Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Table ronde sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100) :
– Académie nationale de médecine : Pr Jacques Bringer, président du comité d’éthique, et Mme Claudine Esper, membre du comité d’éthique
– Conseil national de l’Ordre des médecins : Dr François Arnault, président, et Mme Julie Laubard, directrice adjointe des services juridiques
– Conseil national de l’Ordre des infirmiers : Mme Sylvaine Mazière-Tauran, présidente 2
– Présences en réunion.................................12
Mercredi
2 avril 2025
Séance de 10 heures 30
Compte rendu n° 61
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à dix heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission auditionne, dans le cadre d’une table ronde sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100), pour l’Académie nationale de médecine, le professeur Jacques Bringer, président du comité d’éthique, et Mme Claudine Esper, membre du comité d’éthique, pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, le Dr François Arnault, président, et Mme Julie Laubard, directrice adjointe des services juridiques, ainsi que pour le Conseil national de l’Ordre des infirmiers, Mme Sylvaine Mazière-Tauran, présidente.
Pr Jacques Bringer, président du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine. L’Académie nationale de médecine a exprimé, par une majorité de deux tiers des voix, sa volonté d’apporter une réponse pragmatique face à des situations particulièrement difficiles pour lesquelles une évolution de la loi est nécessaire, à condition de l’encadrer par des garde-fous.
L’Académie a mené une réflexion approfondie sur la question des maladies psychiatriques. La proposition de loi exclut les personnes atteintes de maladies psychiatriques, une décision salutaire qui permet d’éviter les dérives observées dans certains pays où des jeunes de 20 ans, atteints d’anorexie mentale, ont reçu une aide à mourir.
De nombreuses personnes atteintes d’une maladie chronique en phase terminale souffrent d’un état dépressif masqué, et sont susceptibles de formuler des demandes influencées par cette dépression non diagnostiquée. Il s’agit d’une problématique majeure. De plus, les progrès de la médecine, en prolongeant la vie, contribuent paradoxalement à engendrer une vulnérabilité dite iatrogène, génératrice de souffrances réfractaires ou insoutenables.
Le titre choisi par l’Académie pour son avis reflète notre position équilibrée : « Favoriser une fin de vie digne et apaisée : répondre à la souffrance inhumaine et protéger les personnes les plus vulnérables ». Le terme « apaisée » est fondamental, car l’Académie reste prudente quant à la définition de la dignité ou de l’indignité.
Concernant les conditions d’accès, nous avions initialement inclus la notion de « pronostic vital engagé à moyen terme ». La définition du moyen terme est difficile à établir, et pourtant certains pays l’ont fait, le situant entre quelques mois et un an. De manière générale, les lois comportent quantité de termes aux contours flous et sujets à interprétation. Pensons à l’« obstination déraisonnable » de la loi Kouchner, par exemple, ou même la sédation profonde et continue. Un flou en particulier nous semble problématique, c’est l’expression « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale », parce que des affections en phase avancée, il en existe beaucoup.
Concernant la procédure, nous estimons qu’il est crucial que le médecin propose systématiquement à la personne une orientation vers un psychologue clinicien ou un psychiatre, étant donné la prévalence des dépressions masquées dans les maladies incurables.
Enfin, l’ambiguïté sur le caractère obligatoire de la procédure collégiale doit impérativement être levée. La décision finale revient au médecin, mais il est inacceptable qu’un praticien décide seul. La collégialité doit inclure les aides-soignants, qui connaissent souvent mieux les patients et leurs familles qu’un médecin coordonnateur. Je rappelle que l’éthique se définit par le questionnement collégial, et non par une conviction intime, aussi sincère soit-elle. J’ajoute qu’il est regrettable que les psychiatres ne soient pas explicitement mentionnés au même titre que les psychologues dans la procédure collégiale, tant il convient de reconnaître leur expertise au même titre que celle des psychologues et des infirmiers.
Mme Claudine Esper, membre du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine. J’aimerais souligner les liens qui existent entre les deux propositions de loi. La proposition de loi sur les soins palliatifs et l’accompagnement comporte des dispositions intéressantes sur la formation des professionnels, et il est évident que si l’autre texte est adopté, alors cette formation doit porter également sur l’aide à mourir. Il en va de même pour les projets d’établissements et le plan personnalisé d’accompagnement. C’est pourquoi il importe d’envisager ces deux propositions de loi comme un tout.
Dr François Arnault, président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Je m’associe aux propos de l’Académie de médecine sur la nécessité de concevoir une procédure apaisée, par égard pour les patients.
L’Ordre des médecins a lancé une réflexion sur la question de l’aide à mourir en 2022, parce qu’il lui appartient de penser l’articulation entre les exigences éthiques et déontologiques de la médecine et les demandes de la société. Notre enquête auprès de 3 500 médecins a révélé qu’un tiers d’entre eux étaient disposés à aider les patients au moment de l’acte final. Ce chiffre traduit une forte évolution du corps médical, car cette proportion était sensiblement moindre par le passé. Il oblige par conséquent l’Ordre à étudier le rôle du médecin dans ce dispositif d’aide à mourir. Cette prise de position forte, qui respecte l’éthique de chacun, n’a pas suscité, je le souligne, de protestations au niveau du corps médical.
L’Ordre des médecins rappelle, au nom de ses principes, que l’euthanasie ne relève pas du soin, et que les médecins disposés à aider une personne à mourir doivent être protégés sur le plan pénal et disciplinaire. Il souhaite également que le texte mentionne la création d’une clause de conscience spécifique que le médecin peut faire valoir à tout moment. Il appartient alors au médecin qui ferait valoir sa clause de conscience d’aider son patient à trouver un confrère qui accepte de l’accompagner. Cela implique qu’il puisse trouver, auprès des services de l’État et de l’agence régionale de santé, la référence d’un médecin disposé à le faire. En revanche, l’Ordre est fermement opposé à la constitution d’une liste publique ou même professionnelle de volontaires.
Nous sommes par ailleurs attachés au principe de collégialité de la décision. Il est en effet impensable de laisser un médecin seul face à cette responsabilité et aux potentiels désaccords familiaux. La collégialité doit impliquer non seulement d’autres médecins spécialistes, mais aussi le personnel soignant en contact direct avec le patient, comme les aides-soignants et les infirmiers. Cependant, nous ne préconisons pas la constitution d’un groupe décisionnel reconnu par la loi qui procéderait à un vote. L’objectif est plutôt d’atteindre une intime conviction partagée sur le bien-fondé de la décision d’accéder à la demande du patient.
Nous estimons que l’acte lui-même doit être assumé par le patient, qu’il convient d’encadrer et d’accompagner. Le médecin a l’obligation déontologique d’être présent aux côtés de son patient tout au long du processus, de la maladie jusqu’à la phase finale. Néanmoins, nous ne sommes pas favorables à ce que la loi impose au médecin de pratiquer l’acte final. Sa participation doit rester volontaire.
Nous souscrivons aux critères d’éligibilité mentionnés dans la proposition de loi, et sommes favorables à l’exclusion des mineurs et de toute personne hors d’état de manifester sa volonté. En revanche, nous estimons que la notion de moyen terme n’est pas pertinente, faute de définition précise et compréhensible par tous. Nous préconisons de se concentrer uniquement sur l’état clinique du patient. La durée ne devrait pas constituer un facteur déterminant, étant donné que les progrès médicaux permettent de prolonger la vie dans des conditions parfois insoutenables pour le patient.
Enfin, nous proposons une modification importante dans le texte : au lieu de « en phase avancée ou terminale », nous demandons qu’il soit écrit « en phase avancée et terminale ». Ceci est un point capital pour nous, parce qu’il importe de mettre l’accent sur l’état clinique du patient et sa capacité à accepter sa situation.
En conclusion, nous, médecins, souhaitons être des acteurs responsables et éthiques dans ce débat sociétal, protéger les malades et assumer pleinement notre rôle.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran, présidente du Conseil national de l’Ordre des infirmiers. Le Conseil national de l’Ordre des infirmiers (CNOI) soutient que les soins palliatifs et d’accompagnement doivent demeurer une priorité de santé publique, et qu’il convient de garantir un accès équitable à ces soins dans l’ensemble du territoire, en milieu hospitalier, en établissement médico-social ou à domicile.
Pour répondre à cet enjeu, nous préconisons de renforcer les équipes soignantes et d’assurer leur disponibilité 24 heures sur 24, particulièrement dans les établissements médico‑sociaux, de former en continu les infirmiers aux soins palliatifs et à l’accompagnement de fin de vie, et de promouvoir une meilleure compréhension de ces soins auprès des soignants et du grand public. Nous insistons également sur l’importance d’associer systématiquement les infirmiers aux décisions collégiales, en reconnaissance de leurs compétences et de leur rôle de proximité auprès des patients.
Favorable à la liberté de chacun de se soigner en établissement ou à domicile, le CNOI estime que la création d’organisations territoriales dédiées avec des gestionnaires de parcours clairement identifiés est une mesure pertinente pour garantir un suivi de proximité adapté à chaque patient. Cependant, nous regrettons que les infirmiers ne soient pas explicitement cités dans le texte, malgré leur rôle central dans ces soins.
Le CNOI constate certaines insuffisances dans la proposition de loi relative à la fin de vie, qui ne prévoit pas de dispositions permettant d’adapter le code de déontologie des infirmiers, lequel stipule qu’un infirmier ne doit pas provoquer délibérément la mort, même à la demande du patient. Le texte indique qu’il appartient aux infirmiers disposés à participer au processus d’aide à mourir de s’enregistrer auprès de la commission de contrôle et d’évaluation, mais les modalités concrètes de cet enregistrement ne sont pas précisées. De même, l’exercice de la clause de conscience pour les infirmiers, qui est un enjeu central, n’est pas suffisamment encadré.
Concernant le transport de la substance létale, nous recommandons vivement la mise en place d’un circuit de médicaments rigoureusement encadré, incluant un conditionnement scellé de la seringue et un protocole de traçabilité conforme aux exigences de sécurité et de responsabilité professionnelles. Un amendement sera proposé en ce sens.
Nous estimons indispensable que l’avis d’un infirmier soit obligatoirement recueilli au cours de la procédure collégiale d’examen des demandes d’aide à mourir. La collégialité doit intégrer les infirmiers dans une logique de partage des responsabilités.
Nous insistons sur la nécessité d’une formation spécifique, initiale et continue, portant autant sur les aspects techniques que sur l’accompagnement éthique et émotionnel des patients et de leur entourage.
Il est également indispensable que les infirmiers impliqués dans l’aide à mourir bénéficient d’un accompagnement dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire, ce qui doit être explicitement mentionné dans le texte.
Enfin, nous demandons l’intégration de deux représentants des infirmiers, désignés par le CNOI, à la commission de contrôle et d’évaluation, afin de garantir une représentation équilibrée des professions concernées.
En conclusion, le CNOI réaffirme son attachement à un cadre législatif clair, protecteur pour les patients comme pour les soignants, et respectueux des principes déontologiques. Nous restons attentifs à la suite des débats et maintenons nos positions exprimées lors de l’audition d’avril, notamment concernant la protection des patients les plus vulnérables.
Mme Annie Vidal, rapporteure. Mme Esper a souligné la complémentarité entre les deux propositions de loi. Comment envisagez-vous les passerelles à construire entre ces deux textes ?
M. Olivier Falorni, rapporteur général. J’aimerais insister, en préambule, sur le caractère majeur de cette audition. C’est en effet la première fois que vos trois institutions sont ainsi réunies pour réfléchir sur les soins palliatifs et la fin de vie, et aucune n’a exprimé d’opposition frontale à ce que nous considérons comme un nouveau droit.
Nous avons effectivement supprimé la notion de moyen terme, parce que les médecins nous ont fait part de leur difficulté à prédire précisément le temps restant à vivre. C’est pourquoi nous nous sommes fondés sur la loi Leonetti de 2005 pour définir l’état clinique, et avons recouru aux notions de phases avancée et terminale.
J’aimerais connaître votre avis sur le principe d’une clause de conscience d’établissement, qui m’a toujours paru contradictoire, dans la mesure où une clause de conscience me semble être par nature individuelle.
Pr Jacques Bringer. Le président du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a mis en évidence l’ambiguïté de la conjonction « ou » dans la formule « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale », qui ouvre la porte à la prise en compte des maladies chroniques avancées. De manière plus préoccupante, cette formulation risque d’estomper davantage la frontière entre l’envie suicidaire et l’aide à mourir. Comment, en effet, appréhender la situation d’une personne atteinte d’une maladie à un stade avancé, mais non terminal, qui exprimerait des idées suicidaires ?
Une clause de conscience applicable à l’échelle d’un établissement me parait également inconcevable et potentiellement problématique, dans la mesure où elle pourrait empêcher la tenue d’une procédure collégiale, processus essentiel et enrichissant pour la protection des personnes.
Mme Claudine Esper. Dès lors que nous acceptons et mettons en place une aide active à mourir, il est impératif que cette mesure bénéficie des dispositions prévues dans le texte sur les soins palliatifs et les soins d’accompagnement. Je pense à la formation, mais aussi à la campagne annuelle d’information sur le deuil mentionnée dans le texte, qui doit contribuer à l’approfondissement de la culture palliative dans notre société.
Si j’insiste sur les passerelles entre les deux propositions de loi, j’estime que la rédaction des textes doit refléter leur complémentarité, et pour cela gommer certains manques en matière de terminologie. Ainsi, le texte sur les soins palliatifs ne saurait faire l’économie de la notion d’aide active à mourir, comme il le fait dans son état actuel.
Dr François Arnault. Je souscris au point de vue du Pr Bringer relatif à une clause de conscience d’établissement, qui me paraît effectivement inconcevable. J’ajouterai toutefois qu’il est impératif d’éviter la création d’établissements spécialisés dans l’aide à mourir.
Au cours des discussions sur la loi Claeys-Leonetti en 2016, le CNOM s’était engagé à mettre en œuvre la loi sans réclamer l’instauration d’une clause de conscience. Il la réclame cette fois. Dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti, le patient demande à ne plus souffrir, et la sédation qui est pratiquée n’équivaut pas à une programmation de la mort. En revanche, la proposition de loi actuelle prévoit que le patient puisse explicitement demander que l’on mette fin à sa vie. Cette différence fondamentale justifie l’inscription dans la loi d’une clause de conscience.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Je considère que les deux textes sont, de fait, coordonnés. Il serait inconcevable que la prise en charge d’un patient par une équipe de soins palliatifs change de nature au moment où il décide de formuler une demande d’aide à mourir. La continuité des soins au sein de la même équipe me semble essentielle.
Je rejoins ce qui a été dit sur la clause de conscience et son caractère individuel, mais je ferais observer que la question d’une clause de conscience d’établissement a émergé dans le cadre de l’élaboration des projets d’établissement, qui réclament des valeurs communes et un travail collectif. L’ouverture d’un droit à l’aide à mourir requiert une organisation et une anticipation à l’échelle d’un établissement.
M. Thibault Bazin (DR). Contrairement à vous, monsieur le rapporteur, je perçois davantage de réserves que d’enthousiasme de la part des intervenants, qui semblent considérer que la rédaction du texte n’est pas satisfaisante. En outre, le président du CNOM a souligné que deux tiers des médecins ne sont pas disposés à pratiquer l’aide active à mourir, ce qui constitue un élément significatif à prendre en compte.
Professeur Bringer, pourriez-vous développer votre point de vue relatif à l’inclusion des souffrances psychologiques comme critère d’accès au suicide assisté ou à l’euthanasie, même en l’absence d’un stade avancé de la maladie ? Notre devoir d’assistance n’impose-t-il pas vérifier si le patient a des idées suicidaires et, le cas échéant, d’y remédier ? Si l’intervention d’un psychiatre n’est pas obligatoire, comment notre système de santé pourra-t-il assumer sa responsabilité dans ces situations ?
Ma seconde question porte sur la sédation profonde et continue. Si nous adoptons la proposition de loi actuelle, la loi Claeys-Leonetti deviendra-t-elle obsolète ? Si elle ne le devient pas, les dispositions prévues dans la proposition de loi ne risquent-elles pas de prendre le pas sur celles de la loi Claeys-Leonetti ? La coexistence de deux lois ne va-t-elle pas modifier la relation entre soignants et patients, notamment dans les établissements spécialisés en soins palliatifs ?
Mme Justine Gruet (DR). J’aimerais savoir si le CNOM considère que le critère de volonté libre et éclairée doit faire l’objet d’une évaluation par le corps médical ou par un juge, comme c’est le cas pour les mises sous tutelle ou curatelle.
Comment redéfinir la notion de moyen terme pour lever toute ambiguïté, sachant que certaines maladies chroniques comme le diabète de type 2 pourraient potentiellement entrer dans les critères ouvrant le droit à l’aide active à mourir ?
Comment l’Académie de médecine envisage-t-elle d’intégrer une culture palliative plus approfondie dans l’ensemble du cursus de formation médicale ?
Que pense le CNOI de la distinction, dans le texte, entre « soins palliatifs » et « accompagnement », terme devant lequel on a supprimé le mot « soins » ?
Enfin, ne serait-il pas judicieux d’exclure la possibilité de pratiquer l’aide active à mourir dans les maisons d’accompagnement ?
M. René Pilato (LFI-NFP). Les opposants à l’aide active à mourir utilisent souvent le terme « euthanasie ». Bien que l’étymologie de ce mot renvoie à l’idée d’une mort douce, son usage évoque plutôt l’idée de donner volontairement la mort. Les médecins désormais disposés à accompagner les personnes dans une démarche d’aide à mourir ont-ils déconstruit cette notion d’euthanasie ? Ont-ils saisi la nuance entre répondre à une demande légitime, considérée comme un droit, et l’acte de donner volontairement la mort ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). L’article 14 de la proposition de loi stipule qu’un soignant doit consigner dans le dossier médical ses observations relatives au patient. Cependant, tant qu’il n’est pas sollicité par le médecin dans le cadre d’une procédure d’euthanasie, il n’est pas protégé par la clause de conscience. Dès lors, un soignant qui entend une demande d’euthanasie doit-il la signaler dans le dossier, alors même qu’il n’est pas encore en mesure d’exercer sa clause de conscience ?
Par ailleurs, sachant que treize millions de personnes en France souffrent d’affections de longue durée, pensez-vous que les critères énoncés dans l’article 4 soient suffisamment restrictifs ?
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je sollicite votre avis sur l’hypothèse d’une administration du produit létal par un tiers, proche désigné comme personne de confiance ou professionnel de santé, agissant nécessairement sous supervision médicale. Quels seraient selon vous les critères pertinents pour encadrer cette supervision ?
L’aide à mourir est déjà pratiquée dans certains établissements de santé, au risque de poursuites judiciaires. Avez-vous connaissance de condamnations de soignants pour des actes correspondant à ce que nous envisageons aujourd’hui ? Cette question soulève la possibilité d’une amnistie pour les cas qui seraient couverts par le texte en discussion.
Enfin, puisque la loi accorde aux mineurs certains droits relatifs à la maîtrise de leur corps, tels que la contraception, l’opposition au prélèvement d’organes dès 13 ans ou l’ouverture d’un dossier médical personnel, quels arguments justifient un seuil d’âge différent pour le droit à mourir ? Je précise que je suis personnellement favorable à son ouverture dès 16 ans.
Pr Jacques Bringer. La loi Claeys-Leonetti a introduit le terme de souffrance, qui englobe la douleur physique et la souffrance psychologique, deux aspects difficilement dissociables. La formulation « souffrance physique et psychique » semble pléonastique, mais elle est essentielle pour établir le lien avec l’affection en phase avancée ou terminale, excluant ainsi la « souffrance de vie » ou la dépression.
La culture palliative est manifestement insuffisante dans les facultés de médecine. Or elle est au cœur de la médecine de la personne. Elle englobe l’écoute, le soin attentif, la présence et l’accompagnement jusqu’au bout. La culture palliative, c’est l’écoute de l’hésitation : elle constitue l’essence même de l’humanité du soin.
Dr François Arnault. À M. Bazin qui évoque la proportion de médecins non disposés à aider à mourir, je répondrais que l’attitude de tout médecin est susceptible d’évoluer en fonction des circonstances, de ses patients et de divers facteurs. L’opinion des médecins à ce sujet a fortement évolué ces dernières années, et il est probable qu’elle évolue encore.
Si des pratiques d’aide à mourir existent hors de toute légalité, cela démontre la nécessité d’une législation protégeant les médecins qui agissent pour aider leurs patients, la question de la rétroactivité relevant de la compétence du législateur.
Le critère de la volonté libre et éclairée évoqué par Mme Gruet suppose un échange profond et une convergence entre le patient en demande et le médecin qui reçoit cette demande. Le rôle de celui-ci est justement d’éclairer cette volonté.
Je suis réticent à l’imposition de délais fermes, parce qu’il arrive fréquemment qu’un patient qui demande à mourir change d’avis après avoir été pris en charge par une équipe de soins palliatifs. Lorsqu’un patient n’accepte pas cette prise en charge palliative, et cela arrive parfois, alors il revient à la loi de lui apporter une réponse. Mais rien n’est possible sans que le patient ait lui-même, de son propre chef, pris l’initiative d’exprimer une demande et décidé de sortir du cadre de la loi Claeys-Leonetti.
Je ne suis pas favorable à l’administration par un tiers, qui vivrait le reste de ses jours avec cette idée. Le CNOM estime que l’administration doit être pratiquée par le patient, et que ce geste doit être impérativement encadré par le corps médical.
Enfin, j’observe que les pays ayant ouvert le droit à l’aide active à mourir aux mineurs demandent aujourd’hui à revenir en arrière.
J’achève mon propos en insistant sur un point crucial : la loi doit impérativement protéger les soignants par rapport au code de déontologie et au code pénal.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Je regrette la disparition du terme « soins » devant le mot « accompagnement », car si des bénévoles sont à l’évidence capables d’accompagner les personnes, les soignants, notamment les infirmières, prodiguent bien des soins, ce qui est différent.
La situation décrite par Mme Dogor-Such à propos de la clause de conscience ne me semble pas problématique du point de vue juridique. Dans nos relèves d’équipe et dans le suivi du patient, nous notons régulièrement les propos du patient qui dénotent une profonde interrogation sur son devenir, voire des envies suicidaires. Ces propos sont des informations partagées entre professionnels, et les consigner dans un dossier constitue une procédure normale.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). J’aimerais comprendre pourquoi le CNOM, par la voix de son président, réclame une clause de conscience spécifique. Cette clause de conscience existe déjà et peut être invoquée.
Je souhaite que la formation à la culture palliative soit dispensée de manière continue au personnel médical, parce qu’on ne meurt pas seulement dans les unités de soins palliatifs, mais aussi dans les unités de soins traditionnelles et, de plus en plus, à domicile.
Ayant travaillé moi-même en service de réanimation, je peux témoigner de la collégialité des décisions, qui implique toutes les catégories de soignants, et qui fournit un exemple de bonne pratique en matière de prise de décision.
Enfin, si les maisons d’accompagnement constituent un intermédiaire entre les soins palliatifs et le domicile, comment les mettre en place, et avec quels professionnels de santé, dans un contexte de pénurie de personnel ?
Mme Fanny Dombre Coste (SOC). Il a été fait mention à plusieurs reprises des liens entre les deux propositions de loi, et l’idée d’une consubstantialité entre les deux textes a été suggérée. Je pense que ce point mérite d’être approfondi.
Le Pr Bringer a souligné que la culture palliative repose sur l’écoute de l’hésitation. Ne pensez-vous pas, professeur, que la médecine de la personne devrait faire partie du socle commun de la formation médicale ? J’aimerais aussi connaître votre avis sur la possibilité de créer un diplôme d’études supérieures spécifique aux soins palliatifs, et de regrouper les formations à la médecine de la douleur et aux soins palliatifs.
Enfin, je souhaite connaître la position du CNOM sur les maisons d’accompagnement et de soins palliatifs.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je note une évolution dans les positions exprimées, notamment concernant la qualification de l’aide active à mourir comme acte médical.
Ma question porte sur la dépression, manifeste ou latente, et sur son impact sur la capacité de discernement. Il me semble naturel qu’une personne en fin de vie puisse traverser des épisodes dépressifs. Cependant, cela empêche-t-il réellement d’avoir le discernement requis pour prendre la décision de cesser de vivre ? Les épisodes dépressifs devraient‑ils systématiquement interdire l’accès à l’aide active à mourir ?
Mme Josiane Corneloup (DR). Bien que l’accès aux soins palliatifs se soit amélioré depuis 2020, vingt-et-un départements sont toujours dépourvus d’unités de soins palliatifs, et 20 à 40 % des personnes décédant chaque année n’ont pas accès à ces soins. Il me semble impossible de légiférer sur l’aide active à mourir si l’accès aux soins palliatifs et aux soins d’accompagnement n’est pas garanti à tous. Sans accès à ces soins, le choix de mourir pourrait n’être qu’un choix par défaut. Quelles sont vos préconisations les plus urgentes pour un plan national ambitieux visant à améliorer l’accès aux soins palliatifs ?
M. Philippe Vigier (Dem). Je voudrais d’abord saluer la meilleure attention portée par le CNOM aux évolutions sociétales.
De nombreux opposants à l’aide active à mourir redoutent des dérives. Estimez‑vous que la proposition de loi comporte des garde-fous suffisants ? Que prévoyez‑vous pour pallier la méconnaissance persistante de la loi par certains professionnels, qui se sentent souvent abandonnés ? Pensez-vous que la proposition de loi soit de nature à les rassurer ? Enfin, pouvez-vous confirmer qu’un médecin a le droit de ne pas pratiquer un acte qu’il ne souhaite pas effectuer ?
Pr Jacques Bringer. Il est peu probable que tous les territoires disposent d’unités de soins palliatifs suffisamment dotées en personnel dans un avenir proche, mais cela n’empêche pas de développer de réelles compétences en soins palliatifs et d’élever rapidement le niveau de formation des internes, avec l’appui de la conférence des doyens.
Détecter et traiter la dépression masquée est déterminant, car cette affection peut transformer radicalement la perspective du patient. Les psychiatres sont particulièrement sensibles à cette question ; c’est pourquoi il importe que la loi rende obligatoire leur implication dans le processus.
Mme Claudine Esper. Au-delà de la clause de conscience générale inscrite dans le code de déontologie, la clause de conscience spécifique pour l’aide active à mourir est à la fois symbolique et nécessaire puisque cette pratique implique un acte médical, à savoir la prescription d’un produit létal par un médecin.
Dr François Arnault. Je partage entièrement l’avis de Mme Esper concernant la clause de conscience spécifique, qui est absolument incontournable.
Il est impératif d’intégrer la formation à la culture palliative au sein du cursus universitaire, non pas comme une spécialité à part entière, mais comme un élément fondamental de l’apprentissage médical. La culture palliative s’acquiert avec l’expérience et le vécu du métier de médecin au contact des patients.
Pour pallier le manque de moyens dans les soins palliatifs, nous proposons la mise en place d’une validation des acquis de l’expérience (VAE) pour la culture palliative. Cette VAE, validée par des commissions ordinales et évaluée par l’université, pourrait être complétée par une formation spécialisée transversale au niveau universitaire. Cette approche répondrait à la rigidité actuelle des filières médicales qui nuit parfois à l’offre de soins.
L’objectif des services de soins palliatifs consiste à transformer la demande d’aide à mourir en une prise en charge qui redonne sens à la vie des patients dans leur dernière phase d’existence. La demande d’aide à mourir peut être considérée comme un échec du palliatif, mais cet échec est principalement dû au manque d’accès généralisé à ces soins. Il est donc primordial de concentrer nos efforts nationaux sur le développement de ces services.
Je peine à différencier les maisons d’accompagnement des services de soins palliatifs sur le plan de leur mission, au-delà des différences administratives. La raison d’être de ces deux structures est identique, et se rapporte à l’accompagnement des personnes confrontées à des souffrances physiques et psychologiques en fin de vie.
Je reconnais que l’Ordre des médecins n’a pas suffisamment œuvré pour la sensibilisation aux soins palliatifs. Nous nous engageons désormais à lancer une campagne d’information et de formation des médecins sur ce sujet.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Le raisonnement clinique des unités de soins palliatifs est fondé sur l’attention portée à la personne. La formation initiale des professionnels de santé inclut un volet consacré aux soins palliatifs. De nombreux infirmiers exerçant dans des services spécialisés ou orientés vers les soins palliatifs ressentent le besoin de compléter leur formation par des diplômes universitaires ou des masters en soins palliatifs, enrichissant ainsi leur expérience et leurs connaissances. Ces efforts de formation complémentaire ne sont pas reconnus sur le plan statutaire, ce qui est regrettable. Une valorisation de cet investissement en formation pourrait encourager davantage de professionnels à s’orienter vers ce type d’exercice.
Pour améliorer immédiatement la prise en charge palliative sur l’ensemble du territoire, la priorité devrait être donnée à la création d’équipes mobiles de soins palliatifs, notamment gériatriques, dans toutes les régions. Étant donné que la majorité des patients en fin de vie décèdent à domicile ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes plutôt qu’en milieu hospitalier, il est crucial de délocaliser la culture palliative.
Enfin, pour répondre à la question de M. Vigier, je réaffirme que, tout comme les médecins, les infirmiers disposent d’un droit légitime à ne pas effectuer un acte qu’ils considèrent comme contraire à leur déontologie.
Mme Annie Vidal, rapporteure. Les maisons d’accompagnement, telles qu’elles sont envisagées dans la proposition de loi, ne sont pas conçues comme des unités intermédiaires, des établissements sanitaires, ni des unités de soins palliatifs à moindre coût. Elles représentent plutôt une alternative d’hébergement destinée à deux catégories de patients : ceux qui n’ont plus besoin d’une prise en charge intensive en soins palliatifs mais ne peuvent pas rentrer chez eux pour diverses raisons, et ceux qui sont à domicile et dont les aidants ou la famille nécessitent un répit temporaire. Ces patients, théoriquement pris en charge par une hospitalisation à domicile, pourraient séjourner dans ces établissements tout en continuant à bénéficier de ce type de suivi. Les maisons d’accompagnement offrent ainsi une forme d’hébergement avec des accueillants, mais ne constituent pas une structure de soins à proprement parler.
M. le président Frédéric Valletoux. Je remercie l’ensemble des participants pour leur présence, leurs contributions et la qualité de nos échanges.
La réunion s’achève à douze heures trente-cinq.
Présences en réunion
Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Sylvie Bonnet, M. Xavier Breton, M. Elie Califer, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Olivier Fayssat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Guillaume Garot, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, Mme Marietta Karamanli, M. Michel Lauzzana, Mme Élise Leboucher, M. René Lioret, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Hanane Mansouri, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Laurent Panifous, Mme Angélique Ranc, Mme Anne-Sophie Ronceret, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, M. Arnaud Simion, M. Jean Terlier, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry
Excusés. – Mme Anchya Bamana, M. Didier Le Gac, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Sébastien Peytavie, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Emmanuel Taché de la Pagerie
Assistaient également à la réunion. – M. Christophe Blanchet, Mme Justine Gruet, Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. René Pilato