Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Table ronde sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100) :

– Alliance Vita : M. Tugdual Derville, porte-parole, et Dr Olivier Trédan, conseiller médical

– Association pour le droit de mourir dans la dignité : Dr Anne Vivien, vice‑présidente, et M. Yoann Brossard, secrétaire général

– Fondation Jérôme Lejeune : M. Jean-Marie Le Méné, président, et Mme Véronique Bourgninaud, chargée de plaidoyer « Dignité, handicaps et pathologies »

– Association Le Choix : Dr Denis Labayle, président d’honneur et porte‑parole, et Mme Annie Wallet, co‑présidente              2

– Présences en réunion.................................25

 

 

 

 

 


Mardi
1er avril 2025

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 59

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président

 


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La réunion commence à vingt et une heures trente-cinq.

(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)

La commission auditionne, dans le cadre d’une table ronde sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100), pour Alliance Vita, M. Tugdual Derville, porte-parole, et le docteur Olivier Trédan, conseiller médical, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, le docteur Anne Vivien, vice-présidente, et M. Yoann Brossard, secrétaire général, pour la Fondation Jérôme Lejeune, M. Jean-Marie Le Méné, président, et Mme Véronique Bourgninaud, chargée de plaidoyer « Dignité, handicaps et pathologies », et pour l’association Le Choix, le docteur Denis Labayle, président d’honneur et porte-parole, et Mme Annie Wallet, co-présidente.

M. Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance Vita. Au nom d’Alliance Vita, je tiens à exprimer notre inquiétude concernant le texte sur l’aide à mourir, que nous jugeons dangereux dans son principe et, plus encore, dans ses modalités.

Dr Olivier Trédan, conseiller médical d’Alliance Vita. En tant que médecin cancérologue, je ne peux pas accepter cette notion d’aide à mourir, qui tente de légitimer le suicide assisté et l’euthanasie. Notre mission est de prendre soin de la vie de nos patients, non d’administrer la mort. Les critères retenus dans ce texte risquent de perturber gravement notre travail et d’abîmer – voire de ruiner – la fragile confiance dans la relation entre soignant et soigné.

Le texte prévoit qu’une personne qui demanderait la prescription d’un produit létal devrait être atteinte d’une affection grave et incurable qui engage le pronostic vital en phase avancée. Or, les progrès médicaux permettent de contrôler la plupart des cancers métastatiques pendant plusieurs années. C’est le paradoxe de ces maladies graves, dont l’issue est souvent connue, mais dont la durée d’évolution est imprévisible. Comment répondre hâtivement à une demande de mourir alors que le temps à vivre est si incertain ?

Nous touchons le cœur de la relation entre soignant et soigné, fondée sur un pacte de confiance. Alors que nos structures hospitalières connaissent un grave manque de moyens, notamment humains, de nombreux professionnels expriment une souffrance au travail. Une loi de rupture donnant la capacité pour n’importe quel médecin, à tout moment du parcours, de suggérer puis de mettre en œuvre une procédure visant à provoquer la mort induirait inévitablement une méfiance chez les patients fragilisés et un doute sur leur droit de vivre.

La notion de « souffrance réfractaire au traitement ou insupportable selon la personne » comme critère d’accès au produit létal est problématique. Le terme « insupportable » est entendu comme un signal incitant à l’utilisation d’indicateurs d’échelle objective pour permettre une évaluation reproductible et réitérée. Les soignants prenant en charge des maladies chroniques graves savent que les souffrances sont éminemment fluctuantes dans le temps et nécessitent des réévaluations régulières. Une souffrance dite « insupportable » est tout sauf un critère objectif et tangible. L’utiliser comme critère de décision n’est pas acceptable.

Enfin, avec un processus de validation reposant sur un seul médecin décisionnaire, sans recours possible des proches ou des soignants, un processus rapide et implacable, aboutissant en quelques jours à une injection létale, pourrait s’enclencher pour des patients fragiles qui demanderaient à mourir dans des périodes de détresse. Il y a là un risque d’abus de confiance pour certains médecins volontaires qui administreraient la mort comme ils prescrivent des médicaments courants.

M. Tugdual Derville. Nous pensons que lever l’interdit de donner la mort à un patient, élément clef de toute déontologie médicale, serait injuste, particulièrement dans le contexte actuel de crise multiforme que traverse notre système de santé.

Ce texte contredit notre devise nationale.

En effet, une liberté n’est authentique que lorsqu’elle s’exerce en pleine connaissance de cause, ce qui n’est pas le cas ici. Les patients concernés subissent en effet trois types de pressions qui dénaturent leur liberté. Premièrement, quelle liberté peut-on avoir sous la pression d’une souffrance mal prise en charge, faute d’accompagnement ou de soins palliatifs ? Deuxièmement, comment parler de liberté quand on est sous l’emprise de la peur face à ce qui risque d’advenir, qui n’est jamais totalement prévisible ? Troisièmement, quel est le sens d’une liberté face à une société qui vous juge inutile, coûteux, pesant et laissant entendre que votre vie n’a plus ni sens ni valeur ? La prétendue « aide à mourir » risque de se transformer en « devoir de mourir ». De plus, la mort administrée s’imposerait aux proches – sans recours possible –, aux pharmaciens, aux établissements de santé – sans clause de conscience – et à toute l’équipe soignante, privée de la possibilité d’accompagner le patient. Pour tous ces acteurs, la liberté devient liberticide.

L’égalité est également bafouée. Pour les personnes en situation d’isolement, de précarité sociale, vivant dans des déserts médicaux, sans accès aux soins palliatifs, le suicide assisté ou l’euthanasie s’imposeraient par défaut de solidarité.

L’universalité de la prévention du suicide, élément clé de notre pacte social, est un enjeu de fraternité. Priver des patients de cette prévention revient à rompre ce pacte de solidarité. Ce sont les patients psychiquement fragiles, isolés, démunis et âgés qui seraient les premiers à demander l’euthanasie. Au Canada, ce sont les personnes aux revenus les plus faibles qui y ont recours.

Nous sommes particulièrement inquiets pour les personnes âgées, qui connaissent déjà un taux de suicide plus élevé après 75 ans. Le président de la Mutuelle générale de l’éducation nationale, qui soutient la mort administrée, nous a glacés en affirmant que « le taux de suicide des personnes âgées en France montre que la demande est déjà là ». Or, c’est l’offre de suicide assisté qui crée la demande. Au lieu de proposer aux patients de prendre soin d’eux, cette offre impose une question qui inverse le sens de la fraternité, suggérant que c’est le moment de partir.

Nous constatons déjà, à cause de ce débat, un effet Werther de contagion du suicide. Notre service d’écoute sur la fin de vie reçoit de plus en plus de demandes de suicide de personnes souffrant uniquement de maladies psychiques. Ce débat leur a fait croire qu’un service public dédié pourrait les suicider.

Nous sommes également choqués qu’on désigne des catégories de patients éligibles au suicide ou à l’euthanasie. Plusieurs membres de notre association, atteints d’affections dégénératives, expriment leur effroi de se voir ainsi stigmatisés. Les plus souffrants et leurs proches ont le plus besoin d’être protégés de la désespérance. Plutôt que de les orienter vers la mort, la fraternité consiste à les aider à vivre en les soulageant, sans acharnement thérapeutique, ni euthanasie, ni incitation au suicide.

Enfin, nous sommes inquiets pour l’avenir des soins palliatifs. Le Conseil d’État indiquait, en 2018, que laccès à des soins palliatifs de qualité constitue un préalable nécessaire à toute réflexion éthique aboutie sur la question de la fin de vie. C’est pourquoi nous estimons que devrait être consensuelle une loi de programmation pour appliquer le plan décennal de soins palliatifs, préalable à toute modification de la loi « fin de vie ». Alors que les gouvernements peinent à tenir leurs engagements, nous ne comprenons pas l’impatience à légaliser l’euthanasie. Votre proposition de loi, si elle était votée, pourrait entrer en vigueur dès fin 2025, alors que la stratégie décennale des soins d’accompagnement s’étalera sur dix ans. L’urgence commande donc d’adopter une loi de programmation, seule à même de garantir l’accès universel aux soins palliatifs.

Dr Anne Vivien, vice-présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. Notre association vise à obtenir un véritable accès universel aux soins palliatifs et la dépénalisation d’une aide à mourir encadrée, pour que chacun ait la liberté de choisir, jusqu’au terme de sa vie, entre ces deux accompagnements. Ces deux approches sont indispensables et doivent progresser ensemble, comme c’est le cas dans les pays voisins.

L’insuffisance actuelle des soins palliatifs fausse le débat sur le droit de chacun à choisir sa fin de vie. Cependant, cela ne doit pas occulter la légitimité d’une loi sociétale dépénalisant cette aide à mourir. Même dans un contexte d’accès optimal aux soins palliatifs, il subsisterait des circonstances où, malgré un accompagnement de qualité, une personne en fin de vie préférerait être aidée à mourir plutôt que de vivre jusqu’au bout une existence de souffrance.

L’objectif annoncé de cette future loi sur la fin de vie était de renforcer les droits des malades à cette dernière étape de la vie. Il est grand temps qu’à ce stade ultime de la maladie, les malades puissent, comme le prévoyait la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, être véritablement soulagés de leur souffrance et décider pour eux-mêmes en ce qui concerne leur état de santé. Cela implique, à ce stade, de pouvoir choisir la manière dont ils souhaitent être accompagnés jusqu’à leur mort.

Nous demandons que la loi que vous allez rédiger et voter place la personne malade au centre des décisions la concernant. Cette loi doit garantir l’accès à des soins palliatifs de qualité, mais aussi permettre de solliciter une aide à mourir comme un soin ultime quand il n’y a plus d’espoir de guérison ni d’autres moyens de soulager durablement des souffrances jugées intolérables par celui qui les subit, qui est expert de sa souffrance.

Les soignants en activité que nous avons rencontrés, ainsi que plus de la moitié des professionnels de santé ayant répondu à diverses enquêtes, y compris celle menée récemment par l’Ordre des médecins, se sont prononcés en faveur de l’aide à mourir dans ces circonstances, dans une proportion de 50 à 70 %.

Pour un malade, la possibilité d’une aide à mourir permet d’affronter mieux et plus longtemps une maladie grave et incurable. Pour un soignant, pouvoir répondre à une demande d’aide à mourir, dans un cadre défini par une loi, constitue une protection qui ne le laisse pas isoler face à des situations de grande détresse et lui permet d’apporter un peu de sérénité dans une fin de vie difficile.

Une écrasante majorité de Français aspire à la liberté de choisir pour eux-mêmes les conditions de leur fin de vie. Cette loi est très attendue. Le rôle qui vous incombe est d’en peser les termes pour qu’elle soit applicable et adaptée aux situations réelles vécues par les malades en fin de vie.

M. Yoann Brossard, secrétaire général de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité. Notre association souhaite souligner des points de vigilance concernant notamment la proposition de loi n° 1100 de M. Falorni.

Premièrement, nous insistons sur l’importance de la prise en compte des directives anticipées et de la personne de confiance dans le cadre du processus d’aide à mourir. Cela est crucial pour préserver les avancées de la loi de 2016. Intégrer les directives anticipées dans l’évaluation de la demande garantira une meilleure applicabilité de la loi, notamment dans les cas où une personne malade ne serait plus en mesure de réitérer sa demande en raison d’une altération de son discernement au cours du processus.

Deuxièmement, nous préconisons le maintien, dans les critères d’accessibilité, de la mention d’une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale et en l’absence de terme à l’engagement du pronostic vital. Cela évitera de faire peser la décision sur le personnel médical et respectera la volonté initiale du législateur de laisser la décision à la personne malade.

Troisièmement, nous demandons le maintien de la prise en compte des douleurs physiques ou psychologiques dans les critères d’accessibilité, sans conditions cumulatives. Certaines affections graves et incurables engendrent davantage de souffrances psychologiques insupportables que de souffrances physiques.

Quatrièmement, nous affirmons que la décision ne doit pas être collégiale, mais doit appartenir à la seule personne malade dans le cadre légal.

Cinquièmement, l’aide à mourir doit inclure à la fois le suicide assisté et l’euthanasie. L’euthanasie ne doit pas faire figure d’exception, mais être proposée comme un choix au même titre que le suicide assisté, que la personne malade pourra faire de façon libre et éclairée. L’autodétermination doit rester la boussole du législateur.

Légiférer sur l’aide à mourir permettra de protéger le personnel médical – en établissant un cadre pour effectuer le dernier soin, en définissant un protocole et en introduisant une clause de conscience – et les personnes les plus vulnérables – en faisant reculer une forme de paternalisme et en créant un cadre légal qui empêchera que d’autres décident à leur place.

M. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune. Ce texte se veut une grande loi républicaine pour disposer de sa mort, mais les Français n’ont que faire des grandes lois républicaines, déjà en nombre suffisant. Cela fait trente ans qu’ils attendent des soins palliatifs. On fait croire à nos concitoyens qu’en donnant leur assentiment à l’euthanasie et au suicide assisté, ils contribuent à préserver les victimes des injustices de la mort. Or, il n’y a pas d’injustice dans la mort. En revanche, si cette loi était votée, elle serait injuste, car les premières victimes de l’euthanasie seraient les soins palliatifs.

Cette loi, si elle était votée, priverait les mourants du temps nécessaire pour lâcher prise. Il faut du temps pour naître, mais aussi pour mourir. Les mourants sont des vivants de l’extrême où chaque seconde compte, la dernière étant peut-être une seconde de gratitude ou de ressentiment. Elle doit pouvoir être vécue en relation, et non dans la solitude.

À cet égard, le suicide assisté me paraît pire que l’euthanasie, car le mourant a besoin d’une complicité médicale pour le conforter dans l’idée qu’il est devenu indésirable au point d’être aidé à se tuer soi-même. La seule chose dont un mourant ne se lasse jamais, c’est d’être aimé. Dans le cas contraire, en effet, il ne peut qu’exiger qu’on l’achève.

Il serait plus transparent de préciser trois éléments.

Premièrement, l’exposé des motifs du texte que vous avez sous les yeux est un copié-collé des arguments de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). Par exemple, quand l’ADMD écrit « après la légalisation de l’IVG, une grande loi de liberté en fin de vie », on lit dans la proposition de loi ; « une grande loi de liberté, celle de disposer de sa mort, à l’image de la liberté de disposer de son corps ». Cette convergence s’explique par le fait que l’auteur de la proposition de loi est membre d’honneur de l’ADMD, mais elle soulève néanmoins une question d’indépendance.

Deuxièmement, les chiffres sont erronés. Cette loi n’est pas voulue par 90 % des Français. Le sondage Ifop de juin 2023 pose une question biaisée en demandant si la loi pourrait autoriser les médecins à mettre fin à la vie de personnes atteintes de maladies insupportables. On présente ainsi une fausse alternative entre la souffrance et la mort, en occultant l’option des soins palliatifs qui devraient être proposés. Lorsque, pour une étude de septembre 2024, Harris Interactive demande aux personnes sondées les domaines qui devraient être prioritaires pour le gouvernement, la fin de vie n’arrive qu’en quinzième position, sur vingt propositions, ce qui démontre clairement que ce sujet n’est pas une priorité pour les Français.

Troisièmement, cette proposition de loi fausse les règles démocratiques en bannissant les mots « euthanasie » et « suicide assisté », c’est-à-dire « homicide » et « complicité d’homicide », ce qui interdit d’exprimer la réalité de ce dont nous débattons.

La charge de la preuve devrait être renversée : quelles raisons justifieraient la mort administrée à nos concitoyens ? Ce ne sont pas les chiffres des demandeurs, qui sont erronés. Ce n’est pas l’alternative entre la souffrance et la mort, qui est truquée. Ce n’est pas la vérité des mots sur la fin de vie, qui est cachée.

Cette proposition de loi ne vise en réalité qu’à répondre à une pression idéologique, utilitariste et économique. Les soins palliatifs, coûteux, seront bons pour les riches, tandis que l’euthanasie, qui ne coûte rien, sera bien assez bonne pour les pauvres.

Mme Véronique Bourgninaud, chargée de plaidoyer « Dignité, handicaps et pathologies » à la Fondation Jérôme Lejeune. Je ne peux plus dissimuler l’ampleur de mon inquiétude et de mon incompréhension, partagées par de nombreux citoyens. Vous ne légiférez pas simplement sur une idée de la liberté ou de la fraternité, mais sur des personnes bien vivantes.

Le problème est que notre époque tend à censurer les mourants. Aujourd’hui, les mourants décèdent en clandestins, isolés à l’hôpital ou en institution. Pourtant, le véritable accompagnement de la fin de vie est d’abord une question de relation humaine.

Le cri « je veux mourir » n’est pas une demande positive, mais un appel à l’aide, qui signifie « ne me laissez pas seul, je souffre trop, soignez-moi ». L’euthanasie n’est pas et ne sera jamais un soin. Elle ne soulagera ni la solitude, ni le désespoir, ni la souffrance. Les gens n’ont pas besoin d’une aide à mourir, mais d’une aide à vivre.

En tant que fille d’un grand tétraplégique et mère de deux enfants handicapés, je suis une praticienne de la fragilité. Je tiens à vous alerter sur la pression collective que la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté exercera sur les personnes vulnérables, creusant davantage le fossé qui les sépare des bien-portants et des puissants.

Le risque est trop grand que cette loi contribue à installer un immense impensé collectif selon lequel on serait moins digne de vivre quand on est fragile, dépendant ou qu’on représente une charge financière pour ses proches ou la société.

Le sentiment de puissance conféré par l’essor des sciences et des techniques ne doit pas conduire à considérer la maladie, la fin de vie ou la dépendance comme un dysfonctionnement auquel la loi devrait remédier. Aucun coût médical ne peut justifier de provoquer la mort d’un patient. Ce serait un formidable constat d’échec, celui de l’inévitable conflit entre individu et société qui mène à ce moment tragique où l’on doit décider quel patient laisser mourir. La société n’a pas le droit de s’intéresser de façon préférentielle aux cas qui en « valent la peine ».

Personne, dans cette assemblée, n’oserait remettre en cause la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui place au premier rang le droit à la vie et à la sûreté de la personne. L’euthanasie est un homicide volontaire et délibéré. Il est de votre responsabilité de garantir, par la loi, la sûreté des personnes et de vous opposer à ce projet de loi. Si l’interdit de tuer tombe, les personnes vulnérables seront directement menacées.

Je tremble par avance pour mes enfants. Qui viendra les protéger quand je viendrai à disparaître, alors qu’ils ne savent ni se défendre, ni identifier une douleur quand ils sont malades, ni exprimer leur consentement ? Les personnes vulnérables, dont celles porteuses de handicaps mentaux, doivent être explicitement protégées par la loi.

C’est enfin tout le regard de notre société sur la dépendance, le grand âge et la fin de vie qu’il faut changer. Si des gens demandent à mourir, c’est parce que nous ne sommes plus capables de leur offrir les conditions d’une fin de vie digne. Notre responsabilité est collective. Ne détruisez pas l’interdit de tuer, qui fonde encore la solidarité et la solidité de notre collectif.

Dr Denis Labayle, président d’honneur de l’association Le Choix. Pendant que le monde politique tergiverse, les malades, eux, attendent.

Bien que nous soyons favorables au développement des unités de soins palliatifs sur le territoire, nous attirons votre attention sur plusieurs éléments concernant la première loi, portant sur le développement des soins palliatifs.

Il est fallacieux de présenter le problème du développement des soins palliatifs comme purement financier. Le problème majeur réside dans le manque de personnel.

En outre, il est mensonger de prétendre qu’une fois obtenue une extension des unités de soins palliatifs sur le territoire, tous les problèmes seront résolus. Les personnes qui nous consultent pour aller en Belgique et en Suisse viennent prioritairement de zones déjà pourvues en soins palliatifs.

Compte tenu du manque aigu de personnels soignants, nous sommes favorables à des solutions comme le développement des unités mobiles, à condition qu’elles aient un réel pouvoir médical et qu’elles acceptent de répondre à des malades qui souhaitent une aide active à mourir.

Nous souhaitons également le développement de soins palliatifs dans les services de médecine, avec une augmentation du nombre de lits de médecine.

Nous considérons comme prioritaire la formation du personnel soignant, facilement réalisable et peu onéreuse. L’enseignement des soins palliatifs doit être idéologiquement neutre, sans frontière entre soins palliatifs et aide active à mourir, comme c’est le cas dans de nombreux pays.

Enfin, il manque, dans cette première loi, la remise en question de la méthodologie de la sédation profonde et continue, éthiquement inacceptable pour de nombreux médecins. Nous nous opposons à la suppression absolue de l’hydratation, qui augmente les souffrances, et à la méthodologie de la sédation, qui est fluctuante et non pas continue, contrairement à ce qu’indique son intitulé. Cette méthodologie est trop mal connue, y compris par les responsables politiques, et sources d’agonies prolongées, inutiles et cruelles, ce qui explique l’échec patent de ce pilier de la loi de 2016.

Concernant la seconde loi, relative à l’aide active à mourir, je souhaite insister sur plusieurs points essentiels.

Nous maintenons que le malade devrait avoir le droit de choisir entre le suicide assisté proposé par la loi et l’aide médicale à mourir. Cette option constituerait la véritable originalité d’une loi française. Il est temps de cesser d’affirmer que les médecins s’y opposent. En supprimant la pénalisation qui pèse sur eux, ils intégreront l’aide active à mourir dans leurs pratiques médicales.

De plus, nous estimons que la sélection des malades susceptibles de bénéficier d’une aide active à mourir doit reposer sur des critères objectifs. Seuls les critères de maladie grave et incurable sont objectifs. Toute évaluation du pronostic s’avère illusoire.

Enfin, nous demandons que les directives anticipées deviennent opposables et que la personne de confiance bénéficie d’un véritable statut juridique.

Concernant les articles 6, alinéa 13, et 7, alinéa 3, nous jugeons que l’obligation pour les malades de renouveler leur demande d’aide active à mourir au bout de trois mois est inutile et peut avoir un effet pervers en incitant le malade à précipiter sa décision par crainte de devoir tout recommencer.

Pour l’article 5, alinéa 4, nous proposons de modifier les termes « médecin en activité » par « médecin inscrit au Conseil de l’Ordre », car il serait préjudiciable d’interdire aux médecins retraités d’accompagner les malades dans ce cheminement solidaire, alors qu’ils disposent de plus de temps que leurs collègues en activité.

Enfin, il est fondamental d’ajouter dans la loi un article précisant que le décret d’application sera publié dans les six mois. Un article complémentaire devrait annoncer la création d’une commission nationale multidisciplinaire pour vérifier la conformité du décret d’application à l’esprit de la loi. Nous devons éviter de reproduire les erreurs de la loi de 2016, où tout avait été confié à la Haute Autorité de santé (HAS), qui n’avait consulté que la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).

Nous suggérons également que la commission des affaires sociales encourage l’ensemble des élus à rédiger leurs propres directives anticipées avant de voter, ce qui éclairera leur choix au moment du vote.

Votre vote sera probablement le plus important de votre mandature, car il vous concerne directement. Nous comptons sur vous pour aboutir à un texte clair, respectant la diversité des demandes des malades. Faites abstraction de tous les lobbys, notamment religieux. Ne cherchez pas à obtenir une unanimité – impossible à obtenir –, au risque de réduire la portée de la loi. Aucune véritable loi sociétale n’a été votée à l’unanimité. Le vote à la majorité demeure la règle en démocratie.

Mme Annie Vidal, rapporteure. Concernant la stratégie décennale et le développement des soins palliatifs, des engagements financiers réels sont déjà inscrits dans la loi de financement de la sécurité sociale pour cette année.

Nous abordons la question des discussions anticipées au moment de l’annonce d’un diagnostic de pathologie grave, ainsi que celle de la rédaction éventuelle de directives anticipées et de la désignation d’une personne de confiance.

Bien que les personnes de confiance n’aient pas de statut, leurs missions ont été particulièrement décrites au moment de la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien‑vieillir et de l’autonomie, ainsi que dans le code de la santé publique et le code de l’action sociale et des familles.

Notre objectif n’est pas d’opposer le développement des soins palliatifs et l’aide active à mourir, mais de créer des passerelles et des complémentarités, en respectant autant que possible le choix de chacun tout en protégeant les patients et les professionnels de santé.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Considérez-vous qu’en 2025, la loi actuelle répond à toutes les situations de souffrance ? Estimez-vous que les soins palliatifs répondent à toutes les situations, sachant qu’Alliance Vita et la Fondation Jérôme Lejeune sont également opposées à la sédation profonde et continue ?

Monsieur Le Méné, vous m’avez reproché de rapprocher, dans mon exposé des motifs, l’avortement et l’euthanasie. Or, le 3 février 2023, vous avez écrit : « L’euthanasie est une conséquence, un aboutissement, un triomphe de l’avortement. » Je pense donc que vous m’autoriserez – et je n’ai d’ailleurs pas besoin de votre autorisation – à faire le même parallèle, notamment après la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), dont je me réjouis que la République l’ait votée.

M. Jean-Marie Le Méné. Ma remarque sur le lien entre avortement et euthanasie découle d’échanges approfondis que j’ai eus à plusieurs reprises avec Mme Agnès Firmin Le Bodo, au cours desquels je lui avais prédit que la légalisation de l’avortement serait utilisée comme un argument pour faire adopter une loi sur l’euthanasie et le suicide assisté.

M. Tugdual Derville. Concernant la sédation, nous avons été alertés, en 2016, par les déclarations d’Alain Claeys sur l’absence de l’intention. Les recommandations publiées par la HAS en 2018, clarifiant que la sédation ne vise pas l’euthanasie, nous ont rassurés.

Nous avons pu noter qu’en pratique, la sédation est proportionnée et, si possible, réversible pour préserver au maximum la liberté et la conscience du patient. En outre, elle est exceptionnellement profonde et continue jusqu’au décès. Cette pratique reste peu demandée et peu diffusée, d’autres moyens étant souvent privilégiés. Néanmoins, il est rassurant de savoir qu’en dernier recours, une sédation profonde et continue jusqu’au décès peut être mise en place pour assurer une mort paisible.

Nous insistons sur l’importance de maintenir une définition claire de l’euthanasie, à savoir une action ou une omission ayant pour intention de provoquer la mort. L’administration d’un analgésique pouvant éventuellement entraîner le décès comme effet secondaire peut être légitime. L’objectif est de soulager sans tuer, c’est là que se situe la ligne de crête essentielle.

Dr Anne Vivien. Nous plaidons nous aussi pour un accès à des soins palliatifs de qualité pour tous. Je souligne que 80 % des patients ayant bénéficié d’une aide à mourir dans le monde avaient préalablement reçu des soins palliatifs. En Belgique, il existe une parfaite collaboration entre soins palliatifs et euthanasie.

Je confirme que la loi actuelle ne répond pas à toutes les souffrances. Ni les soins palliatifs ni la sédation profonde et continue jusqu’au décès ne peuvent soulager toutes les souffrances. Il existe des douleurs réfractaires et les services spécialisés dans le traitement de la douleur reconnaissent de nombreux échecs. Le seuil de tolérance à la douleur est individuel et imprévisible. Je conteste l’idée que les médecins puissent évaluer l’importance de la souffrance à la place du patient. C’est le malade qui subit cette souffrance qui est le seul à pouvoir juger de ce qu’il est capable de tolérer. Cela s’applique tant aux souffrances physiques que psychiques. Chacun a sa propre conception de ce qu’il peut supporter, indépendamment de la qualité de l’accompagnement reçu.

Dr Denis Labayle. En tant que médecin hospitalier pendant quarante ans, j’ai consacré ma vie à défendre la vie. Cependant, il arrive un moment où la maladie l’emporte sur la médecine, entraînant des situations de douleur et de souffrance auxquelles on ne peut rester étranger. À ce stade, c’est au patient de décider.

Concernant la loi actuelle, des aspects de la sédation dite « profonde et continue » sont inacceptables. Il est médicalement inacceptable de déshydrater un malade ou de pratiquer une sédation fluctuante où les patients retrouvent leur douleur entre les doses de sédatifs. De plus, les dispositions concernant la fréquence des visites médicales à domicile sont inadéquates. Cette loi n’est pas raisonnable et nécessite une révision si nous voulons vraiment assurer une mort douce et digne à ces patients.

M. Laurent Panifous, rapporteur. Dans ses conclusions du 27 janvier 2023, l’Académie nationale de médecine affirme qu’il est inhumain de ne pas répondre, lorsque le pronostic vital est engagé à moyen terme, à la désespérance des personnes demandant les moyens d’abréger leurs souffrances dues à une maladie grave et incurable. Elle préconise également d’aménager le dispositif actuel en ouvrant de nouveaux droits pour aider à mourir le moins mal possible, en acceptant à titre exceptionnel l’assistance au suicide sous conditions impératives. Docteur Trédan, j’aimerais votre point de vue sur ces affirmations de l’Académie de médecine ?

Madame Bourgninaud, j’entends vos craintes concernant les dérives potentielles et les abus. Cependant, entendez-vous la recherche de liberté et d’autonomie des personnes en fin de vie qui, même en situation de souffrance, sont capables d’exprimer leur volonté ?

M. Philippe Juvin (DR). Monsieur Brossard, vous avez affirmé que la décision ne doit pas être collégiale. Or cette affirmation me surprend, car, en médecine, toute pratique médicale est collégiale, comme pour l’arrêt ou la limitation des soins. Pouvez-vous expliquer ce renversement par rapport aux pratiques médicales habituelles ? La collégialité a justement été imposée en réponse à des décisions scandaleuses prises par un seul médecin.

Madame Vivien, votre association souhaite que, sur le constat de décès, la case « mort naturelle » soit cochée pour les cas de suicide assisté ou d’euthanasie. Comment justifiez-vous cette position ? Ne risque-t-elle pas de compromettre le suivi statistique et l’évaluation de ces pratiques ?

Enfin, je note qu’au Québec, où l’euthanasie est légale, 15 % des donneurs d’organes ont été euthanasiés. Docteur Labayle, pensez-vous qu’il faille autoriser ou interdire le prélèvement d’organes sur des personnes ayant bénéficié d’une aide active à mourir ?

Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Monsieur Derville et docteur Trédan, pensez‑vous que l’euthanasie et le suicide assisté relèvent exclusivement de la religion et de facteurs strictement individuels et privés, que la société doit ignorer ?

Docteur Vivien et monsieur Brossard, je m’interroge sur l’implication des associations suisses homologues dans la procédure d’assistance au suicide sur prescription médicale en Suisse. Quels obstacles empêcheraient-ils votre participation à une telle procédure en France, à l’instar de vos homologues suisses ?

Aux Pays-Bas, on dénombre 91 000 euthanasies depuis 2001 et plus de 25 000 en Belgique depuis 2002, sans aucune poursuite pénale, ce qui semble statistiquement impossible. De plus, des études scientifiques révèlent que 30 à 40 % des euthanasies ne sont pas déclarées. Une jeune femme dépressive de 29 ans a été euthanasiée aux Pays-Bas tandis qu’une jeune femme de 23 ans, victime collatérale des attentats de 2016, a été euthanasiée en Belgique. Docteur Labayle, que vous inspire cette réalité ?

Enfin, seules sont indignes les fins de vie marquées par la solitude, l’absence ou l’insuffisance de prise en charge et les réponses inappropriées à un signal de détresse. L’expérience des unités de soins palliatifs démontre l’importance de la bienveillance et de l’écoute. Les soins redonnent l’envie de se battre, avec une diminution notable du stress et de la douleur. Quel est votre point de vue sur ce phénomène ?

Dr Olivier Trédan. Bien que l’Académie de médecine soit reconnue pour l’expertise de ses membres, il est important de souligner que d’autres sociétés savantes et groupes de médecins de haut niveau ont exprimé des opinions divergentes, comme la Sfap.

Cette audition élude les progrès considérables réalisés dans le domaine de la médecine palliative. Depuis vingt ans, grâce aux plans de développement des soins palliatifs, nous faisons des progrès extraordinaires pour apaiser sereinement la très grande majorité des patients.

Dans le centre de cancérologie où je travaille, je peux affirmer avec certitude que toutes les situations de fin de vie sont gérées par la loi actuelle. Je n’ai pas besoin de nouvelles lois pour accompagner mes patients en fin de vie. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail du personnel des soins palliatifs.

Je suis convaincu que, dans dix ans, l’Académie de médecine reconnaîtra les progrès de la médecine palliative.

M. Tugdual Derville. Notre association s’engage résolument dans la lutte contre la mort sociale des personnes, tout en maintenant notre opposition à l’euthanasie. Nous sommes préoccupés par le fait que quatre millions de nos concitoyens n’ont pas trois conversations suivies par an. Nous souhaitons voir advenir une société de la solidarité, en opposition à une société qui érigerait l’autonomie absolue en idole. Nous avons besoin du regard d’autrui pour nous rappeler notre dignité, et ce regard, lorsqu’il est dévalorisant, peut malheureusement pousser les plus vulnérables vers la sortie.

Le projet effectué au nom de la liberté devient liberticide par la pression culturelle qu’il fait subir aux personnes les plus fragiles. Un choix de société est à faire, qui n’est pas spécifiquement religieux. Lorsque 800 000 soignants, à travers leurs associations et syndicats, s’opposent à l’idée que donner la mort puisse être considéré comme un soin, il ne s’agit pas d’une position confessionnelle. Réduire cette question à une dimension uniquement religieuse ou catégorielle serait une erreur. Ce sujet nous concerne tous et nous sommes collectivement appelés à faire preuve de solidarité envers les plus vulnérables.

Dr Anne Vivien. Notre association souhaite la classification de cette forme de décès comme mort naturelle, car, si ce type de décès n’est pas considéré comme naturel, les compagnies d’assurance refuseront d’honorer les contrats souscrits par la personne décédée. De plus, si cette aide à mourir est accordée dans le cadre d’une loi qui l’encadre strictement, dans des circonstances bien définies de maladies graves ou d’états incurables, elle devient une conséquence de la pathologie et de l’état incurable du patient. Cette situation, qui entre dans un cadre légal et de prise en charge de maladies graves entraînant des souffrances inapaisables, diffère d’un suicide assisté non encadré ou d’une euthanasie clandestine.

Quant à la question du décompte, un contrôle a posteriori sera inévitablement mis en place. Toutes ces aides à mourir seront déclarées et contrôlées selon un système précis défini dans le cadre de la loi. Cette comptabilisation sera bien plus rigoureuse que celle de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, dont le nombre exact reste inconnu à ce jour.

Par ailleurs, en Suisse, bien qu’un médecin examine et prescrive la substance létale, ce sont les associations qui l’obtiennent et accompagnent les personnes dans leur démarche. En France, notre approche diffère. Alors qu’en Suisse, l’assistance au suicide n’est pas pénalisée, elle reste punissable chez nous. Si nous venions à l’autoriser, nous prendrions des précautions maximales. Nous voulons notamment éviter qu’une personne se retrouve seule ou mal entourée lors d’un suicide, avec des risques de complications. C’est pourquoi nous demandons la présence d’un soignant, même pour un suicide assisté. Enfin, je souligne que, contrairement aux associations suisses, nous fonctionnons exclusivement sur la base du bénévolat.

M. Yoann Brossard. Concernant la collégialité, il est essentiel de distinguer l’acte médical de la prise de décision. Dans le projet de loi actuel, c’est bien la personne malade qui prend la décision. Le rôle du médecin est d’éclairer le patient grâce à son expertise, puis de constater et d’entendre sa décision. La consultation d’autres avis est prévue et obligatoire dans le texte. Cette approche résulte d’une évolution de la relation, passant d’un patient qui consent à écouter son médecin à un médecin qui consent à écouter la personne malade. En outre, l’expérience belge a montré que la collégialité est un frein à l’applicabilité de la loi, car le patient mourait de sa pathologie avant d’avoir pu exprimer sa décision.

Mme Véronique Bourgninaud. Le risque d’abus et d’emprise sur les personnes atteintes d’un handicap mental ou d’une déficience intellectuelle est accru. C’est précisément l’impossibilité de ces personnes à pourvoir seules à leurs intérêts qui justifie les mesures de protection. Il serait paradoxal que la loi, qui interdit actuellement à une personne sous tutelle de vendre seule sa propriété ou de donner son sang, lui permette demain d’être euthanasiée si le texte était adopté en l’état.

La vulnérabilité et le besoin de protection des personnes porteuses d’une déficience intellectuelle ne doivent pas être occultés. Il est préoccupant de constater que la proposition de loi prévoit des sanctions pénales pour ceux qui empêcheraient un acte d’euthanasie, mais n’aborde pas la question de ceux qui inciteraient abusivement à l’euthanasie.

Le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a publié, le 26 mars dernier, un rapport concernant le Canada, qui note avec inquiétude « une évolution jurisprudentielle non contestée par le gouvernement du Canada qui modifie fondamentalement le principe de l’aide médicale à mourir, passant d’un programme où la mort naturelle est raisonnablement prévisible à un nouveau programme établissant l’aide médicale à mourir pour des personnes handicapées sur la base de perceptions négatives et capacitistes de la qualité et de la valeur de vie des personnes handicapées ». Ces observations confirment les vives inquiétudes exprimées par notre fondation.

Dr Denis Labayle. Concernant les dons d’organes, la loi ne changera rien, car, en France, chacun est considéré comme donneur d’organes par défaut, sauf opposition explicite.

Quant à l’existence d’euthanasies clandestines en Belgique, c’est possible. Cependant, en France, toutes les euthanasies sont actuellement clandestines, donc une légalisation représenterait un progrès significatif. Les pourcentages d’euthanasie restent faibles dans les pays où elle est légale. Il est intéressant de noter que, vingt ans après la légalisation dans ces pays, la population souhaite maintenir la loi, car elle a un effet apaisant sur l’angoisse, même pour ceux qui ne l’utiliseront pas.

Je tiens à rectifier l’affirmation selon laquelle 800 000 soignants seraient opposés à l’euthanasie, qui est inexacte et trompeuse.

Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Nous considérons l’aide active à mourir comme l’expression la plus aboutie de l’humanisme, permettant à chacun de disposer de soi jusqu’au bout. Au-delà du renforcement des soins palliatifs, nous plaidons pour une aide active à mourir, ayant constaté dans nos vies personnelles la souffrance, l’acharnement thérapeutique et la sédation parfois subie ou mal comprise.

Quelle est votre position concernant l’inclusion des mineurs émancipés dans le dispositif d’aide active à mourir ?

Comment envisagez-vous la possibilité pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives cérébrales incurables et irréversibles de bénéficier effectivement de l’aide active à mourir, dès lors qu’elles auraient rédigé leurs directives anticipées et désigné une personne de confiance ?

Je voudrais parler d’une femme de 59 ans ayant subi deux cancers et expérimenté des traitements sans succès. Accompagnée en soins palliatifs, elle a demandé l’euthanasie devant une équipe de médecins et ses propres enfants majeurs. Où sont le respect et la dignité de la personne malade dans cette situation ? Pourquoi la priver d’une aide active à mourir ?

M. Christophe Bentz (RN). Il est naturel que l’aide à mourir suscite plus de questions que les soins palliatifs. La loi Claeys-Leonetti existe, même si elle est insuffisamment connue. La porosité entre les deux textes est logique, l’euthanasie faisant partie intégrante du premier texte, malgré notre souhait initial de les traiter séparément pour permettre un vote en conscience.

Docteur Labayle, je ne rédigerai pas mes directives anticipées avant de voter. Ma conviction est fondée sur l’amour de la vie, avec toutes ses fragilités. Notre volonté est de soulager la souffrance et d’accompagner les personnes jusqu’à la fin. Les soins palliatifs devraient y répondre pleinement, mais ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui.

Docteur Vivien, vous avez qualifié l’euthanasie de « soin ultime ». Comment justifiez-vous que l’administration d’une substance létale puisse être considérée comme un soin ?

M. Thibault Bazin (DR). Je perçois un conflit entre l’éthique de l’autonomie et l’éthique de la vulnérabilité. Je penche personnellement pour une éthique de la vulnérabilité, estimant que la responsabilité première des pouvoirs publics est de protéger les plus fragiles.

Docteur Trédan, dans quelle mesure les enjeux éthiques varient-ils selon les différentes situations, notamment en cas de cancer menaçant le pronostic vital sans certitude quant à l’issue ? En outre, dans quelles mesures la volonté peut-elle changer durant les périodes de détresse ?

Madame Bourgninaud, les acteurs du secteur m’ont fait part des difficultés rencontrées dans la prise en charge hospitalière des personnes handicapées, notamment en raison de leur difficulté à exprimer la douleur. Ne devrions-nous pas développer des soins palliatifs spécifiquement dédiés aux handicaps ?

Monsieur Brossard, vous avez mentionné les souffrances psychologiques insupportables. Le texte actuel permet l’accès au suicide assisté – et potentiellement à l’euthanasie – pour des souffrances uniquement psychologiques. Dans le contexte de l’année de la santé mentale, particulièrement pour les jeunes, quels risques et messages spécifiques devrions-nous anticiper, sachant qu’aucune étude d’impact n’a été réalisée sur cet aspect ?

M. Philippe Vigier (Dem). Je souligne que les conditions d’écoute, de respect mutuel et de conviction ont été réunies pour ce débat. Contrairement à ce qui a pu être dit, nous ne sommes pas dans la précipitation ni dans des lois de circonstance, mais dans une temporalité exigée par d’autres critères que nous connaissons tous.

Le choix du Gouvernement de présenter deux textes distincts, relatifs aux soins palliatifs et à l’aide à mourir, évite d’opposer ces domaines ou de se réfugier dans les soins palliatifs pour éluder la question de l’aide à mourir. Cela permet également de prendre un engagement fort à travers une loi décennale. Dans l’élaboration de cette loi, nous avons visé la transparence, l’exigence et la rigueur, sans prétendre avoir tout résolu.

Le texte sur les soins palliatifs est un acte de foi très fort. Dans mon département, à 70 kilomètres de Paris, nous dépendons d’équipes mobiles venant d’Orléans ou de Rambouillet, laissant souvent les soignants locaux livrés à eux-mêmes. L’évaluation des sédations longues et continues, qui sont des soins ultimes, est cruciale.

Estimez-vous que l’aide à mourir, telle que définie dans le texte, pour des cas de pronostic vital engagé à court et moyen terme, avec des douleurs réfractaires physiques et/ou psychologiques, offre une meilleure protection aux soignants ?

Concernant les directives anticipées, pensez-vous que nous sommes allés assez loin pour protéger à la fois les soignants et les patients ?

Cette loi n’aborde pas la question des enfants ni celle des personnes handicapées. Il est essentiel de ne pas véhiculer d’informations erronées qui pourraient nuire à notre conscience collective. Je souligne l’importance d’évaluer cette loi une fois mise en œuvre. Si des ajustements s’avèrent nécessaires, nous devrons les effectuer en tenant compte de vos expériences et de celles que nous incarnons.

M. Stéphane Delautrette, rapporteur. La porosité entre les soins palliatifs et l’aide à mourir soulève la question du continuum. Un témoignage belge, entendu lors de la préparation de nos travaux, m’a particulièrement marqué, car il illustrait comment l’aide à mourir s’inscrivait en complémentarité dans une offre globale d’accompagnement du patient. Informer les patients de la possibilité de l’aide à mourir ne signifie pas qu’ils y auront nécessairement recours. Toutefois, cette connaissance peut les aider dans leur processus d’acceptation et d’accompagnement, voire faciliter l’acceptation de certaines périodes difficiles.

Ne devrions-nous pas, malgré la décision de séparer les deux textes, travailler à une plus grande complémentarité et porosité entre eux pour renforcer ce continuum ?

Ensuite, en quoi le projet que nous soumettons au débat ne protège-t-il pas suffisamment les personnes vulnérables, notamment celles en situation de handicap ? Nous voulons l’application de ce texte dans un cadre strictement encadré. Il ne s’agit en aucun cas de donner la possibilité à toute personne souhaitant mettre fin à ses jours de le faire sans condition. Si vous identifiez des points d’alerte concernant la protection des personnes vulnérables, des personnes en situation de handicap ou de celles qui ne sont plus en mesure d’exprimer leur réelle volonté, je vous invite à nous les signaler.

Dr Denis Labayle. Concernant la question des mineurs, en Belgique, quatre cas exceptionnels se sont présentés en dix ans, impliquant des enfants condamnés vivant des souffrances atroces. La décision a été prise à la demande de l’enfant, avec l’accord parental, dans un cadre extrêmement strict.

Quant aux soins palliatifs, je vous invite à rencontrer les personnes souhaitant se rendre en Suisse ou en Belgique, qui viennent de zones où il y a des soins palliatifs. Il est erroné d’affirmer que la couverture totale en soins palliatifs résoudra tous les problèmes. Cela améliorera certes la situation, mais cela ne résoudra pas tout.

La notion de soins a évolué au fil du temps. Autrefois considéré comme un devoir médical, l’acharnement thérapeutique a été arrêté par l’action du législateur. De même, l’IVG, jadis un crime, est désormais un droit constitutionnel. De nombreux pays considèrent désormais que répondre à la demande de mourir est l’ultime soin que l’on peut apporter à un patient. En tant que médecin, j’estime que c’est notre rôle d’accompagner les malades jusqu’au bout.

La Belgique applique cette loi depuis vingt‑cinq ans sans qu’aucun massacre de personnes handicapées n’ait eu lieu. Nous ne pouvons continuer à hésiter, alors que nos voisins européens légifèrent.

Mme Annie Wallet, co-présidente de l’association Le Choix. Cette loi s’adresse uniquement aux individus qui font la demande d’une aide à mourir. Pour une même maladie, certains patients choisiront d’aller jusqu’au bout, tandis que d’autres ne supportent plus leur condition. Pourquoi leur imposer une vie devenue un enfer ? Les malades restent des citoyens jusqu’au bout et doivent conserver leur droit de choisir jusqu’à la fin.

La loi proposée encadre strictement l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de souffrances psychologiques liées à une maladie physiologique incurable. Suffisamment de bornes sont donc inscrites dans la loi. Les personnes dépressives ne seront pas autorisées à obtenir une aide médicale à mourir si cette dépression n’est pas liée à une maladie grave.

Mme Véronique Bourgninaud. Je suis très inquiète concernant la situation des personnes handicapées. La proposition de loi mentionne les situations de maladie grave et incurable, catégorie dans laquelle entre la trisomie 21. Nous avons besoin du parapluie général des droits de l’homme comme cadre de référence transcendant les lois positives nationales.

Par ailleurs, je pense en effet qu’il est nécessaire que des soins palliatifs soient dédiés aux personnes handicapées. À l’Institut Lejeune, une consultation spécialisée pour le vieillissement des personnes porteuses d’une déficience intellectuelle d’origine génétique, notamment la trisomie 21, a démontré le besoin d’un accompagnement spécifique. Il s’agira d’aider ces individus à faire face à leur mort dans des conditions de relative liberté, qui peut être entravée par la déficience intellectuelle, et de faciliter le « travail du trépas », un concept ancien, mais essentiel.

M. Jean-Marie Le Méné. Je tiens à préciser que la trisomie 21 est bien considérée comme une maladie grave et incurable, puisque c’est sur cette base qu’elle est éligible à l’IVG.

M. Yoann Brossard. Le texte indique clairement qu’il faut être atteint d’au moins une affection grave et incurable, mais il est crucial de ne pas omettre la suite de l’alinéa, qui précise « en phase avancée ou terminale ». La trisomie 21 semble donc ne pas entrer dans ce cadre.

Les conditions prévues dans le texte sont cumulatives. La formulation initiale du texte gouvernemental visait à inclure à la fois les souffrances physiques et psychiques. L’objectif est d’englober toutes les souffrances inapaisables, physiques ou psychologiques, mais toujours dans le contexte d’une maladie en phase terminale. Il est primordial de souligner que ce n’est pas l’aide active à mourir qui causera le décès des patients, mais bien leur maladie.

Par ailleurs, les soignants seront effectivement mieux protégés par ce texte qui inclut une double clause de conscience supplémentaire, tout en instaurant un cadre et un protocole, permettant de protéger les personnes vulnérables.

Dr Anne Vivien. L’aide à mourir est effectivement un soin ultime dans le cadre d’un état sans issue, où ni la guérison ni le soulagement durable des souffrances ne sont possibles. Une personne qui estime que sa vie n’est plus que souffrance et qui souhaite être accompagnée vers la mort plutôt que vers une vie qu’elle juge insupportable a le droit d’être accompagnée et aidée à mourir.

Je réfute catégoriquement l’affirmation selon laquelle les progrès en soins palliatifs et en traitement de la douleur auraient résolu tous les problèmes. Des études démontrent que, même après une prise en charge en soins palliatifs, certains patients maintiennent leur demande d’aide à mourir. Il est important de noter que, bien que les unités spécialisées en soins palliatifs ne soient pas présentes partout en France, des soins palliatifs sont néanmoins dispensés sur l’ensemble du territoire, même si le nombre de lits spécialisés reste insuffisant pour les cas les plus complexes.

Dr Olivier Trédan. Introduire la possibilité d’une injection létale risque de modifier fondamentalement la relation entre soignant et soigné.

Je reconnais la réalité des souffrances vécues par certains patients en phase terminale de cancer. Cependant, je maintiens que les progrès réalisés en matière de soins palliatifs permettent aujourd’hui une prise en charge correcte de ces souffrances jusqu’au bout.

Concernant le pronostic, il est important de souligner la difficulté croissante à l’évaluer avec précision. Avec les progrès de la médecine, cette incertitude rend d’autant plus complexe l’évaluation du risque à court et à moyen terme.

M. Tugdual Derville. Les demandes des associations avec lesquelles nous débattons vont bien plus loin que la loi. L’expérience d’autres pays, comme la Belgique et le Canada, montre que l’ouverture initiale à l’aide à mourir peut mener à une extension des critères d’éligibilité.

Les données publiées dans le Journal of Pain and Symptom Management en 2018 révèlent qu’en Flandre, 25 à 35 % des euthanasies pratiquées n’ont pas été déclarées. Cela soulève des questions sérieuses sur le respect des critères établis.

Nous pensons que, même si votre intention est de limiter l’aide à mourir à un ultime recours, les critères initiaux proposés sont très larges. Lorsqu’une personne fait état de « souffrance psychologique insupportable », cela ne peut pas être contesté, ce qui constitue un sésame pour le suicide assisté et est donc extrêmement dangereux.

Nous estimons que cette loi, si elle était adoptée en l’état, serait très large et ne manquerait pas d’être aggravée par les revendications que nous avons entendues, concernant les enfants ou les personnes en situation de handicap physique. Le Dr Labayle a évoqué les cas de quelques enfants euthanasiés en Belgique. De plus, le président de l’ADMD s’est exprimé en faveur de l’euthanasie des enfants.

Dans le texte, seules les personnes favorables à l’aide active à mourir peuvent faire un recours. Imaginez le traumatisme pour une famille apprenant a posteriori l’euthanasie d’un proche sans avoir été informée.

Dr Denis Labayle. Actuellement, des Français se rendent à l’étranger pour bénéficier d’une aide active à mourir. À l’inverse, la France n’attire pas de personnes cherchant cette assistance, car les conditions ne donnent pas satisfaction.

M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie pour votre participation.

 

 

La réunion s’achève à vingt-trois heures trente-cinq.


Présences en réunion

Présents. – M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso, M. Laurent Panifous, M. Arnaud Simion, M. Nicolas Turquois, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier

Excusés. – Mme Anchya Bamana, M. Elie Califer, Mme Karine Lebon, M. Jean‑Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon

Assistaient également à la réunion. – Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, Mme Marie-France Lorho