Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen de la proposition de loi visant à étendre l’aide médicale de l’État à Mayotte (n° 1239) (Mme Estelle Youssouffa, rapporteure) 2
– Examen de la proposition de loi visant à lutter contre la mortalité infantile (n° 1237) (M. Paul‑André Colombani, rapporteur) 21
– Présences en réunion.................................42
Mercredi
7 mai 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 82
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à neuf heures trente-cinq.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission examine la proposition de loi visant à étendre l’aide médicale de l’État à Mayotte (n° 1239) (Mme Estelle Youssouffa, rapporteure).
Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Française depuis 1841, Mayotte a obtenu de haute lutte et par le vote, en 2011, la départementalisation, marquant ainsi son ancrage dans la République. En vertu du régime de l’identité législative, le droit commun français doit s’appliquer dans l’archipel, sauf lorsque des adaptations sont nécessaires pour tenir compte des spécificités locales. Pourtant, c’est plutôt par immobilisme que Mayotte est tenue à l’écart de ce droit commun, et ce en dépit des besoins locaux.
À Mayotte, l’aide médicale de l’État (AME), qui organise la prise en charge des soins aux étrangers en situation irrégulière partout en France, n’est pas applicable. Une dérogation a été adoptée par ordonnance en 2012 pour exclure Mayotte de l’AME. Or notre département subit une pression migratoire extraordinaire, essentiellement en provenance des Comores : entre un tiers et la moitié des habitants de Mayotte sont des étrangers, le plus souvent en situation irrégulière. Mayotte est donc, paradoxalement, le territoire où l’AME serait le plus nécessaire.
L’AME n’a pas été créée pour des raisons philanthropiques mais parce qu’il est apparu indispensable, dans l’intérêt général, de garantir l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière. La raison en est triple : sanitaire, afin d’éviter la propagation d’épidémies ; financière, afin de solvabiliser une population en besoin de soins auprès de la médecine de ville, des officines et des laboratoires d’analyse ; et budgétaire, afin d’éviter des prises en charge beaucoup plus lourdes si les étrangers se présentaient à l’hôpital dans un état dégradé faute de soins.
Il n’y a donc aucune raison objective et rationnelle de ne pas appliquer ce dispositif à Mayotte. Ce que l’on cherche à éviter avec l’AME, c’est justement ce que les Français de Mayotte subissent au quotidien : les épidémies – l’île a été touchée par le choléra en 2024 –, la saturation de l’hôpital public et les surcoûts liés à des prises en charge lourdes.
À Mayotte, l’unique hôpital public fonctionne dans un état de crise permanent, parce qu’il est complètement engorgé par la prise en charge des étrangers en situation irrégulière. L’activité de l’hôpital se résume pour l’essentiel à la gestion des urgences et de plus de 10 000 accouchements par an, concernant à 75 % des femmes comoriennes. Au moins 40 % de l’activité de l’hôpital est consacrée à ces étrangers sans papiers, pour un coût annuel d’au moins 123 millions d’euros sur une dotation de 320 millions – sans compter le coût des médicaments distribués gratuitement ni celui de la protection maternelle et infantile liée à 80 % aux étrangères en situation irrégulière.
C’est un fait, Mayotte paye très cher le fait de ne pas avoir l’AME. Ce ne sont pas les étrangers en situation irrégulière qui en paient le prix – eux sont majoritairement pris en charge gratuitement à l’hôpital – mais les assurés sociaux français de Mayotte. Ils le paient même doublement, d’une part à travers leurs cotisations, qui financent la dotation de l’hôpital et dont 40 % sont utilisées pour soigner ces étrangers, et d’autre part par le sacrifice de leur santé.
L’engorgement de l’hôpital pour la prise en charge des étrangers sans papiers entraîne un effet d’éviction scandaleux pour les assurés sociaux. Pour dire les choses simplement, notre unique hôpital est devenu celui des étrangers ; pour nous, Mahoraises et Mahorais, quasiment rien. Notre hôpital étant saturé par des étrangers en situation irrégulière en très grande détresse médicale – personne ne le conteste – et les moyens investis dans la santé publique étant réduits, les assurés sociaux de Mayotte sont invités à se débrouiller par eux‑mêmes pour se soigner à leur frais. Totalement concentré sur les accouchements et les urgences, avec seulement dix blocs opératoires pour 450 000 habitants, notre seul hôpital n’a ni la place, ni les ressources humaines pour de la chirurgie programmée ou toute autre forme de soins spécialisés.
Le ministère de la santé a donc organisé une externalisation en règle de la santé des Mahorais à La Réunion et dans l’Hexagone : pour tout soin plus complexe qu’un accouchement ou une urgence vitale, nous devons accéder à une évacuation sanitaire (Evasan). Cela implique d’avoir suffisamment de chances de survie pour être sélectionné par un comité médical pour prendre une ambulance, puis un bateau, puis l’avion pour trois heures de vol jusqu’à La Réunion. Le nombre de places étant limité et les étrangers en situation irrégulière occupant 40 % des places des évacuations sanitaires en provenance de Mayotte, les familles mahoraises doivent se saigner aux quatre veines pour envoyer, sans assistance médicale et à leurs propres frais, un assuré social se faire soigner à l’extérieur. Voilà la réalité du phénomène d’éviction dans le plus désert de tous les déserts médicaux de France : la population la plus pauvre de France, à la plus faible espérance de vie, au plus mauvais état de santé, la plus éloignée de toute technologie médicale normale, qui cotise à la sécurité sociale, doit payer de sa poche pour aller se soigner au minimum à 1 420 kilomètres, voire 10 000 kilomètres quand il faut se rendre dans l’Hexagone.
Les Mahorais ne peuvent se faire soigner ni à l’hôpital, ni en ville. Il y a dans l’archipel, pour quelque 400 000 habitants, seulement une vingtaine d’équivalents temps plein pour les médecins généralistes libéraux, et une petite dizaine de spécialistes. Inciter un médecin à s’installer à Mayotte est une mission quasi impossible car il n’a aucune garantie d’avoir une file active solvable suffisante. Avec la moitié de la population en situation irrégulière et sans AME, la médecine de ville n’est pas solvabilisée et ne peut pas se développer à Mayotte, non plus que les officines et les cabinets d’infirmiers libéraux.
On aura beau prévoir des mesures incitatives, il n’y a aucune chance que cela change tant qu’on n’aura pas levé ce verrou. Il faut permettre aux étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire d’être pris en charge en ville. Pour cela, il nous faut l’AME. Tous les acteurs locaux s’accordent sur ce point, y compris le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS), dont j’ai publié une note en annexe de mon rapport.
Face à ce constat, que font les responsables politiques nationaux ? Que fait la haute administration ? Rien. Ils se bornent à répéter qu’il n’est pas possible de mettre en place l’AME à Mayotte, parce que cela créerait un appel d’air pour l’immigration clandestine. Or l’appel d’air est déjà là : 30 000 entrées irrégulières sont détectées chaque année. L’Union des Comores a mis en place une politique de colonisation de peuplement de Mayotte pour assurer sa revendication territoriale sur notre département. Les Comoriens ne viennent pas à Mayotte seulement pour se faire soigner ou aller à l’école, mais aussi et surtout pour accéder au droit du sol, parce que leur gouvernement les y encourage et leur dit qu’ils sont chez eux.
Le discours sur la pauvreté comme principal moteur de l’immigration comorienne a été battu en brèche par le passage du cyclone Chido, qui a épargné les Comores mais a totalement détruit Mayotte. Profitant de la destruction des radars, les Comores ont envoyé et continuent d’envoyer quotidiennement des migrants en masse sur notre île, alors que le système de santé, les écoles et l’économie de Mayotte ont été réduits à néant. Pourtant, la situation est inchangée aux Comores : ils ont de l’eau au robinet tous les jours, de l’électricité, des écoles, ainsi que des hôpitaux qui fonctionnent – certes de manière aléatoire mais la comparaison ne saurait être favorable à Mayotte. L’AME ne changera donc rien à des flux migratoires qui sont déjà massifs.
Le second argument du Gouvernement, c’est que les structures mahoraises – l’hôpital et la caisse de sécurité sociale de Mayotte – ne seraient pas capables d’absorber le déploiement de l’AME. Celui-ci impliquerait en effet la mise en place de la tarification à l’activité (T2A) à l’hôpital et l’affiliation d’un stock énorme d’étrangers, ce qui serait trop compliqué. Cet argument est inacceptable. Les hôpitaux de l’Hexagone sont tous passés à la T2A parce qu’on leur a laissé du temps et qu’on les a accompagnés. Pourquoi en irait-il autrement à Mayotte ? Il faut se fixer des objectifs et un calendrier, en se donnant les moyens d’y parvenir ; cela s’appelle une politique publique. C’est trop facile de dire qu’on n’y arrivera pas si on n’essaie pas.
Je n’ai toujours pas réussi à obtenir des administrations centrales ou de l’ARS une quelconque étude d’impact ou même de faisabilité sur la mise en place de l’AME à Mayotte. Personne ne travaille sur le sujet ; cela n’a même pas été envisagé.
Quelques jours après la visite du Président de la République à Mayotte, qui a estimé qu’il fallait accélérer le processus de convergence sociale, je constate que l’immobilisme est toujours de mise. Je ne peux que faire ce constat amer : les Français de Mayotte ne sont pas égaux en droits avec les Français de l’Hexagone. L’égalité d’accès aux soins est vide de sens dans notre département, et il y a une rupture d’égalité manifeste dans l’accès à la santé de vos compatriotes.
La représentation nationale ne peut pas accepter cette situation. Il faut agir, et il y a urgence. L’état de santé de nos concitoyens de Mayotte, qui était déjà très dégradé avant le passage du cyclone Chido, est désormais alarmant. Nous avons huit ans d’espérance de vie en moins que vous, des maladies chroniques, et des épidémies curables ici qui sont mortelles à Mayotte. Selon les médecins, la population vit dans un état d’anxiété et une souffrance psychique inédits. On voit se manifester à Mayotte tous les signes traumatiques consécutifs au passage du cyclone, dans un territoire en pleine désertification médicale. C’est pire qu’avant, alors que c’était déjà l’enfer médical.
Au fond, ma proposition de loi vise à faire en sorte que le droit commun, applicable partout ailleurs dans l’Hexagone et en outre-mer, s’applique enfin à Mayotte. La promesse républicaine nous y engage. L’AME permettra à l’hôpital de jouer son rôle et à la médecine de ville de se développer ; elle permettra que les Français assurés sociaux de Mayotte accèdent aux soins pour lesquels ils cotisent.
Je ne demande pas de traitement de faveur, ni de discrimination positive. Je demande simplement que l’AME joue dans ce département le rôle pour lequel elle a été créée en France. Je refuse absolument le phénomène de détresse médicale vécu par les Mahorais, leur calvaire quotidien pour accéder au droit fondamental qu’est l’accès à la santé.
Pour vous faire comprendre le sujet, j’ai lancé un appel à témoignages. Je vais vous en lire quelques-uns car je souhaite que résonne ici la voix de vos compatriotes de Mayotte, pour que vous compreniez ce que signifie de vivre dans le plus grand désert médical de France.
« Lors de la crise des urgences du centre hospitalier de Mayotte (CHM), un enfant de 2 ans est décédé des suites d’une erreur médicale évitable. L’enfant, souffrant d’une gastro-entérite aiguë, était dans un état de déshydratation critique nécessitant une réhydratation urgente et adaptée. Malheureusement, le médecin en charge était un médecin de la réserve sanitaire, sans formation ni compétence en pédiatrie. Il a alors administré par méconnaissance un produit de réhydratation totalement inapproprié pour les enfants et toxique. Dans ce contexte, ce traitement inadéquat a provoqué un arrêt cardiaque chez l’enfant, qui n’a pu être réanimé. L’événement indésirable a été officiellement signalé à la hiérarchie mais, à ce jour, aucune mesure correctrice structurelle n’a été mise en place. Malheureusement, ce drame n’est pas un cas isolé : la crise des urgences a causé dans l’ombre de nombreux préjudices graves, dont certains mortels. »
« Une patiente âgée d’environ 60 ans a été conduite aux urgences pour des symptômes évocateurs d’un accident vasculaire cérébral. Sur les recommandations les plus élémentaires, il lui fallait la réalisation en urgence d’une imagerie par résonance magnétique afin de confirmer ou d’écarter le diagnostic. Ce soir-là, le service des urgences fonctionnait en sous-effectif chronique, avec un personnel médical débordé, manquant de temps et de lits d’hospitalisation. Dans ce contexte, le médecin urgentiste, faute de ressources disponibles, a renvoyé la patiente à son domicile sans avoir pu effectuer les examens nécessaires. Deux jours plus tard, la fille a dû reconduire sa mère aux urgences, l’état neurologique s’étant aggravé, mais il était trop tard : la patiente présentait une paralysie complète de la moitié de son corps, conséquence irréversible du délai de prise en charge. Elle souffre aujourd’hui de séquelles lourdes nécessitant notamment l’installation et l’alimentation avec une poche dans son ventre reliée à son estomac. »
« Agression par une pierre qui a atteint mon œil gauche. Aucun acte médical au CHM à part un antidouleur car zéro spécialiste. Même pas droit à une chambre individuelle. Évacuation sanitaire quatre jours plus tard à La Réunion. Perte totale de la vue de l’œil gauche. »
« J’ai passé deux jours à jeun à attendre pour passer au bloc pour une intervention bénigne car je n’avais pas une urgence vitale. J’ai vu une femme accoucher par terre dans le couloir sans que personne ne s’en rende compte. J’ai entendu une soignante s’effondrer en disant qu’elle venait de voir une patiente en attente avec 7 de tension et 35 de température. Il pleuvait dans le couloir de l’hôpital. »
« Je connais quelqu’un d’une cinquantaine d’années à qui on a mis une sonde urinaire sans avoir eu de diagnostic. Sa famille a voulu l“évasaner”, c’est-à-dire l’envoyer se faire soigner hors du territoire, mais cela a été refusé. Au bout de presque six mois à attendre son évacuation sanitaire, après avoir fait pression auprès du préfet et demandé l’aide d’un député, ce patient a été envoyé à La Réunion et on lui a expliqué que le cancer avait eu le temps de se généraliser. Il est devenu tétraplégique et a fini par décéder. »
« Je suis Mahoraise, insérée, je travaille dans le service public de l’État, mon conjoint est enseignant et nous payons nos impôts. Pourtant, quand nous avons besoin de nous soigner et de soigner notre famille, nous sommes obligés de payer un billet d’avion et un Airbnb. C’est un véritable gouffre financier. Nous avons eu six ans de parcours de procréation médicalement assistée (PMA), plusieurs allers-retours et plusieurs locations Airbnb mais les règles d’Evasan sont complètement arbitraires : nous avons réussi à obtenir le remboursement de seulement deux séjours sur six. Actuellement, nous sommes en train d’anticiper l’accès aux soins en tant que futurs parents puisque nous avons réussi, Dieu merci, à aboutir dans notre projet de PMA. Nous serons obligés d’investir dans une résidence secondaire à La Réunion afin de faciliter nos futurs séjours médicaux.
« Je pourrais citer d’autres exemples de parents qui ont dû évasaner à leurs propres frais car ils n’ont pas pu faire confiance au système de santé mahorais. Je peux vous parler du cas de notre mère, qui a retrouvé une seconde jeunesse grâce au shikowa – un système de cotisation familiale – que nous avons mis en place avec mes frères et mes sœurs pour l’envoyer subir presque deux mois de soins médicaux à Toulouse. Elle a dû faire deux séjours médicaux ; le premier, en 2022, a duré trois mois. Pour ce séjour, nous avions un budget de base de 4 000 euros pour le seul billet d’avion. Pour les dépenses sur place, chacun des enfants a dû envoyer un peu d’argent pour lui permettre de vivre dignement et de poursuivre les soins. Puis, une fois à Mayotte, on a dû la faire repartir dans la même clinique car des complications sont apparues. Cette fois-ci, elle est restée six mois dans l’Hexagone à ses frais. Au total, nous avons atteint la barre de 10 000 euros alors que nous n’étions que trois enfants à pouvoir payer les soins de notre maman. »
Chers collègues, je tiens à votre disposition des dizaines de témoignages de Mahorais qui subissent dans leur chair la réalité du désert médical de Mayotte. Ils sont la raison d’être de cette proposition de loi.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Yoann Gillet (RN). Mayotte est confrontée à de nombreux défis majeurs, dont celui de l’immigration massive, qui fait imploser les services publics, la sécurité, l’éducation et, bien sûr, le système de santé. Oui, l’immigration pèse lourdement sur Mayotte et oui, elle coûte cher à l’État, aux Français et donc aux Mahorais.
Les Mahorais sont à bout. Nous comprenons votre ras-le-bol, madame la rapporteure et, au Rassemblement national, nous le partageons. Comme vous, nous aimons Mayotte et comme vous, nous refusons qu’elle soit submergée.
Toutefois, étendre l’aide médicale de l’État à Mayotte ne fera qu’aggraver la situation. L’AME n’est pas une réponse : c’est un appel d’air amplifié. Instaurer l’AME à Mayotte, c’est accepter la submersion migratoire. L’urgence n’est pas de prendre en charge les soins des clandestins alors que tant de Français n’ont pas cette chance, mais de stopper les arrivées de clandestins, de reprendre le contrôle de nos frontières et de procéder aux expulsions.
Pour sauver Mayotte, il faut du courage, celui d’en finir avec la complaisance migratoire, de tenir un discours de vérité et de ne pas avoir la main qui tremble à l’heure de prendre des décisions.
Madame la rapporteure, vous nous trouverez toujours aux côtés des Mahorais et c’est justement parce que nous voulons sauver Mayotte que nous voterons contre cette proposition de loi. C’est parce que nous voulons sauver la France que, au Rassemblement national, nous souhaitons supprimer l’aide médicale de l’État au profit d’une aide médicale d’urgence sur l’ensemble du territoire national.
Madame la rapporteure, nous avons entendu les témoignages que vous nous avez lus. Nous en recevons également de nombreux et nous partageons la douleur et la colère des Mahorais. Malheureusement, il n’y a qu’une seule solution pour sauver Mayotte : mettre des moyens pour stopper la submersion migratoire.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Notre devise, Liberté, Égalité, Fraternité, est loin de résonner dans le cent unième département français. Aide médicale de l’État, droit des étrangers, prestations sociales : rien ne justifie des règles dérogatoires. Pour ses détracteurs, rappelons que l’AME ne représente que 0,4 % des dépenses de santé du pays. Au-delà de son aspect humain, elle est une nécessité pour protéger l’ensemble de la population des maladies infectieuses.
Madame la rapporteure, nous voterons pour cette proposition de loi même si nous sommes en désaccord avec vos motivations. Le 27 avril, vous indiquiez dans une interview que la mise en place de l’AME à Mayotte permettrait de chiffrer le coût des soins offerts aux migrants et probablement de diminuer le panier de soins. Selon vous, les étrangers seraient la principale raison du manque d’accès aux soins dans l’archipel. Selon nous, c’est le manque d’investissement chronique de l’État dans les infrastructures qui pénalise le plus les Mahorais et les Mahoraises.
Mayotte ne compte que 260 médecins pour plus de 320 000 habitants, soit 81 médecins pour 100 000 personnes, contre 353 en moyenne en France hexagonale. Pour améliorer l’accès aux soins des Mahorais et des Mahoraises, vous auriez dû voter pour la régulation de l’installation des médecins examinée en séance le 2 avril dernier. Or vous vous êtes abstenue et Mme Bamana, du Rassemblement national, a voté contre.
Madame la rapporteure, vous souhaitez que Mayotte bénéficie du droit commun concernant l’AME, alors pourquoi vouloir instaurer un régime particulier pour le droit du sol ? L’extension de l’AME à Mayotte sera loin de résoudre le problème structurel d’accès aux soins de l’archipel. Le Président de la République a annoncé une augmentation du personnel de l’unique centre hospitalier de Mayotte, le CHM, qui est complètement saturé et ne peut répondre aux besoins de prise en charge. Les chambres sont triples pour accueillir tous les patients. Les travaux n’ont toujours pas débuté après les dégâts causés par Chido. Malgré les beaux mots, l’égalité réelle à Mayotte n’avance pas et Chido a aggravé les inégalités. L’État n’est pas à la hauteur de son devoir envers les Mahorais et les Mahorais.
M. Philippe Naillet (SOC). Je souhaite en premier lieu avoir une pensée renouvelée au nom de mon groupe pour les Mahoraises et les Mahorais qui subissent encore les répercussions violentes du cyclone Chido six mois après son passage. Le bilan humain et matériel de cette catastrophe a été aggravé par une situation très dégradée et un retard structurel important par rapport à l’Hexagone.
Le secteur sanitaire ne fait malheureusement pas exception, comme j’ai pu le constater en visitant le CHM il y a quelques jours. Ce département, français depuis 2011, constitue une exception au pacte républicain puisque l’AME ne s’y applique pas. Ce statut à part est à l’origine de préjudices considérables pour les personnes concernées – retards d’accès aux soins, reste à charge très élevé – et pour la population mahoraise, dont les services d’urgence sont engorgés.
Le premier désert médical de France se trouve à Mayotte, avec 83 médecins pour 100 000 habitants en 2022, contre 330 pour 100 000 habitants dans l’Hexagone. Contrairement à ce que certains prétendent, c’est le CHM qui en subit les conséquences puisque 50 % des séjours hospitaliers sont le fait de personnes non affiliées à la protection sociale, et même 90 % des consultations en protection maternelle et infantile.
Les promoteurs de cette exception au droit commun la justifient par la nécessité d’éviter toute forme d’appel d’air ; compte tenu des faits que je viens de rappeler, on voit que cela n’a pas de sens. De nombreux travaux concluent à la nécessité d’appliquer l’AME à Mayotte. Dans le rapport commandé par le Gouvernement dans le cadre des débats de la dernière loi « immigration », Patrick Stefanini décrivait le cas de Mayotte comme une sorte de laboratoire de ce qui se passerait en France si on supprimait l’AME ou si on réduisait de manière importante le panier de soins. Cette aide médicale d’urgence que réclament la droite et l’extrême droite, nous n’en voulons pas. Nous voterons donc pour l’extension de l’AME à Mayotte.
M. Fabien Di Filippo (DR). Madame la rapporteure, nous comprenons parfaitement votre volonté de trouver des solutions d’urgence compte tenu de la situation de l’île de Mayotte. Je voudrais malgré tout rappeler le contexte, avec d’un côté un budget de la sécurité sociale largement déficitaire, dont toutes les branches le seront structurellement à l’avenir, en particulier pour la santé, et de l’autre côté la situation migratoire de l’île, qui compte 50 % d’étrangers ou de clandestins.
Le budget de l’AME, sous-évalué dès l’origine, a dérivé année après année en même temps que l’immigration clandestine, dépassant le milliard d’euros. Le préalable à toute question sur l’AME, ce serait l’instauration d’une aide médicale d’urgence ne prenant plus en charge que les besoins de santé urgents et permettant de facturer tous les soins non urgents. Étendre l’AME à Mayotte ne fera pas apparaître comme par magie des médecins généralistes ou spécialistes. En outre, on constate, en métropole et ailleurs, que l’AME fait exploser et embolise le système hospitalier, notamment les urgences.
Avec un déficit structurel de toutes les branches et, cette année, un minimum de 22 milliards d’euros à trouver pour le budget de la sécurité sociale, il faut prendre le problème autrement. Instaurer l’AME, c’est-à-dire la prise en charge totale des soins pour les clandestins à Mayotte, enverrait un signal délétère au moment où il y a enfin une prise de conscience sur la dérive migratoire incontrôlable à l’œuvre depuis des années dans ce département.
Plutôt que de traiter les conséquences, il faudrait s’attaquer aux causes. Les difficultés de Mayotte tiennent certes au cyclone Chido, mais aussi à la submersion migratoire. Il convient d’empêcher, avec des moyens policiers et militaires plus importants, les arrivées et d’éloigner les illégaux. C’est seulement à ce prix que l’on commencera à retrouver dans toutes les dimensions du service public – la santé dont vous parlez, mais également l’éducation et bien d’autres domaines –un peu d’oxygène dans le département de Mayotte.
Mme Dominique Voynet (EcoS). L’AME représente 0,5 % des dépenses de santé. Elle procure aux étrangers en situation irrégulière pouvant justifier d’une résidence suffisante sur le territoire national un panier de soins limité. Un excellent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de 2017, dont vous n’avez pas cité les auteurs, madame la rapporteure, mais aussi des rapports plus récents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ont préconisé sa mise en place pour éviter les épidémies et la prise en charge coûteuse de personnes ayant renoncé aux soins.
Cela permettrait aussi une transparence des coûts. Vous nous avez dit que l’argent nécessaire venait des Français de Mayotte : ce n’est que très imparfaitement vrai. S’il est exact que la caisse de sécurité sociale de Mayotte contribue au financement du CHM, c’est aussi le cas des régimes d’assurance maladie de métropole, pour des sommes bien supérieures, ainsi que de l’ARS pour toutes les missions de santé publique. La transparence des coûts et le report d’une partie de l’activité du CHM vers des médecins libéraux, dont les décisions d’installation ou non ne sont pas seulement liées à cette mesure, sont tout à fait essentielles.
Notre groupe votera pour le déploiement de l’AME à Mayotte malgré la virulence, les inexactitudes et les biais de votre argumentation. Je plaide en outre pour que vous corrigiez les erreurs manifestes qui figurent dans le projet de rapport qui nous a été transmis hier soir. En effet, contrairement à ce que vous affirmez, ce n’est pas en 2020, sur la base d’une décision de l’ARS, que les accouchements sont devenus gratuits à Mayotte. Il s’agit simplement de mettre en œuvre l’article L. 6416-5 du code de la santé publique, qui dispose que « les frais concernant les mineurs et les soins visant à préserver la santé de l’enfant à naître sont pris en charge en totalité lorsque les ressources des personnes concernées sont inférieures » à un montant fixé par le représentant de l’État. Vous conviendrez avec moi que cette disposition existe depuis 2012 et n’a rien à voir avec la création de l’ARS.
M. Philippe Vigier (Dem). Madame la rapporteure, vous connaissez mon engagement constant pour Mayotte. J’entends votre message concernant l’AME mais il me paraît plus important encore d’adopter la future loi de programmation pour la refondation de Mayotte. Celle-ci aura quatre piliers : la convergence des droits sociaux – Mayotte est en effet le seul territoire français qui n’en bénéficie pas ; l’immigration – la moitié de la population est en situation irrégulière ; les infrastructures dont Mayotte doit pouvoir bénéficier – hôpitaux, routes, écoles, universités ; et enfin l’évolution statutaire – la collectivité a fait plus de 180 propositions afin d’être traitée comme tous les départements français.
J’entends que nombre de Mahoraises et de Mahorais ont recours à des évacuations sanitaires vers La Réunion parce qu’ils ne sont pas pris en charge par le CHM. Le 8 décembre 2023, avec la Première ministre, nous avons confirmé la construction d’un deuxième hôpital à Mayotte, attendu depuis plus de dix ans – cela permet de mesurer l’ampleur du retard existant dans ce territoire.
Généraliser l’AME à Mayotte provoquera un appel d’air mais n’apportera pas de véritable solution. Nous connaissons les obstacles, à commencer par le nombre de médecins – ils sont 49 pour 100 000 habitants, et non quelque 80 comme certains l’ont indiqué. Oui, Mayotte est le plus grand désert médical de France. À défaut d’une loi puissante, financée et pluriannuelle sur les quatre points que j’ai évoqués, il n’y aura pas de solution – le drame de l’eau en est l’illustration.
Vous avez raison de souligner la situation sanitaire, mais les dispositifs de droit commun existent. Un enfant ou une femme enceinte présentant un véritable problème ou souffrant d’une maladie grave sont pris en charge dans ce cadre. C’est insuffisant, je vous l’accorde, même si les crédits de l’hôpital ont augmenté de plus de 70 millions d’euros depuis 2019.
À ce stade, étendre l’AME à Mayotte n’est pas la bonne réponse. En revanche, la nécessité d’apporter une solution nous engage collectivement : lorsque le projet de loi pour la refondation de Mayotte sera examiné, j’espère que l’unanimité sera au rendez-vous pour répondre aux attentes légitimes des Mahoraises et des Mahorais.
M. François Gernigon (HOR). Le groupe Horizons & Indépendants est attaché, pour des raisons tant sanitaires que morales, au principe de l’accès aux soins pour toute personne présente sur le territoire, quelle que soit sa situation administrative.
Nous ne pouvons ignorer la réalité dramatique de Mayotte : la densité démographique la plus forte de France – à l’exception de l’Île-de-France – et une population composée pour moitié d’étrangers, dont une part significative vit en situation irrégulière, le tout conjugué à un déficit sanitaire criant puisque l’on y compte seulement 89 médecins pour 100 000 habitants, contre 338 en métropole. Une telle situation impose une approche pragmatique.
L’offre de soins à Mayotte est concentrée presque exclusivement sur l’hôpital de Mamoudzou, qui est saturé et sera incapable d’absorber davantage de demandes sans investissements structurels majeurs. Dans ce contexte, une extension immédiate de l’AME constituerait, hélas, une promesse politique irréaliste. Notre groupe estime indispensable de mener, au préalable, une réforme globale de l’AME en France, conformément aux préconisations du rapport de Claude Évin et Patrick Stefanini.
Les priorités doivent être clairement établies : l’urgence absolue est d’améliorer radicalement la situation sanitaire de l’archipel. Les annonces du ministre des outre-mer, ainsi que le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, contribueront à la corriger progressivement.
Si l’objectif est, à moyen terme, de faire converger l’offre de soins à Mayotte avec celle de l’Hexagone, la situation de l’archipel est profondément différente de celle du reste du pays et nécessite, en l’état, un droit adapté aux circonstances locales. Par conséquent, si l’application de l’AME est souhaitable à terme, elle ne constitue pour l’instant qu’une promesse purement politique, qui n’améliorera en rien la santé des habitants ni l’offre de soins sur place.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). L’instauration de l’AME en France répondait à un impératif humanitaire et éthique : protéger la santé individuelle et collective de toute la population résidant en France. À ce titre, l’exclusion de Mayotte du dispositif est une anomalie qui limite le recours aux soins des personnes sans affiliation sociale, les éloigne de la médecine de ville et conduit à concentrer les soins à l’hôpital public, déjà sous pression, au détriment de l’ensemble de la population.
Sur le plan budgétaire, l’extension de l’AME à Mayotte pourrait aussi constituer une mesure rationnelle et efficiente : le CHM reçoit actuellement une dotation de 321 millions d’euros, dont 123 sont consacrés à la prise en charge de personnes hors de toute couverture sociale ou mécanisme de compensation. Étendre l’AME, c’est donc rendre ce financement davantage prévisible et transparent, constat d’ailleurs partagé par Mme Anchya Bamana, députée mahoraise du Rassemblement national.
Enfin, l’idée selon laquelle l’AME produirait un appel d’air migratoire est démentie par le simple fait que Mayotte est déjà le département français le plus touché par l’immigration irrégulière alors même que l’AME n’y est pas appliquée. Les études démontrent d’ailleurs que la santé est rarement un facteur déclenchant de la migration – elle représente seulement 10 % des cas – et que la moitié des personnes éligibles au dispositif ne le sollicitent pas.
Notre groupe a conscience que l’extension de l’AME à Mayotte doit s’inscrire dans une réforme plus globale afin de développer l’accès aux soins sur l’île, réforme d’autant plus urgente qu’elle s’adresse à la population qui réside dans le plus grand désert médical de France. D’ici là, la convergence sociale des droits promise à Mayotte depuis sa départementalisation passe par l’extension de l’AME, dans un objectif d’égalité d’accès aux soins : nous ne pouvons prétendre reconstruire Mayotte sans lui accorder les mêmes outils que partout ailleurs.
M. Olivier Fayssat (UDR). Il n’est pas question de contester le caractère insupportable et inadmissible de la situation à Mayotte, ni de nier la détresse des Mahorais. Nous sommes cependant convaincus que, comme en métropole, les intérêts des Mahorais seront mieux défendus avec une politique migratoire stricte, incluant des expulsions, et un plus large investissement dans les infrastructures de santé. Si l’expression de « submersion migratoire » en irrite certains, elle signifie simplement que l’on a à faire face à des volumes que l’on ne sait pas gérer, ce qui est clairement le cas à Mayotte. C’est pourquoi nous nous opposerons à une mesure qui constituerait une forme de pompe aspirante et ne nous mènerait pas dans la bonne direction.
Mme Marie Lebec (EPR). Comme les autres enjeux auxquels le département de Mayotte est confronté, la sécurité sanitaire des Mahorais mérite toute notre attention et personne ne conteste la nécessité d’agir. Toutefois, l’extension de l’AME à Mayotte, telle que proposée, soulève plusieurs interrogations quant à sa pertinence et à sa faisabilité au vu du contexte local.
Le problème posé n’est pas tant celui de l’AME que celui du sous-financement structurel du CHM. Cet établissement, qui assume à lui seul 72 % de l’offre de soins dans l’île, fonctionne avec une dotation de 240 millions d’euros, dont près de 100 millions sont consacrés aux soins des personnes non assurées. Une telle situation plaide en faveur d’un véritable plan d’investissement, qui dépasse le simple élargissement des droits. Il est indiqué, dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, que l’AME permettrait de désengorger l’hôpital, en réorientant les patients vers la médecine de ville. Cela semble difficilement réalisable compte tenu du nombre restreint de médecins libéraux présents dans l’île : une quarantaine, pour une population de 270 000 habitants. Dans ce contexte, il paraît risqué d’ouvrir un droit nouveau sans s’assurer au préalable que les capacités d’accueil seront suffisantes. Nous risquerions de nourrir la frustration et d’aggraver la défiance à l’égard de la parole publique.
Il est essentiel de tenir compte des dynamiques démographiques et sociales propres à Mayotte. L’île connaît une densité élevée et une croissance rapide de sa population, qui reste d’ailleurs difficile à recenser. Ces facteurs exercent une pression considérable sur les services publics et les dispositifs de solidarité. Toute réforme sociale, aussi légitime soit elle, doit donc être pensée à l’aune de cette réalité, dans un souci de progressivité, d’encadrement et de cohérence territoriale. Le Président de la République, qui s’est rendu dernièrement à Mayotte, a fixé une feuille de route claire sur la convergence progressive des droits sociaux qui sera amorcée dès 2026, en respectant des étapes structurées et sans opérer de bascule brutale. C’est cette logique de responsabilité et de construction dans le temps que nous voulons appliquer.
Si nous ne remettons pas en cause la nécessité d’améliorer l’accès aux soins à Mayotte pour l’ensemble des Mahorais, nous considérons que cela doit se faire dans un cadre cohérent, durable et soutenable. En l’état, la proposition de loi ne répond pas à ces critères. C’est pourquoi nous émettons des réserves et ne voterons pas en sa faveur.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Joëlle Mélin (RN). Vous savez l’affection particulière que je porte à Mayotte et aux Mahorais. Toutefois, nous ne partageons pas les objectifs de la proposition de loi. D’abord, il existe déjà un dispositif d’AME pour Mayotte, un petit crédit de 1 million d’euros destiné à prendre en charge les évacuations sanitaires depuis l’île vers La Réunion et d’autres hôpitaux – y compris les îles du Vanuatu.
Ensuite, les Comoriens ont mis en place un vaste système de migration, directement depuis les Comores mais aussi depuis la région des Grands Lacs, avec une filière qui passe par la Tanzanie et opère un double transfert. Nous souscrivons bien volontiers à votre objectif de désengorger le centre hospitalier de Mamoudzou, mais l’état de santé des futures parturientes et des personnes en provenance des Grands Lacs, notamment des grands brûlés, est difficile à prendre en charge en ville, d’autant plus dans le contexte de manque de soignants libéraux.
Certes, pour garantir une meilleure lisibilité financière et une plus grande maîtrise des coûts, on peut se tourner vers les conventions internationales, mais aucune n’a été signée avec les pays dont sont originaires les personnes qui sollicitent des soins. Si c’était le cas, il n’y aurait pas plus de compensation d’ailleurs, puisque ces pays n’ont pas un système de protection de santé suffisant pour prendre en charge la totalité des coûts.
C’est vrai, on peut considérer que l’AME constitue un pare-feu face au risque infectieux. Néanmoins, le véritable pare-feu, c’est l’arrêt total de l’immigration irrégulière et de l’activité des passeurs, qui est particulièrement importante dans votre région.
Pour toutes ces raisons, nous ne vous suivrons pas sur cette proposition de loi.
M. Laurent Panifous (LIOT). J’ai écouté attentivement les déclarations des groupes opposés à l’extension de l’AME à Mayotte. Pourtant, l’objet du texte présenté par Estelle Youssouffa n’est que de faire en sorte que les Mahorais soient considérés comme tous les autres Français. Ce n’est qu’une question de moyens financiers.
J’ai entendu deux arguments assez extraordinaires. Le premier est qu’étendre l’AME à Mayotte serait inopérant, dans la mesure où les médecins n’y sont pas suffisamment nombreux – quatre fois moins que la moyenne nationale. Quel argument ! La présence des médecins dépend de l’attractivité des territoires. Pour rendre le département de Mayotte plus attractif, il faut lui accorder avant tout des moyens financiers, afin d’améliorer les conditions de travail.
Le second argument a trait au déficit de la sécurité sociale : pourtant, l’AME ne représente qu’environ 0,4 % du budget de l’État ! Comment dire cela, alors qu’il est question de la santé des Mahoraises et des Mahorais, c’est-à-dire des habitants d’un département français ?
Tout cela n’est qu’une question de moyens, et le seul objectif de ce texte est d’accorder aux Mahorais les mêmes droits qu’aux Parisiens.
M. Jean-Philippe Nilor (LFI-NFP). Je ne suis pas souvent d’accord avec Estelle Youssouffa, mais je soutiens avec force, détermination et motivation sa proposition de loi.
Il y a une contradiction : le département qui aurait le plus besoin de l’AME en est privé. Beaucoup remettent en cause la pertinence du dispositif à l’échelon national, mais il n’empêche que le fait que Mayotte en soit exclue entraîne des effets particulièrement négatifs, non seulement sur la santé des Comoriens – certains peuvent s’en moquer – mais également sur celle des Mahorais. Les arguties présentées par les opposants au texte, qui n’a qu’une visée de justice sociale, relèvent de l’hypocrisie pure et dure. Pour reprendre les mots qu’Aimé Césaire a prononcés dans l’hémicycle il y a soixante ans, Mayotte est-elle française à part entière ou entièrement à part ? Cette question reste d’actualité et c’est triste pour la France.
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Je voudrais savoir, madame la rapporteure, si vous avez obtenu, lors des auditions préparatoires, des estimations de la direction de la sécurité sociale pour évaluer la mesure que vous envisagez.
Mme la rapporteure. Non, monsieur le rapporteur général, aucune étude d’impact ni de faisabilité ne nous a été transmise lors des auditions.
Ce qui m’amène directement aux propos de Mme Voynet, dont je rappelle qu’elle a été directrice de l’ARS Mayotte. Madame, vous avez évoqué un rapport de l’Igas de 2017. J’aurais adoré l’inclure dans les contributions, mais il ne m’a malheureusement pas été transmis. Si un rapport de l’Igas sur la santé à Mayotte n’a pas été porté à la connaissance du public, ni même de la représentation nationale, et que vous en disposez, je serai ravie de l’ajouter aux éléments qui alimenteront notre réflexion afin d’améliorer la politique de santé dans notre département.
Vous avez précisé que la gratuité des accouchements à Mayotte a été instaurée en 2012. J’en prends note, mais je ne peux que me référer aux informations qui m’ont été communiquées par votre successeur à la tête de l’ARS Mayotte, M. Albarello, selon lesquelles celle-ci a été mise en place en 2020. Ce n’est d’ailleurs pas la seule incohérence du ministère de la santé ni la seule information complètement fantaisiste qui nous ait été transmise. Ainsi, les chiffres communiqués par l’ARS Mayotte concernant le nombre de patients qui font l’objet d’une évacuation sanitaire pour être soignés à La Réunion divergent de ceux de l’ARS La Réunion. Y a-t-il évaporation ou multiplication des patients, je l’ignore, mais les agences n’arrivent même pas à se mettre d’accord sur ce chiffre. N’hésitez pas à nous transmettre vos informations, madame Voynet : elles seront précieuses pour notre travail et il est encore temps de mettre à jour notre rapport, d’ici à vendredi. À défaut, nous nous satisferons de la parole de l’État et des informations qui nous ont été transmises officiellement.
Je précise qu’à Mayotte, tous les partis politiques sont favorables à la mesure que je propose – à part peut-être le groupe Horizons & Indépendants, qui n’a pas de représentants sur place. Le MoDem, les LR par la voix de Mansour Kamardine, le Rassemblement national par celle d’Anchya Bamana, qui a également travaillé à l’ARS, le groupe Ensemble pour la République, dont l’ancienne députée de Mayotte, Ramlati Ali, a témoigné auprès de cette commission, les Insoumis, les socialistes, tous réclament l’AME. Je suis donc, non pas surprise, mais consternée de constater que les 10 000 kilomètres qui nous séparent éloignent aussi les visions de la réalité de la situation sanitaire à Mayotte.
Le sujet n’est pas tant la santé des étrangers à Mayotte, puisqu’ils y sont soignés, que le fait qu’ils le soient aux frais des cotisants mahorais, c’est-à-dire de vos compatriotes assurés sociaux. Cela produit un phénomène d’éviction qui ne peut attendre l’aboutissement des projets fantaisistes de l’État, les énièmes promesses de construire un deuxième hôpital, l’hypothétique garantie d’une égalité sociale qui ne vient pas – alors que le département de Mayotte est français depuis 1841. On ne répond pas à un patient atteint d’un cancer qu’on est en train de réfléchir à l’égalité sociale, ni à ceux qui se cotisent pour financer le billet d’avion qui va emmener quelqu’un se faire opérer ailleurs qu’on est en train de tracer un chemin vers la convergence sociale. Pourtant, c’est cela que vous me répondez ! Vos compatriotes à Mayotte ont huit ans de moins d’espérance de vie et un état de santé catastrophique, indigne de notre pays, et votre réponse est que vous réfléchissez !
Enfin, vous soulignez, madame Voynet, que la caisse de sécurité sociale de Mayotte ne contribue qu’en partie au financement du CHM, le reste étant pris en charge par la Caisse nationale de l’assurance maladie... On est vraiment dans la différenciation maximale ! Faut-il vraiment rappeler au territoire le plus pauvre que la solidarité nationale joue ? C’est pourtant l’un des principes de la République ! C’est formidable, d’entendre cela d’une ancienne directrice de l’ARS. Sous-entendez-vous que Mayotte doit recevoir au prorata de sa contribution, que notre petit niveau de vie nous condamne à avoir un tout petit hôpital ? J’ai dû mal comprendre. J’espère que le compte rendu sera très précis sur ce point. Je n’ai jamais entendu parler, dans l’Hexagone, de minimiser les dépenses de santé pour un territoire en fonction de la contribution de ses habitants. Il y a un pacte républicain pour l’accès à la santé, et Mayotte en est exclue. (Exclamations.) Pardon, mais j’ai beaucoup de mal à apaiser les débats lorsqu’il s’agit de la vie humaine de vos compatriotes. Je ne suis pas capable de tout entendre sur ce plan.
M. le président Frédéric Valletoux. Revenons au calme et restons-en à l’extension de l’AME à Mayotte.
Mme la rapporteure. Pour répondre sur un autre point, je n’ai aucune difficulté à réaffirmer ici que j’attends de l’État qu’il prenne ses responsabilités et qu’il protège Mayotte et nos frontières. Mais en attendant, que faisons-nous ? L’important, c’est l’accès à la santé de vos compatriotes, qui, bien qu’ils soient des assurés sociaux, doivent payer de leur poche leur billet d’avion pour se faire soigner à l’extérieur. Le territoire de Mayotte est celui qui connaît la plus grave crise migratoire et il est exclu de l’AME, qui est justement le dispositif national censé répondre à la question migratoire.
Le sujet n’est pas de savoir si l’AME est un dispositif pertinent ou non : puisqu’il existe, je ne vois pas pourquoi Mayotte en serait exclue. Ceux qui ici sont des adversaires de l’AME ne peuvent pas en tirer argument pour s’opposer à son extension à Mayotte, sachant qu’elle n’a été suspendue nulle part ailleurs. Ils ne peuvent pas continuer à déplorer les conséquences de la situation et à ne rien faire.
De même, la dépense en matière de santé publique pour les Mahoraises et les Mahorais est inférieure à celle constatée dans l’Hexagone ou dans les autres territoires ultramarins. Il y a une inégalité dans l’accès à la santé : là encore, on constate, mais on ne fait rien.
Pour construire une politique publique, il faut des éléments chiffrés. Les éléments fantaisistes et divers qui ont été évoqués, selon les intervenants, concernant le nombre de médecins par habitant à Mayotte devraient vous interpeller. On compte 43 médecins de ville à Mayotte pour, non pas 320 000 habitants comme l’indique l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), mais 450 000 au bas mot – le Premier ministre, le Chef de l’État et tous les élus locaux eux-mêmes ont repris ce chiffre. Et même en se fondant sur le nombre de 320 000 habitants, le nombre de médecins par habitant serait à Mayotte bien en deçà de la moyenne nationale.
Notre département est le plus grand désert médical. Il connaît une situation sanitaire catastrophique, la propagation d’épidémies éradiquées ailleurs, des pathologies qui tuent alors qu’on peut en guérir dans l’Hexagone. L’accès aux soins y est très difficile, mais la haute administration ne produit aucune étude d’impact ni de faisabilité concernant la convergence sociale et l’AME. Dernier rappel à ce propos, la convergence sociale, ce n’est pas seulement l’accession aux prestations sociales : l’AME en fait aussi partie.
Article 1er : Étendre l’application de l’aide médicale de l’État à Mayotte
Amendement de suppression AS6 de M. Yoann Gillet
M. Yoann Gillet (RN). Je comprends vos arguments, madame la rapporteure, ainsi que votre ras-le-bol. Toutefois, étendre l’AME à Mayotte constituerait une erreur grave et lourde de conséquences, qui ne résoudrait aucunement le problème du système de santé et ne garantirait pas aux Mahorais un meilleur accès aux soins. La seule solution pour que les Mahorais puissent avoir accès à ce qu’ils appellent « l’hôpital des étrangers » est d’appliquer une politique migratoire stricte.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres : près de la moitié de la population mahoraise est étrangère ; plus d’un habitant sur deux n’est pas né à Mayotte ; 51 % des naissances concernent des mères en situation irrégulière. Instaurer l’AME à Mayotte, ce serait institutionnaliser la clandestinité et admettre que l’on peut se rendre sur le territoire national sans avoir l’accord de la France. Pour protéger les Mahorais, nous proposons donc purement et simplement de supprimer l’article 1er, comme nous souhaitons d’ailleurs supprimer l’AME dans l’ensemble du territoire national. Nous proposons d’instituer à la place une aide médicale d’urgence, qui s’applique à tout le territoire, y compris évidemment à Mayotte – puisque, contrairement à beaucoup ici, nous ne faisons pas de différence entre les territoires français.
Mme la rapporteure. Vous voulez supprimer l’article 1er, autrement dit supprimer ma proposition de loi. Vous rejetez l’idée d’étendre l’AME à Mayotte parce que vous souscrivez à la théorie selon laquelle elle constituerait un appel d’air migratoire, ce à quoi personne ne croit dans l’archipel, quelle que soit son appartenance politique. En effet, nous avons devant les yeux la réalité de l’immigration illégale, que vous et moi dénonçons. : nous savons qu’elle résulte essentiellement d’une politique de colonisation et de peuplement voulue par l’Union des Comores, qui instrumentalise les flux migratoires pour marquer sa revendication de souveraineté sur Mayotte.
Certains pensent que, afin de freiner le flux des migrants qui viennent se soigner à Mayotte, il faudrait aider les Comores à développer leur propre offre médicale. Je leur rappelle que la Chine a construit un hôpital à Bambao. Cet hôpital flambant neuf et livré avec tout son matériel est devenu l’annexe des chèvres et des zébus, laissé complètement à l’abandon par les autorités comoriennes. Paradis de la mauvaise gouvernance et de la corruption, les Comores ont décidé de sous-traiter leur santé à Mayotte. C’est la réalité. Le problème est que cette sous‑traitance se fait aux frais de l’assuré social mahorais, c’est-à-dire aux frais du contribuable français. Pour ceux que cela préoccuperait, les étrangers n’ont aucun problème d’accès à la santé. En revanche, les assurés sociaux mahorais, eux, n’y ont plus accès, parce que le nombre de lits et de médecins est limité et que tout est déjà au maximum. Comme cela a été souligné lors des auditions, l’élargissement de l’AME à Mayotte n’aurait aucun impact, sinon marginal, sur les flux, qui sont déjà massifs – et qui invitent effectivement à protéger davantage la frontière.
Il faut bien réaliser qu’à Mayotte, il y a des kwassa-kwassa sanitaires. Cela se passe ainsi : les hôpitaux de Moroni et de Domoni, aux Comores, envoient un petit fax à l’hôpital de Mayotte, disant qu’un bateau clandestin arrivera sur telle plage, merci d’envoyer votre seul hélicoptère médical ou l’une de vos quelques ambulances pour prendre en charge les patients, voici leurs dossiers ! Nous sommes déjà le pire désert médical de France et nous devons prendre soin de patients étrangers, qui arrivent dans une détresse médicale que personne ne conteste par ailleurs. Mais comprenez que les assurés sociaux mahorais vivent dans leur chair le choix opéré, par défaut, par la puissance publique. Il faut que tout le monde assume le fait que la dotation globale de l’hôpital de Mayotte est ponctionnée à 40 % pour garantir la santé des étrangers en situation irrégulière. L’instauration de l’AME permettrait donc d’augmenter mécaniquement d’autant le budget dédié à la santé des Mahorais – car j’ai du mal à imaginer que le Gouvernement, s’il élargissait le dispositif à Mayotte, diminuerait d’autant la dotation globale attribuée à l’hôpital de Mayotte. Et, franchement, 40 %, ce ne serait pas du luxe.
C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur votre amendement de suppression.
Mme Stéphanie Rist (EPR). En matière d’accès aux soins et de désert médical, il faut rester très pragmatique et éviter les postures idéologiques. Je vous rejoins sur les difficultés d’accès aux soins et sur l’exception mahoraise en matière migratoire. Étendre l’AME à Mayotte aurait pour conséquence – et c’est déjà un argument en soi – de permettre à l’hôpital d’être remboursé des frais engagés pour les personnes en situation irrégulière – que vous avez chiffrés à 40 % du budget total. Néanmoins, c’est davantage l’hôpital qui en profiterait que les Mahorais, puisque le nombre de soignants en ville est trop faible pour rendre le dispositif de l’AME opérant – rappelons que son utilité est de permettre aux personnes en situation irrégulière de recevoir des soins primaires avant d’être prises en charge à l’hôpital, ce qui amoindrit le coût pour la société.
L’élargissement de l’AME à Mayotte ne rendrait donc service qu’aux comptes de l’hôpital. C’est important, mais je ne suis donc pas sûre que ce soit en instaurant une mesure dont nous connaissons la portée symbolique et politique que nous améliorerons l’offre de soins dans l’archipel.
Mme la rapporteure. Nous avons auditionné le syndicat des médecins de ville de Mayotte : ils soignent entre 5 % et 15 % de leur patientèle gratuitement, alors que celle-ci aurait droit à l’AME. Étendre l’AME permettrait également, selon eux, d’augmenter l’attractivité de leur profession. C’est un peu la question de la poule et de l’œuf : vous considérez que l’AME n’aurait aucun impact à Mayotte en raison du manque de médecins ; ils estiment qu’elle permettrait de rendre solvable une partie de leur patientèle. Surtout, elle permettrait d’assurer de véritables soins, en donnant aussi accès aux pharmacies et aux laboratoires. Le développement de la médecine de ville à Mayotte est lié à l’extension de l’AME.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Parallèlement à l’extension de l’AME à Mayotte, il serait très intéressant d’instaurer la T2A afin d’obtenir une meilleure lisibilité de l’activité de l’hôpital. Cela est préconisé depuis des années et des études d’impact ont été menées sur le sujet – je suis stupéfaite de constater qu’elles n’ont pas été communiquées à la rapporteure, qui ne les a peut-être pas demandées de manière précise. Néanmoins, n’inversez pas la charge de la preuve : ce n’est pas à moi de vous transmettre des rapports que vous n’avez pas sollicités – ou, alors, admettez que vous avez écrit des sottises dans votre rapport. À vous de poser les bonnes questions. Je note d’ailleurs que vous aviez connaissance du rapport de l’Igas de 2017, puisque vous le citez dans l’exposé des motifs et que les autres commissions parlementaires, que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale, l’ont trouvé. Je vous le transmettrai et vous suggère de l’étudier attentivement durant le week-end.
Vous ne pouvez pas non plus me répondre que vous vous satisferez de la parole de l’État puisque ce sont les seules informations qui vous ont été transmises. La note de l’ARS jointe à votre rapport n’indique pas que la gratuité des accouchements date de 2020. Une loi a été adoptée, en la matière, en 2012 et cela n’a rien à voir avec l’ARS. Je vous invite aussi à consulter les rapports successifs des Défenseurs des droits, Jacques Toubon – un gauchiste, comme chacun sait ! – puis Claire Hédon : ils insistent sur les freins à l’accès aux soins, en soulignant que ces dispositions auraient dû être généralisées depuis 2012.
M. Jean-Philippe Nilor (LFI-NFP). Même si la rapporteure a parfois tendance à dire une chose et son contraire et même si son avant-dernier plaidoyer cautionne l’amendement de ses amis d’extrême droite qu’elle prétend combattre, nous voterons contre la suppression de l’article et soutiendrons la proposition de loi. En substance, cet amendement prouve que vous méconnaissez, malgré toutes les démonstrations, les avantages que procurerait l’extension de l’AME à Mayotte encore plus qu’ailleurs. Car s’il y a un endroit dans lequel l’AME peut être salutaire pour la santé publique de toute la population – et non pas seulement des étrangers –, c’est bien à Mayotte. Un tel amendement traduit, avec le mépris que l’on vous connaît, l’idée selon laquelle il n’y a pas d’argent pour les étrangers, encore moins ceux de Mayotte.
M. Fabien Di Filippo (DR). Vous nous reprochez, madame la rapporteure, de ne pas entendre vos arguments ; nous pourrions vous rendre la pareille. Les faits que vous soulevez, en particulier la solvabilité des patients, concernent avant tout les médecins qui sont sur place. Il n’existe aucun chiffrage pour évaluer l’élargissement du dispositif ni aucune étude d’impact. Adopter cette mesure pourrait avoir plus d’effets pervers que d’avantages : elle garantirait peut-être un meilleur revenu pour les médecins, mais elle ne changerait rien à l’attractivité de la profession, puisque la désertification médicale s’accentue partout dans le territoire, pour des raisons qui relèvent non seulement de la démographie mais aussi, ne l’oublions pas, d’une volonté de réduire le temps de travail. Il faut donc aborder la situation de Mayotte avec lucidité – et je constate qu’une majorité de collègues se rallient à une position que nous défendons depuis longtemps. En adoptant cet article, nous enverrions un signal contradictoire par rapport à toutes les dérives, en particulier sécuritaires et migratoires, qui sont à l’œuvre sur l’île.
Mme Sandrine Runel (SOC). Nous savons que vous êtes opposé à l’AME, monsieur Gillet : il n’est donc pas surprenant que vous ne vouliez pas l’étendre à Mayotte. Vous avancez l’argument fallacieux selon lequel un habitant sur deux de Mayotte n’y est pas né, mais il en est de même à Paris, où tout le monde est soigné ! Et vous voudriez-vous aussi supprimer l’AME dans le Gard, peut-être ?
Vous évoquez les difficultés d’accès aux soins et à l’hôpital, mais là n’est pas la question : nous parlons de justice et d’égalité des droits pour tous. Mayotte étant un territoire français, pourquoi l’AME n’y existerait-elle pas comme partout ailleurs en France ? Les personnes de nationalité étrangère ou en situation irrégulière ont aussi des droits, même si vous aimez les combattre. Elles doivent pouvoir se faire soigner dans les meilleures conditions dans l’ensemble du pays.
J’adresserai la même réponse à Mme Rist, pour qui l’extension de l’AME à Mayotte ne rendrait service qu’aux comptes de l’hôpital : une fois encore, nous parlons d’accès aux droits pour des populations en difficulté. La proposition de loi n’est pas là pour résoudre les problèmes d’attractivité et de désertification médicales, mais pour faire en sorte que l’ensemble des habitants, Français ou non, soient soignés dans les mêmes conditions dans tous les territoires de la République. Il est de notre devoir et de notre honneur de la voter.
M. Philippe Vigier (Dem). Je connais votre engagement, madame la rapporteure, et je me suis toujours mobilisé à vos côtés sur des sujets majeurs. Or la convergence des droits sociaux concerne les Mahorais, qui sont des Français ; l’AME n’entre pas dans le même cadre.
Comme cela a été dit, il faut appliquer la T2A à Mayotte, et il est anormal que nous n’ayons pas d’étude d’impact à ce sujet. Toutefois, le vrai problème réside dans le manque de praticiens. Si l’hôpital de Mayotte n’avait pas recouru à la réserve sanitaire à moult reprises, il n’aurait pas été capable d’assurer ne serait-ce que les accouchements – et je ne parle même pas des pharmacies ou des laboratoires. Le projet de loi de programmation pour Mayotte est prêt. Inscrivons-le à l’ordre du jour de l’Assemblée et du Sénat avant l’été : nous disposerons alors d’un outil puissant pour renforcer l’attractivité des métiers de la santé à Mayotte, qui est l’urgence absolue. De toute évidence, l’extension de l’AME produira un appel d’air – ayons le courage de dire qu’un habitant sur deux de Mayotte est étranger ou en situation irrégulière.
M. Laurent Panifous (LIOT). Toutes les personnes qui vivent sur le territoire national ont le droit d’être soignées, qu’elles soient françaises, étrangères ou en situation irrégulière : c’est un des principes et des droits fondamentaux de notre République. Ceci étant acquis, la proposition de loi vise à assurer une justice entre les territoires. Les Mahorais sont‑ils des Français comme les autres ? Mayotte est-il un département comme les autres ? La réponse est oui. Les Mahorais ont droit à des moyens équivalents à ceux des autres Français pour être soignés, et par conséquent à l’AME. Il ne s’agit que de cela.
Le rejet de la proposition de loi enverrait un message extrêmement négatif à tous ceux qui considèrent que notre territoire national est unique. Nous pouvons toujours discuter du bien-fondé de l’AME et de l’opportunité de la faire évoluer, il n’en reste pas moins que Mayotte est un département français. Il serait plus que discutable de refuser aux Mahorais des moyens supplémentaires qui les hisseraient simplement au niveau des autres Français.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Chassez les démons, ils reviennent au galop ! L’outre-mer s’est battu pendant des décennies pour l’égalité sociale, pour l’égalité d’accès aux soins, aux services publics, à l’éducation – pour l’égalité tout court. Il y a eu des mobilisations de rue. Des responsables politiques – Aimé Césaire, Paul Vergès et d’autres – ont exigé la départementalisation de l’outre-mer et sa pleine application. Il a fallu du temps pour réussir, et des carences persistent. La droite s’est toujours opposée à cette évolution, tout comme le Front national de l’époque.
La proposition de loi ne vise à rien d’autre qu’appliquer les mêmes droits en outre‑mer et en France continentale. Face à cela, l’hypocrisie est grande : cette même droite qui versait des larmes après le passage du cyclone Chido refuse désormais l’égalité des droits pour Mayotte. Comment l’interpréter ? Comment faire confiance à ceux qui, un jour, demandent l’égalité et l’équité de traitement pour les populations d’outre-mer et le lendemain, quand il s’agit de voter, disent « pas question, vous êtes différents » ?
J’ai été plusieurs fois en désaccord avec la députée Estelle Youssouffa, mais comme mon groupe, je soutiens pleinement ce texte car je suis pour l’égalité des droits entre le territoire de Mayotte et les autres territoires français.
Mme Joëlle Mélin (RN). Mme la rapportrice a évoqué le problème majeur de l’externalisation par certains pays de leur système de santé – les rapports annuels de l’Office français de l’immigration et de l’intégration en témoignent. Oui, les Comores externalisent leur système de santé vers Mayotte.
Il a aussi été question de l’égalité entre les territoires ultramarins et métropolitain. Là n’est pas le problème : ce que les Mahorais déplorent, c’est l’inégalité de traitement entre les habitants français, qui cotisent et sont remboursés à 75 % – davantage s’ils ont une assurance complémentaire – et les personnes en situation irrégulière, qui sont prises en charge à 100 % et le resteront puisque l’AME, qui couvre la totalité des soins sauf les cures thermales, les dispense de tout reste à charge. En particulier certains soins complexes ne sont pas accordés facilement sur le territoire mahorais aux personnes qui cotisent. Voilà où réside l’inégalité.
La départementalisation de Mayotte lui a donné tous les droits et tous les devoirs, mais les Mahorais ne sont pas obligés de subir un dispositif qui, en tout état de cause, devra être remis en cause dans notre pays. Notez enfin que sans étude d’impact, il est difficile de savoir si le coût du dispositif sera assumé par la sécurité sociale ou par l’État.
M. Yoann Gillet (RN). Qui paie pour les soins des clandestins que la France et son gouvernement laissent entrer sur le territoire de Mayotte ? Les Français, avec leurs impôts. Voilà la vraie question que soulève la proposition de loi, dont je crains qu’elle n’aggrave la situation. Je comprends votre détresse et votre colère, madame la rapporteure, mais votre texte ne crée pas de nouveaux lits pour le CHM et ne renforce pas l’attractivité de Mayotte pour les soignants. Quand je me suis rendu dans cet hôpital en novembre dernier avec ma collègue Anchya Bamana, il n’y avait que deux médecins urgentistes. L’hôpital ne tient pas et n’est pas attractif ; la proposition de loi n’y changera rien. Pire, j’ai peur que l’extension de l’AME à Mayotte ne fasse baisser la dotation globale du CHM – qui n’applique pas la T2A –, puisqu’une partie de cette dotation sert à financer les soins des clandestins. La solution réside dans l’arrêt total de l’immigration et la reprise en main de notre territoire national.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS7 de Mme Estelle Youssouffa
Mme la rapporteure. Cet amendement est essentiellement rédactionnel. L’article L. 542-5 du code de l’action sociale et des familles prévoit une dérogation qui exclut Mayotte de l’AME. Le I de la proposition de loi l’abroge. Mayotte étant régie par le principe d’identité législative, en l’absence de dérogation explicite, le droit commun s’y applique et l’AME prend automatiquement effet.
Dans le II de l’article 1er, la proposition de loi adapte l’article L. 6416-5 du code de la santé publique qui organise la prise en charge des étrangers en situation irrégulière exclusivement à l’hôpital de Mayotte. Elle prévoit que les dispositions relatives à l’AME sont applicables pour la prise en charge de ces personnes. Cette précision me paraît superflue, puisqu’en l’absence de dérogation, le droit commun s’applique à Mayotte.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS3 de M. Philippe Naillet
M. Philippe Naillet (SOC). L’essentiel étant de voter sur le fond, je retire cet amendement qui demande un rapport, de même que celui que j’ai déposé après l’article 2.
L’amendement est retiré.
La commission rejette l’article 1er.
M. le président Frédéric Valletoux. Sur le vote de l’ensemble de la proposition de loi, j’ai été saisi, en application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, d’une demande de scrutin par plus d’un dixième des membres de la commission.
Article 2 : Gage de recevabilité financière
La commission rejette l’article 2.
La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejetée.
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La commission examine ensuite la proposition de loi visant à lutter contre la mortalité infantile (n° 1237) (M. Paul‑André Colombani, rapporteur).
M. Paul-André Colombani, rapporteur. La mortalité infantile est un enjeu de santé publique majeur et une urgence humaine qu’il faut saisir à bras-le-corps. Je remercie tous ceux qui ont pris part aux auditions et ont éclairé nos travaux : les journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, les responsables des petites maternités d’Ussel en Corrèze, de Porto‑Vecchio en Corse et de Saint-Lizier en Ariège, les sociétés savantes, les administrations compétentes, l’Académie nationale de médecine, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la Haute Autorité de santé (HAS).
La mortalité infantile progresse dans des proportions qui doivent nous alerter. En 2024, 2 700 enfants de moins de 1 an sont morts en France, soit un décès pour 250 naissances. Le taux de mortalité infantile atteint le niveau inquiétant de 4,1 ‰ ; il dépasse même 5 ‰ en Seine-Saint-Denis, dans le Lot et dans les outre-mer. Pire, il augmente depuis plus d’une décennie, contrairement à ce qui se produit dans la majorité des pays européens.
Le taux de mortalité infantile, qui mesure le nombre de décès avant 1 an pour 1 000 naissances vivantes, est un indicateur essentiel pour évaluer l’état de santé d’une population. Il reflète à la fois le niveau de développement socio-économique, le degré d’accès aux soins et la qualité de la prise en charge tant préventive que curative. Sa dégradation constitue un signal d’alerte majeur, dans un contexte de crise profonde de la périnatalité. Autrefois en tête des classements internationaux en la matière, la France a chuté de la septième à la vingt-septième place dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Depuis 2015, son taux de mortalité infantile dépasse la moyenne européenne.
Les causes exactes de cette évolution restent mal connues, en partie parce que nous manquons d’un dispositif statistique fiable et centralisé. Ce déficit d’information fragilise notre capacité à agir efficacement. Nous savons néanmoins que près de 75 % des décès infantiles surviennent au cours du premier mois. L’Inserm a aussi mis en évidence une surmortalité touchant tous les types de grossesses, qu’elles soient à bas ou à haut risque. Les experts pointent une combinaison de facteurs : détérioration de la santé des femmes, réanimation plus fréquente des grands prématurés, précarité, inégalités sociales, dysfonctionnements dans l’organisation et la qualité des soins.
Si nous partageons certains de ces facteurs avec d’autres pays, l’ampleur du phénomène appelle une analyse spécifique. Nous devons comprendre les causes de cette hausse singulière : c’est une priorité de santé publique.
Dans ce contexte, la fermeture des petites maternités doit nous interroger. Depuis 1995, 40 % des maternités ont fermé ; le nombre de maternités de type 1 a été divisé par trois, tandis que les maternités de types 2 et 3 absorbent un volume croissant d’accouchements, au risque d’être saturées.
Les décrets de 1998 relatifs à la périnatalité prévoyaient une meilleure orientation des femmes selon le niveau de risque de leur grossesse, avec un suivi prénatal renforcé. Ils ont fixé le seuil à partir duquel les établissements reçoivent l’autorisation d’obstétrique à trois cents accouchements par an. Des dérogations sont certes possibles en cas d’éloignement important, mais elles placent les petites structures dans une instabilité permanente qui met à mal leur attractivité et leur pérennité. Si l’intention de garantir la sécurité des soins est légitime, la réorganisation du réseau de maternités s’est souvent faite au détriment des territoires, sans prendre suffisamment en compte leurs spécificités. C’est particulièrement vrai dans les zones rurales, isolées ou insulaires. Aujourd’hui, 900 000 femmes en âge de procréer vivent à trente minutes d’une maternité. Dans de nombreux départements, elles sont plus de 10 % à vivre à plus de quarante-cinq minutes ; cette proportion dépasse même 20 % en Corse, dans le Lot et à Mayotte, et continue de progresser partout en France.
Peu d’études mesurent précisément l’effet de la distance sur les risques liés à l’accouchement, mais beaucoup s’accordent à dire qu’un trajet trop long peut compromettre la sécurité des soins. Une thèse récente et une étude menée en Bourgogne montrent ainsi une hausse de la morbi-mortalité néonatale au-delà de trente minutes de trajet. Il est essentiel d’approfondir ces recherches.
Les petites maternités jouent un rôle primordial dans de nombreux territoires en matière d’accessibilité et de sécurité des soins. Or elles sont fragilisées. Elles rencontrent de grandes difficultés de recrutement, notamment pour assurer la triple permanence des soins en obstétrique, pédiatrie et anesthésie. Faute de personnel stable, elles recourent à l’intérim, ce qui peut nuire à la qualité des prises en charge. Lors des auditions, les responsables de petites maternités ont exprimé de fortes préoccupations quant à leur avenir et ont demandé à être soutenus.
Lorsqu’un établissement ne peut plus garantir la sécurité des patientes, sa fermeture doit évidemment s’imposer. Mais si cette décision éloigne excessivement les femmes de la maternité la plus proche, il est impératif de maintenir la structure en lui donnant les moyens de fonctionner correctement. La fermeture ne saurait être envisagée comme l’unique réponse, surtout lorsque les moyens de transport d’urgence sont insuffisants pour garantir la sécurité des patientes. L’Académie nationale de médecine l’a rappelé lors de son audition : le coût de fonctionnement d’une maternité qui réalise moins de 500 accouchements par an équivaut à celui d’un hélicoptère sanitaire.
Les modèles étrangers souvent cités pour justifier ces fermetures, comme celui de la Suède, reposent sur des conditions bien différentes des nôtres, avec en particulier un encadrement médical renforcé et une sage-femme par parturiente, ce qui est loin d’être le cas en France.
Quant aux dispositifs d’hébergement à proximité des maternités, censés compenser l’éloignement, ils peinent à convaincre les femmes et sont sous-utilisés.
Face à ces constats, la proposition de loi repose sur trois piliers.
L’article 1er crée un registre national des naissances, afin d’améliorer notre compréhension des causes de la mortalité infantile. Il permettra d’identifier les facteurs de risque et les actions nécessaires pour prévenir les décès évitables, encore bien trop nombreux. Il constituera un levier fondamental pour piloter de manière moderne et efficace une politique de périnatalité fondée sur des données robustes et partagées. La proposition de loi lui donne le support juridique nécessaire : pour garantir sa mise en œuvre et sa pérennité, ce registre sera inscrit dans la loi – les récentes annonces de la ministre Catherine Vautrin vont dans le bon sens, et je m’en réjouis. Les données existent ; il faut désormais les consolider, assurer leur chaînage et les exploiter au plus vite. Je souhaite que ce registre voie le jour dans les meilleurs délais, dans le cadre d’une gouvernance ouverte associant tous les acteurs concernés.
L’article 2 a deux objectifs : sécuriser pendant trois ans les maternités assurant moins de trois cents accouchements par an ; et affiner la connaissance des besoins territoire par territoire, en confiant une mission d’audit aux agences régionales de santé (ARS).
Le moratoire vise à soutenir les petites maternités, mais aussi à améliorer la connaissance du terrain pour s’affranchir des dogmes et proposer des solutions aptes à garantir la sécurité des patientes et des nourrissons. Il me paraît primordial d’adopter une approche au cas par cas plutôt que d’appliquer des seuils déconnectés des réalités. Le Gouvernement remettra ensuite un rapport d’évaluation au Parlement. L’objectif est de garantir que l’autorisation d’obstétrique repose sur une évaluation fine des besoins du territoire et non sur un seuil arbitraire.
Enfin, l’article 3 renforce la formation continue des professionnels de santé aux gestes d’urgence en matière périnatale. Le maintien des petites maternités doit aller de pair avec des exigences accrues de formation continue.
Cette proposition de loi ne saurait, à elle seule, résoudre la mortalité infantile et la crise de la périnatalité. Il faudra revoir rapidement les décrets de 1998 pour relever le taux d’encadrement en salle d’accouchement. D’autres actions doivent être entreprises : renforcer la prévention, donner plus de moyens à la protection maternelle et infantile, améliorer les parcours de soins des femmes, garantir la qualité des soins partout. Les alertes des pédiatres sur les soins critiques pour les nouveau-nés doivent aussi être prises très au sérieux.
Ce texte constitue une première étape importante. Il permettra de mieux protéger les mères et les bébés, et de réduire les inégalités entre les territoires. Il est très attendu dans les zones où les maternités sont régulièrement menacées. Par ailleurs, le registre national des naissances sera un outil essentiel pour mieux comprendre les causes de la mortalité infantile et piloter les politiques de périnatalité.
Je remercie les députés du groupe LIOT et son président, Laurent Panifous, de m’avoir permis de défendre ce texte et j’espère que cette proposition de loi sera adoptée.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Serge Muller (RN). En 2024, 2 700 nourrissons sont décédés avant leur premier anniversaire, soit un taux de mortalité infantile de 4,1 ‰, contre 3,5 ‰ en 2011. Selon l’Institut national d’études démographiques, la France se situe au vingt-troisième rang européen en la matière. C’est grave – très grave. Ce déclassement est profond et durable ; il témoigne de failles dans la prévention et d’une inégalité criante dans l’accès aux soins. Ce n’est pas la faute d’un système de santé mal financé, mais d’une organisation devenue inégalitaire et déséquilibrée. Ce déclassement est d’autant plus préoccupant qu’il n’épargne aucun territoire et frappe avec une violence particulière les plus fragiles d’entre eux.
La mission « flash » de la commission des affaires sociales sur la mortalité infantile a posé un diagnostic lucide. Elle a identifié des axes d’action clairs : mieux informer sur les risques liés à la grossesse et à la petite enfance, garantir un accès rapide à des soins de qualité partout en France, mieux coordonner les interventions autour des familles vulnérables. Ces recommandations doivent trouver une traduction législative concrète. Dans cette perspective, nous proposons que les ARS publient chaque année une cartographie des temps d’accès aux maternités, pour rendre visibles les déserts médicaux. Nous proposons également d’organiser une campagne nationale annuelle de prévention et d’établir un rapport triennal d’évaluation, décliné par département, pour permettre un pilotage rigoureux et transparent.
M. Jean-François Rousset (EPR). Avec un taux de mortalité infantile de 4,1 ‰, la France a reculé du septième au vingt-septième rang mondial en trente ans. Ce constat nous inquiète et appelle une analyse fine. Comme l’a montré la mission « flash » menée par nos collègues Anne Bergantz et Philippe Juvin, les causes sont multiples, depuis le tabagisme pendant la grossesse jusqu’à l’état de santé global de la mère. Nous saluons donc la proposition de loi, en particulier son article visant à créer un registre national des naissances, outil statistique essentiel pour mieux identifier, anticiper et prévenir les risques.
Le texte pose la question cruciale de l’organisation territoriale de l’offre de soins et des fermetures de maternités. Si l’idée d’un moratoire peut sembler protectrice à première vue, il faut rappeler qu’une maternité qui réalise peu d’accouchements peut offrir une moindre sécurité, faute d’une pratique régulière des gestes obstétriques. Elle éprouve aussi plus de difficultés à recruter. C’est pourquoi le groupe Ensemble pour la République proposera que toute fermeture de maternité soit subordonnée à une évaluation des solutions alternatives à la disposition des parturientes pour assurer une prise en charge rapide et de qualité. Nous partageons par ailleurs le souci de renforcer la formation continue aux gestes d’urgence obstétrique. Sous réserve de l’adoption de la modification précitée, notre groupe votera la proposition de loi.
M. Damien Maudet (LFI-NFP). En 1976, Emmanuel Todd prédisait la chute de l’Union soviétique au vu de sa mortalité infantile en hausse, signe d’une dégradation générale du système de soins. Jean-Christophe Rozé, de la Société française de néonatalogie, le confirme : si on ne sait pas organiser la naissance et les premiers jours, on ne saura jamais organiser le système de soins en général. Ces analyses doivent nous inquiéter. La France, qui avait le meilleur système de santé du monde il y a vingt-cinq ans, est passée de la troisième à la vingt-troisième place en matière de mortalité infantile en Europe, entre la Pologne et la Bulgarie. Comparée à des pays ayant une économie équivalente, elle perd chaque année l’équivalent de quarante-huit classes de maternelle de plus que les autres.
Il y a plusieurs raisons possibles à ce phénomène, mais en l’absence de registre, nous ne pouvons les préciser davantage. Dans leur enquête, les journalistes de L’Humanité Anthony Cortes et Sébastien Leurquin explorent quelques pistes : la précarité, l’absence de financement de la protection maternelle et infantile, la fermeture des maternités de proximité, l’éloignement des maternités – comme en Haute-Vienne, où la mortalité infantile est plus haute que dans le reste du pays. J’ajouterai un autre point : pour le système, les enfants ne sont pas rentables. « Petits patients, petits moyens » me dit-on à Paris et en Haute-Vienne.
Il y a vingt ans était créée la tarification à l’activité (T2A). Depuis, chaque acte réalisé à l’hôpital a un prix et rapporte plus ou moins d’argent. Et devinez quoi ? Les accouchements, les enfants et la réanimation néonatale ne rapportent rien aux établissements. Remplacer une prothèse de hanche est plus rentable qu’un accouchement. En Haute-Vienne, une sage-femme m’expliquait : « Quand on note les actes, on cherche la meilleure recette pour que l’établissement ne perde pas d’argent. » Voilà pourquoi les maternités privées ont fermé : elles ne rapportaient pas assez. Voilà aussi pourquoi la pédiatrie, les sages-femmes et la réanimation néonatale ont été laissées de côté, avec des investissements minimes et des actes très peu valorisés.
S’il y a sans doute plusieurs causes à la mortalité infantile, il se peut que certaines soient économiques. Rectifions le tir avant que le macronisme nous conduise à la même chute que l’Union soviétique.
M. Arnaud Simion (SOC). La promesse faite en 2022 d’ériger l’enfance en priorité du quinquennat a fait long feu, puisque la France connaît une hausse inquiétante de sa mortalité infantile : elle s’est élevée à 4,1 décès pour 1 000 naissances en 2024 contre 3,5 quatre ans plus tôt. Ces chiffres sont supérieurs à la moyenne de l’Union européenne.
La mortalité infantile est un phénomène socialement biaisé. Parmi les mères actives, le taux de mortalité infantile est en moyenne de 2,2 ‰ pour les cadres et de 3,5 ‰ pour les ouvrières et les employées. Il est encore plus élevé dans les Dom, à 8 ‰, et atteint 13,5‰ à Mayotte.
Cette hausse est multifactorielle. Elle peut s’expliquer par l’état de santé de la mère, les difficultés d’accès aux soins – le risque de décès néonatal double quand le trajet jusqu’à la maternité dépasse quarante-cinq minutes –, une prévention insuffisante et une couverture vaccinale défaillante. Malheureusement, l’éloignement géographique des maternités et des autres structures de soins s’accentue : en cinquante ans, les trois quarts des maternités ont fermé.
Face à l’aggravation de la mortalité infantile, la proposition de loi contient la création d’un registre national pour centraliser les données concernant les naissances et mieux les piloter, un moratoire de trois ans sur les fermetures de maternités garantissant un accès de proximité aux femmes enceintes et l’obligation de former aux gestes d’urgence obstétrique. Ces mesures sont pertinentes, même si le sujet nécessiterait une approche plus globale associant prévention, amélioration de l’état de santé des femmes et accès aux soins.
Face à un phénomène qui s’aggrave, le texte pare au plus urgent. C’est la raison pour laquelle le groupe Socialistes et apparentés y est favorable.
Mme Josiane Corneloup (DR). En 2024, notre pays a enregistré 4,1 décès d’enfants de moins de 1 an pour 1 000 naissances vivantes, alors que ce taux était de 3,5 ‰ en 2020. Cela représente 2 800 nourrissons décédés avant leur premier anniversaire, dont près de 70 % au cours de leur premier mois.
L’étude parue en février 2022 dans The Lancet met en évidence cette hausse tendancielle face à laquelle nous ne pouvons rester immobiles. Il est de notre responsabilité de réagir avec des mesures concrètes, adaptées et durables. Dès 2022, le groupe Droite Républicaine a souhaité créer une mission « flash » sur ce sujet, conduite par Philippe Juvin et Anne Bergantz. Leur travail a permis d’éclairer les enjeux, de poser les bases d’une réflexion sérieuse et de formuler dix recommandations, dont certaines figurent dans la présente proposition de loi. C’est le cas du registre national des naissances que l’article 1er vise à créer : il s’agit de mesurer, comprendre et prévenir la mortalité infantile en intégrant tous les paramètres susceptibles d’être impliqués, comme les facteurs sociaux et maternels ou le déroulement de la grossesse et de l’accouchement.
L’article 2 prévoit un moratoire de trois ans sur les fermetures de maternités, en particulier pour les structures dont l’activité tourne autour de trois cents accouchements par an, seuil souvent utilisé comme critère implicite de fermeture. Même si la mission « flash » n’a pas trouvé de données établissant un lien direct entre l’augmentation des distances domicile-maternité et la mortalité des nouveau-nés, il convient de noter que l’éloignement augmente le risque d’accouchement extra-hospitalier. Le livre-enquête écrit en 2025 par les journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin révèle que le risque de décès natal est multiplié par deux lorsque le trajet jusqu’à la maternité dépasse quarante-cinq minutes. La question de l’accès géographique à la maternité doit donc être prise en considération. Le moratoire permettra de réaliser une évaluation fine et territorialisée des établissements menacés.
Il est également essentiel de proposer des formations aux gestes d’urgence de façon systématique dans chaque maternité, de les répéter régulièrement et de s’assurer de l’acquisition effective des connaissances par les équipes. Nous voterons donc cette proposition de loi.
M. Boris Tavernier (EcoS). En France, en 2024, 2 700 enfants sont morts avant d’avoir soufflé leur première bougie.
La mortalité infantile est avant tout un drame. Il n’y a pas plus tragique, pas de souffrance plus grande, pour des parents, que de perdre un enfant parti bien trop tôt, à l’orée de sa vie. Mais c’est aussi un échec collectif, car la mortalité des nouveau-nés n’est pas une fatalité : elle n’est pas le fruit d’un triste destin, sur lequel nous n’aurions aucune prise. Pendant des décennies, nous avons su réduire le risque de mourir pour les nouveau-nés, grâce aux progrès de la médecine, à la construction de la sécurité sociale et au développement d’un large réseau de maternités publiques. Pourtant, depuis quelques années, la tendance s’est inversée et la mortalité des nouveau-nés repart à la hausse. Cela va contre le sens de l’histoire, contre le sens du progrès.
Sur ce sujet comme sur d’autres, les injustices s’accumulent. Le taux de mortalité infantile est plus élevé pour les enfants dont la mère est employée ou ouvrière. Il est également deux fois plus élevé en outre-mer qu’en France métropolitaine. L’injustice est déjà là, dès la couveuse.
Sur ce sujet comme sur d’autres, on retrouve les mêmes maux, les mêmes échecs.
Je pense tout d’abord à l’éloignement des services publics. En cinquante ans, les trois quarts des maternités du pays ont fermé. Depuis 2000, le nombre de femmes vivant à plus de quarante-cinq minutes d’une maternité a augmenté de 40 % ; or le risque de décès néonatal est multiplié par deux lorsque le trajet jusqu’à la maternité dépasse cette durée.
Je pense ensuite à l’insuffisance de nos politiques alimentaires, environnementales et de prévention. Le risque de mortalité infantile est accru par l’obésité des mères, qui progresse, car on laisse aux industriels les mains libres. De même, le risque de naissance prématurée est augmenté par la pollution de l’air ; or les mesures de protection contre cette dernière sont remises en cause. La surutilisation de pesticides joue également un rôle néfaste dans la mortalité infantile ; pourtant, le Gouvernement abandonne toute stratégie de sortie des pesticides et déroule le tapis rouge aux géants de l’agrochimie – mes collègues écologistes sont mobilisés en ce moment même, en commission du développement durable, contre la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur.
Pour lutter contre la mortalité infantile, il nous faut des maternités. Je remercie donc le rapporteur et le groupe LIOT d’avoir déposé cette proposition de loi, qui vise à empêcher leur fermeture pendant les trois prochaines années.
Le groupe Écologiste et Social soutiendra ce texte, mais nous devons faire preuve de cohérence, aller plus loin pour renouer avec le progrès, prévoir des protections environnementales et définir des politiques de prévention à la hauteur.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Cette proposition de loi s’attaque à un grave problème de santé publique, la hausse de la mortalité infantile en France. Je ne m’attarderai pas sur le constat : notre pays compte désormais 4,1 décès pour 1 000 naissances, se plaçant au vingt-troisième rang européen.
Nous ne connaissons pas suffisamment les causes de la mortalité infantile. Elles sont, à mon avis, essentiellement socioéconomiques et liées aux insuffisances des politiques de prévention. La prématurité et les malformations fœtales sont favorisées par la consommation de tabac et d’alcool ainsi que par l’obésité de la mère. Pour lutter contre ce fléau, notre commission a instauré des taxes comportementales, dont nous pourrons reparler lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. À cette insuffisance de la prévention s’ajoutent des inégalités sociales et territoriales, contre lesquelles nous devons tous nous mobiliser. Aussi le groupe Les Démocrates soutiendra-t-il l’article 1er, qui reprend notamment des recommandations formulées par Anne Bergantz et Philippe Juvin, dont je salue l’engagement et le travail.
Nous serons néanmoins attentifs aux discussions sur l’article 2, qui prévoit de suspendre pendant trois ans toute fermeture de maternité. Pour le moment, nous ne savons pas quelle est la part de l’éloignement d’une maternité et des accouchements extrahospitaliers dans les causes de l’augmentation de la mortalité infantile. Aucune corrélation n’a été prouvée. Nous veillerons à ce que la sécurité et l’accès à des soins de qualité soient garantis aux familles.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Cette proposition de loi répond à une urgence sanitaire majeure ainsi qu’à une exigence de justice territoriale et d’égalité d’accès aux soins.
La situation est préoccupante, car la France se classe parmi les derniers pays de l’Union européenne en matière de mortalité infantile. Il est donc indispensable d’agir pour inverser cette trajectoire et donner à chaque nouveau-né les mêmes chances de bénéficier d’un suivi médical de qualité.
En centralisant les données jusqu’ici éparpillées, l’instauration d’un registre national des naissances permettra de mieux identifier les failles du système, d’élaborer des actions de prévention ciblées et d’évaluer l’efficacité des politiques publiques. Cette mesure, attendue par de nombreux professionnels de santé et recommandée tant par la Cour des comptes que par nos collègues Anne Bergantz et Philippe Juvin, apparaît indispensable pour piloter une politique périnatale ambitieuse et fondée sur des données fiables.
L’obligation de formation continue aux gestes d’urgence obstétrique, dans chaque maternité, répond à une attente forte des professionnels et des familles. Elle permettra de renforcer la sécurité des accouchements et d’harmoniser les pratiques sur tout le territoire, ce qui bénéficiera directement aux patientes et à leurs enfants.
Quant au moratoire sur les fermetures de maternités, il constitue une réponse à la crise de l’accès aux soins dans les territoires. Il doit permettre de prendre le temps nécessaire à une évaluation fine et territorialisée des établissements menacés tout en préservant la sécurité des patientes et en garantissant que les décisions futures seront prises sur la base d’éléments objectifs, partagés, en évitant toute précipitation susceptible d’aggraver les inégalités territoriales. Cependant, un moratoire de trois ans nous semble très long, la sécurité sanitaire interdisant de laisser en activité des petites maternités dont l’activité trop faible mettrait en danger la santé des patientes et des bébés. Si nous sommes d’accord avec ce principe et globalement favorables à cette proposition de loi, nous déposerons néanmoins en séance un amendement visant à réduire la durée de ce moratoire.
M. Laurent Panifous (LIOT). Notre groupe a choisi d’inscrire à l’ordre du jour de sa journée réservée plusieurs textes relatifs à la santé car il s’agit, pour nous comme pour nos concitoyens, d’une priorité.
Le présent texte vise à appeler l’attention sur la santé des nouveau-nés et de leurs mères, alors que la mortalité infantile augmente dans notre pays. Il s’agit d’un véritable échec : la France était l’un des pays les plus avancés dans ce domaine il y a moins de trente ans, et voilà qu’elle se trouve aujourd’hui en bas du classement européen. Aussi notre groupe plaide-t-il pour une politique de santé périnatale ambitieuse. La proposition de loi n’y suffira pas, mais elle pourra amorcer un premier mouvement.
Les causes de la mortalité infantile sont multifactorielles et très mal documentées. C’est pourquoi il nous a paru essentiel de prévoir à la fois la création d’un registre national des naissances et la garantie d’une formation continue aux gestes d’urgence.
Nous proposons également un moratoire sur la fermeture des petites maternités car nous pensons que l’organisation de notre système de santé, qui est une spécificité française, explique sans doute cet échec. Personne ne niera l’existence d’un mouvement continu de fermetures ou de regroupements de maternités ces dernières années. Nous avons tous dû nous battre, à un moment ou un autre, pour maintenir une maternité dans nos territoires – je pense notamment au centre hospitalier Ariège Couserans, dans mon département. Accepter ce mouvement de fermetures, c’est courir le risque qu’il devienne un jour impossible d’accoucher dans son propre département, ce qui paraît impensable quand on connaît le danger que représente la distance, pour la mère et pour l’enfant. Notre proposition est raisonnable et vise un seul objectif : garantir l’existence de maternités de proximité sans sacrifier la sécurité.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Depuis que je suis élue, je ne cesse de dénoncer la fermeture des petites maternités – pas uniquement parce que celle de Guingamp, dans ma circonscription, est menacée, mais parce que la santé des femmes et des bébés est mise en péril sur tout le territoire. Alors que 75 % des maternités ont déjà été fermées en cinquante ans, de nombreuses autres sont encore menacées. La fermeture des petites maternités n’est sans doute pas l’unique cause de l’augmentation de la mortalité infantile, mais la perte de chance en cas d’incident – par exemple en cas d’hématome rétroplacentaire – augmente proportionnellement au temps de trajet de la mère vers la maternité la plus proche.
Si le moratoire de trois ans sur les fermetures de maternités est une bonne mesure, il risque néanmoins d’être inopérant car l’argument de la sécurité, qui permet d’y déroger, est utilisé à chaque fois que l’on veut fermer un établissement. Il y a trente ans, on nous disait que les maternités qui ne pratiquaient pas trois cents accouchements par an étaient dangereuses, car les personnels pouvaient oublier les bons gestes. Le seuil a ensuite été porté à cinq cents accouchements par an, avant de passer à mille, si l’on se réfère au rapport de l’Académie nationale de médecine de 2023. Pourtant, celles et ceux qui pratiquent moins d’accouchements ont aussi plus de temps pour se former...
Aujourd’hui, l’argument utilisé pour justifier les fermetures n’est plus tant le manque de pratique des personnels que la pénurie de praticiens et le manque d’attractivité des petites structures. Mais, après la publication du rapport de l’Académie de médecine, quel praticien déciderait d’exercer dans une petite maternité, puisqu’elle est vouée à la fermeture ? C’est un cercle vicieux.
Et la situation ne s’explique-t-elle pas aussi par le fait qu’un accouchement qui se passe bien n’est pas rentable ? Il serait intéressant de se pencher sur le rôle de la T2A dans l’augmentation de la mortalité infantile.
Il ne faut donc pas considérer ce moratoire de trois ans comme une fin en soi, mais plutôt comme une occasion de faire enfin le point sur le maillage territorial des maternités, sur les besoins de formation des médecins, sages-femmes et auxiliaires de puériculture, ainsi que sur les conditions de travail permettant d’assurer la pérennité de nos maternités, quelle que soit leur taille.
Mme Anne Bergantz (Dem). Merci, monsieur le rapporteur, de nous permettre de débattre de ce sujet hautement préoccupant – un enfant sur 250 meurt avant l’âge de 1 an – et d’avoir cité dans votre exposé des motifs les travaux de la mission « flash » sur la mortalité infantile, dont Philippe Juvin et moi étions les rapporteurs.
Je salue votre proposition de créer un registre national des naissances, dont on peut d’ailleurs s’étonner qu’il n’existe toujours pas. En effet, si nous connaissons bien les facteurs de risque que sont la prématurité, la santé et le comportement de la mère – je pense notamment au tabagisme, encore trop important –, mais aussi l’insuffisance du suivi de grossesse et les conditions de vie, il nous manque un outil pour relier toutes ces informations et mener des actions nationales ou locales.
Je suis néanmoins plus dubitative au sujet de l’article 2 et du moratoire de trois ans. Notre mission « flash » a conclu qu’il n’existait pas de données prouvant un lien direct entre l’augmentation des distances domicile-maternité et la mortalité des nouveau-nés. Ainsi, en Ardèche et dans le Lot, où 99,8 % ou 100 % des femmes en âge de procréer habitaient à plus de quarante-cinq minutes d’une maternité de type 3, selon des chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) de 2017, les taux de mortalité infantile étaient, en 2023, respectivement de 2 ‰ et 6,2 ‰ : l’écart est grand. Or, dans mon département des Yvelines, la mortalité infantile est de 4 ‰ alors même que les maternités sont très proches du domicile des femmes, puisque seules 0,8 % d’entre elles sont à plus de quarante-cinq minutes. J’aimerais donc que vous développiez votre argumentation sur ce point.
J’aimerais enfin rappeler que certaines morts pourraient être évitées, notamment en respectant les conditions de couchage des nourrissons. La doctrine n’a pas évolué depuis 1990. Il serait donc sans doute utile d’organiser à nouveau des communications nationales sur ce sujet.
Mme Sylvie Bonnet (DR). La France, qui était à la fin des années 1980 l’un des pays ayant les taux de mortalité infantile les plus faibles, est passée de la septième à la vingt‑troisième place au classement des États de l’Union européenne. Cela nous inquiète au plus haut point. La perte d’un enfant est un drame dont on ne se remet pas.
Vous avez rappelé les travaux de la mission « flash » sur la mortalité infantile menée fin 2022, et vous avez repris certaines de ses recommandations, comme l’obligation d’organiser dans chaque maternité des formations régulières aux gestes d’urgence obstétrique. De telles formations permettraient effectivement de réduire les inégalités de prise en charge et d’assurer une montée en compétences des professionnels dans l’ensemble du territoire. C’est une bonne mesure, mais pourrait-elle être appliquée, compte tenu de la pénurie de soignants ?
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Nous regardons cette proposition de loi d’un œil favorable. J’appelle cependant votre attention sur le risque que le moratoire de trois ans sur les fermetures de maternités soit inopérant. Vous prévoyez en effet la possibilité d’y passer outre, pour des raisons tenant à la sécurité ; or l’argument de la sécurité est justement celui qui est utilisé pour fermer les maternités.
Je ne suis pas sûre qu’il soit très sécurisant d’accoucher en Seine-et-Marne, mon département : c’est l’un des plus grands déserts médicaux de France. Faut-il pour autant en fermer toutes les maternités ? Quand j’ai visité, en 2023, la maternité de Meaux, il y manquait six sages-femmes, soit 25 % des effectifs – et même si tous les postes avaient été pourvus, cela aurait été insuffisant. La situation avait conduit la direction à demander à celles qui restaient de faire toujours plus d’heures supplémentaires, et aux infirmières de les suppléer alors qu’elles n’avaient pas été formées pour cela. La surcharge de travail et les sous-effectifs sont invoqués pour expliquer la majorité des événements graves en obstétrique. La solution est-elle pour autant de fermer la maternité de Meaux ? Non !
Cela pose plutôt la question des moyens alloués à l’hôpital. En effet, plus de la moitié des événements indésirables seraient évitables, selon un rapport de la HAS publié le 21 novembre 2022. C’est pourquoi j’appelle d’ores et déjà votre attention sur un amendement très important de mon collègue Hadrien Clouet, qui vise à mieux définir l’« urgence tenant à la sécurité des patients » permettant de justifier une dérogation au moratoire sur les fermetures d’établissements.
M. Hendrik Davi (EcoS). L’augmentation de la mortalité infantile en France est effectivement un phénomène gravissime, que la comparaison avec les autres pays rend encore plus inquiétant. Est-il normal que la mortalité infantile soit deux fois plus élevée en France qu’en Finlande ou en Suède ?
Il est bon de discuter d’un texte permettant d’évaluer la situation et d’en déterminer les causes. Pour ma part, j’en vois trois.
La première est évidemment la distance qui sépare le domicile des patientes de la maternité. En effet, 75 % des maternités implantées il y a cinquante ans dans notre pays ont été fermées : leur nombre est passé de 1 369 en 1975 à 457 aujourd’hui. On a justifié ces fermetures par un manque de sécurité : je veux bien y croire, mais on a oublié que, ce faisant, on augmentait la distance à parcourir pour aller accoucher. Comme toujours, on n’a pas appréhendé le problème dans sa globalité. D’aucuns prétendent qu’un temps de trajet supérieur à quarante‑cinq minutes augmente le risque de mortalité infantile ; il faut vraiment que nous en sachions davantage.
La deuxième cause, insuffisamment relevée, est le manque de moyens dans les hôpitaux. On ne peut pas faire comme si ces derniers n’étaient pas en tension, comme si les équipes n’étaient pas surchargées. Quiconque s’est déjà rendu dans une maternité ou dans un hôpital est conscient de ce problème majeur. Plus de la moitié des établissements n’assurent pas la triple permanence des soins, avec un obstétricien, un pédiatre et un anesthésiste. Près des deux tiers des équipes obstétricales sont en tension ; 21 % des équipes de sages-femmes ont une charge de travail élevée et deux tiers des maternités recourent à des intérimaires.
Enfin, la précarité des mères n’a pas été suffisamment soulignée. Or la pauvreté est, à mon sens, l’une des causes majeures de la mortalité infantile. Les services de protection maternelle et infantile sont en très grande souffrance ; les sages-femmes qui y travaillent manquent de moyens. Il s’agit là d’un sujet sur lequel il faudra également travailler.
M. le rapporteur. Je remercie l’ensemble des orateurs, qui ont montré que ce malheureux constat est largement partagé. Le groupe LIOT a pris le parti d’aborder le problème par le seul prisme de la distance séparant les patientes des maternités, car un texte examiné dans le cadre d’une niche parlementaire ne peut pas faire le tour complet de la question, trop vaste. Je pense toutefois que la révision des décrets de 1998, qui doit intervenir le plus rapidement possible, permettra de répondre à une partie des questions relatives à l’encadrement médical, à la précarité des mères et à d’autres facteurs de risque.
Je salue le travail réalisé par Mme Bergantz et M. Juvin dans le cadre de leur mission « flash » sur la mortalité infantile. Deux articles de la présente proposition de loi reprennent leurs recommandations.
La création d’un registre national des naissances, déjà expérimenté dans plusieurs pays européens, s’avère indispensable, car l’enquête de périnatalité réalisée en France tous les cinq ans ne permet plus d’analyser correctement la situation et de piloter le suivi des naissances. Cette mesure aurait pu passer par un simple décret, mais nous avons préféré l’inscrire dans la loi pour des raisons de sécurité juridique. Si elle n’a pas encore été mise en œuvre, c’est en raison des deux années de covid et de la succession récente de six ou sept ministres de la santé : aucun n’est en cause, mais il n’y a tout simplement pas eu de pilote dans l’avion. Nous devons tous nous regarder dans la glace : cette situation résulte aussi de la dissolution de l’Assemblée nationale et du vote d’une motion de censure. Les angles morts ne se trouvent pas qu’à Bercy, et il est désormais urgent d’y remédier.
Le point de discorde est l’article 2, que je ne veux pas aborder de façon dogmatique. Il est incontestable qu’une équipe obstétricale non entraînée ou constituée d’intérimaires peut s’avérer dangereuse : c’est pourquoi je n’ai pas voulu maintenir une maternité ouverte si cela représente un danger pour la femme ou l’enfant.
Nous nous sommes également posé la question de la durée du moratoire. Un délai d’une année me paraît trop court pour réaliser l’étude que nous appelons de nos vœux, et je crains qu’un moratoire de cinq ans soit beaucoup trop long : trois ans me semblent donc correspondre au point d’équilibre.
Les recommandations formulées par des sociétés savantes comme l’Académie nationale de médecine, fondées sur des critères tels que le nombre d’accouchements ou d’intérimaires dans une maternité, sont objectivement justifiées. Elles peuvent cependant se heurter à la situation sur le terrain : il peut en effet s’avérer moins dangereux de maintenir un établissement ouvert que d’imposer aux patientes une trop longue distance à parcourir, avec des solutions de transport non adaptées. J’ai malheureusement vécu cette expérience dans mon territoire, où la fermeture d’une maternité aurait mis des femmes à deux heures des salles d’accouchement. Alors qu’il reste aujourd’hui vingt-trois petites maternités, je demande que l’on évalue la situation territoire par territoire, sans dogmatisme, et que l’on adopte la meilleure solution pour permettre aux femmes d’accoucher en toute sécurité.
Article 1er : Création d’un registre national des naissances
Amendement AS27 de M. Paul-André Colombani
M. le rapporteur. Cet amendement de clarification résulte de mes échanges avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et la Drees. Les bulletins d’état civil n’ayant qu’une existence réglementaire, il n’est pas opportun de les mentionner explicitement dans la loi. De plus, il apparaît nécessaire d’évoquer la question de l’appariement des données, afin d’éviter que les autres cas d’usage de ces bulletins soient couverts par les exigences de sécurité et d’accès du système national des données de santé, ce qui serait contreproductif et allongerait les délais de traitement par l’Insee.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS28 de M. Paul-André Colombani.
Amendement AS29 de M. Paul-André Colombani
M. le rapporteur. Cet amendement vise à garantir une entrée en vigueur des dispositions relatives au registre national des naissances au plus tard le 1er janvier 2026. Les données existent ; il reste à les chaîner et à les exploiter, ce qui n’est pas une mince affaire. Ne perdons pas encore deux ans à constituer un comité de pilotage ! Les sociétés savantes nous appellent à exploiter les données le plus rapidement possible. La ministre chargée de la santé a demandé à la Drees de recruter un pilote et de mettre en place le registre. Quant à moi, je souhaite que la proposition de loi prévoie une date butoir pour aller le plus vite possible.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Encore ce matin, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a auditionné un représentant de la délégation au numérique en santé : nous pouvons accélérer le processus, car nous disposons des données et sommes capables de faire les choses très rapidement. Je suis donc très favorable à cet amendement. Nous ferons en sorte que le Gouvernement soit prêt le 1er janvier 2026.
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Nous sommes, nous aussi, favorables à cet amendement.
Comme vous, j’ai mené quelques auditions, mais je n’ai pas forcément trouvé d’informations sur les autres pays ayant mis en place un tel registre ni sur les avancées concrètes qu’il a permises. Serait-il possible de nous transmettre quelques éléments d’ici à la séance ?
M. le rapporteur. Quelques éléments figurent dans le rapport. S’il vous en faut d’autres, nous essaierons d’en trouver.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 1er modifié.
Article 2 : Suspension de la possibilité de retirer l’autorisation obstétrique aux maternités pratiquant moins de trois cents accouchements, sauf urgence liée à la sécurité et instauration d’audits territoriaux
Amendement AS11 de M. Jean-François Rousset
M. Jean-François Rousset (EPR). L’article 2 prévoit l’instauration d’un moratoire pendant lequel toute fermeture de maternité serait suspendue. Cette disposition n’est pas sans conséquences quand on sait que les petites maternités, qui pratiquent peu d’accouchements, peuvent manquer de moyens humains et techniques pour garantir la qualité des soins et la sécurité des parturientes et des nouveau-nés. Cependant, la fermeture d’une maternité, même justifiée par des raisons de sécurité ou d’organisation des soins, ne saurait être décidée sans que son impact territorial soit pris en compte de manière rigoureuse et transparente. L’éloignement croissant des lieux d’accouchement est un facteur de risque qui doit être pleinement considéré.
Au lieu d’instaurer un moratoire qui suspendrait d’office toute fermeture de maternité, nous proposons donc de rendre obligatoire une évaluation préalable des solutions de remplacement, du point de vue de l’accessibilité géographique des soins et de la qualité de la prise en charge. Cette évaluation devra adopter une perspective locale pour examiner la capacité du territoire à assurer une continuité effective et sûre des soins obstétricaux afin que les patientes disposent de solutions efficaces et protectrices.
M. le rapporteur. Je partage votre préoccupation et souscris à l’intégralité de l’exposé sommaire de votre amendement. Comme je l’ai indiqué, nous refusons tout dogmatisme : notre seule boussole est la sécurité des mères et des enfants. Si cette dernière est mise en péril, la fermeture d’une maternité peut bien entendu se justifier.
Toutefois, la rédaction de votre amendement pose problème.
Tout d’abord, il ne garantit en rien qu’une fermeture ne sera pas décidée quand bien même l’évaluation préalable que vous demandez s’y opposerait.
Par ailleurs, le délai d’un an que vous prévoyez ne me semble pas pertinent. Pendant trois ans, nous n’entendons pas rester les bras croisés : l’ARS devra procéder à une analyse approfondie des besoins des territoires et des spécificités des petites maternités. C’est uniquement sur cette base que nous pourrons ensuite décider, en toute connaissance de cause et sans idéologie aucune, de leur maintien ou de leur fermeture, le cas échéant en mobilisant des moyens supplémentaires.
Avis défavorable, donc.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Avec cet amendement, vous tentez de supprimer le moratoire, et donc de vider le texte de son contenu.
Vous renvoyez la responsabilité de la mortalité infantile à la mère, dont vous incriminez l’état de santé, la condition sociale ou encore le tabagisme. Ce sont certes des facteurs de risque, mais venant de députés de la majorité, c’est quand même gonflé ! M. Macron avait annoncé mettre le paquet sur la prévention, mais nous n’avons rien vu venir. Par ailleurs, ce n’est pas en imposant un budget austéritaire et en refusant le partage des richesses que vous améliorerez la condition sociale des mères. Alors que votre politique ne répond pas aux besoins de la population, vous pointez du doigt les plus démunis. Ce n’est pas acceptable. Nous avons besoin de ce moratoire et voterons donc contre cet amendement.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous sommes plutôt favorables à cet amendement. Soyons pragmatiques : ce qui pose problème, dans ces maternités, c’est la sécurité, qui est liée au manque de personnel et à l’évolution de la démographie médicale. N’allons pas voter des dispositions qui ne servent à rien ! Je connais un service hospitalier de maternité qui n’est pas officiellement fermé, mais dans lequel n’exerce plus aucun obstétricien : depuis un an, il ne s’y pratique donc plus aucun accouchement – ce qui n’empêche pas le personnel d’être payé. C’est cela que vous entendez faire en empêchant la fermeture administrative de maternités quand bien même elles seraient vides, inopérantes, inexistantes, faute d’obstétriciens ou d’anesthésistes, même intérimaires.
M. Philippe Vigier (Dem). Comme l’a très bien expliqué Cyrille Isaac-Sibille, nous soutiendrons cet amendement de Jean-François Rousset.
J’ai vécu la fermeture brutale d’une maternité, décidée par des administratifs qui avaient mené une enquête dont il est apparu que certains éléments étaient faux. J’ai appris la nouvelle un matin, à 8 heures 15 : je peux vous dire que c’est rafraîchissant. Dès lors, les femmes se sont trouvées à soixante ou quatre-vingt-dix kilomètres de la maternité la plus proche. Imaginez les conséquences ! Par ailleurs, il a été très compliqué d’obtenir un espace de périnatalité, qui n’a ouvert qu’une année plus tard.
Le délai d’un an prévu par l’amendement AS11 peut paraître long, mais il est indicatif : il nécessitera que soient proposées, avant cette échéance, des solutions de remplacement. La démarche est pragmatique : elle permet de garantir la sécurité, de s’assurer que les femmes se voient proposer d’autres options et de ne pas abandonner les territoires.
M. Laurent Panifous (LIOT). J’ai entendu tout à l’heure que l’instabilité et le turnover dans les équipes des petites maternités nuisaient à la sécurité des patientes. Or cette proposition de loi vise précisément à accroître la stabilité, donc la sécurité. Nous souhaitons retirer l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de tous les professionnels qui travaillent dans ces services en leur accordant ce délai de trois ans, qui semble raisonnable. Ce délai sera utile, car nous ne défendons pas un texte dogmatique visant à maintenir toutes les maternités ouvertes quand bien même elles seraient dangereuses : nous voulons prendre le temps de trouver d’autres solutions, plus sécurisantes. Du reste, la sécurité peut être mieux garantie dans une petite maternité qui pratique peu d’accouchements que dans un établissement situé beaucoup trop loin du domicile des patientes.
L’exposé sommaire de l’amendement de M. Rousset correspond parfaitement à l’esprit du texte, mais comme l’a dit le rapporteur, le dispositif proposé n’apporte aux équipes médicales des petites maternités aucune garantie, aucune visibilité, aucune stabilité. Il ne retire pas l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête ; il ne leur permet pas de gagner en attractivité ni en stabilité, laquelle est pourtant nécessaire à la sécurité. Si une solution de remplacement sérieuse et sécurisante existe, alors adoptons-la – nous ne disons pas qu’il ne faut fermer aucune maternité. En somme, l’amendement AS11, quoique très intéressant, est moins-disant et je pense qu’il ne faut pas le voter.
M. le rapporteur. Que les choses soient claires : tel qu’il est rédigé, l’article 2 n’empêche pas la fermeture d’une maternité en cas de danger. Il ne faudrait d’ailleurs pas s’en priver : la sécurité des femmes et des enfants à naître doit guider notre action.
La question du délai me gêne. Il y a quelques semaines ou quelques mois, on nous a expliqué dans cette commission que trois ans étaient nécessaires pour définir un zonage applicable aux médecins généralistes dans un territoire. Je crains donc qu’en l’espèce, une année ne suffise pas. Encore une fois, cinq ans me paraissent excessifs, mais un délai de trois ans me semble correspondre à un point d’équilibre.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement AS12 de M. Hadrien Clouet ainsi que les amendements AS30 et AS33 de M. Paul-André Colombani tombent.
Puis la commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS31 et AS32 de M. Paul-André Colombani.
Amendement AS13 de Mme Murielle Lepvraud
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Cet amendement vise à étendre le recensement des fermetures et suspensions provisoires d’activité à toutes les maternités, au lieu de le limiter aux établissements pratiquant moins de trois cents accouchements par an. En effet, parmi les 111 maternités menacées, certaines ont une activité supérieure à ce seuil annuel.
Plus largement, ce moratoire de trois ans doit servir à dresser un état des lieux global du maillage territorial des maternités, car la fermeture de l’une d’entre elles met souvent en difficulté celle d’à côté, à qui l’on impose une surcharge de travail sans lui octroyer de moyens supplémentaires.
M. le rapporteur. Vous proposez que les ARS recensent toutes les suspensions et fermetures, ainsi que les conditions de réorientation des patientes. Or, pour être efficace, il convient de se concentrer sur la situation des petites maternités. Du reste, les ARS connaissent déjà le nombre de suspensions d’activité et de fermetures sur leur territoire.
Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS37 de M. Paul-André Colombani.
Amendement AS38 de M. Paul-André Colombani et sous-amendement AS39 de M. Arnaud Simion
M. le rapporteur. Mon amendement vise à clarifier le contenu du rapport qui doit être remis au Parlement. Il reprend notamment une contribution de notre collègue Arnaud Simon, dont je partage les préoccupations et que je remercie pour sa proposition. Aux termes de la nouvelle rédaction de l’alinéa 3, le rapport rédigé par le Gouvernement devra détailler les moyens, notamment humains et financiers, à mettre en œuvre pour maintenir les petites maternités dont la présence est nécessaire à la sécurité et l’accessibilité des soins.
M. Arnaud Simion (SOC). Dans le domaine de la santé, beaucoup d’actions sont conditionnées par les moyens accordés. Mon sous-amendement vise donc à ce que la suspension des fermetures de maternités pendant trois ans trouve une traduction dans l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) qui sera défini par les prochains budgets de la sécurité sociale.
M. le rapporteur. Votre sous-amendement me semble satisfait, car mon amendement évoque déjà « les moyens, notamment humains à financiers, à mettre en œuvre ». Je m’en remets donc à la sagesse de notre commission.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Pourquoi limiter encore cette disposition aux établissements pratiquant moins de trois cents accouchements par an ? On peut comptabiliser mille accouchements annuels et être une petite maternité menacée de fermeture.
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Il est toujours question de financement et de moyens, notamment quand on parle de lutte contre la mortalité infantile. Cela va à rebours du discours ubuesque du Rassemblement national, qui expliquait tout à l’heure que la hausse de la mortalité n’était plus liée à un problème de moyens. C’est n’avoir aucune connaissance de ce qui se passe dans les services, n’avoir jamais discuté avec des professionnels ! La Société française de médecine périnatale, le Collège national des sages-femmes de France et même les sages‑femmes en général pointent du doigt un problème de financement. L’obstétrique, les accouchements et la réanimation néonatale ne sont pas assez valorisés : puisque ces actes rapportent trop peu aux hôpitaux, le système est ainsi fait que les services concernés bénéficient de peu d’investissements. Cela renvoie non seulement au niveau de l’Ondam, mais aussi à la question de la T2A, sur laquelle nous défendrons un amendement en séance.
M. le rapporteur. Je comprends parfaitement votre préoccupation, que je partage, mais nous avons choisi de nous concentrer sur les petites maternités qui réalisent moins de trois cents accouchements par an, les seules dont l’activité est soumise à autorisation.
La commission rejette le sous-amendement puis adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements AS4 et AS3 de M. Arnaud Simion tombent.
Amendement AS14 de M. Damien Maudet
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Définies dans un décret de 1998, les normes encadrant l’activité des maternités n’ont pas évolué depuis vingt-sept ans, contrairement aux pratiques. Selon le Collège national des sages-femmes de France, les demandes sociétales augmentent, mais les moyens ne suivent pas – une situation source de souffrance pour les femmes, mais aussi pour les soignants, qui ne peuvent répondre à leurs demandes.
Selon Jean-Christophe Rozé, président de la Société française de néonatologie, les décès infantiles surviennent majoritairement dans les unités de soins intensifs des services de néonatologie, qui sont régis par ces décrets de 1998. Pour réduire la mortalité infantile, il est urgent de les réviser.
M. le rapporteur. Ces décrets sont effectivement au cœur du problème. Deux ans de covid et la succession de nombreux ministres de la santé ont aggravé le manque de gouvernance : aujourd’hui, nous devons absolument avancer concrètement sur la question, déterminante pour les futures politiques publiques. J’y suis sensible, mais nous avons fait le choix de nous concentrer sur les maternités qui réalisent moins de trois cents accouchements par an. Pour ne pas alourdir le texte, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendements AS18 et AS19 de Mme Murielle Lepvraud (discussion commune)
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Alors que les accouchements à la maternité de Guingamp sont suspendus depuis près de deux ans faute de personnel, l’ARS a annoncé l’octroi d’une subvention exceptionnelle de 300 000 euros à la maternité privée de Plérin pour financer le recrutement d’intérimaires, et ainsi la maintenir ouverte. Cette subvention du secteur privé lucratif se fait au détriment de la maternité publique de Guingamp, qui peine à recruter.
L’amendement AS18 vise donc à préciser que toute subvention ou aide financière octroyée aux activités d’obstétriques dans le cadre d’un contrat pluriannuel est versée en priorité aux établissements de santé publics et à leurs groupements.
De repli, l’amendement AS19 cible les maternités publiques dont l’activité obstétrique est fragilisée ou menacée.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
Je comprends votre intention et elle correspond certainement à des cas concrets, mais la pénurie de soignants est telle qu’on ne peut pas opposer public et privé. Dans ma circonscription, à Porto-Vecchio, c’est une clinique privée, seul établissement de santé du département, qui assure cette mission de service public : supprimer les aides reviendrait à mettre cette maternité à terre et à imposer aux femmes d’aller accoucher à deux heures de là.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je ne comprends pas votre obstination à opposer public et privé : c’est au détriment des patients. Notre responsabilité est d’offrir un service public à nos concitoyens, que celui-ci soit assuré par le public ou le privé. Préférez-vous vraiment avoir deux maternités qui ne fonctionnent pas, plutôt que d’en avoir une qui fonctionne, quand bien même elle serait privée ?
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). En réalité, il y a trois maternités dans mon territoire : celle de Plérin est située juste à côté de celle de l’hôpital de Saint-Brieuc et loin de celle de Guingamp, qui aurait donc dû être prioritaire. Je préciserai en séance que cette priorité s’exerce au sein d’un même territoire.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS20 de M. Hadrien Clouet
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Le diagnostic est connu : des maternités ferment, les mères en souffrent et des enfants en meurent. Pourtant, pour des grands groupes privés lucratifs comme Ramsay Santé ou Vivalto Santé, c’est le pognon plutôt que les poupons ! Ils ferment ou fusionnent délibérément les maternités, jugées trop peu rentables, au risque que les femmes accouchent sur le bord de la route.
Nous proposons une mesure simple, qui ne coûtera rien à la collectivité et permettra de présenter la facture aux groupes privés qui ne font pas leur boulot. Cet amendement prévoit que lorsqu’un groupe privé à but lucratif ferme une maternité, les locaux et les actifs passent sous contrôle de la Caisse nationale de l’assurance maladie, qui les met au service du bien commun. C’est tout à fait légitime.
M. le rapporteur. Le comportement de certains groupes privés est problématique, mais d’autres se désengagent pour des questions d’assurance par exemple, car le niveau de risque des salles d’accouchement est élevé. Votre amendement va un peu trop loin, peut-être même est-il inconstitutionnel.
Avis défavorable.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Nous ne jugeons pas des raisons qui conduisent à ces fermetures, nous cherchons simplement ce qu’il convient de faire lorsque cela arrive. Nous proposons de récupérer les locaux et les actifs pour assurer la continuité du service public et permettre aux femmes d’accoucher localement. Vous pointez le risque d’inconstitutionnalité : peut-être, mais tentons !
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Je précise, sans taquinerie ni mesquinerie aucune, que cette proposition répond à une difficulté pointée par un ancien ministre de la santé, Frédéric Valletoux, qui expliquait que l’État était démuni et ne pouvait pas entrer dans un bras de fer avec le privé, mais déplorait que nous en soyons tant dépendants.
Je rappelle aussi que si les maternités ne sont pas rentables et que le privé préfère assurer la chirurgie plutôt que l’obstétrique, c’est à cause de la T2A. Ainsi va le système. Cet amendement donnerait à l’État un peu de pouvoir pour éviter les fermetures spontanées de maternités privées.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS23 de M. Serge Muller
M. Serge Muller (RN). La mortalité infantile est un drame absolu, qui met en cause la qualité de notre système de santé, mais aussi l’égalité réelle des Français face à l’offre de soins. Nous constatons une inégalité massive et persistante dans l’accès aux maternités, en particulier dans les territoires ruraux, les zones de montagne et les départements ultramarins. Or aucune réponse politique cohérente ne peut être apportée sans un diagnostic territorial précis.
Cet amendement vise donc à confier aux ARS la publication annuelle d’une cartographie des temps de trajet réels vers les maternités. Il ne s’agit pas d’un exercice statistique abstrait, mais d’un outil de planification sanitaire permettant d’identifier les zones à risque de désertification obstétricale et de restaurer l’accès aux soins pour toutes les femmes enceintes. Cette mesure de bon sens, qui répond à un impératif d’équité, de visibilité et d’action, devrait nous rassembler par-delà les clivages.
M. le rapporteur. Nous préférons ne pas surcharger les ARS. Au reste, l’état des lieux des vingt-trois petites maternités assurant moins de trois cents accouchements prévu à l’article 2 me semble satisfaire votre demande.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Article 3 : Formation continue aux gestes d’urgence obstétrique
La commission adopte l’amendement rédactionnel AS35 de M. Paul-André Colombani.
Amendement AS15 de M. Damien Maudet
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). La fermeture de certains établissements et la concentration de ceux qui restent conduisent à des transferts périnatals – avant ou après l’accouchement – vers d’autres maternités, par manque de place. Si ces mouvements conduisaient jusqu’à présent à transférer les femmes vers des établissements d’un niveau supérieur, capables de gérer des situations compliquées, on assiste aussi aujourd’hui à des mouvements descendants. Faute de places, certains établissements spécialisés sont aussi contraints de transférer leurs patientes vers des établissements de niveau similaire.
Or, les personnels ne sont pas assez formés sur ce sujet : cet amendement vise donc à compléter la formation des personnels médicaux avec un volet dédié aux bonnes pratiques en matière de transfert périnatal.
M. le rapporteur. Bien qu’elle ne relève pas du domaine législatif, cette précision est utile : avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement de coordination AS36 de M. Paul-André Colombani.
Elle adopte ensuite l’article 3 modifié.
Après l’article 3
Amendement AS24 de M. Serge Muller
M. Serge Muller (RN). Il n’est pas acceptable que, dans un pays comme la France, des nourrissons continuent à mourir chaque année de causes évitables. Le phénomène n’est pas marginal : voilà dix ans que la France est en queue de peloton des pays européens en matière de mortalité infantile.
Pourtant, une partie de ces décès pourraient être évités grâce à une politique de prévention publique rigoureuse, régulière et ciblée. Il ne suffit pas de publier des recommandations : il faut informer, accompagner et diffuser une culture de la vigilance et du soin dès la naissance. Pour renforcer le rôle de l’État dans la prévention des drames évitables, cet amendement prévoit que le Gouvernement mène chaque année une campagne nationale de prévention centrée sur les principaux facteurs de risques identifiés par la mission « flash » sur la mortalité infantile – addiction pendant la grossesse, maladie chronique de la mère, alimentation du nourrisson – ainsi que sur les gestes de sécurité au domicile, pour prévenir le syndrome du bébé secoué, par exemple. À nos yeux, il mérite un large soutien.
M. le rapporteur. Tout indispensables et utiles que soient ces campagnes, elles ne relèvent pas du domaine législatif. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS21 de Mme Murielle Lepvraud
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). De nombreuses maternités ferment faute de réussir à réunir le trio de praticiens indispensable à leur fonctionnement – pédiatre, gynécologue obstétricien et anesthésiste. Ils sont trop peu nombreux : la profession médicale n’a pas su – ou pas voulu – anticiper les changements de temps de travail des médecins et les nombreux départs à la retraite à venir, et le nombre de place en formation reste en deçà des enjeux. La pénurie est encore amplifiée, pour ces trois spécialités, par le fait que de nombreux praticiens se dirigent plus volontiers vers le secteur libéral. Selon le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, ils renoncent à exercer à l’hôpital et à participer à la permanence des soins, faute de trouver un poste dans les maternités les plus attractives.
Cet amendement prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les besoins supplémentaires en matière de capacité de formation dans les spécialités du trio médical nécessaire à la pérennisation des maternités.
M. le rapporteur. La pénurie de soignants aggrave évidemment la situation des petites maternités. Aujourd’hui, un étudiant qui a le choix se spécialisera plus volontiers en chirurgie esthétique qu’en obstétrique, car c’est une discipline mieux rémunérée et moins casse-gueule au niveau juridique. Il faut donc avant tout chercher à rendre ces filières plus attractives.
Si je partage votre constat, il ne me semble pas opportun d’alourdir le texte avec cette demande de rapport. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS17 de M. Damien Maudet
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Depuis 2009, la formation des infirmiers généralistes ne comprend plus de cours ni de stage en pédiatrie ou santé néonatale. De fait, les professionnels qui arrivent en réanimation néonatale sans y avoir été préalablement formés peuvent se trouver rapidement découragés. Le diplôme d’infirmière puéricultrice n’a, lui, pas évolué depuis 1983.
Il y a un travail à faire pour attirer et fidéliser le personnel dans les services de pédiatrie et de réanimation néonatale, et familiariser davantage les aspirants infirmiers à ces sujets – d’où mon amendement.
M. le rapporteur. Pour les mêmes raisons qu’à l’amendement précédent, avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS25 de M. Serge Muller
M. Serge Muller (RN). Il existe aujourd’hui de profondes inégalités territoriales en matière de mortalité infantile mais nous manquons d’outils publics pour les mesurer, les documenter et y répondre. Cet amendement prévoit que, tous les trois ans, le Gouvernement remette au Parlement un rapport présentant un état des lieux précis des politiques publiques, territoire par territoire. Ce rapport inclura des indicateurs de performances nationaux et départementaux afin d’identifier les départements les plus en difficulté et d’adapter la réponse publique aux évolutions : sans évaluation sérieuse, point de pilotage ni de progrès possibles.
Loin d’être une simple formalité, ce document permettra à la fois aux élus locaux de disposer de données incontestables pour obtenir des moyens supplémentaires ou alerter l’administration centrale, et au Parlement d’exercer son rôle de contrôle. Il ne s’agit pas d’une mesure bureaucratique, mais d’un outil de responsabilité pour que les politiques publiques en matière de santé périnatale soient enfin suivies, mesurées, et corrigées quand elles échouent.
M. le rapporteur. Votre demande est satisfaite par le registre national des naissances créé à l’article 1er, qui permettra de disposer d’indicateurs précis pour mieux comprendre la hausse de la mortalité infantile et d’évaluer les politiques publiques correspondantes.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Article 4 : Compensation financière
La commission adopte l’article 4 non modifié.
Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
La réunion s’achève à douze heures quarante-cinq.
Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Éric Bothorel, M. Louis Boyard, M. Elie Califer, M. Salvatore Castiglione, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Arthur Delaporte, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Guillaume Garot, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, Mme Zahia Hamdane, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, M. René Lioret, Mme Christine Loir, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Philippe Naillet, M. Jean-Philippe Nilor, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, Mme Anne-Sophie Ronceret, M. Jean-François Rousset, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, Mme Ersilia Soudais, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Boris Tavernier, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, Mme Dominique Voynet, Mme Estelle Youssouffa
Excusés. – M. Joël Aviragnet, Mme Anchya Bamana, Mme Béatrice Bellay, Mme Justine Gruet, Mme Karine Lebon
Assistaient également à la réunion. – M. Jean-Pierre Bataille, Mme Anne Bergantz, M. Pierre Cordier, M. Yoann Gillet, Mme Mathilde Hignet, Mme Marie Lebec, Mme Murielle Lepvraud, M. Damien Maudet, M. Laurent Panifous, Mme Prisca Thevenot