projets seront conduits en France. Nous continuerons à investir dans les capacités d’exploration, dans le souci de nouer des partenariats avec des acteurs étrangers et de nous inscrire dans une logique d’extraction diversifiée.
M. Julien Dive (DR). Vous avez affirmé que le solde d’emplois industriels était positif en France. Nous ne pouvons que nous en réjouir, mais il est impossible de conclure de vos chiffres que la tendance n’est pas à la désindustrialisation. Seuls 9 % du PIB proviennent de l’industrie, ce qui fait de notre pays un « Petit Poucet » dans ce secteur en Europe. Or, une économie qui ne repose que sur les services est fragile, particulièrement en période de crise. L’ancien ministre Bruno Le Maire a déclaré, il y a un an, que nous étions face à un « risque de naufrage économique et financier ». Depuis lors, les annonces ont été nombreuses sur le front de la désindustrialisation : ArcelorMittal supprime six cents postes dans notre pays, Nestlé se désengage de ses usines agroalimentaires françaises – j’en sais quelque chose, car deux sites ont fermé dans mon village – et l’industrie automobile se rappelle à ses vieux démons de la crise économique de 2009. Tout cela crée un climat anxiogène pour les salariés, les sous-traitants, les fournisseurs et les investisseurs étrangers.
Paradoxe français : notre pays reste dynamique pour les investissements directs étrangers (IDE). Comme vous l’avez dit, nous avons besoin de stabilité fiscale, politique et sociale. Quelles sont les conditions qu’il est important de préserver ? L’innovation est une bonne voie à suivre. Êtes-vous prêt à défendre le crédit d’impôt recherche dans le projet de loi de finances en préparation ? Préserverez-vous les actions engagées depuis vingt ans dans nos territoires comme les pôles de compétitivité ou les investissements d’avenir, qui préparent les industries de demain grâce à la recherche industrielle appliquée et fondamentale ?
Comment dissuader celles et ceux qui investissent en France, notamment depuis l’étranger, de faire n’importe quoi ? Il y a une dizaine d’années, le Parlement a voté la loi n° 2014-384 visant à reconquérir l'économie réelle, dite loi « Florange », laquelle avait vocation à répondre à un drame industriel dans une partie de la région Grand Est et à empêcher les industriels de quitter n’importe comment notre pays, en considérant que les emplois s’y jetaient comme des Kleenex. La loi Florange ne va pas assez loin, elle n’est pas assez dissuasive : quelle est votre position sur ce type d’outil ?
M. Marc Ferracci, ministre. Nous avons obtenu des résultats ces dernières années, mais nous nous trouvons au milieu du gué. Certaines filières industrielles rencontrent actuellement de grandes difficultés : mes services et l’ensemble du Gouvernement, notamment le ministère chargé du travail, interviennent sur tous les projets, actuellement nombreux, de fermeture de site ou de suppression d’emplois, afin de chercher des solutions industrielles ou, quand il n’y en a pas, d’accompagner le reclassement des salariés et la revitalisation des sites. Je suis lucide sur ce qui va bien comme sur ce qui va mal.
L’innovation est évidemment fondamentale. Nous avons maintenu l’intégrité du CIR, à savoir un volume d’au moins 7 Md€. Avec mon collègue Éric Lombard, nous nous battrons pour maintenir cette orientation dans les textes budgétaires pour 2026. Nous plaidons également pour que les enveloppes allouées aux investissements d’avenir, en particulier celle de France 2030, soient maintenues, comme ce fut le cas dans le projet de loi de finances pour 2025. J’ai évoqué les chiffres relatifs à la décarbonation de l’industrie, aspect essentiel pour se projeter dans l’avenir.
Nous devons accompagner les investisseurs. Lorsque leurs opérations prennent la forme de rachats d’entreprise française, il faut imposer des conditions exigeantes. Depuis quelques années, nous avons nettement renforcé les contraintes de la procédure entourant les investissements étrangers en France (IEF). Le nombre de dossiers instruits a été multiplié par quatre et la moitié des investissements étrangers ont été refusés. Il s’agit, à mes yeux, du bon levier pour répondre aux enjeux de souveraineté.
M. Philippe Bolo (Dem). Le sujet de l’hydroélectricité est apparu à plusieurs reprises dans les débats sur la PpL Gremillet. L’important est de rétablir les investissements actuellement bloqués par les précontentieux européens. C’est le travail transpartisan que nous avons mené et traduit dans le rapport rédigé avec ma collègue Marie-Noëlle Battistel. Nous avons identifié deux voies. La première consiste à sortir du cadre de la directive européenne sur l’attribution des contrats de concession. La Commission a entamé une réflexion sur l’opportunité de la réviser : il serait judicieux de profiter de cette occasion pour sortir l’hydroélectricité de son champ. Ce serait particulièrement bienvenu, car l’hydroélectricité se trouve au carrefour de la production d’énergie, de la gestion et des usages de l’eau, ainsi que de la richesse des territoires qui l’hébergent. Nous avons besoin du Gouvernement français pour atteindre cet objectif : comme vous l’avez dit, l’Europe est la bonne échelle en la matière.
La seconde voie réside dans le passage du régime de concession à celui d’autorisation, idéalement sans changer la propriété des ouvrages. Cela nécessitera bien entendu des mesures compensatoires, qui correspondent à la capacité des concurrents à accéder à du productible. Le sujet doit être examiné avec précision, car il faut absolument éviter de créer un accès régulé à l’électricité historique (Arenh) pour l’hydroélectricité : il ne faudrait pas que, au motif d’une ouverture à la concurrence, le prix fixe des électrons puisse être inférieur au coût de production de l’hydroélectricité. Ce point est essentiel et nous avons, là aussi, besoin du Gouvernement.
Comment le Gouvernement va-t-il se mobiliser pour sortir l’hydroélectricité de l’impasse dans laquelle elle se trouve à cause des précontentieux qui empêchent les investissements dont nous avons tous besoin ? Les groupes politiques qui soutiennent l’hydroélectricité au Parlement attendent que le Gouvernement les rejoigne dans leur élan.
M. Marc Ferracci, ministre. Nous avons déjà beaucoup échangé sur votre rapport. La position de principe du Gouvernement est de tenter de résoudre le contentieux juridique avec la Commission sans aller jusqu’à une mise en concurrence des barrages. La révision de la directive est une option lointaine et incertaine, même si la Commission évalue actuellement l’opportunité de rouvrir les discussions sur le texte. Je ne suis pas capable de vous dire combien de temps durera ce travail d’évaluation, mais nous pourrons essayer d’obtenir l’information.
En attendant, il nous faut disposer d’une autre option, celle du régime d’autorisation. Mes services en discutent avec la Commission européenne pour trouver les voies de passage juridiques, c’est-à-dire les contreparties qui éviteraient le transfert de la propriété des infrastructures. Je partage votre prévention contre un « Arenh hydroélectrique ». Nous devons élaborer un système reposant sur un peu de concurrence, sans que celle-ci crée de distorsions. Je souhaite orienter la production hydroélectrique vers nos industriels électro-intensifs : soumis à la concurrence internationale, ils doivent pouvoir bénéficier d’une production hydroélectrique à un prix compétitif. Dans ce contexte, le schéma des CAPN pourrait être une source d’inspiration pour l’hydroélectricité.
M. Thierry Benoit (HOR). L’Union européenne et la France sont-elles prêtes à maintenir l’objectif de la transition du véhicule thermique vers le véhicule électrique d’ici à 2035-2040, eu égard à ses effets sur la métallurgie, la fonderie et la plasturgie ? La production d’automobiles en France a diminué de plus de 50 % au cours des vingt dernières années. Qu’en est-il des équipementiers et de leurs cinquante-cinq mille salariés, dont le nombre devrait être divisé par deux du fait de cette transition ?
Ma seconde question a trait à l’objectif « Zéro artificialisation nette ». On a annoncé que dix mille hectares seraient sanctuarisés dans le cadre de la réindustrialisation, mais le Président de la République lui-même a indiqué, en juillet 2023, que vingt mille à trente mille hectares étaient nécessaires. Êtes-vous prêt à autoriser les préfets à user de leur pouvoir de dérogation pour permettre l’installation de data centers, qui ont besoin de vastes superficies, dans les villes moyennes ou les territoires ruraux ?
M. Marc Ferracci, ministre. À ce stade, avant l’application de la clause de revoyure l’an prochain, le Gouvernement français ne souhaite pas remettre en question l’objectif de 2035. En revanche, il entend fournir aux constructeurs et aux équipementiers les assouplissements nécessaires pour atteindre cet objectif. Ainsi, nous avons obtenu de la Commission européenne que les amendes infligées au titre du surcroît d’émissions de CO2 pour l’année 2025 soient lissées sur trois ans pour que les constructeurs, qui ont consenti des investissements dans l’électrification de leurs gammes mais font face à une demande déprimée, n’aient pas à s’acquitter de sommes qui atteindraient plusieurs milliards d’euros.
Quant aux équipementiers, il est vrai qu’ils ne sont pas protégés, contrairement aux constructeurs, par les tarifs appliqués aux véhicules électriques chinois. C’est la raison pour laquelle le commissaire Séjourné a annoncé l’introduction d’une préférence européenne, comme le font les Américains, par exemple, qui imposent une part minimale de valeur ajoutée dans certains produits – le « contenu local ». Telles sont les pistes que nous explorons, avec l’objectif de prendre des mesures concrètes d’ici à la fin de l’année, car elles sont urgentes.
En ce qui concerne le ZAN, on parle de dix mille hectares d’artificialisation ; les vingt mille à vingt-cinq mille hectares que vous avez évoqués correspondent à la superficie nécessaire, selon le rapport du préfet Mouchel-Blaisot, pour que la part de l’industrie dans le PIB atteigne 15 %. Or si l’on ajoute à ces dix mille hectares la superficie des friches exploitables, on approche de l’objectif commun.
Enfin, je souhaite faciliter l’installation des data centers. C’est l’objet d’un article du projet de loi de simplification de la vie économique, qui devrait leur permettre d’obtenir le statut de projet d’intérêt national majeur.
M. Julien Brugerolles (GDR). La désindustrialisation de notre pays se poursuit : la part de l’industrie manufacturière dans le PIB français n’est plus que de 9 %, quand elle s’établit, en moyenne, à 15 % en Europe. La promesse du chef de l’État de mettre un terme à ce déclin n’a donc pas été tenue. La « casse sociale » continue : depuis 2023, deux cent mille emplois ont été perdus dans l’industrie (à laquelle j’ajoute le commerce et les services bancaires), en particulier dans la chimie et la métallurgie, durement touchées. Pour nous, la priorité est de protéger nos industries lourdes (sidérurgie, chimie et aluminium), dont on dit qu’elles sont l’industrie de l’industrie et qui se trouvent au cœur des enjeux de décarbonation. Pourquoi une telle inaction ? Cet enjeu stratégique devrait pourtant nous rassembler largement.
Il nous faut également protéger l’écosystème des sous-traitants en leur permettant notamment de diversifier leurs activités pour ne plus dépendre d’une poignée de grands donneurs d’ordre. Quelles actions spécifiques comptez-vous mener en faveur de ces entreprises ?
Enfin, le rôle de la commande publique, qui représente de 8 % à 15 % du PIB selon les années, est déterminant. Pourquoi continuer de miner ce levier économique par vos choix budgétaires ?
À l’heure où nous devons faire face à des enjeux économiques et écologiques majeurs, il est indispensable que l’État ait une vision claire du rôle de l’industrie. Êtes-vous prêt à y travailler avec le Parlement, dans un esprit de coconstruction ?
M. Marc Ferracci, ministre. Je suis toujours prêt à coconstruire. Encore faut-il partir de constats partagés. Or il est faux de dire que l’industrie a perdu deux cent mille emplois au cours des dernières années : l’Insee estime à cent quarante mille le nombre de créations nettes d’emplois dans ce secteur depuis 2017. Je ne nie pas que certaines filières (chimie, automobile, sidérurgie…) aient été affectées par des destructions nettes d’emplois au cours des dernières années, mais d’autres sont dynamiques et créent de l’emploi, qu’il s’agisse des industries vertes, de l’aéronautique, du luxe ou de la cosmétique. Nous devons être fiers de nos fleurons.
Si quelqu’un s’investit en faveur de l’industrie lourde depuis quelques mois, c’est bien votre serviteur. Nous avons en effet créé une alliance de l’industrie lourde rassemblant tous les pays intéressés à la chimie et à l’acier, dont les propositions nous ont permis, dans un délai bref, d’obtenir un plan d’urgence de l’Union européenne. Les clauses de sauvegarde, qui s’appliquent depuis le 1er avril, doivent être durcies. Des annonces ont été faites qui, je l’espère, se concrétiseront dans les prochains jours, concernant notamment la révision du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui aura un effet direct sur la sidérurgie et la chimie. Vous pouvez nous accuser d’inaction, mais les slogans ne font pas toujours de bons arguments.
Quant à la question de la relation entre sous-traitants et donneurs d’ordre, elle est complexe. Je partage votre diagnostic : dans certaines filières, notamment celle de l’automobile, cette relation est mauvaise en raison des pressions trop fortes exercées sur les sous-traitants pour accroître la productivité et accélérer les cadences – j’y reviendrai.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions individuelles.
M. Patrice Martin (RN). En mars dernier, l’Élysée a formalisé le report à 2038 de la mise en service du programme de réacteurs de type EPR 2, notamment sur le site de Penly. Toutefois, grâce à l’engagement constant du groupe Rassemblement national, la filière nucléaire a pu être relancée par la décision d’entamer, au plus tard en 2026, la construction de six EPR sur notre territoire.
Se pose désormais la question majeure du financement. Selon la Cour des comptes, le coût total du programme s’élèverait, aux conditions économiques de 2023, à 79,9 Md€. Pouvez-vous, d’une part, préciser la part que l’État entend mobiliser pour assurer le financement de ce programme stratégique, et, d’autre part, nous assurer que cet effort public contribuera à garantir à l’ensemble des Français un prix du mégawattheure stable et accessible sur le long terme ?
M. Marc Ferracci, ministre. Le Gouvernement n’a pas sorti la date de 2038 de son chapeau : elle correspond à une estimation de la filière. On peut cultiver l’optimisme de la volonté, mais le pessimisme de la raison doit nous inciter à tenir compte des contraintes industrielles, qui empêchent la concrétisation du calendrier évoqué par votre groupe.
Le schéma de financement des six EPR 2, qui fixe leur objectif de coût à 67 Md€, fait l’objet d’une discussion avec la Commission européenne dans le cadre du régime des aides d’État. Ce financement comportera deux volets : en phase de construction, un prêt bonifié supérieur à 50 % de l’État à EDF ; en phase d’exploitation, un contrat pour différence – j’y reviendrai.
M. Stéphane Travert (EPR). Le 10 juin dernier, vous avez déclaré qu’il fallait introduire une préférence européenne dans la fabrication automobile pour faire face notamment à la concurrence chinoise, que vous avez qualifiée de « massivement subventionnée ». Cette orientation suscite des attentes importantes chez les équipementiers, confrontés aux bouleversements liés à la transition vers des technologies plus durables. Que recouvre la notion de « préférence européenne » ? S’agit-il d’une clause intégrée aux marchés publics ou d’un mécanisme qui s’appliquerait à l’échelle européenne ? Surtout, comment garantir que nos équipementiers bénéficieront réellement de cette préférence ?
M. Marc Ferracci, ministre. La Commission européenne a d’ores et déjà annoncé qu’un principe de préférence européenne devait être appliqué à la commande publique. La proposition française, plus ambitieuse, consiste à étendre ce principe à tous les dispositifs d’aides publiques. Les annonces de la Commission devront être traduites, dans les prochains mois, dans des textes législatifs. Cela se fera notamment par la révision de la directive du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et la présentation d’un nouveau texte sur la préférence européenne. Il nous faut surtout faire évoluer la doctrine et les mentalités pour vaincre les « réticences » – c’est un euphémisme… – de la Commission et des administrations européennes.
M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Après Vencorex, allez-vous laisser ArcelorMittal fermer ? Ces faits sont-ils ceux sur lesquels vous vous appuyez pour affirmer que vous défendez la chimie et que vous défendrez l’industrie lourde, notamment l’acier, à Fos ou à Dunkerque ?
La proposition de loi du sénateur Gremillet, rejetée par l’Assemblée nationale, sera examinée par le Sénat au mois de juillet. Or vous avez affirmé vouloir publier le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie avant la fin de l’été. Cela signifie-t-il que notre assemblée examinera cette proposition de loi en deuxième lecture dans le courant du mois de septembre ?
Enfin, on ne peut pas attendre encore des mois avant le lancement du prochain appel d’offres concernant l’éolien en mer, structurant pour l’avenir de la filière. Je viens de déposer une proposition de loi qui vise à sécuriser juridiquement la possibilité de lancer cet appel d’offres avant la publication de la PPE. Y êtes-vous favorable ?
M. Marc Ferracci, ministre. Nous ne laissons pas les sites fermer, nous tâchons de créer les conditions d’une poursuite de la production d’acier en France. Pour ce faire, il convient, plutôt que de nationaliser l’entreprise, de trouver des solutions industrielles. Aussi avons-nous agi au niveau européen pour offrir des perspectives à l’investissement de 1,2 Md€ dans un four électrique annoncé par Arcelor. La sidérurgie souffre beaucoup en Europe : des emplois ont été supprimés par ThyssenKrupp en Allemagne (11 000) et par Arcelor ailleurs qu’en France. Notre stratégie est claire – je reviendrai ultérieurement sur la chimie et l’éolien en mer.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Quelles suites comptez-vous donner au projet de reprise d’une partie des activités de Vencorex sous la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif ? Surtout, pourquoi l’État n’a-t-il pas été en mesure de préempter les brevets et les savoir-faire qui n’étaient pas concernés par le rachat de l’entreprise ?
« Il ne faut pas crier avant d’avoir mal », avez-vous dit tout à l’heure. Ce week-end, je vous ai sollicité en urgence au sujet d’un projet de diversification qui permettrait à une station de montagne d’assurer son avenir au cours des vingt-cinq prochaines années. Hélas, la fermeture de cette station, qui entraînera la suppression de deux cent emplois, vient d’être annoncée. Il ne manquait pourtant qu’environ 1 million d’euros pour boucler le tour de table financier. L’État n’a pas donné un seul euro !
M. Marc Ferracci, ministre. Lorsque des propositions pouvaient encore être avancées dans le cadre du redressement judiciaire, j’ai indiqué que l’État mettrait 1 euro d’argent public pour 1 euro d’argent privé dans le projet de reprise de Vencorex par ses salariés, si d’aventure les quantums nécessaires pour garantir la pérennité économique de ce projet étaient atteints. Je n’ai pas changé d’avis, mais il se trouve que les fonds levés n’ont pas été suffisants pour s’engager dans cette direction.
Par ailleurs, Vencorex ne détient pas de brevets concernant la mine de sel. Ceux qui ont été repris par BorsodChem ont trait aux isocyanates, qui entrent dans la composition des peintures. On peut considérer que les peintures industrielles sont un enjeu de souveraineté essentiel, mais on peut également avoir une approche différente. En tout état de cause, tous les problèmes de souveraineté ont été résolus s’agissant des entreprises aval.
M. Vincent Rolland (DR). L’accès régulé au nucléaire historique (Arenh), qui permettait aux industriels électro-intensifs de bénéficier d’un coût de l’électricité à peu près acceptable, va prendre fin. Certains d’entre eux, notamment MSSA implantée dans ma circonscription, ont donc entamé des discussions avec EDF. Or, ces discussions ne sont pas satisfaisantes.
M. Marc Ferracci, ministre. Je rappelle que l’État n’intervient pas dans les négociations entre EDF et les industriels : ce n’est pas son rôle. En novembre 2023, il a défini le cadre juridique des CAPN et de la plupart des contrats proposés aux industriels. La feuille de route de la direction d’EDF est désormais très claire. Si nous pouvons faciliter l’aboutissement des discussions, n’hésitez pas à en faire part à mes équipes, qui pourront vous orienter vers les interlocuteurs adéquats. Mais, encore une fois, il n’est pas question d’intervenir sur le prix d’un CAPN.
M. Frédéric Weber (RN). Le groupe Owens-Illinois a annoncé la fermeture de la verrerie de Vergèze, dans le Gard, qui produit la totalité des bouteilles en verre de Perrier. Si rien n’est fait, 164 emplois seront perdus et autant de familles seront en difficulté. C’est un drame pour l’économie locale. Puisque le ministre de l’économie a été incapable de répondre à mon collègue Meizonnet le 30 avril, nous vous posons la question : que comptez-vous faire pour sauver la verrerie de Vergèze ?
M. Marc Ferracci, ministre. J’ai d’abord une pensée pour les salariés concernés et leurs familles. Le contexte est difficile pour la verrerie en général, en raison de la baisse de la consommation de boissons telles que les eaux minérales, le vin ou la bière. En l’espèce, les services déconcentrés de l’État veillent à la qualité du dialogue social et, dans le cadre de l’élaboration du plan social, au respect notamment de l’étape d’information et de consultation du comité social et économique.
La situation de cette usine relevant de la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite loi « Florange », nous sommes également très attentifs aux actions menées pour chercher un repreneur dans le délai fixé, qui est de quatre mois. Nos services mettent à la disposition de l’entreprise, de ses salariés et des parties prenantes toutes les informations nécessaires et les mettent en relation avec de potentiels repreneurs.
Mme Nicole Le Peih (EPR). L’industrie agroalimentaire, premier secteur industriel français, est composée de plus de dix-sept mille entreprises ancrées dans des territoires souvent ruraux. Or ces acteurs essentiels de la souveraineté alimentaire de notre pays souffrent d’un manque de compétitivité, de pressions sur leurs coûts de production, des injonctions de réaliser la transition environnementale sans soutien adapté et d’un climat de défiance. L’annonce d’un renforcement des capacités industrielles va dans le bon sens, mais elle doit se traduire désormais par des actes concrets. Le Gouvernement entend-il réaffirmer clairement son soutien à l’industrie agroalimentaire française ? Quelles mesures immédiates comptez-vous prendre pour l’aider à relever les défis de la compétitivité, de la transition écologique et de la reconnaissance ?
M. Marc Ferracci, ministre. Le secteur agroalimentaire, qui emploie quatre cent cinquante mille personnes dans notre pays, est composé à 98 % de très petites, petites et moyennes entreprises qui maillent l’ensemble du territoire. Pour aider ce secteur à relever les défis de l’innovation et de la consolidation auxquels il fait face, nous avons annoncé, avec ma collègue Annie Genevard, le lancement d’un fonds de soutien aux industries agroalimentaires (IAA) doté de 200 millions d’euros (M€), qui a pour objectif de faire émerger une capacité financière d’intervention et de soutien aux entreprises du secteur de l’ordre de 500 M€. Nous sommes actuellement dans la phase de sélection, par BPIFrance, des sociétés de gestion. J’aurais pu citer également les actions menées dans le cadre de France 2030 pour soutenir la résilience et les capacités agroalimentaires.
M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Ma question porte sur Atos et Europlasma. Je ne m’attarderai pas sur le périmètre très contestable des activités retenues dans le cadre de la nationalisation partielle d’Atos ; nous craignons, vous le savez, une « vente à la découpe » du groupe. Pouvez-vous nous indiquer le montant des honoraires versés aux banques, aux avocats et aux cabinets de conseil et de communication pour la restructuration de la dette publique ?
Quant à Europlasma, elle a perdu, en six mois, 76 % de sa valeur boursière. Que comptez-vous faire pour éviter l’effondrement d’une société financée par des obligations d’Alpha Blue Ocean, dont la probité est plus que douteuse ? Pourquoi refusez-vous de nommer un commissaire du Gouvernement auprès de cette entreprise, comme cela avait été fait en 2020 ? Après tout, il s’agit de la seule entreprise française censée produire, en France, des corps d’obus.
M. Marc Ferracci, ministre. En ce qui concerne Atos, les supercalculateurs, qui entrent dans le périmètre de souveraineté, ont fait l’objet d’un rachat par l’État. Quant à ses autres activités, le risque de vente à la découpe n’est pas avéré, car nous avons introduit une action de préférence, qui offre à l’État la possibilité de bloquer la vente d’actifs stratégiques.
Europlasma est une entreprise privée qui n’a pas vocation à être soutenue à bout de bras par l’État. Elle s’est portée candidate à la reprise de La Fonderie de Bretagne, dont chacun, ici, a salué le rebond. Nous sommes vigilants. Je me suis entretenu avec les salariés et les représentants de cette entreprise et continuerai à suivre ce dossier avec le souci que les débouchés se concrétisent, mais, pour l’industrie de la défense, les perspectives sont importantes.
M. Hervé de Lépinau (RN). Allez-vous laisser la PpL Gremillet suivre son parcours parlementaire jusqu’à son terme ou entendez-vous définir par arrêté la tarification suggérée dans la PPE 3 d’ici au mois de septembre ? À cette question claire, j’espère que vous apporterez une réponse claire.
M. Marc Ferracci, ministre. Je ne comprends pas bien votre question : la PPE ne fixe pas de tarification, mais des objectifs de production. La PpL Gremillet retournera au Sénat dans quelques jours sous sa forme initiale, l’Assemblée l’ayant rejetée cet après-midi ; dans l’intervalle, un projet de décret a effectivement été soumis à la consultation. J’ai toujours été clair sur le fait que le décret avait vocation à être amendé afin de respecter l’orientation exprimée par la représentation nationale dans ses votes.
M. Stéphane Buchou (EPR). Monsieur le ministre, nous nous sommes rendus ensemble, hier, sur le littoral vendéen pour visiter l’usine Lhyfe, qui produit de l’hydrogène vert, et le parc éolien offshore Yeu-Noirmoutier. Nous y avons rencontré des élus locaux et des industriels inquiets du sort qui serait réservé à la PpL Gremillet. Leurs craintes se sont réalisées, puisque celle-ci vient d’être rejetée. Ce que nous avons vu hier, c’est ce que devrait être notre avenir énergétique : une énergie propre, produite localement, créatrice d’emplois et porteuse d’indépendance. Après le vote de cet après-midi, comment le Gouvernement entend-il rassurer les industriels et les élus locaux ?
M. Marc Ferracci, ministre. L’éolien en mer est une filière dynamique et avant-gardiste qui produit la plupart de ses composants en France (turbines, pales, couronnes), où elle représente près de huit mille emplois avec un grand potentiel de développement à l’export, selon les industriels. Elle doit donc être soutenue. J’ai remarqué hier que les difficultés d’acceptabilité sociale avaient été résolues sur ce territoire grâce à l’action des élus locaux.
Plusieurs appels à projets sont en cours. L’appel à projets n° 9, qui n’a pas besoin du décret de la PPE, a déjà été lancé ; il sera notifié dans les prochaines semaines. L’appel à projets n° 10, lui, doit attendre la PPE.
M. Robert Le Bourgeois (RN). « Il y a urgence à se doter d’instruments pour protéger nos entreprises, parce que nous leur imposons des charges que les autres n’ont pas. » Ces mots, ce sont les vôtres, et j’y souscris pleinement. Ils datent de janvier 2025 et faisaient référence à un important projet industriel de mon département de Seine-Maritime, l’usine Eastman, à Port-Jérôme. Cette usine de recyclage moléculaire, déclarée projet d’intérêt national majeur, a passé toutes les formalités nécessaires à sa construction et à son exploitation. À terme, elle pourrait créer 350 emplois directs et 1 300 emplois indirects. Alors qu’aux États-Unis, un projet d’usine similaire avance rapidement, celui-ci bloque. En cause : la directive européenne sur les emballages de mars 2024, laquelle autorise l’importation de plastiques recyclés, notamment de Chine, où les coûts sont bien moindres et les méthodes bien moins vertueuses. Le Gouvernement dont vous êtes le ministre peut-il obtenir une clarification rapide de la Commission européenne concernant cette concurrence déloyale et s’engager à défendre ce projet industriel ?
M. Marc Ferracci, ministre. Vous avez résumé très précisément l’état du dossier. J’ai rencontré, il y a quelques jours, M. Mark Costa, le PDG d’Eastman, pour en discuter. L’État soutient financièrement le projet ; nous avons mis sur la table les aides à l’investissement habituelles, destinées à attirer les entreprises et à nous placer au niveau de nos concurrents européens et extra-européens.
La directive européenne autorise le recyclage mécanique des plastiques, particulièrement pratiqué par les concurrents chinois, tandis qu’Eastman propose un recyclage chimique, lequel offre un meilleur niveau de qualité. La position officielle transmise à la Commission européenne nous fait sortir de la naïveté : du point de vue technique et commercial, nous devons nous protéger des importations fondées sur le recyclage mécanique en privilégiant le recyclage chimique pour les projets sur le sol européen.
M. Karim Benbrahim (SOC). Je n’ai pas bien compris votre position sur l’articulation entre la loi de programmation et le décret PPE 3. Beaucoup d’acteurs s’interrogent sur la date à laquelle ce décret sera publié. Ma question est donc simple : y aura-t-il un décret PPE 3 avant le retour à l’Assemblée nationale de la PpL Gremillet ?
M. Marc Ferracci, ministre. Je comprends votre impatience. Ce sentiment d’urgence est partagé par tous les acteurs des filières industrielles qui souhaitent la publication du décret. Je ne peux que répéter que le décret sera pris et, le cas échéant, ajusté par rapport à la version soumise à la consultation, à la lumière des débats qui auront eu lieu au Parlement.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je me permets de résumer, puisque la question a été posée plusieurs fois : le décret PPE 3 pourra être publié avant la deuxième lecture de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, laquelle sera prise en compte pour la révision du décret. C’est bien cela ?
M. Marc Ferracci, ministre. La PPE 3 fait l’objet d’un décret qui sera pris dès lors qu’il sera compatible avec les débats qui auront eu lieu au Parlement.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Le décret ne sera donc pris qu’après la deuxième lecture ?
M. Marc Ferracci, ministre. Voulez-vous que je répète ce que j’ai déjà dit ?
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Plusieurs de mes collègues demandent également une clarification.
M. Marc Ferracci, ministre. Je peux clarifier, mais ce sera avec les mêmes mots.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous ne savons donc pas si le décret sera pris avant ou après la deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Je me permets d’ajouter qu’il faut aussi penser aux industriels dans le délai de publication du décret.
Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué l’hydrogène à deux reprises. Le Gouvernement a lancé au mois de mai une consultation sur l’évolution de la taxe incitative relative à l’utilisation d’énergies renouvelables dans les transports (Tiruert) et son remplacement par l’incitation à la réduction de l’intensité carbone des carburants (Iricc). Il semble qu’il y ait un écart entre cette proposition et la stratégie nationale hydrogène (SNH), que vous aviez présentée brillamment le 16 avril dernier. Visiblement, le projet ne permet pas de développer les carburants de synthèse, malgré leur rôle incontournable dans la décarbonation du secteur maritime. De même, le développement des capacités d’électrolyse y est de moitié inférieur à celui prévu par la SNH. Enfin, il présente un problème dans le domaine de la mobilité routière, où l’hydrogène est pourtant indispensable pour décarboner quand la batterie ne pourra pas le faire. Comment expliquez-vous ces écarts ? Allez-vous rectifier le tir ?
M. Marc Ferracci, ministre. Nous attendons justement les retours de la consultation sur l’Iricc. En attendant, pardonnez-moi de botter en touche en disant que les échanges continuent. Des difficultés spécifiques ont été pointées, notamment par le Conseil supérieur de l’énergie, concernant l’hydrogène et le développement des carburants de synthèse. Nous les étudierons attentivement. L’objectif est que le nouveau dispositif soit le plus efficace possible.
M. René Lioret (RN). Nous notons votre souhait de réindustrialiser la France, mais la réindustrialisation ne se décrète pas. Elle passera forcément par la compétitivité de nos entreprises. Or comment une entreprise peut-elle être compétitive dans un pays où l’heure de travail est la plus taxée de toute l’Union européenne, charges patronales et charges salariales cumulées ? Comment une entreprise peut-elle être compétitive dans un pays où nous payons l’électricité deux fois plus cher que si nous étions dans un marché français ? Comment une entreprise peut-elle être compétitive quand on la dirige vers des métiers qu’elle ne maîtrise pas ? Je pense à l’industrie automobile : ce sont les Chinois qui maîtrisent tout, alors que nous avions un savoir-faire sur les moteurs thermiques.
Vous avez parlé de la commande publique ; encore faudrait-il que monsieur Bayrou soit généreux ! La dernière fois que l’on a parlé de commande publique, c’était sous le Gouvernement de monsieur Barnier, qui voulait supprimer 5 Md€ d’aides aux collectivités territoriales.
M. Marc Ferracci, ministre. Je serais intéressé par la référence de l’étude qui vous conduit à penser que l’électricité coûterait deux fois moins cher sur un marché strictement français. Les mécanismes à l’œuvre sont d’une complexité redoutable et, sur ce genre du sujet, il faut avoir la prudence de ne pas reprendre des slogans colportés. Même les personnalités les plus éminentes ne se dispensent pas d’adosser leurs arguments à des données robustes.
En revanche, j’abonde dans votre sens concernant le coût du travail. Il faut réfléchir à d’autres assiettes pour le financement de la protection sociale. La TVA sociale n’est pas la seule solution, ni même « la » solution. Il y en a d’autres : certains économistes proposent, par exemple, un impôt foncier. En tout cas, baisser le coût du travail est essentiel pour augmenter la compétitivité, que nous soyons ou non à l’intérieur de l’Europe.
S’agissant de la générosité de la commande publique, vous connaissez les contraintes budgétaires actuelles. Je ne doute pas que vous soutiendrez les mesures d’économie qui permettront de redonner aux finances publiques les marges de manœuvre nécessaires à l’investissement.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je me permets de vous relancer sur plusieurs questions de nos collègues, notamment celles concernant l’extension de la loi Florange, la régulation des relations entre les sous-traitants et les donneurs d’ordre, le financement du nucléaire et les appels d’offres dans l’éolien. Pour ma part, j’insisterai sur deux gros dossiers.
Le premier est celui d’ArcelorMittal. L’investissement de 1,2 Md€ annoncé par le PDG d’ArcelorMittal ne couvre qu’une toute petite partie de la production actuelle, c’est-à-dire un four électrique, et il est conditionné à une plus forte protection aux frontières européennes, soit 15 % de quotas d’importation et une forte révision du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). La présidente de la commission des affaires économiques du Sénat et moi-même avons demandé à auditionner monsieur Séjourné, commissaire européen, dans un format exceptionnel compte tenu de l’urgence. Quelle est l’action de la France dans ce domaine ?
Le second est celui de Vencorex. On peut se dire qu’un territoire qui accueillera les Jeux olympiques en 2030 a particulièrement besoin de soutien. La reprise de l’entreprise par Wanhua a fait passer le nombre d’emplois de 350 à quelques dizaines ; en outre, les brevets vendus pour 1 euro ne concernent pas que les isocyanates, mais plus largement les dérivés du chlore. Ma question est simple : l’État a-t-il donné son autorisation à cet investissement ? Quelles ont été les garanties demandées en matière de protection des intérêts stratégiques, qui couvrent l’entièreté de la production de Vencorex, notamment pour la défense nationale et la production nucléaire ?
M. Marc Ferracci, ministre. Monsieur Dive, qui m’avait interrogé sur la loi Florange, est parti.
S’agissant de la régulation des relations entre les donneurs d’ordre et les sous-traitants, sur laquelle m’avait interrogé monsieur Brugerolles, les enjeux sont multiples. La filière Automobile a tenté de s’organiser de manière plus vertueuse, il y a cinq ans, en signant une charte qui n’a pas apporté les résultats escomptés, la pression des donneurs d’ordre étant restée très forte. Plusieurs sites ont dû fermer. La régulation de ces relations par l’État réclame des compétences, des moyens et une information qui ne sont pas toujours facilement accessibles.
Il faut surtout aller plus vite, plus loin, plus fort dans la diversification des équipementiers automobiles. L’exemple des Fonderies de Bretagne est emblématique des possibilités qui existent dans l’industrie de la défense ou du nucléaire. La fonderie Hachette et Driout s’est repositionnée sur ce créneau après son rachat et ses perspectives commerciales sont désormais très bonnes. En lien avec les conseils régionaux de cinq régions particulièrement marquées par l’industrie automobile, des travaux sont en cours pour cartographier les équipementiers en difficulté et leurs relations avec les donneurs d’ordre afin de déterminer avec qui les grands constructeurs automobiles ont l’intention de continuer à travailler. Les équipementiers dont les perspectives seraient plus sombres bénéficieront d’une mise à disposition des outils d’accompagnement à la diversification existants, comme le Fonds Avenir Automobile de BPIFrance. Mes équipes réfléchissent à des véhicules financiers qui permettraient un recours plus systématique aux fonds propres.
Concernant le nucléaire, le schéma global de financement des six nouveaux EPR, pour un montant cible de 67 Md€, se décompose en deux blocs : un prêt bonifié supérieur à 50 % en phase de construction et un contrat pour différence, dont nous souhaitons qu’il soit inférieur à 100 euros par mégawattheure. Soyons clair : ce n’est pas un objectif de prix. Il ne correspondra pas nécessairement au prix qui sera payé par les industriels ou les consommateurs, mais il garantira des revenus à EDF en fonction des prix du marché.
Le rachat de Vencorex a fait l’objet d’une procédure de contrôle des investissements étrangers en France, qui a suivi toutes les étapes nécessaires sans faire apparaître de restrictions.
La filière Chimie est actuellement en grande difficulté, car elle est soumise à des contraintes comparables à celles de la sidérurgie. La première est un coût de l’électricité qu’il faut faire baisser : c’est l’enjeu des négociations en cours, qui devraient se concrétiser dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois – en tout cas, avant le 1er janvier 2026, date du passage au système post-Arenh ; nous avons demandé à la direction d’EDF de cocher cette case pour ces entreprises fragiles. La deuxième contrainte tient au fait que ces entreprises sont soumises à une concurrence internationale extrêmement forte. Si nous défendons en général une préférence européenne, nous souhaitons, pour la chimie, que soient identifiées quinze molécules critiques qui feraient l’objet d’un régime dérogatoire au régime des aides d’État, afin de soutenir non seulement les investissements de recherche et développement, mais aussi les investissements de capacité et de jouer à armes égales avec les producteurs chinois et indiens.
La position de la France concernant les mesures de défense commerciale en faveur d’ArcelorMittal est encore plus rigoureuse que celle que vous avez indiquée, puisque l’alliance de l’industrie lourde, qui rassemble des pays comme l’Espagne, l’Italie et la Pologne autour de la défense de la sidérurgie et de la chimie, souhaite un quota d’importations de 15 % pour les aciers plats et de seulement 8 % pour les aciers longs. Cette position est le fruit des discussions que nous avons menées avec les industriels (notamment ArcelorMittal, Marcegaglia et Riva), lesquelles ont fait ressortir la nécessité d’une maille plus fine dans les mesures à prendre. Une clause de sauvegarde s’applique depuis le 1er avril 2015. La filière souhaite qu’un mécanisme pérenne et plus « mordant » prenne le relais en 2026. Les discussions sont en cours à ce sujet avec la Commission européenne ; celle-ci tiendra compte de plusieurs paramètres, dont la dynamique de la négociation globale avec la Chine.
La position de la France a structuré les annonces de la Commission européenne concernant la révision du MACF, qui doit permettre à nos industriels de jouer à armes égales face à l’acier qui est produit en Chine de manière extrêmement carbonée. Nous avons proposé trois directions, dont je discutais encore il y a quelques jours avec le commissaire Hoekstra. La première est qu’il faut appliquer le MACF au secteur aval, c’est-à-dire aussi aux produits transformés, comme les poêles à frire. La deuxième est de protéger nos exportateurs en leur permettant d’accéder à des quotas d’émission gratuits plus nombreux et pour une durée plus longue que celle prévue actuellement – ces quotas existent, mais ils diminuent progressivement. La troisième, la plus importante, consiste à éviter les mécanismes de contournement du MACF comme le resource shuffling, par lequel certains pays orientent la seule partie décarbonée de leur production vers l’Europe afin de ne pas payer de taxe carbone – en Chine, c’est l’acier produit avec de l’électricité renouvelable. Nous proposons de le contrer par une simplification du dispositif, qui consisterait à appliquer des « valeurs-pays » par défaut au lieu de calculer les émissions de chaque usine, ce qui pose des problèmes de contrôle et ne fait peser aucune contrainte en matière de baisse globale des émissions.
Ces mesures figurent dans le plan d’urgence pour l’acier annoncé le 19 mars par la Commission européenne, mais elles ne se sont pas encore concrétisées d’un point de vue législatif. C’est pourquoi nous restons attentifs et maintenons le contact avec le commissaire chargé du dossier.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Le PDG d’ArcelorMittal demande une modification des règles de protection aux frontières européennes non pas en 2026, mais à la fin de l’année 2025, car il faudra quatre ans pour une décarbonation pleine, laquelle est absolument nécessaire. Or, dans l’intervalle, l’industrie sidérurgique européenne est soumise à la concurrence déloyale de la Chine, qui réserve son acier décarboné à l’exportation vers l’Europe. Le MACF n’est pas adéquat pour lutter contre cette stratégie.
M. Marc Ferracci, ministre. C’est l’objectif des propositions que je viens de présenter. Le CEO d’ArcelorMittal Europe, avec qui j’ai discuté, souscrit au principe des valeurs-pays par défaut. Effectivement, le calendrier est crucial : nous avons besoin que des clauses de sauvegarde soient prises dans les prochaines semaines, en attendant l’entrée en vigueur d’un mécanisme pérenne le 1er janvier 2026.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Un projet de reprise des activités aval de Vencorex est sur la table – un projet de chimie verte porté par un groupe d’investisseurs, d’entrepreneurs et de salariés. Le problème est que ses brevets ont été bradés à Wanhua pour 1 euro, ce qui met l’entreprise en difficulté. Vous n’ignorez pas que cette grande plateforme chimique est un véritable enjeu de souveraineté industrielle.
M. Marc Ferracci, ministre. Selon les informations qui m’ont été présentées, le projet de reprise concerne des activités autour du sel qui ne sont pas concernées par la contrainte des brevets.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je vous remercie pour cet échange.
*
Informations relatives à la commission
M. Christophe Naegelen a été désigné rapporteur sur le projet de nomination, envisagée par le Président de la République, en application de l’article 13 de la Constitution, de Mme Anne Isabelle Etienvre aux fonctions d’administratrice générale du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mardi 24 juin 2025 à 17 h 50
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Karim Benbrahim, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bolo, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Julien Brugerolles, M. Stéphane Buchou, M. Julien Dive, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Maxime Laisney, Mme Nicole Le Peih, M. Robert Le Bourgeois, M. Hervé de Lépinau, M. René Lioret, M. Patrice Martin, M. Nicolas Meizonnet, M. Vincent Rolland, M. Matthias Tavel, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Jean-Pierre Vigier, M. Frédéric Weber
Excusés. - M. Harold Huwart, M. Max Mathiasin, M. Philippe Naillet, Mme Sandrine Nosbé, M. Joseph Rivière
Assistait également à la réunion. - M. Aurélien Saintoul