Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Suite de l’examen de la proposition de loi relative à la fin de vie (n° 1100) (M. Olivier Falorni, rapporteur général ; Mme Brigitte Liso, M. Laurent Panifous, M. Stéphane Delautrette et Mme Élise Leboucher, rapporteurs) 2
– Présences en réunion.................................26
Lundi
28 avril 2025
Séance de 21 heures 30
Compte rendu n° 73
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à vingt-et-une heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission poursuit l’examen de la proposition de loi relative à la fin de vie (n° 1100) (M. Olivier Falorni, rapporteur général ; Mme Brigitte Liso, M. Laurent Panifous, M. Stéphane Delautrette et Mme Élise Leboucher, rapporteurs).
Après l’article 4
Amendement AS15 de M. Alexandre Portier
M. Alexandre Portier (DR). Afin de préserver l’autonomie, la dignité et la liberté de choix des patients en fin de vie, l’amendement vise à s’assurer que la demande d’aide à mourir ne puisse être formulée « que directement par la personne concernée, sans intervention d’un tiers ».
L’objectif est double : d’une part, protéger les patients des pressions potentielles exercées par des proches, des soignants ou d’autres parties prenantes – l’aide à mourir doit rester une démarche personnelle et volontaire ; d’autre part, renforcer la transparence et la confiance dans le processus, en éliminant les risques de manipulation ou de coercition.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Votre amendement est satisfait par l’article 4 et le sera davantage encore par l’article 5. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS399 de Mme Christelle Petex
M. Alexandre Portier (DR). L’amendement est défendu.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS53 de M. Patrick Hetzel
M. Patrick Hetzel (DR). L’amendement fait de l’accès garanti aux soins palliatifs un préalable à l’entrée en vigueur de l’aide à mourir.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Le sujet a été largement évoqué. La commission a adopté à l’unanimité la proposition de loi sur les soins palliatifs, dont la mise en œuvre s’étendra jusqu’en 2034.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS371 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). Cet après-midi, la commission a rejeté les amendements tendant à inclure l’aide à mourir dans les discussions anticipées.
L’amendement vise à préciser dans l’article L. 1111-11 du code de la santé publique relatif aux directives anticipées que celles-ci ne peuvent pas concerner la demande d’une mort provoquée.
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Dans l’une ou l’autre des propositions de loi, les directives anticipées ont été évoquées et les choses ont été dites clairement. Avis défavorable.
M. Thibault Bazin (DR). Elles ne sont sans doute pas aussi claires que vous le dites puisque des amendements reviennent sur le sujet. Par cohérence, écrivons donc cette règle.
La commission rejette l’amendement.
Chapitre III
Procédure
Article 5 : Demande d’accès à l’aide à mourir
Amendements de suppression AS54 de M. Patrick Hetzel, AS236 de Mme Justine Gruet et AS269 de M. Thibault Bazin
M. Patrick Hetzel (DR). L’amendement traduit notre hostilité à l’égard de l’article 5.
Mme Justine Gruet (DR). La loi Claeys-Leonetti apporte déjà une réponse aux personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme. Votre proposition de loi vise à offrir, au nom de la liberté de l’individu, une solution aux personnes qui veulent mourir, sans protéger suffisamment les plus vulnérables. Elle implique une intentionnalité, ce qui fait une différence notable sur le plan éthique et ce que je conteste.
Si une tierce personne doit intervenir lorsqu’une personne demande une aide à mourir sans que son pronostic vital ne soit engagé, cela constitue une rupture anthropologique.
M. Thibault Bazin (DR). L’article 5 pose des questions éthiques.
Je ne sais pas si nous en mesurons bien l’impact sur les relations entre soignants et soignés. Ne risque-t-on pas de les modifier ? Cela vaut aussi pour les soins prodigués : on sait que cette possibilité existe, selon une procédure simple, facile et rapide – à la différence de la sédation profonde et continue.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Ces amendements me semblent aller à rebours de l’intention de leurs auteurs. La suppression de l’article 5, loin de faire disparaître l’aide à mourir comme vous le souhaitez, limite son encadrement.
Avis défavorable.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Je note une profonde incohérence entre ces amendements de suppression et le discours que vous avez tenu jusqu’ici. Vous n’avez cessé de rabâcher la nécessité de proposer au patient des soins palliatifs, une prise en charge psychologique, etc. Or c’est exactement ce que propose l’article 5. Tenter de le supprimer prouve votre mauvaise foi plutôt que votre volonté de participer à la construction du texte.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Vous voulez supprimer l’article 5 parce que vous êtes profondément opposés à l’instauration de ce nouveau droit qu’est l’aide à mourir.
En réponse à M. Bazin, je ne sais pas si vous mesurez les conséquences de l’absence de ce droit pour les malades en France. Elle contraint à un parcours terrifiant aussi bien ceux qui vont en Suisse ou en Belgique pour accéder à l’aide à mourir que ceux qui ne peuvent faire cet ultime exil. Je ne sais pas si vous en mesurez l’impact pour notre système de santé et notre République. Qui sommes-nous pour priver les personnes qui sont dans des souffrances terribles, réfractaires à tout traitement, de ce qu’elles considèrent comme leur ultime liberté ?
L’article 5 est essentiel parce qu’il pose les conditions de l’exercice du droit à l’aide à mourir. Nous voterons évidemment contre ces amendements de suppression.
M. Christophe Bentz (RN). L’article 5 est le cœur du texte puisqu’il porte sur la procédure du suicide assisté ou de l’euthanasie, que vous appelez aide à mourir.
Nous voterons les amendements de suppression parce que nous sommes opposés au texte dans sa totalité. Le dispositif crée une rupture totale dans l’accès aux soins. C’est une rupture éthique, anthropologique, et médicale. La vocation de la médecine est d’aider, de secourir, d’apporter un soin ; elle ne sera jamais d’administrer une substance létale à une personne humaine vivante.
M. Thibault Bazin (DR). L’administration d’une substance létale en vue de provoquer la mort doit bien sûr être soumise à une procédure, strictement encadrée dans la mesure du possible.
Un amendement de suppression est aussi une manière de souligner l’inadaptation et les insuffisances de la procédure qui est prévue. Elle fait peser une forte responsabilité sur le médecin qui sera chargé d’instruire la demande. Il ne faut pas sous-estimer l’impact pour lui d’un choix entre la vie ou la mort.
Le médecin peut proposer l’aide d’un psychologue ou d’un psychiatre ainsi que le recours à des soins d’accompagnement. Je ne pense pas que cela soit suffisant. Les soins palliatifs doivent intervenir beaucoup plus tôt. Ce sont autant de points sur lesquels une amélioration est nécessaire.
M. Patrick Hetzel (DR). Il n’y a pas dans cette commission, d’un côté, des députés de bonne foi et, de l’autre, des députés de mauvaise foi.
Il est de coutume de proposer une révision de la législation en vigueur lorsque celle‑ci a produit tous ses effets. Or, vous le savez, la loi Claeys-Leonetti n’est pas pleinement appliquée. On fait semblant d’ignorer ce problème.
M. Stéphane Delautrette (SOC). Il y a quelque chose de paradoxal dans ces amendements de suppression. Depuis le début des débats, vous demandez que les règles soient claires et le processus balisé. En supprimant l’article, qui précise la procédure, vous allez à l’encontre de ce que vous souhaitez.
Par ailleurs, vous justifiez la suppression en vous appuyant sur des éléments qui ne figurent pas dans le texte. Ainsi l’exposé sommaire de l’amendement de Mme Gruet mentionne‑t‑il une tierce personne qui doit intervenir lorsqu’une personne demande une aide à mourir sans que son pronostic vital ne soit engagé. Or je vous rappelle non seulement que pour pouvoir prétendre à l’aide à mourir, le pronostic vital doit être engagé ; mais que l’intervention d’une tierce personne n’est prévue à aucun moment. C’est la personne elle‑même qui est la seule à pouvoir formuler la demande.
M. Philippe Vigier (Dem). Il ne s’agit pas d’un droit en moins, mais d’un droit en plus, qui ne retire rien à tous les autres.
M. Hetzel nous recommande d’attendre un complet déploiement des soins palliatifs et de la loi Claeys-Leonetti. Mais on sait très bien ce qui se passe dans les pays voisins. On n’a jamais un mot pour les personnes qui vont chercher le droit à mourir à l’étranger ; on n’en parle jamais, c’est un sujet tabou. On n’a jamais un mot pour les soignants qui, quelquefois, accompagnent des personnes sans aucun encadrement – j’en ai eu la preuve il y a encore quelques jours, ils réclament un cadre qu’il appartient au législateur de bâtir.
En ce qui concerne l’intervention d’une tierce personne, le débat a été tranché. Il a été décidé de s’en tenir au seul corps médical. Enfin, l’accès à l’aide à mourir n’est pas autorisé dans n’importe quelle situation. Il est question de pronostic vital engagé, de douleurs réfractaires, d’une personne qui est au bout d’un chemin.
M. René Pilato (LFI-NFP). Entre 2 000 et 3 000 personnes s’expatrient chaque année pour avoir le droit de mourir sans souffrir. Nous légiférons pour ces personnes-là et pour celles qui n’ont pas les moyens de partir à l’étranger. La France doit faire preuve d’humanisme et se hisser à la hauteur de ses voisins. Peut-on accepter que la souffrance d’un être humain dépende de ses moyens financiers ?
La commission rejette les amendements.
Amendement AS55 de M. Patrick Hetzel
M. Patrick Hetzel (DR). Un autre écueil du texte est de considérer le suicide assisté et l’euthanasie comme un soin et de l’inscrire, à ce titre, dans le code de la santé publique. L’amendement s’oppose à cette conception. Bien qu’on utilise la terminologie de soin ultime, l’acte de donner la mort n’est plus un acte de soin. Il est d’une autre nature anthropologique. C’est la raison pour laquelle il est proposé de supprimer la référence au code de la santé publique.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je suis défavorable à cet amendement pour deux raisons.
D’abord la codification répond à une demande récurrente du Conseil constitutionnel depuis 1999, au motif qu’elle facilite l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi.
Ensuite, je m’inscris en faux contre votre argument selon lequel la codification aurait pour effet de faire de l’aide à mourir un soin. Sans entrer dans le débat sur ce qu’est un soin ou pas, je rappelle que le code de la santé publique est très divers. Il y est question de bioéthique, de gouvernance des établissements publics de santé, de sécurité sanitaire des eaux et des aliments et même des débits de boissons – qui, quoi qu’on en pense, ne sont pas un soin. Chacun peut avoir son avis sur le sujet, mais nulle part, il n’est écrit dans le texte que l’aide à mourir est un soin.
M. Patrick Hetzel (DR). J’en conviens, le fait de codifier n’en fait pas un soin.
En revanche, la codification, qui contribue en effet à l’intelligibilité de la loi, peut être effectuée à différents endroits. Pourquoi n’avoir pas choisi le code civil ? C’eût été beaucoup plus clair et de nature à vaincre les réticences qu’expriment certains professionnels de santé.
M. Philippe Vigier (Dem). Je fais un parallèle avec la sédation profonde et continue, qui doit aboutir à ce que les fonctions vitales cessent. On peut s’interroger sur le fait de la considérer comme un soin.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Je suis en désaccord avec M. Vigier. La sédation profonde et continue est un soin parce qu’elle est utilisée à court terme, souvent la nuit, pour soulager des douleurs insupportables ou un stress. Le décès est causé par l’évolution de la maladie. Il ne s’agit pas d’administrer une substance létale.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS271 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). Rédactionnel.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Le fait d’accoler au mot « personne » celui de « malade » n’est pas inexact mais pas utile non plus. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS811 de Mme Sandrine Dogor-Such, AS598 de Mme Annie Vidal, AS801 de Mme Marie-France Lorho et AS128 de Mme Justine Gruet (discussion commune)
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). La disparition du mot « euthanasie » et son remplacement par l’expression « aide à mourir » dans le discours commun fausse l’appréhension de la réalité du geste.
Le vocable de substitution est délibérément employé pour rassurer et laisser croire à un accompagnement médical vers une mort douce, une sorte d’anesthésie. La réalité est tout autre parce que l’aide à mourir mentionnée dans le texte correspond à une mort programmée. L’amendement vise donc à nommer les choses.
Mme Annie Vidal (EPR). Cet amendement devrait être un amendement de coordination avec celui qui n’a pas été accepté à l’article 2, visant à parler d’aide active à mourir. Je retirerai les six autres amendements de même nature à venir.
Monsieur le rapporteur général, je n’ai pas compris votre refus parce que vous ne m’aviez pas semblé opposé à cette terminologie, sur laquelle le Comité consultatif national d’éthique et le Conseil économique, social et environnemental ont donné leur avis.
Il importe de différencier l’acte qui correspond au nouveau droit de recourir à une substance létale de tous les autres actes d’aide à mourir. Lorsqu’un patient décède dans un service de soins palliatifs ou dans n’importe quel service de spécialité – cardiologie, pneumologie, gastro-entérologie, etc. – d’un établissement de santé, les soignants font de l’aide à mourir. Les personnes qui interviennent à domicile font aussi de l’aide à mourir. Le vocable d’aide à mourir recouvre des réalités très diverses d’accéder à l’aide à mourir. La différenciation est très importante pour les soignants.
Dans son avis de 2024 sur le projet de loi, le Conseil d’État avait appelé l’attention sur le fait que l’aide à mourir renvoie à des situations de fin de vie très différentes en France ou à l’étranger et avait invité le Gouvernement à revoir cette terminologie. Certains pays francophones ont été plus clairs en parlant de suicide ou d’euthanasie.
Je redéposerai mes amendements en séance, espérant convaincre mes collègues du bien‑fondé de cette précision, qui n’est pas que sémantique ; elle est aussi une marque de respect à l’égard des soignants qui font de l’aide à mourir dans des situations très variées.
M. Christophe Bentz (RN). Certains déplorent la longueur du débat sémantique mais il est capital, précisément parce qu’il n’est pas que sémantique.
J’insiste, il y a une confusion dans les mots employés. J’en veux pour preuve un sondage récent qui montre que les Français n’y comprennent pas grand-chose.
Je le répète, l’aide à mourir consiste en l’accompagnement de la personne humaine jusqu’à la fin de sa vie ; ce sont les soins palliatifs ; c’est l’objet de la première proposition de loi que nous avons examinée.
Dans ce second texte, il faut que les mots correspondent à la réalité. Administrer une substance létale à une personne vivante en vue de provoquer sa mort, c’est soit du suicide assisté, soit de l’euthanasie. Nous légiférons sur l’instauration d’un droit nouveau – certains y sont favorables, d’autres pas – dont l’objet est bien d’accéder demain à une euthanasie ou à un suicide assisté.
Mme Justine Gruet (DR). Il s’agit d’un amendement rédactionnel, qui permet de clarifier l’objet même de l’article. Il vise à remplacer « aide à mourir » par « suicide assisté » pour traduire le fait que ce qui devait être une exception ne l’est plus.
Je rejoins Mme Vidal : l’aide à mourir peut s’apparenter aux soins palliatifs. Il n’y a pas de part active prise dans l’accélération du processus de mort.
Il est important de mettre les bons mots sur ce que l’on souhaite définir. Nous aurons l’occasion de le faire en séance en distinguant l’accompagnement, les soins palliatifs, l’aide à mourir et l’aide active à mourir.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Nous avons déjà eu ce long débat sur la sémantique.
En ce qui concerne l’euthanasie, je me refuse à employer ce terme, qui a été souillé par l’histoire. J’ai entendu très récemment le ministre de l’intérieur refuser d’utiliser un autre mot parce qu’il considérait qu’il était connoté idéologiquement. Je n’entre pas dans le débat sur le bien-fondé de son choix, mais le mot « euthanasie » est connoté idéologiquement parce qu’il a été utilisé par le régime nazi entre 1933 et 1945.
Le terme de suicide assisté, quant à lui, crée la confusion. Le rapport publié en février 2025 par l’Observatoire national du suicide, qui est tout sauf une officine pro‑euthanasie – pour employer le terme connoté idéologiquement que vous avez constamment envie d’utiliser –, indique qu’il n’y a pas d’effet de report des suicides vers l’aide à mourir dans les pays où celle-ci existe. Au contraire, elle peut ouvrir la voie à un accompagnement plus adapté pour les personnes à tendance suicidaire.
Notre collègue Annie Vidal fait preuve de cohérence et sa position sur l’amendement que nous avons rejeté correspond aux dispositions du texte dont elle était la rapporteure concernant l’accès aux soins palliatifs dans les établissements pénitentiaires. Je serai donc cohérent à mon tour. L’article 2 ayant créé un droit à l’aide à mourir pour des raisons qui avaient fait l’objet d’un long débat, il serait incohérent de changer la dénomination que nous avons choisie. Je rejetterai donc toutes les demandes visant à réintroduire dans le texte les mots euthanasie, suicide assisté, mort programmée, etc.
Mme Annie Vidal (EPR). Je retire mon amendement ainsi que les six autres ayant le même objectif. Ils avaient été déposés pour assurer la coordination avec l’article 2 au cas où mon amendement proposant de retenir le terme d’aide active à mourir aurait été adopté. J’espère que nous aurons de nouveau ce débat en séance.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Je n’étais pas opposée par principe au terme d’aide active à mourir. Or, s’il existe une aide active à mourir, c’est qu’il existe une aide passive à mourir. Quelle est-elle ? La sédation profonde et continue jusqu’au décès est une aide au laisser mourir ; on arrête d’alimenter et d’hydrater la personne jusqu’à ce qu’elle décède, quelques heures ou quelques jours plus tard. Les soins palliatifs, eux, sont une aide à vivre avec la maladie qui visent à limiter les souffrances jusqu’aux derniers moments de la vie. L’aide à mourir me semble donc bien nommée lorsqu’elle désigne l’auto-administration ou l’administration par un tiers d’une substance létale permettant de mettre fin aux jours d’une personne qui subit des souffrances réfractaires à tout traitement et dont le pronostic vital est engagé. Il faut garder ce terme. Le débat qui vise à le remplacer par celui de suicide assisté ou d’euthanasie a peu de sens car il s’agit du même acte.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Je me faisais la même réflexion. L’aide à mourir est un terme générique et je ne fais pas de différence entre l’aide active et l’aide passive. Quand on accompagne la fin de vie par la sédation, c’est une forme d’aide à mourir ; quand on réalise des injections d’opiacés en quantité grandissante en unité de soins palliatifs, c’est aussi une aide à mourir. Ce terme générique est bien moins culpabilisant pour les soignants, qui accompagnent du mieux possible les personnes en fin de vie, que ceux de mort programmée ou d’euthanasie.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). La loi doit être compréhensible ; ce n’est pas le cas de ce texte qui ne nomme pas les choses. Dans les pays où l’acte est nommé, les citoyens savent de quoi on parle. L’étude d’impact de 2024 était plus claire car elle citait vingt-cinq fois le mot « euthanasie » et vingt-huit fois l’expression « suicide assisté ». Ce geste létal n’a rien d’une aide.
M. Patrick Hetzel (DR). Il faut nommer les choses. Si l’euthanasie est connotée, l’aide à mourir est un euphémisme. Mme Vidal a trouvé un juste milieu avec le terme d’aide active à mourir qui dénote l’intentionnalité de l’acte et distingue celui-ci des soins palliatifs, lesquels sont pour l’essentiel une aide à vivre mais, comme l’a dit Mme Dubré-Chirat, constituent aussi une aide à mourir, ce qui pourrait créer la confusion.
M. René Pilato (LFI-NFP). Augmenter progressivement les doses de morphine, est‑ce une aide active à mourir ? Vous dites que non ; je considère que oui. L’aide à mourir peut prendre plusieurs formes : la sédation profonde et continue jusqu’à la mort, l’augmentation du dosage de produits opiacés jusqu’à la mort ou encore l’administration d’une substance létale jusqu’à la mort. Il est inutile de s’écharper. Le terme est suffisamment précis et générique pour que l’on parle d’un accompagnement, quelle que soit la solution technique.
M. Thibault Bazin (DR). La question est celle de l’intention de la personne qui demande et de celle de la personne qui accompagne cette demande libre et éclairée. La sémantique médicale est parfois technique et peu évidente pour les patients qui reçoivent un diagnostic. L’essentiel est que chacun comprenne et se fasse comprendre. « Aidez-moi à mourir » ne veut pas toujours dire : « Provoquez ma mort ». Il faut pouvoir différencier la demande de soins palliatifs de la demande d’administration d’une substance létale avec l’intention résolue de provoquer la mort.
Mme Justine Gruet (DR). En fin de vie, on n’est pas toujours capable d’exprimer longuement ce que l’on souhaite. Il est possible qu’une personne dise « Aidez-moi à mourir » pour demander un accompagnement, la présence de ses proches ou l’allégement de ses souffrances. Je comprends que le terme d’euthanasie dérange, mais celui de suicide assisté me semble décrire correctement ce dont il s’agit ; ce n’est pas parce qu’on nomme les choses qu’on les aggrave ou qu’on les diabolise. Je propose seulement d’utiliser la nomenclature internationale pour plus de lisibilité.
Mme Annie Vidal (EPR). Toutes ces interventions montrent que l’aide à mourir renvoie à des situations diverses. Or, d’après l’article 2, « l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale ». Il y a une nette différence entre ces deux interprétations. C’est la raison pour laquelle il faut différencier l’aide à mourir dont tout le monde parle de l’administration d’une substance létale, laquelle pourrait être appelée aide active à mourir.
M. Philippe Vigier (Dem). On nous a reproché de ne pas nommer les choses, mais nous les nommons : dans « aide à mourir », n’y a-t-il pas « mort » ?
Je partage l’opinion d’Olivier Falorni concernant le mot euthanasie. Hier, comme vous tous, je me suis rendu devant le monument aux morts pour commémorer la déportation. À l’heure où je vous parle, 10 000 enfants ukrainiens des territoires annexés par les Russes ont été emmenés on ne sait où. La Russie a déclaré qu’ils n’avaient plus de parents et leur a attribué des parents russes que l’on ne connaît pas. J’ignore quel sera leur avenir. On peut imaginer quel génocide se trouve derrière cette action qu’une décision de 2023 a qualifié de crime contre l’humanité.
Le terme de suicide assisté n’est pas adapté car il me fait penser à tous les jeunes qui abandonnent la vie. Le rapprochement me semble mal choisi entre les quelques cas très particuliers de patients dont nous parlons et la situation de ces jeunes.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). C’est le problème du corps et de l’esprit : l’aide à mourir peut correspondre à un accompagnement psychologique comme à un acte physique. La proposition de Mme Vidal de parler d’aide active à mourir me semble utile et j’espère qu’elle redéposera son amendement en séance.
La commission rejette successivement les amendements AS811, AS801 et AS128, l’amendement AS598 ayant été retiré.
Amendements AS127 de Mme Justine Gruet, AS620 de Mme Geneviève Darrieussecq et AS59 de M. Patrick Hetzel (discussion commune)
Mme Justine Gruet (DR). L’article 5 a pour objet de clarifier la procédure. Mon amendement vise à insérer, après le mot « expresse », les mots « écrite et signée ». L’administration d’un produit létal entraînant la mort de manière irréversible est tout sauf anodine. Il est donc essentiel de garantir que la volonté du patient soit librement exprimée et qu’il soit pleinement conscient de sa décision. En outre, même si chacun convient que l’avis a été libre et éclairé, une trace écrite éviterait tout contentieux après l’acte létal.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). L’amendement de ma collègue Geneviève Darrieussecq prévoit, lui aussi, une demande écrite. Je proposerai dans un amendement ultérieur qu’au cas où la personne concernée n’est pas apte à rédiger elle-même cette demande, un tiers puisse le faire en son nom.
M. Patrick Hetzel (DR). Mon amendement reprend une disposition présente depuis 2002 dans la loi belge, laquelle prévoit une demande écrite pour assurer la traçabilité et éviter tout contentieux. On fait souvent référence à cette loi ; il me semble que c’est une bonne pratique à retenir.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Ces amendements proposent que la demande soit formulée par écrit. En l’état du texte, il est simplement précisé que la demande est « expresse », c’est-à-dire qu’elle exprime de façon explicite la volonté de la personne auprès du médecin. Les amendements ne tiennent pas compte des situations où les personnes ne peuvent pas écrire. J’ajoute que l’article 13 renvoie à un décret le soin de fixer « la forme et le contenu de la demande » pour tenir compte de toutes les situations possibles.
Avis défavorable.
M. Philippe Juvin (DR). Le Conseil national de l’Ordre des médecins demande une trace écrite pour toutes les décisions médicales importantes. C’est une manière de garantir leur traçabilité. J’ai les recommandations sous les yeux : « La loi n’oblige pas à donner son consentement par écrit pour une intervention chirurgicale, mais il est conseillé aux médecins de recueillir son consentement par écrit dès qu’il s’agit d’une décision importante. » Pourquoi ne pas gommer cette ambiguïté ? Pour tous les actes liés à la fécondité et à la grossesse, les prélèvements de tissus et de cellules, la collecte de produits sanguins et les actes liés à la recherche clinique, il faut une signature. C’est la moindre des choses. Pourquoi ne signerait-on pas dans ce cas précis ? Le consentement écrit doit être la règle, et l’on trouvera une solution dans le cas où la personne ne peut pas écrire.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous ne voterons pas ces amendements mais nous réjouissons de constater que certains de nos collègues LR, qui voulaient tout à l’heure supprimer l’article 5, reconnaissent désormais qu’il clarifie le dispositif. On progresse de minute en minute !
Un acte est dit exprès lorsqu’il donne lieu à un accord formalisé, quelles que soient les modalités de la formalisation. Notre collègue Juvin demande à inscrire le principe d’une demande écrite tout en prévoyant des solutions au cas où celle-ci serait impossible. Mais ce n’est pas la loi, ça, c’est une option ; autant ne rien écrire du tout plutôt que de fixer une obligation qui ne s’appliquera pas toujours. Ou alors, écrivons qu’il faut un accord exprès, sauf quand il n’y en a pas besoin, ce qui ne veut pas dire grand-chose dans la mesure où l’on ignore toujours qui décidera quand il n’y en a pas besoin. Quelle que soit l’option retenue, cette proposition a pour conséquence indirecte d’écarter de l’aide à mourir les personnes qui auraient perdu conscience de manière irréversible : soit c’est une manière d’éviter le sujet, auquel cas il serait préférable d’en débattre dans l’hémicycle, soit c’est la preuve que cette proposition est accessoire.
M. Patrick Hetzel (DR). Les Belges ont révisé leur loi à plusieurs reprises depuis 2002. Ils n’ont cependant pas touché à cette disposition et, depuis vingt ans, je n’ai pas l’impression qu’elle ait empêché quiconque d’agir ; au contraire, elle apporte une sécurisation juridique. On utilise l’exemple belge lorsque cela nous arrange. Nous devons assurer un minimum de protection.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements AS553 de M. Cyrille Isaac-Sibille et AS272 de M. Thibault Bazin
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Mon amendement, plus précis que le précédent, vise à rendre obligatoire une demande écrite et signée. Si la personne n’est pas en état de le faire, il est prévu que la demande puisse être formulée par écrit par une personne majeure de son choix. La traçabilité est fondamentale pour un geste comme celui-ci. Nous devons en débattre et nous écouter mutuellement, car il n’y a pas d’un côté les pour et de l’autre les contre. J’ai l’impression que personne n’écoute ce qu’expriment ses collègues.
M. Thibault Bazin (DR). Lorsque le pronostic vital est engagé à un horizon temporel indéterminé, il faut prendre en compte l’incertitude de la thérapeutique et la fluctuation de la volonté du patient. Un délai trop contraint risque de précipiter une décision irréversible, ce qui ne va pas dans le sens de l’apaisement du malade. Afin de sécuriser la décision, je propose un dispositif inspiré de celui en vigueur dans l’Oregon : une demande orale, confirmée par écrit en présence de deux témoins et d’un notaire et réitérée ensuite par oral. Il reprend la philosophie du consentement libre et éclairé et de la réitération de la volonté en y ajoutant des témoins car, même en limitant la collégialité et en prévoyant qu’il n’y aura pas de recours, nous ne sommes pas à l’abri de tensions dans la société.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Comme je l’ai dit précédemment, la demande expresse n’écarte pas le principe de l’écrit ; toutefois, comme l’a rappelé M. Clouet, il serait simpliste de réduire cette demande expresse à une demande écrite ; il existe d’autres hypothèses. L’article 13 prévoit que les modalités seront fixées par voie réglementaire.
Ces amendements sont encore moins acceptables que les précédents car ils prévoient qu’une tierce personne puisse soutenir la demande de la première si celle-ci ne pouvait pas s’exprimer par écrit, alors que la demande d’aide à mourir est individuelle au plus haut point.
Avis défavorable.
M. Nicolas Turquois (Dem). C’est peut-être contradictoire avec mon rôle de législateur mais, pour les actes importants, j’ai plus confiance en l’échange direct avec la personne qu’en un contrat écrit. Il ne s’agit pas d’un acte notarié, mais d’une demande particulière qui s’inscrit dans la relation entre le médecin et la personne qui la formule. Nous avions refusé les demandes anticipées au motif que celles-ci étaient susceptibles d’être rédigées par des tiers dont les intentions n’étaient pas toujours bienveillantes. Ces amendements qui donnent au médecin la possibilité d’agir sur la foi d’un écrit dont l’authenticité n’est pas totalement assurée me posent un problème.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Monsieur Isaac-Sibille, nous vous écoutons. Notre opposition n’est pas l’expression d’un désaccord personnel ou partisan ; elle porte sur le contenu de l’amendement. Vous proposez que la personne incapable de rédiger un écrit désigne quelqu’un d’autre, mais cette proposition se heurte au même écueil que les précédents : que faire des personnes qui ont perdu conscience de manière irréversible ? Deuxièmement, l’amendement contient des clauses d’exclusion dont nous ne contestons pas l’existence ; toutefois, contrairement aux notions d’ascendant, de descendant ou d’ayant droit, celle de personne n’ayant aucun intérêt matériel au décès est juridiquement floue, et l’expression « ne peut avoir » – au lieu de « n’a pas » – risque de priver l’amendement de sa portée juridique.
M. Philippe Juvin (DR). La question de la traçabilité est fondamentale. Ne craignez-vous pas, monsieur le rapporteur, que l’absence de trace écrite suscite des contentieux ? Vous étiez auparavant directeur d’un établissement pour personnes âgées. Quand l’une d’elles entrait dans votre établissement, elle devait probablement signer un contrat ; cela ne retirait rien à la qualité de l’accompagnement, bien au contraire ; et, si cette personne n’était pas en mesure d’écrire, par exemple si elle était paralysée, vous trouviez probablement une solution. Je ne trouve pas vos arguments sérieux. Vous n’auriez que des intérêts à accepter une demande écrite.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Il me semble que la seule différence entre ces propositions et les directives anticipées, dont on nous a dit tout à l’heure qu’elles étaient impossibles, tient au délai entre la formulation de la demande et son exécution. La liberté nécessite de faire confiance ; or, loin de rassurer les personnes, ces formalités jetteraient la suspicion sur leur fin de vie.
M. Thibault Bazin (DR). L’alinéa 4 parle de « demande expresse » sans en préciser la forme. L’article 9, alinéa 3, prévoit de « vérifie[r] que la personne confirme qu’elle veut procéder à l’administration », sans dire non plus sous quelle forme. L’article 11, alinéa 2, prévoit que « chacun des actes mentionnés au présent chapitre est enregistré, par les professionnels concernés, dans un système d’information ». Exprimer sa volonté sera‑t‑il considéré comme un acte ? C’est une bonne question. L’article 12, alinéa 2, prévoit que « la décision du médecin se prononçant sur la demande d’aide à mourir ne peut être contestée que par la personne ayant formé cette demande » – personne qui sera morte si l’on est allé jusqu’au bout.
À aucun moment du colloque singulier entre la personne qui formule sa demande et celle qui l’instruit il n’est prévu de trace écrite : ni pour la demande, ni pour sa confirmation, et la seule personne susceptible de former un recours ne sera plus là. Ce n’est pas sécurisant pour les professionnels.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je remercie notre collègue Clouet pour ses observations de fond. Il faudra effectivement réécrire l’amendement en vue de la séance pour préciser certaines choses. Je crois évidemment au colloque singulier entre le patient et le médecin. Cependant, lorsqu’on opère une personne, on lui demande de signer un formulaire pour certifier qu’il a été informé sur le geste qui sera effectué et sur ses conséquences éventuelles. Cela a lieu tous les jours, dans tous les blocs opératoires. Je ne comprends pas que l’on refuse le consentement écrit pour un geste aussi définitif que la mort.
Mme Annie Vidal (EPR). La traçabilité du colloque singulier est importante. En toute logique, si la personne est apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée, elle est également capable de signer un document qui témoigne de cette demande.
M. Stéphane Delautrette (SOC). Chers collègues, vous anticipez les discussions que nous aurons sur les prochains articles – je ne parle pas pour vous, madame Vidal. Les propos de M. Bazin laissent croire qu’il n’aura pas lu le texte jusqu’au bout : la forme de la demande a été renvoyée à la voie réglementaire car, comme l’a montré la discussion autour de l’amendement de M. Isaac-Sibille, l’écrit n’est pas suffisant dans certaines situations particulières. C’est une difficulté qu’il faudra résoudre. Pour ce qui est du reste de la procédure, la réponse du médecin sera formalisée par écrit et le seul recours possible pourra être engagé par la personne qui a fait une demande d’aide à mourir au cas où celle-ci essuierait un refus.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Les patients en phase terminale ont un dossier médical dans lequel tout est consigné. Qui plus est, à l’alinéa 11 de l’article 9, il est précisé que : « Le professionnel de santé mentionné au premier alinéa du I du présent article dresse un compte rendu de la mise en œuvre des actes prévus aux I à III. » Ce n’est donc pas la peine de multiplier les papiers !
M. René Pilato (LFI-NFP). Monsieur Isaac-Sibille, est-il écrit précisément dans la loi que le médecin doit vous faire signer tel ou tel papier avant une opération ? L’amendement va trop loin.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS715 de M. Christophe Bentz
M. Christophe Bentz (RN). Nous souhaitons réserver l’administration de la substance létale aux médecins civils, du fait de la situation particulière des médecins militaires et surtout de leur rapport singulier à la mort.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendements AS948 de M. Philippe Juvin, AS130 de Mme Justine Gruet, amendements identiques AS56 de M. Patrick Hetzel et AS129 de Mme Justine Gruet, amendement AS965 de M. Philippe Juvin (discussion commune)
M. Philippe Juvin (DR). Mes amendements visent à préciser la procédure d’accès à l’aide à mourir. Tout d’abord, nous proposons que le médecin qui reçoit la demande soit inscrit sur une liste nationale de médecins volontaires disponible dans chaque agence régionale de santé, afin de sécuriser le professionnel comme le demandeur. Par ailleurs, nous ajoutons un alinéa au II : « 6° Propose à la personne de l’orienter vers une association de prévention du suicide. » C’est bien la première chose à faire quand quelqu’un vous fait part de sa volonté de mourir. Nous proposons également d’orienter le demandeur vers un assistant social qui figure sur une liste mise à disposition par l’agence régionale de santé. Ces listes permettront d’éviter toute errance d’un professionnel à l’autre.
Mme Justine Gruet (DR). Nous précisons que : « Le médecin qui souhaite rendre accessible l’aide à mourir aux patients en fin de vie s’inscrit auprès de la commission mentionnée à l’article L. 1111-12-13. » L’aide à mourir n’est pas une prestation médicale due au patient, contrairement à ce que pensent certains. Parce que les lois de société touchent souvent à l’intime de la nature humaine, il convient de trouver un juste équilibre entre des points de vue parfois opposés entre le patient et son médecin. Je m’interroge aussi sur la clause de conscience à application variable, qui peut être à l’origine d’une forme de pression : être favorable au principe ne doit pas imposer de le mettre en pratique pour tout le monde.
M. Patrick Hetzel (DR). L’établissement d’une liste permettrait en effet de s’assurer que les médecins concernés sont volontaires et de faciliter l’information des patients.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Une telle liste restreindrait l’accès au dispositif. La demande d’aide à mourir sera le plus souvent faite auprès du médecin traitant ou du spécialiste qui suit le patient ; or ceux-ci n’y seront pas forcément inscrits. Le médecin a toujours la possibilité d’invoquer sa clause de conscience.
Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS1123 de Mme Geneviève Darrieussecq
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). J’ai entendu vos observations concernant notre proposition d’une formalisation écrite. Il nous semble néanmoins important que la demande soit faite en présence d’un témoin. En effet, qui d’entre nous n’est jamais allé au chevet d’une personne qui lui a dit qu’elle était lasse de vivre ? En admettant que tous les critères soient réunis, faut-il considérer cette déclaration comme une demande expresse d’aide à mourir ?
M. Laurent Panifous, rapporteur. Que ce soit possible est une chose, que ce soit obligatoire en est une autre. La personne malade a le droit au secret médical et au respect de sa vie privée. Cette loi est une loi de liberté et d’autonomie.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS270 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). L’amendement vise à préciser que le médecin recevant la demande est soit le médecin traitant du malade, soit un médecin spécialiste de la pathologie concernée.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Une telle obligation créerait deux difficultés. Rappelons que plus de 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant. Et qu’en sera-t-il pour ceux dont le médecin traitant objectera la clause de conscience ?
Avis défavorable.
Mme Annie Vidal (EPR). La première difficulté n’en est pas une à mon sens. Un malade souffrant d’une pathologie grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé et dont les souffrances sont réfractaires à tout traitement est forcément suivi.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Résumons : ce n’est pas forcément le médecin traitant ni le spécialiste qui reçoit la demande ; celle-ci n’est pas écrite et peut se faire sans témoin. Cela laisse un peu songeur...
M. Philippe Juvin (DR). En effet ! Il n’y a pas forcément d’écrit, il n’y a pas forcément de témoin et le médecin ne connaît pas forcément le malade et peut venir d’on ne sait où. Imaginons que ma voisine vienne me voir pour bénéficier de l’aide à mourir. Nous nous voyons tous les deux ; rien n’est signé. Quelques semaines plus tard, je procède à l’acte. Certes, l’article 6 impose le recueil de l’avis d’un autre médecin, qui, soit dit en passant, ne verra pas forcément le malade. Imaginons donc que M. Valletoux me dise avoir vu Mme Colin-Oesterlé quarante-huit heures plus tôt, et qu’elle ne souhaitait pas alors recourir à l’aide à mourir : quelle preuve puis-je lui apporter ? Il n’y a aucune traçabilité. C’est très inquiétant.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas répondu à ma question. Est-ce qu’un malade en fin de vie qui dit à son médecin sa lassitude de vivre lui fait une demande expresse ?
Mme Justine Gruet (DR). Je vous trouve un peu sectaires. Vous n’acceptez aucune remarque ni aucun amendement. Vous semblez très suspicieux, alors que nous souhaitons seulement encadrer le dispositif. Le débat est éthique et sur un tel sujet sociétal, il exige de s’interroger. Nous voulons éviter tout remords, toute interrogation de l’environnement médical ou des proches, notamment quant à de possibles abus de faiblesse. Faut-il une trace écrite ? Faut-il un témoin ? Comment faire pour sécuriser le médecin dans l’exercice de ses fonctions ?
M. Laurent Panifous, rapporteur. Monsieur Isaac-Sibille, je fais confiance à la collégialité. On doit pouvoir faire cette demande seul avec son médecin. On ne doit pas être obligé d’avoir une personne à ses côtés, quelle qu’elle soit. Quant à l’expression d’une lassitude de vivre, non, elle ne suffit pas, puisque le professionnel de santé n’agit pas seul mais doit respecter une procédure collégiale au cours de laquelle sera examiné tout l’environnement dans lequel la requête a eu lieu.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Il y a deux choses que j’ai du mal à entendre.
Premier point : en quoi le fait que le médecin sollicité par le malade ne soit pas son médecin traitant le rendrait moins légitime ? Monsieur Juvin, un médecin ne vient pas d’on ne sait où : il est inscrit à l’Ordre des médecins, il a une déontologie professionnelle, il a des comptes à rendre et il s’inscrit dans un processus légal de traçabilité. Je fais confiance aux médecins.
Second point : la procédure ne peut pas se faire sans un médecin spécialisé dans la pathologie. Il faut lire le texte. Si le premier médecin sollicité n’est pas spécialiste, il a l’obligation de recueillir l’avis de deux autres professionnels de santé, dont un spécialiste. C’est écrit noir sur blanc à l’alinéa 6 de l’article 6. Si le spécialiste rejette la demande, l’avis sera défavorable.
M. René Pilato (LFI-NFP). Des personnes souffrent l’enfer et nous sommes en train de pinailler.
M. Hervé de Lépinau (RN). On a tout de même le droit d’évoquer les arrière‑pensées du texte...
M. René Pilato (LFI-NFP). Croyez-vous vraiment qu’on va demander l’aide à mourir par plaisir ? Vous sortez des alinéas de leur contexte sans tenir compte de l’ensemble de la proposition de loi. C’est fatigant. Lisez le texte dans sa globalité et argumentez comme il faut !
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Cette intolérance est insupportable ! On n’aurait pas lu le texte ? Retirez ce que vous venez de dire !
M. Philippe Vigier (Dem). La rédaction actuelle n’exclut ni le médecin traitant ni le spécialiste. Je suis contre le principe même de la liste : un médecin peut y être en avril et plus en mai ; il peut vouloir aider un patient et pas un autre.
Monsieur Juvin, la procédure est collective. C’est à l’article 6. Le médecin qui reçoit la demande instruit tout d’abord le dossier puis recueille l’avis d’un médecin qui remplit les conditions prévues ainsi que celui d’un auxiliaire médical. Cette notion de collégialité est incontestable.
Nous connaissons tous des gens qui nous ont fait part de leur envie de mourir. Mais entre l’entendre et estimer qu’ils remplissent les conditions de l’aide à mourir, il y a un fossé. Lorsqu’on aime son prochain, comme c’est le cas des soignants tels que M. Isaac-Sibille, on fait tout pour le soigner jusqu’au bout. Mais face à une impasse thérapeutique, un autre droit peut être proposé au malade.
Mme Camille Galliard-Minier (EPR). Pour prévenir tout abus de faiblesse, en plus de l’exigence de collégialité, il y a celle de réitération. Le texte apporte toutes les garanties indispensables.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). L’amendement complexifie la procédure, en élevant de nouveaux obstacles, pour les patients et les praticiens. D’abord, 6 millions de personnes n’ont pas de médecin traitant. Une partie de la population serait donc exclue du dispositif. Par ailleurs, que se passe-t-il si le médecin traitant ne souhaite pas pratiquer cet acte ? On crée une logique d’entrave, d’un côté ou de l’autre. Pire encore, cela va forcer la main au praticien, qui sait qu’il est le seul recours de la personne dont il est le médecin traitant, et instaure un délit d’entrave, bien loin du principe de liberté qui est au cœur du texte.
Évitons les procès d’intention. Un texte n’a pas d’arrière-pensée : c’est de l’encre et de la cellulose. S’il y a des arrière-pensées, elles sont de notre seul fait.
M. le président Frédéric Valletoux. Monsieur Pilato, je me suis battu pour que ce soit notre commission qui examine le texte. Nous comptons parmi nous de bons connaisseurs des sujets traités et nous travaillons avec un sérieux reconnu par l’Assemblée. Vous ne pouvez pas le remettre en cause ainsi, en prétextant que l’on n’aurait pas lu le texte. Nous l’avons tous lu, ainsi que les avis et autres recherches concernant le sujet. Préservons notre hauteur de vue.
M. Patrick Hetzel (DR). Monsieur le rapporteur général, vous avez fait l’éloge de la collégialité. Votre honnêteté intellectuelle vous fera toutefois reconnaître que le recueil de l’avis du second médecin peut se faire sans consultation physique du patient. Or une collégialité sans un contact physique minimal avec le patient n’en est pas une. Les termes sont une fois de plus travestis.
Mme Annie Vidal (EPR). Monsieur Clouet, vous avez parlé d’entrave à propos d’un médecin qui ferait valoir sa clause de conscience. Cela n’a pourtant rien à voir avec un délit d’entrave. Quel était le fond de votre pensée ?
M. Thibault Bazin (DR). Mon amendement ne remet pas en cause l’alinéa 4 mais le précise. Nous parlons de personnes atteintes d’une affection grave et incurable qui engage le pronostic vital en phase avancée ou terminale. Des médecins, des équipes pluridisciplinaires ont donc posé des diagnostics et il y a des personnes à même d’instruire la demande. Surtout, étant donné que pour accéder à l’aide à mourir la personne en fin de vie doit présenter des souffrances liées à cette affection, il est important d’avoir affaire à un médecin qui la suit. Pour déposer ces amendements auxquels nous avons réfléchi, nous avons forcément lu le texte. Dans l’intérêt du débat, je vous invite donc au respect, mes chers collègues.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS777 de M. Michel Lauzzana, AS915 de Mme Danielle Simonnet, amendements identiques AS480 de Mme Marie-Noëlle Battistel et AS900 de Mme Danielle Simonnet, amendement AS784 de Mme Sandrine Rousseau (discussion commune)
M. Michel Lauzzana (EPR). Dans la mesure où j’ai retiré mon amendement AS776 à l’article 4, par cohérence, je retire celui-ci.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Je vais défendre en même temps mes deux amendements.
Par l’amendement AS900, nous proposons que, lorsque la personne n’est pas en mesure de formuler ou de confirmer sa demande d’accéder à l’aide à mourir, sa volonté puisse être exprimée ou confirmée par l’intermédiaire de directives anticipées ou par la personne de confiance.
L’amendement AS915 est plus restrictif puisqu’il prévoit le recours aux directives anticipées ou à la personne de confiance dans le seul cas où le patient n’est pas en mesure de réitérer sa demande en pleine conscience – étant précisé que s’il exprime, même en l’absence d’un discernement plein et entier, ce qui peut s’apparenter à un refus, la procédure est immédiatement interrompue.
Lorsqu’on réfléchit à sa fin de vie, on doit pouvoir exprimer, dans ses directives anticipées, non seulement sa volonté de poursuivre, de limiter, d’arrêter ou de refuser des traitements, mais aussi celle d’avoir accès à l’aide à mourir, pour peu que l’on en remplisse les conditions, dont je rappelle qu’elles sont très restrictives.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Il est vrai que nous avons déjà débattu de la question des directives anticipées, mais mon amendement vise la situation spécifique dans laquelle le patient, après avoir exprimé une première fois sa volonté d’accéder à l’aide à mourir, se retrouve dans un état de mort cérébrale au cours de la procédure et ne peut donc réitérer sa demande.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Mon amendement étant très similaire à l’amendement AS900, brillamment défendu par Mme Simonnet, je m’en tiendrai à ses arguments.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je ne rappellerai pas nos arguments de fond : nous avons eu, aux articles 2 et 4, de longs débats sur les directives anticipées, lors desquels nous avons rejeté la possibilité de recourir à ce dispositif. Je vous invite donc à être cohérents et à retirer vos amendements. À défaut, j’y serais bien entendu défavorable.
M. Nicolas Turquois (Dem). Il importe de le redire, notamment pour tous ceux qui redoutent des abus ou des dérives : le fait que la demande doive être exprimée et réitérée en pleine conscience est le critère le plus important. Or il n’est pas compatible avec la logique des directives anticipées.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). La question est très délicate. Du reste, je déposerai, en séance publique, un amendement différent, qui traite des différents cas de figure qui peuvent se présenter.
Je souhaiterais que chacun se projette dans la situation où, se sachant atteint d’une maladie neurodégénérative, par exemple, on anticipe le moment – qui arrivera fatalement – où l’on perdra conscience et où l’on ne sera plus en mesure ni d’exprimer ni de ressentir quoi que ce soit. La personne qui se retrouve dans une telle situation peut estimer que, dans ces conditions, sa vie n’est plus véritablement humaine, n’a plus la même dignité, et choisir que cela s’arrête. Or, à ce moment-là, précisément, elle ne pourra plus exprimer sa volonté.
Si l’on ne tient pas compte de ce cas de figure, on forcera le patient à choisir de mettre fin à ses jours avant de parvenir à ce stade de la maladie. Une personne que je connais très bien se trouve dans cette situation ; elle veut vivre tant qu’elle peut avoir des échanges avec les autres, mais elle veut également avoir la liberté, lorsque ces échanges ne seront plus possibles, de mettre un terme à sa vie. Or elle ne pourra pas l’exprimer. C’est pourquoi il importe de tenir compte de la volonté qu’elle aura exprimée dans ses directives anticipées ou auprès d’une personne de confiance.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). On ne peut pas dire que le débat est le même qu’aux articles 2 et 4. En l’espèce, nous discutons du cas de figure précis où la personne a engagé le processus mais se trouve dans l’impossibilité de réitérer sa demande. Il me semble que cette question méritera un débat approfondi en séance publique.
M. Philippe Juvin (DR). Madame Simonnet, la question que vous soulevez est tout à fait légitime. Je comprends, bien entendu, que l’on veuille, tant que l’on est pleinement conscient, pouvoir décider par anticipation de ce qu’un jour, on ne pourra plus décider. Mais la demande de mort évolue : certaines personnes sont dans un état physiologique très altéré, que ni vous ni moi ne pensons pouvoir supporter – je pense au syndrome d’enfermement, qui a fait l’objet du livre Le Scaphandre et le Papillon –, et développent pourtant des projets de vie ! Nous souhaitons donc que jusqu’au dernier moment, on puisse dire : « J’ai changé d’avis ». Or, si l’on est inconscient, on ne le peut pas. C’est pourquoi nous nous opposons à vos amendements.
Par ailleurs, Mme Battistel a évoqué le cas d’une personne qui, parce qu’elle serait en état de mort cérébrale, ne pourrait réitérer sa demande. Mais la mort cérébrale, c’est la mort ! On ne peut pas euthanasier, si je puis dire, quelqu’un qui est déjà mort.
Mme Justine Gruet (DR). Mme Rousseau s’est interrogée tout à l’heure sur la différence entre une demande écrite et signée et des directives anticipées. Dans un cas, le consentement est exprimé de manière libre et éclairée par une personne consciente ; dans l’autre, la personne est, par définition, incapable d’exprimer son consentement.
Je peux comprendre que dans l’obstination à disposer de son corps en toute liberté, on souhaite que la volonté puisse être respectée. Mais s’il est impossible de réitérer la demande, on peut penser que le pronostic vital est engagé à court terme. Dans ce cas, il est possible de se référer aux directives anticipées dans lesquelles le patient refuse l’obstination déraisonnable et l’acharnement thérapeutique. La loi Claeys-Leonetti correspond donc à la situation évoquée.
M. Yannick Monnet (GDR). La loi ne peut pas couvrir toutes les situations. Si la demande ne peut pas être exprimée, on ne peut pas être certain que la personne souhaite mourir. Or, dans le doute, il faut s’abstenir.
Mme Annie Vidal (EPR). Nous discutons du cas où le patient se trouve dans l’impossibilité de réitérer sa demande, mais la plupart des amendements en discussion ont un champ d’application plus étendu puisqu’ils ont pour objet de permettre que « la demande [puisse] être formulée ou confirmée » par l’intermédiaire de directives anticipées.
M. Hervé de Lépinau (RN). Mme Simonnet a indiqué tout à l’heure que la personne dont l’état serait dégradé au point qu’elle ne serait plus consciente perdrait une partie de sa dignité. Je souhaiterais qu’elle nous explique ce qu’elle entend par là.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Chaque personne en fin de vie a une idée de ce qu’elle accepte ou non pour elle-même – cette appréciation peut d’ailleurs évoluer avec la maladie. Il y va de la liberté de chacun ; cela ne peut pas être défini dans un texte de loi. Or, pour certains, la vie perd de son sens, donc de sa dignité, si l’on ne peut plus communiquer avec autrui.
Lorsqu’on invoque la loi Claeys-Leonetti, je crains qu’il y ait un peu d’hypocrisie. On accepte qu’une tierce personne enclenche le processus du laisser mourir, au motif que le patient ne souffrira pas et que les choses iront très vite. Mais ce n’est pas toujours le cas. Ce qui est certain, c’est que le patient peut ne pas vouloir infliger à ses proches une agonie de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines. À cet égard, la sédation profonde et continue jusqu’au décès est différente du recours à une substance létale.
Je déposerai, en séance publique, un amendement plus clair sur l’article idoine qui prévoie qu’une tierce personne puisse exprimer la volonté du patient dans le cas où celui-ci a engagé le processus de l’aide à mourir mais perd conscience avant de pouvoir réitérer sa demande. Si c’est possible pour le laisser mourir, cela doit l’être également pour l’aide à mourir.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Si la loi ne permet pas qu’une personne de confiance exprime la volonté du patient quand celui-ci est dans l’impossibilité de réitérer sa demande d’aide à active à mourir, il risque de précipiter cette demande. Il y a là une contradiction avec votre volonté de prolonger le plus possible la vie dans un état de conscience, de présence au monde.
M. Patrick Hetzel (DR). Sous un aspect strictement juridique, le débat est assez troublant. En effet, notre droit protège toute personne qui perd son discernement, en fonction de son degré d’altération. Or, en l’espèce, on provoquerait sa mort, sans être certain que sa volonté de mourir est restée intacte. Cela marquerait une rupture dans notre droit. En tout cas, il y a, là aussi, une véritable contradiction.
M. Christophe Bentz (RN). Nos débats sont vifs, et c’est normal : nous avons tous, en la matière, des convictions chevillées au corps, et je respecte les vôtres, madame Simonnet. Vous avez expliqué que la dignité d’une personne en fin de vie pourrait être amoindrie ; nous avons, sur ce point, une divergence de fond, de nature éthique. Car nous considérons, quant à nous, que l’Homme ne peut pas perdre sa dignité d’être humain : il est digne du début à la fin de sa vie. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons à ce texte et à vos amendements.
Mme Camille Galliard-Minier (EPR). Les deux amendements de Mme Simonnet ont trait, pour l’un, à la formulation de la demande, pour l’autre, à sa confirmation. Or l’alinéa 4 de l’article 5 ne concerne que la formulation de la demande ; sa réitération sera abordée à l’alinéa 12. C’est donc lors de l’examen de cet alinéa que nous devrons avoir cette discussion.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Monsieur Hetzel, on peut perdre son discernement sans perdre conscience. Dans un cas, on n’est plus capable de comprendre une situation ; dans l’autre, on ne peut ni percevoir ni interagir – quand on est dans le coma, par exemple. La perte de discernement interrompt le processus. En revanche, nous devons nous interroger sur la situation dans laquelle le patient a perdu conscience. Nous devons lui permettre de conserver ce qu’il estime être sa dignité.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Peut-être devrons-nous avoir à nouveau cette discussion ultérieurement, mais elle n’a pas lieu d’être à l’article 5.
En tout état de cause, il y a quelques heures, notre commission s’est prononcée clairement sur la question des directives anticipées. J’espère que nous ferons preuve de cohérence en rejetant ces amendements, qui sont analogues à ceux que nous avons repoussés tout à l’heure.
M. le président Frédéric Valletoux. Madame Simonnet, maintenez-vous vos amendements ?
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Je vais retirer l’amendement AS915, qui aurait dû être déposé à l’alinéa 12 ou à l’alinéa 15.
Par ailleurs, je suis désolée, monsieur le rapporteur, mais, à chaque fois qu’il sera question de la démarche du patient dans le processus de l’aide à mourir, nous serons plusieurs à défendre des amendements visant à autoriser la prise en compte des directives anticipées ou de la parole de la personne de confiance. Peut-être finirons-nous par vous convaincre ou serai‑je convaincue par vos arguments – c’est l’un des intérêts des débats en commission.
L’amendement AS915 est retiré.
La commission rejette les amendements AS480 et AS900 puis l’amendement AS784.
Amendement AS621 de Mme Geneviève Darrieussecq
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). L’amendement est défendu.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS716 de M. Christophe Bentz
M. Christophe Bentz (RN). Nous proposons que la personne ne puisse pas confirmer sa demande d’aide à mourir lors d’une téléconsultation.
M. Laurent Panifous, rapporteur. L’an dernier, la commission spéciale avait adopté l’alinéa 5, qui vise à interdire la présentation d’une demande en téléconsultation. S’agissant de sa confirmation, je serai moins catégorique, dans la mesure où le médecin aura déjà vu la personne et aura pu la revoir lors de la notification de sa décision. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS273 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). Il me paraît important de préciser qu’une nouvelle demande ne pourra être présentée que si les conditions – âge, lieu de résidence ou aptitude à s’exprimer, par exemple – dans lesquelles la précédente demande a été effectuée ont notablement évolué.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Le texte précise déjà qu’une même personne ne peut présenter simultanément plusieurs demandes. Par ailleurs, seul le médecin pourra évaluer l’évolution de la situation. Votre amendement n’apporterait donc pas véritablement de valeur ajoutée au texte.
Avis défavorable.
M. Thibault Bazin (DR). Mon amendement vise les personnes dont la demande aurait été rejetée parce qu’elles ne remplissent pas les critères et qui réitéreraient leur demande quelques jours plus tard sans que leur situation ait évolué.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS907 de M. Thomas Ménagé
M. Théo Bernhardt (RN). L’amendement est défendu.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement AS378 de Mme Marine Hamelet.
Amendement AS60 de M. Patrick Hetzel
M. Patrick Hetzel (DR). L’amendement vise à préciser que le médecin doit consulter la personne de confiance, la famille et les proches avant de demander au patient s’il fait l’objet d’une mesure de protection juridique. Il s’agit, là encore, d’assurer sa protection juridique.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Je rappelle que le médecin a déjà accès au registre qui recense l’ensemble des mesures de protection. Cette mesure ne me semble donc pas utile.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement AS925 de Mme Christine Loir.
Amendement AS966 de M. Philippe Juvin
M. Philippe Juvin (DR). « Le médecin a accès au registre » ; soit. Encore faut‑il qu’il l’utilise. C’est pourquoi il convient de préciser qu’il doit vérifier les informations en consultant ce registre. Au demeurant, pourquoi le médecin doit-il demander à la personne si elle fait l’objet d’une mesure de protection dès lors que cette mesure n’a aucune incidence sur son accès à l’aide à mourir ?
M. Laurent Panifous, rapporteur. Pour en informer la personne qui exerce la mesure de protection, et en aucun cas pour trancher la question de son recours à l’aide à mourir : cette décision appartient à la personne concernée.
M. Philippe Juvin (DR). Il ne me semble pas que le texte précise que le médecin doit prévenir le tuteur ou le curateur.
M. Laurent Panifous, rapporteur. L’alinéa 9 de l’article 6 dispose que le médecin, « lorsque la personne fait l’objet d’une mesure de protection juridique avec assistance ou représentation relative à la personne, informe la personne chargée de la mesure de protection [...] »
S’agissant de l’amendement lui-même, la rédaction proposée me paraît plus explicite et plus équilibrée. Avis favorable, donc.
M. Yannick Monnet (GDR). Sur ce point, les auteurs du texte ont anticipé l’adoption d’un amendement reconnaissant le droit à l’aide à mourir aux personnes faisant l’objet d’une mesure de protection juridique.
M. Stéphane Delautrette (SOC). Comme l’a indiqué le rapporteur, la précision demandée par M. Juvin figure bien à l’alinéa 9 de l’article 6.
M. Thibault Bazin (DR). Lorsque la commission spéciale a examiné le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, le registre mentionné à l’alinéa 7 n’existait pas encore – et il me semble qu’il n’a toujours pas vu le jour. De fait, aux termes du II de l’article 18 de la loi du 8 avril 2024, les dispositions qui le créent doivent entrer en vigueur au plus tard le 31 décembre 2026. Avons-nous l’assurance qu’il sera créé avant la promulgation de la loi – si elle est adoptée ? Dans le cas contraire, je ne sais pas comment le médecin pourra vérifier si la personne fait l’objet d’une mesure de protection juridique.
Mme Annie Vidal (EPR). La loi « bien‑vieillir » prévoit l’instauration d’un registre national des mesures de protection ; il est en cours de constitution et verra bientôt le jour. Rappelons que sa création avait été confirmée par la commission mixte paritaire, grâce à la sagesse proverbiale des sénateurs.
La commission adopte l’amendement AS966.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS1125 de M. Laurent Panifous.
Amendement AS274 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). Conformément à mes amendements défendus précédemment, celui-ci vise à compléter l’alinéa 7 par la phrase suivante : « En cas de réponse positive, le médecin informe la personne qu’elle ne peut avoir accès à l’aide à mourir. »
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Conformément à mes avis sur vos précédents amendements, j’y suis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS512 de M. Yannick Monnet
M. Yannick Monnet (GDR). Cet amendement de précision vise à compléter l’alinéa 7 afin que les personnes sous protection juridique ou en situation de handicap reçoivent une information claire, adaptée à leur état et à leurs facultés de discernement.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Le principe s’appliquant aux majeurs protégés est celui de l’autonomie : le code de la santé publique prévoit qu’ils prennent seuls les décisions relatives à leur personne, dans la mesure où leur état le permet.
Le législateur n’a pas exclu les personnes protégées du droit de refuser un traitement ou d’accéder à une sédation profonde et continue jusqu’au décès ; il n’a pas non plus prévu l’autorisation obligatoire du juge des tutelles.
Le présent texte comporte des mesures spécifiques à leur égard, conformément aux garanties supplémentaires qui doivent être données aux personnes vulnérables d’après un arrêt de 2011 de la Cour européenne des droits de l’homme : la personne assurant la protection juridique est obligatoirement informée et le médecin tient compte de ses observations.
Chaque jour, partout en France, les médecins s’adaptent à leurs patients, qu’ils soient âgés ou très jeunes, francophones ou non, bénéficiant d’une protection juridique ou non ; cela relève de leur mission.
Demande de retrait de cet amendement, qui me semble superfétatoire.
M. Yannick Monnet (GDR). En matière de handicap, rien n’est superfétatoire. L’application de la loi Leonetti l’a montré : il est toujours bon de préciser les modalités concernant les personnes en situation de handicap.
M. Patrick Hetzel (DR). J’entends que des dispositions juridiques s’appliquent déjà, mais dans le contexte particulier qui nous occupe, il est nécessaire de prendre en considération la vulnérabilité des personnes en situation de handicap.
C’est pourquoi je suis favorable à cet amendement qui, sur une suggestion du Collectif Handicaps, propose une mesure très pertinente correspondant à leurs attentes.
M. Philippe Juvin (DR). Il me semble important de distinguer tutelle et curatelle : dans les situations les plus graves, le code de la santé publique prévoit que les patients décident eux-mêmes, à l’exception toutefois de ceux atteints de pathologies particulièrement lourdes et de ceux placés sous tutelle. Nous devons soutenir cet amendement : non seulement il correspond à notre rôle de protection, mais il est tout à fait logique et ne retire aucun droit.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS803 de Mme Marie-France Lorho
M. Christophe Bentz (RN). L’amendement est défendu.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS131 de Mme Justine Gruet
Mme Justine Gruet (DR). Cet amendement de repli vise à s’assurer de la consultation de la personne assistant ou représentant un patient demandant à recourir à une aide à mourir.
Selon le ministère de la justice, une personne est placée sous protection juridique lorsque des facteurs tels que la maladie, le handicap, l’accident, la sénilité ou la simplicité d’esprit altèrent ses capacités, la rendant incapable de défendre ses propres intérêts. Le juge peut alors décider d’une mesure de protection juridique pour permettre à un tiers de l’assister dans la gestion de ses affaires.
À la lumière de cette définition, il apparaît difficile de comprendre comment ce tiers pourrait préserver les intérêts matériels de cette personne sans être inclus dans la procédure de demande d’aide à mourir. Respecter l’autonomie du patient n’empêche pas de prévoir son accompagnement par le tiers chargé de sa protection juridique, afin notamment de limiter les risques d’abus de faiblesse.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Avis défavorable, puisque cet amendement est satisfait par l’alinéa 9 de l’article 6, qui prévoit que le médecin non seulement informe la personne chargée de la mesure de protection, mais tient compte de ses éventuelles observations.
M. Hervé de Lépinau (RN). Cet amendement soulève une question de fond : un tuteur ou un curateur a-t-il pour mission de participer à une décision létale ? Si tel était le cas, ceux qui accepteront ces responsabilités seront peu nombreux, parce que cela ne correspond pas à leur mission de protection juridique.
Dans le cadre de la commission spéciale, lors de ce débat, nous avions proposé de renvoyer au juge des tutelles cette décision, terrifiante pour nombre de curateurs ou de tuteurs, qui sont bien souvent des associations et non des personnes physiques.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Il ne s’agit pas de demander l’avis du tuteur ou du curateur, mais de l’informer et de recueillir ses observations éventuelles, afin que le médecin puisse en tenir compte ; aucune pression ne pèsera sur lui.
Dans le cadre d’une démarche collégiale, informer la personne en charge de la protection du patient et recueillir ses observations me semble être la moindre des choses.
M. Hervé de Lépinau (RN). Suivant cette logique, il faut prévoir la possibilité, pour le tuteur ou le curateur, de saisir le juge des tutelles, s’ils ont l’intime conviction que la décision létale n’est pas conforme aux intérêts de la personne placée sous leur protection et constitue un abus de faiblesse. Un contrôle du juge est indispensable ; or le texte ne le prévoit pas.
L’amendement est retiré.
La réunion s’achève à minuit.
Présents. – Mme Ségolène Amiot, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Eddy Casterman, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Stéphane Delautrette, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, Mme Mathilde Feld, Mme Sylvie Ferrer, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Camille Galliard-Minier, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Marine Hamelet, M. Patrick Hetzel, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Philippe Juvin, M. Michel Lauzzana, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, M. Hervé de Lépinau, Mme Pauline Levasseur, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, M. Pierre Meurin, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Sandrine Rousseau, Mme Danielle Simonnet, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier
Excusée. – Mme Béatrice Bellay
Assistaient également à la réunion. – M. Hadrien Clouet, M. Alexandre Portier