Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Suite de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (n° 325) (M. Yannick Neuder, rapporteur général ; M. Guillaume Florquin, M. Louis Boyard, Mme Sandrine Rousseau et M. Jean-Carles Grelier, rapporteurs) 2
– Présences en réunion.................................24
Mercredi
23 octobre 2024
Séance de 21 heures 35
Compte rendu n° 12
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence vingt et une heures trente-cinq.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission poursuit l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (n° 325) (M. Yannick Neuder, rapporteur général ; M. Guillaume Florquin, M. Louis Boyard, Mme Sandrine Rousseau et M. Jean-Carles Grelier, rapporteurs)
Après l’article 9
Amendements AS1303 de Mme Annie Vidal, AS1416 de M. Jean-François Rousset, AS131 et AS133 de M. Jérôme Guedj (discussion commune)
Mme Annie Vidal (EPR). Les bières aromatisées sucrées ou édulcorées produites par les industriels de la bière ont majoritairement pour cible les 18-25 ans, mais peuvent également attirer les personnes mineures. Ces boissons associent un goût agréable qui peut faire oublier qu’il s’agit d’alcool et un packaging conçu pour attirer l’œil des jeunes consommateurs. Ces bières, qui ne sont pas très chères, font des ravages et elles jouent un rôle important dans l’alcoolisation des jeunes, qui en consomment beaucoup.
Mon amendement, de prévention, vise donc à les taxer et à flécher les recettes correspondantes vers la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam).
M. Jean-François Rousset (EPR). De nombreuses études montrent que la santé mentale de nos jeunes se dégrade, 30 % d’entre eux consommant des psychotropes et déclarant qu’ils ne se sentent pas bien dans leur peau. Ces bières nouvelles alcoolisées et aromatisées ont pour particularité de favoriser un passage rapide de l’alcool dans le sang. Dans le cadre de la prévention et du plan de santé mentale annoncé par le Premier ministre, une taxe comportementale permettrait à la fois de développer une pédagogie pour éviter l’achat et la consommation de ces bières, et d’inciter les fabricants à limiter leur production. Cette démarche pourrait aussi alimenter les caisses de la sécurité sociale.
M. Jérôme Guedj (SOC). Les amendements consacrés au tabac, à l’alcool, aux sodas et au sucre posent la question d’une fiscalité comportementale. Notre préoccupation à tous est d’abord la santé publique, car chacune des pathologies associées à la consommation de ces produits a un impact massif sur la santé de nos concitoyens et, conséquemment, sur les finances de la sécurité sociale, dont nous avons la responsabilité.
Cette commission peut faire œuvre utile en sortant de la logique à courte vue, légitime à certains égards, de la défense d’un secteur – de fait, nous avons tous reçu de nombreuses sollicitations en ce sens. L’année dernière, notre collègue Cyrille Isaac-Sibille avait, dans le cadre du Printemps social de l’évaluation, passé en revue l’ensemble des questions liées à la fiscalité comportementale. Notre commission avait alors jugé important d’avancer dans ce domaine et nombre des amendements ici présentés sont la conséquence du rapport présenté par notre collègue au titre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss). Soyons audacieux aussi pour les recettes de la sécurité sociale, même si ce n’est pas la principale porte d’entrée.
M. le président Frédéric Valletoux. Vous avez souligné à juste titre que la plupart des amendements déposés sont sous-tendus par des motivations de santé publique et que nous devons faire le lien entre la consommation de certains produits et le développement de certaines pathologies.
M. Yannick Neuder, rapporteur général. Le fléau de l’alcool, notamment chez les jeunes, est une importante source de préoccupation, avec une mortalité de l’ordre de 50 000 morts par an. L’article 1613 bis du code général des impôts prévoit déjà une taxation des boissons dites « premix », mélangeant des boissons alcoolisées et non alcoolisées.
En l’état de la discussion, je ne peux émettre d’avis favorable à ces amendements.
M. Thibault Bazin (DR). Ces boissons sont bel et bien déjà taxées et, du reste, la branche maladie de la Mutualité sociale agricole, perçoit plus de 400 millions d’euros à ce titre, à quoi s’ajoutent encore 100 millions par an pour la taxe sur les boissons édulcorées, ce qui n’est pas rien. L’augmentation de cette taxe aura-t-elle l’effet préventif escompté sur le public visé, sans induire un report vers d’autres consommations, peut-être plus dangereuses ou plus néfastes ? Certaines taxes ont favorisé la consommation de boissons non alcoolisées, mais très sucrées. Nous devons donc être attentifs aux effets de bord dans les comportements.
Quant à l’évolution de la taxe, elle n’a pas le même impact sur les très grandes entreprises et sur les TPE artisanales, notamment les brasseries artisanales, qui font d’ailleurs parfois une prévention très efficace de la consommation d’alcool associée à la conduite auprès des personnes participant à des dégustations. Il faut examiner plus finement la question. En l’état, je suis défavorable à ces amendements.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous devons, bien sûr, avoir une discussion sur l’aspect fiscal de la lutte contre des substances dont on estime que la consommation, à diverses doses, est un danger individuel et collectif. Le rapport à l’alcool se joue certes sur les prix, mais aussi – voire surtout – dans les têtes, en fonction de l’image sociale du produit. Voilà peu encore, une présentatrice a pu déclarer à une heure de grande écoute sur une chaîne de télévision du service public que les gens qui ne buvaient pas étaient « chiants ». Si on veut infléchir la consommation d’alcool, il faut mener une action sur les normes, en combattant les idées reçues, en diffusant des connaissances scientifiquement validées sur les effets de l’alcool, afin que les gens sachent ce qu’ils consomment. Il faut aussi une politique de sensibilisation de la population. C’est ce qui permet d’agir, dans les têtes, sur le désir de consommation.
Il en découle une action sur le marché, qui ne peut pas être seulement une action prix. Elle implique de jouer également sur les restrictions d’accès à l’alcool, sur la disponibilité dans différents espaces d’achat, et d’agir aussi en matière de publicité, avec des restrictions et des pénalités. Il faut, en fait, des restrictions globales sur le plan du marketing, face à la contradiction qui fait que de grands secteurs économiques vivent de l’incitation à la consommation d’alcool. Nous ne devons donc pas agir seulement du côté du consommateur, mais aussi de ceux qui produisent le message.
M. Pierre Marle (HOR). Je me contenterai d’un témoignage : dans ma circonscription est implantée une usine Coca-Cola qui produira prochainement du whisky‑coca en boîte, qui atteindra tous types de consommateurs. Cela pose question.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Les méthodes employées pour camoufler l’alcool et pour attirer les consommateurs avec un packaging trompeur, comme c’est le cas par exemple avec les premix, pose problème. La taxation proposée permet de décourager les industriels, tout en préservant les brasseries artisanales. C’est une vraie question de santé publique.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Voilà quelques mois à peine, nous avons eu ce même débat à propos des produits dérivés du tabac, sucrés et fruités comme des bonbons afin d’attirer et de rendre dépendants des publics plus jeunes – car on sait que les produits du tabac sont addictifs. Un consensus s’était également dégagé pour dire qu’il fallait au minimum taxer ces produits et, au mieux, les interdire.
M. Yannick Monnet (GDR). Les conduites addictives sont souvent le symptôme d’un malaise bien plus profond. Il serait bon que, dans le cadre des prochains articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous puissions nous préoccuper de la santé des jeunes depuis le covid. N’oublions pas les questions liées à la prise en charge psychologique.
M. le président Frédéric Valletoux. On ne peut pas toujours considérer que tout est dans tout. Il est intéressant de s’intéresser au cancer et aux causes du cancer.
M. Yannick Monnet (GDR). C’est exactement la même chose pour l’alcool : il faut s’intéresser aux produits dont nous parlons.
M. Thierry Frappé (RN). À la demande de la Mecss, M. Isaac-Sibille et moi-même avions réalisé voilà un an et demi une étude sur les taxes sur les alcools et les sodas, qui a montré que ces taxes étaient peu efficaces en termes de santé publique, mais qu’elles l’étaient en termes de fiscalité et qu’il fallait utiliser à bon escient les sommes ainsi récupérées.
Par ailleurs, si l’incidence de la taxe soda est très faible, les échelles de taxation de l’alcool sont beaucoup trop complexes pour être efficaces. De fait, alors qu’en Angleterre on distingue trois niveaux de taxe selon le degré d’alcool, on en distingue seize en France. La taxation est donc à revoir.
M. Elie Califer (SOC). La question a manifestement un aspect à la fois médical – car le comportement des jeunes peut souvent les conduire à l’hôpital –, fiscal et comportemental. Il faut envisager la prévention et l’information, voire l’interdiction pure et simple de certaines boissons qui, sur de nombreux territoires, tuent ou laissent infirmes de nombreux jeunes qui conduisent après en avoir consommé. Nous devons nous en préoccuper, car n’importe quel enfant de CM2 peut acheter ces boissons.
M. le rapporteur général. Il était important de nous dire que nous voulons faire porter l’effort sur des produits délétères en termes de santé publique : l’alcool et le tabac, auxquels on pourrait ajouter la consommation de sucre. Des travaux parlementaires ont déjà été réalisés par le Sénat et l’Assemblée nationale. L’alcool, auquel sont liés 41 000 décès précoces, a un coût net de 3,3 milliards d’euros pour les finances publiques et un coût social de l’ordre de 102 milliards, chiffres à comparer avec les 73 189 décès prématurés liés au tabac, lequel a un coût net de 1,7 milliard pour les finances publiques, mais un coût social de 156 milliards.
On ne peut pas mener toutes les batailles en même temps et je favoriserai plutôt les amendements portant sur le tabac et la consommation de sucre.
Parmi divers travaux évoquant cette question, le rapport Bozio-Wasmer présente les pentes qu’il faudrait suivre en termes de fiscalisation pour atteindre un niveau de prix dissuasif en termes de consommation d’alcool. 10 % des 18-75 ans consomment environ 58 % de l’alcool et des solutions alternatives pourraient être appliquées, avec un prix minimum de vente par unité d’alcool pur. Cette solution, préconisée par des rapports de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2010, ainsi que par la Cour des comptes, permettrait de fixer un prix minimum de 0,50 euro pour 10 grammes d’alcool pur. Elle a été appliquée par certains pays, comme l’Écosse, l’Australie, le pays de Galles et l’Irlande. Cependant, ce dispositif majorerait considérablement le coût de l’alcool. Au demeurant, cette mesure de droit commercial ne relève pas directement, comme telle, du champ du PLFSS.
Il me semble donc préférable de nous concentrer sur le tabac et le sucre, car aucune augmentation potentielle des taxes sur l’alcool ne permettrait d’obtenir la même efficacité en termes de santé publique.
Avis défavorable sur ces amendements.
M. Nicolas Turquois (Dem). L’alcool est un problème majeur de santé publique, qui entraîne de nombreuses autres conséquences négatives. Il pose certes un problème particulier, car nous tenons à nos viticulteurs, confrontés à des années difficiles du fait de la baisse de consommation de vin, mais je suis favorable à l’esprit de ces amendements qui, même si l’effet prix n’est pas dissuasif à ce stade, représentent une première étape intéressante.
La commission adopte l’amendement AS1303.
En conséquence, les amendements AS1416 et AS131 tombent.
La commission adopte l’amendement AS133.
Amendements AS1196 de M. Nicolas Ray, AS124 de M. Jérôme Guedj, amendements identiques AS543 de M. Cyrille Isaac-Sibille et AS1582 de M. Frédéric Valletoux et amendement AS1234 de Mme Sabrina Sebaihi (discussion commune)
M. Nicolas Ray (DR). Mon amendement vise à instaurer une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits alimentaires transformés. On sait en effet que le surpoids et l’obésité augmentent fortement dans notre pays, générant des risques de maladies cardiovasculaires, de diabète et de cancer, avec un coût pour l’assurance maladie estimé à près de 9 milliards d’euros. La surconsommation d’aliments industriels surtransformés contribue à ces maladies.
La taxe proposée, qui est en quelque sorte le pendant de la taxe sur les boissons sucrées instaurée voilà quelques années, porterait ici sur les plats transformés industriels. Cette mesure avait été proposée par M. Isaac-Sibille dans une proposition de loi et, surtout, avait été votée dans le cadre du PLFSS 2024 au Sénat, à l’initiative des groupes Les Républicains et Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, mais n’a pas été retenue dans le texte adopté à la suite du recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution. Ce nouveau PLFSS nous donne l’occasion de proposer cette nouvelle recette qui favoriserait la santé et créerait une nouvelle ressource pour le financement de notre modèle social.
M. Jérôme Guedj (SOC). Les sucres ajoutés dans les produits alimentaires transformés sont un scandale majeur de santé publique. Nous devons prendre à bras‑le‑corps la dépendance organisée aux sucres ajoutés, qui tient tant à des raisons économiques qu’au marketing. Un travail parlementaire a été réalisé sur ce point, en particulier par la députée Michèle Crouzet en 2018 et par notre collègue Cyrille Isaac-Sibille, ainsi que par tous ceux qui, luttant contre le diabète ou les maladies nutritionnelles, estiment qu’il faut en finir avec ce fléau.
Il faudra peut-être tenir compte de problèmes spécifiques – j’ai ainsi été alerté par les boulangers et les pâtissiers, qui pourraient être concernés par l’application de la mesure proposée par cet amendement, alors que ce n’est pas son intention – mais nous pourrions néanmoins envoyer un signal fort au Gouvernement en votant ces amendements.
M. Jean-Carles Grelier (Dem). L’amendement AS543, qui vise à créer une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits alimentaires transformés destinés à la consommation humaine, est le fruit des travaux parlementaires et des colloques organisés par notre collègue Isaac-Sibille depuis des années. Cette contribution supplémentaire, qui relève de la fiscalité comportementale, est aujourd’hui absolument indispensable.
M. le président Frédéric Valletoux. Mon amendement reprend exactement celui de M. Isaac-Sibille, tant pour saluer son travail et sa mobilisation sur ce sujet que pour insister sur la volonté dont nous devons témoigner de lutter contre les méfaits, en termes de santé publique, d’une consommation excessive de sucre, et de faire de ce sujet un combat de notre commission.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). L’amendement AS1234 vise à instaurer une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits alimentaires. L’obésité touche 17 % de la population hexagonale et jusqu’à 31 % de la population antillaise. La prévalence du diabète est également supérieure dans les territoires d’outre-mer à ce qu’elle est dans l’Hexagone. Il n’y a plus aucun doute quant au lien entre la consommation de sucre et les pathologies graves, notamment chroniques. Les industriels planquent du sucre ajouté dans tout et n’importe quoi – aussi bien dans les friandises que dans les sandwiches préparés, les salades et même les carottes râpées –, bien souvent au nom de la rentabilité financière et au mépris total de la santé des consommateurs. La revue 60 millions de consommateurs dénonce ainsi les marges tirées par les industriels de l’hypertransformation des produits et qui les poussent à une transformation toujours plus complexe de chaque aliment primaire.
L’amendement vise à taxer les industriels en proportion de la quantité de sucres ajoutés présente dans leurs recettes. À l’image du modèle anglais, il a pour objectif de les inciter fortement à modifier leurs recettes et, ainsi, à réduire le taux de sucre présent dans leurs produits.
M. le rapporteur général. La plupart de vos amendements sont assez proches dans leur rédaction, mais il faut en choisir un : ce sera celui qui se rapproche le plus des trois préconisations suivantes du rapport de la Mecss du Sénat de mai 2024 – j’ajoute que cette question a également donné lieu, la semaine dernière, à une publication de l’Institut Montaigne.
La proposition n° 13 est de fixer des normes nutritionnelles obligatoires par voie réglementaire, afin de pouvoir imposer des plafonds pour les teneurs en sucre, sel et matières grasses dans certaines catégories d’aliments. La proposition n° 15 est d’interdire la publicité pour les aliments de faible qualité nutritionnelle ciblant les enfants et adolescents. Quant à la proposition n° 16, elle est de promouvoir un nutri-score obligatoire à l’échelle européenne. Rappelons que la moitié des publicités alimentaires vues par les enfants concernent des produits classés D ou E selon le nutri-score.
Je privilégierai donc les amendements identiques de M. Cyrille Isaac-Sibille et de M. Frédéric Valletoux. Avis défavorable sur les trois autres, s’ils ne sont pas retirés.
M. Nicolas Ray (DR). Il faut toutefois vérifier que les produits visés ne fassent pas l’objet d’une double taxation, comme le précise le IV de mon amendement.
M. le rapporteur général. C’est bien le cas avec le IV des amendements identiques. En outre, ceux-ci ne distinguent que trois catégories de produits, au lieu de quinze, ce qui permet de les différencier plus nettement.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous reconnaissons tous que le sucre est un produit dangereux, qui provoque diabète et maladies cardiovasculaire, qu’il s’agit d’un produit addictif justifiant, comme tel, des politiques publiques, et que c’est également un produit de classe, dont la consommation est inversement proportionnelle aux revenus et aux diplômes.
Cela posé, que faire ? Faut-il, comme c’est malheureusement souvent le cas, passer par des mécanismes de marché ? Nous ne sommes pas forcément hostiles à la taxation envisagée mais ne pourrions-nous pas, monsieur le rapporteur, d’ici à l’examen du texte en séance publique, considérer que, si un produit est dangereux, il ne faut peut-être pas l’autoriser ? Face à une taxation, l’industriel peut réduire ses marges en compensant cette perte par un effet de volume et le consommateur peut être prêt à payer plus cher un produit dangereux. Si nous considérons, en revanche, qu’il s’agit d’un problème de santé publique, pourquoi nous limiter à une mécanique de marché et autoriser les gens qui payent plus à s’empoisonner ? Nous pourrions discuter pour avancer collectivement vers l’idée qu’un produit dangereux n’a pas à se trouver sur les rayonnages.
M. Fabien Di Filippo (DR). Le témoignage précédent est tout à fait éclairant. C’est un cercle sans fin dans lequel on déresponsabilise complètement l’individu. Les causes de l’obésité sont à rechercher du côté de la sédentarité et du fait que les gens cuisinent de moins en moins et s’orientent vers des plats transformés. Il y a là une question d’éducation liée à nos modes de vie modernes. Nous en venons à dire qu’il faut interdire – mais quoi donc ? Les petits pains au chocolat et les Kinder Bueno ? Nous n’en sommes pas encore là.
Toutefois, la taxation ne réglera pas le problème, car elle sera entièrement et immédiatement répercutée sur le prix, avec pour seule conséquence de diminuer le pouvoir d’achat de nos concitoyens sans régler le problème de l’obésité dans la société d’aujourd’hui. Posez-vous donc vraiment la question de la sédentarité, de nos modes de vie et de nos manières de nous alimenter.
Mme Joëlle Mélin (RN). Le nutri-score n’est peut-être pas un indicateur intéressant. Un autre indicateur a été élaboré par l’Institut technique de l’agriculture biologique, émanation de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) : le planet-score, qui prend en compte non seulement la composition globale d’un produit, mais aussi chacun des produits qui le composent, ce qui permettrait de mieux faire apparaître la présence de sucre. Ce score fait également apparaître les aspects environnementaux – en particulier, s’il y a de la matière animale, l’alimentation de l’animal, le risque de pesticides et l’impact environnemental. Je ne sais pas pourquoi ce score, qui suscitait beaucoup d’intérêt voilà trois ans de la part du ministère, n’a pas vu le jour, mais il me semblerait important d’en reparler pour ne pas imposer le nutri-score, qui ne suffit pas. On sait que le sucre est sucré et que le beurre est gras !
M. Elie Califer (SOC). Les produits à destination des outre-mer subissent un surajout de sucre à des fins de conservation, avec des conséquences en matière de santé publique. Le diabète signifie souvent l’amputation. La « loi Lurel » vise bien à contrôler les niveaux de sucre dans les produits vendus outre-mer, mais elle n’est pas appliquée, faute de contrôles. Il ne s’agit donc pas seulement de taxation et de santé publique.
M. Philippe Vigier (Dem). Ces combats, que nous menons de façon transpartisane, prennent du temps – regardez l’exemple de la taxe soda.
L’augmentation des taxes sur ces produits peut conduire à une augmentation de leur prix, mais également à l’apparition de circuits d’approvisionnement alternatifs, on le voit avec l’exemple des cigarettes. Pour autant, nous ne pouvons pas transiger sur la question de la surcharge pondérale. Il y a des moments où il faut savoir dire non et l’amendement de M. Isaac-Sibille va dans le bon sens.
M. Hendrik Davi (EcoS). En 1997, la prévalence de l’obésité atteignait 8 % de la population ; elle est de 17 % aujourd’hui. Plus grave encore, chez les moins de 25 ans, ces chiffres sont respectivement de 2 % et 9 %. Les enfants, à la différence des adultes, ne sont pas en condition de faire des choix avertis d’autant que les industriels utilisent un packaging très agressif. Avant de parler de déresponsabilisation des citoyens, parlons de celle des industriels.
Les politiques publiques ne doivent pas passer uniquement par une augmentation des prix et par la taxation, la prévention est également importante, mais nous voterons ces amendements.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Beaucoup de Françaises et de Français ont un budget réduit et le premier poste qu’ils cherchent à réduire est celui de l’alimentation. Ils achètent donc ce qu’il y a de moins cher. J’ai pu constater qu’un paquet de six cheeseburgers surgelés coûte 4,25 euros alors que les faire à la maison coûte huit fois plus cher ! Ce sont les produits les plus transformés, les plus sucrés et les plus gras qui coûtent le moins cher.
M. Jérôme Guedj (SOC). L’amendement de M. Isaac-Sibille ne taxe qu’à partir de 5 kilogrammes de sucres ajoutés, alors que le mien taxe dès le premier kilogramme. Surtout, il parle en hectolitres pour des produits solides comme les biscuits ou les confiseries.
M. Christophe Bentz (RN). Nous voterons pour ces amendements, mais il nous semble souhaitable d’adosser à ces taxes une politique de prévention et d’éducation.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Je suis d’accord avec M. Guedj, l’amendement de M. Isaac-Sibille contient une erreur d’unité de mesure.
La taxation est une solution qui fonctionne, on le voit avec l’exemple de la Grande‑Bretagne.
Mme Josiane Corneloup (DR). Le planet-score est un outil intéressant, car il permet aux consommateurs de mieux choisir en fonction de l’impact des produits en termes d’émissions de carbone et d’utilisation de ressources naturelles. Je rappelle que l’alimentation représente 22 % de l’empreinte carbone de la consommation totale en France.
M. le rapporteur général. N’oublions pas que notre démarche est budgétaire : nous devons voter des taxes, à la fois pour trouver des recettes et pour modifier les habitudes de consommation afin d’assurer une meilleure qualité de vie. Ce que nous votons trouvera place dans le code de la sécurité sociale et pas dans le code du commerce, ce qui exclut des mesures telles que celles que nous avons évoquées sur l’alcool.
Madame Amiot, je suis d’accord, bien manger coûte cher. Cela pose donc un problème de pouvoir d’achat, mais pas seulement. Il y a aussi un problème d’éducation et d’information. Le nutri-score ou certaines applications peuvent contribuer à modifier les comportements grâce à une meilleure information des consommateurs.
Concernant les amendements, je pense qu’un système reposant sur trois strates est le plus efficace ; l’exemple anglais en témoigne. Par ailleurs, l’amendement de M. Isaac-Sibille contient effectivement une erreur : la quantité de sucres ajoutés déclenchant la taxation doit être exprimée en kilogramme par quintal et non par hectolitre. Je propose donc de le sous‑amender en ce sens.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). L’amendement de Mme Sebaihi répond à toutes ces exigences.
M. le rapporteur général. Parmi les amendements prévoyant trois strates, l’affectation de la taxe diffère : celui de Mme Sebaihi l’affecte au Fonds de solidarité vieillesse alors que ceux de M. Isaac-Sibille et de M. Valletoux l’affectent à la Cnam, ce qui me semble plus logique.
Je vous propose donc de sous-amender, par un sous-amendement AS1616, les amendements identiques AS543 et AS1582 afin de corriger l’erreur d’unité de mesure.
Les amendements AS1196 et AS124 sont retirés.
La commission adopte successivement le sous-amendement et les amendements identiques sous-amendés.
En conséquence, l’amendement AS1234 tombe.
Amendements identiques AS1586 de M. Yannick Neuder et AS125 de M. Jérôme Guedj, amendements AS1233 de Mme Sabrina Sebaihi, AS1086 de M. Frédéric Maillot et AS544 de M. Cyrille Isaac-Sibille (discussion commune)
M. le rapporteur général. Mon amendement suit la même logique que ceux qui viennent d’être adoptés, mais pour les boissons non alcoolisées.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Depuis la dernière législature, nous travaillons avec plusieurs députés de différents groupes politiques sur la prise en charge et la prévention de l’obésité dans notre pays et ma collègue Sabrina Sebaihi tient d’ailleurs à saluer la participation de M. Isaac-Sibille.
La logique du principe pollueur-payeur doit être appliquée aux industriels qui ajoutent du sucre aux boissons qu’ils produisent. L’amendement AS1233 propose donc une taxe, inspirée des recommandations de l’OMS et de l’exemple du Royaume-Uni et du Mexique.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). L’amendement AS1086 vise, par une demande de rapport chiffrant et analysant les évolutions de consommation de sodas et de leur modification en teneur en sucre, à attirer l’attention sur une pratique des industriels qui, pour le même produit vendu dans l’Hexagone, ajoutent davantage de sucre lorsque celui-ci est vendu en outre-mer. Cette pratique a des effets dévastateurs et le taux de diabète atteint des records en outre-mer, notamment à La Réunion.
La « loi Lurel », votée pour contrôler ces pratiques, n’est pas appliquée faute de moyens. Qu’on en arrive à devoir trouver d’autres mécanismes juridiques parce que les industriels ne respectent pas la loi m’apparaît fort dommage, d’autant que les Ultramarins en paient le prix fort.
M. Philippe Vigier (Dem). L’amendement AS544 s’inscrit dans la continuité des travaux transpartisans réalisés notamment avec M. Thierry Frappé dans le cadre du Printemps social de l’évaluation.
M. le rapporteur général. Les amendements identiques AS1586 et AS125 proposent, par rapport à l’amendement AS1233, un tableau simplifié et une modification des tranches.
Par souci d’efficacité pour limiter la consommation de certaines boissons, il me semble préférable d’adopter un amendement proposant une taxe plutôt qu’un amendement, comme l’amendement AS1086, qui demande un rapport.
Avis favorable aux amendements identiques et demande de retrait pour les autres amendements ou, à défaut, avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur général, vous opposez, d’un côté, la liberté de l’industrie et la liberté de choix des consommateurs et consommatrices et, de l’autre, la régulation.
Nous sommes d’accord sur l’objectif – réduire la teneur en sucre, sel ou acides gras de certains aliments et boissons –, mais nous ne le sommes pas sur les moyens d’y parvenir. Je note que la liberté de l’industrie n’est pas totale : certaines substances – colorants allergènes, substances cancérogènes – sont déjà interdites. Pourquoi ne pas interdire le sucre à partir d’un certain taux ? Si vous voulez par principe recourir aux mécanismes du marché, cette interdiction pourrait se concrétiser par une taxe à 100 %.
La commission adopte les amendements identiques.
En conséquence, les amendements AS1233, AS1086 et AS544 tombent.
Amendements identiques AS1587 de M. Yannick Neuder et AS134 de M. Mickaël Bouloux et amendement AS440 de M. Nicolas Thierry (discussion commune)
M. le rapporteur général. Mon amendement vise à rehausser les taux, tarifs et minima de perception, y compris en Corse, des cigares et cigarillos, cigarettes, tabacs à rouler, tabacs à chauffer, autres tabacs à fumer ou à inhaler, tabacs à priser et tabacs à mâcher. Plusieurs rapports et études montrent l’efficacité de l’outil fiscal pour dissuader la population, et particulièrement les plus jeunes, de consommer du tabac.
Il prévoit une trajectoire plus forte en 2025, 2026 et 2027 que celle actuellement prévue par le code des impositions sur les biens et les services pour arriver à un prix de 16 euros pour un paquet de cigarettes au lieu de 13.
M. Arthur Delaporte (SOC). L’amendement AS134 a été travaillé en concertation avec l’Alliance contre le tabac. Il reprend les recommandations de l’OMS.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). L’amendement AS440 est défendu.
M. le rapporteur général. Avis favorable aux amendements identiques. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable à l’amendement AS440.
M. Philippe Vigier (Dem). L’augmentation continuelle du prix du tabac ces dernières années s’est accompagnée d’une augmentation des volumes du tabac de contrebande partout sur le territoire et plus simplement dans les zones frontalières. Cette augmentation ne diminuera pas la consommation et elle est un mauvais coup porté aux buralistes. Je vous invite donc, monsieur le rapporteur général, à la plus grande prudence, faute de quoi je m’opposerai à vous.
Tant que la traçabilité des paquets ne sera pas assurée, il est nécessaire de mettre les pays de l’Union dans une situation de concurrence loyale.
M. Thomas Ménagé (RN). Il faut combattre la consommation de tabac – je sais, à titre personnel, combien c’est de la merde –, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Ces amendements n’atteindront pas leur objectif, car on observe une stabilisation de la prévalence tabagique depuis cinq ans alors que, dans le même temps, le prix du paquet de tabac a augmenté de 3 euros. La contrefaçon se développe partout. Nos buralistes souffrent en outre de concurrence déloyale puisque, depuis mars 2024, le volume autorisé d’importation de tabac depuis d’autres pays de l’Union européenne a été multiplié par quatre. Nous voterons contre ces amendements.
M. Michel Lauzzana (EPR). L’efficacité de l’augmentation des prix sur la consommation de tabac a été prouvée. Le phénomène dont parle M. Philippe Vigier est réel, mais reste marginal. Quant aux chiffres qui ont été évoqués, ce sont ceux de l’industrie du tabac.
Certes, les circuits parallèles existent : dans ma circonscription, certains vont acheter leur tabac en Espagne. Toutefois, une augmentation massive des prix contribue bien à diminuer la consommation de tabac. Celle-ci remontant ensuite progressivement, nous demandons que l’augmentation des prix soit désormais proportionnelle à l’inflation, afin de maintenir son efficacité.
M. Arthur Delaporte (SOC). Nous avons chaque année le même débat, avec les mêmes arguments : les frontaliers et la contrebande rendraient inefficace cette politique de santé publique. En réalité, leur impact est marginal par rapport à l’effet prix, qui prédomine dans les comportements collectifs de consommation, comme le démontrent la plupart des études. Nous devons faire confiance à la science plutôt qu’à l’industrie du tabac.
M. Thibault Bazin (DR). En Lorraine, lorsque les frontières ont été fermées pendant l’épidémie de covid, l’activité des buralistes a soudainement augmenté de 40 %, pour diminuer d’autant après le déconfinement. Par ailleurs, on observe, notamment de la part des jeunes, un transfert vers d’autres produits parfois plus dangereux. L’innovation des produits assimilés au tabac, bien qu’ils s’en distinguent par leur apparence, pose de véritables défis. Nous devons aussi innover et nous adapter, comme nous l’avons fait par le passé.
Le développement de la contrebande et les achats transfrontaliers concourent à l’élasticité prix. Aussi longtemps qu’il n’existera pas de fiscalité sur ces produits à l’échelle européenne, les difficultés persisteront dans les zones transfrontalières. Par ailleurs, le caractère marginal des achats transfrontaliers doit être mis en regard avec le nombre de régions transfrontalières en France : elles sont plus nombreuses que celles qui ne le sont pas ! Je voterai contre ces amendements.
M. Arnaud Simion (SOC). L’efficacité de l’augmentation des prix sur la consommation de tabac a été prouvée à plusieurs reprises : dans le cadre du plan cancer 2003‑2007, puis entre 2017 et 2020, lorsque la fixation du prix du paquet à 10 euros a permis d’abaisser la prévalence chez les jeunes de 29,4 % en 2016 à 24 % en 2019 ; chez les lycéens, celle-ci est même passée de 17,5 % en 2018 à 6,2 % en 2022. Néanmoins, nous devons nous intéresser sérieusement à la consommation d’autres produits, comme le protoxyde d’azote, qui est une véritable calamité chez les jeunes.
M. le président Frédéric Valletoux. Je vous proposerai sans doute de continuer à travailler sur la question de la consommation de tabac. Je suis partisan de l’application du protocole de l’OMS, qui fait consensus autant chez les buralistes que parmi les professionnels de santé et l’ensemble des acteurs luttant contre la consommation de tabac. Signé par la France en 2012, il vise à imposer aux producteurs de limiter le volume de leurs livraisons à la consommation de chaque pays. Au Luxembourg, en Andorre, en Allemagne ou en Belgique, les volumes livrés correspondent à cinq ou six fois la consommation domestique. La régulation des livraisons permettrait de revivifier le réseau des buralistes, tout en assurant une traçabilité contribuant à lutter contre le trafic illégal et la consommation transfrontalière.
Les signaux que nous enverrons ce soir sont d’autant plus importants que la directive européenne sur les produits du tabac sera débattue dans quelques semaines au Parlement européen. Elle avait fait l’objet d’un lobbying particulièrement intense il y a quelques années, qui témoigne des nombreux intérêts qui y sont attachés.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements AS441 de M. Nicolas Thierry, AS1394 de M. Jean-François Rousset et amendements identiques AS241 de M. Jérôme Guedj et AS1235 de Mme Sabrina Sebaihi (discussion commune)
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Alors que l’obésité est de plus en plus répandue chez les enfants, le lien avec la commercialisation de produits alimentaires et de boissons trop riches en sucre, sel ou matières grasses a déjà été établi par l’OMS. Après de nombreuses années à se contenter d’attendre la bonne volonté des industriels, force est de constater l’échec des mesures non contraignantes.
En matière de marketing, les annonceurs ont accru leur pression sur les produits alimentaires riches en sucre, sel ou matières grasses, ainsi que sur les sodas. Ce faisant, ils participent aux changements de comportement alimentaire des plus jeunes et au développement de l’épidémie de surpoids et d’obésité, qui affectera profondément l’avenir du système de protection sociale.
En l’absence de cadre réellement contraignant, l’amendement AS441, issu de propositions de la Ligue nationale contre le cancer, vise à soumettre la publicité pour ces produits au versement d’une contribution qui sera affectée à la branche maladie de la sécurité sociale.
M. Jean-François Rousset (EPR). La publicité, quel que soit son support, pousse les jeunes à adopter des comportements addictifs : ils consomment de plus en plus d’aliments surdosés en sucre, ce qui a pour conséquence d’augmenter le nombre de cas de diabète, de maladies cardiovasculaires et d’obésité. Cet amendement a pour objet de taxer les fabricants de produits alimentaires néfastes pour la santé qui utilisent la publicité pour favoriser leurs ventes. Le produit de cette taxe serait affecté à la branche maladie de la sécurité sociale.
Mme Sandrine Runel (SOC). L’amendement AS241 vise à rendre obligatoire la mention du nutri-score sur tous les supports publicitaires pour les denrées alimentaires, sauf si les industriels versent une contribution qui pourrait être affectée à la sécurité sociale.
Le nutri-score est un étiquetage nutritionnel graphique, recommandé par le ministère de la santé, qui a été conçu, entre autres, par Santé publique France. Utilisé dans d’autres pays européens, il permet de mieux informer et de sensibiliser les consommateurs dans leurs choix, d’inciter les industriels à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits et de promouvoir une alimentation saine.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). L’amendement identique AS1235 vise à rendre obligatoire l’apposition du nutri-score sur l’ensemble des supports publicitaires pour des denrées alimentaires. Cet indicateur, qui est un élément essentiel d’aide à la prise de décision pour les consommateurs, est encore trop peu utilisé : 95 % des produits ainsi étiquetés proviennent de TPE et de PME.
Plusieurs grands industriels, comme Coca-Cola ou Ferrero, en refusent toujours l’application, dissimulant sciemment la qualité nutritionnelle de leurs produits, souvent trop riches en sucre, en matières grasses ou en sel, et trompant ainsi leurs consommateurs quant à l’impact de leurs produits sur la santé. Cela illustre leur manque de responsabilité face à l’urgence de santé publique que constituent l’obésité et les maladies en découlant. Cette opacité affecte directement la santé de millions de consommateurs au quotidien.
M. le rapporteur général. Avis défavorable puisque nous venons d’adopter les amendements AS543 et AS1582 instaurant une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits alimentaires transformés destinés à la consommation humaine.
On pourrait taxer les produits alimentaires à différentes étapes – la commercialisation, la publicité –, mais l’idée n’est pas de tuer l’industrie agroalimentaire. Il s’agit d’avoir un effet dissuasif pour le consommateur et de l’inciter à privilégier les aliments qualitatifs.
M. Arthur Delaporte (SOC). Mes chers collègues, je vous invite à voter comme Frédéric Valletoux ou comme Olivier Véran, qui avait déposé en 2019 des amendements visant à généraliser le nutri-score.
Le Sénat a malheureusement supprimé, en commission, une disposition de la proposition de loi dont je suis coauteur, visant à imposer aux influenceurs l’utilisation du nutri-score – disposition pourtant votée par l’Assemblée nationale. Non seulement le nutri‑score a un rôle informatif, mais il a aussi des effets sur les comportements de consommation. Or la promotion des produits sucrés à destination des plus jeunes se fait beaucoup par le biais des influenceurs. Adopter l’amendement AS241 permettrait de confirmer la volonté exprimée à plusieurs reprises par l’Assemblée.
M. Thibault Bazin (DR). L’objectif ici consiste à réduire le nombre de personnes obèses. La taxe est-il le moyen le plus efficace d’influer sur la publicité ? Je ne le crois pas. Une approche beaucoup plus globale, reposant notamment sur l’éducation à l’alimentation, est nécessaire.
Les personnes que nous ciblons ne sont pas nécessairement celles qui sont touchées par les mesures que nous prenons. Certaines sont influencées par leur entourage familial plutôt que par les messages publicitaires ou les contenus diffusés par les influenceurs. La précarité et les comportements addictifs tendent à se renforcer ; taxer ne peut être l’alpha et l’oméga des politiques publiques. Je crains que nous ne perdions de vue les véritables objectifs du PLFSS.
M. Jean-François Rousset (EPR). Le nutri-score est certes un outil incontournable, mais dans mon département de l’Aveyron, qui est très fier de ses appellations d’origine protégée et contrôlée, il est considéré comme néfaste pour certains produits, qui sont trop salés ; les agriculteurs y sont farouchement opposés. En réalité, le nutri-score devrait être proportionnel à la quantité mangée : ainsi, la portion moyenne de roquefort ne pèse que 18 grammes.
M. Hendrik Davi (EcoS). Une politique de santé publique est un tout : nous avons parlé du signal prix, qui a fait l’objet d’un consensus, mais il faut prendre en considération les autres moyens permettant de la mener à bien. Tout d’abord, l’information des consommateurs : en la matière, si le nutri-score n’est pas la panacée, il devrait néanmoins être obligatoire. En tant que consommateur, je ne comprends pas qu’il ne le soit pas et je n’achète pas les produits qui en sont dépourvus. L’autre moyen consiste à limiter la publicité pour les produits dangereux. Il ne s’agit pas de voter une loi Evin sur les produits sucrés, mais d’en taxer la publicité.
M. Jérôme Guedj (SOC). Il est passionnant de pouvoir tenir un débat sur le nutri‑score dans cette commission, en présence d’un ancien ministre de la santé. Monsieur Valletoux, qu’est-il arrivé à l’arrêté portant sur le nouvel algorithme du nutri-score, qui était prêt dès le 1er janvier ? Je sais que vous êtes un défenseur du nutri-score, mais celui-ci a aussi des adversaires, notamment au Gouvernement, qui s’appuient sur de mauvais arguments – personne ne veut nuire aux AOP ! La vraie question est la suivante : pourquoi Danone a‑t‑il retiré le nutri-score de certains de ses produits classés D ou E ?
Alors que la France a été pionnière en ce domaine, grâce à Serge Hercberg, qui a présidé le programme national nutrition santé, elle connaît désormais un recul de l’usage de cet outil. Compte tenu du blocage actuel des réflexions au niveau européen, il serait judicieux d’envoyer des signes montrant notre attachement au nutri-score et notre volonté d’en renforcer l’usage. C’est ce que permet mon amendement, qui vise à taxer les producteurs qui ne l’affichent pas pour les inciter à le faire.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Taxer la publicité, c’est insuffisant : nous devons avoir une vision d’ensemble. Sur des paquets de biscuits diététiques, le nutri-score est déjà médiocre alors qu’ils ne contiennent pas de sucres ajoutés : imaginez la quantité de sucre des produits qui ne l’affichent pas ! Compte tenu de l’épidémie d’obésité, dont nous constatons les conséquences dans d’autres pays, il est à la fois simple et essentiel d’adopter les amendements renforçant l’impact du nutri-score.
Mme Joëlle Mélin (RN). Le nutri-score présente des défauts. Tout d’abord, il influence le comportement des consommateurs : il peut amener à acheter ou à ne pas acheter certains produits, comme M. Davi l’a très bien expliqué ; il agit également sur la culpabilité.
Ensuite, il ne prend pas en considération des éléments importants, contrairement au planet-score évoqué par Mme Corneloup, qui comporte des indicateurs environnementaux – en particulier la toxicité des produits d’origine animale. Les consommateurs doivent être beaucoup mieux informés sur les produits qu’ils mangent. Dans un contexte général d’appréhension vis-à-vis de la nourriture, le nutri-score en particulier est trop simpliste et restreint la liberté des gens.
M. le président Frédéric Valletoux. À titre personnel, je souscris aux propos de M. Guedj quant au signal fort que représenterait l’adoption de ces amendements, d’autant que la France a été pionnière dans la promotion du nutri-score.
La séance est suspendue de vingt-trois heures quinze à vingt-trois heures vingt.
M. le rapporteur général. En complément des amendements adoptés un peu plus tôt, nous pourrions adopter un second volet de taxes additionnelles. L’amendement AS441 propose 10 % de taxation, mais s’appuie sur les données de Santé publique France, qui manquent de fiabilité. L’amendement AS1394 vise à instaurer une taxe de 5 %, mais ne s’appuie ni sur les chiffres de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), ni sur ceux de Santé publique France. Quant aux amendements identiques AS241 et AS1235, ils reposent sur des données publiées par l’Anses, qui est la référence en ce domaine. Je suis donc favorable à ces derniers, dont la taxation me semble en outre plus raisonnable, et défavorable aux autres.
Successivement, la commission rejette les amendements AS441 et AS1394 et adopte les amendements identiques.
Amendement AS126 de M. Jérôme Guedj
M. Jérôme Guedj (SOC). Cet amendement, élaboré avec l’association Addictions France, vise à taxer les publicités pour les boissons alcoolisées, compte tenu de la mortalité liée à la consommation d’alcool. Cette taxe abondera le fonds de lutte contre les addictions et permettra de faire de la prévention une priorité de la politique de santé publique.
M. le rapporteur général. Je me suis déjà exprimé à ce sujet lors de notre discussion sur le tabac, l’alcool et les produits sucrés. Avis défavorable.
Mme Annie Vidal (EPR). J’ai déposé un amendement identique à celui de M. Guedj. J’aimerais comprendre pourquoi il a été considéré comme irrecevable.
M. le président Frédéric Valletoux. Sa rédaction ne prévoyait pas l’affectation de l’imposition créée.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS175 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). Les répartiteurs pharmaceutiques remplissent des missions de service public : ils ont l’obligation de détenir et de livrer la quasi-totalité des spécialités de médicaments commercialisés ; ils ne sont pas libres de fixer les prix et leurs marges sont réglementées.
La combinaison de ces obligations avec les règles fiscales en vigueur a pour conséquence l’application d’une fiscalité trop lourde et, parfois, la distribution à perte de certains médicaments. Les répartiteurs pourraient renoncer à distribuer ces derniers, entraînant l’allongement des délais d’approvisionnement pour les pharmacies et les officines.
Cet amendement vise à corriger la taxation à laquelle ils sont soumis s’agissant de la distribution des spécialités pharmaceutiques au coût élevé : les médicaments dont le prix dépasse 2 500 euros seraient exonérés du paiement de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S).
M. le rapporteur général. Je comprends votre intention, puisque la C3S, comme la plupart des impôts de production, est néfaste à la compétitivité de ce secteur. Je suis favorable à la diminution de la contribution sur les ventes en gros (CVEG), parce que l’inspection générale des finances relève qu’une taxation du chiffre d’affaires est source de distorsion du fait de la grande variabilité des ventes réalisées selon les différents secteurs et l’organisation productive des filières. Par ailleurs, le chiffre d’affaires ne constitue pas un reflet fidèle de la capacité contributive d’une entreprise puisqu’il est indépendant des bénéfices. Enfin, la C3S n’a pas d’équivalent chez nos voisins européens.
Toutefois, parce qu’il pose un problème juridique, je vous demande de retirer cet amendement. Vous souhaitez, pour les répartiteurs, que l’assiette de la C3S ne comprenne que « la partie du prix de vente hors taxes des spécialités pharmaceutiques aux officines, inférieure à un montant de 2 500 euros augmenté de la marge maximum que ces entreprises sont autorisées à percevoir sur cette somme ». Ce n’est pas clair : le montant de 2 500 euros s’apprécie-t-il pour chaque médicament, chaque officine ou chaque transaction ? Ce point doit être précisé avant de déposer à nouveau votre amendement pour l’examen en séance publique.
M. Thibault Bazin (DR). Ce que je souhaite, c’est que nos répartiteurs pharmaceutiques continuent à livrer les médicaments partout en France, à toutes les officines, et qu’ils ne soient pas incités à abandonner les produits coûteux en raison d’une combinaison de règles problématique. Je comprends que vous êtes prêt à bouger sur la CVEG mais pas sur la C3S. Cela suffira-t-il à résoudre le problème que je soulève ? Le sort des amendements qui suivent le dira. Je retire cet amendement mal rédigé.
M. le rapporteur général. Je vous suggère de retravailler l’amendement en l’orientant vers une diminution de la CVEG et en précisant si vous visez le médicament, l’officine ou la transaction.
L’amendement est retiré.
Amendements AS905 de M. Benjamin Lucas-Lundy, amendements AS174 et AS173 de M. Thibault Bazin (discussion commune)
M. Sébastien Peytavie (EcoS). L’amendement AS905 vise à augmenter les taux marginaux de la contribution due par les entreprises de vente en gros de spécialités pharmaceutiques et par les entreprises assurant l’exploitation d’une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques. Cette mesure permet de financer notre système de sécurité sociale en augmentant les taux de la CVEG s’appliquant tout particulièrement aux entreprises qui rétrocèdent des marges importantes aux pharmacies sur certaines spécialités pharmaceutiques.
Le prix des médicaments est bien souvent un frein majeur à l’accès aux soins et un facteur de dépenses pour l’assurance maladie. L’amendement que nous vous proposons doit permettre soit d’augmenter les recettes par le biais de la taxe définie à l’article L. 318-2 du code de la sécurité sociale, soit de diminuer les dépenses en remboursement par des prix raisonnables.
M. Thibault Bazin (DR). L’objet des amendements AS174 et AS173 est contraire à celui de l’amendement présenté par M. Peytavie.
La situation économique des répartiteurs pharmaceutiques est connue. Beaucoup ont des déficits majeurs. Ils remplissent, pour la plupart, des missions de service public, pour lesquelles ils ne fixent pas leurs marges, quel que soit le prix des médicaments. Ce n’est pas dans les hypercentres des métropoles que leur activité est en péril, mais dans les territoires reculés. Alourdir leur fiscalité alors même qu’ils sont en déficit pose problème.
S’il s’agit de viser les rétrocessions de marges, il n’est pas cohérent de viser les deux premières parts de la CVEG, qui ne les concernent pas. Les rétrocessions sont pratiquées entre pharmaciens et répartiteurs pharmaceutiques, sans incidence sur le prix ni sur la disponibilité des médicaments. En outre, elles font l’objet de contrôles et sont taxées.
Je propose de procéder à la baisse de la CVEG que vous avez esquissée, monsieur le rapporteur général. Idéalement, il faudrait la supprimer pour améliorer la lisibilité de l’ensemble, tant elle représente une usine à gaz pour l’administration de la santé. Toutefois, j’ai conscience des difficultés budgétaires que nous connaissons. Au socle commun, nous sommes très soucieux d’agir de façon responsable.
C’est pourquoi je propose de ramener le taux de la CVEG à 1,5 % dans l’amendement AS174, ou mieux à 1 %, dans l’amendement AS173. Cela aiderait les répartiteurs pharmaceutiques à rétablir une forme d’équilibre financier. Dans le contexte de pénuries de médicaments que nous connaissons, les répartiteurs pharmaceutiques sont des acteurs neutres permettant d’assurer la distribution équitable des faibles quantités disponibles de certaines références, notamment aux plus vulnérables dont je sais que vous êtes soucieux.
M. le rapporteur général. J’émets un avis très défavorable à l’amendement AS905, qui consiste à augmenter une taxe pesant sur des structures dont Thibault Bazin a bien montré qu’elles sont souvent en déficit. En tant que rapporteur général, je tiens à adopter une position d’équilibre, ce qui m’amène à émettre un avis favorable à l’amendement AS174, qui complète bien l’amendement AS175 dont j’ai suggéré la réécriture pour en préciser la cible, et un avis défavorable à l’amendement AS173.
L’amendement AS173 étant retiré.
La commission rejette l’amendement AS905 puis adopte l’amendement AS174.
Amendements identiques AS728 de Mme Justine Gruet et AS1574 M. Frédéric Valletoux
Mme Josiane Corneloup (DR). L’amendement AS728 est défendu.
M. le président Frédéric Valletoux. Mon amendement vise à faciliter le développement des médicaments biosimilaires qui, cinq ans après leur commercialisation, ont peu pénétré le marché, contrairement aux génériques. Les amendements visent à autoriser les pharmacies à substituer les médicaments biosimilaires et hybrides aux médicaments biologiques, afin qu’ils perçoivent une remise identique.
M. le rapporteur général. Je suis favorable à toute disposition visant à favoriser la prescription de médicaments biosimilaires.
La commission adopte les amendements.
Amendements identiques AS1300 de Mme Annie Vidal et AS1530 M. Hendrik Davi et amendement AS129 de M. Jérôme Guedj (discussion commune)
Mme Annie Vidal (EPR). Il s’agit d’une taxe comportementale. D’après l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), le produit des taxes sur l’alcool couvre 42 % du coût des soins induits par sa consommation, qu’il s’agisse de cancers ou d’autres pathologies.
Mon amendement vise à appliquer la cotisation sécurité sociale à tous les alcools et non seulement à ceux titrant à plus de 18 %. Cette nouvelle rédaction de cette cotisation spécifique aux boissons alcooliques est équitable. Elle permettra d’abonder la branche maladie de la sécurité sociale tout en favorisant des comportements d’amélioration de la santé, comme cela a été constaté dans les pays européens ayant adopté une telle taxation.
M. Hendrik Davi (EcoS). L’alcool est la deuxième cause de cancer évitable. Il est cancérigène au premier verre, contrairement à ce que l’on peut entendre dire. Il est la première cause d’hospitalisation en France.
Une étude récemment publiée a démontré que le doublement des taxes sur l’alcool ou l’introduction de l’unité d’alcool minimum réduit la consommation de 10 %. Bien entendu, l’effet prix doit être complété par d’autres mesures, telles qu’une politique de réduction des risques et une politique de décommercialisation. La fiscalité française sur les boissons alcooliques est basée sur le type d’alcool plutôt que sur le volume d’alcool. Or l’OMS recommande d’agir sur le prix de tous les alcools.
Mon amendement vise à harmoniser la fiscalité sur l’alcool à rebours de cette spécificité française. Seuls les alcools titrant à plus de 18 % d’alcool sont concernés par la cotisation sécurité sociale, qui sert à alimenter la branche maladie de la sécurité sociale. Nous proposons de l’étendre à tous les alcools. Le whisky n’est pas le seul alcool nocif ; le vin rouge et la bière le sont aussi. Rien ne justifie que seul le whisky contribue.
Cette mesure aura un impact sur le prix des alcools les moins chers vendus en vrac, qui sont les plus consommés par les jeunes et par les consommateurs excessifs. Cette nouvelle rédaction de cette cotisation spécifique aux boissons alcooliques est équitable. Elle permettra d’abonder la branche maladie de la sécurité sociale tout en favorisant des comportements d’amélioration de la santé, comme cela a été constaté dans les pays européens ayant adopté une telle taxation, tel le pays de Galles.
Contre l’avis du rapporteur général, la commission adopte les amendements identiques.
En conséquence, l’amendement AS129 tombe.
Amendements identiques AS1284 de M. Hadrien Clouet, AS1298 de Mme Annie Vidal et AS1529 de M. Hendrik Davi, amendement AS128 M. Jérôme Guedj
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Mon amendement s’inscrit sinon dans la fiscalité dite comportementale, du moins dans la réflexion générale sur le prix des substances jugées dangereuses du point de vue de la santé publique. En matière d’alcool, les taxes présentent la spécificité de ne pas suivre complètement l’inflation. Leur hausse est plafonnée à 1,75 %, même si l’inflation est de 3 % ou 4 %.
L’amendement vise à supprimer ce plafond afin de laisser les taxes pesant sur l’alcool progresser au rythme de l’inflation, selon une sorte d’échelle mobile non des salaires, mais de la santé publique.
M. Arthur Delaporte (SOC). L’amendement AS128 repose sur la même argumentation. Que le relèvement annuel de la taxation des boissons alcooliques soit plafonné à 1,75 % en période de forte inflation est difficile à comprendre, à tout le moins contre-intuitif.
M. le rapporteur général. Avis défavorable.
Je suis globalement favorable à la hausse des taxes comportementales, mais nous ne pouvons pas taxer tout le monde en permanence. La différence entre le tabac et l’alcool sur ce point est fondée sur les chiffres : le tabac provoque 73 000 décès précoces, l’alcool 41 000 ; son coût social est de 156 milliards d’euros, contre 102 milliards pour l’alcool.
L’exemple des autres pays européens montre que, pour obtenir une dissuasion réellement efficace ayant des effets en matière de santé publique, il faut procéder à de fortes majorations des tarifs, qui de surcroît ne sont probablement pas compatibles avec le maintien de l’activité viticole. C’est pourquoi nous avons opté, en matière de fiscalité comportementale, pour l’alourdissement de la taxation du sucre, en y allant franchement sur la taxe soda comme cela n’avait jamais été le cas à l’Assemblée nationale. Quant à l’amendement visant à faire passer le prix du paquet de cigarettes de 12 à 16 euros, il n’a pas été adopté. J’émettrai un avis défavorable à tout amendement visant à alourdir la fiscalité de l’alcool.
M. Nicolas Turquois (Dem). Je suis le premier à lutter contre la consommation d’alcool, mais je me demande si chacun ici a conscience de ce que nous faisons. La filière viticole est dans une situation impossible. Les conditions météorologiques empêchent toute récolte, ce qui est une source de stress pour les exploitants. Des gens sont dans un état de tension n’ayant rien à voir avec ce que j’appellerai du syndicalisme de bas étage, et qui provoque une véritable souffrance. De surcroît, la consommation de vin s’écroule, ce qui est un vrai sujet de préoccupation.
Je déplore le message que nous envoyons, même si nous y reviendrons en séance publique. En la matière, il faut être très prudent. Par ailleurs, boire un verre de vin – un seul – à table fait partie d’une certaine culture qui présente des intérêts et pas uniquement des inconvénients. Le message que nous avons envoyé est dramatique.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). L’alcool est un enjeu de santé publique qui ne se réduit pas au nombre de décès prématurés qu’il provoque. « Rien remplit plus l’hôpital et l’tribunal », chante Orelsan dans L’Odeur de l’essence. L’alcool est aussi un enjeu dans les violences intrafamiliales et dans les violences de rue. Il doit donc être pris en compte, du point de vue de la santé publique, non seulement à l’aune des décès prématuré qu’il provoque mais aussi en incluant toutes ses conséquences sur la société. L’argumentation de M. le rapporteur général me semble un peu légère et ne me convainc pas de ne pas voter ces excellents amendements.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous nous efforçons, à vingt-trois heures quarante‑huit, d’être concis. Nous pourrions développer pendant de longues heures les arguments en faveur du renforcement de la lutte contre les addictions. M. le rapporteur général a fait état des chiffres qu’il a sous les yeux ; il n’en résulte pas qu’il néglige les réalités que vous avez rappelées à raison. Ne mettez pas sur le dos d’un effort de synthèse la présentation forcément restreinte d’un problème global.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je ne suis pas convaincu non plus par l’argumentation de M. le rapporteur général. Elle ne s’applique pas, me semble-t-il, à ces amendements, qui sont un peu différents des précédents. Il ne s’agit pas de majorer une taxe, mais de ne pas la minorer. Il ne s’agit pas d’être plus dissuasif, il s’agit de ne pas l’être moins. La limitation de l’augmentation du taux de taxation de l’alcool à 1,75 % signifie que, en cas de forte inflation, la taxe diminue. Il ne s’agit pas de durcir la fiscalité de l’alcool mais d’en prévenir l’éventuel assouplissement.
M. Hendrik Davi (EcoS). Pour ma part, je suis même choqué par le raisonnement consistant à comparer des statistiques de décès : 40 000 décès prématurés provoqués par l’alcool, ce sont 40 000 décès de trop ! Vous faites entendre une petite musique selon laquelle on ne peut pas tout faire. Si, on peut tout faire : il faut mener une politique de prévention en matière de santé sur l’alcool, le tabac et les sucres.
Je suis également choqué par votre observation sur l’activité viticole. Je comprends bien le problème : soyons francs, nous avons moins d’amis chez Marlboro et chez Coca-Cola que parmi les viticulteurs ! On évite de taper les sympathiques viticulteurs mais on accepte de taper Marlboro et Coca-Cola. Très sincèrement...
M. Nicolas Turquois (Dem). Ce sont des gens ! Ce sont des personnes ! Je ne supporte pas les propos de ce genre. Il y a des familles qui sont au bord de la crise de nerfs ! Avez-vous déjà vu un agriculteur au bord du suicide ? Sortez de votre bureau ! Sortez de votre ville ! Je suis outré !
M. Hendrik Davi (EcoS). J’ai vécu pendant des années dans le Vaucluse ; je connais très bien les Bouches-du-Rhône ; j’ai travaillé à l’Inrae. Je connais les viticulteurs. Là n’est pas le problème. Il y a aussi des salariés chez Marlboro.
La question est de savoir comment faire une politique de santé publique et comment réduire la consommation de produits dangereux. Il est inévitable que les viticulteurs en subissent les conséquences. Il va de soi qu’il faut les accompagner. La consommation de vin diminue, c’est un fait. Il faut accompagner l’arrachage des vignes, qui est dans certains cas un crève-cœur, et passer à d’autres productions.
La baisse de la consommation de vin est culturelle ; il faut l’accompagner. On ne peut pas justifier l’insuffisance des politiques publiques de prévention par la nécessité de préserver la situation des viticulteurs. Cela ne peut pas fonctionner.
M. Arthur Delaporte (SOC). Ne pas taxer l’alcool parce qu’on accepte de taxer le tabac est un argument irrecevable. Si l’alcool provoque 46 000 décès par an et coûte 102 milliards d’euros par an, comme l’affirme l’OFDT, il doit faire l’objet d’une politique de santé publique. La financer en taxant les consommateurs est classique. Limiter la hausse du taux de taxation à 1,75 % lorsque l’inflation oscille entre 3 % et 4 % est absurde. Il y a là quelque chose de délirant, de contre-intuitif.
Par ailleurs, notre collègue Davi a eu raison de faire allusion à l’influence du lobby de l’alcool à l’Assemblée nationale et dans de nombreuses circonscriptions. J’ai eu l’occasion d’observer, lors de l’examen de la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, sa capacité à formuler des propositions aux députés et à les faire adopter.
M. Thibault Bazin (DR). Supprimer le plafonnement de l’évolution du prix de l’alcool, dans le contexte d’inflation qui prévaut actuellement, aura pour effet de l’augmenter. Quel en sera l’effet sur la consommation ? Il ne faut pas se raconter d’histoires : la sensibilité à la hausse du prix de l’alcool des consommateurs souffrant d’addiction est nulle. Ce n’est pas une hausse de son prix de quelques centimes d’euros qui les aidera à corriger le tir.
En revanche, le modèle économique des producteurs a été profondément affecté au cours des derniers mois. Nous ne pouvons pas le modifier. Certains ont des problèmes de stocks ; tous s’inscrivent dans un marché ouvert et sont exposés à la concurrence, notamment de produits de moins bonne qualité ou moins taxés.
Voter ces amendements me semble profondément malvenu. Nous n’atteindrons pas l’objectif visé et nous ferons subir des externalités négatives à ceux qui méritent tout notre soutien, d’autant qu’ils agissent en matière de prévention de l’alcoolisme et de promotion des produits de qualité. Or l’alcool produit en France est souvent de meilleure qualité que les produits dangereux pour la santé vendus en masse dans la grande distribution.
M. Nicolas Turquois (Dem). Le travail contre la consommation d’alcool, il faut le mener. Cela n’a rien à voir avec l’existence de lobbies – s’il en existe un, c’est à mes yeux celui du tabac.
Ce que je tiens à rappeler, c’est que l’année 2024 a été catastrophique du point de vue climatique. En raison de pluies continuelles, les gars n’ont même pas pu entrer dans leurs parcelles pour y récolter le raisin. De surcroît, la consommation diminue et les stocks gonflent.
Dans ces conditions, adopter, à vingt-trois heures trente, un amendement alourdissant la fiscalité de l’alcool, hors de tout projet construit, a un effet délétère, pour ne pas dire catastrophique. Il va de soi qu’il faut mener des politiques de santé publique de lutte contre la consommation d’alcool. Adopter à vingt-trois heures un amendement sorti de nulle part, dans le contexte d’une année climatique catastrophique, n’y contribue en rien.
M. le rapporteur général. Au terme d’une longue journée de débats sur la prévention en santé, j’aimerais qu’on ne travestisse pas mes propos.
Monsieur Davi, ayez l’honnêteté de reconnaître que je n’ai jamais refusé de taxer davantage l’alcool au motif que nous taxons plus lourdement le sucre ou le tabac. J’ai dit que le levier fiscal n’est pas le seul moyen de lutter contre les conduites addictives.
Monsieur Boyard, vous avez fait allusion, en citant un chanteur connu, aux problèmes d’accidentologie et d’engorgement des services d’urgence. Je les connais. Soyons clairs, ces problèmes n’ont rien à voir avec les produits de la filière viticole. Ils sont provoqués par d’autres alcools.
J’ai simplement dit qu’obtenir un effet dissuasif en matière de santé publique suppose d’augmenter fortement le prix de l’alcool, ce qui est possible non dans le cadre du code de la sécurité sociale, mais du code de commerce. Dans notre quête de recettes, nous avons examiné celles issues de la consommation de tabac, d’alcool et de sucre. Sous l’angle de la santé publique, nous avons cherché à inscrire dans le présent PLFSS des recettes supplémentaires, dont l’objet n’est pas de taxer des produits par leur aspect commercial.
Les pays européens où les mesures incitatives en matière d’alcool fonctionnent sont ceux qui en ont fortement augmenté le prix, non dans le périmètre de leur sécurité sociale mais dans le cadre de leur code de commerce. J’invite ceux qui souhaitent ouvrir ce débat à l’inscrire dans le bon véhicule législatif.
Par ailleurs, je comprends l’agacement de M. Turquois. On n’a jamais vu quiconque se présenter aux urgences pour un excès de consommation de côtes-du-rhône ou de bordeaux. Chacun sait qu’il s’agit d’autres alcools. Aucune alcoolisation n’est souhaitable, mais il faut veiller à ne pas s’en prendre à un art de vivre dont l’aspect culinaire et viticole n’a rien à voir avec les forts volumes de consommation constatés lors des soirées, dans la vraie vie.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous abordons, depuis lundi à dix-sept heures et spécialement depuis le début de cette réunion, des sujets difficiles et complexes. Nous sommes parvenus à le faire dans des débats qui ne sont ni caricaturaux ni approximatifs. Nous nous efforçons d’avoir, dans la nuance des propos de chacun, un débat constructif.
Nous essayons de construire des voies de passage aussi consensuelles que possible sur des sujets ayant profondément divisé cette commission par le passé. Jamais la commission des affaires sociales n’a pris des décisions aussi avancées que celles que nous avons prises ce soir, notamment au regard du lobbying et sur d’autres sujets délicats et clivants. J’ai l’impression que nous avons fait œuvre utile, en avançant plutôt collectivement. Gardons-nous de surréagir à de rares propos qui peuvent gratter l’oreille !
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). L’alcool reste de l’alcool, qu’il soit consommé occasionnellement ou en raison d’une addiction. On peut finir aux urgences en ayant bu trop de côtes‑du‑rhône. Il ne faut pas laisser croire que certaines boissons alcoolisées sont moins dangereuses que d’autres !
M. le président Frédéric Valletoux. Vous avez raison, de même que le rapporteur général. Ne nous égarons pas dans des débats qui nous empêcheraient de progresser dans l’examen du texte.
La commission rejette successivement les amendements.
La réunion s’achève à zéro heure trois.
Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, M. Louis Boyard, M. Elie Califer, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, Mme Sophie Delorme, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, M. Jean-Carles Grelier, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Élise Leboucher, M. René Lioret, Mme Christine Loir, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Hanane Mansouri, M. Pierre Marle, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, Mme Joséphine Missoffe, M. Christophe Mongardien, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, Mme Lisette Pollet, Mme Angélique Ranc, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier
Excusés. – Mme Béatrice Bellay, Mme Karine Lebon
Assistaient également à la réunion. – M. Arthur Delaporte, Mme Émeline K/Bidi, M. Nicolas Ray