Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale              2

– Examen de la proposition de loi visant à accorder le versement des allocations familiales dès le premier enfant (n° 1342) (M. Édouard Bénard, rapporteur)              2

– Présences en réunion.................................18

 

 

 

 

 


Mercredi
28 mai 2025

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 89

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président,
puis de
M. Nicolas Turquois,
vice-président

 


  1 

La réunion commence à neuf heures trente.

(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)

La commission auditionne de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

M. le président Frédéric Valletoux. Monsieur le premier président, nous avons débattu le 6 mai du rapport remis au Premier ministre concernant les impacts du système de retraite sur la compétitivité de l’économie française et l’emploi. Le 14 mai, nous avons examiné la note de synthèse sur la maîtrise de la progression de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam).

Aujourd’hui, nous vous accueillons pour la présentation du rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss), en prélude à nos travaux sur le Printemps de l’évaluation et le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss).

M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. Je tiens au préalable à saluer la contribution du président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Bernard Lejeune, présent à mes côtés, ainsi que celle des nombreux rapporteurs ayant participé à l’élaboration du Ralfss de l’année 2025.

Depuis 2023, le Ralfss accompagne le Placss, et vise à éclairer les parlementaires et les citoyens sur l’exécution des recettes et des dépenses sociales. Cette année, notre rapport s’articule autour de trois axes : la situation financière de la sécurité sociale, l’analyse des postes de dépenses nécessitant des réformes et l’examen du service rendu aux assurés sociaux.

La Cour des comptes a certifié avec réserves les comptes de quatre des cinq branches du régime général, ainsi que les comptes de l’activité de recouvrement. En revanche, elle ne certifie pas les comptes de la branche famille, où la faiblesse du contrôle interne conduit à 6,3 milliards d’euros de versements indus, soit 8 % des prestations concernant le revenu de solidarité active, la prime d’activité et les aides au logement. Des actions de redressement ont été engagées, mais n’ont pas encore produit leurs effets sur l’exercice 2024.

La situation financière de la sécurité sociale est alarmante, son financement n’étant plus assuré à terme, à moins d’une action vigoureuse de redressement. Le déficit en 2024 est très nettement supérieur aux prévisions et atteint 15,3 milliards d’euros. En 2025, il pourrait atteindre 22 milliards d’euros au prix d’une dégradation inédite hors période de crise. Cette situation s’explique principalement par des prévisions de croissance et de recettes trop optimistes, et par l’absence de maîtrise des dépenses d’assurance maladie, qui concentre désormais 90 % du déficit total.

L’Ondam n’a pas été respecté pour la quatrième année consécutive, dépassant la prévision d’environ 1,3 milliard d’euros. Les dépenses de soins de ville ont augmenté de 5 milliards d’euros, reflétant une absence de pilotage. Le déficit des hôpitaux, dont le modèle économique est devenu insoutenable, a atteint près de 3 milliards d’euros, en hausse de 1 milliard en un an. Deux tiers des hôpitaux publics sont désormais en déficit.

Le point de bascule que nous avions annoncé pour 2027 est atteint dès cette année, le déficit devenant supérieur à la capacité d’amortissement de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades). En 2028, la dette sociale devrait avoisiner 175 milliards d’euros, la plus grande part reposant non plus sur la Cades mais sur l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), dont la mission n’est pas de financer la dette à moyen et long terme. Ces mécanismes génèrent un risque sérieux de crise de liquidité dès 2026. Prolonger l’existence de la Cades pourrait constituer une solution, mais cette prolongation requiert une loi organique.

Nous suggérons de revoir les modalités des allègements généraux de cotisations sociales sur les bas salaires, qui ont représenté 77 milliards d’euros en 2023. À défaut d’un pilotage et d’une évaluation solides, leur coût a augmenté de 18 milliards d’euros ces trois dernières années sous le seul effet de l’inflation, fragilisant ainsi le financement de la protection sociale. Nous proposons de mieux calibrer le plafond d’éligibilité, l’assiette et la dégressivité de ces allègements. Pour les allégements de cotisations familiales sur les salaires élevés, plusieurs milliards d’euros d’économies pourraient être réalisés en réduisant le plafond d’exonération de 3,3 à 2,5 Smic.

La deuxième partie de notre rapport examine six postes de dépenses dont l’évolution a fortement impacté les déficits sociaux. Le premier est l’intérim paramédical, une pratique qu’il convient de maîtriser. Cette dépense a plus que triplé depuis 2019 dans les hôpitaux, pour atteindre près de 500 millions d’euros en 2023. Or le coût horaire d’un intérimaire dépasse de 50 à 130 % celui du personnel équivalent.

Les citoyens, à travers la plateforme de participation citoyenne, ont demandé à la Cour des comptes d’examiner le thème des personnels non-soignants à l’hôpital. Contrairement à certaines idées reçues, les hôpitaux publics comptaient 29 % de personnels non soignants en 2023, une proportion similaire à celle de l’Allemagne. Aussi, nous estimons que ces personnels sont indispensables, et qu’aider les soignants à se concentrer sur leur cœur de métier suppose des fonctions support opérationnelles.

Le troisième poste de dépenses analysé porte sur le stock stratégique de masques, qui s’élève à 2,1 milliards d’unités, fait apparaître un vieillissement du matériel, le renouvellement devant être achevé en 2029. Nous préconisons une gestion tournante plutôt que dormante, en transférant les masques aux hôpitaux avant péremption.

Concernant le cumul emploi-retraite, dont 710 000 personnes en bénéficient désormais, soit une hausse de 75 % depuis 2009, nous recommandons de le réserver, sans plafond de revenus, aux personnes ayant atteint 67 ans.

La fraude sur les retraites versées à l’étranger semble à présent mieux contrôlée, puisque le coût annuel est estimé entre 40 et 80 millions d’euros pour l’Algérie et 12 millions d’euros pour le Maroc.

Enfin, les indus, qui correspondent aux sommes versées à tort par les caisses de sécurité sociale, atteignent près de 19 milliards d’euros pour les quatre principales branches du régime général, soit 5 % des prestations versées. Si les indus détectés sont généralement bien récupérés, 8,6 milliards d’euros d’indus restent non détectés, majoritairement dans la branche famille.

La troisième partie du Ralfss porte sur cinq exemples d'améliorations possibles de la qualité de la dépense sociale et du service rendu aux assurés Nous sommes en effet convaincus que réaliser des économies ne s’oppose pas à l’amélioration du service, toute économie n’étant pas synonyme d’appauvrissement ou d’austérité.

En dépit de ses vertus, la branche autonomie, créée en 2020 et dont les dépenses atteignent 90 milliards d’euros cette année, financés aux deux tiers par la sécurité sociale, présente un bilan insatisfaisant en raison de fortes disparités territoriales. Ainsi, le montant moyen de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) varie du simple au double selon les départements. En outre, la branche autonomie ne répond pas à l’enjeu, central pour notre pays, du vieillissement de la population : à défaut de projection au-delà de 2028, ce problème n’est pas correctement anticipé.

Les pharmacies d’officine constituent un modèle en mutation. Elles sont au nombre de 20 500 en France, mais chaque année depuis 2015, plus de 200 disparaissent, surtout en zone rurale. Les pharmaciens voient leur rôle s’étendre, mais ces nouvelles missions ne représentent que 4 % de leur rémunération. Dans la perspective de préserver l’indépendance des pharmacies, il convient de se montrer vigilant face à la financiarisation de ce secteur, et au recours de plus en plus fréquent, par de jeunes pharmaciens, à des fonds d’investissement privés.

L’Agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires (Aripa) a recouvré près de 300 millions d’euros de pensions alimentaires, mais le besoin reste mal mesuré. Une meilleure collecte statistique est nécessaire, et le fonctionnement de l’Aripa est nettement perfectible.

Le pilotage des pensions d’invalidité, dont 800 000 personnes ont bénéficié en 2023, pour un total de 10 milliards d’euros, est également à revoir, avec des disparités territoriales importantes – le taux d’acceptation variant de 30 % à 85 % selon les départements.

Enfin, un chapitre du rapport portant sur les retraites des artistes-auteurs recommande de simplifier et d’améliorer la qualité du service.

En conclusion, la Cour des comptes insiste sur l’urgence de réformer notre sécurité sociale afin de résorber son déficit progressivement, mais de manière résolue. La sécurité sociale est un trésor national qu’il importe de ne pas exposer à un risque de défaut ou à une crise de liquidité à l’horizon 2027-2028. Ce n’est pas la sécurité sociale qui crée de la dette, c’est la dette qui mine la sécurité sociale. Aussi, il appartient à l’État d’offrir une perspective de résorption de la dette sociale.

M. Thibault Bazin, rapporteur général. La Cour des comptes dresse un tableau alarmant de la situation financière de la sécurité sociale, dont le déficit devrait dépasser 22 milliards d’euros en 2025. La dette portée par la Cades devrait dépasser 110 milliards d’euros en 2028 et, sans mesures de redressement, la dette sociale consolidée atteindrait 180 milliards d’euros.

Dans votre rapport, monsieur le premier président, vous fixez un seuil de 70 milliards d’euros d’endettement annuel moyen au-delà duquel le financement de la sécurité sociale pourrait ne plus être assuré. Sur quels critères objectifs repose ce seuil, qui sera atteint en 2027 ?

Par ailleurs, quelles pistes préconisez-vous pour un meilleur pilotage des allégements généraux de cotisations sociales, dont le Ralfss estime que leur sous-compensation par l’État a accru la dette sociale d’environ 18 milliards d’euros depuis 2019 ?

Quelle est votre estimation précise des coûts générés par le cumul emploi-retraite ? Une simplification des règles serait-elle préférable à un durcissement ?

Comment expliquez-vous la non-consommation des crédits de la branche autonomie, malgré d’importants besoins de financement ? Comment articuler plus efficacement les compétences de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, des agences régionales de santé (ARS) et des départements ?

Enfin, quelles mesures recommandez-vous pour contrôler la financiarisation des pharmacies d’officine et garantir leur indépendance, particulièrement en zone rurale ?

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des orateurs des groupes.

Mme Joëlle Mélin (RN). Les comptes sociaux sont aujourd’hui hors de contrôle. Chaque année depuis 1996, nos dépenses excèdent nos recettes de 10 milliards d’euros, soit 300 milliards d’euros de dettes en capital. Depuis 2017, la dynamique s’est accélérée. La Cades ne peut plus rien absorber, ce qui contraint l’Acoss à assumer le poids de cette dette alors que son plafond d’emprunt s’élève à 65 milliards d’euros cette année, et sera de 113 milliards d’euros en 2028.

Il est urgent de réaliser des prévisions réalistes de croissance et d’emploi, de mettre les comptes à plat, de réintégrer les dettes portées sur d’autres budgets et de sortir du brouillard budgétaire qui touche 70 % des cinq branches ainsi que l’Acoss. Il est également impératif de récupérer les créances et les indus, tant sur les comptes nationaux qu’étrangers. En un mot, faisons les comptes avant de faire des réformes.

M. Michel Lauzzana (EPR). Le rapport de la Cour des comptes fait état d’une perte de maîtrise des comptes sociaux, la branche maladie concentrant une importante partie du déficit. Monsieur le premier président, quelles mesures de simplification du système social permettraient, selon vous, de réaliser des économies structurelles ?

Le rapport aborde également le coût des médicaments innovants, qu’il est particulièrement difficile d’évaluer. Certains médicaments ne guérissent pas, mais permettent une réinsertion sociale ou professionnelle. Une réflexion globale sur les innovations appelées à transformer notre système de santé n’est-elle pas nécessaire ?

Quant à l’intelligence artificielle à l’hôpital, ne risque-t-elle pas de constituer une source de complexification, comme l’a été la numérisation qui a éloigné les soignants des patients ? Ne devrait-elle pas viser uniquement la simplification et l’efficience du système ?

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). À la veille de l’annonce du plan de retour à l’équilibre des finances publiques, la sécurité sociale est déclarée hors de contrôle. Malgré la énième panique morale qu’il génère, le rapport de la Cour des comptes ne contient finalement rien d’inédit, et pourrait être résumé par le constat dressé en première page : le niveau d’endettement n’est pas dû au fait que les dépenses ne sont pas maîtrisées, mais aux recettes insuffisantes.

Les derniers gouvernements ont obéré le financement de la solidarité nationale. La Cour des comptes ignore l’éléphant dans le couloir, à savoir la dette covid, qui aurait dû être assumée par l’État et compensée à l’euro près. Les exonérations fiscales et de cotisations sociales atteignent près de 100 milliards d’euros par an : 77 milliards d’euros d’allégements et d’exonérations patronales, 50 milliards d’euros supplémentaires sous la présidence de M. Macron, 20 milliards d’euros d’exemptions sur les contournements de salaires. Les exonérations atteignent des montants surréalistes : 31 milliards d’euros pour les salaires supérieurs à 2 000 euros, ce qui représente 13 % de la masse salariale totale, plus de 50 % des cotisations dans l’hôtellerie-restauration et 40 % dans l’agroalimentaire, des secteurs qui engrangent pourtant des profits records. Pourquoi ne pas revenir sur ces exemptions qui représentent plus de 20 milliards d’euros ?

M. Jérôme Guedj (SOC). Je souscris à la philosophie de la Cour des comptes, pour laquelle économies et améliorations ne sont pas incompatibles, et qui rappelle que la lutte contre la fraude est impérative. Cependant, la question des recettes est quant à elle abordée trop discrètement. Le rapport insiste sur l’efficacité des exonérations de cotisations sociales, et mentionne un point de sortie à 2,5 Smic, jugé sans risque pour la compétitivité et l’emploi. Mais, à l’inverse du précédent Ralfss, il n’évoque pas ce que l’on nomme improprement les niches sociales, et qui représentent 87 milliards d’euros de compléments de salaires, dont une grande partie ne finance pas la sécurité sociale. Dès lors, quelles exemptions d’assiette la Cour des comptes souhaite-t-elle remettre en question ?

M. Fabien Di Filippo (DR). Monsieur le premier président, pourriez-vous indiquer l’économie que représenterait un gel des prestations non contributives par rapport à l’inflation ?

Par ailleurs, quelles mesures concrètes de contrôle envisagez-vous sur les pensions versées à l’étranger, et pour quelles économies potentielles ?

Enfin, pourquoi ne ferme-t-on pas les sites frauduleux proposant des arrêts maladie sans consultation, et pourquoi les contrôles sur certains médecins qui renouvellent systématiquement ces arrêts ne sont-ils pas plus efficaces ?

M. Hendrik Davi (EcoS). Depuis 1947, la dette de la sécurité sociale sert de justification à la baisse des prestations, alors que la richesse nationale a considérablement crû. Un déficit traduit un déséquilibre entre recettes et dépenses – il convient donc d’examiner ces deux versants.

Notre groupe parlementaire avait proposé une série d’amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) permettant de dégager 20 milliards d’euros de recettes supplémentaires : un nouveau modèle d’exonération de cotisations sociales plus lisse et une hausse de la contribution sociale généralisée sur les revenus du capital.

Du côté des dépenses, il est indispensable de limiter le recours au secteur privé lucratif et de développer une approche préventive en matière de santé publique : moins de pollution, d’alcool, de tabac et de pesticides signifie moins de malades et, par conséquent, moins de dépenses.

M. Jean-Carles Grelier (Dem). La Cour des comptes alerte depuis plusieurs années sur la dérive financière de la protection sociale, mais j’ai noté dernièrement une inflexion dans la terminologie employée. Monsieur le premier président, avez-vous le sentiment d’avoir été entendu par les pouvoirs publics dans la préparation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 ?

Par ailleurs, vous indiquez que la Cades pourrait connaître des difficultés de liquidité en 2027. Dès lors, ne faut-il pas s’interroger sur la capacité de l’État à effectuer son reversement annuel de TVA de 60 milliards d’euros à la sécurité sociale, quand la Cour des comptes évalue le poids des intérêts de la dette à près de 120 milliards d’euros ?

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Notre groupe parlementaire partage les recommandations de la Cour des comptes relatives à la maîtrise de l’Ondam, à la régulation des dépenses hospitalières, à la reprise en main du coût des allégements généraux et au renforcement du pilotage des fonctions support dans les établissements hospitaliers.

Dans la configuration politique que nous connaissons, sans majorité absolue à l’Assemblée nationale, quels leviers prioritaires permettraient de construire un redressement sans sacrifier la qualité des soins ni la justice sociale ?

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Stéphanie Rist (EPR). Pour pallier les difficultés financières des hôpitaux et les dysfonctionnements du modèle économique basé sur une production de soins, la Cour des comptes propose de plafonner l’intérim paramédical et d’optimiser les fonctions support, ce que nous approuvons. Cependant, il nous apparaît que des réformes structurelles sont à envisager. Ainsi, pourquoi ne pas sortir l’investissement des tarifs hospitaliers ou initier un véritable virage ambulatoire en harmonisant les modes de rémunération des médecins ?

M. Paul Christophe (HOR). Je souscris à la perspective exprimée par la Cour des comptes de redresser nos comptes à la faveur d’un équilibre entre contrôle budgétaire, qualité des soins et justice sociale.

Toutefois, je me demande si nous ne sommes pas parvenus à la fin d’un système pensé après-guerre, qui s’appuyait sur un rapport démographique favorable grâce au baby‑boom. Aujourd’hui, avec l’écrasement de la courbe des naissances, le financement de la sécurité sociale et du système de retraite ressemble à une pyramide de Ponzi. Ne faudrait-il pas repenser structurellement le financement et le fonctionnement de notre modèle social ?

M. le premier président de la Cour des comptes. Je vous remercie pour ces questions. Le temps me manque pour répondre à toutes, mais je commencerai par le seuil d’endettement de 70 milliards d’euros pour l’Acoss : depuis vingt ans, les montants supportés ont toujours été inférieurs à 35 milliards d’euros, l’essentiel étant porté par la Cades. L’Acoss se finance exclusivement sur les marchés monétaires. Elle est déjà le premier émetteur de dettes non bancaire en Europe, ses émissions atteindront 46 milliards d’euros en 2026 et doubleront d’ici 2027. Or nous ne savons pas si les marchés absorberont cette augmentation, ce qui laisse craindre une crise de liquidité.

Pour les allégements généraux, nous proposons un meilleur suivi de la compensation par l’État dans les annexes du PLFSS et l’élargissement de l’assiette des exonérations afin d’inclure l’intéressement et la participation. Les exonérations d’allocations familiales jusqu’à 3,3 Smic devraient être recentrées sur 2,5 Smic, ce qui générerait 3 milliards d’euros d’économies.

La France autorise le cumul emploi-retraite sans limite dès 62-64 ans, contre 67 ans dans les pays comparables. Une remise en ordre permettrait d’économiser environ 500 millions d’euros par an, notamment par l’écrêtement des pensions des cadres et des retraités qui continuent à travailler.

La non-consommation des crédits par les ARS, chargées d’exécuter les crédits des établissements médico-sociaux, a représenté 1 milliard d’euros entre 2022 et 2023. La difficulté tire son origine, selon nous, du déploiement de grands plans nationaux qui peinent à se décliner concrètement. Nous recommandons un meilleur contrôle des besoins de trésorerie des ARS.

Quant au risque de financiarisation des pharmacies, nous préconisons que l’Ordre des pharmaciens examine les contrats d’installation afin de garantir l’indépendance professionnelle des officines.

Nous n’avons pas calculé l’économie susceptible d’être générée par le gel des prestations sociales.

Par ailleurs, la lutte contre les fraudes à la retraite à l’étranger permettrait de dégager 100 millions d’euros d’économies. Les versements de pensions légitimes à l’étranger ne sont pas remis en cause, mais certains comportements excessifs doivent être corrigés. Nous proposons d’arrêter les arrêts maladie de complaisance afin d’éviter les dérives.

En conclusion, j’insiste sur la situation financière de notre pays, qui est extraordinairement préoccupante. Il convient de s’accorder sur un constat : nous dépensons trop, nos déficits sont trop élevés, notre dette constitue un problème massif. Le voici, l’éléphant dans le couloir. L’année prochaine, la charge annuelle de la dette deviendra le premier budget de la nation, une première dans notre histoire financière. Comment financer l’éducation, la sécurité, la protection sociale ou l’innovation avec 100 milliards d’euros de charge annuelle de la dette ?

La sécurité sociale, je l’ai dit, est un trésor national auquel nos concitoyens sont profondément attachés. Cependant, cet édifice magnifique se lézarde peu à peu. Assurer sa pérennité réclame des réformes, non pas en remettant en cause la sécurité sociale, mais en s’attaquant à ce qui la mine : cette dette qu’il convient impérativement de réduire.

M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie, monsieur le premier président, pour la présentation de ce rapport.

 

 

*

(Présidence de M. Nicolas Turquois, vice-président)

La commission examine ensuite la proposition de loi visant à accorder le versement des allocations familiales dès le premier enfant (n° 1342) (M. Édouard Bénard, rapporteur).

M. Édouard Bénard, rapporteur. Je suis heureux de vous présenter cette proposition de loi, cosignée par mes collègues du groupe Gauche démocrate et républicaine, qui est inscrite à l’ordre du jour de la journée qui nous sera réservée, le 5 juin.

L’an dernier, à l’occasion de la journée réservée à mon groupe, j’avais présenté une proposition de loi visant à réduire la précarité sociale et monétaire des familles monoparentales. Ce texte, qui avait été adopté en commission, prévoyait déjà de faire bénéficier ces familles des allocations familiales dès le premier enfant. C’est donc en toute cohérence que je vous présente aujourd’hui une proposition de loi visant à accorder le versement des allocations familiales dès le premier enfant pour toutes les familles.

La politique familiale, et en particulier les allocations familiales, sont primordiales dans la vie de nos concitoyens. Notre proposition de loi constitue une première étape vers une réforme des allocations familiales destinée à assurer une meilleure prise en compte de la nouvelle composition des foyers.

À l’heure actuelle, les allocations familiales ne sont versées qu’à partir du deuxième enfant à charge, sauf dans les départements d’outre-mer, ainsi qu’à Saint-Barthélemy et à Saint‑Martin, où elles sont accordées dès le premier enfant.

De manière tendancielle, les familles accueillent de moins en moins d’enfants. Depuis 1975, la part des familles comptant un ou deux enfants a progressé de plus de 29 % tandis que la proportion de familles comptant quatre enfants et plus a pratiquement diminué de moitié. Désormais, plus d’un tiers des familles – 36,5 % en 2020 – comptent un enfant unique. Sur les 663 000 enfants nés en 2024, 283 000 étaient des premiers-nés, soit 42,5 % du total.

Il n’existe pas de lien direct entre le système des allocations familiales et la situation démographique. Néanmoins, nous ne pouvons que constater un hiatus entre la réduction de la taille des fratries et le principe du versement des allocations familiales à partir du deuxième enfant à charge, alors que toute naissance – la première, comme les suivantes – s’accompagne de nombreuses dépenses. Entre l’année qui précède la naissance d’un enfant et celle qui la suit, le niveau des familles recule en moyenne de 2 à 11 %, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques. Le problème du logement a été évoqué dans toutes les auditions que j’ai menées.

Verser les allocations familiales dès le premier enfant permettrait de mieux accompagner les familles composées d’un enfant unique, mais aussi celles au sein desquelles le dernier enfant de la fratrie est encore à charge. En effet, le bénéfice des allocations familiales s’arrête lorsque l’avant-dernier enfant de la famille atteint l’âge de 20 ans. Or à cet âge-là, les coûts liés à l’éducation d’un enfant peuvent être élevés, particulièrement s’il s’engage dans des études supérieures.

Notre politique familiale, qui reste encore largement tournée vers la naissance du troisième enfant, est en décalage avec l’évolution démographique des familles. Dans ce contexte, notre proposition de loi nourrit une triple ambition : elle vise à mieux accompagner toutes les familles, quel que soit le nombre d’enfants qui les compose, à réaffirmer l’universalité des allocations familiales et à ouvrir le débat sur une réforme de l’architecture globale de nos politiques familiales.

Nous connaissons une situation démographique inédite. La natalité a atteint son niveau le plus bas depuis un siècle : le taux de fécondité est ainsi descendu à 1,62 enfant par femme. Pourtant, le désir d’enfant ne diminue pas. Une enquête réalisée par l’Union nationale des associations familiales en 2023 révèle que ce désir est stable et qu’il s’élèverait à 2,27 enfants par femme. L’écart entre l’envie et la réalité dit quelque chose de notre responsabilité sociale. C’est l’élément sur lequel nous devons agir.

Accorder le bénéfice des allocations familiales dès le premier enfant permettrait de mieux accompagner les personnes qui souhaitent avoir un ou plusieurs enfants, mais qui, en raison de contraintes économiques, renoncent à ce projet ou en retardent la concrétisation. Lorsque je l’ai auditionnée, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) m’a indiqué que les allocations familiales agissent davantage sur la temporalité de l’arrivée du premier enfant que sur le désir d’enfant. Or avancer la première maternité est essentiel, à la fois pour laisser la possibilité à ceux qui le souhaitent d’avoir d’autres enfants et pour lutter contre l’infertilité, qui touche un couple sur quatre et s’accentue avec l’âge des parents.

Si elle n’a pas de prix, l’arrivée d’un enfant dans une famille engendre des coûts substantiels pour les jeunes parents. La direction générale de la cohésion sociale n’a pas souhaité m’indiquer quels effets notre proposition pourrait avoir sur la pauvreté infantile. Cela étant, depuis 2016, nous assistons à un décrochage des prestations familiales par rapport au coût de la vie, que le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge a estimé à 490 euros pour la période courant d’avril 2021 à mars 2025.

Accorder les allocations familiales dès le premier enfant permettrait d’aider financièrement les familles comptant un seul enfant, qui sont éligibles aux autres prestations familiales mais qui n’en perçoivent aucune lorsque leur enfant a entre 3 et 6 ans. En effet, l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) n’est versée que jusqu’aux 3 ans de l’enfant et l’allocation de rentrée scolaire ne l’est qu’une fois par an, à partir de l’âge de 6 ans.

J’en viens à notre seconde ambition. Entre 1932 et 1939, les allocations familiales étaient versées dès le premier enfant. Revenir à ce principe permettrait de réaffirmer l’universalité de ces allocations, à laquelle le groupe Gauche démocrate et républicaine est profondément attaché. Une telle mesure aurait le mérite de réinscrire la politique familiale dans une logique de redistribution horizontale, c’est-à-dire de solidarité des ménages sans enfant à l’égard de ceux qui en ont un, et de remédier au sentiment d’exclusion que ressentent certaines familles qui contribuent à la politique familiale sans pouvoir en bénéficier.

Si nous adoptions cette proposition de loi, nous prendrions en compte – et non en charge – toutes les familles, quel que soit le nombre d’enfants qui les compose, et chaque enfant serait pleinement considéré en tant que tel, indépendamment de son rang dans la fratrie.

Le texte est volontairement court, qui ne porte que sur le nombre d’enfants à partir duquel sont accordées les allocations familiales. Il ne constitue qu’une étape dans le débat relatif à la réforme des allocations familiales. Pour cette raison, je serai favorable aux amendements demandant un rapport sur ce sujet.

Si le versement des allocations familiales dès le premier enfant peut faire consensus, je suis bien conscient que le coût budgétaire de la mesure peut susciter l’opposition de certains d’entre vous.

L’investissement dans la famille doit être une priorité. En 2024, la branche famille de la sécurité sociale a présenté un résultat excédentaire de 1,1 milliard d’euros. Grâce à un transfert à la branche maladie d’un montant de 2,1 milliards, elle finance, depuis 2023, les indemnités journalières dues au titre du congé maternité après la naissance de l’enfant. En outre, la réduction de 1,8 point du taux de cotisation d’allocations familiales appliquée aux salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 3,5 Smic a représenté 9,46 milliards en 2023. Autrement dit, on a pas mal coupé : il convient désormais de réparer.

Lors de l’examen de la proposition de loi visant à simplifier et réorienter la politique familiale vers le premier enfant, présentée par Mme Bergantz lors de la journée réservée au groupe Les Démocrates, vous avez adopté à l’unanimité un amendement qui dispose que « la nation réaffirme le caractère universel des allocations familiales » et « se fixe pour objectif d’ouvrir le bénéfice des allocations familiales dès le premier enfant ». Aujourd’hui, faisons mieux que de nous fixer un objectif : adoptons cette proposition de loi.

M. Nicolas Turquois, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Angélique Ranc (RN). Nous ne pouvons que nous réjouir de ce texte qui vise à mettre fin à une injustice sociale subie par les ménages.

Alors que le nombre de familles composées d’un enfant unique est en constante augmentation et que le déclin démographique nous touche de plein fouet, il semble évident qu’il faut ouvrir les allocations familiales dès le premier enfant. Cependant, ne soyons pas dupes : cette mesure ne suffira pas à relancer la démographie ni à rendre justice aux familles françaises.

Certains points, qui auraient mérité de figurer dans la proposition de loi, en sont cruellement absents. Il s’agit, d’abord, du relèvement du plafond du quotient familial, qui a été arbitrairement ramené à 2 000 euros par le gouvernement de François Hollande en 2013. Ensuite, nous avons besoin de mesures sociales, car la précarité financière n’est pas la seule responsable du déclin démographique. Il faut ainsi faciliter l’accès au logement des jeunes ménages, développer des solutions de garde des enfants sur l’ensemble du territoire national ou encore réfléchir à des mécanismes permettant aux mères de concilier leurs aspirations professionnelles et familiales.

Ces dispositifs nécessitent des moyens financiers et humains qui manquent à notre société, alors que celle-ci est de plus en plus précaire. Un rééquilibrage doit être opéré au moyen d’une juste redistribution des richesses. Le groupe Rassemblement National propose depuis longtemps de réserver les allocations familiales aux ménages dont au moins l’un des deux parents est de nationalité française – ainsi, dans cette période d’incertitude budgétaire, bénéficieraient-elles avant tout à nos compatriotes.

Enfin, il est primordial de renforcer la lutte contre la fraude aux prestations familiales. Les dispositions actuelles ne semblent pas dissuader les fraudeurs de passer à l’action, puisque la fraude – détectée – a augmenté de 20 % par rapport à l’année précédente. Contrairement à ce que certains souhaitent nous faire croire, ces chiffres ne sont pas l’expression d’un fantasme. Ils devraient nous pousser à prendre la mesure de ce fléau et à lutter contre la montée en puissance de la fraude organisée.

Beaucoup de travail reste à faire, mais ce n’est qu’à ces conditions que nous pourrons enfin répondre aux aspirations des Français.

Mme Joséphine Missoffe (EPR). Les allocations de la Cnaf sont au cœur de notre modèle de sécurité sociale et de notre politique familiale. Elles apportent aux parents sérénité et sécurité. Elles s’inscrivent dans le cadre d’une justice sociale qui protège toutes les familles selon leurs besoins.

Voilà le troisième texte relatif à cette question que nous examinons depuis que j’ai rejoint la commission, en octobre. Nous sommes tous convaincus de la nécessité de rendre la parentalité possible pour tous les Français, indépendamment de leurs revenus, de leur situation conjugale ou du nombre d’enfants qui composent la famille.

Cette proposition de loi repose sur l’objectif partagé de mieux soutenir les familles déjà constituées tout comme les familles en devenir. Elle prend acte du nombre croissant de familles composées d’un enfant unique et vise à faire bénéficier davantage de ménages de la solidarité nationale. Toutefois, de nombreuses études laissent penser que le texte aura peu d’effets incitatifs et ne suffira pas pour revigorer la natalité.

Le groupe Ensemble pour la République salue la volonté exprimée dans ce texte et en partage l’ambition générale. Néanmoins, nous ne pouvons ignorer que l’impact financier d’une telle mesure s’élèverait d’emblée à plusieurs milliards d’euros, ce qui est loin d’être neutre dans le contexte budgétaire actuel.

Si les allocations familiales sont un réel vecteur d’égalité, nous restons convaincus qu’une politique familiale et nataliste puissante ne se limite pas aux prestations sociales. Notre groupe appelle à porter un regard critique et réformateur sur le système dans son ensemble, afin de le rendre plus simple et plus efficace. Pour que la parentalité redevienne une source d’épanouissement pour tous les parents, notre politique familiale se doit d’être ambitieuse et globale, dans l’esprit des 1 000 premiers jours et du service public de la petite enfance.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Pour réagir à ce qui a été dit par le Rassemblement national, il faut arrêter d’envisager la politique familiale sous un angle nataliste. Les ventres des femmes ne sont pas des outils pouvant être utilisés pour rééquilibrer les comptes sociaux. Vos propos témoignent de la faiblesse de votre programme économique.

Vous parlez de relancer la démographie, mais pouvez-vous me donner un seul exemple de politique familiale qui y soit parvenue ? Vous allez sans doute me citer la Hongrie, alors que ce pays n’a pas réussi à revenir à un indice conjoncturel de fécondité supérieur à 2 enfants par femme et que les progrès obtenus ont été acquis au prix de reculs dans le domaine des droits des femmes, notamment en matière d’interruption volontaire de grossesse. Toutes les actions en faveur des femmes y ont disparu ; ces dernières ont été noyées dans une politique familiale nataliste. Vous devriez plutôt parler du cœur du sujet, à savoir des moyens à employer pour faire progresser la justice et sortir les gens de la précarité.

Nous avons déjà débattu du versement des allocations familiales dès le premier enfant, notamment lors de la niche du groupe Les Démocrates. Afin que cette mesure s’applique à budget constant, vous aviez proposé de retirer des droits aux familles plus nombreuses : c’est une solution que la gauche ne peut pas accepter. J’aimerais que l’on discute, lors du prochain bureau de la commission, de la constitution d’un groupe de travail relatif à l’application de ce texte et à l’identification d’un gage. En effet, si l’on veut que la gauche et le centre – l’extrême droite, pour sa part, n’y comprend rien – réussissent à tomber d’accord, il va falloir que nous nous entendions sur un gage : c’est l’unique moyen d’aboutir.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je remercie nos collègues du groupe GDR de nous permettre de prolonger le débat sur la politique familiale et la manière de la faire renouer avec ses objectifs originels, question qui passe trop souvent sous les radars. Nous sommes face à un enjeu de justice sociale. Lorsque nous évoquons le versement des allocations familiales dès le premier enfant, nous pensons tous aux familles monoparentales et en particulier à la figure de la maman solo, dont les ressources la rendent parfois inéligible à l’allocation de soutien familial.

Le fait d’accorder le bénéfice des allocations familiales – prestation théoriquement universelle – à partir du deuxième enfant et de laisser le soin aux prestations sous conditions de ressources de compenser le coût du premier enfant constitue une anomalie qui mine la logique de l’universalité. Cela appelle la mise en œuvre d’un dispositif simple et lisible.

Vous avez fait référence, monsieur le rapporteur, à l’amendement que nous avions introduit dans la proposition de loi de Mme Bergantz. Ce débat, conduit par strates successives, montre que l’Assemblée nationale est prête à faire avancer la logique de l’universalité.

Cette dernière doit s’accompagner d’une logique d’égalité. Les dispositifs de la politique sociale s’appliquent souvent dans des conditions moins favorables dans les départements et les régions d’outre-mer. En l’occurrence, c’est l’inverse, puisque ces territoires bénéficient du versement des allocations familiales dès le premier enfant. Pour une fois, nous pourrions réaliser un nivellement par le haut en étendant ce principe à la métropole – étant précisé que les montants seraient évidemment différents.

J’en viens, enfin, à la question financière. Pierre Moscovici a évoqué, tout à l’heure, lors de son audition, le montant des exonérations de cotisations sociales sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic. Si nous supprimions ce « bandeau famille », comme le recommandent la Cour des comptes, le rapport Bozio-Wasmer et le rapport d’information sur les exonérations de cotisations sociales que j’ai présenté en 2023 avec Marc Ferracci, nous dégagerions les ressources nécessaires pour financer cette mesure.

M. Thibault Bazin (DR). En 1946, dans une France à reconstruire, la nation proclamait le principe fondateur de l’universalité des allocations familiales et le traduisait en actes. Elle reconnaissait ainsi que la famille n’est pas seulement une affaire privée mais un pilier de l’avenir national. Ce principe, marque de fabrique de l’État-providence, a été brisé en 2015, lorsque le versement de ces allocations a été soumis à des conditions de ressources. Depuis, l’universalité n’est plus que de façade dans la mesure où le montant versé à certaines familles est devenu symbolique.

Notre politique familiale est un peu schizophrène : on réduit le quotient familial et la Paje tout en appelant – du moins est-ce le cas de certains – à un réarmement démographique. Résultat : le taux de fécondité est tombé à 1,62 enfant par femme, soit son plus bas niveau depuis la Seconde Guerre mondiale, et, surtout, l’écart se creuse entre le désir d’enfant, qui est stable, à 2,27 enfants, et la réalité. La frustration de fécondité qui en découle traduit un échec collectif.

La conjoncture économique participe à la dégradation de la situation des familles, qui sont inquiètes pour leur avenir, mais ne saurait toutefois être rendue seule responsable de l’inaction des gouvernements successifs.

On pourrait considérer que votre texte va dans le bon sens, car 3,6 millions de familles sont à l’heure actuelle privées des bénéfices de notre politique familiale. Toutefois, pour être pleinement efficace, le versement des allocations familiales dès le premier enfant devrait s’inscrire dans le cadre d’une réforme plus large, que nos amendements auraient détaillée s’ils n’avaient pas été jugés irrecevables. Nous prônons un retour intégral à l’universalité, une revalorisation des prestations et la création d’une aide sociale unique qui valorise le travail et soutient les familles durablement. Nous souhaitons également que les fondements de l’aide aux familles, le soutien aux acteurs de l’effort démographique et la différenciation entre politique de soutien familial et redistribution sociale soient préservés.

Enfin, la branche famille n’a pas vocation à éponger les dérives budgétaires des autres branches. En outre, il serait possible de procéder à une meilleure allocation des ressources en son sein. La Cour des comptes vient d’évaluer à 6,3 milliards d’euros le montant des versements indus par la Cnaf. Je forme le vœu que, dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), le Gouvernement garantisse que ces excédents serviront à reconstruire une politique familiale pleinement universaliste – compte tenu des montants en jeu, ce véhicule législatif paraît en effet le plus adapté.

Mme Lisa Belluco (EcoS). Intégrées au régime général de la sécurité sociale dès sa création, en 1945, les allocations familiales ont été conçues pour soutenir la natalité et aider les familles à assumer la charge effective de leurs enfants. Malheureusement, elles ne sont plus adaptées aux enjeux de l’époque. Si le nombre moyen désiré d’enfants, qui est de l’ordre de 2,39 enfants par foyer, reste inchangé, le taux de fécondité n’est plus que de 1,68 enfant par femme. Autrement dit, malgré ce qu’il reste de nos politiques natalistes, les parents n’ont pas autant d’enfants qu’ils et elles le souhaitent.

Pour avoir des enfants, encore faut-il pouvoir donner la vie. Or la réautorisation de pesticides interdits, la pollution de l’eau et la contamination aux polluants éternels polluent aussi nos corps. Des milliers de femmes et d’hommes ne peuvent plus avoir d’enfants ou rencontrent d’importants problèmes de fertilité ; nous savons que les pollutions environnementales en sont la cause première.

Pour avoir des enfants, il faut également disposer de temps pour prendre soin d’eux. Pour cela, il faudrait allonger la durée des congés parentaux et permettre aux parents de confier, de temps en temps, leurs enfants aux grands-parents, ce qui suppose de ne pas reculer encore l’âge de la retraite.

Pour avoir des enfants, il faut enfin avoir les moyens de s’en occuper. Il nous faudrait un véritable service public de la petite enfance – dont nous attendons le déploiement –et le versement des allocations dès le premier enfant, en particulier pour les familles monoparentales, qui sont très exposées à la précarité – près de 40 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté, alors que la moyenne est de 14 %.

Cette proposition de loi s’attaque à ce dernier problème. En ouvrant le droit aux allocations familiales dès le premier enfant, votre texte supprime simplement une anomalie. Au nom de quoi, en effet, faudrait-il attendre le deuxième enfant pour percevoir des allocations familiales alors qu’on est confronté à une marche financière dès le premier enfant ? Au nom de quoi priver du bénéfice de ces allocations les 47 % de familles qui n’ont qu’un enfant ?

Le groupe Écologiste et Social soutiendra ce texte, qui est inspiré par un principe de justice sociale et qui va dans le sens d’une parentalité choisie plutôt qu’imposée par des politiques natalistes.

Mme Perrine Goulet (Dem). Alors que la France connaît un déclin de sa natalité sans précédent, il nous revient de trouver des solutions pour répondre à cette crise sociétale. Seules 663 000 naissances ont été enregistrées en 2024, soit 21,5 % de moins qu’en 2010. L’indicateur conjoncturel de fécondité s’établit à 1,62 enfant par femme alors que le seuil de renouvellement des générations est fixé à 2,05 enfants par femme.

Cela étant, l’intervention publique n’est pas toujours efficace en matière de relance de la natalité. En effet, la décision d’avoir un enfant relève de l’intimité profonde et dépend de nombreux facteurs, tels que la situation personnelle, l’emploi, le logement, la fertilité, etc. J’ai eu l’occasion de le rappeler, il y a quelques semaines, à l’occasion de la séance thématique de contrôle du groupe Les Démocrates consacrée aux évolutions démographiques et aux enjeux de notre politique familiale.

Pour relancer la natalité, il est nécessaire d’organiser l’accueil de la petite enfance et de faire en sorte que les femmes puissent facilement mener une activité professionnelle. Votre texte, monsieur le rapporteur, ne traite pas de ces deux sujets essentiels.

Conscients de l’enjeu démographique, nous avions inscrit, lors de la journée réservée à notre groupe, une proposition de loi, défendue par Anne Bergantz, qui visait à attribuer les allocations familiales dès le premier enfant en les conditionnant à un véritable mécanisme de financement. Le texte prévoyait d’instaurer une allocation d’environ 70 euros par enfant, quel que soit son rang, en la réservant aux enfants à naître afin de ne pas pénaliser les familles actuelles.

Si nous partageons pleinement votre objectif, nous sommes nettement plus réservés sur les moyens que vous proposez pour l’atteindre. Lors de l’examen de la proposition de loi d’Anne Bergantz, la commission avait unanimement soutenu le principe de l’universalité. Des textes reviennent régulièrement sur ce sujet. Il est maintenant temps que nous définissions ensemble les moyens de mieux prendre en compte l’évolution des familles tout en garantissant la soutenabilité financière du dispositif.

Compte tenu du coût de votre dispositif, estimé à 3 milliards d’euros, et de l’impossibilité d’amender le texte, en raison des règles de recevabilité financière, nous ne pourrons malheureusement pas soutenir cette initiative, même si nous pensons, comme vous, que les allocations familiales doivent être versées dès le premier enfant, car les familles ont changé.

M. Paul Christophe (HOR). Nous sommes tous préoccupés par le décrochage démographique de notre pays et les fragilités nouvelles que rencontrent les familles. La natalité baisse et la politique familiale peine à se réinventer.

Nous comprenons donc l’ambition de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, qui vise à reconnaître chaque enfant, dès le premier, dans notre système d’allocations, mais nous devons aussi regarder les choses avec lucidité. L’extension du versement des allocations familiales au premier enfant représenterait, à elle seule, un coût annuel de 5 milliards d’euros. Dans un contexte où la dépense publique atteint ses limites, une telle mesure, sans financement identifié, n’est pas soutenable. Vous ne proposez pas, en effet, de faire évoluer d’autres prestations ni d’opérer un ciblage accru : autrement dit, votre texte ne prévoit aucune compensation.

Surtout, la proposition de loi ne répond que partiellement aux vrais défis de la politique familiale : elle ne dit rien du soutien aux familles, en particulier monoparentales – même si je sais que le sujet vous préoccupe –, de l’accès aux modes de garde, des congés parentaux, du logement, de la santé ni de l’emploi. Or ces leviers sont déterminants dans le choix de fonder une famille et permettent aux parents d’exercer leurs responsabilités dans la dignité.

La politique familiale nécessite bien plus qu’une mesure isolée, aussi généreuse soit-elle dans son intention. Elle mérite une stratégie globale, ciblée, juste et lisible. C’est la raison pour laquelle nous avons utilisé notre droit de tirage annuel pour créer une mission d’information sur la baisse de la natalité afin de définir un objectif partagé et soutenable.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons & Indépendants, qui partage l’ambition d’un soutien renforcé aux familles, ne pourra pas se prononcer en faveur de votre texte en l’état mais appelle au débat sur cette question.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Sans surprise, nous soutiendrons le texte de notre collègue Édouard Bénard.

Bien évidemment, on ne fait pas d’enfant pour percevoir des allocations. Il faut ne pas en avoir pour penser qu’avec un montant maximal de 151 euros pour deux enfants de moins de 14 ans, on peut les nourrir, les vêtir, les loger, leur payer une éducation et des loisirs adaptés. Néanmoins, pour beaucoup de familles qui peinent à joindre les deux bouts, dans le contexte que l’on connaît, les allocations familiales sont primordiales.

Ces dernières représentent un pan de notre politique familiale mais n’exercent plus d’effets depuis longtemps sur la natalité. Il n’est que de constater qu’en France, une famille sur quatre est monoparentale – la proportion ne cesse d’augmenter. Ces foyers sont souvent composés d’une femme et d’un enfant et sont plus exposés que les autres à la précarité. Une étude de 2019 montrait que cinq ans après l’arrivée d’un enfant, le revenu salarial des femmes avait diminué de 25 %.

Les femmes assument encore la grande majorité des tâches domestiques. Elles sont en première ligne pour les soins et emmènent souvent les enfants aux visites médicales. Cette charge supplémentaire a des incidences sur la vie professionnelle et le déroulement de la carrière.

La pauvreté infantile est également un phénomène de plus en plus prégnant dans notre société.

Proposer le versement des allocations familiales dès le premier enfant traduit un changement de vision. C’est un moyen d’aider les femmes et les familles monoparentales, de sortir de la précarité infantile et de faire un pas vers la nouvelle société qui est la nôtre. Ceux qui s’opposent à ce texte au motif qu’il ne s’inscrit pas dans le cadre d’une stratégie globale et qu’il ne traite pas de la question des moyens ne proposent aucune autre solution.

M. Olivier Fayssat (UDR). Nous voterons cette proposition de loi, même si nous nourrissons un certain nombre de regrets. Comme M. Bazin, nous regrettons que l’on ait perdu de vue le principe d’universalité et que les allocations familiales restent soumises à des conditions de ressources. À l’instar d’Angélique Ranc, nous souhaitons revenir au quotient familial tel qu’il existait avant l’élection de François Hollande et estimons nécessaire d’exiger que l’un des deux parents, au moins, ait la nationalité française. Nous proposerons d’ailleurs un texte en ce sens lors de la niche du groupe UDR, fin juin.

M. Nicolas Turquois, président. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Jusqu’en 2015, le montant des allocations était indépendant du revenu et ne variait que selon le nombre d’enfants à charge. Puis, sous l’impulsion de François Hollande, le montant des allocations a été divisé par deux pour les foyers gagnant entre 6 000 et 8 000 euros nets par mois – ce qui correspond à la tranche 2 – et par quatre au-delà de ce seuil – qui marque l’entrée dans la tranche 3.

L’argument de la justice sociale – les familles les plus modestes ont davantage besoin d’être aidées que les familles les plus riches – aurait pu être recevable, mais cette mesure n’a servi, en réalité, qu’à réaliser des économies, à hauteur de 800 millions d’euros, et non à accroître la redistribution en faveur des ménages modestes.

Le principe d’universalité est inhérent à une sécurité sociale forte. Il implique que chacun cotise en fonction de ses revenus et perçoive des prestations à raison de ses besoins. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait revenir sur la modulation des allocations en fonction du revenu et que la justice sociale passe plutôt, entre autres, par l’abolition du quotient familial ?

M. le rapporteur. Nous regrettons la remise en cause de la redistribution horizontale qui prévalait depuis la création des allocations familiales. La modulation des allocations en fonction des ressources n’a permis qu’une hausse marginale, de l’ordre de 0,2 %, du revenu disponible des ménages appartenant aux deuxième et troisième déciles. Le gain engendré par la réforme n’a pas été redéployé vers les familles les plus précaires ni en direction d’autres prestations familiales. Il a été fait le choix de suivre une logique de restriction budgétaire, au détriment de toutes les familles.

Nous n’avons pas évoqué ce sujet dans notre proposition de loi car nous pensons qu’il aurait davantage sa place dans une grande loi sur la famille qui questionnerait l’architecture globale des politiques familiales et qui pourrait également traiter de l’accompagnement des modes de garde.

Comme l’a indiqué M. Guedj, le versement des allocations familiales dès le premier enfant pourrait être financé par la suppression des exonérations de cotisations sociales. Nous sommes favorables à la constitution du groupe de travail proposé par M. Boyard pour identifier des gages financiers.

Madame Goulet, le coût de la proposition de loi de Mme Bergantz est comparable à celui du présent texte si l’on prend en considération les effets de seuil induits par la complexité de nos mécanismes sociaux et fiscaux.

Enfin, le texte propose une mesure de réparation et d’égalité territoriale, puisque le versement des allocations familiales dès le premier enfant existe déjà dans les territoires ultramarins.

 

Article 1er : Ouvrir le bénéfice des allocations familiales dès le premier enfant

Amendement AS17 de Mme Angélique Ranc

Mme Angélique Ranc (RN). L’amendement vise à réserver les allocations familiales aux familles dont au moins l’un des parents est de nationalité française. Au-delà de la question de la nationalité, il s’agit de poser un principe de réciprocité. Les aides financées par la solidarité nationale doivent profiter en priorité à ceux qui y contribuent de manière durable. Dans un contexte de contrainte budgétaire et de crise de confiance dans l’action publique, il est légitime de recentrer notre politique familiale sur les citoyens français. Ceux‑ci attendent de la justice sociale, laquelle passe par la réciprocité entre les droits et les devoirs. Ceux qui participent à l’effort collectif, qui cotisent et qui s’inscrivent dans la durée en France doivent être prioritaires.

M. le rapporteur. Outre le fait que je suis fondamentalement opposé à votre proposition, je dois vous rappeler plusieurs éléments. Dans sa décision du 11 avril 2024 relative à la proposition de loi visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers, le Conseil constitutionnel a déclaré que « les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ». De plus, l’article L. 512-1 du code de la sécurité sociale prévoit que le bénéfice des prestations familiales est ouvert aux personnes de nationalité française et aux personnes étrangères résidant en France ayant à leur charge un ou plusieurs enfants résidant en France. Enfin, le même code précise que les personnes étrangères bénéficiant des prestations familiales doivent séjourner régulièrement et principalement en France, soit pendant plus de neuf mois au cours de l’année civile de versement desdites prestations.

Avis défavorable.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Le Rassemblement national est extrêmement prévisible. Nous avions vu cet amendement raciste arriver à des kilomètres. Le lien entre racisme et allocations familiales est d’ailleurs un vrai sujet. Il faudrait lutter contre le racisme qui sévit dans nos caisses d’allocations familiales (CAF). Une travailleuse sociale de 43 ans, qui travaille en Seine-Saint-Denis, rencontre régulièrement des personnes de toutes origines pour les aider à faire valoir leurs droits. Elle s’assure qu’elles soient bien reçues dans le service public français. Son constat est alarmant : la majorité de ces personnes affirment avoir été victimes ou témoins de propos racistes dans une CAF, par exemple : « Rappelez quand vous aurez quelqu’un pour traduire ou bien quand vous saurez parler français » ou encore : « Avec son nom arabe compliqué, ça va être encore un dossier complexe » ; dernier exemple, à propos de voyageurs : « Ceux-là, on ne pourra rien en faire, c’est encore une plaie à gérer. » Il n’y a pas assez de garde-fous pour empêcher ces pratiques racistes, qui sont aggravées par la précarité du personnel et le manque de moyens. Il faudrait plutôt s’attaquer à cela que d’opposer les gens les uns aux autres.

Mme Perrine Goulet (Dem). L’amendement laisse penser que tous les étrangers viennent en France pour les allocations familiales. Mais voyez ces aides-soignantes qui se rendent dans notre pays pour travailler, qui cotisent et apportent de la richesse. À cause de votre amendement, elles ne pourraient pas bénéficier d’une aide pour leurs enfants, alors même qu’elles accompagnent nos anciens dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, dans un contexte marqué par la pénurie de ces professionnels. Il serait dérangeant et inconstitutionnel de faire venir et cotiser des gens sans leur donner le droit aux allocations familiales. Nous voterons contre cet amendement.

M. Jérôme Guedj (SOC). Tout ceci est en effet affreusement prévisible. Il y a une contradiction majeure à défendre le principe d’universalité des allocations familiales tout en prônant ce qui n’est rien d’autre que la préférence nationale. Qui plus est, votre amendement introduirait une rupture d’égalité majeure. En effet, le financement de la branche famille repose sur tous les salariés, qui versent des cotisations, et sur toutes les personnes assujetties à la contribution sociale généralisée (CSG) au titre des revenus du travail, du capital et de remplacement. Or vous instituez une logique de fléchage : je travaille, je cotise, j’ai la nationalité française, je perçois. Allez donc au bout de la logique ! Dites : je ne travaille pas, je ne cotise pas, je n’ai pas la nationalité française, je ne perçois pas. C’est le contraire même de la logique d’universalité. En outre, toutes les études attestent que les étrangers vivant sur le territoire national cotisent plus qu’ils ne reçoivent du système de protection sociale.

Pour finir, il n’est nul besoin de jeter l’opprobre sur les agents des caisses de sécurité sociale pour dénoncer les soubassements racistes du Rassemblement national. Le racisme existe malheureusement dans tous les compartiments de la société, dans tous les milieux sociaux et tous les groupes politiques. Laisser entendre qu’il y a un racisme systémique dans les caisses d’allocations familiales, c’est le pire moyen de combattre cette discrimination.

M. Michel Lauzzana (EPR). Ce n’est pas à la politique familiale de régler les problèmes d’immigration. Elle ne résume pas non plus toute la politique nataliste. D’autres encore veulent en faire un outil pour améliorer le niveau de vie. Il faut être prudent. Dès 2017, notre ministre, Mme Buzyn, avait tenu à augmenter le complément de mode de garde pour aider les familles monoparentales. Toutefois, je ne suis pas sûr que la politique familiale puisse résoudre tous les problèmes de société. Sous la présidence de François Hollande, il avait été fait le choix de l’équité, par la modulation du montant des allocations familiales en fonction des ressources. M. Moscovici, premier président de la Cour des comptes, vient de nous expliquer que nous avions un gros problème d’économies. Il va nous falloir réfléchir à de nouvelles ressources ou à de moindres dépenses.

M. Hendrik Davi (EcoS). Cet amendement démontre une nouvelle fois l’obsession du Rassemblement national pour l’immigration, dont il fait à tort la cause de tous les problèmes de la société française. Notre système de protection sociale est fondé sur l’universalité, selon un principe qui devrait vous plaire : on travaille, on cotise, ce qui nous ouvre des droits au chômage, aux allocations familiales, à la retraite et aux soins.

La proposition de loi va dans le bon sens, en ouvrant les droits dès le premier enfant. Il n’y a pas de raison, en effet, que les familles composées d’un enfant aient moins de droits que celles qui en comptent deux. Cette mesure permettrait aussi de résoudre d’autres problèmes, y compris celui des retraites, puisqu’une partie des familles veulent des enfants mais ne peuvent concrétiser ce désir, notamment parce qu’elles n’ont pas les moyens de les faire garder. À partir du moment où l’on fiscalise la sécurité sociale et où l’on décide de financer la protection sociale par l’impôt plutôt que par la cotisation, on ouvre la voie à ce type de rupture avec l’universalisme. Dès lors que l’on travaille, on cotise, ce qui ouvre des droits aussi bien aux Français qu’aux étrangers, lesquels contribuent à la richesse de notre pays.

M. Thibault Bazin, rapporteur général. C’est un débat qui demande de la nuance car le système des allocations familiales est d’une réelle complexité. Il faut considérer le cas des réfugiés, des ressortissants de l’Algérie, pays qui bénéficie de dispositions particulières, de ceux de l’Espace économique européen et de la Suisse, qui bénéficient également d’un dispositif spécifique. Cela représente l’essentiel des personnes qui, sans avoir la nationalité française, bénéficient des allocations familiales.

À l’heure actuelle, une personne en situation irrégulière n’a pas droit aux allocations familiales. Quand les personnes ont cotisé, il est normal qu’elles puissent prétendre à un certain nombre de prestations mais qu’en est-il lorsqu’elles n’ont jamais cotisé ? Faut-il avoir travaillé pour bénéficier des allocations ? Ce qui est sûr, c’est qu’à partir du moment où l’on cotise, on a accès à des droits. Il faut aussi tenir compte des phénomènes d’attractivité. La question est encore plus complexe si l’on prend en compte les détachés.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). L’amendement vise à ajouter l’alinéa suivant : « Le présent article s’applique aux familles dont au moins l’un des deux parents est de nationalité française. » En réalité, les allocations sont versées pour les enfants ; ce sont donc eux que vous allez sanctionner, alors qu’ils ne sont pas responsables de la situation. Il y a là une dimension morale que l’on doit prendre en compte : on ne peut pas légiférer aussi simplement.

Par ailleurs, j’aimerais dire à nos collègues de la droite, d’Horizons et du MoDem qu’il faut qu’ils arrêtent de voir la politique familiale à travers un prisme nataliste. La France est l’un des pays d’Europe qui a le taux de natalité le plus élevé. Un rapport de l’ONU de 2024 montre que l’humanité va entrer en récession démographique à partir des années 2080. C’est un fait anthropologique majeur. Cette phase de l’histoire de notre espèce est notamment liée à la place des femmes dans la société, à la baisse de la fertilité, à la précarité. C’est plutôt une bonne chose quand on voit les effets du dérèglement climatique.

Si vous pensez que la politique familiale sera capable d’inverser une tendance anthropologique, vous vous mettez le doigt dans l’œil. L’un des objectifs de la branche famille est d’accroître la natalité. Non seulement on voit que ça ne fonctionne pas – il suffit d’observer la situation dans les pays d’extrême droite volontaristes, où cette politique a eu pour seul effet de faire reculer les droits des femmes – mais, surtout, on passe à côté du vrai débat, qui devrait se concentrer sur la justice et l’égalité. Cessez de parler de politique nataliste : c’est un contresens historique et anthropologique.

M. Olivier Fayssat (UDR). Madame Soudais, le fait d’assimiler, comme vous l’avez fait, racisme et nationalité, est insensé. Il n’y a pas de critère de race, d’ethnie ou d’origine dans la nationalité française. Il serait vain d’essayer de vous convaincre mais il est un peu irritant, à la longue, d’entendre ce genre de propos.

Mme Joëlle Mélin (RN). Il y a deux problèmes. Premièrement, le revenu global des familles est trop bas, aussi bien en Europe que sur le continent africain. Les femmes sont parfois obligées de travailler dans des conditions difficiles parce que le salaire de leur époux ou de leur conjoint est insuffisant. Les salaires européens ont été tirés vers le bas, ce qui a causé nombre de difficultés, dont la baisse de la natalité, particulièrement dans notre pays. Pour régler cela, on est entraîné dans une spirale vicieuse.

Deuxièmement, d’une manière ou d’une autre, il y a toujours une réciprocité des droits pour les ressortissants européens, le règlement (CE) n° 883/2004 prévoyant que l’on transporte d’un pays à l’autre la totalité de ses droits sociaux – tout a été prévu en matière de couverture sociale, jusqu’aux modes de garde des enfants. Il en résulte que tous les Européens sont couverts. Tous ceux qui travaillent dans notre pays et qui cotisent ont bien évidemment droit aux mêmes prestations que les cotisants de nationalité française. Pour le reste, se pose le problème de la qualité contributive ou non contributive d’une allocation.

M. Paul Christophe (HOR). Monsieur Boyard, je ne voudrais pas que vous interprétiez mal mes propos : ce que j’ai dit, c’est qu’il nous faut considérer l’ensemble des éléments – parmi lesquels les modes de garde et les prestations familiales – qui permettraient d’accompagner une famille désireuse d’avoir un enfant – il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit, ce qui serait absurde et constituerait un contresens historique, pour reprendre votre expression.

Quant à l’amendement, vous ne serez pas surpris d’apprendre que nous nous y opposerons. Je rejoins les propos de Perrine Goulet. Si l’on demande aux personnes que nous avons besoin d’accueillir, notamment pour travailler dans nos hôpitaux, de laisser leur famille à la porte, nous aurons du mal à être attractifs. C’est une erreur de proposer cet amendement, qui revient souvent, année après année, notamment lors de l’examen des PLFSS ; j’aimerais que le sujet soit clos une fois pour toutes.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS16 de Mme Sylvie Dezarnaud

M. le rapporteur. Cet amendement a pour objet d’intégrer dans le rapport annuel de la Cnaf les conséquences de l’ouverture des allocations familiales dès le premier enfant sur la réduction de la pauvreté infantile. L’un des objectifs de la proposition de loi est précisément de diminuer cette forme de pauvreté, alors que celle-ci est en expansion. J’en profite pour réaffirmer qu’il ne s’agit pas d’une proposition de loi nataliste ou de réarmement démographique mais d’un texte d’équilibre destiné à soutenir toutes les familles, en particulier les enfants.

En 2021, le taux de pauvreté des mineurs s’élevait à 20,6 % contre 14,5 % pour l’ensemble de la population ; le pourcentage atteignait 46 % pour les enfants vivant avec une mère isolée et 22 % pour ceux qui vivent avec un père isolé. Disposer de données annuelles sur ce sujet serait en effet utile.

Avis favorable.

M. le rapporteur général. Le terme de « pauvreté infantile » me pose problème ; sans doute serait-il plus juste de parler de « précarité familiale ». La délégation aux droits des enfants a d’ailleurs produit un rapport sur ce sujet. Serait-il possible de rectifier l’amendement en ce sens, monsieur le rapporteur ?

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je ne comprends pas trop l’amendement. En gros, on se demande si l’attribution des allocations familiales dès le premier enfant va réduire la pauvreté des familles. Je n’ai pas besoin d’un rapport pour comprendre que ce sera le cas. On peut le voter, monsieur Bazin, mais ensuite, il ne faudra pas nous reprocher de demander des rapports trop bavards...

Par ailleurs, je voudrais dire à nos collègues du Rassemblement national que les femmes n’ont pas commencé à travailler à partir de 1950. En réalité, elles ont toujours travaillé mais elles le faisaient, autrefois, dans un milieu intrafamilial sans percevoir de rémunération. Cela commence en fait aux alentours de 1850 et ce n’était pas pour aider leur famille : les fabriques avaient besoin d’elles pour se relancer, étant donné qu’elles les payaient deux fois moins que les hommes. Par ailleurs, le fait que les femmes travaillent est une bonne chose puisque cela leur permet de toucher un salaire et d’être autonomes.

Mme Angélique Ranc (RN). Monsieur Boyard, c’est la mère de trois enfants qui a arrêté de travailler pendant plus de cinq ans pour s’en occuper qui vous parle. Beaucoup de femmes aimeraient travailler, sauf que, face au coût du carburant pour aller au travail, de la garde des enfants, du périscolaire et de la cantine, elles n’ont parfois pas d’autre choix que de rester à la maison.

M. Nicolas Turquois, président. Je rappelle la rectification qui a été apportée à l’amendement : le terme « pauvreté infantile » a été remplacé par celui de « précarité familiale ».

La commission adopte l’amendement rectifié.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

 

Article 1er bis (nouveau) : Rapport détaillant les pistes de réforme des allocations familiales

Amendements AS5 de M. Thibault Bazin, AS1 de M. Jérôme Guedj et AS13 de M. Louis Boyard (discussion commune)

M. le rapporteur général. Lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Bergantz visant à simplifier et réorienter la politique familiale vers le premier enfant, notre commission avait voté un amendement demandant un rapport. Par notre amendement, nous demandons au Gouvernement un rapport plus complet, qui devra « détailler les pistes de réforme des allocations familiales, en distinguant celles relevant de la politique familiale de celles, éventuellement complémentaires, relevant de la politique sociale ». Nous souhaitons également qu’il « évalue le coût et les modalités d’une revalorisation des allocations familiales pour que celles-ci soient réellement universelles et versées pour chaque enfant ». Il devra en outre « étudier le coût et les modalités de mesures sociales de compensation de ce que pourraient perdre certaines familles relativement à la revalorisation suscitée ». Enfin, il étudiera « l’opportunité de financer ces scénarios par une réforme du quotient familial, sans que celle‑ci entraîne sa diminution ni son plafonnement ».

M. Jérôme Guedj (SOC). Tout le monde s’accorde à dire qu’avec cette proposition de loi, on met le pied dans la porte mais qu’il conviendrait de questionner les outils de la politique familiale. En particulier, il faut réexaminer ce qui est soumis à des conditions de ressources et ce qui relève de l’universalité. C’est la raison pour laquelle nous proposons, par notre amendement, une demande de rapport relative aux pistes de réforme des allocations familiales, qui permettrait de faire le point sur un certain nombre de questions, y compris sur les décisions prises récemment. À titre personnel, j’ai toujours été opposé à la modulation des allocations familiales en fonction des revenus du ménage, au nom du principe d’universalité et pour ne pas donner un argument à ceux qui veulent transformer la sécurité sociale, qui est un outil d’égalité, en un outil d’équité. Certains expliquent de la même façon que l’on pourrait rembourser les soins de ville ou les médicaments en fonction des revenus du patient. Ce serait une atteinte au principe d’universalité qui ferait courir le risque d’une remise en cause du consentement à la cotisation et à l’impôt pour financer notre système de sécurité sociale.

Il faut aussi aborder ces sujets pour tordre le cou à certaines idées reçues. Les allocations familiales sont universalisées depuis une loi adoptée en 1975 sous le gouvernement de Jacques Chirac, entrée en vigueur le 1er janvier 1978, en vertu de laquelle le bénéfice des allocations familiales n’est plus conditionné à l’exercice d’une activité salariée. Le fait de résider en France de manière stable et régulière suffit. C’était là l’accomplissement de l’ambition originelle d’universalité. Il a fallu attendre 1999 pour que l’assurance maladie soit à son tour universalisée, c’est-à-dire déconnectée de l’activité professionnelle. Ce sont donc des prestations non contributives, pour partie, ce qui explique qu’elles soient financées, pour partie, par la CSG. De grâce, ne réintroduisez pas l’idée selon laquelle il faut travailler et cotiser pour bénéficier des allocations familiales alors qu’il suffit de résider sur le territoire national et d’acquitter la CSG, quel que soit son niveau de revenu.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). La demande de rapport que nous formulons par notre amendement est très politique. Monsieur Bazin, vous évoquez des mesures de compensation, ce qui signifie que certains subiront peut-être une baisse de revenus. Nous craignons que l’on ne revienne à l’euro constant, ce qui explique que nous ne voterons pas l’amendement. Monsieur Guedj, il y a quelque chose d’assez contradictoire dans votre demande. En effet, vous visez l’universalité de l’accès aux allocations familiales sans diminution de leur montant, tout en demandant leur progressivité en fonction de l’âge des enfants et des revenus. Il n’est pas exact de dire que les allocations familiales sont universelles, puisqu’en 2015, sous la présidence de M. Hollande, une réforme, qui était surtout une mesure d’économies, a été votée. Lorsqu’on prétend défendre une sécurité sociale universelle, il faut assurer une véritable égalité ; je n’imagine pas un remboursement des médicaments variable en fonction des revenus. On devrait revenir à une véritable universalité et supprimer les dispositions adoptées en 2015.

M. le rapporteur. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, la proposition de loi constitue une étape dans le débat sur les allocations familiales. Un rapport pourrait utilement éclairer la représentation nationale sur les enjeux et les propositions de réforme. L’amendement de M. Guedj évoque deux pistes de financement : une abrogation de la réduction appliquée sur les cotisations d’allocations familiales patronales pour certains niveaux de salaires et une réforme du quotient familial, alors que les deux autres amendements mentionnent uniquement cette dernière.

En conséquence, je donne un avis favorable sur l’amendement AS1 de M. Guedj. Je demande le retrait des amendements AS5 et AS13 ; à défaut, je m’en remettrais à la sagesse de la commission.

M. le rapporteur général. Je n’ai fait que reprendre l’esprit de l’amendement qui avait été adopté par notre commission sur la proposition de loi d’Anne Bergantz. Par cohérence, je le maintiens.

La commission rejette l’amendement AS5.

Puis elle adopte l’amendement AS1.

En conséquence, l’article 1er bis est ainsi rédigé et l’amendement AS13 tombe.

 

Article 2 : Gage financier

La commission adopte l’article 2 non modifié.

 

Titre

Amendement AS4 de M. Thibault Bazin

M. le rapporteur général. Les amendements que j’avais déposés pour rétablir l’universalité des allocations familiales ayant été jugés irrecevables, je retire celui‑ci, par cohérence.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

 

La réunion s’achève à douze heures dix.


Présences en réunion

Présents.  Mme Ségolène Amiot, M. Thibault Bazin, Mme Lisa Belluco, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Édouard Bénard, Mme Sylvie Bonnet, M. Louis Boyard, M. Paul Christophe, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, M. Fabien Di Filippo, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Océane Godard, Mme Perrine Goulet, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Émeline K/Bidi, M. Michel Lauzzana, Mme Christine Le Nabour, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Joëlle Mélin, Mme Joséphine Missoffe, Mme Angélique Ranc, Mme Stéphanie Rist, Mme Anne-Sophie Ronceret, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, M. Arnaud Simion, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, M. Stéphane Viry

Excusés.  Mme Anchya Bamana, Mme Béatrice Bellay, M. Christophe Bentz, M. Elie Califer, Mme Élise Leboucher, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Caroline Yadan

Assistaient également à la réunion.  M. René Lioret, Mme Ersilia Soudais, M. Jean‑Luc Warsmann