Compte rendu

Commission
des affaires sociales

 Examen du rapport de la mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques (Mmes Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau, rapporteures)              2

– Présences en réunion.................................25

 


Mercredi
11 décembre 2024

Séance de 10 heures 45

Compte rendu n° 31

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président

 


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La réunion commence à dix heures quarante-cinq.

(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)

 

La commission des affaires sociales examine le rapport de la mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques (Mmes Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau, rapporteures).

 

M. le président Frédéric Valletoux. Mes chers collègues, la situation politique générale nous a conduits à ajourner nos travaux parlementaires mais nous poursuivons nos travaux, notamment nos activités de contrôle et d’évaluation.

J’ai le plaisir d’accueillir à la tribune Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat, rapporteures d’un travail de longue haleine sur la situation des urgences psychiatriques. Leur rapport, de grande qualité, contient de nombreux chiffres, données, constats et propositions sur ce sujet particulièrement sensible.

Mesdames les rapporteures, je vous cède la parole pour nous présenter vos conclusions, en vous remerciant pour le travail que vous avez mené ensemble et que nous sommes heureux de découvrir.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Je tiens tout d’abord à remercier Sandrine Rousseau pour le travail que nous avons mené conjointement depuis près d’un an, de manière très efficace et agréable, ce qui prouve la possibilité du travail transpartisan. La réalisation de ce rapport a été un temps à la fois plaisant et difficile car nous avons effectué beaucoup de déplacements. Il me semble important que nous puissions travailler entre parlementaires de deux partis politiques différents.

Je remercie également nos collaborateurs, qui ont été très présents et efficaces.

Enfin, j’adresse des remerciements particuliers à nos deux administrateurs pour leur compétence, leur performance et leur présence. Ils nous ont accompagnées avec beaucoup de diligence et d’intérêt dans la rédaction de ce rapport détaillé qui, je l’espère, marque le début du travail sur la santé mentale.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Je m’associe à tous ces remerciements et souligne à mon tour notre excellente entente avec Nicole Dubré-Chirat et l’absence de divergences sur le rapport, ce qui mérite d’être souligné dans la période actuelle.

Un an après le début de nos travaux, nous sommes heureuses de pouvoir vous présenter les conclusions de la mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques, lancée sous la précédente législature.

Le terme de mission d’information n’a jamais si bien porté son nom. Ce travail avait été lancé en réponse à des alertes que nous sommes nombreux et nombreuses à avoir reçues sur nos circonscriptions de la part des acteurs du monde de la psychiatrie. Il suscite en conséquence une attente très forte.

Je rappelle par ailleurs que ce travail a bien failli ne pas voir le jour avec la dissolution de l’Assemblée nationale mais, à raison de deux jours par semaine dédiés aux auditions et visites de terrain, nous avons pu entendre au total plus de 360 acteurs et personnels – professionnels de santé, patients, aidants, responsables institutionnels, associatifs et syndicaux – venant de toute la France, y compris des outre-mer.

Cette mission nous a conduites à nous aventurer en dehors des sentiers battus, dans les services d’urgences hospitalières, dans les centres d’accueil et de prise en charge des urgences psychiatriques mais aussi en prison ou à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de Paris, en unités hospitalières spécialement aménagées ou en unités pour malades difficiles. Nous avons également pris part à une maraude dans les rues et les gares parisiennes, avec des équipes spécialisées en psychiatrie et précarité, qui a renforcé notre conviction quant à l’utilité des équipes mobiles pour aller au-devant des personnes les plus vulnérables et éloignées des soins.

Nous avons visité des centres hospitaliers (CH), des centres hospitaliers universitaires (CHU) ainsi que des établissements publics comme privés de santé mentale et avons accordé une attention toute particulière à la prise en charge des plus jeunes et des mineurs. Nous avons également visité un service de santé étudiante, sans nous désintéresser du grand âge, puisque nous avons consacré un cycle d’auditions à la psychiatrie du sujet âgé.

Notre mission, longue et intense, s’achève et, d’ici quelques jours, le passage à une nouvelle année marquera peut-être l’avènement, avec un nouveau gouvernement, de la grande cause nationale dédiée à la santé mentale.

Je crois que le rapport que nous vous présentons montre le sérieux du travail que nous avons accompli ensemble. Malgré nos divergences politiques et les péripéties récentes de la vie institutionnelle, ce que nous avons appris sur l’évolution de la santé mentale de la population depuis la crise sanitaire, et en particulier celle des plus jeunes, nous oblige collectivement à une prise de conscience et à une action résolue en faveur de la jeunesse et de l’avenir de notre société.

Chers collègues, ne soyez pas rebutés par le volume de ce rapport. Nous vous invitons à le parcourir dans sa totalité mais nous vous en avons préparé une synthèse qui, évidemment, vous en facilitera la lecture.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Notre rapport comporte trois parties.

Dans la première partie, nous analysons l’évolution de la santé mentale de la population française, en particulier depuis la crise sanitaire et chez les jeunes, et sa traduction dans les venues aux urgences et en centres de crise. Nous montrons que l’activité de psychiatrie d’urgence est en forte croissance, plus encore que celle des urgences générales pour d’autres motifs. Aussi, si la notion d’urgence ne fait pas consensus en psychiatrie, l’urgence devient malheureusement le point d’entrée dans le parcours de soins.

Dans la deuxième partie, nous revenons plus en détail sur les dysfonctionnements constatés dans la prise en charge par les services d’urgences, qui traduisent une crise profonde de la psychiatrie. Nous relevons de multiples problématiques dans la prise en charge et montrons que les établissements publics sont particulièrement touchés et subissent une triple peine : l’obligation d’assurer le service public, de moindres rémunérations et des conditions de travail dégradées.

Enfin, dans la troisième partie, nous constatons que les politiques actuellement mises en place ne sont pas suffisantes face à l’ampleur des besoins. Nous formulons, à travers cinq axes, des propositions précises et concrètes pour mieux prévenir et prendre en charge les urgences.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Dans la première partie du rapport, nous montrons d’abord que la notion d’urgences psychiatriques reste mal définie. Il n’existe pas de service dédié à leur prise en charge, pour la simple et bonne raison que la prise en charge de la crise psychique est censée relever des missions traditionnelles du secteur psychiatrique et qu’en cas d’urgence, de l’avis général des psychiatres, un examen somatique préalable du patient est nécessaire avant toute prise en charge en psychiatrie.

Nous objectivons ensuite la dégradation préoccupante des indicateurs de santé mentale depuis 2020, qui entraîne une croissance de l’activité d’urgence. Je me permets d’insister vraiment sur ce point, car les indicateurs montrent une situation extrêmement préoccupante. Nous observons une détérioration rapide de la santé mentale de la population française ces dernières années.

Cette détérioration concerne particulièrement les jeunes. En effet, chez les 18-24 ans, la prévalence des épisodes dépressifs a augmenté de 77 % entre 2017 et 2021, passant à 20,8 % de la population de cet âge.

Cette dégradation est particulièrement alarmante chez les jeunes femmes. Les hospitalisations liées aux gestes auto-infligés, c’est-à-dire aux tentatives de suicide et auto‑agressions chez les femmes âgées de 10 à 19 ans, ont progressé de 133 % entre 2020 et aujourd’hui, et de 570 % entre 2007 et aujourd’hui.

Dans le même temps, la consommation de médicaments psychotropes chez les jeunes a augmenté de façon inquiétante : 936 000 jeunes de 12 à 25 ans ont bénéficié du remboursement d’au moins un psychotrope en 2023, ce qui représente 19 % de plus qu’en 2019.

Cette souffrance psychique se traduit par une hausse de l’activité d’urgence depuis fin 2020. Le nombre de passages aux urgences pour motif psychiatrique a augmenté de 21 % entre 2019 et 2023, c’est-à-dire que la croissance des passages aux urgences pour motif psychiatrique est plus dynamique que l’activité d’urgence dans son ensemble. Pourtant, aucun des récents rapports sur les urgences hospitalières ne fait état de ce phénomène parce qu’il n’était pas connu avant nos travaux, notamment à cause de la difficulté à coder l’activité de psychiatrie aux urgences.

Cette activité repose largement sur les secteurs public et privé à but non lucratif, qui accueillent 80 % de ces épisodes de crise. Alors que le virage ambulatoire s’est traduit par la suppression de 7  000 places d’hospitalisation complètes en psychiatrie en quinze ans, seuls les hôpitaux publics et privés à but non lucratif ont vu leur capacité diminuer, avec une baisse de 10 400 places depuis 2008, quand 3 700 places étaient créées en parallèle dans le secteur privé lucratif. Le virage ambulatoire n’a pas compensé ces suppressions de lits par des places, puisque seules 2 000 places ambulatoires ont été créées sur la période. Le rythme des fermetures de lits s’est emballé de manière préoccupante après la crise sanitaire en raison du manque de personnel pour maintenir les lits ouverts.

Le secteur privé lucratif gère désormais près d’un quart des capacités, en forte augmentation depuis 2008. Cet essor est facile à comprendre. La psychiatrie est tout simplement la discipline la plus rentable du secteur privé lucratif, avec un taux de marge qui avoisine 9 %. Ce contraste avec la situation des hôpitaux publics, en véritables difficultés, est d’autant plus saisissant que ce sont ces derniers qui assurent la permanence des soins, la prise en charge des patients les plus lourds ainsi que les hospitalisations sous contrainte.

Alors que l’offre de soins psychiatriques est notoirement insuffisante et trop complexe en amont de la crise et que les solutions d’aval manquent cruellement, les services d’urgences se retrouvent saturés par une orientation par défaut et tardive des patients en crise psychique, qui peuvent attendre dans des conditions rudimentaires pendant des jours, voire des semaines, qu’une place en hospitalisation se libère. Nous avons entendu de nombreux témoignages de personnes en contention dans les services d’urgences. La prise en charge est alors souvent tardive dans un état de santé dégradé, faisant des urgences un point d’entrée incontournable dans le système de soins psychiatriques.

Notre première partie s’achève sur les soins psychiques en prison, où les troubles psychiatriques sont largement surreprésentés. Si les soins psychiatriques en milieu pénitentiaire sont régis par des dispositifs spécifiques, comme les unités hospitalières spécialement aménagées, créées depuis 2010, ces dispositifs sont largement sous‑dimensionnés. La psychiatrie reste mal appréhendée par l’institution judiciaire, ce qui accroît la proportion de malades en détention, du fait de biais de procédure notamment. Dans ce contexte, des lieux de privation de liberté deviennent un autre point d’entrée dans les soins psychiques et psychiatriques.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Dans cette deuxième partie, nous revenons sur les nombreux dysfonctionnements constatés dans la prise en charge des urgences qui matérialisent la crise profonde de la psychiatrie en France. Nous voyons que la prise en charge est conditionnée par les moyens disponibles davantage que par des standards de qualité clairement définis.

Il en résulte une corrélation qui semble admise par tous entre le manque de moyens humains et matériels et la prévalence du recours à la contention des patients. Nous avons pu constater dans nos déplacements que certains services n’utilisaient pas du tout la contention parce qu’ils avaient du personnel en nombre et formé. Le passage par les services d’urgences, s’il peut permettre de répondre à une situation immédiate, est associé à une expérience de violence, inhérente au secteur psychiatrique et aux urgences, qui affecte les conditions de travail des soignants et de traitement pour les patients.

Pire, en raison de la saturation de l’offre de soins de ville, la venue aux urgences ne permet pas toujours d’engager un parcours de soins. Pour de nombreux patients, la prise en charge par les urgences tend à se substituer à un suivi psychiatrique. Alors que le recours aux urgences pour motif psychiatrique augmente, la part des nouveaux patients pris en charge par le système de soins psychiatriques s’érode tendanciellement, de l’ordre de 8 % entre 2019 et 2023.

Les contraintes de l’ensemble du secteur convergent vers les secteurs d’urgences, qui ne sont pas toujours équipés pour gérer ces crises psychiques. Ainsi se banalise à tous les niveaux un fonctionnement en mode dégradé et, en l’absence de permanence des soins réellement organisée et d’une répartition équitable de la charge entre établissements, cela pèse exclusivement sur le secteur public. Toutes ces conditions sont propices à la survenue de drames, comme ce fut le cas au CHU de Toulouse en février 2024 dans une succession d’accidents regrettables et graves.

La crise actuelle invite également à reconsidérer l’évolution des moyens financiers et humains dévolus à la psychiatrie.

Concernant les moyens financiers, alors que la réforme du mode de financement historique de la psychiatrie suscite des appréhensions, il nous semble qu’elle va dans le sens d’un rééquilibrage salutaire entre public et privé, dont nous ne percevrons les effets qu’en 2026. Nous constatons également, loin des idées reçues, que la dépense moyenne de soins remboursée par malade, corrigée de l’inflation, a baissé de 6 % entre 2016 et 2022.

Concernant les moyens humains, nous voyons que la densité relativement élevée de psychiatres est mal répartie et ne permet pas de répondre aux besoins. La hausse des effectifs, s’élevant à 21 % entre 2010 et 2023, est un trompe-l’œil car elle est essentiellement liée au recours aux retraités actifs et, dans une moindre mesure, à des intermittents ainsi qu’à des médecins à diplôme étranger.

Dans la deuxième partie, nous revenons sur la pédopsychiatrie, totalement sinistrée et caractérisée par une offre de soins cruellement insuffisante, particulièrement dans le contexte d’explosion de la souffrance psychique des jeunes que nous connaissons depuis 2020. Le nombre de pédopsychiatres a chuté 34 % entre 2010 et 2022. La démographie de la profession est alarmante et le renouvellement générationnel n’est pas assuré. Pour vous en convaincre, je vous invite à regarder la pyramide des âges présentée en page 136 du rapport provisoire qui vous a été adressé.

Par ailleurs, 58 % des lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie ont été fermés entre 1986 et 2013, tandis que certains départements sont toujours dépourvus de capacités d’accueil à temps complet. Les centres psychologiques infanto-juvéniles sont saturés. Il n’est pas rare que les délais de rendez-vous se comptent en mois, voire en année, jusqu’à dix‑huit ou vingt‑quatre mois.

La prévention est quant à elle défaillante, notamment en milieu scolaire, où la médecine est elle-même déficiente.

Dans ce contexte, la prise en charge des mineurs est souvent inadaptée, dans des conditions qui peuvent être traumatisantes lorsqu’ils doivent être hospitalisés dans des unités d’adultes. Elle est parfois même impossible, ce qui entraîne des pertes de chance évidentes. En 2023, 123 enfants de moins de 15 ans s’étant présentés aux urgences du CHU de Nantes pour des idées suicidaires ou une tentative de suicide n’ont pu être hospitalisés et ont dû retourner à leur domicile, alors même que le pédopsychiatre avait évalué l’intérêt d’une hospitalisation avec une indication formelle.

L’état des lieux est d’autant plus alarmant que les défaillances actuelles de la pédopsychiatrie hypothèquent la santé mentale d’une génération d’enfants. C’est toute la société qui en paiera le prix une fois cette génération arrivée à l’âge adulte. À Lille, nous avons eu l’occasion de voir que les enfants de 5 ou 6 ans n’étaient plus pris en charge pour privilégier les adolescents. Ainsi, dans dix ans, nous connaîtrons le retour de cette nonprise en charge.

Dans la troisième partie de notre rapport, nous présentons nos vingt et une recommandations, organisées selon cinq axes, pour apporter un nouveau souffle aux politiques publiques en matière de santé mentale et psychiatrie.

Saluons d’abord les avancées permises par la feuille de route en santé mentale et psychiatrie portée par M. Franck Bellivier, délégué ministériel depuis 2018, qui produit des effets positifs. Nous pouvons par exemple penser au déploiement du dispositif VigilanS, au maintien du contact avec l’auteur d’une tentative de suicide, au numéro national de prévention du suicide, à la formation de 200 000 secouristes en santé mentale ou encore à l’amélioration du dispositif Mon soutien psy, qui avait bénéficié à 381 000 patients en août 2024.

L’action publique reste toutefois très méconnue et ne permet pas de répondre de manière satisfaisante à l’ampleur des enjeux. Nous proposons d’y remédier par nos axes prioritaires.

Dans les recommandations, le premier axe consiste à renforcer l’offre de soins de premier niveau pour éviter le passage aux urgences psychiatriques.

Cet axe suppose de mieux outiller les médecins généralistes, qui sont souvent le premier recours face aux troubles psychiques, par un stage obligatoire en psychiatrie pendant l’internat de médecine générale et par la mise à disposition d’un numéro territorial pour solliciter des conseils auprès de psychiatres afin d’améliorer considérablement les prescriptions de psychotropes aux jeunes.

Il est en outre indispensable de renforcer les moyens des centres médico-psychologiques (CMP), qui sont les pivots du secteur psychiatrique, et d’en élargir les horaires d’ouverture.

Nous appelons par ailleurs à simplifier l’organisation territoriale des soins psychiatriques pour la rendre plus lisible, moins complexe et plus accessible, et éviter les doublons en mutualisant les moyens des différents dispositifs.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Le deuxième axe de nos recommandations porte sur la structuration d’un parcours de prise en charge d’urgence clair et accessible. Nous préconisons d’établir un parcours de soins de l’urgence psychiatrique commun à tous les territoires, clair et gradué, impliquant à l’entrée de généraliser le volet psychiatrique dans l’ensemble des services d’accès aux soins (SAS) et, en sortie de parcours, de systématiser le suivi post-urgence des patients, tout en suivant cet indicateur dans le cadre de la démarche qualité. Pendant le parcours aux urgences, cet axe appelle à modifier les conditions d’accueil, et notamment à créer des lits dédiés au sein des unités d’hospitalisation de courte durée, afin de limiter l’attente des patients.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Le troisième axe invite à mobiliser davantage le secteur privé dans un système de soins aujourd’hui saturé. Cet axe nécessite une révision des obligations de permanence des soins des établissements de santé pour inclure la psychiatrie. Il s’agit par ailleurs de garantir un quota de lits de service public en psychiatrie dans chaque territoire, y compris dans les cliniques, pour fluidifier la filière d’aval des urgences et éviter la concentration excessive des prises en charge dans le secteur public.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Le quatrième axe vise à soutenir particulièrement la pédopsychiatrie et la santé mentale des jeunes. Nous appelons à une révolution de la santé mentale dans l’éducation nationale, à la mise en place des recommandations des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant de 2024, à la prévision des mesures ciblées pour les enfants protégés – particulièrement vulnérables – et la psychiatrie périnatale ainsi que la garantie d’une offre de soins pédopsychiatriques homogène et adaptée aux besoins sur tout le territoire. Nous appelons par ailleurs de nos vœux un diagnostic sur l’usage croissant des psychotropes et un renforcement des moyens de prévention grâce à la médecine scolaire.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Le dernier axe de nos préconisations vise à améliorer la formation et l’attractivité des métiers de la psychiatrie. L’offre de formation doit être rapidement et massivement renforcée par l’augmentation des effectifs de psychiatres et d’infirmiers en formation initiale, par le développement de passerelles ou encore par la hausse du nombre d’infirmiers en pratique avancée (IPA). La filière doit par ailleurs être rendue plus attractive à travers une campagne de communication et des stages obligatoires pour déstigmatiser les métiers de la psychiatrie. Enfin, il s’agira de commanditer un audit sur les conditions de travail en psychiatrie et, dans le même temps, d’améliorer ces dernières par de meilleures rémunérations.

Les attentes du secteur sont très fortes. Nous devons collectivement nous assurer que le prochain gouvernement œuvrera concrètement au sursaut de la psychiatrie à travers le maintien de la grande cause nationale et de la déclinaison des actions qui y seront associées. Mais ne nous y trompons pas, cette grande cause nationale ne sera une réussite que si elle passe par un portage au plus haut niveau, accompagné de moyens supplémentaires substantiels et d’une participation effective du secteur privé. La psychiatrie et son organisation se situent aujourd’hui à un moment décisif et des choix politiques capitaux sont nécessaires pour définir une stratégie de long terme.

Dans cette perspective, nous organiserons en janvier ou en février à l’Assemblée nationale un colloque réunissant les principaux acteurs du secteur. Plus largement, nous formons le vœu que nos travaux se poursuivent par la rédaction d’une proposition de loi transpartisane sur la santé mentale et la psychiatrie, en cohérence avec la grande cause nationale proclamée en 2025.

M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie pour la densité de votre travail, que traduisent bien vos interventions.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Angélique Ranc (RN). Ce rapport sur la prise en charge des urgences psychiatriques nous rappelle à quel point l’état de la santé mentale en France est préoccupant. Il l’est bien sûr pour les millions de Français qui estiment que leur santé mentale est négligée par le système de santé. Il l’est également pour les 9 % de nos concitoyens qui ont envisagé le suicide ou l’automutilation au cours de l’année passée. Il l’est en particulier pour les plus jeunes, avec 1 500 000 enfants et adolescents souffrant de problèmes psychiques.

Toutefois, laissez-moi vous rappeler que cet état de fait n’est pas nouveau. Dès l’époque des restrictions sanitaires, le Rassemblement national alertait sur l’état de santé mentale des Français. En 2022, lors du grand oral « santé » de l’élection présidentielle, Marine Le Pen appelait déjà une loi sur la santé mentale et la psychiatrique pour une meilleure prise en charge des patients.

Pourtant, malgré les promesses, de nombreux professionnels du secteur ont l’impression que les efforts du Gouvernement ne sont pas à la hauteur. Il était donc plus que temps de désigner la santé mentale comme grande cause de l’année 2025.

Dans ce contexte, j’aimerais mettre l’accent sur le manque de personnel dans le milieu des urgences psychiatriques. En effet, nous observons dans la prise en charge des urgences psychiatriques un manque alarmant de psychiatres et d’infirmiers en santé mentale, qui influe sur la qualité de prise en charge des urgences. Cette carence est notamment due au manque d’attractivité de la psychiatrie, avec de mauvaises conditions de travail et de trop faibles rémunérations.

Dans ce contexte, avez-vous prévu des leviers d’action afin de rendre ce secteur plus attractif ? Le Rassemblement national peut d’ores et déjà vous proposer une piste de réflexion, à savoir l’exonération totale de l’impôt sur le revenu pour les praticiens libéraux opérant dans le domaine de la psychiatrie lorsqu’ils entrent dans le champ du cumul emploi-retraite. Cette exonération, dans la lignée de la proposition de loi présentée par notre groupe en septembre dernier, permettrait de motiver les psychiatres retraités toujours en exercice. Ces derniers représenteraient en effet 10 % des psychiatres recensés par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques en 2023. Cette mesure de bon sens serait un bon début afin de remédier au problème de manque de personnel.

Mme Annie Vidal (EPR). Au nom du groupe Ensemble pour la République, je tiens à remercier nos deux rapporteures d’avoir mené à terme leurs travaux malgré les perturbations provoquées par la dissolution en juin dernier. Je me réjouis de la présentation de ce rapport très dense de grande qualité.

Le Premier ministre Gabriel Attal et son successeur Michel Barnier ont tous deux souligné, lors de leur discours de politique générale, l’attention particulière qu’ils souhaitaient accorder à la santé mentale. Nous émettons aujourd’hui le vœu que le prochain Premier ministre réserve à ces questions une place au moins aussi importante dans sa feuille de route.

Les troubles psychiques prennent une place de plus en plus importante au sein des enjeux de santé publique, cette dynamique ayant été largement alimentée par la crise sanitaire liée à la pandémie de covid‑19 et les mesures prises afin de lutter contre cette dernière. Sur ce point, votre rapport fait écho au récent débat que nous avons eu dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Chantal Jourdan au sujet de la santé mentale des jeunes. Nous ne pouvons rester de marbre face au constat que le nombre des 18-24 ans concernés par la dépression a pratiquement doublé entre 2017 et 2021.

Les difficultés sont multiples et la réponse à leur apporter doit être très globale. Ainsi, si le renforcement de l’offre de soins psychiatriques apparaît indispensable afin de répondre à la demande actuelle, l’accent doit également être mis sur la prévention et le repérage précoce des troubles psychiques. Votre rapport faisant le parallèle entre les urgences générales et les urgences psychiatriques, ce raisonnement semble en tout point transposable des unes aux autres, ce qui rend particulièrement pertinentes vos recommandations tenant à l’amélioration de la structuration du parcours de prise en charge des patients, notamment au moyen du SAS.

Sans reprendre une par une l’ensemble de vos recommandations, nous réaffirmons ici notre volonté de soutenir toute mesure de nature à résoudre les problématiques constatées dans votre rapport, ainsi que nous l’avons toujours fait ces dernières années.

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Je vous remercie pour ce travail fourni, de qualité et riche en données factuelles et chiffrées. J’attendais ce rapport avec impatience car je fais partie de ces milliers de soignants de la psychiatrie publique qui attendent des actions concrètes.

Définitivement, nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. La psychiatrie, dans toutes ses transversalités, est en crise. Vous le démontrez très bien dans votre rapport.

Vous notez bien la difficulté de faire le distinguo entre santé mentale et psychiatrie, qui me semble être un enjeu essentiel et l’un des leviers importants dans nos réponses en matière de politiques publiques.

Nous ne pouvons rester insensibles aux chiffres sur la hausse des hospitalisations chez les jeunes filles, mais aussi, dans une moindre mesure, chez les jeunes garçons. Je me demandais si, lors de vos auditions et déplacements, vous avez pu percevoir un lien avec les violences sexuelles et sexistes et les chiffres alarmants de l’inceste. Nous constatons que pour les prises en charge liées à ces violences, le dispositif Mon parcours psy n’est pas suffisant.

Je vous rejoins totalement sur la nécessité de formation pour les médecins généralistes. Je formule sans succès cette proposition au moment de l’examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Nous y arriverons peut-être à un moment donné.

L’un des points qui me préoccupent le plus dans votre rapport et vos préconisations est la place du secteur privé. Vous démontrez bien qu’en même temps que la baisse capacitaire de la psychiatrie publique s’aggrave, les capacités augmentent dans le privé. Nous arrivons à un stade où cela donne l’impression que le secteur privé serait la seule solution. J’émets une alerte sur ce sujet.

Par ailleurs, avez-vous pu mesurer l’impact de la loi n° 2023-379 du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé ?

Enfin, je vous informe que dans le cadre du Comité d’évaluation et de contrôle, avec Josiane Corneloup, nous axerons notre travail sur la justice et la prison.

M. Joël Aviragnet (SOC). Je tiens tout d’abord à saluer l’immense travail réalisé par nos collègues dans ce rapport, salutaire au vu de la dégradation dramatique de la santé mentale des Français.

La situation des urgences psychiatriques est alarmante, particulièrement depuis la pandémie de covid-19. Les services d’urgences sont devenus les principaux points d’entrée dans les soins psychiatriques, créant un phénomène constant de saturation. Ce phénomène est exacerbé par un manque de lits, une désorganisation des parcours de soins et une démographie médicale insuffisante, notamment en pédopsychiatrie, qui connaît une situation de quasi-effondrement.

Par ailleurs, les chiffres rapportés sur la santé mentale des jeunes, notamment des jeunes femmes, sont particulièrement préoccupants. L’augmentation dramatique des hospitalisations pour gestes auto-infligés, en hausse de 133 % depuis 2020, est le signe d’une crise qui dépasse le cadre strictement sanitaire.

Votre rapport appelle avec raison à une action publique ambitieuse articulée autour de plusieurs axes essentiels, notamment le renforcement de l’offre de soins de proximité, la structuration d’un parcours pour les urgences psychiatriques, la mobilisation du secteur privé et la revalorisation des métiers de la psychiatrie. Il me semble impératif que ces recommandations soient suivies d’effets concrets.

Mesdames les rapporteures, vous faites également valoir l’importance des CMP comme premier niveau de réponse. Cependant, l’accès y est souvent limité par des délais d’attente très longs, parfois près d’un an ou davantage. Quelles solutions d’urgence recommanderiez-vous pour rendre ces centres plus accessibles et, peut-être, plus connus de la population, notamment pour les publics les plus vulnérables, comme les jeunes en détresse ou les personnes précaires ? Cela aurait le mérite de désengorger les services d’urgences psychiatriques, leur permettant de n’assurer que leurs fonctions d’origine.

Mme Josiane Corneloup (DR). Au nom du groupe Droite Républicaine, je tiens à saluer le travail approfondi et rigoureux réalisé à l’occasion de ce rapport, qui met en lumière la détérioration rapide de la santé mentale en France, particulièrement chez les jeunes, avec une prévalence des épisodes dépressifs, en hausse de 77 % en quatre ans chez les 18-24 ans. Ce rapport souligne aussi les enjeux cruciaux auxquels sont confrontées nos urgences psychiatriques, avec une hausse de 21 % des passages aux urgences pour motif psychiatrique de 2019 à 2023.

Alors que tous les établissements ne disposent pas d’équipes pluridisciplinaires expérimentées et d’espaces adaptés, la prise en charge est marquée par de fortes inégalités territoriales. Pour de nombreux patients en attente de diagnostic ou qui n’ont pas accès à un parcours de soins adapté, la prise en charge par les urgences tend à se substituer à un suivi psychiatrique.

Les propositions qui émanent de ce rapport semblent être des leviers efficaces et opérationnels pour améliorer à la fois la prise en charge des patients et les conditions de travail des équipes soignantes.

Tout d’abord, je mentionnerai le soutien plus important en faveur de la pédopsychiatrie et de la santé mentale des jeunes. En plus de la hausse des épisodes dépressifs chez les 18-24 ans, les hospitalisations liées à un geste auto-infligé ont augmenté de 133 % chez les femmes depuis 2020.

Il est donc essentiel de mettre un accent fort sur la prévention, sur la sensibilisation au bien-être psychique et sur un repérage précoce de ces situations.

Il est également essentiel de renforcer l’offre de soins de premier niveau pour garantir une prise en charge précoce, graduée et homogène sur tout le territoire pour prévenir les urgences psychiatriques.

Vous évoquez en outre la nécessité de favoriser la coordination entre les différents acteurs pour une orientation plus aisée dans un parcours de soins. L’organisation de soins est en effet peu lisible et fragmentée. Il est essentiel de structurer un parcours de prise en charge d’urgence clair et accessible.

Il est donc temps d’agir et je crois que nous avons besoin de moyens humains et financiers mais également d’une vraie stratégie qui traite de l’amont et de l’aval.

Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Les chiffres sont sans appel. Les hospitalisations liées à des gestes auto-infligés chez les adolescentes ont explosé de 133 % depuis 2020 et de 570 % depuis 2007. C’est une génération qui sombre dans une souffrance silencieuse, renforcée par les pressions sociales, les violences sexistes et sexuelles et des injonctions qui s’abattent particulièrement sur les jeunes filles. Cette explosion de tentatives de suicide, des épisodes dépressifs et des troubles anxieux ne relève pas du fait divers mais d’une crise sociale, que nous devons regarder en face.

Face à cette crise, nous sommes confrontés à un paradoxe insoutenable. Alors que la demande explose, nos capacités d’accueil diminuent. Les professionnels épuisés travaillent dans des conditions indignes, pour eux comme pour les patients et les patientes. Les urgences hospitalières, déjà saturées, deviennent par défaut le point d’entrée dans les soins psychiatriques, au détriment d’une prise en charge adaptée, alors qu’en parallèle, le secteur privé lucratif prospère de manière hallucinante.

Chers collègues, pourquoi acceptons-nous qu’une logique de rentabilité prime sur l’accès équitable aux soins ? Ce sont aujourd’hui les enfants et les jeunes qui paient le prix fort de cette désorganisation. La pédopsychiatrie est en ruine, des territoires entiers sont dépourvus de capacités d’accueil, des enfants en détresse se retrouvent hospitalisés dans des unités pour adultes et d’autres sont renvoyés chez eux sans prise en charge. Cette incapacité à intervenir précocement est une faillite collective.

Pour améliorer la situation, vous appelez à renforcer massivement les moyens pour la psychiatrie publique, à donner la priorité à la détection et à la prise en charge des enfants victimes de violences, à rééquilibrer les responsabilités entre les secteurs public et privé, à soutenir particulièrement les jeunes filles et les femmes et à investir bien entendu dans la prévention, comme notre groupe le demande à chaque période budgétaire.

Faire de la santé mentale la grande cause nationale de 2025 est une opportunité, mais si cette ambition ne se traduit pas par des moyens à la hauteur et des mesures concrètes, ce sera une promesse trahie. Nous avons la responsabilité de ne plus détourner les yeux car il ne s’agit plus seulement de réparer, mais de prévenir.

Je crois que l’état de la psychiatrie nous invite à nous interroger. Quelle responsabilité pour notre société capitaliste qui broie les gens face à l’ampleur de la crise ? La réflexion plus large est ouverte et, en attendant, je vous remercie, mesdames les rapporteures, pour votre engagement sur cette question et la qualité de vos travaux, en espérant que ce rapport alarmant sera suivi d’effets.

M. Philippe Vigier (Dem). Je remercie nos deux rapporteures pour leur travail de grande qualité.

La deuxième recommandation suggère de mieux outiller des médecins généralistes. Comment faire le lien avec la permanence des soins ? Les maires sont confrontés à des difficultés concernant les hospitalisations d’office, pour lesquelles nous sommes totalement démunis.

La cinquième recommandation porte sur une simplification de l’organisation territoriale. Pouvez-vous expliciter votre souhait ? En effet, j’observe davantage une rétraction territoriale dans ma circonscription qu’une concentration territoriale des moyens.

La dix-neuvième recommandation est relative à l’adaptation de l’offre de formations. Or des difficultés existent concernant les décrets d’application liés aux IPA. Comment envisagez-vous les passerelles entre les IPA généralistes et spécialistes ?

Vous évoquez la commande d’un audit sur les conditions de travail en psychiatrie. Avez-vous réfléchi à une loi de santé pluriannuelle avec des items, afin que nous puissions réaliser une évaluation chaque année ? Cette dégradation date de tant d’années que la situation mérite un suivi assez serré, afin que nous soyons au rendez-vous sur ces items.

Enfin, la page 81 de votre rapport traite du lien entre la justice et la psychiatrie. Un centre de détention se trouve sur ma circonscription. J’observe des difficultés liées à la mobilisation des magistrats pour prononcer les décisions d’irresponsabilité pénale. Pouvez‑vous me confirmer le faible nombre de ces décisions, avec les conséquences aval que nous connaissons tous ?

M. Pierre Marle (HOR). Encore plus que vous féliciter, je vous remercie pour votre rapport d’une très grande qualité et particulièrement détaillé. Je vous remercie également pour l’opportunité que vous nous donnez de nous exprimer sur un sujet aussi essentiel que la santé mentale, et plus particulièrement la santé psychiatrique.

Vous soulignez avec justesse dans ce rapport que le flou qui entoure la notion d’urgences psychiatriques rend son approche particulièrement complexe. Je partage pleinement votre préoccupation quant à la nécessité d’améliorer l’accueil et le suivi des patients concernés, ce qui représente non seulement un progrès indispensable pour ces personnes et leurs familles mais aussi un levier crucial pour alléger la surcharge de notre système de santé.

Je suis également particulièrement sensible à votre volonté d’investir dans la formation des personnels de première ligne, comme les médecins généralistes. Cette approche me semble essentielle pour renforcer la capacité de détection précoce et de prise en charge initiale, notamment lorsque nous savons que les médecins généralistes sont en première ligne dans la prescription des psychotropes, plus particulièrement chez nos jeunes.

Je souhaiterais également des précisions concernant la santé mentale de nos jeunes, et plus spécialement des enfants placés au niveau des écoles primaires. Dans une première vie, j’ai été directeur d’école primaire. Or nous voyons que nous sommes particulièrement démunis sur ce sujet et qu’un pourcentage très important d’enfants est concerné.

Par ailleurs, vous évoquez dans vos recommandations la nécessité d’une simplification de l’organisation territoriale des soins psychiatriques et d’une meilleure coordination du parcours de soins. Auriez-vous des exemples sur nos territoires d’une telle coordination, par exemple entre la médecine scolaire, les médecins généralistes et les CMP ? Pensez-vous à la création d’une structure dédiée à cette coordination ?

Sachez que le groupe Horizons restera attentif à la suite de vos recommandations.

M. Stéphane Viry (LIOT). Je voudrais, au nom du groupe Libertés, Indépendants, Outremer et Territoires, saluer les travaux, réflexions, données et recommandations portées au débat par les rapporteures. Nous savons que nous serons désormais saisis de cette question.

Vous décrivez des dysfonctionnements graves par rapport à la prise en charge. Il me semble qu’il s’agit d’un euphémisme car vous avez davantage évoqué une situation alarmante, exigeant d’aller au-delà du plan de 2018 qui cherchait à apporter des réponses à l’offre de santé mentale. Avez-vous le sentiment que la réponse des politiques publiques depuis 2018 a été évanescente ou qu’elle est globalement pertinente mais inefficace en termes de moyens ?

Ensuite, la quatrième recommandation, portant sur les addictions, suggère de rapprocher les structures d’addictologie et les structures de soins psychiatriques. Avez-vous connaissance d’expériences de terrain qui pourraient se dupliquer ? Je crois profondément qu’il existe un découplage inopérant, rendant nécessaire de rapprocher ces deux structures.

La quinzième recommandation propose par ailleurs de mobiliser la médecine scolaire pour permettre de réaliser, en amont, de la prévention, de la détection et du repérage des troubles psychiques chez certains enfants ou adolescents. Je présume que vous avez identifié des carences massives avec, peut-être, l’idée de sortir la médecine scolaire du champ de l’éducation nationale pour le raccrocher à un autre ministère. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet ?

Enfin, j’ai relevé que vous étiez davantage d’avis de structurer des parcours de soins, ce qui fait actuellement défaut, et surtout de répondre en proximité avec des coordinations et un maillage territorial, qui manquent à ce jour.

M. Yannick Monnet (GDR). Je remercie les rapporteures, dont je salue le travail pour ce rapport très utile, qui pose les chiffres et des mots précis sur la crise que traversent les soignants en psychiatrie, mais également les patients.

S’il est évident que les moyens manquent, ce rapport rend également compte des mauvais choix politiques à l’origine de cette crise qui, malheureusement, se perpétuent. Par exemple, la fermeture de deux tiers des lits d’hôpitaux publics en psychiatrie depuis les années 1980 – réalisée à la suite du virage ambulatoire sans pour autant prévoir les conditions d’accueil alternatives pour les patients – a engendré, en 2023, des délais d’attente, pour la moitié des CMP, entre un à quatre mois pour les adultes et jusqu’à un an pour les enfants.

La prévention est un aspect important de la question, que ce rapport traite bien en rappelant que l’urgence est par nature le signe que quelque chose n’a pas été détecté à temps. Dans ce cadre, je souhaiterais entendre davantage les rapporteures sur leur quinzième proposition, visant à renforcer les moyens de la médecine scolaire et à réinterroger le rattachement de la médecine scolaire au ministère de l’éducation nationale.

Enfin, si la question des moyens est primordiale, la question des pratiques psychiatriques est tout aussi cruciale. Le collectif Printemps de la psychiatrie est à cet égard plein d’enseignements.

La financiarisation de la santé et la mise en place de la tarification à l’activité ont perverti une certaine pratique en mettant en cause le travail non comptable, non facturable, qui est celui du temps de la relation, de la parole et de l’échange avec le patient.

L’usage excessif de la contention et de l’isolement, la surprescription de médicaments ainsi que le manque de temps avec la famille du patient sont autant de signaux d’un dysfonctionnement et d’une régression majeure de la pratique du soin.

Cette dégradation de la pratique psychiatrique crée une défection chez les étudiants – 67 postes d’interne sont restés vacants en 2023 – et chez les soignants, qui délaissent l’hôpital public pour l’exercice libéral ou en clinique privée.

Il est donc nécessaire de redonner les moyens à la psychiatrie, à l’hôpital public et au CMP pour que les soignants puissent exercer de nouveau avec dignité et humanité. Ceci est bien d’abord un choix politique, celui d’inscrire la prise en charge psychiatrique dans une politique de santé publique plus large de prévention et d’intervention coordonnées.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. La question du secteur privé nous a traversées au moment de l’écriture du rapport. Toutefois, nous sommes confrontés à une telle situation qu’une solution immédiate est le partage de la charge entre le privé et le public. Pour autant, ce n’est pas une solution viable à moyen et long termes.

Nous proposons donc la revalorisation des métiers et un audit des conditions de travail. Lors de nos visites, nous avons constaté une grande souffrance personnelle chez les psychiatres et les soignants, qui perdent le sens de leur travail car, faute de moyens, ils recourent à la contention ou à l’administration de substances chimiques, ce qui ne leur permet pas de déployer leurs compétences, leur talent et l’éthique de leur métier. Des soignants, et particulièrement des infirmiers, nous ont dit concentrer leurs heures de travail en début de semaine afin d’avoir le plus de temps possible en dehors du service, tant la charge est lourde lorsqu’ils travaillent.

Concernant les urgences pour les femmes, il existe en effet un sujet. La question des violences sexistes et sexuelles ainsi que celle des psychotraumas ont été évoquées lors de nos auditions. Je tiens à souligner que l’éco‑anxiété a également été mentionnée, de même qu’une inquiétude générale concernant la place des jeunes dans notre société.

Comparativement aux données relatives aux jeunes femmes, les chiffres sont un peu moins impressionnants concernant les jeunes hommes mais ils sont tout de même très forts, avec une augmentation de 300 % des hospitalisations.

La toxicologie et les addictions constituent également un critère augmentant le risque d’admission aux urgences et font partie des propositions de notre rapport.

Un autre sujet est relatif aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et à la prise en charge des personnes âgées, qui sont mal appréhendés par les soins.

Trois champs, liés à la médecine scolaire, aux enfants placés auprès de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et aux mineurs isolés, sont en déshérence totale et constituent donc des sujets extrêmement importants. Il manque un médecin scolaire sur deux et les psychologues de l’éducation nationale ont été réorientés vers l’orientation professionnelle au détriment de la santé mentale des jeunes. Une révolution de l’approche de la santé mentale des enfants est nécessaire car nous ne sommes pas à la hauteur. Un pays qui ne prend pas soin de ses enfants et qui les met en danger à ce point est un pays qui va très mal.

Par ailleurs, il existe en effet un sujet concernant la justice et l’irresponsabilité pénale. Les psychiatres que nous avons rencontrés en milieu carcéral estiment qu’une partie des personnes emprisonnées relève en réalité de l’irresponsabilité pénale, ce qui est assez mal appréhendé dans une politique où, sans intelligence et subtilité, nous allons vers le « tout carcéral ». Une partie des personnes incarcérées relèvent davantage du soin que de l’incarcération.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Concernant le secteur privé, il faut tout de même distinguer le secteur privé non lucratif du privé lucratif. Ce dernier n’accueille pas la même population puisqu’il ne prend pas en charge les patients les plus lourds, se concentrant plutôt sur des cas comme les syndromes dépressifs nécessitant une hospitalisation « plus facile ».

Nous avons constaté une inégalité territoriale très importante dans la répartition des psychiatres et des dispositifs de soins. Nous avons pu repérer des secteurs où l’offre psychiatrique fonctionne plutôt bien. Notre idée n’était pas de révolutionner le système mais plutôt d’utiliser les dispositifs existants – nombreux et pas toujours lisibles – pour faire du repérage tout au long du parcours et orienter les personnes dans la bonne direction – psychologue, psychiatre ou hospitalisation. Les CMP sont nombreux, certains fonctionnent bien mais d’autres pourraient être regroupés avec les équipes mobiles ou avec des dispositifs existants pour élargir les possibilités d’accueil. Ces centres, dont les horaires sont restreints, pourraient également ouvrir le samedi matin ou durant les vacances scolaires, de manière à accueillir plus de patients, en amont mais aussi en aval. Nous manquons de coordination entre les différents secteurs pour ce chemin qui se fait un peu en silo. Ce point montre l’intérêt de développer des dispositifs qui existent déjà sans en créer de nouveaux.

Les médecins généralistes représentent également une voie d’entrée vers le soin des troubles psychiques ou psychiatriques. Alors que la santé mentale concerne 30 % de leur patientèle, nous remarquons de grandes difficultés dans la prise en charge par rapport à la formation et à la prescription. Nous avons vu des secteurs où les médecins généralistes peuvent disposer d’un contact téléphonique direct avec un psychiatre afin d’adapter leurs prescriptions.

Un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge au sujet des prescriptions de psychotropes chez les jeunes et de leurs effets secondaires sera publié en janvier.

Les infirmiers qui exercent dans le milieu de la psychiatrie demandent souvent à bénéficier d’un module complémentaire de formation car le tutorat avec les anciens infirmiers issus de la psychiatrie n’existe plus. De plus, les soignants souhaitent la présence d’IPA et de davantage de psychiatres. Enfin, des exercices différenciés entre les horaires en huit, dix ou douze heures sont demandés par les soignants afin d’accepter plus facilement la charge de travail, de même que l’harmonisation des primes, la hausse des salaires mais aussi des évolutions de carrière dans ces secteurs.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Yannick Neuder, rapporteur général. Je remercie les rapporteures qui, à travers ce rapport, donnent la feuille de route pragmatique de cette santé mentale comme grande cause nationale pour 2025. Le parcours semble maintenant tracé, avec un plan d’action et une stratégie. Je crois que nous serons tous derrière vous pour que vous puissiez continuer à faire vivre cet événement au-delà du rapport, dès les premiers mois de l’année 2025, notamment avec un colloque ou cette proposition de loi transpartisane, qui pourrait être une émanation de la commission.

De plus, nous aurons possiblement l’occasion de retravailler un PLFSS 2025. Comme pour ce qui avait été fait sur les soins palliatifs, nous pourrions justement y mettre les moyens car, au-delà de l’organisation et de la stratégie, ce sujet nécessitera des financements et plusieurs budgets. Une vision pluriannuelle est indispensable. En outre, pour certains sujets qui nous paraissent particulièrement importants, rien ne nous empêche, au sein de la commission, d’avoir cette vision transpartisane.

N’oublions pas les psychologues, dont nous avons favorisé l’accès direct lors du précédent PLFSS, ni de faire la distinction avec les IPA.

Nous devons également évoquer les réseaux sociaux, notamment TikTok. Plusieurs parents ont porté plainte car ils accusent l’application TikTok d’avoir montré à leurs filles des tutoriels de suicide. Cette explosion des chiffres chez les plus jeunes est importante.

Enfin, il ne faut surtout pas oublier le territoire. Reproduisons pour les soins psychiatriques ce que nous avons su faire pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque, avec la création de numéros d’urgence réservés aux professionnels pour ces parcours complexes. Je crois que la création d’un tel dispositif aidera les acteurs de territoire et du quotidien.

M. Thibault Bazin (DR). Je remercie les rapporteures pour le travail de leur mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques, qui arrive au bon moment, à la veille de cette année 2025 dédiée à la santé mentale, comme l’a souhaité Michel Barnier.

Les détresses pouvant aller jusqu’au suicide nous questionnent et interpellent notre société. Aurions-nous pu l’éviter ? Un autre accompagnement aurait-il pu l’éviter ?

Les évolutions semblent avoir accru dans notre pays ces situations de mal-être. Nous devons y répondre et votre rapport nous permet de mieux appréhender ce défi.

Votre dix-neuvième recommandation invite à une augmentation des effectifs, en formation initiale notamment. Or des places d’interne en psychiatrie restent déjà vacantes. Dans quelle mesure votre vingtième recommandation, à savoir le renforcement de l’attractivité des métiers de la psychiatrie, pourrait-elle contribuer à y pourvoir ?

Par ailleurs, votre seizième recommandation appelle à garantir une offre de soins pédopsychiatriques homogène et adaptée aux besoins sur tout le territoire. L’objectif peut faire consensus mais la question cruciale est davantage de savoir comment le permettre concrètement. Les soins pédopsychiatriques supposent des hyperspécialisations, souvent concentrées dans les hypercentres des métropoles. Avez-vous appréhendé la question du parcours de soins pour ces plus jeunes, notamment pour ces plus jeunes filles, permettant cet accès visé ? Dans quelle mesure le maillage des CMP et des centres médico-psycho-pédagogiques pourrait-il évoluer ?

Ce qui m’intéresse est d’aller au-delà des recommandations, qui peuvent peut-être faire consensus. Comment y répondre demain ? Je ne suis pas sûr qu’il s’agit seulement de moyens financiers, mais également d’une question d’organisation et de parcours. Derrière la promesse républicaine de pouvoir éviter les plus malheureux des actes sur l’ensemble de notre territoire, il faut que nous puissions trouver des solutions pragmatiques et efficientes.

Mme Justine Gruet (DR). Je me joins tout d’abord aux remerciements adressés aux rapporteures pour la qualité de leur travail sur ce sujet essentiel.

Tout d’abord, une question importante est la structuration d’une vraie filière de prise en charge en santé mentale. Je tiens à saluer le travail de grande qualité des psychologues, des psychiatres et de tous les professionnels, qui s’engagent souvent par vocation dans ce secteur.

En amont, je tenais à saluer l’excellent travail de la maison des adolescents de Dôle, qui accueille sans rendez-vous et de façon très lisible les jeunes, en dehors d’institutions et d’établissements très marqués « psychiatrie ».

Nous devons nous appuyer de manière plus forte sur le lien de confiance qui peut exister avec les médecins généralistes en premier accès et en première ligne.

Ma circonscription compte une très belle unité d’urgences psychiatriques.

En aval également, les appartements passerelles, qui peuvent être portés par les centres hospitaliers spécialisés, sont à considérer.

Nous manquons de professionnels et il faut repenser toute la filière et la structuration de la prise en charge de la santé mentale.

Nous avons débattu, au sein de la commission des affaires culturelles, du rôle délétère des réseaux sociaux. Nos jeunes sont en pleine construction de leur personnalité et de leur maturité cérébrale. Or je pense que ces réseaux sociaux engendrent chez eux une difficulté d’appréhension des relations humaines.

Par ailleurs, le conventionnement du dispositif MonPsy&Moi ne tient pas suffisamment compte de la valeur ajoutée des psychologues et de leur manière de travailler. Ce dispositif est une usine à gaz qui exclut des professionnels de qualité et ne garantit pas un accès suffisant à ces dispositifs.

Nous aurons besoin de tous les professionnels de santé pour accompagner notre société mais nous avons aussi besoin que tous les Français reconstruisent une société qui prend soin des autres et accompagne chacun dans les difficultés qui peuvent être traversées. Inspirons-nous des territoires pour proposer des solutions pragmatiques.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je remercie les rapporteures pour ce travail. Nous partageons les constats sur l’inquiétante augmentation des troubles psychiques, les défaillances systémiques dans l’organisation des soins psychiatriques et l’inéquation entre l’offre et la demande.

Dans vos recommandations, vous préconisez de renforcer l’offre de soins de premier niveau pour une prise en charge précoce et homogène afin de prévenir les urgences psychiatriques.

Vous proposez également de mieux outiller les médecins généralistes et de renforcer les moyens des CMP. Dans le Rhône, certains professionnels de santé contractualisent effectivement avec les hôpitaux locaux psychiatriques via les communautés professionnelles territoriales de santé, afin de fluidifier le parcours entre la vie et l’hôpital. Pensez‑vous que cette coordination soit un outil ? En outre, comment le renforcer et le généraliser ?

Par ailleurs, vous soulignez la très forte augmentation des hospitalisations liées aux gestes auto-infligés chez les jeunes, dès le plus jeune âge. Ces chiffres sont préoccupants. Vous n’insistez pas suffisamment, dans votre rapport, sur la prévention et le dépistage précoce, alors qu’il s’agit des outils qui, seuls, permettront d’améliorer la santé psychique et physique de nos concitoyens et de réduire la pression sur nos structures d’urgence et de soins.

Si je soutiens votre proposition de renforcer sensiblement les moyens de la médecine scolaire et d’associer les établissements scolaires à une politique de prévention, je pense que tous les acteurs – écoles, collectivités, associations, entreprises, familles – doivent être mobilisés.

À ce titre, j’ai lancé avec le professeur Franck Chauvin, en Auvergne-Rhône-Alpes, une expérimentation pour améliorer les actions de promotion de la santé auprès des enfants, en produisant des environnements promoteurs de leur santé afin d’améliorer leur santé mentale, leur hygiène de vie et le respect de l’autre. Les résultats sont probants pour des coûts peu élevés. Il s’agit en Europe de la plus grande expérimentation scientifique, évaluée et duplicable, et notamment pour la santé mentale. Je plaide pour qu’elle soit généralisée sur l’ensemble des territoires métropolitains et ultramarins, un peu oubliés.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je remercie nos deux collègues pour ce rapport extrêmement intéressant et riche en données. Ce document servira à toutes et tous pour réaliser un très bon travail parlementaire.

Tout d’abord, il est évidemment extrêmement instructif de disposer de données liées au genre, qui n’est pas toujours traité. Avez-vous aussi des données sur les catégories socioprofessionnelles concernées par les différents types de pathologies, avec une lecture un peu territoriale ?

Ensuite, le rapport montre de manière extrêmement instructive à quel point le secteur de la psychiatrie, qui a été créé, est un marché capitaliste, avec son taux de profit. Le nombre de lits dans le public a été divisé par trois depuis les années 1980, tandis qu’une logique rigoureusement inverse était poursuivie dans le privé. Une politique de mise en place d’un marché privé lucratif et capitaliste des soins psychiatriques a donc été délibérément menée.

Dès lors, nous pouvons non seulement condamner moralement ce marché mais nous pouvons également constater qu’il est en crise. Je rappelle qu’aussi bien Clinea du groupe Emeis que Ramsay voient leur cours chuter en bourse, ce qui montre que leur modèle est économiquement inopérationnel et qu’ils sont mauvais, même en faisant du capitalisme. Dès lors, que pensez-vous de la question du transfert des propriétés ? Ne faudrait-il pas se poser la question d’élargir le secteur public, de racheter des cliniques privées et d’éventuellement les nationaliser ? Ces actions nous permettraient de n’être plus uniquement dans une perspective de régulation de l’action du privé mais de prise de contrôle, dans la mesure où les activités de ces cliniques fonctionnent mal et produisent des maltraitances.

M. Fabien Di Filippo (DR). Je remercie les rapporteures.

Je suis encore un peu sous le choc de cette proposition qui vient d’être formulée de nationaliser les cliniques. Vous avez effectué tout ce travail, mesdames, pour en arriver à une proposition de nationalisation des cliniques. J’espère que vous en êtes aussi chagrinées que moi.

Vous pointez à juste titre la baisse du nombre de pédopsychiatres et la démographie médicale. Nous devons être collectivement très vigilants à la baisse de la natalité et de la démographie dans notre pays ainsi qu’à une certaine vision de l’enfant et de la famille, qui serait parfois véhiculée dans nos sociétés. Je me tourne particulièrement vers Sandrine Rousseau.

J’axerais mon propos sur la prévention. Vous parlez de l’éco‑anxiété comme d’un fardeau très lourd à porter pour notre jeunesse. Il faudrait peut-être, dans les cours, remettre un maximum de rationalité sur ce sujet. Je vois des facteurs bien plus importants, à savoir la déstructuration des familles et, plus encore, l’augmentation de la consommation de stupéfiants chez les jeunes, de plus en plus tôt. Un jeune sur quatre a fumé du cannabis avant l’âge de 16 ans et 13 % des jeunes en fument tous les mois. Or nous connaissons tous les effets neurologiques et la dérive vers des addictions dures. Le corollaire de cette étude sur les urgences pédopsychiatriques est aussi un travail de prévention sur les drogues et cette non‑tolérance absolue qu’on doit avoir à l’égard de tous les stupéfiants, y compris ceux qui ne sont pas encore interdits comme le protoxyde d’azote, dont on commence à voir les ravages parmi la jeunesse.

L’autre sujet est la charge mentale représentée par les réseaux sociaux. À l’échelle d’une vie d’un adolescent, on a l’impression que ces réseaux sociaux constituent l’alpha et l’oméga d’une réputation, qui va les suivre toute leur vie. L’Australie a des politiques d’interdiction très agressives par rapport aux dérives sur les réseaux sociaux. Un jeune sur les réseaux sociaux est exposé à toutes sortes de dérives desquelles, heureusement, notre génération a été un peu préservée. Ne pensez-vous pas que ces éléments sont des axes majeurs de prévention, avant d’avoir des lubies un peu « écotopistes » ?

M. Serge Muller (RN). Je vous remercie, mesdames les rapporteures, pour la qualité de vos travaux. Votre rapport met en évidence des défaillances structurelles et organisationnelles majeures dans la prise en charge des urgences psychiatriques, notamment la saturation des services, le manque de lits disponibles et une pénurie alarmante de professionnels.

Ce que je trouve particulièrement préoccupant est l’impact direct des choix politiques récents, notamment lors de la pandémie de covid-19, sur l’aggravation de ces problèmes. Le rapport souligne l’effet négatif de la pandémie sur la santé mentale des Français mais il évoque peu la manière dont les politiques sanitaires mises en œuvre ont pu aggraver cette situation. Pensez-vous que certaines mesures, comme le confinement prolongé, la fermeture des écoles ou le manque de soutien psychologique immédiat, ont contribué à cette détérioration ? Si la réponse est positive, cela nous conduit à un autre constat inquiétant. Les professionnels de la psychiatrie, déjà en tension avant la crise, ont-ils été insuffisamment consultés ou même écartés lors des décisions stratégiques ?

Par ailleurs, alors que la pandémie a amplifié les besoins en psychiatrie, le rapport met en lumière un manque criant d’attractivité dans ce secteur. Les mauvaises conditions de travail, les rémunérations insuffisantes et la stigmatisation du métier dissuadent de nouveaux praticiens et paramédicaux de s’engager. Dans ce contexte, quelles recommandations concrètes peuvent être mises en œuvre rapidement pour valoriser ces métiers et garantir que les professionnels de la psychiatrie soient mieux intégrés au processus décisionnel ? Cela permettrait non seulement de répondre à l’urgence actuelle, mais aussi de prévenir une crise similaire à l’avenir.

M. Arnaud Simion (SOC). Je remercie sincèrement les rapporteures pour le travail d’ampleur qu’elles ont fourni.

L’Observatoire national de la protection d’enfance indique que plus de 20 % de nos enfants protégés sont notifiés. La question de la santé mentale est bien évidemment au cœur de ces handicaps. La loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants a intégré des éléments sur le parcours sanitaire de jeunes confiés, mais on sait que les départements sont en difficulté financière. Ces questions ne relèvent pas de leurs compétences.

En outre, l’attente d’un rendez-vous dans un CMP peut aller jusqu’à un an. Vous avez indiqué que le travail continuait, ce dont je me réjouis. Sur la base de la dix-septième recommandation, avez-vous l’intention de vous rapprocher d’Isabelle Santiago, rapporteure de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de l’ASE, pour évoquer justement ces sujets ? Vous rapprocher des commissaires de cette commission d’enquête aurait du sens.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je salue à mon tour le travail réalisé.

Il est vrai que les urgences sont en crise, de même que la psychiatrie. Les urgences psychiatriques sont donc confrontées à une sorte de double crise. Vous montrez de manière assez édifiante, par la porte d’entrée des urgences, la réalité de la faillite dans laquelle se trouve la psychiatrie publique, et pas seulement dans notre pays.

Je voudrais insister, concernant la sixième recommandation, relative aux personnes les plus vulnérables, sur la question de la gérontopsychiatrie et de l’accompagnement des personnes âgées confrontées à des décompensations psychiatriques parfois importantes. C’est un tabou invisibilisé mais la prévalence du suicide chez les personnes âgées est plus importante que la prévalence du suicide chez les jeunes. Plus de 3 000 personnes âgées mettent fin à leur jour chaque année. Se pose la question de la politique d’accueil dans les urgences. Or le rapport indique que ces services ne sont pas faits pour cela. Même si toutes les personnes âgées ne sont pas en Ehpad, je voudrais attirer collectivement notre attention sur la nécessité de systématiser la relation entre ces établissements et les secteurs de psychiatrie ainsi que le déploiement et les conventions entre ces établissements et les équipes mobiles de gérontopsychiatrie, qui existent depuis 2007 mais dont le niveau de déploiement demeure insuffisant. Enfin, nous ne devons pas oublier les personnes âgées à domicile, pour lesquelles le phénomène d’isolement est amplifié.

Mme Chantal Jourdan (SOC). À mon tour, je veux vraiment remercier les rapporteures pour leur travail et leurs propositions.

Vous posez le principe que les urgences psychiatriques seraient évitées si nous disposions de suffisamment de ressources en amont et si l’accès aux soins était mieux organisé, en appelant les nombreux secteurs – médico-social, éducation nationale ou encore ASE – à agir sur la question de la santé mentale de façon globale. Pour une meilleure coordination, pensez-vous qu’un délégué interministériel sur les questions de la santé mentale favoriserait une vision pluridisciplinaire et permettrait d’améliorer les parcours ?

Vous évoquez régulièrement des situations de violences assez terribles. Vous avez mentionné quelques fois l’intervention d’équipes de liaison mais ces dernières ne semblent pas développées partout. Pensez-vous que ces équipes de liaison pourraient faciliter l’accueil, prévenir les situations de violences et permettre de mieux organiser le suivi ?

Mme Christine Le Nabour (EPR). Je remercie les rapporteures pour leurs travaux et ce rapport, qui se veut une contribution à la mise en œuvre d’une politique ambitieuse adaptée aux besoins psychiatriques et de santé mentale.

L’organisation des parcours de prise en charge en psychiatrie dépend aussi des politiques de prévention, du repérage des situations de souffrance psychique et de l’organisation des suivis psychologiques. Il faut donc améliorer la réponse de premier niveau de la souffrance psychique et la mobilisation collective.

Vous évoquez les établissements scolaires. Je peux témoigner, en tant que présidente d’une mission locale portant un point accueil et écoute jeunes (PAEJ), que nous sommes de plus en plus sollicités par les établissements scolaires, publics comme privés, qui lancent de véritables appels à l’aide. Aujourd’hui, nous n’avons que deux équivalents temps plein de psychologues et les délais de rendez-vous s’allongent. Il s’agit donc vraiment d’une urgence.

Par ailleurs, vous n’évoquez pas les bureaux d’aide psychologique des universités, ni l’association Nightline, qui fait un très bon travail depuis la crise sanitaire, ni les maisons des adolescents et les PAEJ, censés travailler ensemble. Je voulais savoir si vous les avez consultés et, si c’est le cas, si des recommandations ont été formulées, en particulier sur le maillage territorial et la coordination des acteurs sur les territoires. Je pense en effet que la solution la plus importante est ce maillage territorial et cette coordination des acteurs.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Je vous remercie pour la pertinence de vos questions.

En entrant par les urgences, nous avons pu observer l’amont et l’aval et, ainsi, appréhender l’ensemble du secteur.

Je crois en effet à la nécessité d’une loi transpartisane. Nous l’avions évoquée lors des débats sur le PLFSS. Nous avions relevé le fait qu’il n’y avait pas de point d’accroche en PLFSS et que nos amendements avaient été jugés cavaliers.

Notre rapport aborde abondamment la revalorisation et le développement des IPA en psychiatrie. Quant aux psychologues, nous n’avons pas évoqué le dispositif Mon parcours psy mais nous avons recueilli des avis très divergents sur le sujet.

Les réseaux sociaux posent effectivement des problèmes essentiels, notamment en termes de harcèlement en ligne, de risque de visionnage de tutoriels incitant au suicide mais aussi de diktats corporels pour les jeunes femmes. Il faudra, à un moment, s’interroger sur la place des réseaux sociaux dans nos démocraties et se demander à quel point ils déstabilisent complètement nos sociétés. Ce sujet dépasse le cadre de notre mission d’information mais je me permets de le soulever.

Les maisons des adolescents ne sont pas présentes sur tout le territoire mais elles constituent un point d’entrée très intéressant, notamment pour la souffrance des jeunes. Je suis donc favorable au fait de le développer dans la loi transpartisane.

Les appartements passerelles sont un dispositif tampon crucial entre l’hospitalisation et le retour à domicile. Ainsi, leur disparition progressive constitue un sujet de préoccupation.

Nous manquons cruellement d’une culture de la prévention précoce. Dans le secteur de l’enfance, l’éducation nationale, la situation des mineurs isolés et celle des enfants placés montrent à quel point nous manquons de cette culture de la prévention effectuée très précocement dans l’apparition du mal-être psychique. Notons qu’il n’y a pas non plus de campagnes de dépistage.

Les services universitaires de santé mentale sont extrêmement sous-dimensionnés. Les universités ont été aidées pendant et après la crise liée à la pandémie de covid‑19 mais je pense qu’il existe un manque de prise de conscience de ce sujet par les directions d’universités.

La périnatalité reste l’un des points aveugles du système de soins actuel, malgré quelques prises en charge existantes. Cette période constitue pourtant un moment de vulnérabilité importante.

Je ne partagerai pas l’idée selon laquelle l’affaiblissement du modèle « un papa, une maman » nous conduira dans le mur mais, en revanche, je pense qu’il est nécessaire d’accompagner les mutations sociales. Sur les réseaux sociaux, la façon dont ce conflit de société est instrumentalisé est un autre sujet.

Par ailleurs, nous devons impérativement prendre contact avec la commission d’enquête sur les dysfonctionnements de l’ASE. La mission d’information a révélé un effondrement de l’ASE, avec des personnels non formés amenant des enfants en crise aux urgences et des situations extrêmement graves.

La gérontopsychiatrie représente également un très grand point aveugle. Les personnes âgées sont les plus éloignées des soins en raison de leur isolement, de leurs difficultés à se rendre dans les CMP et de la très mauvaise détection des troubles psychiatriques chez cette population. Au-delà de la question des soins palliatifs, la question de la gérontopsychiatrie doit vraiment être développée dans une loi sur la fin de vie, dont je suis partisane, afin qu’il n’y ait pas de confusion dans ce grand âge.

Enfin, plutôt qu’un délégué interministériel, l’ampleur du problème nécessite la création d’un secrétariat d’État à la santé psychique.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Je souligne que l’actuel délégué ministériel a accompli un travail important, avec la rédaction d’une feuille de route, mais que son action est peu connue et mise en avant.

Concernant les places vacantes en pédopsychiatrie, nous observons un très léger frémissement dans les inscriptions pendant la formation. Il n’y aura évidemment pas de pédopsychiatres partout. L’intérêt est de pouvoir établir des contacts. Dans mon département, la présence de pédopsychiatres est centralisée dans la ville principale et le conseil a lieu par téléphone ou par l’accueil des jeunes. Lorsqu’un dépistage, un repérage et une orientation ont été réalisés, la prise en charge est mieux ciblée. Il manque cruellement des unités de courte durée pour les 13-18 ans, qui sont actuellement hospitalisés en pédiatrie ou dans des services pour adultes. Ces unités seraient nécessaires pour faire le point et mettre en place un suivi après l’hospitalisation.

Concernant la perspective de nationalisations, mon expérience dans le secteur hospitalier m’a montré l’importance des partenariats avec des services privés. L’objectif n’est pas de tout concentrer au même endroit mais d’établir des conventions avec des services privés, pour qu’ils accueillent davantage de patients dans des conditions différentes, ainsi qu’avec les représentants des médecins et spécialistes libéraux, qui constituent aussi des partenaires dans le circuit en amont ou en aval.

Nous évoquons dans le rapport le temps partagé des médecins sur différents sites, en intrahospitalier ou public-privé. Je suis aussi une fervente défenseure du partage des astreintes, qui reposent sur les psychiatres publics qui n’en peuvent plus et que cela dégoûte du métier alors que des soignants pourraient participer davantage à l’accueil des patients, notamment dans la période d’urgence.

Par ailleurs, certains services sont exempts de violences grâce à un personnel suffisant, formé et suivant des protocoles adaptés. À l’inverse, d’autres services connaissent de la violence et de la contention massive, durable et inacceptable car le personnel y est en sous-effectif et insuffisamment formé. Il est possible de prévenir ces situations, de même que la violence entre les patients et envers les soignants – qui paient un lourd tribut et encaissent car toutes les violences ne sont pas déclarées –, mais ce sujet nécessite une prise de conscience.

Des services et des dispositifs ont été déployés grâce à l’énergie et à la perspicacité de personnalités fortes du secteur de la psychiatrie. Ces prises en charge tiennent grâce au dynamisme de deux ou trois personnes qui entraînent leurs équipes. Toutefois, nous savons qu’en cas de départ de ces personnes, la transmission ne sera pas facile et nous risquerons de perdre tout ce bénéfice. Nous devons donc être vigilants à l’installation, la durabilité et la transmission de ces équipes, composées de personnels valeureux et compétents, dont il faut maintenir les dispositifs.

Des améliorations sont à réaliser concernant l’aide apportée aux familles confrontées à des troubles psychiatriques lourds. Des groupes de paroles et des temps de répit doivent être proposés pour que la situation de ces familles soit supportable à long terme.

Enfin, je tiens à remercier tous les soignants, qui nous ont accueillis avec beaucoup de plaisir, ont exprimé de grandes attentes et espèrent des actions rapides pour éviter de nouvelles difficultés, des accidents graves, des départs de soignants par manque d’attractivité du secteur ou des pertes de chance pour les patients. Je remercie tous ceux qui œuvrent au quotidien.

M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie pour la qualité de ce travail, unanimement saluée par les orateurs. Je remercie également les administrateurs pour ce travail de fond qui sera un point de départ pour des réflexions futures. Il y a un réel enthousiasme collectif pour s’emparer de vos propositions, les travailler et engendrer une poursuite de ces travaux.

En application de l’article 145, alinéa 7, du Règlement, la commission autorise la publication du rapport de la mission d’information.

M. le président Frédéric Valletoux. La publication de ce rapport est importante car ces travaux crédibilisent notre activité et démontrent que nous faisons œuvre utile – et transpartisane – en faveur de la réflexion collective.

 

La réunion s’achève à douze heures quinze.


Présences en réunion

Présents.  Mme Ségolène Amiot, M. Joël Aviragnet, Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Elie Califer, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Arthur Delaporte, Mme Sophie Delorme Duret, M. Fabien Di Filippo, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, M. Olivier Falorni, M. Olivier Fayssat, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, Mme Christine Le Nabour, Mme Élise Leboucher, Mme Christine Loir, Mme Hanane Mansouri, M. Pierre Marle, Mme Joëlle Mélin, Mme Joséphine Missoffe, M. Christophe Mongardien, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, Mme Angélique Ranc, Mme Sandrine Rousseau, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry

 

Excusés.  Mme Béatrice Bellay, M. Yannick Chenevard, M. Hendrik Davi, Mme Karine Lebon, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Louise Morel, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, M. Jean-Hugues Ratenon

 

Assistaient également à la réunion  Mme Chantal Jourdan, M. Didier Le Gac