Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Suite de l’examen de la proposition de loi relative à la fin de vie (n° 1100) (M. Olivier Falorni, rapporteur général ; M. Stéphane Delautrette, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso et M. Laurent Panifous, rapporteurs)              2

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Vendredi
11 avril 2025

Séance de 21 heures

Compte rendu n° 71

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président

 


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La réunion commence à vingt et une heures.

(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)

La commission poursuit l’examen de la proposition de loi relative à la fin de vie (n° 1100) (M. Olivier Falorni, rapporteur général ; M. Stéphane Delautrette, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso et M. Laurent Panifous, rapporteurs).

Chapitre II 
Conditions d’accès

Article 4

Amendements de suppression AS39 de M. Patrick Hetzel, AS256 de M. Thibault Bazin et AS941 de M. Philippe Juvin

M. Patrick Hetzel (DR). Cet article prévoit des critères ne correspondant pas à des notions cliniquement fondées et des exceptions étendues. Un des points qui font débat, notamment si on se réfère aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), est la mention des affections graves et incurables, dont le champ est si large qu’il concerne, d’après les chiffres de l’Inspection générale des affaires sociales, presque 14 millions de Français. Ensuite, il n’existe pas de consensus sur la définition du pronostic vital engagé, d’autant qu’il faut distinguer le court terme et le moyen terme. Enfin, la notion de phase avancée n’est pas définie médicalement.

M. Thibault Bazin (DR). L’article 4 définit les critères permettant de bénéficier d’une substance létale pour accélérer la mort. Il faut avoir 18 ans, être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France, être atteint d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital – sans qu’on sache vraiment si c’est à court terme ou non, puisqu’il est question de « phase avancée ou terminale » –, et présenter une souffrance physique ou psychologique, alors que le projet de loi ne permettait pas qu’il s’agisse uniquement d’une souffrance psychologique.

Je m’interroge sur ces critères, mais aussi sur le fait que, si l’on en croit les propos tenus par certains, il pourrait ne s’agir que d’une étape provisoire avant un assouplissement. Aux Pays-Bas, le critère d’âge est passé de 18 à 12 ans, évolution qui suscite désormais des regrets. Par ailleurs, qu’en sera-t-il des personnes, par exemple fortement dépressives, qui auront une maladie grave et incurable sans que leur pronostic vital soit engagé ? Ne devrait‑on pas soigner leur dépression plutôt que de leur apporter un autre type d’aide ? Si nous reconnaissons un nouveau droit, certains demanderont pourquoi ils ne peuvent pas en bénéficier. Ne sommes-nous donc pas au début d’un processus d’élargissement progressif ?

M. Philippe Juvin (DR). La question des critères est évidemment essentielle. Ils sont rédigés de telle manière que des patients ayant plusieurs années à vivre seront concernés. Par exemple, une femme qui a un cancer du sein avec, d’emblée, des métastases osseuses, mais sensible à la thérapie, souffre d’une maladie grave et incurable, qui engage le pronostic vital et est en phase avancée, mais a désormais plusieurs années à vivre grâce aux chimiothérapies et aux immunothérapies, lesquelles provoquent parfois des souffrances très importantes sur le plan physique ou psychologique. Cette personne entre le cadre prévu par ce texte, puisque celui-ci ne demande plus que le pronostic vital soit engagé à court terme.

Autre exemple, un patient en dialyse chronique – on en compte 100 000 en France – souffre d’une maladie par définition grave et incurable, terminale et qui engage le pronostic vital – si vous arrêtez la dialyse, vous mourrez en trois ou quatre semaines. Il arrive que ces personnes aient des souffrances importantes. Les dialyses péritonéales, qui ont lieu à domicile toutes les nuits, sont ainsi extrêmement pénibles. Si les patients considèrent que ces souffrances, liées à leur affection, sont insupportables, ils entrent dans les critères du texte.

Voilà deux exemples de patients souffrant de pathologies fréquentes et qui ont un pronostic de vie de plusieurs années, mais qui satisfont tous les critères. Le texte est écrit d’une manière qui le rend vraiment très ouvert.

Mme Brigitte Liso, rapporteure. Cet article est la pierre angulaire du texte. Vous le trouvez permissif ; je pense au contraire qu’il offre un cadre très clair en fixant des conditions strictes et précises, qui sont cumulatives.

L’aide à mourir sera ainsi réservée aux personnes âgées de plus de 18 ans, ce qui correspond à la pleine capacité juridique. Le Conseil d’État a considéré que l’exclusion des mineurs ne méconnaissait aucun principe constitutionnel ou conventionnel.

La personne devra être de nationalité française ou résider de manière stable et régulière en France.

Elle devra être atteinte d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital et qui est en phase avancée ou terminale. Nous aurons sans doute l’occasion de revenir assez longuement sur cette condition, compte tenu des débats que nous avons déjà eus l’année dernière.

La personne devra présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection et soit réfractaire aux traitements soit insupportable, selon la personne, lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement.

Enfin, la personne devra être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.

Avis défavorable aux amendements de suppression.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je peux comprendre qu’on se questionne sur l’équilibre proposé, même s’il me semble bon. Mais supprimer cet article empêchera tout débat en la matière. Je suis donc absolument défavorable à ces amendements.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Les critères sont cumulatifs, ce qui limitera beaucoup les possibilités. Monsieur Juvin, sans vouloir vous faire offense, il est question de maladies graves et incurables pour lesquelles il n’y a plus de traitement possible. Si un insuffisant rénal qui est en dialyse arrête celle-ci, il meurt, effectivement, mais sinon, il a bien un traitement. Il en est de même en cas d’insuffisance cardiaque ou de diabète. Tant qu’on peut suivre un traitement, on peut continuer à vivre. Il ne faudrait pas se faire peur en disant que toutes les maladies chroniques sont concernées.

M. Gaëtan Dussausaye (RN). Je peux comprendre, moi aussi, qu’on souhaite discuter des critères d’accès à ce nouveau droit, mais la suppression de l’article 4 empêchera d’établir des garde-fous alors que vous tenez manifestement à ce qu’il y en ait.

M. Philippe Juvin (DR). Madame Dubré-Chirat, une maladie incurable n’est pas une maladie qu’on ne peut pas traiter, mais une maladie dont on ne peut pas guérir. Une insuffisance rénale dialysée est donc une maladie incurable, comme un diabète. Et si vous avez une greffe de rein, vous prenez à vie des médicaments.

Madame la rapporteure, un cancer du sein avec des métastases osseuses est une maladie traitable mais incurable, qui engage le pronostic vital, puisqu’on va finalement mourir, et qui est en phase avancée. Cela correspond donc au troisième critère. Pour ce qui est du critère suivant, « une souffrance physique ou psychologique [...], qui est soit réfractaire aux traitements soit insupportable », il se trouve que des gens ne supportent pas la chimiothérapie ou l’immunothérapie parce qu’elles produisent des nausées et de la fatigue – ce sont des traitements très lourds. Cette pathologie correspond donc à tous les critères fixés par le texte alors que le patient peut vivre plusieurs années. La notion de pronostic vital engagé à très court ou à moyen terme a disparu, et celle du stade avancé ne veut pas dire qu’on va mourir dans les six mois. Des métastases osseuses d’un cancer du sein correspondent à une maladie en stade avancé.

M. Yannick Monnet (GDR). J’entends vos arguments, mais ce texte pose une question qui est tout sauf une question médicale : c’est un choix de société ou un problème philosophique. Ne vous placez donc pas sur ce terrain-là. S’agissant de l’exemple que vous venez de citer, discutons des critères mais, pour cela, il ne faut pas supprimer l’article 4. Sinon, cela veut dire qu’il ne s’agit pas d’une question de critères, pour vous, mais d’une divergence philosophique, ce qui est d’ailleurs permis : on a tout à fait le droit de ne pas être d’accord avec la volonté de faire de l’aide à mourir un droit, même si je pense qu’on doit pouvoir en bénéficier dans des conditions précises, que cet article permet de fixer.

M. Patrick Hetzel (DR). La rédaction actuelle comporte des éléments très subjectifs, comme la référence à une souffrance insupportable. Si elle est autoévaluée, on peut s’interroger sur la robustesse du cadre médical et juridique prévu. M. Monnet dit que la question qui se pose n’est pas médicale, mais on a tout de même recours à des critères de cette nature. En ce qui concerne la prise en compte de la souffrance, nous avons besoin de précisions.

M. René Pilato (LFI-NFP). Il n’est pas question d’autoévaluation de la souffrance dans le texte. Celle-ci est parfaitement mesurable : des critères existent, vous le savez aussi bien que moi.

M. Christophe Bentz (RN). C’est la douleur qui doit disparaître, et non la vie. Nous cherchons tous, qu’il s’agisse de la première ou de la seconde proposition de loi, à prendre en compte la souffrance, mais cet article ne prévoit pas des garde-fous suffisants. Une grande partie d’entre nous votera donc pour les amendements de suppression.

M. Thibault Bazin (DR). Déposer un amendement de suppression est une manière habituelle de procéder pour exprimer son opposition à un article.

Vous dites que les critères sont stricts et ne concerneront que de rares cas ; nous pensons au contraire que cet article n’est pas assez strict, puisqu’il ouvre le périmètre très largement, à des personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme et qui n’ont qu’une maladie en phase avancée et des souffrances réfractaires qui peuvent être d’ordre psychologique.

Yannick Monnet dit que, pour lui, l’approche médicale n’est pas ce qui importe. On peut choisir d’ouvrir largement le dispositif, mais alors on ne peut pas dire qu’il ne concernera que très peu de personnes. La rédaction de cet article pourrait inclure beaucoup d’insuffisants cardiaques, un exemple commenté mercredi dernier par le ministre Yannick Neuder.

La question de la souffrance est réelle, mais faut-il rendre éligibles des personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme et qui pourraient décéder dans cinq ans ? Il faut en débattre.

Si le texte concerne des personnes qui ont uniquement des souffrances psychologiques, une maladie grave et incurable, en phase avancée mais pas terminale, et un pronostic vital non engagé à court terme – ce n’est plus demandé dans cet article –, il va trop loin.

La commission rejette les amendements.

Puis, suivant les avis défavorables de la rapporteure, la commission rejette successivement les amendements AS122 et AS123 de Mme Justine Gruet.

Amendement AS40 de M. Patrick Hetzel

M. Patrick Hetzel (DR). Il nous paraît essentiel que la personne concernée ait pu avoir accès au préalable à une prise en charge en soins palliatifs. Il ne faudrait pas que des concitoyens soient amenés à demander une aide active à mourir sans avoir pu bénéficier de ces soins.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Cet amendement conditionnerait l’aide à mourir à une prise en charge préalable en soins palliatifs, ce qui contraindrait les patients à accepter ces soins. Une telle obligation constituerait une atteinte majeure aux droits des personnes malades. Aux termes de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, « toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement ».

M. Patrick Hetzel (DR). Vous avez raison ; c’est pourquoi je vais retirer cet amendement au profit du suivant, de notre collègue Bazin, dont la rédaction est conforme à la philosophie que je défends tout en étant parfaitement respectueuse des droits des patients.

L’amendement est retiré.

Amendement AS258 de M. Thibault Bazin et sous-amendement AS1153 de M. Matthias Renault

M. Thibault Bazin (DR). L’amendement ajoute, s’agissant de la personne qui demande à accéder à l’aide à mourir, la précision suivante : « dès lors que l’accès aux traitements adaptés et aux soins palliatifs lui est effectivement garanti », ce qui lui laissera la liberté de décider. Pour que le consentement de la personne soit libre et éclairé, il faut qu’elle ne subisse aucune contrainte et qu’elle ne se résigne pas à demander une aide active à mourir faute de pouvoir accéder aux traitements adaptés ou aux soins palliatifs.

Dans son étude de 2018 « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », le Conseil d’État a considéré que « l’expression d’une demande d’aide anticipée à mourir ne devrait jamais naître d’un accès insuffisant à des soins palliatifs. L’accès à des soins palliatifs de qualité constitue ainsi une condition indispensable à l’expression d’une volonté libre et éclairée du patient dans les derniers moments de la vie et, plus largement, un préalable nécessaire à toute réflexion éthique aboutie sur la question de la fin de vie. » La précision que je vous propose est très importante pour l’équilibre que vous souhaitez établir entre les deux propositions de loi.

M. Matthias Renault (RN). Vous soulignez que le suicide assisté et l’euthanasie risquent de s’imposer en raison d’un défaut d’accès aux soins. Il faut être conscient, en effet, de la sociologie des populations concernées dans les pays où les critères sont assez larges : le risque est que la mort administrée s’applique en priorité aux plus pauvres et aux plus démunis. Des études démontrent ainsi, malheureusement, que les personnes à faibles revenus sont surreprésentées parmi les candidats au suicide assisté. S’agissant de l’Oregon, une étude a établi que 80 % des candidats au suicide assisté n’avaient qu’une couverture sociale de base. Au Canada, on a montré qu’il existait un écart de près de 20 points entre la part des personnes à faibles revenus dans la population et leur proportion parmi les candidats à l’euthanasie.

Mme Brigitte Liso, rapporteure. Dans un monde idéal, je serais tout à fait d’accord avec l’amendement, mais cette condition serait, dans les faits, difficile à apprécier et conduirait à bloquer la mise en œuvre de la loi. Même si je comprends votre démarche, je ne peux donc donner un avis favorable à l’amendement et au sous-amendement.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Nous avons voté en faveur d’un accès aux soins palliatifs pour tous, mais nous n’en sommes pas encore là, faute des capacités nécessaires. Par ailleurs, des personnes ne souhaitent pas aller en soins palliatifs : elles préfèrent rester chez elles ou aller dans d’autres unités. On ne peut donc pas prévoir de passage obligé. Le recours au terme de garantie dans cet amendement ne me paraît pas offrir plus de souplesse que ce qui figurait dans le précédent.

M. René Pilato (LFI-NFP). La plupart des études montrent que ce ne sont pas les plus pauvres qui demandent une aide à mourir, mais les plus aisés.

Par ailleurs, cet amendement et ce sous-amendement sont satisfaits par l’alinéa 10 de l’article 5.

M. Yannick Monnet (GDR). Je suis plutôt d’accord avec l’amendement. La question de savoir à quel moment on considère qu’il existe réellement un choix est au cœur du débat sur l’aide à mourir. Je vous ai dit quelle était ma position : je suis favorable à une évolution, mais il faut vraiment qu’il y ait un choix. La défaillance des systèmes de santé peut poser un problème. Je pense qu’il sera en partie réglé grâce à la création d’un droit opposable, dont j’espère donc le maintien, mais travailler sur cette question est la moindre des choses.

Je ne peux pas entendre la réponse qui consiste à dire que nous n’aurons pas les moyens – vous ne l’avez pas complètement dit ainsi, madame la rapporteure, mais je l’ai entendu de cette façon. On ne peut pas renoncer à se doter des moyens nécessaires pour l’accès aux soins palliatifs. Votez la prochaine fois un autre projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), au lieu d’un texte rabougri qui laisse l’hôpital public en déshérence. Je le dis sans vouloir polémiquer : nous avons pour responsabilité d’adopter un budget de la santé qui réponde aux besoins.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Le texte initial, avant la dissolution, prévoyait d’une part un droit opposable aux soins palliatifs et d’autre part un droit à une aide active à mourir. Nous venons de voter un premier texte qui accorde un droit aux soins palliatifs ; nous n’avons donc pas besoin de mentionner ce droit ici. Ou alors il faudrait presque faire référence à l’aide active à mourir dès le premier texte, mais je refuse qu’on fasse un lien entre les deux droits.

M. Patrick Hetzel (DR). Madame la rapporteure, vous avez dit à M. Bazin que l’objectif visé créerait un blocage. Pouvez-vous expliciter où ?

M. Christophe Bentz (RN). Vous avez raison sur un point, monsieur le rapporteur général : il n’existe aucune obligation de bénéficier des soins palliatifs. C’est un choix. De même, on pourrait demain accéder ou non à l’aide à mourir. Ce serait également un droit, une liberté. En revanche, si une personne demande un accès effectif aux soins palliatifs, elle doit pouvoir en bénéficier avant de solliciter une aide active à mourir. Voilà l’esprit des dispositions que nous défendons.

Mme Anna Pic (SOC). Le droit opposable aux soins palliatifs a été adopté dans le cadre de la proposition de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement. Le problème de la notion de garantie effective, c’est qu’elle pourrait conduire à refuser l’accès aux droits par deux fois : dans un désert médical, non seulement l’accès aux soins palliatifs ne serait pas possible, mais, du coup, vous ne pourriez pas non plus accéder directement à l’aide à mourir si telle était votre demande. En somme, on dira aux gens de rester chez eux. Cette rupture d’égalité entre territoires pose problème.

M. Philippe Juvin (DR). Dans son avis 139, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) indique que, à défaut d’accès effectif aux soins palliatifs, toute légalisation de l’aide active à mourir est fragile sur le plan éthique. Tel est le sens de l’amendement Bazin : faire en sorte que l’aide active à mourir soit disponible uniquement si l’accès aux soins palliatifs est effectif.

Il ne s’agit pas d’obliger les gens à opter pour les soins palliatifs, mais de faire en sorte que le droit formel qu’est le droit opposable aux soins palliatifs soit aussi un droit réel, faute de quoi on se paie de mots. Essayez d’obtenir une consultation de la douleur en moins de six mois sans faire jouer des relations !

L’effectivité de l’accès aux soins palliatifs est une vraie question, sur laquelle on essaye de jeter un voile pudique. En insérant les mots « dès lors que l’accès aux traitements adaptés et aux soins palliatifs lui est effectivement garanti, », nous nous situons au plus près de l’avis 139 du CCNE.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je comprends l’esprit de l’amendement et suis favorable au développement massif de l’offre de soins palliatifs. Toutefois, tel qu’il est rédigé, il ajoute au défaut d’accès aux soins palliatifs la privation du droit à l’aide à mourir. Par ailleurs, qui jugera que l’accès aux soins palliatifs est suffisant pour autoriser ou non l’accès à l’aide à mourir ? Qui introduira un éventuel recours ? L’amendement n’est pas opérant.

M. Gaëtan Dussausaye (RN). Nous abordons l’un des points les plus sensibles du texte depuis que nous en avons commencé l’examen. Spontanément, je ne vois pas pourquoi l’aide à mourir devrait dépendre de l’accès aux soins palliatifs. À titre personnel, je suis favorable à l’aide active à mourir ainsi qu’au développement et au renforcement des soins palliatifs.

Toutefois, en entendant Mme la rapporteure évoquer des blocages et des problèmes de calendrier, je m’interroge. L’aide à mourir est une nouvelle liberté que nous allons accorder aux Français. Elle en sera une à condition que le recours à l’aide à mourir résulte d’un choix indépendant de paramètres exogènes tels que la carence ou le défaut d’accès aux soins palliatifs. Madame la rapporteure, j’attends des précisions de votre part pour dissiper cette gêne et me convaincre de ne pas voter l’amendement.

Mme Annie Vidal (EPR). Si certains départements sont dépourvus d’unité de soins palliatifs, aucun n’est démuni. Il y a toujours des lits réservés aux soins palliatifs dans certaines unités, des équipes mobiles de soins palliatifs ou des hospitalisations à domicile qui les dispensent. L’absence complète de soins palliatifs n’existe pas.

Par ailleurs, d’ici fin 2026, neuf départements – c’est peu, mais mieux que rien – seront dotés d’unités de soins palliatifs. Lorsque le texte aura achevé son parcours parlementaire, l’offre de soins palliatifs se sera améliorée. La dynamique de leur développement permettra de répondre à davantage de demandes.

Quant au blocage évoqué par Mme la rapporteure, il m’intrigue. La proposition de loi prévoit un délit d’entrave à l’aide à mourir. Si l’absence d’accès aux soins palliatifs empêche d’accéder à l’aide à mourir, entre-t-elle dans cette catégorie ? Si oui, qui en serait responsable ?

Mme Camille Galliard-Minier (EPR). Les conditions cumulatives d’accès à l’aide à mourir fixées par l’article 4 sont inhérentes à la personne qui en fait la demande. Il est difficile de leur associer l’accès effectif aux soins palliatifs, qui est de nature distincte, d’autant que l’article 5 prévoit que le médecin propose à la personne de bénéficier des soins palliatifs et s’assure qu’elle peut, le cas échéant, effectivement y accéder.

Mme Brigitte Liso, rapporteure. En parlant de blocage, je voulais dire que faire dépendre le droit à l’aide à mourir de l’effectivité de l’accès aux soins palliatifs bloquerait l’accès à ces derniers pour certains patients, d’autant que tous les patients ne souhaitent pas bénéficier de soins palliatifs.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je me demande, en écoutant ce débat, pourquoi nous avons adopté ce matin la proposition de loi relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs, et pourquoi nous y avons inséré le droit opposable aux soins palliatifs cher à M. Bazin. Il faut absolument assurer l’accès aux soins palliatifs, nous dit-on. C’est ce que nous avons fait ! Monsieur Bazin, nous vous avons suivi dans cette logique ! Cessons d’être schizophrènes.

Nous investirons dans les soins palliatifs 100 millions d’euros par an pendant dix ans. Si tous les services hospitaliers bénéficiaient – je déplore que tel ne soit pas le cas – d’un effort de proportion semblable, notre système de santé se porterait mieux sans délai. Nous mettons le paquet sur les soins palliatifs pendant dix ans, de façon continue.

Lors de l’examen du PLFSS 2025, au cours duquel de nombreuses pistes d’économies ont été explorées, il n’a en aucun cas été envisagé de revenir sur cet engagement. Le présent texte de loi lui conférera une force législative.

Je rappelle – c’est un militant des soins palliatifs qui parle – que rien ne peut contraindre un malade refusant les soins palliatifs à en recevoir. Il n’y a pas d’obligation de soins palliatifs. Mais nous avons fait en sorte que leur garantie soit effective en adoptant la première proposition de loi : l’amendement AS258 est superfétatoire.

Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Si nous voulons faire évoluer la loi, c’est parce que des gens, en France, meurent sans que leurs souffrances soient soulagées. L’enjeu est de prévenir et de soulager la souffrance réfractaire.

Dans certains cas, les soins palliatifs y suffisent – il arrive même que le soulagement moral qu’offre la prise en charge réduise la souffrance physique. Mme la rapporteure nous dit que si une personne souhaite accéder directement à l’aide à mourir sans bénéficier de soins palliatifs, elle en a le droit ; soit, mais l’objet de l’aide à mourir est aussi de soulager sa souffrance.

Notre système de santé place le soin au premier rang. Sachant qu’il est en berne, que ses moyens ne sont pas à l’abri de mesures d’économie inscrites dans un PLFSS et que l’effort en faveur des soins palliatifs, dont nous approuvons tous le développement, est étalé sur dix ans, je considère que nous avançons trop vite en matière d’aide à mourir. Nous ne pouvons pas adopter une loi d’exception.

M. Thibault Bazin (DR). Monsieur le rapporteur général, vos propos à mon égard ne sont pas corrects. Aucune schizophrénie ne m’a été diagnostiquée à ce jour. Je m’efforce de faire preuve de cohérence. Je suis un cheminement éthique tenant compte des avis qui se succèdent.

La question de l’accès effectif aux soins palliatifs a été soulevée par plusieurs personnes, dont certaines ne sont pas opposées à l’aide à mourir. Leur propos, que j’ai fait mien, consiste à dire que, pour que l’expression de la volonté soit libre et éclairée, il faut que l’accès aux soins palliatifs soit garanti. Il ne s’agit pas d’obliger les gens à y recourir. Il n’y a pas de choix véritable s’il y a défaut d’accès, dès lors que la personne concernée souhaite recourir aux soins palliatifs et que son état de santé le requiert.

L’obligation de soins palliatifs que vous évoquez était l’objet de l’amendement AS40 défendu par Patrick Hetzel, qui a été retiré. Le mien ne prévoit aucune obligation. Il porte sur l’effectivité des droits, en cohérence avec ceux que j’ai préalablement défendus.

S’agissant de la stratégie décennale des soins d’accompagnement, elle est certes dotée d’un budget, mais il n’est pas consommé, comme l’a indiqué Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Les postes ouverts ne sont pas pourvus. Nous ne pouvons accepter qu’une personne demandant l’accès aux soins palliatifs et dont l’état de santé le requiert en soit privée. Il y va de la responsabilité de notre système de protection sociale.

Le sous-amendement est retiré.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS802 de Mme Sandrine Dogor-Such, AS704 de M. Christophe Bentz et AS597 de Mme Annie Vidal (discussion commune)

M. Christophe Bentz (RN). Je ne vais pas tarder à considérer que le débat sémantique est clos, non sans constater que vous refusez, depuis plusieurs mois, d’inscrire dans la loi les termes de vérité. Soucieux de procéder par étapes, je retire mon amendement au profit de l’amendement AS597.

Mme Annie Vidal (EPR). Mon amendement vise à faire en sorte que le texte traite de l’aide active à mourir, et non simplement de l’aide à mourir. Le refus d’insérer le mot « active » me semble relever de l’obstination déraisonnable.

Il me semble essentiel de distinguer l’objet de la présente proposition de loi, quelles que soient les dispositions que nous adopterons et les opinions des uns et des autres, de l’aide à mourir en général. Cet acharnement, en ce qui me concerne, n’a rien de thérapeutique. Il me fait mal.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises. Nous avons adopté l’article 2, qui introduit dans la loi une section intitulée « Aide à mourir ». Au nom de la cohérence de nos choix, je vous invite à conserver la notion d’aide à mourir, dont je répète qu’elle est simple, compréhensible et lisible pour toutes et pour tous.

Avis défavorable.

Les amendements AS802 et AS704 sont retirés.

La commission rejette l’amendement AS597.

Amendements AS400 de Mme Justine Gruet et AS678 de M. René Pilato (discussion commune)

M. Patrick Hetzel (DR). L’amendement AS400 est défendu.

M. René Pilato (LFI-NFP). Il s’agit de rétablir la rédaction de la disposition prévue à l’alinéa 4 telle qu’adoptée lors de l’examen en commission du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS680 de Mme Karen Erodi et sous-amendement AS1155 de M. Patrick Hetzel

Mme Karen Erodi (LFI-NFP). On se souvient, soit dit sans vouloir polémiquer, de la volonté de la droite de durcir la justice des mineurs en faisant sauter la circonstance atténuante de minorité. Une personne de 16 ans bénéficie de droits sociaux, elle peut décider librement de son orientation professionnelle et être pleinement responsable pénalement. Pourquoi ne pourrait-elle pas choisir sa propre destinée face à la plus grande des tragédies si elle est diagnostiquée du même mal qu’une personne âgée de deux ans de plus ? Pourquoi ne bénéficierait-elle pas des mêmes droits ? C’est un paradoxe.

Nous sommes en droit d’exiger une cohérence républicaine. Tout seuil comporte une part d’arbitraire. L’amendement vise à faire valoir la capabilité juridique indépendamment de l’âge biologique. Voilà pourquoi nous proposons d’étendre aux mineurs émancipés le droit à l’aide à mourir.

M. Patrick Hetzel (DR). Le sous-amendement est d’appel. Nous sommes plusieurs à considérer que l’ouverture de l’euthanasie aux mineurs émancipés est une ligne rouge. Le premier pays au monde à être allé dans cette direction est la Belgique, à laquelle les Pays-Bas ont emboîté le pas.

Notre législation a pour principe d’assurer la protection des mineurs. L’amendement s’affranchit de cette logique. Certes, l’émancipation d’un mineur résulte d’une procédure judiciaire, mais son champ est limité à certains actes spécifiques dont l’aide active à mourir ne fait pas partie.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Avis défavorable.

Nous avons déjà eu un long débat sur l’ouverture de l’aide à mourir aux mineurs. L’équilibre du texte repose aussi sur le critère de majorité, sans méconnaître la réalité des situations de fin de vie à laquelle sont confrontés des enfants et des adolescents. C’est pour moi l’occasion de rappeler que la fin de vie n’est pas l’apanage de la vieillesse. Elle doit parfois, malheureusement, être envisagée dès la naissance.

Je suis très défavorable à toute remise en cause du premier critère d’accès à l’aide à mourir qu’est la condition de majorité. Je n’ai pas la prétention de présenter ma position comme une réponse : c’est un choix, que j’assume et dont j’ai conscience qu’il évacue certaines situations sans doute douloureuses. La question de la liberté de choix et celle de la volonté libre et éclairée se posent, vous en conviendrez, différemment selon qu’il s’agit d’une personne majeure ou mineure, même émancipée.

Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Monsieur Hetzel, qu’est-ce que c’est, pour vous, une ligne rouge ? Un simple âge arbitraire ? Qu’est-ce que c’est, une ligne rouge, pour des jeunes de 17 ans ou de 16 ans et demi qui souffrent et auxquels vous direz qu’ils n’ont que quelques semaines ou quelques mois à attendre dans la souffrance à cause d’un âge arbitraire ?

Je vous rappelle qu’à une époque, la majorité était plus tardive que 18 ans. Vous pensez la souffrance des jeunes uniquement par rapport à un âge biologique, imaginant sans doute que la souffrance disparaît si on ne l’a pas atteint.

Vous parlez de protection de l’enfance ; j’en suis contente. Dans ce domaine, on pense l’émancipation de la jeunesse, la dignité des mineurs et leur désir. Un juge pour enfants prête l’oreille à la volonté éclairée d’un enfant s’il est âgé de 12 ans et plus. Alors pourquoi ne pas entendre son exigence de dignité et sa souffrance physique ? 18 ans, c’est arbitraire. La souffrance et la maladie, ce n’est pas arbitraire.

M. René Pilato (LFI-NFP). Nous avons entendu, en séance publique, des gens dire qu’il faut envoyer en prison des mineurs de 13 ans au motif qu’ils seraient dotés d’une capacité de discernement. Mais quand nous parlons de mineurs émancipés qui, à 16 ans révolus, sont parfaitement conscients d’être au bout de leur vie et disent qu’ils souffrent trop, on nous oppose une frontière sinon arbitraire, du moins administrative.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je suis absolument favorable à l’ouverture de l’aide à mourir avant l’âge de 18 ans. Un jeune de 17 ans et demi peut très bien prendre cette décision. La souffrance, surtout si elle est insupportable, n’a pas d’âge.

Toutefois, il s’agit d’une ligne rouge absolue dans le débat politique. Je ne voterai donc pas l’amendement. Aucun pays ayant légalisé l’aide à mourir ne l’a ouverte d’emblée aux mineurs, dont les droits ont été acquis ultérieurement. Je propose de faire de même. Je ne doute pas que nous parviendrons à ouvrir l’aide à mourir aux mineurs.

M. Philippe Juvin (DR). Si nous adoptons le seuil de 16 ans, pourquoi exclure les jeunes de 15 ans et demi ? Si nous incluons ceux de 15 ans, pourquoi exclure ceux de 14 ans et demi ? Nous pouvons jouer longtemps à ce petit jeu. À un moment donné, il faut fixer une limite, même si l’on n’est pas très différent à 18 ans de ce que l’on était à 17 ans et dix mois.

La limite de majorité a le mérite d’exister et d’avoir un sens dans la société. Adoptez celle de 16 ans et on vous dira, non sans raison, qu’un mineur de 15 ans et dix mois a la même structure mentale qu’un mineur de 16 ans.

Ce débat est sans fin. Je propose de conserver la limite de 18 ans. Même Mme Rousseau est d’accord et a rappelé qu’il s’agit d’une ligne rouge dans la société... avant d’annoncer son intention de faire ensuite évoluer le droit : au moins, les choses sont claires.

M. Patrick Hetzel (DR). Indépendamment des particularités propres à chaque individu, il est délicat de demander à un mineur de se prononcer sur le suicide assisté. Outre le fait qu’il s’agit d’une question sensible, l’adolescence est un âge où ce que l’on dit des sujets existentiels peut être l’expression d’un mal-être. Il serait paradoxal de réduire la protection dont les adolescents ont besoin.

Même si rien ne l’interdit juridiquement, lorsqu’un magistrat se prononce sur une demande d’émancipation, il ne le fait pas pour des demandes de cet ordre. Je recommande une prudence extrême. J’entends régulièrement certaines portions de l’hémicycle invoquer le principe de précaution. En l’espèce, il doit plus que jamais prévaloir.

M. Nicolas Turquois (Dem). Plusieurs collègues ont fait allusion à des propos tenus dans l’hémicycle. Nous savons tous que l’hémicycle est propice aux excès. En commission, nous recherchons des équilibres et nous nous enrichissons de notre réflexion commune. Maintenons cette démarche.

Le texte laisse en suspens de nombreuses situations particulières. Tel patient demande l’aide à mourir en pleine conscience, mais a perdu conscience lorsqu’il s’agit de confirmer sa demande. Toutefois, que des questions demeurent non résolues et que cela puisse être injuste n’enlève rien à la nécessité de fixer une limite.

Nous sommes dans la situation bien décrite par le paradoxe mathématique du tas : en retirer un grain n’enlève rien au fait qu’il s’agit d’un tas ; pourtant, si on les retire tous, le tas disparaît. À quel moment passe-t-on de l’être au néant ? La limite de 18 ans offre le meilleur équilibre.

M. Thibault Bazin (DR). Le premier critère, celui de majorité, est indissociable du cinquième, l’aptitude à manifester sa volonté de façon libre et éclairée, elle-même inséparable de la responsabilité. De ce point de vue, la distinction entre enfant et adulte est incontournable.

Lors de la révision des lois relatives à la bioéthique, les critères de majorité et de consentement libre et éclairé se sont révélés essentiels en matière de don d’organes. Le critère de majorité permet de protéger les personnes concernées comme leurs proches.

En entendant Mme Rousseau, j’ai l’impression que les inquiétudes que j’ai exprimées au sujet des cinq conditions d’accès à l’aide à mourir n’étaient pas complètement infondées : les critères annoncés servent à amorcer le processus, puis seront assouplis, jusqu’à ce que le tas évoqué par notre collègue Turquois n’en soit plus un.

Mme Danielle Simonnet (EcoS). Nous n’obtiendrons pas tous gain de cause sur tout : la proposition de loi, si nous arrivons à l’adopter, traduira un équilibre. Sur chaque sujet, chacun doit se demander s’il lui est possible de respecter cet équilibre.

Ainsi, s’agissant des directives anticipées – dont le texte sur les soins palliatifs réaffirme l’importance –, je ne désespère pas qu’elles puissent être prises en compte dans certains cas ; ce sera un premier pas.

Sur le fond, je suis tout à fait d’accord avec l’amendement. Nous devons changer de regard sur les enfants et la souffrance. De nombreux enfants meurent à l’hôpital dans d’atroces souffrances qui sont réfractaires à tout traitement ; or il ne faut refuser à personne ce qui peut être fait pour soulager la douleur, ce qui inclut l’aide à mourir lorsque la médecine échoue à atténuer celle-ci.

Mais la question est de savoir s’il est possible d’obtenir une majorité sur ce texte, avec ou sans ces avancées. C’est pour parvenir à un compromis qui permettra l’adoption du texte, et non pour des raisons de fond, que le groupe Écologiste et Social votera contre ces amendements.

M. Gaëtan Dussausaye (RN). Je souhaite que la proposition de loi soit adoptée. Or l’adoption de l’amendement risquerait d’embarrasser de nombreux députés et de les dissuader de voter le texte. L’amendement a été très bien défendu, mais prenons-le comme un amendement d’appel permettant d’ouvrir le débat et soyons prudents au moment de le voter.

Le sous-amendement est retiré.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS257 de M. Thibault Bazin

M. Thibault Bazin (DR). La condition d’âge s’appuie sur le critère de majorité, mais pourrait aussi consister à distinguer adulte et enfant. Or dans les structures spécialisées, notamment les instituts médico-éducatifs, qui accueillent les enfants en situation de handicap, ou pour le versement de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), la barrière est à 20 ans. Ne serait‑il pas plus pertinent de rehausser à 20 ans l’âge minimum pour bénéficier de l’aide à mourir ?

Pourquoi retenir l’âge de 18 ans ? Est-ce simplement parce qu’il correspond à l’âge de la majorité ? A-t-il été déterminé en fonction de la cinquième condition, à savoir l’aptitude à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ? Est-ce pour se conformer à une tradition française en matière bioéthique ?

Mme Brigitte Liso, rapporteure. L’âge légal de la majorité est fixé à 18 ans, c’est un critère administratif.

Faut-il priver tous les jeunes entre 18 et 20 ans de l’exercice de ce droit ? Je ne comprends pas le lien que vous établissez entre le versement de l’AAH à 20 ans et la possibilité de recourir à l’aide à mourir à 18 ans.

Avis défavorable.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Retenir l’âge de 20 ans est totalement arbitraire et repose sur une justification absurde. Le cerveau des hommes arrive à maturité vers 25 ans, celui des femmes entre 22 et 23 ans. Si le critère est le consentement libre et éclairé, un mineur émancipé a le droit, par exemple, de choisir de subir une intervention chirurgicale, et donc de mettre sa vie en danger. Vous trouverez toujours des exemples qui pourront justifier des amendements farfelus.

La société tout entière s’accorde à dire qu’à 18 ans, on est capable de prendre un appartement, de subir une intervention chirurgicale, de suivre un traitement donné et de voter, donc de choisir ses représentants. Dès lors, on est également capable de prendre des décisions pour soi.

L’amendement est retiré.

Amendement AS681 de Mme Karen Erodi et sous-amendement AS1156 de M. Patrick Hetzel, amendement AS679 de M. Hadrien Clouet (discussion commune)

Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Le mineur émancipé doit bénéficier des mêmes droits – avec les mêmes garde-fous – que le majeur, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme et qu’on sait pertinemment que le mineur n’atteindra jamais la majorité.

Penser le cadre de cette proposition de loi, c’est penser chaque cas particulier, chaque angle mort. Or, de fait, c’est pratiquement impossible. Cependant, il serait inhumain de refuser un départ en paix, avant une dégradation certaine, à quelqu’un dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui éprouve une aussi grande souffrance qu’un majeur. Nous défendons une vision humaniste selon laquelle la personne estimant avoir atteint ses limites physiques et psychiques doit pouvoir faire cet ultime choix. Par les amendements AS681 et AS679, nous demandons à graver dans le marbre l’ouverture d’un droit à l’aide à mourir pour toute personne en capacité d’accomplir seule les actes nécessitant la majorité légale.

M. Patrick Hetzel (DR). Mon sous-amendement est d’appel. Nous parlons de l’adolescence, une période de la vie où les opinions et les jugements sont particulièrement fluctuants. Il faut donc être très prudent.

Le critère de la souffrance est très important, mais les critères sont cumulatifs et l’âge en fait partie. On peut le regretter, mais c’est aussi une protection.

Enfin, par Realpolitik, les partisans de ce texte devraient être conscients que l’ouverture de ce droit aux mineurs pourrait entraîner un renversement de l’opinion.

Sur le fond, les amendements de ce type me perturbent beaucoup.

Mme Brigitte Liso, rapporteure. Le débat sur l’âge est infini. Maintenir l’âge de 18 ans pour accéder à l’aide à mourir me semble raisonnable. Avis défavorable.

M. Yannick Monnet (GDR). Je suis d’accord avec la rapporteure. Choisir, c’est renoncer. Nous devrons renoncer à un certain nombre de choses dans ce texte.

Accepter de mourir est un processus long qui nécessite de la maturité. Nous devons donc maintenir l’âge de 18 ans, qui est le moins injuste.

Ne cherchons pas à régler des cas particuliers, nous n’y arriverons pas ; le texte final n’aurait plus de sens.

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). L’amendement restreint l’accès à l’aide à mourir au cas exceptionnel de jeunes dont le pronostic vital est engagé à court terme – quelques jours. Donc leur opinion n’aura guère le temps de changer, monsieur Hetzel. Par ailleurs, la position de nombreux adultes peut également fluctuer.

Mme Sandrine Dogor-Such (RN). En vertu de la loi Claeys-Leonetti, les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui souffrent peuvent bénéficier d’une sédation profonde et continue.

Mme Annie Vidal (EPR). Au fil des débats, mon inquiétude grandit. Lors de l’examen de l’article 2, on a fait preuve de fermeté, refusant toute modification de la définition de l’aide à mourir. Ainsi, au nom de la préservation de l’équilibre, mon amendement qui visait à préciser qu’il s’agissait d’une aide active à mourir – ce qu’elle est, en réalité – a été rejeté. En revanche, à l’article 4, qui fixe deux conditions administratives et trois médicales, le premier critère administratif fait déjà l’objet d’une remise en cause de l’équilibre du texte. Nous aurons du mal à conserver celui-ci.

M. René Pilato (LFI-NFP). Acceptez qu’on construise un rapport de force, qu’on ouvre le débat ; acceptez qu’on prenne la température, qu’on pose des questions, qu’on mesure les réactions ; acceptez qu’on s’enrichisse de vos réponses ; enfin, acceptez qu’on puisse débattre de ces questions, car elles viendront à se poser.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je comprends les questions d’Annie Vidal, mais ce qui fera la force et la qualité de nos débats, c’est qu’il n’y aura eu aucun sujet interdit.

Je suis défavorable tant à l’abaissement de l’âge de 18 à 16 ans qu’aux amendements de suppression de l’article. Cela étant, il est légitime que les collègues qui souhaitent débattre de ces sujets puissent le faire ; j’ai besoin d’entendre leurs arguments. Comme l’an dernier, la qualité de nos échanges permettra de lever les doutes qui subsistent.

Il s’agit d’aboutir au texte le plus consensuel possible. Pour ma part, je n’ai toujours pas réussi à répondre à certaines des interrogations que j’avais l’an dernier. Faisons vivre ce débat qui avance bien.

Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Ces amendements sont des amendements d’appel : ils visent à ouvrir le débat. Certains ne veulent pas en discuter, ils ne participent pas au débat ; certains ne veulent pas entendre ces discussions, ils ne les écoutent pas ; d’autres veulent échanger sur le sujet, c’est heureux.

Nous portons les voix des personnes que nous avons rencontrées, qui nous ont envoyé des messages, qui nous ont sollicités – des citoyennes et citoyens lambda. Il n’y a rien de honteux à évoquer certains sujets, même si cela ne vous plaît pas, même si vous considérez qu’ils relèvent de l’intime.

Du reste, ce ne sont pas quatre votes en faveur d’un amendement qui feront basculer l’équilibre de la loi. Nous pouvons débattre tranquillement.

M. le président Frédéric Valletoux. Je rappelle que nos débats sont suivis et que leur compte rendu est lu. Débattre de tous les sujets ne me choque pas : ces échanges nourrissent une réflexion générale. Le but est de parvenir sinon à un consensus, du moins à une voie de passage, à un équilibre.

Le sous-amendement est retiré.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques AS416 de Mme Océane Godard et AS508 de Mme Karine Lebon

Mme Océane Godard (SOC). Nous souhaitons que, comme la Belgique, les Pays‑Bas, la Suisse et le Canada, notre pays ouvre l’accès à l’aide à mourir sans condition de nationalité ou de séjour régulier – non retenue par le Conseil économique, social et environnemental –, car ce droit humain et universel ne saurait être restreint par des critères administratifs ou juridiques. Il faut donc que toutes les personnes vivant en France en bénéficient.

M. Yannick Monnet (GDR). L’amendement AS508 est défendu.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. La Belgique, les Pays-Bas puis, un peu plus tard, le Luxembourg, premiers pays à légiférer sur l’aide active à mourir, ont fait preuve de générosité en ne prévoyant pas de condition de nationalité. La France va finir par être le dernier pays en Europe à légiférer à ce sujet. L’Autriche, l’Espagne et le Portugal l’ont fait récemment – en prévoyant un critère de nationalité et de résidence stable. La Cour constitutionnelle italienne a dépénalisé l’aide à mourir et des initiatives ont été prises au niveau régional, par exemple en Toscane. En Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale l’a également dépénalisée et a enjoint au parlement allemand de légiférer en la matière. Très récemment, la Chambre des communes a adopté, en première lecture, un texte ouvrant le droit à l’aide à mourir.

Je suis défavorable à cet amendement pour deux raisons.

Il ne s’agit pas de refuser l’accès à ce droit aux personnes qui ne sont pas françaises. Simplement, ce critère est important dans la mesure où l’aide à mourir n’est pas un acte isolé, mais s’inscrit dans un processus d’accompagnement d’une certaine durée, au cours duquel le malade nouera une relation avec un médecin ou un infirmier. Nous enverrions un mauvais signal si nous permettions à des personnes d’y recourir après être venues pour une seule consultation.

Par ailleurs, je répugne à utiliser cet argument, mais cet acte étant pris en charge par l’assurance maladie, il n’est pas illégitime de l’assortir d’une condition qui existe pour le versement d’autres prestations.

Ce critère n’est pas discriminatoire, il fixe un cadre nécessaire.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je ne suis pas d’accord. Lorsqu’on est en fin de vie, on a des droits humains. Le sujet n’est pas tant le coût que ferait peser cet acte sur la sécurité sociale que le respect des droits de l’homme, des droits humains fondamentaux. Si on accorde aux Français le droit de ne plus souffrir en recourant à l’aide active à mourir, il faut l’accorder à toute personne qui est sur notre territoire.

La résidence stable implique un séjour régulier. Les étrangers qui sont en situation irrégulière ont des conditions de vie terribles. Si, en plus, on leur refuse un droit fondamental au moment de leur mort, ce n’est pas humain. Je vous invite à faire preuve d’humanité.

M. Nicolas Turquois (Dem). Ce nouveau droit constitue une rupture. Dans quelques années, son application ne fera sans doute plus débat mais, pour l’heure, c’est un sujet sensible.

Si des personnes venaient sur le territoire pour bénéficier de ce droit, cela pourrait donner lieu à des polémiques médiatiques qui seraient préjudiciables à celui-ci – quand bien même il s’agirait sans doute de cas isolés.

Le texte actuel est équilibré.

Mme Anna Pic (SOC). En réalité, si un étranger qui n’a pas de résidence stable et qui se trouve en situation irrégulière demande à accéder à l’aide à mourir, c’est qu’il a été pris en charge à plusieurs reprises, qu’il est suivi et qu’on lui a proposé d’en bénéficier dans le cadre de son parcours médical. Les soins qui lui sont prodigués sont déjà pris en charge par la sécurité sociale.

Cette condition ne correspond pas à la réalité de la demande. Vu que tous les pays voisins de la France ont soit dépénalisé l’aide à mourir, soit légiféré en la matière, il n’existe pas de risque de tourisme médical.

M. Laurent Panifous (LIOT). Il faut conserver ces cinq critères, même si chacun d’entre eux peut nous amener à nous interroger.

Nous travaillons sur ce texte depuis longtemps, nous avançons sur un chemin de crête en vue de trouver un équilibre. Sur chacun des points, nous sommes tiraillés d’un côté ou de l’autre ; les uns souhaitent étendre les dispositions, les autres les restreindre. La plupart d’entre nous font des efforts pour trouver une porte de sortie. Notre préoccupation à tous est que le texte soit voté.

Je suis comme vous, j’ai du mal à dormir après ces réunions. Certains ont voté en faveur de l’accès au droit à l’aide à mourir à 18 ans même s’ils considéraient qu’il aurait pu être ouvert dès l’âge de 17 ans. Quand je vote, je ne pense pas à moi : je pense au texte global et à ce que vous, vous pensez ; je me demande ce que je dois voter afin qu’au bout du compte, le texte soit adopté. Cela ne fait peut-être pas partie du job, je ne suis peut-être pas payé pour cela mais, lors de la discussion de chaque amendement, je fais en sorte que nous puissions sortir par le haut du débat dans le seul but de rendre l’aide à mourir effective.

Je ne vais pas m’arrêter sur chaque alinéa, parce que sur chaque alinéa, je suis déchiré. Au bout du compte, nous devons adopter l’article 4. Et pour cela, nous devons conserver chacun des cinq critères qu’il fixe. Cela ne signifie pas que je ne veux pas que les étrangers ou les mineurs de 16 ou 17 ans accèdent à ce dispositif. Mais ces cinq critères constituent un point d’équilibre.

Je comprends que certaines personnes aient une opinion différente et nous reprochent d’aller beaucoup trop loin. Elles attendent que nous commettions une erreur. En voulant éviter de faire une erreur, j’en commets peut-être une, mais je préfère vous dire les choses comme je les pense, en toute sincérité.

Ces amendements sont excellents car ils suscitent des questionnements. Néanmoins, je ne les voterai pas.

La commission rejette les amendements.

Amendement AS947 de M. Philippe Juvin

M. Philippe Juvin (DR). Je ne comprends pas comment, en pratique, le médecin pourra, dans son cabinet, vérifier que le patient réside de façon stable et régulière en France alors que l’administration elle-même a du mal à le faire. La Cour des comptes a d’ailleurs publié en 2021 un rapport montrant que le taux de fausses déclarations était assez important.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Votre proposition de réserver le bénéfice de l’aide à mourir, qui s’inscrit dans une logique globale d’accompagnement, aux personnes de nationalité française va à l’encontre du principe d’égalité qui régit notre système de soins.

Avis défavorable.

M. Philippe Juvin (DR). Ma question portait sur la façon dont le médecin pourra, en pratique, valider la condition de résidence stable et régulière en France. Il n’est pas outillé pour cela.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Vous posez une vraie question, mais elle relève du champ réglementaire.

L’amendement est retiré.

Amendements AS395 de Mme Christelle Petex, AS682 de Mme Élise Leboucher et AS511 de M. Yannick Monnet (discussion commune)

M. Philippe Juvin (DR). L’amendement AS395 est défendu.

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Nous proposons d’assouplir les conditions relatives au critère de résidence en supprimant le caractère cumulatif de la stabilité et de la régularité.

Mme Brigitte Liso, rapporteure. Ce double critère – qui régit de manière générale l’accès à notre système de protection sociale – garantit que l’aide à mourir n’est pas un acte isolé, mais relève d’une prise en charge globale. Il permet que le médecin ou le professionnel qui accompagnera le patient dans sa démarche soit celui qui le suit déjà, de manière à prévenir ce que l’on pourrait appeler un « tourisme de la mort ».

Avis défavorable à cet amendement, ainsi qu’aux deux autres.

M. Yannick Monnet (GDR). Un médecin ne se préoccupe pas de la nationalité de son patient ou du nombre d’années depuis lequel il réside en France. Il le prend en charge et le soigne si c’est nécessaire, y compris en fin de vie.

À l’amendement précédent, on nous proposait de retenir le seul critère de la nationalité ; cela exclurait du bénéfice du dispositif les communautés portugaise et italienne qui vivent en France depuis des dizaines d’années.

Ni le critère de nationalité ni celui de résidence ne sont pertinentes. Cet alinéa ne sert à rien.

Par respect pour les personnes qui ont dû aller en Belgique faute de législation en France, évitez d’employer l’expression « tourisme de la mort ».

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Ces termes sont en effet choquants.

Beaucoup de Français sont allés en Suisse ou en Belgique pour bénéficier de l’aide à mourir, que nous tardions à instaurer ; et maintenant que nous le faisons, nous verrouillerions le dispositif pour les autres ?

Je rappelle par ailleurs que, parmi les étrangers présents sur le sol français, certains se sont rendus en France parce qu’ils sont malades et n’ont pas accès aux soins dans leur pays d’origine.

Où est notre humanité ? Honte à ceux qui veulent refuser le bénéfice de l’aide à mourir à des personnes parce qu’elles sont étrangères ! C’est cela, notre fierté et notre identité nationale ?

M. Philippe Juvin (DR). Si j’ai déposé l’amendement supprimant le critère de résidence, c’était pour obtenir une explication, et je l’ai retiré dès que celle-ci m’a été donnée.

L’expression « tourisme de la mort », que vous trouvez honteuse, décrit une réalité que vous ne pouvez nier ; d’ailleurs, vous dites vous-mêmes que des Français se sont rendus en Belgique et en Suisse pour « bénéficier » de l’aide à mourir – c’est un de vos arguments pour justifier la nécessité de légiférer sur celle-ci. Et si elle est légalisée sans condition de nationalité ni de résidence, cela attirera symétriquement des gens en France. Ce n’est pas moi qui ai parlé de tourisme et je ne dis pas que c’est bien ou que c’est mal ; simplement, cela existe.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Je suis moi aussi choquée d’entendre parler de « tourisme de la mort ».

Les ressortissants français qui sont partis à l’étranger pour recourir à l’assistance à mourir dans la dignité ne sont pas des touristes de la mort. De la même manière, les femmes qui viennent en France pour recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG) parce qu’elles ne peuvent plus le faire dans leur pays ne sont pas des touristes de l’IVG.

De nombreux étrangers viennent en France pour bénéficier de soins qui ne sont pas disponibles chez eux. Ce n’est pas absurde de leur offrir une solution lorsque les choses tournent mal. Sinon, dans quelle position se trouverait le médecin qui les accompagne et qui devrait leur dire de rentrer chez eux pour mourir ?

J’ajoute que les Français qui se sont rendus en Belgique ont été pris en charge par la sécurité sociale.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Il y a eu un malentendu sur ce qu’a dit Mme Liso, qui, comme moi, récuse totalement l’idée d’un « tourisme de la mort ». Il faut parfois éviter d’utiliser le vocabulaire de ses adversaires. Ce que Mme Liso a voulu dire, c’est que nous devions préserver l’équilibre du texte pour ne pas être accusés de favoriser ce que certains pensent être un tourisme de la mort.

« Tourisme de la mort » est une expression abominable. Personne ne fait de tourisme pour mourir. On peut parler de double peine – non seulement être en fin de vie, mais ne pas pouvoir mourir chez soi – ou d’exil. On voit parfois cette expression dans les médias ou dans les réseaux sociaux, mais elle n’a été employée par aucun de nos collègues opposés au texte, qui ont invoqué des arguments philosophiques ou éthiques. Tout ce que nous disons, c’est qu’il faut un cadre pour une décision aussi importante.

Madame Rousseau, je peux comprendre votre réaction : nous sommes tous écartelés, nous nous interrogeons tous sur le bon équilibre, comme l’a dit M. Panifous – moi non plus, je ne trouve pas forcément le sommeil après de telles discussions. Mais ne dites pas que ceux qui souhaitent réserver l’aide à mourir aux majeurs ou aux personnes de nationalité française manquent d’humanité. Si nous n’avions pas d’humanité, nous ne serions pas là et, vous comme moi, nous ne nous battrions pas pour l’aide à mourir depuis si longtemps. Cela étant, comme législateur, nous essayons de trouver une voie, qui n’est pas toujours idéale – sans vouloir paraphraser Jaurès, il s’agit de chercher l’idéal en se fondant sur le réel.

M. Jérôme Guedj (SOC). J’apprécie les paroles du rapporteur général et je comprends le contexte dans lequel le terme a été utilisé, mais, même à des fins pédagogiques, nous devons veiller à ne pas banaliser ce genre de termes dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, pour préserver la qualité de nos débats et éviter que de tels propos ne soient cités de manière isolée. Ce terme s’est développé dans le langage commun car un tourisme médical, notamment procréatif, existe.

Sur le fond, nous sommes opposés à l’amendement AS395, car l’équilibre du texte demande de ne pas le durcir sur ce point.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements AS885 de Mme Danielle Simonnet et AS415 de Mme Océane Godard (discussion commune)

Mme Danielle Simonnet (EcoS). J’espère bien que personne ici n’envisage de soumettre l’aide à mourir à une préférence nationale ou à un contrôle des papiers. Imaginez : une personne atteinte d’une maladie incurable et subissant des douleurs réfractaires à tout traitement n’en peut plus, veut en finir, mais on lui répond « non, vous n’avez pas les papiers, vous n’êtes pas en situation régulière ». Ce serait horrible.

Cela étant, comme l’a dit le rapporteur général, on ne peut pas arriver tout à coup quelque part et y demander l’aide à mourir. Je ne crois d’ailleurs pas une seconde que les Français s’étant rendus en Belgique ou en Suisse l’aient fait sur un coup de tête, en consommateurs : le cheminement qui les a conduits à choisir l’exil a dû être très difficile, et ils ont été accompagnés par des médecins et des associations.

Afin de concilier entre l’exigence d’humanité et le fait que la démarche relève d’un processus et est accompagnée, je propose d’instaurer un critère de suivi régulier par un professionnel de santé en France.

À ce stade, l’amendement exclut l’acte de la prise en charge par la sécurité sociale, mais j’estime que celle-ci devrait le rembourser. Les sommes sont dérisoires et c’est une question d’humanité. Soyons le pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité aussi devant la mort, sans regarder les papiers.

Mme Océane Godard (SOC). Être suivi régulièrement par un professionnel de santé en France garantit que l’aide à mourir n’est pas un acte isolé, mais fait l’objet d’un accompagnement, conformément au point de vue du rapporteur général. Nous proposons ce critère au nom de l’égalité d’accès aux droits fondamentaux.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Il est très difficile de prendre des décisions quand on parle de la vie et de la mort et je comprends votre émotion et vos arguments. Toutefois, je ne souhaite pas que ce critère soit modifié. J’en ai déjà exprimé les raisons.

Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS705 de M. Christophe Bentz

M. Christophe Bentz (RN). Considérant ma position sur ce texte, cet amendement est, encore une fois, un repli dans le repli. Il s’agit de retenir le critère de « phase terminale » plutôt que celui de « phase avancée », qui est flou et conduit à élargir démesurément l’accès au dispositif. Les auditions ont montré que les médecins n’arrivent pas à déterminer ce que cela signifie concrètement.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. L’amendement introduit une notion, celle de « futur prévisible », qui n’est vraiment pas adaptée. En fait, vous voulez revenir au critère du court terme, défini par la HAS en 2018, après deux ans de réflexion, comme un délai de « quelques heures à quelques jours ».

Avis très défavorable.

M. Philippe Juvin (DR). J’aimerais revenir au critère du court terme, mais ce n’est pas ce que propose l’amendement. En effet, « un pronostic vital engagé dans un futur prévisible » peut concerner un cas comme celui que j’ai déjà cité, celui d’un cancer du sein avec des métastases dans les os, dont on peut statistiquement prévoir qu’il permet une survie de cinq ans. La notion de futur prévisible n’encadre donc rien et cet amendement ne doit pas être adopté.

M. Christophe Bentz (RN). La notion de futur prévisible doit s’entendre pour un patient en phase terminale. Il ne vous aura pas échappé que je suis opposé à ce texte : chacun de mes amendements vise à en restreindre au maximum la portée.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je suis d’accord avec M. Juvin. À force de repli, vous risquez le retournement complet ! L’expression « futur prévisible », qui peut concerner plusieurs années, ne correspond pas à votre intention.

M. Thibault Bazin (DR). Il y a un vrai problème de méthode. Sur cet alinéa, qui a évolué par rapport à la rédaction du projet de loi l’an dernier, on attend l’avis de la HAS. On nous dit qu’il sera rendu avant l’examen en séance, alors que l’interprétation qu’il donnera pourrait remettre en cause le sens de nos débats et de nos votes en commission. La HAS a été saisie il y a plus d’un an ; la responsabilité du rapporteur n’est donc pas en cause. Ce problème se posera également pour le mode d’administration de la substance létale.

M. le président Frédéric Valletoux. Pour avoir rencontré récemment le président de la HAS, je sais que celle-ci fait tout pour se caler sur notre calendrier, mais il n’est pas certain que nous recevions ses recommandations avant la première lecture. Nous les aurons certainement au cours de la navette.

M. Thibault Bazin (DR). En tant que référent de notre commission pour la HAS, je confirme que la ministre a demandé à celle-ci de remettre son avis le plus tôt possible, de préférence fin avril. La HAS va s’efforcer de le faire, mais doit suivre un processus incompressible de consultation d’experts et de validation dont le déroulement normal nous amènerait en juin.

M. Jérôme Guedj (SOC). L’année dernière, j’avais exprimé mon trouble dans l’hémicycle concernant l’introduction de la formule « en phase avancée ou terminale ». Je ne sais pas ce que cette expression signifie, ni même ce qu’elle ajoute à la notion de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme ».

Ce n’est pas une bonne manière de légiférer que de le faire sans visibilité. La seule vertu que j’avais trouvée à la dissolution, c’est qu’elle nous laisserait le temps d’obtenir l’éclairage de la HAS. La note de cadrage du 12 décembre 2024 prévoit pour juillet 2025 une validation par le collège de la HAS que Mme la ministre espère avoir pour la séance. En attendant, je reste dans l’expectative, même si j’ai confiance en notre travail.

J’ose toutefois espérer que nous pourrons établir une définition du pronostic vital à moyen terme et de la phase avancée ou terminale, sinon par pathologie, du moins par situation susceptible d’ouvrir le recours à l’aide à mourir. Ou alors, il faut que le législateur laisse au corps médical le soin de définir ces éléments, ce qui ne serait pas pour me déplaire, à condition que la collégialité soit garantie.

M. Patrick Hetzel (DR). Les débats de l’année dernière ont été importants. Le texte issu du Conseil des ministres du 10 avril 2024 parlait d’une « affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme ». Nous avions constaté que la notion de moyen terme était difficile à définir. C’est pourquoi la commission avait changé la rédaction en « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale », contre l’avis du Gouvernement, qui trouvait cette formulation trop floue.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Ce changement a été confirmé deux fois par un vote à l’Assemblée nationale.

M. Patrick Hetzel (DR). Certes, mais le Gouvernement avait amené ces éléments dans le débat. C’est ce qui nous rend extrêmement prudents.

Mme Annie Vidal (EPR). L’année dernière, c’est l’expression « à court ou moyen terme » qui posait problème. Cette année, avec l’expression « en phase avancée ou terminale », nous sommes amenés à légiférer sur un point tout aussi flou, sur lequel personne n’a été en mesure de nous éclairer lors des auditions. Il me semble particulièrement difficile d’apprécier la portée de cette expression dans le cas des pathologies chroniques, lesquelles sont graves et incurables et finissent par atteindre une phase avancée, mais dont on est incapable d’estimer le « futur prévisible ». Finalement, on ne sait pas quelles personnes correspondront aux critères d’éligibilité. C’est pourtant le cœur du texte.

M. René Pilato (LFI-NFP). De mémoire, l’expression « à court ou moyen terme » avait été refusée en raison de son imprécision. L’appellation « en phase avancée ou terminale », elle, se trouve dans le code général de la fonction publique, dans le code du travail et dans le code de la santé publique et elle est d’usage depuis 2005 dans de nombreux documents. Cela n’empêche pas qu’elle soit imprécise. Je pense que nous ne parviendrons pas à la définir. Néanmoins, étant donné le cumul de critères – nationalité, âge, pronostic vital engagé, souffrances réfractaires, maladie incurable –, j’estime que nous pouvons faire confiance à l’équipe médicale pour déterminer collégialement quand le moment est venu d’abréger les souffrances de la personne.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Il existe des définitions de la phase terminale : « la phase tout ultime de l’évolution des pathologies où l’ensemble des moyens mis en œuvre par la médecine vise le confort et non la survie. Cette phase terminale comprend la préagonie, l’agonie, la mort cérébrale puis la mort », ou encore « lorsque vous avez épuisé tous les traitements et que le médecin estime qu’il ne vous reste que très peu de temps à vivre ». Une personne atteinte d’un cancer n’envisage pas l’aide à mourir au moment de la chimiothérapie, mais après avoir essayé tous les traitements possibles et à condition de cumuler les autres critères.

M. Philippe Juvin (DR). Pardon d’insister, mais l’insuffisance rénale en phase terminale, c’est-à-dire dialysée, concerne 100 000 personnes qui peuvent vivre des années, comme on peut vivre cinq ans avec un cancer du sein métastasé en phase avancée. Ces deux exemples montrent que ni « phase avancée » ni « phase terminale » ne sont des expressions pertinentes. Le collège de médecins auquel M. Guedj propose de s’en remettre ne peut que répondre aux questions qu’on lui pose. Avons-nous un objectif de délai ? Tant que nous ne répondrons pas à cette question, ils ne pourront pas faire de réponse.

M. Olivier Falorni, rapporteur général. Il faut se garder d’entretenir un faux flou. Nous abordons un point important qui a été tranché à deux reprises avant la dissolution, d’abord en commission spéciale, contre l’avis du Gouvernement de l’époque, puis par un vote en séance publique. Le président de l’Académie nationale de médecine, lorsque nous l’avons auditionné, a dit que la définition de ce critère nous plaçait face à une alternative.

D’un côté, on peut choisir l’évaluation du temps qu’il reste à vivre, c’est-à-dire la notion de pronostic vital engagé à court ou moyen terme. Avec tout le respect que j’ai pour la HAS, ce n’est pas à elle de légiférer. Alain Claeys et Jean Leonetti ont inscrit dans leur loi la notion de court terme alors qu’elle n’était pas définie par la HAS ; ils ont ensuite confié à cette autorité la mission de la clarifier. Cependant, un médecin n’est pas devin : l’évaluation du futur prévisible, c’est-à-dire du temps qu’il reste à vivre, est rejetée par tous les professionnels de santé car elle est impossible au-delà de quelques heures ou de quelques jours. La question du délai a été tranchée de l’autre côté de l’Atlantique : dans l’Oregon, on a décidé que le moyen terme, c’était six mois, et cela passera bientôt à douze ; d’autres sont revenus sur cette notion en considérant qu’elle n’était pas opérante. Le président de l’Académie de médecine ne la juge pas pertinente.

De l’autre côté, on peut choisir de retenir l’évaluation de l’état clinique, autrement dit la notion de phase avancée ou terminale. Je suis stupéfait d’entendre dire qu’elle tombe du ciel alors que la loi Leonetti de 2005, dont j’entends dire depuis des mois qu’elle est un trésor national – et je ne suis pas de ceux qui disent qu’elle est mauvaise –, mentionne, à l’article 2, la « phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable ». Cette notion a été reprise à l’article 10 de la loi Claeys-Leonetti de 2016. Mieux encore, une note méthodologique de la HAS de décembre 2016 sur la démarche palliative indique que celle-ci s’adresse aux patients atteints d’une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale. Enfin, le document envoyé par le ministère de la santé à tous les professionnels de santé en 2023 pour clarifier la notion d’aide à mourir indiquait que celle-ci concernerait les personnes atteintes d’une « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale engageant le pronostic vital ». Ces quatre documents emploient la notion de phase avancée ou terminale. Certes, il n’existe pas de grilles médicales indiquant un nombre précis de jours ou de métastases, mais il serait exagéré de parler de flou. Nous n’avons pas non plus besoin d’une définition du moyen terme ; ce serait tout au plus un délai fixé à six, douze ou vingt-quatre mois, alors qu’aucun médecin ne peut dire si une personne en a pour quatre ou pour neuf mois. On ne peut pas raisonner à partir de statistiques.

Le législateur n’a pas à repousser sa décision sous prétexte qu’il veut s’en remettre à l’acception qui sera choisie par la HAS. L’année dernière, nous avons fait preuve de sérieux et de responsabilité en reprenant les termes qu’elle avait utilisés dans sa note de 2016. Faisons le choix de l’évaluation de l’état clinique plutôt que de l’évaluation du temps qu’il reste à vivre. Il me semble que c’est le meilleur critère possible.

Mme Annie Vidal (EPR). Si je visualise ce que représente la « phase avancée ou terminale engageant le pronostic vital à court terme », je n’arrive pas à comprendre qui correspond à la rédaction retenue pour l’alinéa 7. Je suis inquiète pour toutes les personnes atteintes de pathologies chroniques : une personne souffrant d’insuffisance cardiaque, rénale ou respiratoire ou d’un diabète de type 4, dont la qualité de vie est diminuée, la durée de vie incertaine et les souffrances aléatoires, sera-t-elle éligible à l’aide à mourir ? Les personnes que nous avons interrogées sur ce point n’ont pas su nous répondre. Je suis prête à faire confiance aux équipes médicales, mais je suis gênée que le législateur, en adoptant un critère dont il ne perçoit pas le périmètre, se défausse sur la collégialité.

M. Philippe Juvin (DR). J’ai donné deux exemples de maladies en phase avancée ou terminale qui permettent de vivre cinq ans. Si certains veulent ouvrir le droit à l’aide à mourir jusqu’à cinq ans avant le décès, il faut le dire ! Dans le cas contraire, il me semble que la solution serait de retenir uniquement la notion de court terme – entre trois mois et un an –, auquel cas il reviendra aux autorités de santé de donner des indications en fonction de chaque maladie. Certes, les médecins ne peuvent pas connaître exactement la date de la mort ; cependant, les patients qui commencent une chimiothérapie demandent toujours pour combien de temps ils en ont, et nous leur faisons une réponse statistique concernant leurs chances de survie, évidemment imparfaite au niveau individuel.

M. René Pilato (LFI-NFP). On oublie que les critères sont cumulatifs. Quatre ans, trois ans, trois mois, cela importe peu au regard des trois autres critères que sont la maladie incurable, un pronostic vital engagé et, surtout, des souffrances réfractaires insupportables. Certaines personnes pourront supporter les souffrances pendant trois mois, un an ou deux avant de dire stop, tandis que d’autres les supporteront jusqu’au bout et demanderont des soins palliatifs, puis la sédation profonde et continue. Tous les individus sont différents. Acceptons l’incertitude. Les médecins sauront dire si la personne répond à ces trois critères ; à partir de là, le délai n’existe plus.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Comme vous l’avez dit, monsieur Juvin, c’est une autre philosophie. Il ne s’agit plus d’attendre les tout derniers jours, mais de donner aux personnes la possibilité de choisir leur fin de vie à partir du moment où l’on est certain que leur capacité à vivre est définitivement compromise, sans retour possible. Personnellement, j’y suis favorable. Il faut le dire en ces termes pour que chacun fasse son choix en conscience. Je sais que nous ne serons jamais d’accord.

M. Yannick Monnet (GDR). La formulation de l’alinéa 7 me paraît bonne. Indépendamment de l’aide à mourir, je n’arrive pas à comprendre ce qui vous gêne : concerne-t-il trop ou trop peu de personnes ? Si la rédaction était trop restrictive, cela poserait un problème, mais si elle est trop large, je rappelle que l’aide à mourir ne sera accordée qu’aux personnes qui en feront la demande. Elle n’est pas automatique.

Mme Anna Pic (SOC). La recherche d’une définition du moyen terme n’a aucun sens dans la mesure où les critères sont cumulatifs. Il ne s’agit pas de proposer l’aide à mourir à tous les malades ! Rien ne serait plus absurde que d’imposer un délai à un patient atteint d’une maladie grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé et qui éprouve des souffrances physiques ou psychologiques réfractaires, en lui refusant l’aide à mourir au motif que son espérance de vie est de six mois et trois semaines. Un patient est avant tout un être humain. Tout le monde ne réagit pas de la même façon à la souffrance. La question est de savoir quand il faut accéder à sa demande. Les critères constituent une grille d’analyse. Elle est moins précise qu’une équation mathématique, mais l’être humain n’est pas une équation.

M. Patrick Hetzel (DR). Contrairement à vous, nous considérons que le délai a un sens, car, selon le délai retenu, le nombre de personnes susceptibles d’être concernées n’est pas du tout le même. Lorsque nous avons entamé le débat, on disait que l’aide à mourir concernerait un nombre très limité de personnes, dans un délai court avant la mort ; il a été fait référence plusieurs fois à un certain type de pathologie. Si la question même du délai disparaît, on change l’esprit dans lequel le texte a été porté sur les fonts baptismaux. Ce n’est pas ce qu’avait annoncé le Gouvernement, ni ce que nous avions entendu ces derniers temps. Si l’on ne fixe pas une borne, comment fera le corps médical ?

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Le sujet n’est pas là. Vous vous rabattez sur la question du délai, car vous refusez qu’une substance létale soit injectée aux personnes.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Dans la réalité, on n’admet pas n’importe qui en unité de soins palliatifs : ce sont des patients en phase avancée ou terminale d’une maladie qui engage leur pronostic vital. Les autres patients vont dans une unité d’hospitalisation normale.

Il est impossible de fixer un délai. Avec les évolutions scientifiques, l’espérance de vie des personnes atteintes d’une maladie incurable a été prolongée. Il y a quelques années, on était assuré de mourir en six mois d’un cancer du pancréas ; ce n’est plus le cas. De même, deux patients atteints de la même pathologie en stade avancé et dont la mort semble imminente pourraient encore survivre trois ou six mois.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Je suis entièrement d’accord avec Mme Dubré‑Chirat. Le parcours de soins d’une personne qui demanderait l’aide à mourir passe d’abord par l’espoir d’être guéri, par des traitements et par de premières souffrances dues au traitement ou à la maladie elle-même, jusqu’à l’arrivée en soins palliatifs. Là, il vient un moment où le patient dit : « Je n’en peux plus. Je ne veux pas continuer dans une voie qui me fera souffrir davantage et où je ne me reconnaîtrai plus. J’aimerais que l’on évoque d’autres solutions. Que pouvez-vous me proposer ? » L’important, ce n’est pas le délai que nous fixons, mais celui que fixe le patient, quelle qu’en soit la raison, physique ou psychique. Ce n’est pas à nous de fixer un nombre de jours, de semaines ou de mois. Nous ne sommes pas juges de la douleur des gens. Ils sont capables de se prononcer. Les médecins, eux aussi, sont capables de déterminer le moment juste.

M. Thibault Bazin (DR). Dans notre débat se joue l’intention du législateur, c’est‑à‑dire l’esprit de la loi. On nous avait annoncé que ce texte offrirait un ultime recours à quelques cas rares. Il semble finalement que le critère majeur, aux dires de certains orateurs, soit celui de la souffrance psychologique réfractaire éprouvée en phase avancée ou terminale d’une maladie grave et incurable, sachant qu’il est possible de vivre jusqu’à cinq ans avec certaines maladies. La loi Claeys-Leonetti parlait de pronostic vital engagé à court terme. Si nous acceptons la notion de moyen terme, le texte ne concernera plus seulement quelques rares cas et il ne portera plus sur la fin de vie. Dans ce cas, il est nécessaire de le clarifier. L’absence de délai figurant dans la loi ne peut pas être involontaire ; si l’approche est large, il faut l’assumer.

M. Laurent Panifous (LIOT). Il me semble que le temps ne doit pas être compté en jours ou en mois qu’il reste à vivre, mais en jours ou en mois qu’il reste à vivre avec une certaine qualité de vie. Ce temps ne peut pas être évalué de manière précise. En revanche, je suis d’accord avec M. Hetzel pour dire qu’il faut fixer des bornes. Pour moi, les deux bornes devraient être l’état de santé de la personne et son état de souffrance insupportable.

M. le président Frédéric Valletoux. Il était nécessaire de laisser prospérer le débat sur l’alinéa 7, qui est un alinéa sensible, et sur les critères d’éligibilité à l’aide à mourir de manière générale.

Nous nous retrouverons après la suspension des travaux pour débattre des autres amendements.

La commission rejette l’amendement.

La réunion s’achève à minuit cinq.


Présences en réunion

Présents. Mme Ségolène Amiot, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, M. Théo Bernhardt, M. Eddy Casterman, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, Mme Camille Galliard-Minier, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jérôme Guedj, Mme Ayda Hadizadeh, M. Patrick Hetzel, M. Philippe Juvin, M. Maxime Laisney, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso, Mme Hanane Mansouri, M. Éric Martineau, Mme Estelle Mercier, Mme Marie Mesmeur, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Laurent Panifous, Mme Anna Pic, M. René Pilato, Mme Lisette Pollet, Mme Angélique Ranc, M. Jean-Claude Raux, Mme Anne-Sophie Ronceret, Mme Sandrine Rousseau, M. Aurélien Saintoul, Mme Eva Sas, Mme Danielle Simonnet, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal

Excusée. - Mme Karine Lebon