Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen de la proposition de loi visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail (n° 446) (Mme Prisca Thevenot, rapporteure) 2
– Suite de l’examen de la proposition de loi relative à la fin de vie (n° 1100) (M. Olivier Falorni, rapporteur général ; Mme Brigitte Liso, M. Laurent Panifous M. Stéphane Delautrette et Mme Élise Leboucher, rapporteurs) 11
– Présences en réunion.................................56
Lundi
28 avril 2025
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 72
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à quatorze heures cinq.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
Mme Prisca Thevenot, rapporteure. Je vous propose d’offrir une protection nouvelle à toutes les personnes, femmes comme hommes, hétérosexuels comme homosexuels, célibataires ou en couple, qui s’engagent dans un parcours de procréation médicalement assistée (PMA) ou d’adoption. Loin d’être anecdotiques, ces parcours concernent des milliers de personnes en France. Ils sont longs et éprouvants, physiquement, psychologiquement, émotionnellement. Les personnes concernées sont encore trop souvent confrontées dans leur vie professionnelle à l’incompréhension, au silence, voire à la discrimination.
Je dresserai tout d’abord plusieurs constats. La baisse structurelle de la natalité dans notre pays ne s’explique pas par la baisse du désir d’enfant, qui ne faiblit pas, mais – les enquêtes statistiques le confirment – par le fait que la réalisation de ce projet devient de plus en plus difficile, pour de multiples raisons : contraintes économiques, logement, précarité, et, de plus en plus fréquemment, difficulté à concevoir un enfant. Un couple sur quatre fait face à une infertilité, d’origine féminine dans 30 % des cas, masculine pour 30 % également, 30 % étant d’origine mixte et 10 % inexpliquées. Plus de 3 millions de personnes seraient concernées parmi celles âgées de 20 à 45 ans.
L’adoption de la loi relative à la bioéthique de 2021, permettant à toutes les femmes d’accéder à la PMA quelle que soit leur situation familiale et matrimoniale, et la réforme en 2022 de l’adoption, désormais ouverte aux couples pacsés ou en concubinage, contribuent à encourager les Français à s’engager dans un parcours de procréation médicalement assistée ou d’adoption. En 2022, 158 000 tentatives de PMA ont été réalisées en France : environ un enfant par classe est issu d’une assistance médicale à la procréation. Sur 5 000 enfants pupilles de l’État fin 2022, 1 000 sont proposés à l’adoption.
Les parcours s’apparentent à une course de fond, semée d’embûches, faite de rendez-vous médicaux, de traitements invasifs, de démarches administratives épuisantes. Une tentative de fécondation in vitro (FIV) nécessite quinze jours de stimulation hormonale, plusieurs échographies, des injections quotidiennes, des ponctions d’ovocytes, des inséminations et a des effets secondaires lourds – bouffées de chaleur, troubles de l’humeur, migraines –, sans oublier les effets psychologiques liés à l’attente, source de stress. Et tout cela peut être renouvelé jusqu’à six fois.
L’adoption représente quant à elle des années de démarches, de rendez-vous, d’enquêtes sociales, d’attente. Et puis, un jour, un appel, une procédure d’apparentement exige d’être disponible sans délai, parfois sept, dix ou quinze jours, parfois bien plus. Dans la vie professionnelle peut alors survenir la peur du regard des collègues ou de devoir s’expliquer, l’angoisse de fragiliser sa position ou de perdre son emploi. Dès lors, beaucoup de personnes préfèrent garder le silence et s’absentent sans oser dire pourquoi. Elles subissent en retour l’incompréhension, voire l’hostilité.
Il est donc de notre responsabilité de reconnaître et de protéger ces parcours parentaux comme nous le faisons déjà pour la grossesse. Tel est l’objet de cette proposition de loi, enrichie de plusieurs amendements.
Les auditions ont montré l’importance de renforcer la protection des personnes engagées dans des parcours parentaux – PMA ou adoption –, ce qui ne nécessite toutefois pas d’instaurer un nouveau motif de discrimination, les situations visées étant en fait déjà couvertes par différents critères existants – sexe, situation de famille, état de santé.
J’ai donc déposé un amendement visant à réécrire l’article unique. Le code du travail prévoit en effet une protection spécifique et renforcée pour les femmes enceintes, ensuite étendue aux femmes engagées dans des parcours de PMA : il est interdit de refuser d’embaucher ou de résilier le contrat de travail sur ce fondement ; les femmes ne sont pas obligées d’informer leur employeur de leur situation de grossesse ou de leur PMA ; la charge de la preuve incombe à l’employeur.
Deux grandes catégories de personnes sont toutefois exclues de cette protection renforcée prévue à l’article L. 1225-3-1 du code du travail. D’abord, les hommes : bien que l’on pense d’abord aux femmes quand on parle de PMA, ils doivent eux aussi être traités, 30 % des infertilités étant d’origine exclusivement masculine. Ensuite, les personnes engagées dans des parcours d’adoption, qui ne bénéficient d’aucun droit d’absence pour se présenter à des rendez‑vous obligatoires pour obtenir l’agrément et ne peuvent compter que sur la compréhension de leur employeur lorsqu’elles s’y rendent.
Je vous proposerai également un amendement destiné à étendre le régime des autorisations d’absence aux hommes salariés et aux fonctionnaires engagés dans des parcours de PMA ou d’adoption.
Un autre amendement a été déclaré irrecevable. Pour améliorer l’accueil de l’enfant en cas d’adoption, notamment dans le cas d’enfants à besoins spécifiques, il proposait, afin de couvrir la période d’apparentement, que le congé d’adoption puisse débuter plus tôt, sans en augmenter la durée totale. Il répondait à une attente forte des parents et des enfants. Je formulerai à nouveau cette proposition à l’aide d’un autre véhicule législatif.
En conclusion, si le politique n’a pas à s’immiscer dans le projet parental et familial de chacun, il lui revient néanmoins d’en faciliter la mise en œuvre. Ce texte satisfait aux principes d’égalité et de justice. Il reconnaît que toutes les parentalités sont légitimes dès lors qu’elles entrent dans le cadre de la loi : elles doivent être accompagnées, soutenues, protégées. Il ne crée pas de privilèges. Il ne met pas à mal les entreprises. Il apporte simplement la reconnaissance de parcours dans lesquels des milliers de nos concitoyens sont engagés, marqués par l’espoir, la résilience, parfois la douleur.
Cette proposition de loi n’est qu’une première étape du chemin visant à doter notre pays d’une véritable politique des familles – et non de la famille – claire, forte et assumée. Il faut tenir compte des spécificités du parcours d’adoption, trop souvent assimilé au parcours de grossesse, alors que ses modalités – temporalité, âge de l’enfant, spécificités liées à son parcours de vie – ne sont pas identiques.
La santé des femmes et des hommes nécessite d’être prise en charge dès l’adolescence, grâce à des dispositifs concrets et pertinents. L’infertilité ne doit plus être un sujet tabou. Il nous faut également prendre en compte les enjeux sociétaux, environnementaux et économiques dans la construction de nos politiques publiques destinées aux familles, pour que celles-ci n’aient plus à choisir entre vie professionnelle et vie personnelle, pour que les souffrances – physiques ou psychologiques – endurées dans le cadre d’un projet parental ne restent plus sous silence par crainte du regard de l’autre. En soutenant ce texte, vous contribuerez à construire le premier étage de la politique des familles. Ensemble, envoyons le message d’une République qui protège, comprend et respecte les choix de vie de chacun.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Angélique Ranc (RN). La proposition de loi répond à une préoccupation légitime : mieux protéger les personnes engagées dans un projet parental face aux discriminations qu’elles rencontrent dans le monde professionnel. Elle est juste et nous la soutenons, d’autant que de nombreux projets parentaux se heurtent, outre les discriminations, à des difficultés économiques. La proposition de loi visant à simplifier et à réorienter la politique familiale vers le premier enfant aurait pu corriger le cap... si seulement elle n’avait pas été placée en dernière position de l’ordre du jour réservé du groupe Les Démocrates, ce qui l’a empêchée d’être examinée en séance.
Pour être pleinement efficace, ce texte, dont l’intention est louable, doit être juridiquement solide et opérationnel. Certains points doivent être précisés afin de garantir sa bonne application. L’exposé des motifs définit le projet parental en faisant exclusivement référence à l’assistance médicale à la procréation et à l’adoption. Or ces termes ne figurent pas dans la partie législative du texte, qui ne mentionne que le « projet parental », une notion floue et sujette à diverses interprétations, dont nous ne maîtrisons pas les conséquences. Afin d’éviter toute incertitude, il serait préférable de s’appuyer sur des critères objectifs et de citer les facteurs de discrimination en question : le champ de la loi sera ainsi mieux cadré et une protection ciblée, cohérente et applicable sera assurée.
Le texte souffre d’une autre carence. Si les salariés engagés dans un parcours d’assistance médicale à la procréation peuvent bénéficier d’autorisations d’absence, ceux qui entament une procédure d’adoption ne disposent pas des mêmes droits. Pour eux, les démarches sont longues et exigeantes, et souvent réalisées pendant les horaires de travail. Il faut corriger cette inégalité de traitement, en reconnaissant enfin aux parents adoptants des possibilités d’absence justifiée pour les rendez-vous obligatoires liés à l’agrément.
Si ce texte va dans le bon sens, afin d’être réellement protecteur, il doit être précis, équilibré et juste pour tous les projets parentaux.
Mme Camille Galliard-Minier (EPR). « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. » Depuis tout petits, de nombreuses femmes et hommes ont un désir de parentalité, une envie d’être maman ou papa. Le groupe Ensemble pour la République a à cœur de défendre et de protéger l’ensemble des familles de notre pays et d’être aux côtés des couples hétérosexuels, homosexuels ou des personnes célibataires qui expriment l’envie de devenir parents. La loi relative à la bioéthique de 2021 a élargi l’accès à la PMA : elle garantit une égalité d’accès sans discrimination liée à l’orientation sexuelle ou au statut patrimonial. De même, les procédures d’adoption sont désormais ouvertes aux couples homosexuels, aux personnes célibataires et aux couples non mariés.
Si les conditions d’accès à la PMA et à l’adoption ont été ouvertes, ces parcours demeurent complexes, longs, moralement et physiquement épuisants, souvent coûteux. Ils requièrent des dizaines de rendez-vous avec des professionnels de santé ou des administrations, susceptibles d’entraîner de nombreux jours d’absence. À ces freins et contraintes ne doivent pas s’ajouter la difficulté de faire valoir ses droits au travail, la discrimination ou la peur d’être licencié. Le code du travail comporte des outils de protection de la femme enceinte ; ils doivent être étendus aux femmes et aux hommes engagés dans des parcours de PMA ou d’adoption.
Tel est l’objectif du texte que nous examinons. Nous soutenons sa réécriture, qui renforcera la protection des salariés engagés dans un parcours parental de procréation médicalement assistée et d’adoption en étendant le champ d’application des dispositions relatives aux femmes enceintes. Toutes les personnes auditionnées l’ont confirmé, sur ces parcours, le silence prévaut dans l’entreprise. Protéger les personnes engagées dans un parcours de parentalité revient à défendre le droit de chacun de concilier sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Nous avons l’opportunité d’améliorer la protection au travail des personnes concernées et de faire émerger une culture où la parentalité est reconnue et protégée sans distinction.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Entrer dans un projet parental dans le cadre de la PMA ou de l’adoption expose indéniablement aux discriminations, notamment les femmes et les personnes LGBTI, déjà largement exposées aux discriminations croisées. Vos amendements sont les bienvenus, madame la rapporteure, notamment pour donner aux conjoints et aux candidats à l’adoption la possibilité de bénéficier d’une autorisation d’absence supplémentaire, nécessitée par ce parcours long, pénible et souvent douloureux. Toutes et tous doivent bénéficier de vrais congés parentaux, quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur genre.
Comme votre rapport le souligne, les discriminations sont déjà reconnues, mais pas leur caractère cumulatif : on peut faire l’objet de plusieurs types de discriminations sans qu’il se passe rien. Il est regrettable que notre amendement à ce sujet ait été jugé irrecevable. Il manque des personnes pour garantir le respect des droits. En effet, dix années de Macronie ont réduit comme une peau de chagrin le nombre d’inspecteurs et inspectrices du travail et de délégués du personnel. Alors que le gouvernement prétend défendre les femmes et les familles LGBT, il empêche, dans les faits, les salariés de faire valoir leurs droits. Merci de vous intéresser aux discriminations, mais pensez à financer les institutions qui permettent de lutter contre elles et donnez du pouvoir à celles et ceux qui permettent de les prévenir.
M. Arnaud Simion (SOC). Je regrette que les projets de parentalité exposent encore à des risques de discriminations lorsqu’il s’agit de libérer des plages horaires pour les personnes concernées. Pourtant, la loi du 26 janvier 2016, adoptée sous le quinquennat de François Hollande, dispose que la protection accordée par le code du travail à la femme enceinte vaut pour les femmes engagées dans un parcours de PMA et précise les conditions pour que ces impératifs médicaux n’aient pas d’incidence, notamment sur la rémunération et les congés payés. L’employeur ne peut donc pas s’appuyer sur le parcours de PMA d’une femme pour refuser de l’embaucher, de la muter, ou rompre son contrat de travail. Même si l’objectif de cette proposition de loi est déjà satisfait par le droit, le fait d’introduire le projet parental parmi les motifs de discrimination constitue une avancée.
C’est en pensant à Laure, rencontrée dans ma circonscription, engagée dans une démarche de FIV et percluse de souffrances que j’évoquerai deux manières de faire progresser la lutte contre l’infertilité en France.
Illimité jusqu’en 2000, le nombre de recours possibles à une FIV est désormais limité à quatre : en cas d’échec, la solution est d’aller à l’étranger, pour des coûts pouvant s’élever jusqu’à 10 000 euros à chaque nouvelle tentative. Or l’accès à la parentalité ne saurait être lié aux ressources des futurs parents.
Le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies est une technique utilisée dans le cadre d’une FIV pour détecter les anomalies chromosomiques des embryons avant leur implantation dans l’utérus, afin d’éviter les fausses couches. Les témoignages de femmes sont clairs : un arrêt de grossesse est une épreuve physique et mentale extrêmement difficile. Cette technique est utilisée quasiment partout en Europe ; elle ne l’est pas en France.
En attendant d’aller plus loin, le groupe Socialistes et apparentés apporte bien évidemment son soutien à cette proposition de loi.
Mme Justine Gruet (DR). L’objectif affiché par la rapporteure dans l’exposé des motifs est de protéger dans le monde du travail les personnes engagées dans un projet parental, c’est-à-dire dans un parcours de PMA ou d’adoption. Nous soutenons toutes les initiatives qui consistent à lutter contre les discriminations au travail. Nous nous interrogeons cependant sur la portée juridique du dispositif, puisque l’article L. 1132-1 du code du travail précise déjà que les discriminations en raison de la situation familiale ou de la grossesse sont interdites. Quelles sont les discriminations non déjà couvertes ? Pouvez-vous, madame la rapporteure, les illustrer à l’aide d’exemples ?
En tant que législateur, nous devons en effet veiller à ne pas bousculer les jurisprudences existantes sur les discriminations au travail. Œuvrons ensemble pour investiguer les causes d’infertilité, puisque le nombre souhaité d’enfants est beaucoup plus élevé que la fécondité observée – 2,27 enfants contre 1,7 en 2024. Si nous soutenons pleinement la démarche – dans ces parcours du combattant, le projet des parents doit être accompagné et compatible avec l’exercice de leur profession –, nous attendons des réponses sur le fond.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Le groupe Écologiste et Social soutient pleinement ce texte, qui permettra de mieux protéger contre les discriminations au travail les couples, et plus particulièrement les femmes, lors d’un parcours parental de PMA ou d’adoption. En effet, malgré les textes existants, beaucoup de pratiques discriminatoires demeurent ; cette proposition de loi permet de les traiter.
Au-delà du texte, nous avons encore beaucoup à faire en matière d’adoption. L’Agence française de l’adoption pratique toujours des discriminations selon l’origine, la religion ou l’orientation sexuelle en se soumettant aux impératifs des pays dont viennent les enfants – une honte ! D’autres textes de loi seront nécessaires pour que nos principes antidiscriminatoires soient respectés dans les faits en cas d’adoption.
En réponse à ceux qui demandent des exemples concrets de discrimination, il suffit de se référer à l’alerte de la Défenseure des droits sur les cas de femmes discriminées dans le travail en raison de leur parcours de PMA pour se convaincre que la proposition de loi est bel et bien nécessaire. Mais il nous faut également garantir le respect de l’État de droit et l’application des textes. Soyons conscients du fait qu’en l’absence de réouverture des postes d’inspecteurs du travail supprimés, nos textes de loi resteront des vœux pieux et les facteurs de discrimination persisteront dans le monde du travail.
M. François Gernigon (HOR). Le groupe Horizons & Indépendants accueille favorablement cette proposition de loi, qui s’inscrit dans un effort de modernisation de notre droit du travail. En introduisant explicitement le projet parental parmi les motifs de discrimination, le texte aborde une réalité encore insuffisamment prise en compte, celle des parcours de parentalité qui précèdent la grossesse ou la constitution légale de la famille, qu’il s’agisse de la PMA ou de l’adoption.
Le droit permet certes déjà de protéger les personnes dans certaines de ces situations en s’appuyant sur des motifs existants, comme la situation de la famille ou le sexe. En pratique, ces protections restent fragiles et leur mise en œuvre dépend trop souvent d’interprétations jurisprudentielles ou d’une requalification indirecte. C’est pourquoi inscrire noir sur blanc le projet parental dans la liste des critères de discrimination n’est pas un ajout superflu, mais une clarification bienvenue qui renforce la lisibilité et l’accessibilité du droit pour les personnes concernées.
Ce texte apporte une sécurité juridique utile, en particulier pour celles et ceux qui vivent un parcours long et souvent éprouvant vers la parentalité. Il permet également aux employeurs et aux juridictions de disposer d’un fondement explicite pour prévenir ou sanctionner d’éventuels comportements discriminatoires. Nous restons néanmoins lucides : son adoption ne suffira pas à régler les difficultés. Si elle ne dispense pas les pouvoirs publics d’améliorer la sensibilisation, la formation et l’information des employeurs, la proposition de loi constitue toutefois un levier pour faire évoluer les mentalités et soutenir une parentalité plus inclusive.
M. Stéphane Viry (LIOT). Si notre pays interdit déjà les discriminations fondées sur le sexe, la grossesse, la situation de famille ou l’état de santé, aucune protection explicite n’existe pour les personnes qui ont un projet parental. Ce texte cible la procréation médicalement assistée ou l’adoption. Ces parcours longs, complexes et souvent invisibilisés peuvent entraîner des discriminations – des retards ou des refus de promotion, des remarques déplacées ou une stigmatisation de la part de collègues, voire des sanctions déguisées en raison d’absences médicales.
Reconnaissons que notre législation a connu des avancées – la reconnaissance de la PMA comme motif de discrimination au même titre que la grossesse et les autorisations d’absence pour les rendez-vous médicaux ; la possibilité pour les personnes en voie d’adoption de bénéficier de congés. Mais la période antérieure n’est pas couverte, ni les discriminations les plus diffuses. Il existe donc un vide juridique, source d’insécurité, ce qui peut freiner les recours des salariés qui subiraient des discriminations.
Il est difficile de faire reconnaître des traitements discriminatoires. Alors que les situations de discrimination augmentent, les recours devant les conseils des prud’hommes diminuent, en raison de procédures parfois trop compliquées et coûteuses, ou par crainte de représailles. Cette proposition de loi va dans la bonne direction. Le droit du travail doit accompagner les transformations de la société en reconnaissant la diversité des parcours parentaux et en garantissant une égalité de traitement au travail, quels que soient les chemins vers la parentalité.
Mme Karine Lebon (GDR). S’engager dans un projet parental par la PMA ou l’adoption est souvent un chemin du cœur, mais aussi tout un combat : rendez-vous médicaux fréquents, démarches complexes, attentes interminables, autant d’obstacles qui viennent heurter la vie professionnelle ; la fatigue s’installe, le stress devient quotidien, l’équilibre entre travail et vie personnelle vacille. Ce parcours, déjà émotionnellement éprouvant, l’est d’autant plus qu’il n’est pas reconnu : peu de droits, peu de soutien et, trop souvent, une mise à l’écart silencieuse.
Pourtant, ces femmes, ces hommes, ces couples ou ces personnes seules ont un projet profondément humain. Il est temps que le monde du travail ouvre les yeux et les bras à ces parentalités en devenir, avec bienveillance et respect. Dans le contexte professionnel, préserver le secret sur son parcours de PMA ou d’adoption devient fréquemment un défi. Pour expliquer des absences régulières, des retards ou des départs précipités, il faut bien souvent se justifier, au risque de dévoiler des éléments intimes que l’on aurait préféré garder pour soi. Et si le silence peut être lourd à porter, parler expose à l’incompréhension, aux maladresses, voire aux discriminations. Ce tiraillement constant entre besoin de discrétion et nécessité de transparence peut renforcer le stress et l’isolement. Le respect du droit à la vie privée dans l’entreprise doit donc être repensé pour offrir un espace sûr, où chacune et chacun peut avancer dans son projet parental sans avoir à se justifier ni à craindre le regard des autres.
Je considère, comme vous, madame la rapporteure, que cette proposition de loi, qui relève avant tout du symbole, doit être l’occasion de faire évoluer les mentalités. C’est la raison pour laquelle les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine ne s’y opposeront pas. Toutefois, la loi de bioéthique de 2016 inclut les femmes bénéficiant d’une PMA parmi les salariées concernées par les protections contre les discriminations liées à la grossesse ; l’adoption relève quant à elle déjà de la catégorie « situation de famille » dans le code du travail. En quoi, concrètement, ce texte apporte-t-il une protection nouvelle, en l’absence de moyens supplémentaires ?
Mme la rapporteure. Madame Ranc, vous avez notamment évoqué un trou dans la raquette concernant l’adoption. Je vous invite à relire l’amendement de réécriture que je propose à ce sujet, et qui répond à votre demande.
Vous avez raison, madame Amiot, il faut faire respecter le droit, dans le monde du travail comme ailleurs. Si des dispositifs existent déjà, ceux visant à protéger les personnes en PMA sont incomplets, car calés sur le parcours de grossesse. Or les parcours de PMA et d’adoption sont spécifiques, comme vous l’avez souligné, madame Simonnet. Ainsi, les hommes ne sont pas pris en considération s’agissant du processus de PMA, qui ne concerne pourtant pas que les femmes. Il en va de même pour l’adoption. Ces deux types de protection doivent donc être renforcés.
Vous l’avez dit, madame Lebon, ce texte permet une avancée sur le fond, mais aussi sur la forme. Les tabous doivent être levés – peu de personnes osent dire qu’elles sont discriminées. Monsieur Simion, nous connaissons tous, quand nous ne sommes pas concernés nous-mêmes, des personnes qui ont des parcours compliqués d’adoption ou de PMA : peu d’entre eux en parlent ouvertement, justement par crainte d’être discriminés. Il faut les encourager à faire valoir leurs droits.
Madame Gruet, je pense avoir répondu à votre interrogation en évoquant le cas des absences pour les hommes engagés dans un parcours de PMA et pour les personnes engagées dans un parcours d’adoption, ainsi que, dans ces deux parcours, pour les fonctionnaires, qui ne bénéficient pas encore des mêmes protections que les autres. Mon second amendement vise à remédier à cette rupture d’égalité.
Article 1er : Interdire les discriminations fondées sur l’existence d’un projet parental
Amendement AS17 de Mme Prisca Thevenot
Mme Prisca Thevenot (EPR). L’amendement réécrit entièrement l’article unique de la proposition de loi. Les personnes auditionnées après le dépôt de celle-ci ont unanimement relevé la nécessité de renforcer la protection des personnes – j’insiste sur ce terme – engagées dans les parcours de PMA et d’adoption, mais toutes – organisations syndicales, Défenseure des droits, représentants d’associations de patients – ont estimé qu’il n’était pas utile de créer un nouveau motif de discrimination, comme je l’avais initialement proposé, car cela pourrait s’avérer contre-productif. Je tiens à cet égard à votre disposition les remarques de la Défenseure des droits.
Cet amendement vise ainsi à modifier l’article L. 1225-3-1 du code du travail afin de renforcer les protections dont bénéficie une personne engagée dans un parcours PMA tout au long de la vie professionnelle et de prendre aussi en considération la situation des personnes concernées par un parcours d’adoption. Au-delà du symbole, nous devons avancer concrètement sur le fond.
La commission adopte l’amendement et l’article unique est ainsi rédigé.
En conséquence, les amendements AS12 de Mme Angélique Ranc et AS1 de Mme Ségolène Amiot tombent.
Article 2 (nouveau) : Étendre le périmètre des personnes susceptibles de bénéficier d’une autorisation d’absence dans le cadre d’un projet parental
Amendement AS19 de Mme Prisca Thevenot
Mme la rapporteure. Le présent amendement vise à étendre les autorisations d’absence aux hommes engagés dans un parcours de PMA et aux personnes engagées dans un parcours d’adoption. Par ailleurs, le dispositif s’applique aux fonctionnaires en vertu de circulaires ; l’amendement tend à lui donner une valeur législative.
La commission adopte l’amendement. L’article 2 est ainsi rédigé.
Après l’article 1er
Amendements AS15 et AS16 de M. Stéphane Viry
M. Stéphane Viry (LIOT). L’article L. 1142-1 du code du travail interdit les discriminations liées au sexe, à la situation de famille ou à la grossesse. L’amendement AS15 vise à ajouter celles liées au projet parental, afin d’inclure explicitement les personnes engagées dans un parcours de PMA ou d’adoption.
Mme la rapporteure. Votre amendement est satisfait par l’amendement de réécriture que nous venons d’adopter. Je vous suggère de le retirer.
M. Stéphane Viry (LIOT). Pouvez-vous me confirmer que l’amendement AS16 est également satisfait ?
Mme la rapporteure. C’est le cas.
Les amendements sont retirés.
Amendement AS3 de Mme Ségolène Amiot
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Visant à autoriser les salariés adoptants à s’absenter, l’amendement est sans doute satisfait par l’amendement de réécriture.
Le plus souvent, madame la rapporteure, on organise les auditions avant de déposer la proposition de loi, afin d’adapter au mieux le texte aux besoins réels. La réécriture d’un article qui se trouve être le seul du texte est heureuse, puisqu’elle satisfait tous nos amendements, mais c’est sur un texte fondamentalement différent que nous avions travaillé.
Mme la rapporteure. Je confirme que l’amendement est satisfait et vous propose donc de le retirer.
Par ailleurs, je comprends vos regrets mais je crois que ce changement est pour le mieux. Nous voulons apporter des réponses concrètes à ceux qui souffrent des tabous que nous avons unanimement dénoncés. La proposition de loi sera brève, en effet, mais la loi n’a pas besoin d’être bavarde pour être efficace. Les auditions offrent bel et bien l’occasion de soulever des questions pour améliorer le texte, pour un résultat en l’occurrence réjouissant : nous sommes peut-être en train de poser la première pierre d’une construction commune, ce qui est trop rare dans notre assemblée.
L’amendement est retiré.
Amendement AS4 de M. Louis Boyard
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Visant à étendre l’autorisation d’absence du conjoint à tous les examens médicaux liés à la PMA, l’amendement est également satisfait. Je le retire.
L’amendement est retiré.
Amendement AS13 de Mme Angélique Ranc
Mme Angélique Ranc (RN). Nous avons dû déposer les amendements avant d’avoir connaissance des suites données aux auditions. L’amendement AS13 tend à autoriser les absences liées au parcours d’adoption. Comme il est satisfait, je le retire.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
La commission poursuit l’examen de la proposition de loi relative à la fin de vie (n° 1100) (M. Olivier Falorni, rapporteur général ; M. Stéphane Delautrette, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso et M. Laurent Panifous, rapporteurs).
M. le président Frédéric Valletoux. Nous avons examiné 142 amendements, en huit heures et quarante minutes. À ce rythme, il nous faudra cinquante-trois heures de réunion pour discuter les 872 amendements restants. Nous disposons de vingt-cinq heures avant mercredi à minuit et de douze heures vendredi. Une solution consiste à poursuivre nos réunions la nuit. Je vous propose de limiter dès maintenant le temps d’intervention à 1 minute.
Article 4 (suite) : Définition de l’aide à mourir et des conditions d’accès à celle-ci
Amendement AS795 de Mme Marie-France Lorho, amendement AS663 de Mme Angélique Ranc (discussion commune)
M. Christophe Bentz (RN). L’amendement AS795 est défendu.
Mme Angélique Ranc (RN). Mon amendement vise à préciser qu’il faut être atteint d’une affection physique pour accéder à l’aide à mourir, afin d’exclure explicitement les troubles psychiatriques. L’incurabilité et le caractère réfractaire de la souffrance sont des critères subjectifs ; le flou qui en résulte pourrait rendre éligibles les patients concernés. Aux Pays‑Bas et en Belgique, les lois relatives à l’euthanasie ont ainsi évolué jusqu’à inclure des personnes souffrant de troubles psychiatriques. Or celles-ci sont très vulnérables : leur état peut altérer leur capacité à exprimer un consentement libre et éclairé. Pour prévenir toute dérive éthique, la rédaction doit clairement limiter l’euthanasie aux affections ou pathologies physiques.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Cela déséquilibrerait l’article – nous en parlerons plus longuement lors de l’examen de l’alinéa 8.
Je vous propose de retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
L’amendement AS795 est retiré.
La commission rejette l’amendement AS663.
Amendements AS155 de M. Patrick Hetzel, amendements identiques AS42 de M. Patrick Hetzel et AS246 de Mme Justine Gruet, amendement AS126 de Mme Justine Gruet, amendements identiques AS418 de Mme Océane Godard et AS581 de Mme Julie Laernoes, amendements identiques AS417 de Mme Océane Godard, AS419 de Mme Christine Pirès Beaune et AS683 de M. René Pilato (discussion commune)
M. Patrick Hetzel (DR). Mes amendements visent à limiter le dispositif aux personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme ; le premier amendement renvoie à la définition de la Haute Autorité de santé (HAS). Selon cette dernière, la littérature scientifique a démontré qu’il n’existait pas de consensus médical sur la définition du pronostic vital engagé à moyen terme, ni sur la notion de phase avancée. Seul un pronostic vital engagé à court terme est certain. Le législateur ne peut laisser subsister d’ambiguïté.
Mme Océane Godard (SOC). L’amendement AS418 tend à supprimer la condition du pronostic vital engagé afin que toutes les personnes qui souffrent en raison d’une maladie grave et incurable aient le droit de choisir une fin de vie digne, même si leur pronostic vital n’est pas immédiatement menacé. Ainsi, certaines maladies, comme la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou la sclérose en plaques, provoquent des douleurs insupportables ; il est essentiel de ne pas les ignorer. C’est la souffrance qui doit fonder nos décisions.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Identique, l’amendement AS581, élaboré avec l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), tend à substituer les mots « quelle qu’en soit la cause » aux mots « qui engage le pronostic vital ». Le patient peut vouloir recourir à l’aide à mourir même si l’affection est d’origine accidentelle.
M. Stéphane Delautrette (SOC). L’amendement AS419 est défendu
M. René Pilato (LFI-NFP). Avec mon amendement, nous proposons une rédaction équilibrée, qui conserverait le critère du pronostic vital engagé mais qui préciserait que le patient doit être atteint d’une affection grave et incurable, « quelle qu’en soit la cause ».
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Nous n’avons pas créé ex nihilo la notion de « phase avancée ou terminale » : l’article L. 1111-12 du code de la santé publique y fait référence ; en la reprenant, nous assurons une cohérence juridique et nous évitons de multiplier les notions, donc de créer du flou. J’émets un avis défavorable aux amendements tendant à supprimer le terme.
La rédaction, issue de l’examen en séance du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, permettra à des personnes atteintes d’une affection évoluant lentement, comme certaines maladies neurodégénératives – je pense évidemment à la SLA ou maladie de Charcot –, d’accéder à l’aide à mourir. L’Association de recherche sur la SLA, avait considéré que la formulation du projet de loi initial, « une affection grave et incurable engageant [le] pronostic vital à court ou moyen terme », risquait d’empêcher les patients souffrant de la maladie de Charcot d’être éligibles, car la notion de « moyen terme » est inopérante. En effet, un pronostic à moyen terme serait non une évaluation, mais une prédiction ; or les médecins ne sont pas devins. Lors des auditions, les professionnels de santé ont confirmé cette incapacité. Je propose donc de conserver les mots « en phase avancée ou terminale ».
Certains amendements visent à revenir à la condition d’un pronostic engagé « à court terme » ; j’y suis défavorable. Alain Claeys a estimé qu’autant vaudrait en rester à la loi du 2 février 2016. Il est vrai que c’est justement ce que voudraient les auteurs de ces amendements, ainsi que les collègues du groupe Rassemblement National – ils sont cohérents.
Plusieurs amendements tendent à préciser que l’affection doit être considérée « quelle qu’en soit la cause ». Le terme « affection » a été choisi pour sa signification globale : il offre une solution à la majorité des situations qui en sont dépourvues. Il est déjà employé dans le code de la santé publique et dans les lois Leonetti et Claeys-Leonetti.
Il est légitime que nous discutions de tous les sujets relatifs à la fin de vie ; c’est même notre devoir. Voilà pourquoi j’avais considéré normal de nous interroger sur les conditions de majorité et de nationalité, même si j’étais opposé à leur suppression. Simplement, l’équilibre du texte est la condition de sa solidité. Ceux qui défendent les amendements tendant à ajouter « quelle qu’en soit la cause » sont comme moi convaincus qu’il faut que ce texte soit adopté ; or cela nécessite de préserver l’équilibre de la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale l’an dernier. Pour toutes ces raisons, je suis attaché à conserver l’impératif du pronostic vital engagé. Il rassure ceux qui ont des doutes ou des craintes – toute crainte est légitime.
Je vous demande de retirer ces amendements. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Ajouter « à court terme » serait un retour en arrière, en deçà même de la version initiale du projet de loi examiné l’an dernier, laquelle parlait aussi de moyen terme. Un pronostic vital engagé à court terme l’est à quelques jours : c’est une manière de ne pas donner le droit d’avoir une aide à mourir ; aussi nous opposons-nous aux amendements concernés.
À l’inverse, en ajoutant « quelle qu’en soit la cause », on s’assurera que le plus grand nombre possible de personnes dont le pronostic vital est engagé y auront accès. Sans être fondamentale, cette modification garantira l’instruction des demandes.
M. Christophe Bentz (RN). Nous soutenons les amendements de notre collègue Hetzel.
Pour déterminer les conditions d’accès, il faut s’interroger sur la pertinence et sur la solidité des garde-fous. Vous avez raison, monsieur le rapporteur, nous voulons en rester à la loi de 2016 ; par repli, nous soutenons le maintien du pronostic vital engagé à court terme. Mais nous ne sommes pas dupes : nous savons qu’à terme, ce texte permettra toutes les dérives. À notre sens, il n’est pas équilibré. L’expérience de nos voisins européens l’a montré : tôt ou tard, les garde-fous des critères d’accès sauteront.
M. Patrick Hetzel (DR). Monsieur le rapporteur, vous avez cité M. Claeys ; permettez-moi de citer M. Leonetti. Pour lui, avant de légiférer à nouveau sur le sujet, il faudrait que la loi qui porte leurs noms soit pleinement appliquée, ce qui n’est pas le cas – vous le savez.
S’agissant du critère « en phase avancée ou terminale », vous renvoyez au code de la santé publique, mais le contexte y est très différent. Il y est question de traitements analgésiques ou sédatifs, et vous voulez transférer le concept à l’euthanasie : le parallélisme est douteux.
M. Thibault Bazin (DR). Il s’agit de savoir qui sera éligible à l’administration d’une substance létale. Le dispositif pourra-t-il concerner des personnes qui ne sont pas en fin de vie ? En écrivant « en phase avancée ou terminale », nous risquons d’étendre le périmètre bien au-delà des cas qu’on nous fait valoir. Sandrine Rousseau a clairement dit qu’il fallait admettre « le plus grand nombre de personnes possible ». Telle est bien l’intention des auteurs des amendements visant à préciser « quelle qu’en soit la cause ». Posons la question autrement : si nous rejetons ces amendements, quels éléments entraîneraient l’inéligibilité ?
La loi Claeys-Leonetti autorise la sédation profonde et continue jusqu’au décès. L’intention est de soulager la souffrance, non de provoquer ou d’accélérer la mort. Même en précisant que le pronostic vital doit être engagé « à court terme », on n’en resterait pas au droit en vigueur : la différence est fondamentale.
M. René Pilato (LFI-NFP). Je le répète : nous voulons écrire que le pronostic vital doit être engagé. Toutefois, le terme « affection » pourrait limiter l’accès aux patients atteints de pathologies. Il y aura des cas de personnes dont le pronostic vital est engagé et les souffrances réfractaires en raison de causes accidentelles ; il serait dommage qu’elles ne puissent bénéficier de l’aide à mourir.
Mme Annie Vidal (EPR). Comme vous, monsieur le rapporteur général, je pense que l’équilibre de la proposition de loi est primordial, mais il a déjà été fragilisé. Le texte initial prévoyait une auto‑administration, avec la possibilité qu’un tiers procède à l’administration par exception ; nous en sommes à l’administration par un tiers à la demande du patient, quelle que soit la cause. L’esprit du texte n’est plus le même.
M. Jérôme Guedj (SOC). Je suis d’accord avec Olivier Falorni sur l’importance de ne pas réintroduire la notion de court terme.
Il ne faut pas substituer « quelle qu’en soit la cause » à « qui engage le pronostic vital » : ce dernier terme doit apparaître. En revanche, je suis favorable à ajouter « quelle qu’en soit la cause », pour lever une possible ambiguïté.
M. Philippe Juvin (DR). Vous voulez écrire que le pronostic vital est engagé, mais cela ne veut rien dire : il faut savoir dans quel délai. Un patient qui souffre d’une affection cancéreuse peut avoir un pronostic engagé à cinq ans ; sera-t-il éligible ? Faute de prévoir un délai, toutes les personnes atteintes d’une pathologie chronique, d’une affection de longue durée, pourraient être éligibles.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Monsieur Juvin, une telle prédiction n’a pas de sens. « Il existe des pronostics statistiques en fonction des maladies mais, sur le plan individuel, ces pourcentages ne veulent rien dire. Aucun médecin ne peut s’avancer sur un pronostic vital à six ou douze mois », disiez-vous vous-même dans Le Figaro il y a un an. Lors de l’examen du projet de loi en séance, vous aviez clairement exprimé votre position et voté contre la mention du moyen terme, ce qui était tout à fait cohérent. Je ne comprends pas que vous en reveniez aux pronostics statistiques. Tous les professionnels de santé que nous avons auditionnés l’ont dit, il est impossible d’évaluer à combien de temps un pronostic vital est engagé, sauf si c’est à court terme. Je suis défavorable à un retour au court terme, qui reviendrait à conserver la sédation profonde et continue de la loi Claeys-Leonetti : elle n’est pas adaptée à toutes les situations, comme le souligne le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) – mon argumentaire est le même que celui de Régis Aubry et d’Alain Claeys, rapporteurs de l’avis du CCNE.
J’ai redit l’importance que j’accordais à la notion de pronostic vital engagé. Je considère que tout amendement qui la mettrait en cause porterait atteinte à l’équilibre du texte et le fragiliserait.
En revanche, madame Vidal, je ne vois pas en quoi les dispositions que la commission a adoptées ont porté atteinte à l’équilibre de la proposition de loi – dans un premier temps, nos collègues n’ont d’ailleurs pas dit cela, et puis, peu après, leur discours a changé...
Si l’on avait retenu uniquement l’auto‑administration, comme cela avait été envisagé avant le dépôt du texte initial, on aurait remis en cause l’équilibre général tout en créant une profonde injustice dans la mesure où un malade n’aurait pas pu demander que la substance létale lui soit administrée par un professionnel de santé volontaire. Nous avons en effet supprimé, je le rappelle, la possibilité de recourir à une personne non soignante – vous ne m’avez d’ailleurs pas dit que cette modification remettait en cause l’équilibre du texte.
Une ouverture considérable des critères d’accès aurait pu porter atteinte à l’équilibre de la proposition de loi. Je m’en étais remis à la sagesse de la commission sur les amendements qui visaient à offrir le choix au malade entre l’auto‑administration de la substance létale et son administration par un médecin ou un infirmier. La formulation originelle, qui prévoyait qu’un malade pouvait demander qu’on lui administre la substance en cas d’incapacité physique – ce qui pouvait être invoqué en dehors des cas de paralysie –, était ambiguë. Le malade peut désormais librement demander que la substance lui soit administrée par un médecin ou un infirmier n’ayant pas fait valoir sa clause de conscience. En tout état de cause, ce dernier aurait été à ses côtés même en cas d’auto‑administration ; cette disposition ne remet donc nullement en cause l’équilibre du texte.
Mme Océane Godard (SOC). Pour préserver l’équilibre du texte, nous retirons l’amendement AS418. Nous souhaitons maintenir la notion de pronostic vital engagé et inscrire dans le texte les mots « quelle qu’en soit la cause », comme le prévoit l’amendement AS419.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Nous retirons notre amendement AS581 au profit des amendements AS417, AS419 et AS683.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). On emploie souvent l’expression « pronostic vital engagé » lorsqu’une personne se trouve entre la vie et la mort – autrement dit, dans une situation d’urgence. Parfois, on ne peut plus rien faire pour le patient ; en tout état de cause, les soignants feront le maximum pour éviter son décès rapide. En ce sens, il me paraît justifié, comme le propose l’amendement de M. Hetzel – en faveur duquel nous voterons –, de préciser que le pronostic vital doit être engagé à court terme.
Les amendements AS418 et AS581 sont retirés.
La commission rejette successivement les amendements AS155, AS42 et AS246, AS126.
Puis elle adopte les amendements AS417, AS419 et AS683.
Amendement AS684 de M. Hadrien Clouet
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Le texte ne couvre pas totalement, semble-t-il, le cas des personnes dont le maintien en vie est permis exclusivement par des soins actifs et continus. Nous ne croyons pas que l’on puisse forcer ces malades à vivre ; ils ont également le droit de demander une aide à mourir lorsque leur existence ne correspond plus à l’idée qu’ils se font de la dignité humaine. L’amendement vise donc à ouvrir l’aide à mourir à la personne dont le pronostic vital est engagé à la suite de sa décision d’arrêter de recevoir des soins actifs et continus.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Cette disposition ne me paraît pas nécessaire : la proposition de loi s’applique à la personne « atteinte d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital ». En outre, elle compliquerait la rédaction et déséquilibrerait le texte.
Avis défavorable.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Nous soutiendrons cet amendement, qui apporte une précision sans alourdir le texte. Nous nous opposons à toute forme d’acharnement thérapeutique. Parfois, le malade ne supporte plus que sa vie soit suspendue à des soins actifs et continus ; il peut vouloir mettre fin à ces derniers sans pour autant mourir dans d’atroces souffrances. Il faut respecter son ultime liberté et lui ouvrir le droit de bénéficier de l’aide à mourir lorsque ses souffrances sont réfractaires à tout traitement et que la situation est irrémédiable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je ne vois pas comment mon amendement peut être satisfait tout en compliquant le texte et en modifiant son équilibre... J’entends bien qu’il s’agit d’un débat politique. Nous vous proposons d’avancer vers un nouveau point d’équilibre. On peut prévoir un alinéa supplémentaire et revoir la rédaction si elle vous paraît trop complexe.
Mme Justine Gruet (DR). L’exposé sommaire évoque le cas de Vincent Humbert, qui, à ma connaissance, n’était pas capable de donner un avis libre et éclairé. Les personnes qui vivent grâce à des soins actifs et continus doivent, si elles souhaitent les arrêter, être en mesure d’exprimer leur volonté. Si nous ne posions pas cette exigence, nous ferions sauter un critère supplémentaire d’octroi de l’aide à mourir.
M. Patrick Hetzel (DR). Lorsqu’une personne est dialysée, son pronostic vital est engagé, à moins qu’elle puisse bénéficier d’une greffe. Or une dialyse implique des soins actifs et continus. Compte tenu de la rédaction que vous proposez, toutes les personnes dialysées pourraient demander un suicide assisté. On est ici au-delà du déséquilibre puisqu’il n’y aurait plus aucun garde-fou. Je m’étonne également que vous citiez le cas de Vincent Humbert pour justifier cette ouverture très dangereuse.
M. René Pilato (LFI-NFP). Je crois que vous confondez les affaires Humbert et Lambert.
Je rappelle que la loi fixe des critères cumulatifs. Une personne atteinte d’une affection en phase avancée ou terminale et dont le pronostic vital est engagé suit un traitement dans le cadre du parcours personnalisé d’accompagnement. Lorsque les effets indésirables des médicaments deviennent insupportables, au point, par exemple, de l’empêcher de dormir, le malade peut estimer qu’il n’est plus possible de poursuivre le traitement. Il peut subir alors des souffrances réfractaires qui le conduiront à demander l’aide à mourir. Tel est le sens de l’amendement.
M. Thibault Bazin (DR). Tout en refusant l’obstination déraisonnable et l’acharnement thérapeutique, il faut prodiguer au patient les soins dont il a besoin. La question est de savoir si une personne atteinte d’une affection grave et incurable, qui ne veut pas recevoir de soins – y compris actifs et continus –, peut bénéficier de l’aide à mourir par le fait même que sa décision engage le pronostic vital.
M. Philippe Juvin (DR). Qu’un patient décide librement d’arrêter ou de ne pas suivre un traitement, au risque d’engager son pronostic vital, ne me choque absolument pas : cela relève de la liberté individuelle. Pour bien préciser votre intention, monsieur Clouet, votre amendement a-t-il vocation à s’appliquer à une personne qui a décidé d’arrêter sa dialyse alors que, potentiellement, elle a encore plusieurs années à vivre ?
M. Théo Bernhardt (RN). L’adoption des amendements précédents nous a fait franchir un seuil. Je crains que nous n’allions encore plus loin avec cet amendement qui pourrait par exemple s’appliquer, outre les patients diabétiques, à ceux placés sous oxygène. Je crains qu’on aboutisse à un dispositif qui ne soit plus du tout cadré, dont les conséquences pourraient être graves.
Mme Annie Vidal (EPR). Cette rédaction me surprend également. La décision d’arrêter le traitement va engager – ou réengager – le pronostic vital, probablement à très court terme. C’est ce qui se produit lorsqu’une personne en soins palliatifs demande qu’il soit mis fin à son traitement ; dans le cadre de l’accompagnement qui lui est proposé, on peut la sédater pour lui permettre de partir sans souffrir. Ce cas est satisfait par le texte, mais il en va autrement des situations, évoquées par nos collègues, que semble viser l’amendement. Ce dernier soulève des questions radicalement différentes. Il me semblerait préférable de ne pas introduire cette disposition dans le texte afin d’éviter toute confusion.
M. Christophe Bentz (RN). Pour les Français en fin de vie qui n’ont pas accès aux soins palliatifs, il ne peut pas y avoir d’équilibre entre souffrir et mourir. Votre texte n’est pas un texte d’équilibre, monsieur le rapporteur général ou, en tout cas, l’équilibre a disparu. Il y a un an, vous avez supprimé le critère du pronostic vital engagé à court et moyen terme. Il y a quinze jours, vous avez mis fin à l’exception euthanasique. Il y a quelques minutes, avec l’adoption des amendements de la gauche, vous avez ouvert beaucoup plus largement l’aide à mourir. On pourrait dire que, d’une certaine façon, vous radicalisez le texte. Ce faisant, vous nous donnez raison, en quelque sorte. Cela a le mérite de la clarté, parce que cela montre aux Français que ce texte sur le suicide assisté et l’euthanasie permet et prépare toutes les dérives.
M. Laurent Panifous (LIOT). L’amendement de M. Clouet est intéressant, car il met en lumière une dimension que l’on ne perçoit pas nécessairement à la première lecture du texte. Cela étant, je ne le voterai pas, car il me paraît satisfait. En effet, la proposition de loi prévoit que l’on peut refuser un traitement, ce qui peut concerner une dialyse, une oxygénothérapie, un traitement cardiaque, etc. En vertu du texte, une personne atteinte de ce type de pathologies, qui est susceptible de vivre longtemps grâce à son traitement, peut décider d’y mettre un terme, auquel cas elle se trouverait en fin de vie et aurait accès à l’aide à mourir. Je ne voudrais pas que certains collègues fassent croire que, par ce type d’amendements, on ferait évoluer la portée du texte : ce n’est absolument pas le cas.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous considérons que l’amendement n’est pas pleinement satisfait, car la définition du traitement ne recoupe pas exactement celle du soin. Ainsi, le fait d’être nourri, lorsqu’on n’est plus capable de le faire, ou de recevoir une perfusion, constitue des soins – comme en a reçu Vincent Humbert –, qui se distinguent des traitements, auxquels la loi permet de renoncer.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Bien que cet amendement soit, à mes yeux, satisfait, il est utile, dans le cadre de notre réflexion, d’aborder toutes les problématiques. Monsieur Bentz, je sais qu’à chaque fois que nous voterons un amendement, vous nous direz que nous ouvrons les vannes, mais il fallait oser parler d’une « radicalisation » du texte ! Je rappelle que, si nous avons supprimé la notion de pronostic vital « engagé à court ou moyen terme », nous lui avons substitué celle d’« affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale ».
Monsieur Juvin, vous ne pouvez pas regretter que l’on ait supprimé la mention du moyen terme, que vous aviez qualifiée de « stupide » et auquel vous vous étiez opposé en séance.
La rédaction de l’amendement n’est pas claire ; elle soulève de nombreuses questions. Monsieur Clouet, je vous propose de le retirer et d’en discuter d’ici à la séance. S’il apparaissait que l’amendement n’était pas satisfait, nous pourrions réfléchir à une autre rédaction.
L’amendement est retiré.
Amendements AS668 et AS664 de Mme Angélique Ranc (discussion commune)
Mme Angélique Ranc (RN). L’amendement AS664 vise à préciser que le pronostic vital doit être engagé à un horizon de six mois, comme c’est le cas dans de nombreux pays, tels les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ainsi que l’a souligné une étude de 2024 de la HAS. L’amendement AS668 fixe le délai à douze mois.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Cette mention ne me paraît pas opportune. L’alinéa 7 étant parfaitement rédigé, je ne vois pas de raison de le modifier.
M. Philippe Juvin (DR). Monsieur le rapporteur général, la question-clé est la définition du pronostic vital engagé. On voit que l’on bute sur cette notion. Certains estiment que le fait de dire que le pronostic vital est engagé suffit ; d’autres, dont je fais partie, considèrent que c’est trop vague : en effet, le pronostic vital peut être engagé à un horizon de plusieurs années, par exemple en cas de diabète ou d’insuffisance rénale en phase terminale – autrement dit, de dialyse. Considérez-vous qu’un insuffisant rénal dialysé – donc atteint d’une affection incurable en phase terminale, dont le pronostic vital est engagé – répond aux critères de l’aide à mourir actuellement fixés par le texte ?
M. Stéphane Delautrette (SOC). Certains de nos collègues souhaitent apporter toujours plus de précisions concernant le pronostic vital, mais il faut relire l’alinéa 7 dans son ensemble : on y évoque une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale. La HAS sera prochainement amenée à redonner une définition de la phase avancée. Le texte me paraît suffisamment précis. En tout état de cause, on peut se demander comment un médecin pourrait établir un pronostic vital aussi précis que l’amendement le suggère.
M. René Pilato (LFI-NFP). Il faut arrêter de vouloir fixer des délais précis. Face à une même maladie, nous aurions tous, ici, un pronostic vital différent, car ce dernier dépend de notre capacité physique, de notre passé, de notre alimentation, etc. Parler de six mois, douze mois, trois ans ou cinq ans, cela n’a pas de sens.
Mme Angélique Ranc (RN). Le fait de fixer un délai permettrait de rassurer les députés qui craignent que tous les garde-fous ne disparaissent et de les inciter, en dissipant un certain flou juridique, à voter la loi. J’étais favorable au premier texte, déposé avant la dissolution – j’avais cosigné des amendements visant à rétablir des garde-fous, mais n’en avais déposé aucun pour bloquer son adoption. J’ai changé de position, car j’ai vu comment le texte a évolué sous la précédente législature.
Mme Karine Lebon (GDR). Vous semblez nous dire, chère collègue, que vos amendements sont motivés par une volonté d’obstruction. En effet, les médecins ne donnent pas de délai : cela ne signifierait rien, car chaque patient réagit différemment à la maladie. Nous ne pouvons pas inscrire de délai dans la loi, cela n’aurait aucun sens.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Ces amendements visent à introduire un critère temporel. Or tous les médecins, même les plus hostiles à l’aide à mourir, comme M. Gomas, ont reconnu que ce critère n’avait pas de sens. Aucun médecin ne donnera de délai. Par conséquent, vos amendements empêcheraient l’application de la loi. Il ne me paraît donc pas possible, en toute cohérence, de soutenir que vous êtes favorable au texte à la condition que l’on introduise un délai.
On n’évoque jamais le quatrième critère, à savoir le fait de « présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement ». Les critères, je le rappelle, sont cumulatifs. On a beaucoup débattu du pronostic vital, mais n’oublions pas que la souffrance liée à l’affection constitue le cœur du texte.
Avis défavorable sur les amendements.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS778 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, amendements identiques AS125 de Mme Justine Gruet, AS259 de M. Thibault Bazin, AS796 de Mme Marie-France Lorho et AS1049 de M. Philippe Juvin, amendements identiques AS41 de M. Patrick Hetzel, AS374 de Mme Marine Hamelet et AS706 de M. Christophe Bentz, amendements identiques AS855 de Mme Nathalie Colin-Oesterlé et AS1102 de M. Frédéric Valletoux (discussion commune)
M. François Gernigon (HOR). Par l’amendement AS778, nous proposons de revenir aux conditions d’accès initiales de l’aide à mourir, en réintroduisant l’expression « à court ou à moyen terme ». La HAS considère le pronostic vital comme engagé à court terme lorsque le décès du patient est attendu dans les quelques heures à quelques jours. Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi relative à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, il était clairement indiqué que le moyen terme se compte, quant à lui, en semaine ou mois et correspond à une période pour laquelle l’évaluation peut être endossée par un professionnel de santé. Dans son avis sur le présent texte, le Conseil d’État estime que le moyen terme ne peut s’entendre qu’au sens de la pratique médicale, c’est-à-dire un horizon temporel ne dépassant pas douze mois.
À l’inverse, la notion de phase avancée est floue et ne repose sur aucun consensus médical clair. Son intégration dans le texte pourrait rendre incertaine la prise de décision et entraîner, selon les professionnels et les établissements, des disparités dans l’application du droit.
Mme Justine Gruet (DR). J’ai le sentiment que les critères d’accès s’assouplissent au fur et à mesure de l’examen du texte. Or moins ils seront précis, plus il sera difficile pour les médecins de les évaluer objectivement. En tant que législateur, notre rôle est de fixe un cadre juridique permettant la bonne application du texte. Vous l’avez dit à juste titre, monsieur le rapporteur général : la souffrance psychologique est difficile à évaluer.
M. Thibault Bazin (DR). Jusqu’où le législateur veut-il aller ? Qui sera éligible au dispositif ? Voilà la question posée. Une personne atteinte d’une affection grave et incurable, en phase avancée ou terminale – au sujet de laquelle nous attendons toujours la définition de la HAS, si tant est qu’elle soit capable d’en donner une –, présentant une souffrance psychologique réfractaire, qui aurait choisi de ne pas suivre de traitement et dont le pronostic vital serait de ce fait engagé, pourrait-elle accéder à l’aide à mourir ?
La notion de pronostic vital engagé à court terme présente l’intérêt d’avoir été définie par la HAS. Sans l’ajout des mots « à court terme » la proposition de loi pourra concerner des personnes qui ne sont pas en fin de vie. Dans ce cas-là, il faut le dire et peut-être même en changer le titre !
M. Christophe Bentz (RN). Nous considérons que les vannes sont trop ouvertes. N’étant pas parvenus à supprimer les articles précédents ni celui-ci, nous estimons important qu’un critère temporel soit intégré. Nous nous efforçons, amendement après amendement, de restreindre les conditions d’accès. Comme l’avait dit notre ancien collègue Pierre Dharréville, « le pronostic vital est engagé dès la naissance ». Nous proposons donc par l’amendement AS796 de réintroduire les mots « à court terme ». Agnès Firmin Le Bodo avait souligné il y a un an qu’avec la suppression de la notion de court ou de moyen terme, le texte d’alors n’était plus le même.
M. Philippe Juvin (DR). Il est vrai qu’il est très difficile, voire impossible, de préciser un délai. Mais chacun doit comprendre que dans sa version actuelle, le texte ouvre l’accès à l’aide à mourir à des personnes atteintes d’une affection grave et incurable, en phase avancée ou terminale, souffrant de douleurs réfractaires et intolérables, mais qui auraient pu vivre encore plusieurs années. Monsieur le rapporteur général, j’aimerais que vous répondiez par oui ou non à ma question : considérez-vous qu’il faille rendre accessible l’aide à mourir à une personne en insuffisance rénale dialysée, par définition en phase terminale, dont l’affection est incurable et présentant des souffrances intolérables, mais à qui il reste plusieurs années à vivre ?
M. Patrick Hetzel (DR). On sait ce qu’est une phase terminale mais pas une phase avancée. L’Académie nationale de médecine a estimé cette expression à la fois inadaptée et dangereuse. Nous proposons donc de la supprimer, à l’alinéa 7. Il s’agit en effet d’un critère d’appréciation arbitraire, source d’insécurité médicale et juridique.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). L’amendement AS374 est défendu.
M. Christophe Bentz (RN). Le terme très flou de phase avancée n’a aucune base juridique ni médicale.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Contrairement à la phase terminale, la phase avancée n’est pas définie médicalement. Dans l’attente des conclusions de la HAS, il me semble risqué d’introduire dans la loi une notion floue, susceptible de concerner de nombreux cas et d’ouvrir la voie à des abus de faiblesse. Je propose donc sa suppression.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Ces nombreux amendements sont tous dans le même esprit.
Pour commencer, je ne comprends pas celui de Mme Firmin Le Bodo. Fin 2023, j’ai reçu un document adressé à l’ensemble des professionnels de santé par le ministère de l’organisation territoriale et des professions de santé, dont elle était alors en charge : Fin de vie. Mots et formulations de l’anticipation définis juridiquement ou d’usage coutumier par les professionnels des soins palliatifs. L’aide active à mourir y est définie comme désignant « tout acte ayant pour finalité de provoquer la mort d’une personne, à sa demande, lorsqu’elle est atteinte d’une maladie grave et incurable, en phase avancée ou terminale ». Je vous propose que nous nous en tenions à cette définition du ministère de la santé et suis donc défavorable à cet amendement !
Les amendements identiques de Mme Colin-Oesterlé et de M. le président sont importants et méritent réflexion. Dans l’avis qu’elle doit rendre prochainement sur l’expression « moyen terme », la HAS définira aussi ce qu’est la phase avancée, qui n’est pas la même chose que la phase terminale. Selon ses indications, mon avis sur ces amendements pourra évoluer lors de l’examen du texte en séance. Dans l’attente, je vous invite à les retirer ; à défaut, j’y suis défavorable.
Vous savez que mon engagement, monsieur Juvin, est le même que celui de beaucoup d’entre vous : pouvoir répondre à des hommes et des femmes qui savent qu’ils vont mourir et dont la logique n’est pas de donner des jours à la vie mais de donner un petit peu plus de vie à leurs derniers jours. Je le redis : la question de la souffrance est fondamentale. On ne peut pas la mettre de côté au prétexte qu’une maladie n’entrerait pas dans le cadre. Lorsque plus aucune solution ne peut être apportée pour apaiser la souffrance, le texte permet d’ouvrir une possibilité.
La souffrance en fin de vie est au cœur du dispositif, mais celui-ci est encadré par les critères médicaux très précis que nous avons établis : le pronostic vital doit être engagé et l’affection grave et incurable. Nous nous appuyons non pas sur la prédiction du temps qu’il reste à vivre mais sur l’évaluation de l’état clinique du patient, pour reprendre les termes de l’Académie nationale de médecine. C’est en fonction de cette évaluation, ainsi que de la souffrance endurée, que le professionnel de santé pourra répondre ou pas à la demande d’aide à mourir – après concertation, je le rappelle, avec deux autres professionnels. J’émets donc également un avis défavorable aux autres amendements de la discussion commune.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Dans d’autres pays, de nombreuses associations aident les personnes à mourir sans se poser de questions aussi poussées sur le plan médical. La volonté du patient me semble essentielle, en particulier dans les cas de souffrances psychiques très difficiles à évaluer. Si des patients atteints de la maladie d’Alzheimer souhaitent mourir parce qu’ils ne veulent pas affronter cette réalité, alors même s’ils ne sont pas encore très affectés, leur souffrance doit être comprise, acceptée, et ouvrir droit à un accompagnement vers une fin de vie.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Nous avons déjà eu des discussions sans fin sur le court et le moyen terme, que l’ensemble des professionnels de santé s’accordent à considérer comme indéfinissables. Tout le monde ou presque se rejoint autour de l’expression « phase avancée ou terminale » – sachant que ces deux qualificatifs ne désignent pas la même chose : on peut souffrir d’un cancer en phase avancée, répondre au traitement, et ne jamais se retrouver en phase terminale.
Vous recourez souvent, monsieur Juvin, à l’exemple de l’insuffisance rénale dialysée. Il y a bien sûr des maladies non guérissables qui restent traitables. Mais dans certains cas, notamment de cancers en phase terminale, plus aucun traitement ne peut soulager le patient ; celui-ci n’est pas dans la même situation qu’un diabétique ou un insuffisant rénal pouvant être traité.
M. Thibault Bazin (DR). La question de la souffrance est effectivement fondamentale ; personne ici n’y est insensible, et nous savons que certaines situations sont extrêmement compliquées. Mais faisons l’exercice de cumuler les critères : une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, en phase avancée ou terminale, peut être victime de souffrances exclusivement psychologiques – qui sont sans doute les plus difficiles à soulager – et choisir, de ce fait, de refuser le traitement qu’on lui propose. Cela soulève de lourdes incertitudes. Doit-on lui ouvrir l’aide à mourir ? Notre société ne devrait-elle pas plutôt soulager les personnes en détresse ? Monsieur le rapporteur général a demandé le retrait de certains amendements, dans l’attente de l’avis de la HAS. Ne devrions-nous pas plutôt suspendre nos travaux ?
M. Philippe Vigier (Dem). Votre avis changerait certainement, cher collègue, si vous veniez passer trois jours dans un centre de traitement de la douleur. À ce jour, il est des souffrances sur lesquelles nous n’avons aucune prise. C’est le sujet central.
Je me souviens de nos débats sur les mots « phase avancée ou terminale », très largement préférés aux mots « moyen terme » qui n’ont aucune signification en médecine. Un médecin n’annonce jamais à un malade du cancer qu’il lui reste trois semaines, deux mois ou six mois à vivre ! Même les évaluations qui sont réalisées collégialement par les professionnels sont faites pour évoluer.
N’allons pas imaginer, ensuite, que l’on ouvre les vannes à tout-va. Je rappelle que le patient doit demander l’aide à mourir, et que le corps médical peut l’accepter ou non. Contrairement à ce que vous avez déclaré dans un grand journal récemment, cher collègue Juvin, la décision repose, non pas sur un seul professionnel, mais sur un collège de médecins ou professionnels de santé. Je crains que vous n’ayez pas lu le texte jusqu’au bout. Quoi qu’il en soit, vous n’avez pas le droit d’affirmer des choses erronées au sujet de la proposition de loi.
M. Philippe Juvin (DR). J’ai lu le texte, monsieur Vigier. J’ai autant de légitimité que vous et je n’ai pas de leçons à recevoir de votre part. Il n’y a pas d’un côté ceux qui, sensibles à la souffrance, voudraient la soulager, et ceux qui y seraient insensibles. Et s’il faut se mettre en avant, permettez-moi d’indiquer que je ne suis pas celui qui connaît le moins ce sujet.
Ce qu’a dit M. Falorni est très juste : le vrai sujet, c’est la souffrance. Mais puisqu’il n’y a plus aucun délai, il est faux de dire que ce texte serait relatif à la fin de vie : il est relatif à la souffrance. Je le redis : tous critères cumulés, des personnes qui ne sont pas en fin de vie pourraient demander l’aide à mourir.
M. Stéphane Delautrette (SOC). La question est de savoir si, à partir du moment où l’on peut alors renoncer au traitement, on peut aussi accéder à l’aide à mourir. Mais quant à la notion de « phase avancée ou terminale », elle figure déjà dans la loi Claeys-Leonetti – contrairement à la notion de court ou moyen terme, qui n’a pas d’existence légale et ne permet pas d’apprécier la situation de manière certaine.
M. René Pilato (LFI-NFP). Je répète que la fixation d’un délai est hors sujet, puisque celui-ci diffère selon les personnes. S’agissant du titre, cher collègue Juvin, nous pourrions philosopher : dès notre naissance, notre fin de vie est programmée !
Une fois réunies les conditions posées – pronostic vital engagé, maladie incurable, souffrances réfractaires –, on doit faire confiance à l’équipe médicale pour accepter, ou non, la demande d’aide à mourir. Tout le reste n’est que perte de temps et débat inutile.
M. Laurent Panifous (LIOT). Vous avez raison, monsieur Juvin : il est possible que ce texte permette à des personnes à qui il reste plusieurs semaines ou plusieurs mois à vivre – voire plus d’un an – d’accéder à l’aide à mourir. Mais si temps qui leur reste n’est que souffrances réfractaires insupportables, je considère, à titre personnel, qu’elles doivent effectivement y avoir accès. Sans doute aurions-nous dû fusionner les troisième et quatrième critères : cela nous aurait évité de longs débats. Rappelons que nous parlons de personnes qui présentent des souffrances réfractaires et insupportables face auxquelles la question du délai, certes importante, devient accessoire.
Mme Annie Vidal (EPR). Ce débat est fondamental. Nous parlons de la fin de vie de personnes qui ont le souhait de mourir, quelle qu’en soit la raison : tout est fondé sur leur volonté. Or les critères d’accessibilité sont flous. En les restreignant à une phase avancée et terminale – en remplaçant « ou » par « et » –, on les rendrait plus précis.
J’entends que certaines souffrances sont insupportables et qu’il faut tout faire pour les soulager. Mais là encore, le critère est flou puisque le texte évoque une souffrance physique ou psychologique. Si la première peut être évaluée, ce n’est pas le cas de la seconde : lors de son audition, le professeur Éric Serra, psychiatre et président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur nous a clairement indiqué que c’était impossible. Ce qui est acceptable ou supportable pour une personne ne l’est pas pour une autre.
Le sujet de la souffrance est fondamental, mais les termes « phase avancée ou terminale » et « souffrance physique ou psychologique » génèrent un flou qui ne peut que m’inquiéter.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Ce qui n’est pas normal c’est tout simplement que l’on souffre aujourd’hui en France. La souffrance psychologique, qui très souvent accroît la souffrance physique, est liée à l’isolement, à la détresse sociale et au manque d’accompagnement. Lorsqu’il faut plus d’un an pour consulter un spécialiste et que les patients ne sont pas pris en charge à temps, les douleurs se manifestent très vite et deviennent rapidement réfractaires.
Je rappelle par ailleurs qu’en cas de souffrance réfractaire, la loi Claeys-Leonetti permet déjà au patient d’être soulagé par des sédations intermittentes ou par une sédation profonde et continue
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements AS1066 et AS1050 de M. Philippe Juvin (discussion commune)
M. Philippe Juvin (DR). Je propose, avec le premier amendement, de modifier la rédaction de l’alinéa 8, afin que celui-ci prenne en compte la souffrance physique insupportable, liée à l’affection et réfractaire aux traitements. Avec le second, très proche, je propose de préciser uniquement qu’elle doit être réfractaire au traitement. Dans la version actuelle du texte en effet, pourraient être prises en compte des douleurs simplement mal traitées. Compte tenu des difficultés d’accès aux soins, nous allons tout droit vers une situation totalement absurde dans laquelle il sera plus facile d’obtenir l’aide active à mourir qu’une consultation spécialisée contre la douleur.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Monsieur Juvin, vous voulez écarter les souffrances psychologiques, alors que, pour ma part, j’adhère totalement à la rédaction actuelle du texte : on ne peut pas séparer les souffrances psychologiques des douleurs physiques – l’un des médecins auditionnés a bien fait cette distinction entre douleur et souffrance, sachant que la souffrance psychique est sans doute plus difficile à évaluer.
Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques AS421 de Mme Océane Godard et AS478 de Mme Marie‑Noëlle Battistel, amendement AS585 de Mme Nicole Dubré-Chirat (discussion commune)
Mme Océane Godard (SOC). À l’alinéa 8, nous souhaitons insérer « psychique » après « physique ». On peut d’autant moins dissocier les deux que les souffrances psychiques peuvent engendrer des douleurs physiques par un effet de somatisation : quand l’esprit ne parvient pas à gérer les affects négatifs, le corps réagit par des douleurs parfois insupportables.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Il s’agit d’ouvrir l’aide à mourir aux souffrances psychiques. Les troubles psychiques désignent des perturbations globales du fonctionnement mental qui peuvent affecter la pensée, les émotions, la perception ou le comportement. Ce terme inclut les maladies psychiatriques telles que la schizophrénie, la bipolarité, la dépression sévère et les troubles anxieux graves. Ces troubles sont souvent d’origine multifactorielle – génétique, neurologique, environnementale – et peuvent nécessiter un suivi médical, voire un traitement médicamenteux. À notre avis, il convient de les distinguer des troubles psychologiques dans les conditions d’accès à l’aide à mourir. Cet amendement a été travaillé avec l’ADMD après plusieurs auditions.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Au cours d’une maladie en phase avancée et terminale, il est difficile de dissocier les douleurs physiques et psychiques, qui sont évaluables et réévaluables. À défaut d’avoir accès à une consultation spécifique sur la douleur, le patient devrait pouvoir être pris en charge par n’importe quel professionnel de santé, y compris avec l’aide des équipes mobiles de soins palliatifs. Ce n’est hélas pas le cas sur tout le territoire : nombre de personnes souffrent physiquement et psychologiquement, faute de professionnels qui sachent utiliser les traitements antalgiques de manière adaptée aux patients dont la maladie a atteint un stade avancé ou terminal.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Tout en comprenant les arguments qui viennent d’être soulevés pour ajouter la dimension psychique, je rappelle qu’à l’issue des débats qui s’étaient tenus il y a un an en commission spéciale et en séance, il avait été décidé de remplacer le « et » par un « ou ». Actuellement, il ne me semble pas souhaitable d’adopter ces amendements : ne donnons pas d’arguments à ceux qui, comme M. Odoul, se réjouissent par avance de pouvoir prétendre que nous allons permettre aux dépressifs d’avoir accès à l’aide à mourir. Votre sourire vous a trahi, monsieur Odoul ! Je n’ai pas envie de donner satisfaction à M. Odoul. Mes chers collègues, j’en appelle à votre sens des responsabilités car le rire spontané de M. Odoul veut tout dire.
M. Julien Odoul (RN). Personne ne rit ici !
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Si, vous venez de rire. Ne donnons pas des arguments à ceux qui, de toute manière, sont opposés à ce texte. Avis défavorable.
Mme Annie Vidal (EPR). Il ne s’agit pas de ne pas donner des arguments à tel ou tel, mais de savoir ce que nous faisons précisément en adoptant ce texte. Selon la HAS, les douleurs psychiques peuvent être associées des pathologies psychiatriques. Ces amendements me semblent en contradiction avec l’alinéa 9 : « 5° Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ».
M. Gaëtan Dussausaye (RN). L’échange qui vient d’avoir lieu me désole. J’aurais accepté que vous souleviez des arguments de fond ou d’ordre plus stratégique – une majorité transpartisane étant nécessaire à l’adoption de ce texte – pour expliquer votre opposition à ces amendements. En revanche, je ne comprends pas que votre seul argument consiste à dire qu’il ne faut surtout pas voter comme l’un des députés, présent dans cette salle, en une sorte d’attaque nominative et personnelle. Ces débats compliqués doivent permettre à toutes les sensibilités d’être entendues.
M. Julien Odoul (RN). Monsieur le rapporteur général, je trouve votre propos assez désobligeant à mon endroit, d’autant que nous avions eu l’an dernier des débats respectueux sur le sujet, même lorsque nous exprimions des positions divergentes. Vous instrumentalisez la réaction que j’ai eue en vous entendant exprimer un propos hallucinant : comme l’a relevé mon collègue Dussausaye, vous rejetez des amendements non pas pour des raisons de fond, mais par pure posture stratégique politicienne. Il est navrant que votre unique justification consiste à dire qu’il ne faut pas donner des arguments à ceux qui sont contre ces amendements. Ce n’est pas au niveau du débat.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Pour ma part, je trouve qu’il est très important d’ajouter cette dimension psychique, même si elle peut notamment s’appliquer à des personnes très dépressives. Je ne suis pas médecin, contrairement à nombre d’entre vous, mais je peux témoigner du fait que dans le cas de maladies neurodégénératives, les souffrances psychiques peuvent survenir avant les douleurs physiques. Ces personnes atteintes de maladies neurodégénératives savent qu’elles vont finir dans la démence et n’ont pas du tout envie d’affronter cette situation. Elles souhaitent mettre fin à leur vie avant de devenir cette autre personne démente. Si nous n’intégrons pas cette dimension psychique, les personnes dotées de moyens financiers et culturels suffisants iront à l’étranger mettre fin à leur vie. Elles le feront de toute façon.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Sur le fond, je serais favorable à ce que soient intégrées les souffrances psychiques, indissociables des douleurs physiques en fin de vie. Cela étant, les arguments du rapporteur général m’incitent à prendre ce texte comme une sorte de première étape importante à passer, quitte à en restreindre la portée. En outre, nous avons été alertés, notamment par les communautés de médecins psychiatres, sur le fait qu’il fallait traiter la souffrance psychique par d’autres moyens que ce texte. Aussi, allons-nous nous abstenir.
M. Patrick Hetzel (DR). Permettez-moi, monsieur le rapporteur général, de citer des propos que vous avez tenus lors d’une interview accordée au site La Grande Conversation, parue vendredi : « Est-il par ailleurs nécessaire de rappeler que l’aide à mourir s’adresse uniquement à des malades en fin de vie, atteints d’une affection grave et incurable, engageant le pronostic vital en phase avancée ou terminale ? Assimiler l’aide à mourir à l’encouragement au suicide est donc particulièrement spécieux et même scandaleux. » Or s’il devait y avoir une ouverture à la dimension psychique, les professionnels de santé indiquent que nous franchirions allégrement une nouvelle limite.
Mme Océane Godard (SOC). Après avoir entendu vos arguments, monsieur le rapporteur général, nous allons retirer notre amendement, mais nous resterons très attentifs à ce que les douleurs psychiques soient prises en compte dans le cadre de cette loi. À cette occasion, je tiens à vous dire, monsieur Odoul, que nous souhaiterions continuer à avoir des débats de fond de qualité et de bonne tenue, malgré votre arrivée. Vous connaissant trop bien, je sais à quel point les choses peuvent déraper avec vous.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Tout en comprenant vos arguments, monsieur le rapporteur général, il me semble important de débattre de ce type demandes, sans les balayer trop rapidement sous prétexte de ne pas mettre en danger l’ensemble du texte. Nous avons déjà renoncé s’agissant des directives anticipées. Nous devons discuter de ces amendements, travaillés avec l’ADMD et destinés à ouvrir le débat. Pour ma part, je maintiens mon amendement.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Sensible aux arguments évoqués, je vais retirer mon amendement, non sans faire remarquer qu’il est difficile de séparer le corps et l’esprit, ce que l’on a longtemps fait en médecine et que l’on continue parfois à faire. Il faudra que les choses évoluent de manière à tenir compte des répercussions du physique sur le psychique et inversement.
M. le président Frédéric Valletoux. Au terme de cette discussion, je voudrais réaffirmer mon attachement à la qualité des débats. Il serait bon d’éviter les propos très personnels qui tournent à la polémique, et de s’en tenir à des arguments de fond – cela donne des échanges plus riches et c’est ce que l’on attend de nous. Il est d’autant plus important que nous restions concentrés sur le fond que le délai imparti pour l’examen du texte est court.
Les amendements AS421 et AS585 sont retirés.
La commission rejette l’amendement AS478.
Amendements identiques AS14 de M. Alexandre Portier, AS394 de M. Thibault Bazin, AS403 de Mme Justine Gruet, AS707 de M. Christophe Bentz, AS901 de M. Thomas Ménagé et AS946 de M. Philippe Juvin
Mme Sylvie Bonnet (DR). L’amendement de notre collègue Alexandre Portier cherche à éviter les dérives potentielles liées à l’évaluation subjective de la souffrance psychologique. Celle-ci est souvent complexe et multifactorielle, et son évaluation peut varier considérablement d’un professionnel de santé à l’autre. En outre, inclure la souffrance psychologique comme critère d’accès à l’aide à mourir pourrait conduire à des abus, notamment envers des personnes vulnérables qui pourraient se sentir contraintes à demander l’euthanasie en raison de pressions externes ou de troubles mentaux temporaires.
M. Thibault Bazin (DR). Cet alinéa 8 avait été modifié et adopté l’an dernier lors de la dernière journée de travaux en séance, avant la fin de vie de la précédente législature pour cause de dissolution. Les souffrances psychologiques et physiques sont souvent liées, dites‑vous, madame Liso. Le problème est que la rédaction actuelle fait référence à « une souffrance physique ou psychologique ». On ouvre donc la possibilité d’administrer une substance létale à une personne qui est certes atteinte d’une maladie grave et incurable, mais dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme et qui souffre uniquement psychologiquement. N’est-ce pas un problème ? Alors que la santé mentale a été désignée grande cause nationale en 2025, cela interroge sur le rapport du soignant au soigné, et sur le regard de la société sur les personnes en souffrance psychologique. Pour moi, cette ouverture présente un vrai risque.
Mme Justine Gruet (DR). Si l’on utilise la conjonction « ou », on ouvre l’accès à l’aide à mourir à des personnes qui n’ont que des souffrances psychologiques parfois difficiles à objectiver. Le patient peut aussi refuser des traitements pour ressentir moins de souffrance psychologique. Mais la suppression de toute référence aux souffrances psychologiques ne permet pas de répondre aux attentes potentielles des patients. Dans mon amendement AS565 à venir, je propose de remplacer le « ou » par un « et », ce qui permet de ne pas dissocier le corps et l’esprit.
M. Christophe Bentz (RN). Lorsqu’on est atteint d’une maladie grave, la douleur physique entraîne automatiquement de la souffrance psychologique. Le texte passe à côté de l’enjeu fondamental : la prise en charge de la douleur et de la souffrance des personnes humaines malades. Le fait de mentionner la souffrance psychologique dans cet alinéa fait courir un risque de dérive : à terme, les Français pourraient accéder à l’euthanasie ou au suicide assisté uniquement pour des raisons psychologiques. Ce n’est pas une vue d’esprit car, il y a quelques jours, une jeune Néerlandaise en dépression a fait une demande d’euthanasie.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). L’amendement AS901 est défendu.
M. Philippe Juvin (DR). Prenons l’exemple de la psychose maniaco-dépressive, affection grave et incurable qui, en phase avancée, conduit à des tentatives de suicide à répétition, ce qui engage le pronostic vital puisque certains patients en meurent. Rappelons que l’on meurt de maladies psychiatriques. La psychose maniaco-dépressive répond à la définition de l’affection grave et incurable en phase avancée : si vous avez une souffrance psychologique intense liée à cette maladie, vous remplissez les critères. Nous devons voter en connaissance de cause et avoir conscience que cette rédaction ouvre la possibilité d’inclure certaines maladies psychiatriques.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Vous semblez dire que l’on ouvrirait l’aide à mourir à toute personne présentant des souffrances psychologiques. Ce n’est pas le cas puisque d’autres critères sont requis. Il est en effet difficile d’objectiver la souffrance psychologique, mais il en va de même pour la souffrance physique : quand on utilise l’échelle graduée de zéro à dix, c’est le patient qui s’autoévalue, alors que le ressenti varie d’un patient à l’autre – ma douleur physique peut être différente de celle de M. Falorni, et on ne le saura jamais. Ce texte, qui prévoit des critères cumulatifs, est plutôt bien fait. Il n’y a pas d’ouverture à une dérive.
Avis défavorable.
M. René Pilato (LFI-NFP). Alors que nous avons avancé dans les débats, l’honnêteté intellectuelle nous dicte de reconnaître que tous les critères sont cumulatifs et de ne pas choisir d’en mettre un seul en exergue pour étayer une argumentation. Sinon, à chaque intervention, on peut prendre un nouvel exemple à partir d’un critère particulier. C’est intellectuellement malhonnête.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Le Rassemblement national ne va pas manquer d’utiliser à foison la législation des Pays-Bas, qui est différente. Franco-néerlandaise, je suis fière d’être citoyenne du premier pays d’Europe à avoir légalisé l’aide à mourir. Les paramètres étant différents, il n’est pas heureux de faire des comparaisons hasardeuses. Le texte dont nous discutons, qui prévoit des critères cumulatifs, ne concerne donc pas les patients affectés uniquement d’une maladie mentale. Prétendre le contraire revient à brandir des arguments fallacieux pour faire peur. Par respect des débats, monsieur Juvin, il serait bon de s’en tenir au texte et de ne pas laisser penser que les maladies mentales, prises isolément, sont concernées par ce texte.
M. Julien Odoul (RN). Par honnêteté intellectuelle, il faut prévenir que si l’on écrit « psychologique » après « physique » dans ce texte, l’ordre de ces termes sera inversé dans un futur plus ou moins proche. C’est la réalité. En mettant en avant le caractère cumulatif des critères, certains tendent à faire penser qu’il existe des frontières infranchissables, alors que cette rédaction est une porte ouverte à de prochaines dérives. À cet égard, l’exemple des Pays‑Bas devrait nous faire peur.
M. Patrick Hetzel (DR). Il faudrait revenir à des éléments objectifs, et ne pas qualifier de fallacieux les arguments de tel ou tel, qui peuvent avoir du sens. Notre inquiétude doit être entendue : on nous dit que ce texte s’appliquera à des patients en fin de vie, mais certains amendements visent des personnes qui sont visiblement très loin de cette échéance, ce qui n’est pas sans incidence sur le nombre de personnes susceptibles d’être concernées.
Mme Karine Lebon (GDR). M. Odoul a peut-être des compétences en cartomancie ou en lecture de boule de cristal puisqu’il semble prévoir l’avenir. Pour notre part, nous nous prononçons sur le présent texte, en nous fondant sur les mots qui y sont écrits. Nous – ou nos successeurs – aurons peut-être à examiner des dérives à l’avenir. Quoi qu’il en soit, la rédaction actuelle prévoit des critères cumulatifs, ce qui exclut d’avoir accès à l’aide à mourir pour une simple dépression.
M. Stéphane Delautrette (SOC). Comme l’on fait de nombreux collègues avant moi, je répète que ce texte concerne des personnes en situation de fin de vie, dont le pronostic vital est engagé, et qu’il prévoit des critères cumulatifs. Je ne vais pas refaire le débat que nous avons eu sur la notion de phase avancée ou terminale, par exemple, mais je voudrais insister sur un point : nous tenons à une rédaction qui ne hiérarchise pas la douleur, estimant que la souffrance psychologique peut être égale, voire supérieure, à une souffrance physique. Dès lors que les critères cumulatifs sont respectés, nous pensons qu’une personne en situation de souffrance psychologique insupportable doit pouvoir accéder à l’aide à mourir, même en l’absence de souffrance physique. C’est peut-être la grande différence entre nous. Le texte replace le patient au cœur de la décision, en particulier lorsqu’une souffrance psychologique insupportable ne peut être soulagée.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). En réponse à M. Hetzel, je voulais abonder dans le sens de mon collègue Delautrette : c’est au patient d’estimer lui-même s’il est proche de sa fin de vie. Quand on n’a pas envie de se voir déchoir, de vivre une autre vie que celle que l’on a vécue, on a le droit de dire que l’on veut mourir, quel que soit le délai qui nous sépare de notre mort réelle – je ne sais d’ailleurs pas comment vous pouvez le fixer. Pour ma part, je pense que l’on a toutes les raisons d’accéder à la demande d’un tel patient quand tous les critères cumulatifs sont respectés.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Quitte à répéter ce qu’ont dit les collègues, j’insiste sur le fait que l’accès à l’aide active à mourir est conditionné au respect d’une accumulation de critères : être atteinte d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale. Je tiens aussi à dire que les souffrances psychologiques ne sont pas de petites souffrances car certains orateurs ont tendance à les minimiser. Ce sont de véritables souffrances à prendre en tant que telles. En réponse à Mme Vidal, j’indique aussi que les souffrances psychologiques ou psychiques n’altèrent pas le discernement. Il est donc important d’en rester à l’accumulation de tous les critères.
M. Philippe Juvin (DR). Vous avez raison, madame Rousseau, de penser qu’il est fondamental de prendre en compte les souffrances psychiques : la moitié des patients atteints d’un cancer souffrent de dépression. En revanche, vous avez tort sur un point : certaines dépressions abouliques altèrent le discernement.
Monsieur le rapporteur général, ma lecture du texte est peut-être critiquable, mais je pense que certaines pathologies psychiatriques pourraient remplir tous les critères, notamment la psychose maniaco-dépressive, affection grave et incurable, associée à de la souffrance et à une mortalité accrue de 50 %. Si ma lecture est erronée, pourquoi ne pas écrire que les maladies psychiatriques sont exclues ? Cela me rassurait car, en l’état du texte, je vois des maladies psychiatriques qui remplissent tous les critères. Si ce n’est pas le cas, écrivons-le.
M. Christophe Bentz (RN). Je ne comprends pas ce que vous ne comprenez pas dans les propos de mon collègue Julien Odoul. Nous savons bien que les critères sont cumulatifs, mais nous jouons notre rôle de lanceurs d’alerte en appelant l’attention sur les risques de dérive futurs – d’où l’exemple des Pays-Bas, qui ont légiféré il y a une vingtaine d’années.
Le propre de la loi, c’est qu’elle peut évoluer, et pas forcément dans le bon sens. C’est la raison pour laquelle nous répétons que ce texte prépare toutes les dérives à venir.
M. Yannick Monnet (GDR). Ce que dit notre collègue Juvin n’est certainement pas dénué d’intérêt. Il se fait le relais de ceux qui expriment des craintes sur ce texte, dont notamment des soignants en unité de soins palliatifs. Il faut les écouter.
En revanche, la solution au problème qu’il a évoqué se trouve davantage dans la nécessité de prendre une décision de manière collégiale pour accorder l’aide à mourir. Il ne sera pas possible, en effet, de régler certains cas particuliers en affinant encore les critères qui figurent dans le texte.
M. Laurent Panifous (LIOT). Le troisième alinéa de l’article 6, qui prévoit que « la personne dont une maladie altère gravement le discernement lors de la démarche de demande d’aide à mourir ne peut pas être regardée comme manifestant une volonté libre et éclairée », répond en partie aux craintes de M. Juvin s’agissant de certaines pathologies psychiatriques.
Le discernement du patient lorsqu’il demande l’aide à mourir devra être évalué par les professionnels de santé, et je crois qu’ils seront capables de le faire.
La commission rejette les amendements.
Amendements AS551 de M. Cyrille Isaac-Sibille, AS779 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, amendements identiques AS260 de M. Thibault Bazin et AS565 de Mme Justine Gruet (discussion commune)
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Mon amendement précise que l’aide à mourir ne peut être accordée qu’en cas de souffrance physique, éventuellement accompagnée d’une souffrance psychologique – dont nos débats ont montré qu’elle pouvait être importante.
Les différents critères sont bien entendu cumulatifs, mais la rédaction de l’article permet d’accorder l’aide à mourir y compris lorsque la personne souffre uniquement de manière psychologique. Cela pose des problèmes et j’ai donc déposé cet amendement dans un esprit de modération.
M. François Gernigon (HOR). L’amendement AS779 prévoit qu’une souffrance physique est nécessaire pour accéder à l’aide à mourir. L’annonce d’une maladie grave et incurable provoquant uniquement des souffrances psychologiques ne doit pas suffire pour obtenir cette aide.
M. Thibault Bazin (DR). On peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de donner accès à l’aide à mourir à une personne qui remplit l’ensemble des critères – dont celui d’avoir une maladie grave et incurable – mais qui souffre uniquement de manière psychologique au moment où elle fait sa demande.
N’avons-nous pas le devoir d’essayer de soulager cette souffrance ? Je sais qu’il est prévu parmi les critères que cette souffrance doit être insupportable lorsque la personne a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement, mais la société doit-elle donner suite à une telle demande lorsque le diagnostic vient d’être annoncé ?
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Vous hiérarchisez les souffrances !
M. Thibault Bazin (DR). Je pense au cas très concret où une personne qui décrit uniquement des souffrances psychologiques va demander l’aide à mourir à un médecin.
Mme Justine Gruet (DR). Mon amendement, que j’ai annoncé précédemment, prévoit également que la personne doit présenter une souffrance physique et psychologique.
Faut-il permettre d’accorder l’aide à mourir de manière très précoce lorsque la personne qui fait la demande ne souffre que de manière psychologique ? Il est important de prévoir des critères qui permettent d’objectiver la demande du patient, mais aussi de lui proposer plus de solutions thérapeutiques.
Je respecte la liberté de chacun mais, en tant que législateurs, notre rôle est de protéger les plus vulnérables. L’annonce d’un diagnostic doit être associée à un accompagnement social et médical, afin de diminuer les souffrances psychologiques – sachant que la personne peut bien évidemment renoncer au traitement.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Comme j’ai eu l’occasion de le dire à de nombreuses reprises, il n’y a pas de hiérarchie entre les souffrances. La souffrance psychologique n’est pas moins grave que la souffrance physique. C’est pour cette raison que le texte initial avait été modifié.
Avis défavorable.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Nous avons adopté en commission la proposition de loi relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs, et nous espérons tous que les progrès médicaux permettront de mieux prendre en charge les souffrances, aussi bien physiques que psychologiques.
Cependant, comme il existe des souffrances physiques réfractaires à tout traitement, il existe aussi des souffrances psychologiques que l’on n’arrive pas à surmonter. Nous n’abandonnons pas la lutte contre la souffrance ; nous désirons au contraire lui consacrer le maximum de moyens. Mais nous ne souhaitons en aucun cas établir une hiérarchie entre les souffrances et nous voulons garantir aux personnes dont le pronostic vital est engagé la liberté de mettre un terme à leur vie si elles le souhaitent.
Mme Karine Lebon (GDR). On ne peut pas ignorer le fait que la souffrance psychologique a des conséquences physiques, car l’esprit et le corps sont intimement liés.
Nous l’avons dit, il n’y a pas de hiérarchie entre les souffrances. En outre, la douleur psychologique peut être aussi invalidante que la douleur physique, tandis que le manque de reconnaissance aggrave la première. Il faut dire aux personnes dépressives que leur souffrance compte tout autant et qu’elles peuvent se faire aider. Il est regrettable d’entendre certains arguments alors que la santé mentale est la grande cause nationale pour l’année 2025.
M. Laurent Panifous (LIOT). J’entends la crainte exprimée par M. Bazin au sujet de personnes en phase avancée ou terminale dont la souffrance serait uniquement psychologique. Le texte leur permet en effet d’accéder à l’aide à mourir, mais à une condition stricte : cette souffrance doit être réfractaire, ce qui sous-entend qu’elle a été traitée – sauf si la personne refuse le traitement, faculté que personne ne remet en question. Le rôle des médecins est d’évaluer cette demande et de proposer un traitement. Le fait que la personne l’accepte ou le refuse est un sujet différent – d’ailleurs traité par un autre texte qui a déjà été voté.
M. Stéphane Delautrette (SOC). Certains craignent en fait que le discernement de la personne victime de souffrance psychologique soit altéré. Or l’article 6, qui détaille la procédure, prévoit bien que le médecin qui recueille la demande d’aide à mourir peut prendre l’avis d’un psychologue pour évaluer la capacité de la personne à manifester son consentement de manière libre et éclairée. C’est une sécurité.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Monsieur le rapporteur général, nous sommes bien d’accord : il n’y a pas de hiérarchie des douleurs. Nous sommes tous des êtres d’esprit et de chair, et l’annonce d’une maladie incurable a forcément des répercussions psychologiques. Personne ne peut dire qu’il ne souffre pas dans son esprit lorsqu’il souffre dans sa chair. Mais l’inverse n’est pas forcément vrai.
Tel qu’elle est rédigée, la proposition de loi permet d’accorder l’aide à mourir lorsque l’on souffre uniquement de manière psychologique, alors que cette souffrance est difficile à évaluer et que la personne peut refuser le traitement. Même avec le cumul des conditions, cela revient à accorder un droit au suicide assisté à des personnes dépressives. Le texte s’éloigne ainsi de l’équilibre qui avait été trouvé précédemment. C’est la raison pour laquelle mon amendement précise que l’aide à mourir ne peut être accordée qu’en cas de souffrance physique, éventuellement accompagnée d’une souffrance psychologique.
M. Patrick Hetzel (DR). Pour abonder dans le sens de notre collègue Isaac‑Sibille, je souligne qu’en Oregon, souvent cité en exemple, il a été décidé pour des raisons éthiques que le patient souffrant d’un trouble psychiatrique ou psychologique ou d’une dépression entraînant une altération de son jugement n’était pas éligible à l’assistance au suicide.
On ne peut pas balayer ce point d’un revers de la main car il est central. Un certain nombre de spécialistes des questions de psychiatrie mettent d’ailleurs en garde sur le fait que certaines demandes portant sur la fin de vie sont en réalité des demandes d’aide et de soins.
M. Yannick Monnet (GDR). Madame Gruet, votre amendement est terrible pour les personnes qui souffrent, puisque seules celles dont les souffrances seraient à la fois psychologiques et physiques pourraient accéder à l’aide à mourir. Une personne qui souffre seulement physiquement et dont le consentement est éclairé ne pourrait plus voir sa demande aboutir. C’est un problème.
M. Thibault Bazin (DR). Il faudrait adopter la proposition formulée par M. Isaac‑Sibille prévoyant que l’aide à mourir peut être accordée en cas de souffrance physique, éventuellement accompagnée d’une souffrance psychologique.
On sait bien que la volonté de mourir peut fluctuer alors que les délais prévus par le texte sont très courts. Que se passe-t-il lorsque l’on annonce à une personne que son pronostic vital est engagé mais qu’à ce stade, ses souffrances sont seulement psychologiques ? Imaginons qu’elle ne veuille pas suivre un traitement. La question est assez nouvelle car la notion d’acharnement thérapeutique était plutôt liée aux souffrances physiques. La plupart des soignants que j’ai rencontrés m’ont dit que des traitements existent et qu’il fallait leur laisser la possibilité de les proposer aux patients.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Le texte ne l’empêche pas.
M. Thibault Bazin (DR). Je dis simplement qu’il faut prendre en compte les souffrances psychologiques. C’est un combat qu’il faut mener et je suis donc favorable à la solution proposée par M. Isaac-Sibille.
Mme Annie Vidal (EPR). Nous ne sommes pas ici pour nier les souffrances psychologiques ou psychiques, ni pour établir une hiérarchie entre les différentes souffrances. Mais il nous revient d’écrire le texte le plus clair possible. Or la rédaction actuelle est assez ambiguë.
Aux termes des critères prévus, la personne doit présenter une souffrance physique ou psychologique soit réfractaire aux traitements, soit insupportable pour elle lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement. Or cette rédaction va mettre en difficulté le médecin qui sera persuadé que son patient peut être soulagé par un traitement alors que celui-ci a choisi d’arrêter d’en recevoir un. La formule proposée par les amendements AS551 et AS779 encadre mieux les choses.
M. Nicolas Turquois (Dem). Je suis totalement opposé à ces amendements.
La souffrance psychologique peut être terrible. J’ai connu des personnes qui ont été conduites au suicide parce qu’on n’avait pas su la prendre en charge, alors que leur souffrance physique semblait être contrôlée. Malgré les traitements d’accompagnement, l’annonce d’une affection grave et incurable à un stade avancé peut entraîner des souffrances psychologiques extrêmes.
Contrairement à ce que disent certains, ces amendements établissent une forme de hiérarchie entre les souffrances. Je souhaite que la rédaction actuelle du texte soit maintenue.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Je suis persuadée que la souffrance physique est multipliée par la souffrance psychologique. Mais que va-t-il advenir de la politique de prévention du suicide ? On peut aussi poser la question du devenir de celle en faveur de la santé mentale. Des psychiatres et des psychologues s’interrogent sur les critères qui figurent dans cette proposition.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Dans son rapport publié en février 2025, l’Observatoire national du suicide, qui dépend de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques et n’est pas une officine pro-aide à mourir, souligne que « Dans les pays où des dispositifs de mort volontaire ont été légalisés (ou ces pratiques autorisées sous conditions par la jurisprudence), on ne semble pas observer d’effets de “déport” des suicides vers les dispositifs d’aide à mourir. [Lorsque] l’aide à mourir existe, [...] toutes les demandes de mort sont loin d’aboutir. Et le simple fait d’être écouté par un soignant, d’évoquer les possibilités du dispositif et d’entrevoir un horizon, provoque même dans certains cas un effet de revitalisation, ou du moins un début de prise en charge du mal-être. De tels effets peuvent, de manière contre-intuitive, ouvrir des perspectives d’articulation entre prévention du suicide et aide à mourir. »
Ce que vous dites n’est pas avéré, madame Dogor-Such.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS902 de M. Thomas Ménagé
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Cet amendement propose de substituer la notion de souffrance psychique à celle de souffrance psychologique. Ce dernier adjectif est trop général. La notion de psychisme du patient recouvre des phénomènes mentaux plus profonds, relevant du champ pathologique plutôt que de son état émotionnel et affectif.
Cette rédaction avait d’ailleurs été retenue dans les conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie, ainsi que par le Conseil économique, social et environnemental.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Avis défavorable sur cet amendement qui vise à rendre plus difficile l’accès à l’aide à mourir. Nous avons déjà eu un débat sur la notion de souffrance psychique.
La commission rejette l’amendement.
La réunion est suspendue de dix-sept heures trente-cinq à dix-sept heures cinquante.
Amendement AS927 de Mme Christine Loir
Mme Christine Loir (RN). La souffrance est une réalité indiscutable ; elle existe, elle bouleverse, elle détruit parfois. Mais elle doit être entendue avec discernement, sans précipitation, surtout lorsqu’il s’agit de prendre une décision irréversible.
Nous ne pouvons envisager l’euthanasie ou le suicide assisté comme une réponse immédiate à toute souffrance qualifiée d’insupportable, car ce terme est profondément subjectif. Nous devons rester humbles face à la complexité de la souffrance, notamment psychique. Elle est souvent variable et bien des patients retrouvent un équilibre s’ils bénéficient d’un accompagnement adapté.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Vous souhaitez réécrire largement l’alinéa 8 en précisant que la souffrance doit être directement liée à l’affection, que son caractère réfractaire est médicalement constaté et qu’elle persiste malgré une prise en charge adaptée.
Cela alourdirait le texte, alors qu’il est suffisamment précis et qu’il est déjà prévu que des professionnels de santé interviennent pour vérifier le respect des conditions d’accès à l’aide à mourir.
Avis défavorable.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Cet article, qui prévoit des critères cumulatifs, est bien entendu fondamental.
Après de longs débats, nous avons décidé qu’il fallait être majeur pour avoir accès à l’aide à mourir. Nous avons ensuite discuté du critère relatif à la nationalité et avons décidé de conserver le texte en l’état. Nous avons beaucoup discuté des directives anticipées et la commission a tranché souhaitant conserver l’équilibre du texte. Je souhaite qu’il en aille de même en séance. Nous avons ensuite abordé le critère de la nature des souffrances. Je suis de ceux qui pensent qu’on ne peut pas établir une hiérarchie entre ces dernières et je suis heureux des décisions prises par la commission.
Le droit à l’aide à mourir s’inscrit dans une logique globale d’accompagnement et je ne voudrais pas que la multiplication de débats sur des points particuliers fasse perdre de vue la cohérence d’ensemble des critères cumulatifs.
Avis défavorable.
Mme Christine Loir (RN). Lorsque j’étais aide-soignante, je me suis occupée d’une personne atteinte de la chorée de Huntington, maladie neurodégénérative pour laquelle il n’existe pas de traitement. Après l’annonce du diagnostic, elle ne pensait qu’à en finir car elle avait peur de ce qui allait lui arriver. Pourtant, je me suis occupée d’elle pendant sept ans et elle a pu voir grandir son petit-fils et passer du temps avec sa famille. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement.
M. René Pilato (LFI-NFP). En fait, cet amendement propose de ne plus permettre l’aide à mourir lorsqu’une personne a librement décidé de ne pas recevoir ou d’arrêter de suivre un traitement et qu’elle estime que sa souffrance est insupportable.
Quand une personne souffre psychologiquement, cela finit par influer sur sa santé physique. C’est la raison pour laquelle la frontière est très difficile à établir. Il serait dommage de ne pas pouvoir donner accès à l’aide à mourir à une personne qui décide de ne plus suivre de traitement parce qu’elle n’en supporte plus les effets secondaires. Ce n’est pas l’origine de la souffrance qui importe, c’est son caractère insupportable. Si tous les critères sont réunis, on doit accorder l’aide à mourir sans se poser trop de questions, avec une confiance totale dans l’équipe médicale chargée de vérifier qu’ils le sont bien. Je ne suis donc pas d’accord avec cet amendement.
M. Philippe Juvin (DR). L’amendement est intéressant car il propose quelque chose de nouveau en autorisant l’aide à mourir seulement si la souffrance persiste malgré un traitement approprié. On ne peut évidemment juger de l’efficacité de ce dernier que si on le suit. Cette rédaction permet d’éviter que la mort assistée devienne en quelque sorte une solution de facilité et elle prévoit que tout doit être mis en œuvre avant d’y recourir.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Je ne suis pas du tout favorable à cet amendement.
Il ne faut pas oublier que la demande d’aide à mourir relève d’une démarche volontaire du patient. Dans un tel cas, le personnel médical va consulter l’ensemble de la famille pour mieux évaluer l’ensemble du contexte. Une telle décision n’est pas prise de manière brutale et elle résulte parfois de mois de discussions.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Prévoir que la souffrance doit être directement liée à une affection grave et incurable ne permet pas de prendre en compte la complexité de certaines situations. Des personnes peuvent souffrir d’autres pathologies, notamment neurologiques, qui aggravent leur douleur. L’amendement ne me semble absolument pas pertinent.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Je suis tout à fait d’accord avec M. Peytavie. En outre, certains traitements sont parfois incompatibles, celui d’une pathologie pouvant empêcher d’en traiter une autre, de telle sorte qu’il faut choisir la souffrance que l’on va accepter de subir, jusqu’au moment où l’on ne peut plus la tolérer. Si l’amendement était adopté, un tel cumul de pathologies, terreau d’une véritable comorbidité, serait facteur d’exclusion.
M. Thibault Bazin (DR). Vous dites que la famille pourra être consultée – ce qui serait de bon sens –, mais l’article 6 ne prévoit nulle part cette possibilité.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS906 de M. Thomas Ménagé
M. Christophe Bentz (RN). L’amendement est défendu.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.
Amendements AS781 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, amendements identiques AS261 de M. Thibault Bazin, AS404 de Mme Justine Gruet, AS550 de M. Cyrille Isaac-Sibille et AS798 de Mme Marie-France Lorho, amendements identiques AS43 de M. Patrick Hetzel et AS1051 de M. Philippe Juvin, amendement AS708 de M. Christophe Bentz (discussion commune)
M. François Gernigon (HOR). L’amendement AS781 vise à clarifier et sécuriser la rédaction du critère relatif à la souffrance parmi les conditions d’accès à l’aide à mourir. En l’état, l’alternative retenue induit un double risque d’interprétation : d’une part, elle pourrait permettre l’accès à l’aide à mourir dans le cas d’une souffrance réfractaire, mais faible ou tolérable, dès lors qu’aucun traitement ne fonctionne ; d’autre part, elle disjoint artificiellement la réfractarité médicale et l’insupportabilité vécue, alors que seule l’articulation des deux critères reflète une gravité justifiant une telle décision.
M. Thibault Bazin (DR). Mon amendement repose à peu près sur la même idée.
Mme Justine Gruet (DR). Mon amendement a le même sens et vise à ce que le patient reste au cœur de la décision, notamment pour ce qui concerne le caractère réfractaire des souffrances. Il s’agit d’assurer le respect de l’ensemble des conditions évoquées dans l’article.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Mon amendement vise à restreindre l’accès à l’aide à mourir aux seules personnes pour lesquelles les soins palliatifs n’ont pas soulagé les souffrances, afin de rassurer les patients et de renforcer l’adhésion des professionnels de santé à ce dispositif. En effet, alors que le but des soignants est de soulager les souffrances physiques ou psychiques du patient, le texte leur demande de ne pas le faire pour permettre au patient d’accéder à la fin de vie. C’est, pour eux, contre-nature et cela revient à leur couper les mains.
M. Christophe Bentz (RN). L’amendement AS798 est défendu.
M. Patrick Hetzel (DR). Savoir si une douleur est supportable relève d’une analyse individuelle d’une grande subjectivité. N’y a-t-il pas là un danger lorsqu’il est question de l’injection d’un produit létal ? Mon amendement vise donc à supprimer cette référence à une dimension subjective.
M. Philippe Juvin (DR). Tous ces amendements visent à remplacer la notion de douleur « insupportable » par celle de douleur « réfractaire aux traitements ». En effet, le caractère « insupportable » d’une douleur est à la fois très subjectif et très variable, certains patients pouvant, dans la même journée, dire que la douleur est insupportable puis, une heure plus tard, être en train de se laver dans la salle de bains en disant qu’elle ne l’est plus – je parle d’expérience vécue.
J’avoue cependant que la suppression de ce terme nous fait entrer dans un no man’s land encore plus vague. Mon amendement AS1051 est très insuffisant, mais le texte de base l’est aussi. Ce flou est ennuyeux, car il y a là une vraie difficulté méthodologique, que je ne sais pas résoudre.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. C’est un peu le débat que nous avons eu à propos des souffrances. Il est difficile – et, en tout cas, pas souhaitable – de hiérarchiser le caractère insupportable et le caractère réfractaire de la douleur. La rédaction actuelle du texte a l’avantage de prévoir une condition alternative, afin de ne pas restreindre la portée du dispositif : la souffrance peut être soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne choisit de ne pas en recevoir – c’est sa liberté et personne au sein de notre commission n’a contesté ce droit à l’autonomie. Cet équilibre est souhaitable et doit être maintenu.
Avis défavorable à tous ces amendements.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). On voit bien l’intention masquée de ces amendements, qui veulent faire des soins palliatifs la première option. Là est la question. Non seulement il faut pouvoir avoir accès aux deux options, mais il faut aussi respecter la liberté des personnes si elles ne souhaitent pas entrer en soins palliatifs. Nous ne voterons donc pas ces amendements.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). La douleur a longtemps été appréciée « à vue de nez », mais nous disposons aujourd’hui d’échelles d’évaluation permettant de vérifier et de revérifier les niveaux de douleur. Personne ne ressent la même douleur pour la même cause, car la souffrance est mémorisée dans le temps, au fil des épisodes de la vie, ce qui explique aussi les augmentations du seuil pour une même pathologie chez un même patient. La douleur est donc celle qui est ressentie par le patient au moment où on la mesure, et non pas celle qui est appréciée par le soignant.
M. Thibault Bazin (DR). Derrière la douleur, il y a une demande d’administration d’une substance létale destinée à provoquer la mort, acte qui fait intervenir un tiers et n’est donc pas uniquement un choix personnel qui n’impliquerait personne d’autre. Ce choix implique, en quelque sorte, la société comme le soignant concerné. Le choix n’est pas entre les soins palliatifs et cette option car, dans l’immense majorité des cas où une prise en charge palliative est assurée, la demande de mort disparaît. Ce n’est pas négligeable, surtout pour des personnes atteintes d’une maladie grave ou incurable dans une phase avancée ou terminale, mais qui n’auraient, au moment où de l’annonce, que des souffrances psychologiques. Il faudrait que nous traitions cette question en vue de l’examen du texte en séance publique, car la rédaction actuelle pose problème.
M. Stéphane Delautrette (SOC). Ce qui me pose problème, c’est d’entendre dire que ces amendements replaceraient le patient au cœur de la décision car, au contraire, ils l’en écartent. Qui sommes-nous pour déterminer quelle souffrance est supportable pour autrui ? La personne concernée n’est-elle pas la plus à même de déterminer ce qu’elle peut supporter ou non ?
Monsieur Juvin, vous dites à juste titre qu’une personne peut changer d’avis, mais la procédure de l’aide à mourir prévoit la réitération de la demande selon un processus – que nous examinerons dans les prochains articles – lui permettant à tout moment de changer d’avis. C’est donc un faux débat : si nous voulons replacer le patient au cœur de la décision, il faut nous opposer à ces amendements et maintenir la rédaction actuelle.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Je voulais dire exactement la même chose.
Mme Justine Gruet (DR). Je tiens à nouveau à vous alerter quant à ce changement de paradigme en matière de liberté individuelle. Qui sommes-nous pour préjuger de la nécessité ou non de répondre à la demande de la personne ? Si vous vous le demandez, il ne faut pas fixer de critères. Qui suis-je, en effet, pour dire à cette personne, à l’instant T, que sa demande est légitime ou non ? Le législateur doit fixer un cadre juridique qui soit le même pour tous et qui définisse des limites éthiquement acceptables, notamment pour protéger les plus vulnérables face à la pression sociale et sociétale qui peut s’exercer.
M. Christophe Bentz (RN). Mon amendement AS708 est, nous l’assumons, un amendement de restriction. Nous avons ici un débat de fond sur la liberté individuelle et le respect du choix. Aux termes de la loi actuelle, on peut en effet décider de continuer ou d’arrêter des traitements, d’avoir recours aux soins palliatifs ou d’y renoncer. Cependant, face à un texte tendant à permettre d’administrer la mort à une personne vivante, se pose la question d’une limite apportée à un choix individuel qui questionne et engage toute la société française. C’est la raison pour laquelle nous insistons, depuis le début de ce débat, pour rester dans la voie du soin apporté à la personne humaine jusqu’à la fin de sa vie.
M. Patrick Hetzel (DR). Lorsque ce texte a été présenté, on nous a dit que la loi Claeys-Leonetti n’était pas satisfaisante pour certains de nos concitoyens, très peu nombreux, qui se trouvaient confrontés à des souffrances perdurant malgré l’existence de traitements et que la sédation profonde et continue ne permettait pas de régler ces situations. Il s’agissait donc d’examiner un texte traitant plus spécifiquement de la fin de vie pour un nombre très limité de personnes. Or nous ne débattons plus du tout de cela. Il y a – pardon de l’expression ! – tromperie sur la marchandise, et nous sommes en train de nous interroger sur l’existence d’une demande sociale. La question centrale est celle du rapport au suicide. Face à quelqu’un qui a envie de se suicider, notre premier devoir est de l’empêcher de passer à l’acte. Dans les débats que nous avons depuis quelques heures, on cherche en permanence à ouvrir les critères, mais quelle sera la limite éthique qui nous évitera d’être tout simplement en train d’accompagner une volonté de suicide ?
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous avons tous été interpellés par des soignants. De fait, le patient qui consulte un soignant vient, en confiance, lui demande une aide. Il ne s’agit pas de remettre en cause le libre choix du patient, mais le fait de refuser au soignant la possibilité de lui proposer, sans obstination thérapeutique et même si son efficacité n’est pas absolument certaine, une solution face à des souffrances physiques ou psychologiques qui le poussent à demander la mort, revient à nier la relation entre le soignant et le patient. Cela est regrettable.
M. Yannick Monnet (GDR). Je suis assez d’accord avec la manière dont M. Hetzel pose le débat. J’entends votre argumentation, même si je n’y souscris pas nécessairement en tout point, mais le mot « insupportable », dont le sens est parfaitement indéfinissable parce que propre à chacun, crée davantage de flou et de confusion. Vous voulez resserrer les critères, mais vous les élargissez. En outre, ce n’est pas parce qu’une douleur est insupportable que l’on souhaite nécessairement mettre fin à ses jours.
M. René Pilato (LFI-NFP). Monsieur Hetzel, il ne s’agit pas de répondre à des demandes de suicide – les personnes concernées sont malheureusement assez grandes pour le faire elles-mêmes. Par ailleurs, l’alinéa 10 de l’article 5 prévoit que les soins palliatifs seront proposés dans le cadre du plan d’accompagnement, une fois acquis que la personne répond aux critères fixés. Cette personne fera ensuite un choix éclairé et pourra demander soit les soins palliatifs – ce qui est un droit opposable – soit, si elle ne le veut pas et qu’elle remplit les critères, l’aide à mourir. Vous pouvez tourner autour du pot et chercher des arguments – et si, au fond de vous-même, vous n’avez pas envie de donner ce droit, je le respecterai fondamentalement –, mais il faut tout de même revenir au texte et le lire sans anticiper sur les débats que nous aurons sur l’article 5 avec une excuse qui n’en est pas une.
M. Nicolas Turquois (Dem). L’expression de « tromperie sur la marchandise » qu’a employée M. Hetzel m’a heurté. Nous pouvons, à propos de ce texte, avoir des convictions différentes, mais il faut accorder à chacun la part d’humanité qui s’impose ici. L’idée que nous pourrions être favorables à ce texte pour légaliser l’accès au suicide me blesse. Attention à l’impact des mots que nous employons ! Sur le plan éthique, on a le droit, par exemple, de refuser une chimiothérapie, même si elle peut avoir des effets, parce que c’est la chimiothérapie de trop. On doit pouvoir refuser des traitements, même destinés à atténuer des douleurs psychologiques : j’y suis, en tout cas, favorable. Je voterai contre les amendements.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Monsieur Pilato, il faut en effet passer par les soins palliatifs, car, la plupart du temps, les patients qui y sont très bien accompagnés ne demandent plus l’aide à mourir.
Toutefois, de nombreux départements ne possèdent pas d’unité de soins palliatifs et n’en auront pas avant longtemps, si bien que les personnes concernées n’auront pas la liberté de choisir car, à défaut, on leur suggérera l’aide à mourir. C’est là qu’est le problème.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements AS917 de Mme Christine Loir, AS868 de Mme Lisette Pollet, amendements identiques AS45 de M. Patrick Hetzel et AS780 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, amendement AS799 de Mme Marie-France Lorho, amendement AS570 de M. Paul-André Colombani, amendement AS800 de Mme Marie-France Lorho (discussion commune)
Mme Christine Loir (RN). Mon amendement traduit notre volonté, que je crois partagée ici, de continuer à développer les soins palliatifs et d’offrir un accompagnement digne à chaque patient en fin de vie. À chaque demande, nous devons pouvoir garantir à la personne en souffrance l’accès à des soins adaptés, le soulagement de sa douleur et la rupture de son isolement.
Mme Lisette Pollet (RN). Le but de la proposition de loi n’est pas d’encourager les souffrants au suicide lorsqu’il existe une solution efficace, mais de soulager les souffrances irréductibles. Mon amendement tend donc à restreindre le recours à l’euthanasie au cas où les souffrances endurées ne peuvent être soulagées par aucun traitement. La rédaction actuelle de l’article 4 permet de recourir à l’euthanasie tout en ayant refusé un traitement dont l’efficacité est éprouvée.
M. Patrick Hetzel (DR). La possibilité de recourir à l’aide à mourir après avoir choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement crée un effet de seuil artificiel, car le pronostic vital, qui n’est peut-être pas engagé en l’état, pourrait le devenir par la suite d’une décision personnelle qui entraînerait l’application du dispositif. Il faut évidemment prendre en compte la libre volonté du patient, comme c’est déjà le cas dans la loi, mais l’automaticité crée, en elle-même, une ambiguïté terrible. Une personne pourrait se trouver dans une situation de désespoir qui la ferait considérer que c’est une voie, et je ne pense pas que ce soit souhaitable. D’où mon amendement AS45.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Je suis favorable à l’aide à mourir, mais l’automaticité que prévoit la fin de l’alinéa ne va pas dans le sens de l’équilibre indispensable à l’acceptation du texte par une majorité d’entre nous.
M. Christophe Bentz (RN). Je défends les amendements AS799 et AS800. Nous avons voté à l’unanimité le texte précédent, relatif aux soins palliatifs, mais nous refusons que ceux-ci ne soient plus évoqués dans cette proposition de loi. Il était question tout à l’heure de respect du choix et de liberté individuelle mais, dans les faits, comme l’a dit Mme Dogor-Such, près de 200 000 Français n’ont pas accès aux soins palliatifs. Est-ce un choix libre que de devoir choisir entre le fait de continuer à souffrir et la mort par le biais de l’aide à mourir, du suicide assisté ou de l’euthanasie ? C’est une vraie question de fond.
M. Laurent Panifous (LIOT). L’amendement AS570 ne remet pas en cause le refus de traitement ; il vise au contraire à clarifier la rédaction à cet égard en distinguant le refus, l’arrêt et la limitation du traitement.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. La proposition de loi relative aux soins palliatifs a été très bien votée, ce dont nous nous réjouissons tous. Ce n’est donc plus le sujet du débat. Pénaliser les personnes qui demanderaient l’arrêt de leur traitement, comme le leur permet la « loi Kouchner » du 4 mars 2002, reviendrait à choisir les personnes qui ont accès à l’aide à mourir. Je suis donc défavorable à tous ces amendements – même à l’amendement AS570 de M. Colombani, dont je salue néanmoins la volonté d’améliorer le texte.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). La loi Kouchner permet d’arrêter un traitement. Par ailleurs, un patient atteint d’un cancer en phase terminale ou avancée peut se voir proposer des chimiothérapies dites « de confort », qui ont toutefois des conséquences importantes et que les patients refusent parfois, alors que très peu refusent le traitement antalgique. On ne peut donc pas supprimer cette partie de l’alinéa, car on a le droit de refuser un traitement sans être pourtant condamné à choisir l’aide à mourir.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS244 de Mme Justine Gruet
Mme Justine Gruet (DR). L’amendement vise à ajouter un critère consistant à avoir « refusé une prise en charge adaptée en soins palliatifs dans le lieu de son choix, sans que ce refus soit lié à l’impossibilité de le mettre en place de manière effective ». Tant que nous n’aurons pas réussi à déployer l’accompagnement en soins palliatifs, et même l’accompagnement financier de la perte d’autonomie, nous devons nous assurer que le refus ne se fait pas par défaut. Faute de l’infrastructure nécessaire d’hospitalisation à domicile et d’accompagnement permettant une prise en charge de qualité en soins palliatifs, on pourrait être confronté à une demande inadaptée d’aide à mourir.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Avis défavorable.
Cette condition supplémentaire a déjà été abordée dans la proposition de loi relative aux soins palliatifs. S’il n’y a pas d’unité de soins palliatifs partout en France, des unités mobiles permettent à chacun d’avoir accès à ces soins s’il le souhaite.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS243 de Mme Justine Gruet, AS869 de Mme Lisette Pollet, AS709, AS710 et AS711 de M. Christophe Bentz (discussion commune)
Mme Justine Gruet (DR). Mon amendement vise à ce que la personne demandant l’aide à mourir puisse exprimer son consentement libre et éclairé devant le président du tribunal judiciaire ou le magistrat désigné par lui. Il ne s’agit pas de rendre la procédure plus complexe, mais bien de redonner à chacun les compétences appropriées en matière d’analyse des critères. Ce n’est pas à une équipe médicale qu’il revient de déterminer si un avis est libre et éclairé, car elle n’a pas toujours connaissance de toutes les pressions sociales ou familiales qui peuvent s’exercer. Vérifier qu’il n’y a pas de volonté de la famille de faire pression sur le choix du patient est d’ailleurs une procédure rapide.
M. Christophe Bentz (RN). Dans le même esprit, mes amendements sémantiques de précision et de restriction visent à s’assurer du respect de la volonté de la personne et du caractère libre et éclairé de son choix, lequel doit s’exercer sans aucune contrainte ni pression.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Nous abordons là une longue liste d’amendements portant sur la volonté libre et éclairée. L’alinéa 9 est très clair et sans aucune ambiguïté : il n’y a pas de possibilité de pression extérieure et la personne exprime son souhait en toute connaissance de cause. Les médecins s’assurent du respect de ce contexte.
Les amendements ne sont pas utiles et sont même parfois contre-productifs : ils sont, en tout cas, contraires à l’esprit du texte. Je rappelle en effet que la personne doit confirmer et réitérer sa volonté jusqu’au dernier instant.
Avis défavorable.
Mme Annie Vidal (EPR). L’estimation du caractère libre et éclairé de la manifestation de la volonté doit être bornée car elle est délicate. Les personnes en fin de vie sont en effet souvent vulnérables et doivent être protégées des pressions médicales, familiales ou sociétales. Je suis donc tout à fait favorable à ces amendements.
M. Philippe Juvin (DR). Je rappelle que, chaque jour, la justice prononce en moyenne deux condamnations pour abus de faiblesse de personnes malades ou âgées. C’est énorme ! Toutes les familles ne sont pas aimantes et tous les entourages ne sont pas bienveillants. Des précautions sont donc nécessaires.
Mme Justine Gruet (DR). La question qui se pose est celle de savoir si le corps médical est capable d’évaluer le caractère libre et éclairé de la volonté. Dans le cas d’une mise sous tutelle ou curatelle, l’évaluation est effectuée par le juge, non par le médecin.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Personne ne remet en question la capacité du médecin à évaluer l’accord libre et éclairé du patient à une opération chirurgicale. Avec cet amendement, vous poussez « mémé dans les orties » !
M. Patrick Hetzel (DR). Nous avons envie de protéger mémé, car nous ne sommes pas dans un monde de bisounours. L’abus de faiblesse est une réalité et notre rôle de législateur est de mettre en place des garde-fous.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). La capacité des personnes mises sous tutelle ou curatelle à exprimer leur consentement et à exercer leur discernement doit bien sûr être interrogée. En revanche, obliger les personnes demandant l’aide active à mourir à passer devant un juge risquerait d’encombrer la justice et constituerait surtout un manque de respect de l’autonomie et de la dignité de la personne. Ce respect doit être assuré jusqu’au bout.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Mettons un instant le droit de côté – l’Organisation des Nations unies a d’ailleurs demandé à la France de revoir son droit concernant les personnes mises sous tutelle ou curatelle – pour nous intéresser à la parole de la personne. Je ne vois pas en quoi un juge, qui va passer une demi-heure avec la personne concernée, pourrait mieux évaluer les pressions qu’elle pourrait subir que le personnel soignant. C’est à ce dernier de le vérifier en l’absence de directives anticipées et de personne de confiance.
M. Stéphane Delautrette (SOC). L’article 6 prévoit que le médecin qui prendra la décision peut vérifier l’existence d’éventuelles influences de l’entourage du patient en recueillant l’avis de l’aide-soignant et de l’auxiliaire médical qui l’accompagnent. Tout cela est donc un faux débat, qui démontre votre opposition à l’aide à mourir.
M. Philippe Vigier (Dem). Le texte prévoit une première phase au cours de laquelle la personne concernée demande l’aide à mourir de façon réitérée, mais cette requête ne suffit pas puisque, au cours d’une seconde phase que vous semblez ignorer, il revient au médecin, après une procédure collégiale, de prendre la décision.
Monsieur Hetzel, je vous le dis avec beaucoup de respect, évitez de parler du monde des bisounours pour un sujet aussi grave.
M. Thibault Bazin (DR). Le consentement libre et éclairé est un des principes fondamentaux de la bioéthique à la française. Il revient au juge de l’apprécier dans le cadre du don d’organe intrafamilial.
Comment le consentement libre et éclairé sera-t-il concrètement vérifié ? Le médecin devra prendre seul une décision irréversible, après une procédure collégiale très restreinte, dans des délais et avec des possibilités de recours limités. Il devra notamment prendre en compte l’effet de sidération consécutif à l’annonce du diagnostic d’une maladie grave et incurable. Le fait qu’il soit spécialiste d’une pathologie ne le rend pas forcément le mieux à même de juger du consentement libre et éclairé du patient.
La commission rejette successivement les amendements.
Puis, suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette l’amendement AS712 de M. Christophe Bentz.
Amendement AS405 de Mme Justine Gruet
Mme Justine Gruet (DR). La notion d’aptitude à exprimer une volonté libre et éclairée me paraît floue. Je propose de la remplacer par celle de capacité.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. La rédaction actuelle prévoit que le médecin contrôle l’aptitude de la personne – et non sa capacité – à manifester sa volonté libre et éclairée, ce qui permet de marquer une différence par rapport aux dispositions du droit civil sur les majeurs protégés, dans lesquelles la capacité désigne le libre usage des droits associés à la majorité comme le droit de vote ou le droit de gestion du patrimoine.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Puis, suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette l’amendement AS713 de M. Christophe Bentz.
Amendement AS262 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). Je propose que la demande prenne la forme d’un écrit déposé chez le notaire, à l’instar de ce qui se pratique en Autriche.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Encore une mesure qui risque d’allonger les délais. Le recueil du consentement, par le médecin, est déjà prévu. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS48 de M. Patrick Hetzel, amendement AS806 de Mme Sandrine Dogor-Such (discussion commune)
M. Patrick Hetzel (DR). Mon amendement propose de compléter l’alinéa 9 par une référence à l’article 223-15-2 du code pénal sanctionnant l’abus de faiblesse afin de protéger les personnes les plus exposées à ce risque.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Mon amendement est similaire à celui défendu par M. Hetzel et vise à s’assurer que la décision est prise de façon indépendante.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. L’avis est défavorable, pour les mêmes raisons que celles exprimées lorsque nous avons débattu de ce sujet.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS568 de M. Patrick Hetzel
M. Patrick Hetzel (DR). L’amendement propose d’exclure du dispositif les personnes en situation de déficience intellectuelle, comme nous y invitent les préconisations de l’Organisation mondiale de la santé.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. L’alinéa 9 prévoit déjà la condition d’aptitude « à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS425 de Mme Christine Pirès Beaune, AS888 de Mme Danielle Simonnet, AS584 de Mme Nicole Dubré-Chirat, AS776 de M. Michel Lauzzana, AS685 de Mme Élise Leboucher, AS426 de M. Jérôme Guedj, AS46 de M. Patrick Hetzel, AS686 de Mme Karen Erodi, AS918 de Mme Christine Loir et AS376 de Mme Marine Hamelet (discussion commune)
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Comme ma collègue Christine Pirès Beaune, j’attache beaucoup d’importance à la prise en compte des directives anticipées car elle permet de reconnaître le patient en tant que décisionnaire de son avenir. Nous devons veiller à donner toutes ses chances d’aboutir à ce texte, mais je ne pense pas que la prise en compte des directives anticipées influencera le vote.
Issu des propositions de l’ADMD et conforme aux préconisations du Conseil économique, social et environnemental, l’amendement AS425 vise à prendre en compte les directives anticipées et l’avis de la personne de confiance dans l’expression de la volonté libre et éclairée de la personne si ces directives ont été formulées dans la dernière année.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). J’ai l’espoir de faire changer d’avis ceux qui sont opposés à la prise en compte des directives anticipées. Je rappelle que la loi Claeys-Leonetti le prévoit pour laisser mourir le patient. Pour l’aide à mourir, les directives anticipées et l’expression de la personne de confiance garantissent la liberté de décider de sa fin de vie.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). La rédaction de directives anticipées n’est pas systématique et ne concerne que 17 % des personnes. Dans le cas où une personne est atteinte d’une maladie neurodégénérative diagnostiquée et confirmée, cet amendement d’appel propose, sur le modèle canadien, de lui permettre de faire une demande anticipée d’aide à mourir, valable au moment où elle perdra sa capacité à s’exprimer et précisant le stade auquel elle souhaite le faire.
M. Michel Lauzzana (EPR). Nous nous sommes battus pour qu’il y ait des directives anticipées : celles-ci doivent être prises en compte.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Notre amendement AS685 est un compromis, qui répond à la fois aux attentes exprimées lors de la Convention citoyenne sur la fin de vie et aux inquiétudes de ceux craignant que des directives anticipées prises de longue date ne soient plus d’actualité.
Il propose, dans le cas particulier d’un accident entraînant une perte de conscience irréversible et attestée médicalement, de prendre en compte les directives anticipées « rédigées ou actualisées au cours des trois dernières années précédant l’accident ».
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Notre amendement de repli AS426 propose de prendre en compte les directives anticipées uniquement en cas d’affection accidentelle.
M. Patrick Hetzel (DR). Mon amendement a pour objectif de placer le patient face à tous les choix possibles pour sa fin de vie, notamment celui d’une « sédation profonde et continue ».
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Mon amendement propose d’autoriser la finalisation de la demande par la personne de confiance, en lieu et place du patient, pourvu que les conditions suivantes soient remplies : il a perdu conscience de manière irréversible du fait d’une maladie grave et incurable ; il a indiqué les conditions dans lesquelles il souhaitait recourir à l’aide à mourir postérieurement au diagnostic ; il a rédigé et réitéré ses directives anticipées moins d’un an avant la perte de conscience. Une telle disposition permet de prévenir le maintien en vie non consenti.
Mme Christine Loir (RN). Nous proposons que la demande d’euthanasie ne soit recevable que si elle a été exprimée dans des directives anticipées au moins trois mois auparavant.
Mme Marine Hamelet (RN). Afin d’éviter que la demande de mort ne soit faite sur un coup de tête ou à cause d’une douleur qui pourrait, par la suite, être soulagée, nous proposons d’ajouter une nouvelle condition : cette demande doit avoir été formulée dans les directives anticipées.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. La proposition de loi que j’avais déposée en 2021 prévoyait l’accès à l’aide à mourir par les directives anticipées. La vocation de ce texte était d’abord d’ouvrir le débat à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, ma responsabilité en tant que rapporteur général – et je pense pouvoir y associer les quatre rapporteurs thématiques – est de faire en sorte que le texte soit adopté. Nous devons donc trouver un équilibre.
Je n’ose y voir la moindre intention maligne, mais je suis surpris par les deux amendements du Rassemblement national qui proposent de prendre en compte les directives anticipées, même si je sais que certains députés de ce groupe, que je salue, voteront le texte.
Le texte repose sur le principe de la volonté libre, éclairée et réitérée. Dans le cadre de l’aide à mourir, les directives anticipées ne peuvent être assimilées à celles de la loi Claeys‑Leonetti.
J’ai acquis la conviction que les directives anticipées ne devaient pas être prises en compte dans le cas de l’aide à mourir grâce aux auditions des professionnels de santé qui se sont déclarés prêts à aider une personne à mourir, pourvu qu’ils puissent avoir un dernier instant d’échange au cours duquel celle-ci réitère sa volonté.
Pour autant, je ne nie pas la problématique, mais nous ne pouvons pas adopter ces amendements. Nous devons en effet garantir la cohérence entre les votes de la commission des affaires sociales ainsi que l’équilibre du texte. J’invite tous ceux qui souhaitent que ce texte soit adopté à rejeter ces amendements.
Je demande le retrait des amendements ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme Justine Gruet (DR). La loi Claeys-Leonetti prend en compte les directives anticipées, mais le dispositif s’applique à des personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme, ce qui est complètement différent. Le suicide assisté doit faire l’objet d’une demande réitérée lorsque la fin est proche, afin que ce geste ne relève que de la seule responsabilité de la personne concernée.
Nous devons par ailleurs clarifier la hiérarchie entre la volonté exprimée dans les directives anticipées et la décision de la personne de confiance : laquelle doit primer ?
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Je ne suis pas d’accord avec M. le rapporteur : si les directives anticipées ne doivent pas être prises en compte, ce n’est pas pour que le texte soit adopté.
Les associations de personnes handicapées sont très inquiètes. Les volontés d’une personne en pleine possession de ses moyens ne seront en effet pas forcément les mêmes lorsqu’elle sera diminuée. Une personne atteinte de la maladie de Charcot peut ainsi, au moment du diagnostic, imaginer que la perte de mobilité obligeant à utiliser un fauteuil sera trop dure à vivre, puis, lorsqu’elle se retrouve en fauteuil, elle pourra souhaiter, si elle dispose d’un bon matériel, continuer avant de se retrouver alitée. Si tout se passe bien, ce ne sera finalement que lorsqu’elle sera sous respirateur avec des douleurs contre lesquelles rien ne peut être fait qu’elle prendra la décision. Je vous renvoie au film Le Scaphandre et le Papillon, qui raconte l’histoire d’une personne se retrouvant dans un état très limité mais qui a pourtant écrit un livre.
Le texte ne pourra pas couvrir toutes les situations, mais la volonté de la personne doit être vérifiée jusqu’au dernier moment.
Mme Annie Vidal (EPR). L’un des critères d’ouverture du dispositif d’aide à mourir est l’aptitude à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. On ne peut donc pas intégrer les directives anticipées dans ce texte. En outre, cela élargirait encore plus que nous ne l’avons déjà fait l’accès à l’aide à mourir, ce qui n’est pas souhaitable. Encadrer la prise en compte des directives anticipées par des délais n’a pas de sens puisque tout dépend de l’évolution de l’état de la personne. Nous devons être très prudents.
La parole de la personne de confiance, dont les missions ont été bien définies par la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien‑vieillir et de l’autonomie, par le code de l’action sociale et des familles et par le code de la santé publique, doit primer sur toute autre parole puisqu’elle exprime la volonté du patient.
M. Philippe Vigier (Dem). Je voterai contre ces amendements. Je n’ose imaginer quel message nous enverrions à nos compatriotes si nous offrions la possibilité d’anticiper le recours à l’aide à mourir. Le consentement libre et éclairé ne peut être exprimé qu’en situation : c’est lorsque la personne concernée est confrontée à une impasse totale qu’elle doit confirmer son souhait. Cette modalité est essentielle à l’équilibre du texte et je pense qu’elle satisfera nos collègues des groupes Horizons & Indépendants et Droite Républicaine, dans leur volonté d’encadrer l’accès à cette aide.
M. Yannick Monnet (GDR). Ma position a évolué : je suis désormais défavorable à ce que l’aide à mourir figure dans les directives anticipées. Comme les personnels soignants le soulignent, le rapport à sa propre mort est fluctuant ; on ne saurait s’assigner à soi-même une position fixe. Il est fondamental de recueillir le consentement de la personne au dernier moment car le chemin est sans retour.
M. René Pilato (LFI-NFP). Nos amendements sont issus d’un intense débat au sein de notre groupe sur ce qu’il est possible ou pas d’inscrire dans les directives anticipées. Nous considérons que certains cas précis méritent réflexion. Qu’en sera-t-il pour les personnes ayant perdu conscience de manière irréversible, à la suite d’un accident ou bien juste après que le médecin a accepté leur demande d’aide à mourir parce leur situation remplissait tous les critères ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Je voterai contre ces amendements. Je ne nie pas l’importance des directives anticipées : l’affaire Vincent Lambert montre à quel point il est utile d’en rédiger lorsqu’on est bien portant. Toutefois, j’estime que l’aide à mourir n’a pas à y figurer au risque de rompre l’équilibre du texte. Cela revient en effet à supprimer la cinquième condition que pose l’article 4 : « Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». Par ailleurs, cela conduit à élargir le nombre des personnes éligibles, dont feraient notamment partie les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Rappelons que cette proposition de loi n’a pas vocation à répondre à toutes les situations.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Nous avons été beaucoup sollicités, notamment par des jeunes pratiquant des sports extrêmes, sur le recours à l’aide à mourir en cas de perte de conscience irréversible consécutive à un accident. Notre amendement tente d’apporter une solution pour que la volonté de la personne soit respectée, mais une solution encadrée puisque nous posons comme condition le caractère récent des directives anticipées.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Il faut avoir conscience du fait que nos amendements concernent un nombre extrêmement limité de cas, d’autant plus limité que les directives anticipées sont un dispositif peu connu, y compris en milieu hospitalier, comme j’ai pu le constater à l’accueil de l’hôpital de Langon en 2021.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Les personnes visées, à la différence des patients atteints de la maladie de Charcot, n’ont plus la capacité d’exprimer leur volonté – je pense notamment à Vincent Humbert ou aux personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer – et il importe de prendre en compte les souhaits qu’elles ont émis avant de perdre leur discernement, dans les limites posées dans les amendements : perte de conscience irréversible, à la suite ou non d’un accident ; rédaction ou actualisation des directives anticipées au cours des trois dernières années.
M. Christophe Bentz (RN). Monsieur le rapporteur général, vous vous étonnez de nos amendements mais nous ne considérons pas, comme vous, que ce texte est équilibré. Amendement après amendement, nous cherchons donc, de manière nullement dissimulée, à restreindre au maximum les possibilités d’accéder à l’euthanasie ou au suicide assisté. Le critère de l’inscription dans les directives anticipées pourrait dissuader beaucoup de Français d’y recourir.
Mme Christine Loir (RN). Il n’y a rien de caché ou de détourné dans mon amendement, monsieur Falorni. Il précise seulement que le patient devra avoir exprimé son souhait dans ses directives anticipées au moins trois mois avant de formuler sa demande.
Par ailleurs, madame Rousseau, dans le cas de la maladie d’Alzheimer, ce ne sont pas les personnes qui en sont atteintes qui souffrent mais les membres de leur famille. (Exclamations.) Elles n’ont pas à figurer dans le dispositif.
L’amendement AS776 de M. Michel Lauzzana est retiré.
La commission rejette successivement les amendements AS425, AS888, AS584, AS685, AS426, AS46, AS686, AS918 et AS376.
Amendements AS406 de Mme Justine Gruet, AS375 de Mme Marine Hamelet, AS659 de Mme Angélique Ranc, AS944 de M. Philippe Juvin, AS47 de M. Patrick Hetzel et AS268 de M. Thibault Bazin (discussion commune)
Mme Justine Gruet (DR). Notre amendement ajoute deux critères. Le premier prévoit, avant toute demande d’aide à mourir, un séjour en soins palliatifs. L’expérience montre en effet que, dans la grande majorité de cas, une prise en charge adéquate dans ce type de structure aboutit à la disparition de la demande de mort. Le second confie au médecin la possibilité de saisir un juge pour s’assurer du caractère libre et éclairé du consentement.
Mme Marine Hamelet (RN). La manifestation de la volonté ne peut être considérée comme libre et éclairée si la personne n’a pas eu accès aux soins palliatifs alors qu’elle en a exprimé la demande. À cet égard, je m’inquiète que de nombreux départements ruraux comme le mien soient encore dépourvus d’unités de soins palliatifs.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). L’amendement AS659 est défendu.
M. Philippe Juvin (DR). Pour « manifester sa volonté de façon libre », il faut avoir le choix : il importe que les personnes appelées à faire une demande se soient au moins vu proposer une prise en charge en soins palliatifs.
M. Patrick Hetzel (DR). Mon amendement va dans le même sens que le précédent : il s’agit de s’assurer que la possibilité d’accéder aux soins palliatifs a été proposée à la personne qui a toute liberté, bien sûr, d’accepter ou pas.
M. Thibault Bazin (DR). Dans une étude publiée en 2018, intitulée Révision de la loi bioéthique : quelles options pour demain ?, le Conseil d’État soulignait la chose suivante : « L’expression d’une demande d’aide anticipée à mourir ne devrait jamais naître d’un accès insuffisant à des soins palliatifs. L’accès à des soins palliatifs de qualité constitue ainsi une condition indispensable à l’expression d’une volonté libre et éclairée du patient dans les derniers moments de la vie et, plus largement, un préalable nécessaire à toute réflexion éthique aboutie sur la question de la fin de vie. » En ce sens, il convient d’ajouter une sixième condition : « avoir reçu au préalable, si son état de santé le requiert et sauf si elle le refuse, des soins palliatifs ». Cela me semble cohérent avec l’objectif de la première proposition de loi que nous avons examinée, qui est de garantir l’accès aux soins palliatifs.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Les auteurs des amendements, qu’ils proposent que la prise en charge en soins palliatifs soit obligatoire ou facultative, seront satisfaits. L’alinéa 10 de l’article 5 prévoit en effet que le médecin « propose à la personne de bénéficier des soins d’accompagnement, y compris des soins palliatifs définis au 2° de l’article L. 1110‑10 du présent code et s’assure, le cas échéant, qu’elle puisse y accéder ».
Avis défavorable sur tous les amendements.
M. Yannick Monnet (GDR). Faire de la possibilité d’accéder à des soins palliatifs une condition supplémentaire est devenu fondamental pour moi. Cette exigence est déterminante quand on sait que les seuls personnels capables d’accompagner les personnes en fin de vie sont ceux des soins palliatifs et que la moitié d’entre elles n’y ont pas accès.
M. Thibault Bazin (DR). Le chapitre qui nous occupe est consacré aux conditions d’accès, le suivant, dont relève l’article 5, à la procédure. Le texte dispose bien que le médecin doit proposer à la personne un accès aux soins palliatifs, mais que se passera-t-il si elle ne peut pas y être admise alors même qu’elle le souhaite ? Sera-t-elle ou non éligible ?
M. Philippe Juvin (DR). Dans un esprit constructif, je retire mon amendement, considérant que l’article 5 pose une condition, mais je maintiens que l’accès aux soins palliatifs est fondamental et qu’il faut s’interroger sur les conséquences de l’impossibilité d’y recourir. Toutefois, nous ne saurions les considérer comme l’alpha et l’oméga de l’accompagnement de la fin de vie. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Nous connaissons le poids des conditions sociales : pour une personne pauvre et isolée, la situation est bien sûr plus difficile que pour une personne riche et entourée.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Monsieur Monnet, ce serait une erreur de conditionner l’accès à l’aide à mourir à une prise en charge en soins palliatifs, qu’il s’agisse d’unités de soins palliatifs, de lits identifiés de soins palliatifs ou d’équipes mobiles. Si l’article 5 prévoit qu’une telle prise en charge est proposée, elle ne saurait en aucun cas être imposée à la personne qui formule une demande, en vertu du principe d’autonomie individuelle. Il ne faudrait pas que de bonnes intentions conduisent à rendre le droit à l’aide à mourir inopérant.
Mme Justine Gruet (DR). Je vais également retirer mon amendement, qui revient à imposer une prise en charge en soins palliatifs alors que notre but est de respecter le libre choix du patient. Je me rallierai à celui de M. Bazin, qui garantit précisément la possibilité de choisir de manière éclairée, après avoir reçu des explications.
M. Philippe Vigier (Dem). Veillons à ce que le sens des mots que nous avons choisis tous ensemble ne soit pas détourné et à ce que l’équilibre du texte soit préservé. Il importe de proposer, et non d’imposer, une prise en charge en soins palliatifs, à l’heure où ceux‑ci entrent dans une phase de généralisation, après que leur développement a accumulé des retards.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Nous n’imposons pas de prise en charge en soins palliatifs, mais il est de la responsabilité de notre société d’accompagner les personnes en fin de vie pour alléger leurs douleurs ou prolonger leur vie. Avant de décider quoi que ce soit, il faut que tous les Français concernés passent d’abord par ces soins, d’autant qu’y accéder reste difficile, comme nous l’avons vu récemment avec le texte sur les déserts médicaux.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je suis favorable à l’amendement de Thibault Bazin, car l’accompagnement en soins palliatifs doit être un droit effectif et non l’objet d’une simple information.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. La première des deux propositions de loi, adoptée à l’unanimité, avait précisément pour objet de rendre effectif l’accès aux soins palliatifs. Si nous votions ces amendements, cela reviendrait à mettre en doute son utilité. Pour ma part, étant résolument optimiste, je crois en ce texte qui, sur ce point, complète celui que nous examinons.
Mme Annie Vidal (EPR). Plusieurs de nos collègues ont évoqué l’accès aux soins palliatifs partout et pour tous. Rappelons que la stratégie décennale prévoit une hausse de 66 % du budget qui leur est consacré – augmentation considérable dans le contexte budgétaire actuel –, cette progression venant compléter l’accroissement de 22 % intervenu entre 2017 et 2022. Le nombre de départements dépourvus d’unités de soins palliatifs est passé de vingt‑deux à dix‑neuf et descendra à dix en 2026. À ces unités s’ajouteront des équipes mobiles, des lits de soins palliatifs et des maisons d’accompagnement, qui libéreront des places en milieu hospitalier. Le soutien aux soins palliatifs connaît donc une dynamique très positive.
Les amendements AS406, AS944 et AS47 sont retirés.
La commission rejette successivement les amendements AS375, AS659 et AS268.
Amendement AS1060 de M. Serge Muller
M. Serge Muller (RN). Nous ajoutons une condition supplémentaire : ne pas être atteint d’une maladie neuro-évolutive ou neurodégénérative, en phase précoce ou intermédiaire. Ces maladies altèrent en effet progressivement, souvent de manière insidieuse, les facultés cognitives et affectent le discernement, y compris dès les premiers stades, comme on l’a constaté pour la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson ou la SLA. Par respect pour l’intégrité de la personne, il convient d’éviter toute décision irréversible prise sur une base cognitive incertaine.
Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.
Amendements AS263 de M. Thibault Bazin, AS935 de M. Serge Muller et AS714 de M. Christophe Bentz (discussion commune)
M. Thibault Bazin (DR). Là encore, il s’agit d’ajouter une nouvelle condition : ne pas être atteint d’une pathologie psychiatrique diagnostiquée par un médecin psychiatre.
M. Serge Muller (RN). Mon amendement va dans le même sens : dans un esprit de prudence et responsabilité, il vise à protéger les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique sévère altérant leur discernement en les excluant du dispositif. Il ne faudrait pas qu’elles prennent une décision irréversible dans un moment d’égarement ou de désespoir. Je me fonde sur des réalités cliniques observées lors de mon parcours professionnel : la souffrance psychique peut donner lieu à des demandes de mort qui relèvent non d’un choix lucide mais d’un appel à l’aide et qui ne sont plus exprimées, une fois la crise passée. Il importe de poser cette ligne rouge éthique, dans le respect de la dignité des personnes concernées.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Avis défavorable.
Nous avons déjà débattu de cette question.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Nous savons qu’il y a un problème d’accompagnement en psychiatrie : de nombreux patients ne sont pas soignés pour leurs troubles organiques, alors que ceux-ci sont susceptibles de faire flamber leurs troubles psychiatriques, tout simplement parce qu’on n’accorde aucun crédit à leurs souffrances. Par ailleurs, une personne qui délire ne le fait pas tout le temps, car les traitements agissent. Une personne qui délire ne raconte pas non plus n’importe quoi. Un patient schizophrène peut fort bien dire que les douleurs physiques qu’il endure, du fait d’un cancer, par exemple, lui sont insupportables et exprimer le souhait que cela s’arrête. Il faut respecter la liberté de la personne.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Ces amendements, qui reflètent une méconnaissance des troubles psychiatriques dont souffrent 13 millions de personnes en France, sont discriminants. Ils visent à les priver de leur capacité à choisir alors que le discernement est affecté à des degrés variés voire pas du tout par ces pathologies et que d’autres, de nature non psychiatrique, peuvent également l’altérer. On ne saurait exclure une personne atteinte d’une pathologie psychiatrique de l’aide à mourir si elle remplit les critères énumérés dans la loi.
M. Hervé de Lépinau (RN). Chacun sait ici que la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine en France : nous avons relativement peu de centres de traitement et de psychiatres, alors que les maladies psychiatriques augmentent. Il paraît prudent de poser un garde-fou, dès lors que la médecine n’est pas en mesure de traiter la totalité du spectre de ces maladies. En votant ces amendements, nous fragiliserions la protection que nous devons aux malades atteints de pathologies psychiatriques.
M. Philippe Juvin (DR). Certains malades psychiatriques sont parfaitement capables d’avoir un avis libre et éclairé, mais d’autres pas – il faut ne jamais en avoir rencontré pour penser qu’ils ont tous une capacité de discernement. C’est pourquoi je préfère l’amendement de M. Muller, qui évoque un trouble psychiatrique sévère. Par ailleurs, le recours au psychiatre prévu par l’amendement de M. le rapporteur général me semble constituer un filet de sécurité minimal : en cas de maladie psychiatrique, la moindre des choses est de solliciter l’avis d’un psychiatre. Vous ne pouvez pas vous en exonérer et considérer que la maladie psychiatrique ne pose aucun problème.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS49 de M. Patrick Hetzel
M. Philippe Juvin (DR). Nous sommes d’accord pour considérer que certains malades psychiatriques peuvent exprimer un avis libre et éclairé. En revanche, si le médecin a un doute sur le caractère libre et éclairé de la volonté du patient, il doit faire appel à un psychiatre : là encore, c’est un filet de sécurité nécessaire.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Cet amendement est satisfait, puisque l’alinéa 8 de l’article 6 prévoit que le médecin peut recueillir l’avis d’autres professionnels, notamment de psychologues ou d’infirmiers.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS51 de M. Patrick Hetzel
M. Philippe Juvin (DR). Nous souhaitons prévoir un nouveau filet de sécurité, en excluant de l’aide à mourir les personnes qui présentent un état de faiblesse ou de vulnérabilité psychologique susceptible d’altérer leur jugement.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Les conditions fixées par l’alinéa 9 de l’article 4 ne permettent pas à des personnes dont le discernement serait gravement altéré d’accéder à l’aide à mourir. En outre, l’alinéa 3 de l’article 6 exclut explicitement les patients se trouvant dans cette situation.
Avis défavorable.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Prenons garde à ne pas stigmatiser la santé mentale. Penser que, parce qu’elle présente une vulnérabilité psychologique, une personne atteinte d’un cancer très douloureux ne peut pas dire qu’elle a mal et qu’elle veut accéder à l’aide à mourir pose véritablement problème. Quand un malade en fait la demande, on vérifie qu’il répond à l’ensemble des critères. Nous ne pouvons pas en exclure ceux qui ont un trouble psychiatrique, même important. C’est une question de respect des droits de l’homme.
M. Hervé de Lépinau (RN). Nous anticipons le coup d’après de cette loi cliquet. Nous parlons pour le moment de cancers en phase terminale : de toute évidence, un détenu ou une personne très vulnérable atteints d’une maladie psychiatrique peuvent parfaitement demander à bénéficier de l’euthanasie ou de l’aide active à mourir. Nous voyons toutefois ce qui se passe en Belgique et aux Pays-Bas et nous savons qu’un jour, vous défendrez l’euthanasie et le suicide assisté pour des personnes qui en ont assez de vivre. Des personnes qui seront dans une situation de dépendance ou d’enfermement, comme les détenus, demanderont une liberté non pas conditionnelle mais définitive : la mort.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS1052 de M. Philippe Juvin, AS265 de M. Thibault Bazin et AS50 de M. Patrick Hetzel (discussion commune)
M. Philippe Juvin (DR). Mon amendement s’intéresse aux personnes sous protection juridique, dont on considère, par définition, qu’elles ne sont pas capables de réaliser certains actes. Il nous paraîtrait logique que quelqu’un qui n’a pas le droit de faire un chèque ou de contracter, par exemple, ne puisse pas bénéficier de l’aide active à mourir. Cela renvoie au débat que nous avons eu sur le recours au juge. J’entends que tout le monde est autonome, mais il y a tout de même des personnes dont la société considère, par la voix du juge, qu’elles ne sont pas capables de prendre certaines décisions importantes ; il me paraît difficile de considérer que l’aide active à mourir n’en fait pas partie.
M. Thibault Bazin (DR). À titre de repli, au cas où l’amendement de M. Juvin ne serait pas adopté, je propose d’exclure de l’aide à mourir les personnes faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec assistance ou représentation. En effet, leur situation ne leur permet pas toujours d’exercer leur volonté de manière libre et éclairée. Nous risquons d’être confrontés à des cas compliqués ; or nous parlons d’une décision irréversible, l’administration d’une substance létale dans des délais assez restreints.
M. Philippe Juvin (DR). L’amendement AS50 est défendu.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Dans son avis sur le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, rendu l’année dernière, le Conseil d’État a considéré qu’il était cohérent d’y inclure les majeurs protégés. Par ailleurs, les articles 5 et 6 répondent pleinement à vos préoccupations.
Avis défavorable.
M. Philippe Juvin (DR). Est-il normal que quelqu’un qui n’a pas le droit d’ester en justice, de contracter ou de signer un chèque se voie reconnaître celui de demander l’euthanasie ? J’aimerais obtenir une réponse précise à cette question fondamentale, même si j’ai bien compris que Mme la rapporteure ne souhaitait rien changer au texte.
M. Thibault Bazin (DR). Le Conseil d’État s’est prononcé sur un texte différent ; depuis, l’économie générale de l’article qui nous occupe a été modifiée, notamment en ce qui concerne les critères d’accès. Au vu de ces derniers, nous pouvons légitimement nous interroger sur l’inclusion des personnes placées sous protection juridique. Nous parlons tout de même de l’administration d’une substance létale : cela implique de prendre des précautions pour ces personnes, comme nous l’avons fait dans les lois de bioéthique. La question mérite d’être débattue.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Rappelons qu’en matière de protection juridique, la France a été condamnée par l’Organisation des Nations unies pour non-respect des droits de l’homme. Les pratiques en vigueur posent donc déjà problème. Vos amendements sont trop larges et ne fonctionnent pas : ce n’est pas parce qu’une personne n’arrive pas à gérer ses comptes qu’elle ne peut pas vouloir mettre fin à ses jours parce qu’elle souffre de douleurs terribles, ce n’est absolument pas la même chose. Si le médecin qui vérifie le discernement de la personne constate qu’elle n’est pas en état de manifester une volonté libre et éclairée, elle n’entrera pas dans le dispositif. La protection juridique n’a rien à voir avec cela.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements AS1067 et AS1095 de M. Philippe Juvin (discussion commune)
M. Philippe Juvin (DR). Il s’agit d’ajouter aux critères ouvrant droit à l’aide à mourir le fait de jouir de l’intégralité de ses droits civils. Mes amendements s’intéressent aux personnes dont les droits ont été limités par la société pour des raisons diverses, dont certaines peuvent témoigner d’une difficulté à prendre des décisions importantes – la décision ultime étant de mettre fin à ses jours.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Ces amendements portent atteinte au principe d’égalité d’accès à l’offre de soins. Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements AS1016 de M. Philippe Juvin et AS264 de M. Thibault Bazin (discussion commune)
M. Philippe Juvin (DR). Ce texte nous est présenté comme une loi de liberté : les personnes sont libres de choisir la mort. C’est une philosophie – on peut la partager ou non. Or la prison n’est pas le lieu où l’on exprime le plus sa liberté, vous en conviendrez. Un condamné à dix, quinze ou vingt ans de réclusion pourra demander l’euthanasie dans les locaux pénitentiaires s’il remplit l’ensemble des critères. Mon sentiment est que l’on n’est pas libre choisir quand on est en prison.
M. Thibault Bazin (DR). Il y a lieu de s’interroger sur les personnes qui sont privées de liberté parce qu’elles sont incarcérées ou font l’objet d’une mesure de probation. Elles peuvent avoir une maladie grave et incurable, en phase avancée ou terminale, sans pour autant que leur pronostic vital soit engagé à court terme, et ne pas éprouver de souffrances physiques mais seulement des souffrances psychologiques – cela peut se comprendre quand on est incarcéré. Expriment-elles un consentement libre et éclairé ? C’est une vraie question.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Là encore, vos amendements porteraient atteinte au principe d’égalité d’accès à l’offre de soins. Avis défavorable.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Dans votre logique, faudrait-il faire de l’acharnement thérapeutique pour qu’une personne qui souffre terriblement purge toute sa peine et souffre jusqu’au bout ? Ce n’est pas sérieux. Si un détenu remplit tous les critères, il doit pouvoir bénéficier de l’aide à mourir. Le fait d’être privé de certains droits n’implique pas le devoir de souffrir à cause d’un cancer.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). La dernière fois que cette disposition a été proposée, c’était par le Rassemblement national ; je vois que c’est contagieux. Un détenu est un citoyen avant tout ; il a des droits – notamment celui de voter – et il garde sa liberté de pensée. Quand il est gravement malade, il peut sortir de prison pour être hospitalisé et soigné comme tout un chacun. Tout malade a le droit d’être accompagné, de bénéficier de soins palliatifs et d’accéder à l’aide à mourir s’il le demande.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Je découvre que nous pouvons compter sur M. Juvin et M. Bazin dans le combat pour l’amélioration des conditions de vie en milieu carcéral ! C’est au moins une avancée.
Je comprendrais votre inquiétude si les conditions d’accès à l’aide à mourir n’étaient pas cumulatives : pour remédier à la détresse des détenus, on faciliterait leur accès au suicide, indépendamment des autres critères, ce qui exonérerait la collectivité d’améliorer les conditions de rétention. Or le texte prévoit bien des critères cumulatifs : être atteint d’une affection grave et incurable qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale ; présenter une souffrance physique ou psychologique réfractaire à tout traitement, etc. Vous estimez que les détenus doivent être privés de cette ultime liberté, même quand ils sont en fin de vie. C’est sordide. Doivent-ils être condamnés à souffrir pour purger leur peine jusqu’au bout ? C’est effroyable. Un individu privé de liberté reste un citoyen qui conserve certaines libertés.
M. Hervé de Lépinau (RN). Si le milieu carcéral avait le meilleur système de santé au monde, cela se saurait. Dans de nombreux centres de rétention et de maisons d’arrêt, le traitement médical est très sommaire et les personnes qui présentent une pathologie sont en détresse : je suis avocat depuis trente ans, et cette réalité m’a été clairement exprimée par les directeurs d’établissements pénitentiaires et les médecins que j’ai rencontrés.
Nous savons pertinemment que vous voudrez faire évoluer cette loi et que, par effet cliquet, les garde-fous sauteront pour autoriser les personnes privées de liberté à mettre fin à leurs jours quand la détention leur sera intolérable. Par esprit d’humanité, nous devons prévenir ce genre de dérives.
M. Philippe Juvin (DR). Nous gagnerions à ne pas nous caricaturer mutuellement. Je m’intéresse aux conditions de détention depuis très longtemps ; j’ai écrit sur la question et j’ai passé du temps dans les prisons et les tribunaux. Ce sujet est capital parce qu’il est révélateur d’une société. J’ai affirmé plusieurs fois dans l’hémicycle que les conditions de détention étaient indignes en France ; nous devons mener un combat pour y remédier.
Ce qui me gêne est que personne ne semble percevoir combien l’idée d’administrer la mort en prison est abyssale et ouvre des problèmes potentiels immenses.
Oui, en prison, on est mal soigné ; quand on y est très malade, on y est très mal soigné. Oui, en prison, on se suicide beaucoup plus qu’ailleurs. Vous allez permettre à des personnes qui sont très malades, qui sont mal soignées et qui ont une propension élevée à vouloir se suicider d’accéder au suicide assisté. On touche du doigt une chose incroyable. Je suis très surpris que mes collègues de gauche, qui sont culturellement les plus attentifs aux questions sociales liées à l’emprisonnement, ne perçoivent pas le caractère insondable de ce sujet.
M. Serge Muller (RN). Je suis très inquiet pour nos compatriotes atteints de troubles psychiatriques, notamment ceux qui sont en prison. Pour être éligible à l’aide active à mourir et au suicide assisté, il faut être atteint d’une affection grave et incurable. Or la schizophrénie est une maladie très grave et incurable ; je n’ai jamais vu personne en guérir. Si un malade atteint de troubles psychiatriques demande à mourir en prison, on accèdera à sa requête.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Un détenu atteint d’une maladie grave et incurable qui engage son pronostic vital a le droit de sortir de prison ; vous êtes donc hors sujet.
Par ailleurs, quand le juge condamne quelqu’un à la détention, il ne lui fait pas perdre ses droits à prendre des décisions pour sa propre vie. Les décisions liées à sa santé lui appartiennent toujours ; nous ne devrions même pas en débattre.
M. Théo Bernhardt (RN). J’entends les partisans de cette proposition de loi parler d’accès aux soins ; or la fin de vie n’est pas un soin. Soigner, c’est essayer de maintenir en vie dans les meilleures conditions possibles, ce n’est pas donner la mort. Soigner, c’est permettre la vie.
S’agissant de la détention, Mme Simonnet nous a interpellés hors micro sur le bracelet électronique : est-ce au niveau du débat ? Vous voulez polémiquer alors que nous parlons de fin de vie et d’administration de la mort : c’est honteux.
M. Michel Lauzzana (EPR). L’accès à l’aide à mourir est soumis à divers critères. Une personne souffrant de schizophrénie n’étant pas apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée, elle ne remplit pas les conditions prévues.
Enfin, vous ne pouvez pas fonder vos arguments sur d’hypothétiques évolutions du texte. Nous votons sur un texte précis, qui comporte des critères précis. Ne nous opposez pas un fantasme qui pourrait se concrétiser dans le futur.
Mme Annie Vidal (EPR). Indépendamment du point de vue que chacun peut avoir sur l’aide à mourir, nous devrions veiller à assurer la cohérence entre ce texte et la proposition de loi relative aux soins palliatifs, laquelle précise clairement que ces soins sont garantis y compris dans les lieux de privation de liberté. Il serait choquant d’exclure les détenus de l’aide à mourir, et de ne leur donner droit qu’aux soins palliatifs. La cohérence impose d’ouvrir les mêmes droits à tous.
La commission rejette successivement les amendements.
Puis, suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette l’amendement AS870 de Mme Lisette Pollet.
Amendement AS266 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). Notre débat a montré que les conditions étaient sujettes à interprétation. C’est pourquoi je propose que les critères permettant d’évaluer le caractère insupportable d’une souffrance soient précisés par un décret en Conseil d’État pris après avis de la HAS et du CCNE. Cela aidera les personnes qui seront chargées d’instruire les demandes et de juger si les malades sont éligibles.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 4 modifié.
La réunion s’achève à vingt heures quinze.
Présents. – Mme Ségolène Amiot, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Eddy Casterman, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Stéphane Delautrette, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, Mme Mathilde Feld, Mme Sylvie Ferrer, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Camille Galliard-Minier, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, Mme Marine Hamelet, M. Patrick Hetzel, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Philippe Juvin, M. Michel Lauzzana, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, M. Hervé de Lépinau, Mme Pauline Levasseur, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Julien Odoul, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Lisette Pollet, Mme Angélique Ranc, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Sandrine Rousseau, M. Arnaud Simion, Mme Danielle Simonnet, Mme Prisca Thevenot, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry
Excusée – Mme Béatrice Bellay
Assistaient également à la réunion. – M. Hadrien Clouet, Mme Julie Laernoes, M. Alexandre Portier