Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Évaluation de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (Mme Christine Le Nabour et M. Sébastien Peytavie, rapporteurs) 2
– Communication de Mme Sandrine Runel et Mme Nathalie Colin-Oesterlé, rapporteures de la mission « flash » sur l’opportunité et les modalités de la création d’une allocation sociale unique 19
– Présences en réunion.................................31
Mercredi
9 juillet 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 102
session extraordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Annie Vidal,
vice‑présidente
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La réunion commence à neuf heures cinq.
(Présidence de Mme Annie Vidal, vice‑présidente)
La commission examine d’abord le rapport de la mission d’valuation de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (Mme Christine Le Nabour et M. Sébastien Peytavie, rapporteurs).
Mme Annie Vidal, présidente. L’évaluation par notre commission de la loi n° 2005‑102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées coïncide avec les vingt ans de ce texte, qui venait lui-même trente ans après la loi d’orientation n° 75‑534 du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, ce qui témoigne de l’engagement constant du Parlement.
Cette évaluation a été confiée à une mission comprenant un représentant de chaque groupe politique. J’adresse mes remerciements à chacun d’entre eux. Ils vont en premier lieu à nos rapporteurs, Christine Le Nabour et Sébastien Peytavie, qui ont accompli un travail considérable, à la hauteur des ambitions de cette loi fondatrice.
Alors que la loi comprenait pas moins de cent un articles, la mission d’évaluation formule quatre-vingt-six recommandations. Il y a donc de quoi faire, notamment pour les législateurs que nous sommes. Voter la loi, l’évaluer puis la faire évoluer en conséquence, c’est le cercle vertueux que nous devons perpétuer.
M. Sébastien Peytavie, rapporteur. Je suis heureux de vous présenter le rapport de la mission d’évaluation. Nous avons fait le choix d’ouvrir parallèlement à nos travaux une consultation en ligne intitulée « Rien Sans Nous », permettant de recueillir des centaines de témoignages de personnes handicapées ou de leurs proches. Ces contributions irriguent chaque partie du rapport et elles en constituent le fil rouge : donner la parole aux premiers concernés.
Pendant six mois de travaux intenses, Christine Le Nabour et moi-même, ainsi que les différents membres de la mission d’évaluation que je remercie pour leur implication, avons auditionné près de quatre-vingts acteurs afin de recueillir leurs constats, leurs critiques et leurs préconisations au sujet des politiques du handicap menées en France depuis 2005. Nous avons ainsi rencontré de très nombreux représentants associatifs des personnes handicapées et de leurs proches, des gestionnaires de structures médico-sociales, des directions ministérielles, des experts et des personnalités qualifiées ainsi que des fédérations professionnelles. Si nous ne pouvons pas prétendre à l’exhaustivité, nous soulignons la diversité des points de vue et des sujets abordés : accès aux droits et prestations sociales, prise en charge médico-sociale, protection juridique des majeurs, école, enseignement supérieur, emploi, logement, cadre bâti, transports, numérique. C’est peu dire que la tâche était d’ampleur !
Nous nous sommes déplacés à deux reprises, en Côte-d’Or et dans le Rhône, afin d’échanger sur le terrain avec les professionnels et les usagers des politiques du handicap. Tous les membres de la mission d’évaluation ont, en outre, parcouru leurs circonscriptions et le territoire national afin de rencontrer le plus grand nombre possible de personnes et de visiter le maximum de lieux. Je me suis également rendu, au cours des six derniers mois, au sommet mondial du handicap à Berlin et à la Conférence des États parties à la Convention internationale des droits des personnes handicapées à New York.
Le rapport contient quatre-vingt-six recommandations portant sur les quatre axes de travail identifiés au début de la mission : les droits, les prestations et les modalités de prise en charge médico-sociale des personnes handicapées ; l’accès à l’école, à l’enseignement supérieur et à l’emploi ; l’accessibilité des logements, des établissements recevant du public, de la voirie, des transports et du numérique ; la représentation des personnes handicapées auprès des pouvoirs publics, la gouvernance et le pilotage des politiques du handicap.
J’évoquerai les droits, prestations et parcours médico-sociaux proposés aux personnes handicapées, ainsi que leur participation à l’élaboration et à l’application des politiques publiques qui les concernent. Christine Le Nabour vous présentera les enjeux en matière d’école, d’enseignement supérieur, d’emploi et d’accessibilité du cadre de vie.
Pour commencer, je souhaite rappeler qu’il est impossible d’évaluer la loi du 11 février 2005 indépendamment du contexte international. La Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées a été adoptée en 2006, puis ratifiée par la France en 2010. En 2021, à la suite d’un long processus d’évaluation, l’Organisation des Nations unies a publié ses observations finales sur le respect de cette Convention. Le constat est particulièrement sévère pour la France. Les Nations unies pointent une atteinte à de nombreux droits fondamentaux des personnes handicapées. Il était essentiel de partir de ce constat et de la parole des premiers concernés pour produire le présent rapport.
D’abord, l’approche du handicap retenue par la loi de 2005 est différente de celle de la Convention des Nations unies. Notre loi, bien qu’elle souligne le rôle de l’environnement dans la production du handicap, reste centrée sur une approche biomédicale selon laquelle le handicap est avant tout une déficience individuelle qu’il convient de compenser. À l’inverse, la Convention propose un modèle social du handicap, fondé sur les droits humains : c’est avant tout à la société de s’adapter pour inclure les personnes handicapées, car c’est l’environnement qui génère les handicaps. Cette définition n’est pas qu’une question sémantique ou théorique car toute notre législation en découle : si le handicap n’est pas le fruit d’une déficience individuelle mais résulte d’un environnement inadapté, alors c’est bien un effort collectif que nous devons produire pour garantir la participation des personnes handicapées à la vie sociale, politique, économique et associative. C’est pourquoi nous proposons de modifier notre définition et d’intégrer en droit français les grands principes de la Convention des Nations unies.
Ensuite, la loi du 11 février 2005 reposait sur deux grands piliers : la compensation individuelle d’une part, l’accessibilité universelle d’autre part. Ces deux principes agissent comme des vases communicants : plus la société est accessible et moins les personnes handicapées ont besoin de voir les conséquences de leur handicap compensées. Sur le premier volet, la loi a créé la prestation de compensation du handicap (PCH). En 2005, la PCH constituait une avancée majeure, fondée sur la promesse d’une compensation intégrale des conséquences du handicap, sur la base d’une évaluation des besoins de la personne handicapée tenant compte de son projet de vie. Le constat est malheureusement celui d’une promesse non tenue : le mécanisme s’avère d’une complexité inouïe et sa portée a été fortement restreinte par voie réglementaire, notamment en ce qui concerne l’aide humaine. La vie quotidienne est découpée en actes minutés. À chaque acte correspondent un tarif et un plafond. Nous sommes bien loin du soutien promis à l’autodétermination des personnes handicapées. Nous proposons donc une refonte globale de la PCH en une prestation unique soutenant les aspirations et les projets de ses bénéficiaires.
Aux défis de la PCH s’ajoutent les dysfonctionnements des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), que nous connaissons tous : délais de traitement des dossiers interminables, disparités territoriales majeures dans l’attribution des droits et des aides, complexité des démarches administratives pour les usagers. Une réforme de la gouvernance territoriale est nécessaire. Nous proposons deux pistes de réflexion afin de recentrer les missions des MDPH sur l’accueil et l’accompagnement des usagers ainsi que sur l’évaluation des situations les plus complexes.
Par ailleurs, la prise en charge médico-sociale des personnes handicapées fait l’objet d’une critique majeure de la part de l’ONU : la France n’a pas engagé de processus de désinstitutionnalisation des personnes handicapées. Ces dernières, faute d’alternative, sont encore souvent contraintes de résider dans des établissements d’hébergement, qui les coupent du monde extérieur en violation de leur droit à l’autonomie et à l’inclusion dans la société. Nous ne souhaitons pas dénigrer le travail des professionnels de ces structures, dont l’engagement est remarquable. Nous dénonçons néanmoins la ségrégation dont sont victimes les personnes handicapées, faute de logements adaptés ainsi que de services d’aide et d’accompagnement à domicile de qualité et en quantité. Nous préconisons de planifier la désinstitutionnalisation : celle-ci ne doit pas intervenir à marche forcée au risque d’occasionner des souffrances pour les personnes et leurs proches. En revanche, nous ne devons pas non plus partir du principe qu’elle est impossible. Elle est possible en facilitant l’accès au logement, en garantissant le bénéfice d’assistants personnels choisis par les personnes elles-mêmes, en s’assurant qu’il existe toujours des solutions alternatives, en réformant la gouvernance des établissements.
Comment pouvons-nous continuer à élaborer les politiques du handicap sans les personnes handicapées ? Nous devons nous interroger sur la place que nous donnons à leur parole, sur l’écoute que nous leur prêtons. Il faut accorder aux personnes handicapées la pleine citoyenneté en garantissant leur droit de vote mais aussi leur éligibilité. Il faut soutenir leur participation à la vie sociale, civile et associative. Trop souvent, nous pensons écouter les personnes handicapées alors que ce ne sont pas leurs voix que nous entendons. Ce sont celles de personnes qui parlent en leur nom, de bonne foi et avec de bonnes intentions : proches, parents, aidants, professionnels, gestionnaires d’établissements médico-sociaux. Tout au long de la mission d’évaluation, nous avons cherché à auditionner les personnes handicapées elles-mêmes. Ce n’est pas facile, cela demande des moyens techniques et du temps, mais c’est nécessaire. Nous devons toujours présumer – car c’est le cas, à de rares exceptions près – que les personnes handicapées peuvent s’exprimer, à condition qu’on les laisse le faire. Elles peuvent décider pour elles-mêmes. Elles sont capables. Écoutons-les vraiment nous dire ce qu’elles souhaitent, ce qu’elles veulent, ce qu’elles revendiquent. Et laissons-les décider, diriger et appliquer ces décisions. Bref, faisons de la place, dans tous les sens du terme.
Mme Christine Le Nabour, rapporteure. La mission d’évaluation fut pendant six mois une aventure humaine, exigeante et enrichissante. Elle nous oblige à tenir les promesses faites en 2005, donc à rendre effectifs les droits des personnes en situation de handicap. J’évoquerai plusieurs points qui occupent une place centrale dans la loi : l’école, l’emploi et l’accessibilité du cadre de vie.
Premièrement, en ce qui concerne l’école inclusive, nos travaux montrent que, malgré une impulsion importante, les engagements sont loin d’être honorés. La loi a posé un principe clair : le droit à l’éducation pour tous les enfants en privilégiant la scolarisation en milieu ordinaire. Les chiffres peuvent sembler, de prime abord, encourageants : le nombre d’élèves handicapés scolarisés a plus que triplé en vingt ans pour atteindre près de 470 000 enfants à la rentrée 2023. Mais ce succès quantitatif ne doit pas masquer un bilan contrasté. Trop d’enfants sont encore orientés par défaut vers le secteur médico-social. En vingt ans, leur nombre n’a pas évolué. Près d’un tiers d’entre eux suivent leur scolarité sans véritable lien avec l’école et 8 % ne sont pas du tout scolarisés.
Les associations dénoncent la scolarisation souvent partielle des enfants handicapés sans que les statistiques publiques, lacunaires, permettent d’en apprécier l’ampleur. Les démarches auprès des MDPH restent longues et complexes, les réponses apportées insuffisantes.
Les moyens sont importants – 4,6 milliards d’euros pour l’année 2025 – mais mal employés. Trop souvent, l’école inclusive se résume à l’intervention des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), qui sont principalement des femmes. Or on le sait, elles sont insuffisamment formées et leur situation est trop précaire. La présence de professionnels du secteur médico-social à l’école est aujourd’hui limitée et insuffisamment ancrée dans la culture. La formation de la communauté éducative, particulièrement des enseignants, est très médiocre, ce qui entraîne parfois un rejet préoccupant de l’école inclusive par les professeurs eux-mêmes.
Il ressort de nos travaux une conviction forte : ce n’est pas aux élèves de s’adapter à l’école, c’est à l’école de s’adapter à eux. L’implantation des structures médico-sociales dans l’institution scolaire doit se poursuivre. Il faut réunir les conditions de réussite des pôles d’appui à la scolarité (PAS), qui doivent permettre de resserrer les liens entre l’éducation nationale et le médico-social pour construire une culture commune. Il est à cet égard indispensable de garantir la cohérence de la réponse apportée aux besoins de chaque élève, laquelle doit être graduée. Le déploiement des PAS exige une clarification du rôle des différents intervenants ainsi que des moyens à la hauteur des ambitions fixées.
Surtout, il faut dépasser l’approche compensatoire au profit de l’accessibilité. Une conception universelle de l’école doit ainsi être promue, du bâti scolaire aux contenus pédagogiques en passant par le matériel utilisé en classe. Un travail s’impose avec les collectivités sur l’accessibilité physique des bâtiments en prenant en compte les différentes formes de handicap. La formation initiale et continue des enseignants mérite d’être considérablement étoffée : l’accessibilité implique une transformation profonde de la pédagogie et des contenus. Plus encore que l’école inclusive, c’est la notion de classe et d’enseignement inclusifs qu’il faut généraliser.
En ce qui concerne l’enseignement supérieur, la loi de 2005 a reconnu un droit d’accès pour les personnes handicapées et confié aux établissements la mise en œuvre de ce principe. Le nombre d’étudiants handicapés a été multiplié par huit depuis 2003, mais il demeure très faible au regard de la population étudiante. Les embûches sont encore nombreuses : manque de référents, difficultés à faire appliquer les aménagements de la pédagogie et des épreuves, ruptures d’un cycle à l’autre. Nous proposons de renforcer les budgets dédiés dans les établissements, de rendre les plans d’accompagnement opposables et d’instaurer une portabilité des droits pour éviter les ruptures de parcours.
J’en viens à l’emploi, sujet qui me tient particulièrement à cœur. En vingt ans, les outils ont évolué et la situation a progressé sans que les objectifs soient atteints. Le taux de chômage des personnes handicapées a diminué mais il reste deux fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population active – 12 % contre 7,3 %. Les travailleurs handicapés représentent toujours moins de 6 % de la population active, avec des disparités importantes entre les secteurs privé et public. Le fait d’être handicapé ou malade chronique multiplie par trois le risque d’être victime de discrimination au travail.
Les aides proposées par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) et le Fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) sont utiles mais encore trop complexes à obtenir, en particulier pour les petites structures – entreprises, hôpitaux ou collectivités territoriales. Elles doivent être bien mieux accompagnées. Les modalités de financement des fonds devront à terme être révisées en raison de l’effet ciseaux qui les affecte.
L’accompagnement des demandeurs d’emploi évolue depuis plusieurs années dans le sens d’un rapprochement avec le droit commun et de la simplification du parcours. La loi n° 2023‑1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi a amorcé un changement de paradigme : l’accès au monde du travail ordinaire est désormais un droit universel, le principe d’orientation par la MDPH ayant été supprimé. Il s’agit de mener la réforme à son terme, ce qui implique des moyens suffisants pour la réussite du service public de l’emploi pour tous.
Les outils d’accompagnement personnalisés doivent être développés, à l’instar de l’emploi accompagné. Nous préconisons, comme le Président de la République s’y était engagé, d’autoriser le cumul entre l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et un emploi au-delà d’un mi-temps.
Nous insistons sur la nécessité d’achever la transformation du secteur protégé. Des évolutions importantes ont été permises par le plan de transformation des établissements et services d’aide par le travail (Esat) et la loi pour le plein emploi, notamment la reconnaissance de droits collectifs fondamentaux. Mais beaucoup reste à faire. Les passerelles vers le milieu ordinaire sont trop rares : seulement 1 % des travailleurs en Esat y accèdent chaque année. Nous appelons à établir des objectifs chiffrés de sorties vers l’emploi, à revoir les rémunérations, à consolider les droits collectifs et à garantir un meilleur encadrement des établissements pour prévenir les situations de maltraitance et favoriser une transition vers un modèle plus inclusif. Ces différentes recommandations constituent des étapes vers la désinstitutionnalisation.
S’agissant de l’accessibilité du bâti et des transports, nous dressons un constat sévère. En matière de logement, les retards sont criants. La loi n° 2018‑1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite Élan, a mis un coup d’arrêt en abaissant les exigences d’accessibilité pour la production de logements neufs. Quant aux logements dits évolutifs, ils restent théoriques, faute de travaux simples à réaliser. Nous proposons de revenir sur le recul qu’a constitué la loi Élan. Il est également essentiel de mettre fin aux nombreuses dérogations injustifiées, de renforcer les contrôles et de mieux prendre en compte les handicaps psychiques et cognitifs, souvent ignorés ou relégués au second plan.
Pour ce qui est des établissements recevant du public (ERP), les ambitions ont été revues à la baisse et les échéances reportées. L’ordonnance n° 2014‑1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées a instauré les agendas d’accessibilité programmés, les fameux Ad’AP, destinés à adapter le calendrier des travaux d’accessibilité. Leur bilan est mitigé. Au moins trois quarts des ERP demeurent inaccessibles. Les difficultés se concentrent sur les petits établissements – petits commerces, restaurants, bars, petits musées, etc. – dont 90 % ne seraient pas aux normes. Les dérogations sont trop nombreuses et les contrôles insuffisants tandis que le fonds territorial d’accessibilité n’a pas rencontré le succès escompté. Nous appelons à refonder la stratégie d’accessibilité des ERP en renforçant le suivi, le contrôle, l’accompagnement et les sanctions. Les dérogations doivent être limitées à l’impossibilité technique. En parallèle, les conditions d’intervention des architectes des bâtiments de France et des conservateurs du patrimoine doivent évoluer.
En matière de voirie et de transports, une grande partie du réseau demeure hors de portée pour des millions de Français. Les exigences relatives à la voirie ont été considérablement abaissées par voie réglementaire. Quant aux transports publics, alors que la loi imposait leur mise en accessibilité dans un délai de dix ans, soit en 2014, l’obligation a été restreinte aux seuls arrêts prioritaires, donc à moins de 40 % des arrêts, et l’échéance a été reportée. Il est urgent de rappeler aux collectivités et aux autorités organisatrices de transports leur responsabilité en imposant une obligation de moyens, des sanctions et un devoir de transparence.
Enfin, en 2024, seulement 3 % des démarches numériques essentielles de l’État sont pleinement accessibles. Il faut renforcer les obligations d’accessibilité numérique des acteurs publics et privés, ainsi que la formation des agents et des développeurs.
Ce rapport est le fruit de plusieurs mois de travail, d’auditions, de déplacements et d’une consultation directe des personnes handicapées. Il ne se veut ni complaisant ni excessif, mais lucide. Nous proposons de tirer les leçons des erreurs du passé et d’amorcer un mouvement de transformation profonde en faveur des droits, de l’autonomie et de l’inclusion des personnes handicapées.
Les politiques du handicap ne concernent pas que les personnes handicapées, mais tout un chacun. La place qui leur est faite dans la vie sociale, dans le monde du travail, à l’école dit beaucoup de ce que nous sommes collectivement. Notre sens de la solidarité, le respect que nous accordons à ceux qui sont différents, la place faite à l’altérité sont autant de piliers de la société et du pacte social. C’est pourquoi je forme le vœu que nos quatre-vingt-six recommandations trouvent, le plus vite possible, une traduction concrète. L’heure n’est plus aux promesses mais aux actes.
Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Guillaume Florquin (RN). Je salue la qualité de votre travail et je souligne l’importance de cette mission d’évaluation attendue depuis longtemps par les personnes en situation de handicap comme par leur famille.
Si elle a constitué une étape historique vers l’égalité des droits et des chances, la loi de 2005 ne tient toujours pas toutes ses promesses. Vingt ans après son adoption, le rapport le souligne, l’accessibilité, qu’elle soit physique, numérique ou liée au transport, demeure incomplète. Le taux d’emploi des personnes en situation de handicap est toujours en dessous de la moyenne nationale. Il ne suffit plus d’énoncer des principes. Il faut désormais des résultats mesurables et une volonté politique ferme pour lever les derniers verrous.
À cet égard, notre administration impose des démarches redondantes. Des personnes dont le handicap est reconnu irréversible – une amputation par exemple –doivent sans cesse prouver que leur situation n’a pas changé. Cette exigence est non seulement inutile mais aussi profondément absurde. Elle traduit une méconnaissance de la réalité du handicap et elle ajoute une souffrance administrative à une situation déjà difficile. Elle est aussi à l’origine d’un gaspillage de ressources pour les caisses d’allocations familiales (CAF) et les MDPH dont les agents sont mobilisés par des tâches répétitives au lieu de concentrer leurs efforts sur l’accompagnement et sur la lutte contre la fraude.
Notre société gagnerait à être plus juste, plus respectueuse et plus efficace. Que pensez-vous de l’attribution de certains droits – AAH, PCH, allocation d’éducation de l’enfant handicapé, carte mobilité inclusion, aides au logement – sans limitation de durée lorsque le handicap présente un caractère irréversible et n’est pas susceptible d’évoluer favorablement ? Ne devrions-nous pas faire preuve d’intelligence administrative, simplifier sans affaiblir le contrôle, alléger sans renoncer à l’exigence ?
Mme Camille Galliard-Minier (EPR). Il y a vingt ans, notre pays adoptait une grande loi de consensus, ambitieuse et structurante. Forte de ses cent un articles, elle a marqué un tournant : elle a posé une définition du handicap, créé les MDPH, élargi l’accès aux droits et affirmé des principes essentiels – inclusion scolaire, emploi, accessibilité, citoyenneté. Elle a permis une prise de conscience collective et la reconnaissance des quatre familles de handicap : moteur, sensoriel, cognitif et psychique. Le handicap est entré dans notre société, dans nos politiques publiques, dans nos vies.
Pour l’anniversaire des vingt ans de la loi, il appartenait à l’Assemblée nationale d’évaluer les effets du texte, qui a depuis été complété. Je veux saluer l’importance du travail accompli : six mois de travail, soixante-quinze auditions, deux déplacements et surtout une méthode exigeante fondée sur l’écoute. La consultation en ligne « Rien Sans Nous » est un fil rouge, comme l’a dit le rapporteur : elle a permis d’illustrer, parfois de manière bouleversante, la distance qui sépare les droits théoriques de la réalité quotidienne.
Les deux rapporteurs dressent un bilan lucide et exigeant. Oui, des progrès ont été accomplis dans les quatre axes évalués que sont l’accès aux droits et les prestations, l’accès à l’école, à l’enseignement supérieur et à l’emploi, l’accessibilité, la représentation au sein des pouvoirs publics. Mais nous restons encore loin des ambitions de la loi de 2005. Des obstacles persistent avec une scolarisation incomplète, une insertion professionnelle freinée, une accessibilité inégalement garantie, une fatigue administrative dans les démarches. Le rapport le montre clairement.
Quant à la gouvernance du handicap, la mission évalue de manière lucide un fonctionnement des MDPH aujourd’hui à bout de souffle : les délais de traitement sont excessifs, les évaluations trop médicalisées et les disparités territoriales inacceptables. Il est temps de réformer les maisons départementales en profondeur en les recentrant sur l’accompagnement, en déchargeant les personnels des tâches les plus simples et en créant un service public de l’évaluation garant de l’égalité républicaine.
Le rapport formule quatre-vingt-six recommandations dont le groupe EPR saura se saisir. Vous pouvez compter sur notre engagement. Ces propositions doivent nourrir un nouvel élan politique, une ambition partagée à la hauteur des enjeux du siècle pour construire la société inclusive de demain. Cette ambition, qui appelle une mobilisation forte, est à la fois une source d’émancipation pour les 12 millions de personnes en situation de handicap et de progrès social pour tous.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi (LFI-NFP). Vingt ans après, l’application de la loi de 2005 est un échec. Le rapport le dit clairement : c’est la conséquence du choix politique assumé depuis vingt ans de déroger aux règles fixées. Qu’il s’agisse d’éducation, d’accessibilité, de travail, de santé ou de citoyenneté, les chantiers restent immenses.
J’aimerais féliciter Sébastien Peytavie et Christine Le Nabour pour leur travail exigeant, qui a abouti à quatre-vingt-six recommandations de grande qualité et particulièrement riches. La plus essentielle à mes yeux, celle en faveur de laquelle nous devrions nous engager résolument, est la désinstitutionnalisation, conformément aux recommandations de l’ONU. Il est primordial de définir au plus vite, avec les personnes concernées, une programmation pluriannuelle. La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées doit être pleinement appliquée. La France ne doit plus y déroger.
Les conditions d’attribution de l’AAH sont trop restrictives. Le taux de pauvreté des personnes handicapées est deux fois supérieur à la moyenne de la population. Exigeons la dignité humaine, revalorisons cette allocation !
En ce qui concerne la PCH, la barrière d’âge fixée à 60 ans, sur laquelle alertent de nombreuses associations et qui devait être supprimée au plus tard en 2010, crée des inégalités inacceptables. Là encore, une refonte totale est nécessaire.
La question du logement me tient particulièrement à cœur. Alma Dufour, Sébastien Peytavie et moi avons travaillé à une proposition de loi qui rejoint certaines recommandations du rapport, notamment l’exigence de 100 % de logements accessibles dans la construction neuve, la rénovation du parc social et le recensement des logements accessibles. Les véhicules législatifs existent. Œuvrons collectivement à leur inscription à l’ordre du jour du Parlement !
S’agissant de l’école inclusive, là encore, l’échec est patent et une refonte totale du système s’impose, comme le rapport le met en exergue. Les moyens sont insuffisants et mal employés. Donnons aux AESH le statut de fonctionnaire, améliorons leur rémunération et leurs conditions de travail. Garantissons l’accessibilité du bâti scolaire. Facilitons l’accès au matériel pédagogique adapté. Revoyons la formation de l’ensemble du personnel.
Ce rapport met en lumière un échec. Il est temps d’y remédier ensemble. La ministre chargée du handicap a promis un projet de loi d’ici à la fin de l’année. J’espère que ce rapport servira de base à nos futures délibérations. Rappelons-nous que les personnes handicapées ne demandent pas l’impossible. Elles aspirent simplement à une vie digne, comme tout un chacun. À nous de faire en sorte que cela devienne une réalité.
M. Arnaud Simon (SOC). Je remercie Sébastien Peytavie et Christine Le Nabour d’avoir pendant six mois animé cette mission d’évaluation. À chaque fois que j’ai participé à l’une de ses auditions, j’ai éprouvé une forme de honte et une forme d’espoir.
Une forme de honte parce que la promesse de transformation de la société n’a pas été tenue. Nous avons entendu des constats alarmants. Vingt ans après, l’accessibilité universelle n’existe pas ; 50 % des ERP ne sont pas aux normes. La question des personnes en situation de handicap vieillissantes n’est pas résolue. Le choix pour le chef de filat entre les agences régionales de santé (ARS) et les départements est toujours en discussion. Les parcours des personnes en situation de handicap ne sont pas aboutis. Nous devons encourager l’émergence de la parole et accroître la capacité d’autodétermination.
La transformation des Esat demeure compliquée. J’ai alerté récemment la ministre sur les difficultés persistantes qu’ils connaissent à cause du retard dans le versement des aides au poste. Près de 100 millions d’euros manquent à l’appel.
Les relations entre les MDPH et les Français sont toujours aussi tumultueuses. L’accès au droit reste problématique.
Notons aussi le manque de moyens financiers des conseils départementaux privés de levier fiscal. Comment s’étonner que des pans entiers des politiques publiques, comme celle du handicap, soient mis à mal, victimes de l’effet ciseaux des recettes et des dépenses ? Dans le cas de la PCH, les dépenses sont passées entre 2013 et 2023 de 1,4 à 3,1 milliards d’euros, tandis que le reste à charge pour les départements est passé de 800 millions à 2,1 milliards.
Enfin, j’ai ressenti une forme de honte après l’audition du Collectif des AESH-AVS En action ! Les accompagnants n’ont pas de statut et leur rémunération, qui s’élève en moyenne à 900 euros par mois, ne pourra atteindre le smic, à la faveur des changements d’échelon, qu’au bout de trente-trois ans ! En outre, ils sont souvent dépourvus d’outil informatique et confrontés à des problèmes hiérarchiques.
La diversité des compétences et des missions, l’engagement total des professionnels et des bénévoles suscitent l’espoir. Mais l’approche du handicap ne peut être le fait des seuls acteurs médico-sociaux. Ce n’est pas ainsi que nous concevons la société inclusive. Quelle est notre stratégie nationale sur la question du handicap ? Dans leur rapport, nos collègues apportent des réponses à cette question et formulent des recommandations. Ils ne demandent pas une nouvelle grande loi, mais l’application du droit actuel. Il est temps de nous réveiller !
Mme Justine Gruet (DR). Je tiens à remercier l’ensemble des personnes rencontrées ou interrogées au cours de cette évaluation ; leurs témoignages et leurs remarques m’ont été précieux.
La loi du 11 février 2005 reste un texte fondamental, une avancée importante. Mais, force est de le constater, l’accompagnement des politiques publiques est insuffisant et des obstacles concrets persistent dans la vie quotidienne des personnes en situation de handicap. L’objectif de cette évaluation approfondie est clair : transformer leur combat permanent en un accompagnement complet.
Il est impératif de simplifier les démarches et d’harmoniser les critères d’attribution des aides. À cette fin, nous devons rendre notre système d’allocations plus juste et plus lisible, faciliter le partage des dossiers entre départements grâce à des outils numériques communs et utiliser l’intelligence artificielle pour la numérisation des dossiers.
L’accessibilité des transports, des lieux publics ou des outils numériques demeure un enjeu majeur. Je plaide donc pour un renforcement significatif de l’accompagnement par des personnes concernées en amont, pour des contrôles plus fréquents et des sanctions plus dissuasives en aval, ainsi que pour le caractère obligatoire de la formation initiale et continue à l’accessibilité universelle des professionnels du bâtiment et pour la réutilisation du matériel d’aide médicale fonctionnel – les fauteuils roulants, par exemple.
Facilitons l’adaptation à l’école et au travail en formant mieux le personnel enseignant, en augmentant le nombre des AESH et en faisant évoluer leur statut afin de reconnaître pleinement leur rôle essentiel au sein de l’école. En vingt ans, le nombre des enfants en situation de handicap scolarisés a triplé. Ce serait une belle réussite si les moyens correspondants avaient suivi la même évolution. Il pourrait donc être pertinent de créer, sur le modèle des réseaux d’éducation prioritaire, des réseaux d’éducation inclusive pour individualiser des ressources humaines et matérielles accrues.
Dans le domaine de l’emploi, nous devons davantage valoriser les personnes qui travaillent en Esat : elles ont de véritables compétences mais pas encore les mêmes droits que les travailleurs classiques, notamment en matière de retraite. L’intégration en milieu ordinaire, pilotée par l’Agefiph et le FIPHFP, doit être plus pragmatique.
Enfin, une réflexion approfondie doit être menée sur l’accompagnement des personnes handicapées vieillissantes, car il n’existe pas toujours de solutions alternatives au domicile des parents ou au foyer d’hébergement.
Je salue la création par le Conseil supérieur du notariat du dispositif Not’isme, qui accompagne en toute confiance les personnes les plus vulnérables.
Il n’est plus acceptable que le quotidien des personnes en situation de handicap soit un combat permanent alors que chacun doit trouver sa juste place dans la société. Leurs droits ne doivent plus dépendre de ceux qu’elles ont face à elles. La Droite républicaine, à l’origine, avec Jacques Chirac, du texte de 2005, saura prendre part à la politique qui assurera à toutes les personnes en situation de handicap la considération qui leur est due.
Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Vingt ans après la loi de 2005, les droits des personnes en situation de handicap restent trop souvent théoriques, conditionnels, abstraits. Le rapport de nos collègues est précieux à cet égard : il souligne combien le système, dénoncé par les associations depuis des années, masque, infantilise, ralentit l’accès aux droits et, surtout, continue d’exclure. Ce n’est pas à la personne handicapée de s’adapter à la société, mais à cette dernière d’être inclusive et accessible.
Or, 75 % des établissements recevant du public sont toujours inaccessibles et 90 % des petits commerces, bars et musées ne respectent pas les normes. Quant aux logements neufs accessibles, la loi Élan précitée est venue réduire leur part à 20 %. Cette régression majeure va à l’encontre des besoins et de nos engagements internationaux.
Certes, le nombre d’enfants handicapés scolarisés a triplé en vingt ans. Mais 8 % d’entre eux ne sont toujours pas scolarisés et, trop souvent, la scolarisation reste partielle, précaire, ségrégative.
Le taux de chômage des personnes handicapées demeure deux fois plus élevé que celui de la population générale. Les Esat sont des zones de non-droit social pour un trop grand nombre de travailleurs.
En réalité, la société française continue de penser le handicap comme un enjeu médico-social et non comme une question de justice, d’autonomie et de citoyenneté. C’est pourquoi, comme les rapporteurs, nous réclamons une stratégie de désinstitutionnalisation claire, construite avec les personnes concernées. Que l’on revienne sur les reculs de la loi Élan et que soit garantie l’effectivité des droits existants, à commencer par l’accessibilité universelle et les moyens financiers et humains afférents ! Une société inclusive ne coûte pas plus cher ; elle est simplement plus juste et se construit avec les personnes handicapées. C’est une question de dignité. Rien pour elles sans elles !
M. François Gernigon (HOR). En fixant le principe selon lequel toute personne en situation de handicap a droit, dans une logique d’autodétermination, à une compensation individualisée fondée sur son projet de vie, la loi de 2005 a marqué une rupture culturelle. Mais, vingt ans plus tard, cette ambition reste inachevée.
Nous saluons la clarté du rapport, qui met en lumière des avancées mais, surtout, des retards, des impasses et des attentes immenses.
La prestation de compensation du handicap est plus ouverte, plus souple et plus diversifiée. Mais elle reste inaccessible à de trop nombreuses personnes, notamment celles dont le handicap survient après 60 ans. En outre, le reste à charge est important, en particulier pour les aides techniques ou humaines. Les MDPH, conçues comme des guichets uniques, sont submergées : le manque de moyens humains, les délais d’instruction, l’hétérogénéité territoriale fragilisent le cœur du droit à compensation. Il faut garantir une évaluation pluridisciplinaire réelle, qui respecte le projet de vie et ne cède pas à une logique purement médicale.
Surtout, le rapport montre que les parcours restent souvent heurtés et imposés plus que choisis. Les familles sont épuisées et les personnes en situation de handicap laissées seules face à des décisions obscures. À court terme, nous devons améliorer l’accessibilité des droits, sécuriser les accompagnants et revaloriser les aides existantes afin d’éviter les ruptures de parcours tout au long de la vie. À long terme, il faut transformer la gouvernance, investir dans l’école inclusive, rendre la formation et l’emploi véritablement accessibles et garantir une offre médico-sociale lisible, cohérente et à la hauteur des besoins.
Les quatre-vingt-six recommandations de nos rapporteurs permettront d’élaborer une stratégie partagée par l’ensemble des acteurs. Le combat en faveur de l’inclusion, de l’ouverture et de l’autodétermination requiert méthode, constance et exigence collective. Cette exigence, nous la partageons avec les auteurs du rapport.
M. Stéphane Viry (LIOT). Dans votre rapport, vous ne dressez pas seulement un constat. Vous avancez également des propositions. Tel est le rôle du Parlement dans sa mission d’évaluation des politiques publiques.
En donnant une place centrale aux personnes en situation de handicap, en assignant des objectifs en matière d’égalité des droits et des chances et de participation à la citoyenneté, la loi de 2005 a imposé un changement de paradigme. Si vous jugez cette loi perfectible, madame et monsieur les rapporteurs, vous ne faites pas partie de ceux qui la remettent en cause.
En revanche, vous insistez, à juste titre, sur la nécessité d’une conformité de notre droit aux normes internationales. Vous nous incitez à réformer profondément la PCH – une avancée majeure de la loi de 2005, mais dont la traduction opérationnelle reste déficiente – ainsi que les maisons départementales, victimes d’embolie du fait de leur volume d’activité et dont les disparités territoriales sont facteur d’inégalité. Vous préconisez, à ce propos, de faire appel à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) : pourquoi et comment ?
Enfin, pouvez-vous tracer des pistes d’amélioration des dispositifs existants en matière d’emploi, l’Agefiph et le FIPHFP, dont le fonctionnement vous paraît perfectible ?
Mme Karine Lebon (GDR). Tout d’abord, je tiens à saluer l’intégration d’une dimension ultramarine dans vos travaux. Nos territoires sont, en effet, trop souvent les grands oubliés des politiques publiques, même celles qui prétendent à l’universalité.
Votre évaluation intervient à un moment charnière puisque le Sénat vient de publier un rapport intitulé « Politique du handicap outre-mer : faux départ et course de fond ». Cette simultanéité est précieuse car les deux rapports s’éclairent l’un l’autre et révèlent une même urgence. Les constats des sénateurs sont sans appel : à La Réunion comme dans d’autres territoires ultramarins, les droits reconnus par la loi de 2005 restent en grande partie théoriques du fait de diagnostics tardifs, du dépassement des délais par les maisons départementales, d’une offre médico-sociale sous-dotée, d’une accessibilité défaillante, de l’exclusion de l’emploi et d’inégalités d’accès à la compensation. L’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap y reste marginale malgré quelques avancées locales.
La recommandation n° 14, relative à la désinstitutionnalisation, paraît intéressante. Si vous préconisez une sortie du « tout établissement », vous jugez néanmoins nécessaire, outre‑mer, de commencer par créer des structures car l’offre fait cruellement défaut. Cela peut sembler paradoxal mais il s’agit en réalité d’appliquer strictement le principe d’égalité d’accès aux droits. Pourriez-vous préciser cette articulation ?
L’inclusion reste trop souvent un mot plus qu’un fait. Le cas de Solène, 9 ans, atteinte du syndrome de Williams-Beuren, l’illustre. Inscrite en CE2 dans son école de secteur, elle présente des troubles du développement mais progresse grâce à un accompagnement adapté. La MDPH a proposé une orientation cible en unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis), et une alternative en classe ordinaire avec un AESH individualisé. La famille a opté pour le maintien en milieu ordinaire. Mais on lui a répondu que, en cas de refus de l’Ulis, Solène ne bénéficierait plus d’un AESH et qu’il faudrait tout recommencer. « C’est l’usage », a-t-on dit.
Ce que vit Solène est le symptôme d’un système où la logique de gestion prend le pas sur l’évaluation fine des besoins de l’enfant, où les familles sont sommées de choisir entre acceptation tacite et renoncement à l’accompagnement et où la place de l’école inclusive n’est pas consolidée dans les faits. Or, il y va du respect du projet de vie de l’enfant. C’est pourquoi, le rapport le rappelle, il faut que le droit à l’autodétermination soit respecté et que l’école soit véritablement inclusive : le droit doit y être effectif et les dispositifs ne pas devenir des assignations faute de moyens. Changer de paradigme, c’est reconnaître que chaque affectation scolaire est une décision humaine et non un traitement de flux ; c’est, tout simplement, respecter l’enfant.
Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Thibault Bazin, rapporteur général. La loi de 2005 a permis de très nombreux progrès. Mais, vingt ans après son adoption, l’évolution du droit international, le risque accru de confusion entre les problématiques du handicap et des personnes âgées en perte d’autonomie, les écueils de la prestation de compensation du handicap, les améliorations à apporter aux maisons départementales et les difficultés d’accès aux soins demeurent autant de défis, que vous avez traduits dans quatre-vingt-six recommandations. Je me concentrerai sur celles qui pourraient relever du budget de la sécurité sociale.
La recommandation n° 8 porte sur la suppression de la limite d’âge de 60 ans, qui conditionne l’accès à la PCH. Quelles en seraient les conséquences pour les bénéficiaires et pour les financeurs ?
La recommandation n° 9 a trait à l’article L. 146‑5 du code de l’action sociale et des familles, qui dispose que le reste à charge ne peut excéder 10 % des ressources personnelles des bénéficiaires de la PCH, en confiant soit à la CNSA, soit à l’État le rôle de financeur en dernier ressort des frais de compensation. Quel serait l’impact budgétaire d’une telle mesure ? Qu’en pensent Départements de France et la ministre chargée des personnes en situation de handicap ? Enfin, pourquoi envisager une prise en charge financée par le budget de l’État plutôt que par la branche de la sécurité sociale concernée ?
Mme Sylvie Bonnet (DR). Vingt ans après le vote de la grande loi relative au handicap, force est de constater qu’il est nécessaire d’accorder la réalité du terrain avec l’intention du législateur. Car si le combat mené par Jacques Chirac pour garantir aux personnes handicapées une égalité des chances et de traitement a porté ses fruits, beaucoup reste à faire, notamment dans le domaine scolaire. Nous rencontrons tous des familles dans le plus grand désarroi, qui se sentent abandonnées par l’État.
Je souhaiterais savoir quels sont les ajustements envisagés pour que les Ulis et les instituts médico-éducatifs (IME) ne soient pas saturés et s’adaptent mieux à la variété des profils. Enfin, comment améliorer la coordination entre l’éducation nationale, les MDPH et les familles pour fluidifier les parcours ?
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Je salue la méthode choisie, centrée sur le recueil de l’avis des personnes en situation de handicap.
En 2019, j’avais mené avec Sophie Cluzel une enquête sur les MDPH qui montrait les difficultés liées aux dépassements de délai et à la différence des pratiques selon les départements. Par la suite, la situation s’était améliorée. Mais la crise pandémique a favorisé le retour des vieilles habitudes, donc des mêmes difficultés.
Je tiens cependant à relever des points positifs. Dans ma circonscription, un institut de malvoyants a encouragé l’inclusion des enfants, de la maternelle à l’université. Il a favorisé, avec France Travail, un double accompagnement pour faciliter l’inclusion dans l’emploi. Par ailleurs, nous avons également pu travailler avec l’ARS pour que, après évaluation, des patients ayant subi une longue hospitalisation en psychiatrie puissent être hébergés dans des logements évolutifs. Il faut, hélas, y consacrer beaucoup de temps et d’énergie, mais des actions sont possibles et des aides existent.
Si les AESH doivent être mieux formés – je ne suis pas favorable à leur fonctionnarisation –, il convient également de mieux éduquer les familles car elles demandent parfois un AESH à temps plein alors que la visée est plutôt l’autonomie.
Enfin, les sanctions et les contrôles doivent être renforcés.
Vous formulez quatre-vingt-six recommandations. C’est beaucoup. Quelles doivent être les priorités, sachant que l’objectif est l’autonomie et l’inclusion des personnes en situation de handicap et qu’il faut penser avec elles plutôt qu’à leur place ?
M. Arnaud Simion (SOC). La suppression des leviers fiscaux dont disposaient les conseils départementaux, l’augmentation de la précarité et la baisse des droits de mutation à titre onéreux ont forcément des conséquences directes sur les politiques publiques départementales. Dès lors que tout tend à affaiblir la légitimité et les moyens d’action des collectivités, il ne faut pas s’étonner des disparités territoriales qui affectent la politique du handicap.
Mme Annie Vidal, présidente. Dans notre rapport d’évaluation de l’adaptation des logements aux transitions démographique et environnementale, Véronique Louwagie et moi-même avons préconisé, comme vous, la simplification du dispositif MaPrimeAdapt’. Aussi pourrions-nous unir nos forces pour que nos recommandations soient suivies d’effets.
M. Sébastien Peytavie, rapporteur. La création de la plateforme « Rien Sans Nous » relève d’une démarche inédite. Nous avons pour habitude d’entendre les membres d’associations. Or, celles qui sont invitées ne sont pas toujours représentées par des personnes concernées par le handicap. Par ailleurs, comme le souligne l’ONU, certaines d’entre elles se trouvent en conflit d’intérêts : elles prétendent représenter les personnes handicapées d’un côté ; elles gèrent des établissements de l’autre. Des clarifications sont nécessaires.
Il faut prendre en compte la diversité des associations et les soutenir financièrement. Il y va de la représentativité des différentes instances. La composition du Conseil national consultatif des personnes handicapées a évolué, mais un écart demeure entre une petite association et une structure plus importante qui dispose de salariés. La parole de l’une n’a pas le même poids que celle de l’autre. J’ajoute, puisque l’Assemblée nationale examine actuellement un texte sur le statut de l’élu, que l’enjeu existe sur le plan politique : les personnes en situation de handicap représentent 16 % de la population et seulement 0,001 % des élus.
Une belle loi a été adoptée en 2005. Il convient d’ailleurs de souligner, car c’est rare et cela nous fait défaut actuellement, que l’on a su, à l’époque, prendre le temps nécessaire pour l’élaborer, soit deux ans. Tous les acteurs concernés ont été associés à sa préparation.
Nous ne préconisons pas de balayer cette loi et d’en adopter une nouvelle. En revanche, il nous paraît indispensable de procéder à des ajustements en commençant par mettre à jour la définition du handicap. Cela peut sembler symbolique, mais nous devons achever le mouvement amorcé en 2005 en renonçant à la vision médicale du handicap, qui doit être considéré sous un angle social et environnemental. Ainsi, selon l’ONU, celui-ci naît d’un environnement qui n’a pas été rendu accessible. J’espère que nous pourrons examiner un texte sur cette question dans les semaines transpartisanes.
Beaucoup ont décrit le parcours du combattant que sont les démarches auprès d’une MDPH. Il suffit de lire un dossier de demande de prestation pour s’apercevoir de sa complexité : beaucoup ont besoin d’aide pour le remplir. Il faut, par exemple, rédiger un « projet de vie ». Cela peut être étrange, voire angoissant, mais c’est un élément essentiel qui procure beaucoup d’informations. Nous recommandons de le nommer « projet d’autodétermination ». Cette mesure peut, encore, sembler symbolique, mais l’intitulé influe sur la conception de l’exercice.
Cet enjeu est illustré par le cas de Solène, cité par Karine Lebon. La famille doit accepter la solution privilégiée par les organismes gestionnaires sous peine d’être privée d’aides. Or, la notion d’autodétermination implique précisément que la personne puisse choisir : par qui et comment elle sera accompagnée, où elle vivra – en établissement ou dans un appartement – et, si elle opte pour un établissement, à quelle heure, par exemple, elle sera réveillée. Dans un lieu de vie comme celui-là, ce n’est pas aux résidents de s’adapter aux professionnels, mais à ces derniers de s’adapter aux résidents.
La désinstitutionnalisation n’a jamais vraiment progressé. De fait, pour le dire brutalement, on demande aux organismes gestionnaires de travailler à leur disparition... Cette évolution doit être pensée. C’est pourquoi nous réclamons une planification. Peut-être faudra-t-il, dans un premier temps, créer des structures dans les territoires qui en sont dépourvus ; je pense notamment, en effet, aux territoires ultramarins. Mais il ne faut pas s’arrêter là : au bout du compte, les personnes doivent avoir le choix. L’autodétermination est un enjeu essentiel. Le médecin, l’éducateur, les parents ne doivent plus décider à la place et pour. C’est l’esprit dans lequel nous avons créé la plateforme.
J’en viens à une autre priorité : l’accessibilité. En vingt ans, les dérogations se sont multipliées. Nous avons entendu les architectes des bâtiments de France, à qui l’on reproche de faire obstacle à de nombreux projets. Or, nous avons compris que la réalité était plus complexe. En effet, il arrive fréquemment que les élus ne les consultent pas avant de soumettre un projet, de sorte que celui-ci peut ne pas être adapté et faire l’objet d’un avis négatif. En réalité, cela arrange bien l’équipe municipale, qui obtient ainsi une dérogation. Celle-ci porte souvent sur un aménagement lié à un handicap moteur, mais aucun des autres handicaps n’est pris en compte alors que 90 % des handicaps sont invisibles. Cette pratique permet d’échapper à la profonde transformation qui s’impose.
Nous préconisons donc qu’une dérogation ne soit accordée que lorsque les aménagements sont techniquement impossibles. Les motifs liés au coût ou à la complexité ne sont plus acceptables. Des contrôles doivent être effectués et les personnes concernées pouvoir intenter une action en justice. Autoriser les actions de groupe, qui ne sont actuellement pas possibles dans ce contentieux, redonnerait du pouvoir à ces personnes et aux associations. La référente de l’ONU pour les questions de handicap a d’ailleurs indiqué que c’est par ce biais que la question de l’accessibilité universelle s’est imposée. De fait, si la loi de 2005 a emporté des avancées considérables, on a, en privilégiant la compensation individuelle, laissé de côté la problématique de l’accessibilité universelle.
On demande à l’école de Jules Ferry de devenir inclusive. Or, l’école de Jules Ferry est conçue pour les enfants qui vont bien, qui sont autonomes et qui réussissent tout seuls. Pour les autres, pas seulement ceux souffrant d’un handicap, la vie scolaire est difficile. L’école se retrouve en panne. Un enfant dyslexique a besoin d’un support particulier, imprimé avec une police et une couleur précises. En vingt ans, nous n’avons pas été capables d’élaborer un manuel présentant un programme qui prenne en compte les besoins de 80 % à 90 % des enfants. Nous aussi, nous devons faire des efforts : nos documents ne sont pas adaptés à tout le monde ; en changeant la police des rapports parlementaires, nous faciliterions leur accès. Il faut tendre vers l’accessibilité universelle des programmes et des méthodes pédagogiques.
N’oublions pas le handicap psychique. Veillons à limiter les sollicitations sonores et visuelles pour les enfants autistes. Lors des Jeux olympiques et paralympiques, des cocons ont été aménagés pour que certaines personnes puissent suivre des épreuves sportives sans être trop sollicitées. Le droit au silence doit entrer en ligne de compte dans la conception des logements, des cours d’école et des villes. Ce n’est pas le cas actuellement. Il faut mettre ces questions au cœur des débats des prochaines élections municipales car des leviers importants existent à l’échelle communale.
Monsieur le rapporteur général, nous avons manqué de chiffres pour évaluer l’impact de l’article L. 146‑5 du code de l’action sociale et des familles. Plus généralement, la plupart des ministères ont avoué leur incapacité à chiffrer le nombre de logements accessibles aux personnes handicapées ou celui d’enfants handicapés suivant une scolarisation complète. Comment un département peut-il financer les frais de compensation des bénéficiaires de la PCH sans savoir combien de personnes handicapées vivent dans son territoire ni de quels handicaps elles souffrent ? Comment réfléchir au déploiement d’un accompagnement à hauteur des besoins sans disposer de ces éléments ? Dans ce domaine, nous sommes nuls.
On nous dit que le nombre d’AESH a progressé. C’est très bien, mais combien en manque-t-il ? Beaucoup de parents sollicitent les parlementaires à chaque rentrée parce qu’ils ne sont pas satisfaits. Connaître les besoins doit être le préalable à toute réflexion.
La PCH a été segmentée pour financer plusieurs catégories d’aides – le ménage, l’habillement ou la toilette. Or, cette fragmentation conduit à délaisser de nombreux aspects de l’accompagnement, contrairement à ce que permettrait une approche intégrale fondée sur les besoins.
Pour la CNSA, nous avons proposé des scénarios qui sont à évaluer. Compte tenu des disparités territoriales, faut-il privilégier un dispositif national, seul à même de garantir une aide identique partout dans le pays ? Un habitant de Mayotte qui souffre d’un handicap ne perçoit que 50 % de l’AAH. On peut toucher une aide puis la perdre parce que l’on déménage dans un département qui n’a pas la même politique. Une telle situation est intolérable.
Mme Christine Le Nabour, rapporteure. Nous devons relever un défi de sensibilisation et de formation de la société entière. Cette tâche ne coûte pas d’argent. Ce sont des personnes sensibilisées à la question du handicap qui interviennent dans le débat public alors qu’il faut que l’ensemble de la société s’empare de ce thème.
Monsieur Florquin, des décrets des 24 et 27 décembre 2018 ont instauré les droits à vie, qui ne sont malheureusement pas effectifs partout. Le gouvernement doit contrôler leur respect dans tous les départements, ne serait-ce que pour faire gagner du temps aux MDPH dans leur gestion des situations complexes.
Vous avez tous souligné à raison le besoin de davantage d’obligations, de formations, de contrôles et de sanctions.
Quelques dispositifs sur les personnes vieillissantes sont à mettre en valeur, comme Un avenir après le travail, qui accompagne la première génération de personnes arrivant à la retraite après avoir travaillé dans un Esat. Il convient également de capitaliser davantage sur les bonnes pratiques des territoires.
Les inégalités territoriales sont grandes entre les MDPH. Les départements manquent d’un levier fiscal puissant. Mais certains d’entre eux sont parvenus à diminuer la durée de traitement des dossiers et à délivrer des notifications en quatre mois, quand d’autres mettent neuf mois voire davantage. Les disparités s’expliquent en partie par le financement mais également par l’organisation : certains départements ont réorganisé leurs services pour accroître leur efficacité. Il faudra vérifier si les progrès en termes de durée ne se font pas au détriment de la qualité des notifications.
L’une des promesses de la loi de 2005 était de lutter contre l’éloignement des établissements pour mieux intégrer les enfants dans le milieu scolaire ordinaire. Puisqu’il n’y aura pas de plateau technique dans tous les établissements, il faut assurer un maillage territorial garantissant à chaque enfant handicapé d’accéder à un établissement près de chez lui. Pour ce faire, des transports scolaires accessibles aux élèves souffrant de handicap sont nécessaires.
Le droit à la compensation est non seulement imparfait, mais son application s’est faite au détriment de l’accessibilité universelle. Après avoir pris le problème à l’envers, nous avons tout intérêt à améliorer l’adaptation de l’environnement aux contraintes de chacun.
Monsieur Viry, le FIPHFP, et l’Agefiph plus encore, ont tous deux connu des problèmes de gouvernance et de financement. Les rapports entre l’association et les entreprises sont parfois difficiles : ces dernières se plaignent d’un manque d’informations et disent attendre longtemps avant de bénéficier d’une aide pour aménager les postes. L’Agefiph finance les Cap emploi, structures qui accompagnent les personnes en situation de handicap cherchant un travail. Un effet ciseaux complique la soutenabilité du modèle à long terme. L’État devra mener une réflexion avec l’Agefiph pour augmenter le taux de 6 % de travailleurs handicapés dans les effectifs des entreprises employant plus de vingt salariés. Ce sont les contributions des entreprises qui n’atteignent pas ce taux qui alimentent l’Agefiph et le FIPHFP.
Je crois beaucoup aux plans régionaux d’insertion des travailleurs handicapés pour améliorer la gouvernance et nourrir la réflexion au sein des anciens comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles. On les nomme différemment selon les régions : en Bretagne, il s’agit du comité régional pour l’emploi, la formation et l’insertion. Nous avons intérêt à mettre les acteurs autour de la table, y compris l’Agefiph et le FIPHFP, pour améliorer l’insertion des personnes en situation de handicap.
Madame Bonnet, vous regrettez la saturation des Ulis et des IME : je partage votre constat. Il résulte de plusieurs facteurs, particulièrement du nombre trop faible d’enfants intégrés dans l’école ordinaire à cause d’un manque de moyens. Nous croyons aux PAS. Nous nous sommes déplacés en Côte-d’Or, département expérimental, où le dispositif fonctionne bien. Les raisons de ce succès tiennent à l’allocation de moyens pour recruter des coordonnateurs, à l’intégration culturelle du médico-social dans l’école et au déploiement d’un budget suffisant. Afin d’atteindre l’objectif des PAS, qui est de réussir l’accueil de premier niveau, il faut des matériels, notamment des ordinateurs pour les enfants « dys ». C’est à ce prix que des élèves n’entreront pas dans le champ du handicap. Il y a aussi lieu de former les enseignants et les AESH.
Il convient toutefois de ne pas réserver l’ensemble des crédits à l’accueil de premier niveau aux dépens des enfants réclamant une réponse de deuxième niveau. Dans cette optique, réfléchir au statut des AESH et à leur meilleure intégration dans les équipes pédagogiques s’impose. L’ensemble de la communauté éducative doit être sensibilisée et formée pour travailler avec le médico-social et les AESH. Dans le même temps, il lui faut des moyens pour accueillir davantage d’enfants dans les écoles. Depuis plusieurs années, on observe des externalisations ; à ce titre, il convient de saluer la présence d’IME dans les collèges. Plusieurs dispositifs existent pour faciliter le maintien dans l’école ordinaire.
De moins en moins d’élèves en situation de handicap sont scolarisés au fur et à mesure du parcours scolaire. On perd des élèves avec le temps à cause d’un manque de sensibilisation et de formation du corps enseignant et de la communauté éducative. Même s’il est insuffisant, le nombre d’étudiants en situation de handicap a énormément progressé, pour atteindre 64 000. APF France handicap les qualifie de « rescapés de l’éducation nationale » car ils ont réussi, tant bien que mal, à poursuivre leur cursus. Les élèves en situation de handicap sont moins scolarisés dans la filière générale à mesure qu’ils grandissent : beaucoup abandonnent dans le secondaire puis dans le supérieur. Ces enfants sont souvent orientés vers les filières professionnelles et ils n’ont pas accès aux études sélectives. Un travail considérable est nécessaire.
Madame Dubré-Chirat, il faut s’inspirer des bonnes pratiques territoriales. Nous devons adapter l’environnement aux besoins : dans ce cadre, nous parlons désormais davantage d’accessibilité universelle que de compensation, même si un équilibre doit être trouvé entre ces deux objectifs.
Nous sommes tous d’accord pour considérer que la barrière d’âge constitue un problème. La loi de 2005 visait à la supprimer, mais elle subsiste. Nous comptons sur vous, chers collègues, pour avancer sur ce point.
Nous souhaitons la suppression de la liste des emplois exigeant des conditions d’aptitude particulières. Les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à se mettre d’accord. Cette liste, qui n’a pas été révisée depuis 1987, autorise certains secteurs à déroger à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés car leur activité est présumée inadaptée. Cette approche est obsolète du fait des évolutions technologiques, des aménagements de poste et des progrès qui ont permis à des personnes en situation de handicap de travailler dans des secteurs auxquels ils n’avaient auparavant pas accès. En outre, la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi demande au service public de l’emploi d’établir avec France Travail, les Cap emploi et les missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes un diagnostic sur l’orientation des personnes en situation de handicap. Il faut chercher à accorder, comme pour tout le monde, le choix du métier et le projet de la personne. Faisons confiance aux conseillers qui posent le diagnostic avec la personne concernée.
Monsieur Bazin, nous avons transmis hier le rapport à la ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap. Nous comptons sur elle pour lire nos quatre-vingt-six recommandations. Elle a lancé un travail transpartisan associant l’Assemblée nationale et le Sénat. Dans ce cadre, nous avons recensé l’ensemble des propositions de loi. Nous déterminerons prochainement quelles recommandations de notre rapport relèvent du domaine législatif, celles dont le déploiement est de la responsabilité du pouvoir réglementaire et celles, plus générales, qui ont trait à la sensibilisation et à la formation de l’ensemble de la société.
Mme Annie Vidal, présidente. Nous vous remercions, madame et monsieur les rapporteurs, pour le considérable travail accompli mais également pour votre engagement fort et constant en faveur des personnes en situation de handicap. Nous avons besoin de parlementaires déterminés pour faire avancer ces sujets si importants.
En application des dispositions de l’article 145, alinéa 7, du Règlement, la commission autorise le dépôt du rapport de la mission d’information sur l’évaluation de la loi n° 2005‑102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
La réunion est suspendue de dix heures quarante à dix heures cinquante.
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La commission entend ensuite une communication de Mme Sandrine Runel et Mme Nathalie Colin-Oesterlé, rapporteures de la mission « flash » sur l’opportunité et les modalités de la création d’une allocation sociale unique.
Mme Annie Vidal, présidente. Je remercie Nathalie Colin-Oesterlé et Sandrine Runel de s’être penchées sur ce sujet assez complexe. Il est indispensable de faire le point et d’essayer d’y voir plus clair sur ce thème qui a fait l’objet de nombreuses réflexions par le passé, notamment ces dernières années. En effet, dans notre système de protection sociale caractérisé par des prestations de différentes natures, les enjeux se posent en termes d’amélioration de la lutte contre la pauvreté mais aussi de non-recours, de simplification et de rémunération du travail.
Mme Sandrine Runel, rapporteure. Tout d’abord, je tiens à remercier Mme Le Nabour et M. Peytavie pour la richesse de leur évaluation de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Nous y sommes très sensibles.
Mme Colin-Oesterlé et moi-même avons au départ été nommées pour conduire une mission d’information, laquelle s’est malheureusement transformée en mission « flash ». Le rapport ne vous ayant été transmis que ce matin, la qualité de nos échanges s’en trouvera altérée, d’autant que le document est court et technique.
En un mois, nous avons réussi à auditionner trente-quatre personnes, que nous remercions pour la qualité de leurs interventions, notamment M. Fabrice Lenglart, qui coordonne depuis 2017 la réflexion des administrations, sollicitées par les gouvernements successifs, sur le revenu universel d’activité, puis la solidarité à la source et, désormais, l’allocation sociale unique (ASU). Nous remercions également les ministères, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA), les organisations d’élus locaux et les principales associations de lutte contre la pauvreté.
Au terme de ces travaux, menés dans un temps record, nous concluons tout d’abord qu’à l’évidence, la complexité de notre système de prestations appelle des changements pour donner à nos concitoyens le juste droit, lutter contre le non-recours et valoriser le travail. Ensuite, s’il nous semble que l’allocation sociale unique, telle que l’exécutif l’envisage, répond à une ambition certaine de simplification des démarches de déclaration et de versement des aides qui seraient concernées, de nombreux paramètres éveillent notre vigilance voire suscitent de fortes réserves.
En premier lieu, la réforme qui conduirait à instaurer une allocation sociale unique – nous dirons, le moment venu, un mot du débat entre « unique » et « unifiée » – doit avoir pour objectif de lutter contre la pauvreté et le renoncement aux droits, grâce à une simplification du parcours des allocataires et à une fiabilisation du traitement de leur situation.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé, rapporteure. La mission « flash » n’était sans doute pas l’instrument le plus approprié pour étudier un sujet d’une telle complexité et d’une si grande ampleur.
L’allocation sociale unique prolongerait, en harmonisant les assiettes de plusieurs allocations – donc des bases de ressources – les étapes déjà accomplies en matière de solidarité à la source.
Comme vous le savez, depuis le mois d’octobre 2024, cinq caisses d’allocations familiales ont expérimenté le préremplissage des déclarations trimestrielles de ressources des allocataires du revenu de solidarité active et de la prime d’activité. Naturellement, les intéressés peuvent solliciter des rectifications, mais la phase qui vient de se déployer démontre la pertinence du recours à la déclaration sociale nominative et aux données servant à l’impôt sur le revenu. La généralisation s’effectuera d’ici à septembre 2025 et concernera aussi le réseau de la MSA.
Cette nouveauté constitue un bon socle pour faciliter la première demande d’une aide – on sait le temps et l’énergie que prennent les recherches de contacts dans les organismes sociaux et la bonne compréhension des sommes à déclarer. Surtout, elle ouvre la possibilité que ce premier examen s’accompagne d’une vérification de l’éligibilité à d’autres prestations, surtout si elles ont la même base de ressources.
La prochaine étape consisterait à rapprocher les assiettes du revenu de solidarité active (RSA), de la prime d’activité et des aides personnelles au logement (APL), grâce à la création d’un revenu social de référence.
Au fil du temps, les amendements des uns et des autres ont contribué, souvent avec les meilleures intentions du monde, à complexifier notre système, dans lequel les revenus sont calculés différemment pour chaque aide. Pour le dire rapidement, la base du RSA et de la prime d’activité est très large puisqu’elle prend en compte toutes les ressources professionnelles et de remplacement du foyer, alors que celle des APL est réduite car elle part du montant imposable net avec des abattements. Il nous semble qu’une harmonisation est possible, à la double condition que les revenus d’activité des enfants soient exclus de l’assiette du RSA, pour ne pas diminuer l’aide du ménage au moment même où l’accès à l’emploi doit être encouragé, et que certaines des spécificités principales des APL soient préservées : versement en tiers payant au bailleur, plafond de loyers et de charges, ajustement du barème pour que l’aide des étudiants ne soit pas réduite en cas de réforme et, après des études complémentaires, maintien le cas échéant d’une référence annuelle glissante, plutôt que trimestrielle, pour éviter qu’une trop grande variabilité fragilise les locataires les plus modestes.
Mme Sandrine Runel, rapporteure. Suivant cette méthode et dans le périmètre retenu, défini grâce aux avancées de la solidarité à la source, l’ASU ne fond pas les dispositifs dans un tout qui gommerait leurs buts particuliers pour faire des économies : elle est une fusion, dans la mesure où elle regroupe plusieurs aides proches comme le RSA, la prime d’activité ou les APL. L’ASU simplifie le paysage social et vise à éviter les doublons. Elle rationalise également le système autour d’un socle commun. Elle organise des prestations sous forme de compléments thématiques pour le logement, la famille ou le handicap. Elle permet ainsi une gestion plus cohérente et efficace et elle rend possible l’ouverture d’un guichet unique – même si cette appellation peut être débattue –, auprès duquel l’usager pourra adresser une demande unique, au début de son parcours ou lors de l’actualisation de ses droits. L’objectif est de parvenir à un versement unique.
Cette unification facilitera l’instruction des aides par les caisses locales, grâce au revenu social de référence. Nous souhaitons qu’elle constitue le point de départ d’une plus large automatisation de l’attribution des prestations.
En réfléchissant aux buts très différents que la loi a assignés à ces divers outils et mécanismes, une discussion, que nous avons commencée lors de nos auditions, pourrait porter sur une extension ultérieure de l’ASU au minimum vieillesse, aux bourses étudiantes ou à l’allocation de veuvage. Il est toutefois établi que d’autres prestations, comme l’allocation aux adultes handicapés (AAH), n’ont pas vocation à entrer dans le champ de la réforme.
La finalité claire de l’ASU est de diminuer la pauvreté, à l’échelle nationale, en faisant baisser significativement le taux de pauvreté, comme individuelle, puisqu’il ne saurait s’agir de prendre à l’un ce qui pourrait être attribué à l’autre. Nous sommes fermes sur ce point : l’ASU ne doit pas réduire les ressources des ménages sans activité ni celles des travailleurs pauvres.
Or, dans tous les scénarios étudiés par les équipes de M. Lenglart, le montant des allocations de certains ménages diminuerait, même parmi les quatre premiers déciles, ce qui est inacceptable.
Nous passons sur les innombrables variantes élaborées pour répondre au mieux à la commande du Gouvernement. Deux pistes sont sur la table : l’une n’engendrerait pas de surcoût pérenne, une fois la réforme achevée et sans compter les effets d’une hausse du taux de recours ou de futures indexations ; l’autre repose, avec les mêmes précisions, sur un effort de 2 milliards d’euros par an. Selon la combinaison des hypothèses retenues, nos interlocuteurs – et non vos rapporteures – sont certains d’une baisse générale du taux de pauvreté, de l’ordre de 0,3, 0,4, 0,6 ou 1,1 point. Ce résultat est très positif, mais le premier scénario, à coût constant, générerait instantanément une augmentation de l’aide pour 3,9 millions de personnes et une baisse pour 4 millions d’allocataires.
Dans le scénario d’une hausse structurelle de la dépense de 2 milliards par an, le montant des allocations progresserait pour 4,6 millions de personnes et reculerait pour 3,5 millions d’autres. Le nombre de personnes percevant moins resterait donc très élevé. La perte pourrait aller jusqu’à 80 euros par mois, ce qui mettrait en difficulté les plus modestes. Dans une variante de ce scénario, s’appuyant toujours sur la mobilisation annuelle de 2 milliards d’euros, il y aurait également 4,6 millions de personnes auxquelles seraient versées plus d’aides et 2,9 millions en percevant moins.
Pour éviter qu’il y ait des « perdants » – nous ne sommes pas très à l’aise avec ce terme employé couramment par l’administration et par M. Lenglart –, nous demandons qu’une compensation soit mise en place. Pour s’assurer qu’aucun ménage précaire sans activité ne soit lésé par la réforme, une phase de transition élargie doit nécessairement être mise en œuvre, ce qui implique de veiller au rythme de basculement du stock d’allocataires dans le nouveau système. À l’issue des trois ans de cette phase, serait pris en compte le cas des personnes qui subissent une baisse des aides alors même que leur situation personnelle n’a pas changé. L’incidence budgétaire du maintien de la compensation resterait très limitée car le nombre de personnes concernées se situerait entre 100 000 et 200 000. Nous avons constaté que le pari était clairement fait que, au bout de la période de transition, la plupart des allocataires auraient connu un changement de situation, qu’il s’agisse de leur famille avec la naissance d’enfants – ce qui appellerait le versement d’aides supplémentaires – ou de leur insertion dans l’emploi – ce qui se traduirait par une augmentation de leurs revenus. Nous estimons toutefois que nos concitoyens appartenant au premier décile auront du mal à voir leur situation améliorée en trois années.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé, rapporteure. Parmi les buts assignés à l’ASU figure, au même niveau que la réduction de la pauvreté et la lutte contre le non-recours, le gain par le travail, ce qui se traduit par un soutien prioritaire aux personnes modestes qui ont ou reprennent un emploi. D’après les différentes études qui nous ont été présentées, les situations dans lesquelles les ressources d’une personne sont plus élevées lorsqu’elle perçoit seulement des aides que lorsqu’elle travaille sont extrêmement rares. Il est avéré que l’activité améliore le niveau de vie mais l’articulation actuelle des assiettes et des barèmes de chaque aide et des aides entre elles peut aboutir à ce que la croissance du revenu d’activité soit en partie captée par une baisse des prestations, et ce de manière inégalitaire. Des différences sont notamment constatées entre les allocataires qui possèdent leur logement et ceux qui le louent. Prenons un cas type : pour une même augmentation salariale de 100 euros, un ménage dont les membres sont locataires peut voir son gain réduit de 40 euros à cause de la baisse du RSA et de 14 à 45 euros du fait de celle des APL tandis qu’un ménage propriétaire ne subira que la première réduction. Nous rappelons toutefois au Gouvernement qu’il existe des propriétaires pauvres comme il y a des travailleurs pauvres et que, s’ils ne paient pas de loyer, ils ont à rembourser un prêt.
Les travaux préparatoires privilégient une diminution progressive des aides en cas d’augmentation des revenus du travail : la baisse devrait d’abord concerner le RSA et la prime d’activité, puis les APL quand le montant cumulé des deux premières aides est compensé par l’augmentation de salaire ou de traitement. Cette logique est pertinente tant que l’on retient les bons paramètres pour déterminer l’ampleur de la réduction des allocations en fonction de la hausse des revenus du travail. À cet égard, nous préconisons une période de transition pour éviter une chute immédiate des aides ainsi qu’un ajustement des taux d’abattement sur les indemnités journalières de maternité, de paternité et de maladie et sur les pensions. Un arrêt ne saurait se traduire par des pénalités et le cas de chaque retraité appelle un traitement adapté.
J’aborderai pour finir un point dont nous regrettons qu’il n’ait pas fait l’objet d’une analyse approfondie de la part des administrations : l’articulation de l’ASU avec les aides extralégales. En tant qu’élues locales, nous sommes toutes les deux très attentives au soutien qu’apportent les collectivités territoriales à leurs administrés : tarifs préférentiels ou gratuité pour la cantine, les transports scolaires, les gardes périscolaires, l’accès à des services de loisirs, relais de trésorerie ou encore bons pour les banques alimentaires ou les épiceries solidaires. Il nous paraît utile, compte tenu de la marge d’appréciation dont disposent les collectivités en vertu d’un principe protégé par la Constitution, d’encourager les élus à utiliser le futur revenu social de référence pour calculer ces aides plutôt que de recourir, de façon pas toujours optimale, au quotient familial ou au revenu fiscal de référence ou de procéder à un choix en fonction du statut. Encore faudrait-il que les services locaux aient accès aux données collectées dans le cadre de la solidarité à la source et que, en sens inverse, le montant des aides extralégales puisse être transmis au ministère concerné.
L’ASU nous semble être une piste à suivre si elle apporte des réponses au non-recours, aux ruptures de droits, voire aux abus ainsi qu’au manque de lisibilité donc d’équité de notre système. Toutefois, si elle se borne à simplifier le travail des organismes débiteurs et creuse les inégalités de traitement entre les propriétaires et les locataires ou diminue les aides des ménages parmi les déciles les plus précaires, des étudiants ou des retraités, elle ne serait pas bénéfique pour notre pays car elle ne changerait pas dans le bon sens notre vision de la solidarité et de la valorisation du travail.
Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). Permettez-moi tout d’abord de m’étonner des conditions dans lesquelles nous avons pris connaissance de votre rapport : le recevoir deux heures avant son examen devant notre commission ne favorise pas un travail parlementaire serein et sérieux. Le contexte actuel n’échappera à personne, les derniers chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) publiés avant‑hier sont sans appel. Un cruel record a été enregistré : en 2023, avec 15,4 %, le taux de pauvreté en France a atteint son niveau le plus élevé depuis 1996 ; près de 10 millions de nos compatriotes vivent sous le seuil de pauvreté, soit 650 000 de plus qu’en 2022. Derrière ces chiffres, il y a des familles, des travailleurs pauvres, des retraités, des jeunes en insertion qui peinent à vivre dignement. Le projet d’allocation sociale unique tel que vous nous le présentez prétend rationaliser et simplifier les aides sociales mais nulle part dans votre rapport, mesdames les rapporteures, vous ne parlez de l’immigration de guichet social. Il est impératif de réserver les prestations sociales aux Français et aux étrangers ayant cotisé au moins cinq ans en équivalent temps plein sur le territoire national, mesure qui ferait gagner à l’État 20 milliards d’euros par an. Pourquoi attendre ?
Aucune réforme, aussi bien pensée soit-elle sur le papier, ne peut réussir sans acceptation sociale. Or comment espérer que votre proposition soit acceptée si elle se traduit d’emblée par une baisse de 100 euros par mois pour 4 millions de nos compatriotes les plus fragiles ? Une réforme sociale ne saurait être imposée contre les personnes concernées. Elle doit être comprise, soutenue et surtout perçue comme juste. Pour ces différentes raisons, le Rassemblement national émet des réserves sur ce projet.
Mme Christine Le Nabour (EPR). Je tiens à remercier très sincèrement Mme Runel et Mme Colin-Oesterlé pour la qualité du travail qu’elles ont fourni malgré le peu de temps dont elles disposaient et la complexité du sujet. En 2018, dans le cadre de la lutte contre le non-recours aux droits, les indus et la fraude, nous avions, avec Julien Damon, rendu au Premier ministre un rapport sur la juste prestation jetant les bases d’un système de protection sociale plus simple, plus juste et surtout plus réactif. Nous avions déjà préconisé d’aller vers une automatisation accrue des prestations et la mise en place de l’ASU. Nous avions insisté sur le fait qu’aucune réforme ne pouvait nous exonérer d’accompagner les personnes concernées vers et dans les droits et de faciliter la formation, l’insertion, le retour et le maintien dans l’emploi.
Hier, j’ai pu échanger avec Fabrice Lenglart sur la mission que lui a confiée le Premier ministre en vue d’une réforme de notre système d’aides sociales, sujet au cœur des travaux de cette mission « flash ». Elle consiste en la création d’une allocation sociale unifiée, et non pas unique, reposant sur un barème unique, l’un des enjeux étant l’harmonisation des bases de ressources de toutes les prestations. Levier déterminant pour simplifier et rationaliser notre système, elle vise à réduire les effets de seuil, éviter les pertes brutales d’aides et garantir un véritable gain au travail pour les plus modestes, en unifiant les critères de calcul et en rendant les droits plus lisibles et cohérents, tout en réaffirmant notre engagement à soutenir ceux qui choisissent de se lever pour travailler.
Comment garantir la transition vers ce nouveau système ? Que pensez-vous des propositions de Fabrice Lenglart, expert en la matière ? Rappelons qu’il propose deux solutions pour limiter les pertes d’aides : ouvrir une période de transition pendant laquelle les bénéficiaires actuels conserveraient leurs aides tandis que les nouveaux bénéficiaires relèveraient de l’ASU ; prévoir une compensation pour les ménages immédiatement perdants afin de neutraliser les pertes et de garantir une certaine stabilité.
Mme Fanny Dombre Coste (SOC). L’approche des socialistes est double : mieux lutter contre le non-recours et rendre nos politiques sociales plus lisibles, plus justes et plus accessibles. L’idée d’une harmonisation des bases de ressources des APL, du RSA et de la prime d’activité semble aller dans le bon sens tout comme la simplification des démarches, à condition qu’elles ne se fassent pas au détriment des droits. Pour mener une réforme aussi structurante, il faut avoir pour unique boussole l’absence de perdants parmi les plus modestes, en particulier parmi les travailleurs pauvres, les femmes et les familles monoparentales. Or, selon les personnes auditionnées, même dans le cadre du scénario de transition à 2 milliards d’euros, près de 3 millions de foyers verraient leur niveau de vie baisser. Ce n’est pas une hypothèse de travail, c’est un signal d’alarme. Seul le scénario le plus ambitieux à 7 milliards d’euros comprenant une phase de transition d’au moins trois ans permettrait, selon nous, d’éviter un recul social massif. Et s’il y a toujours des perdants ensuite, le législateur doit prévoir des mécanismes correcteurs aussi longtemps que nécessaire, jusqu’à ce que les personnes connaissent des changements de situation favorables ou retrouvent un emploi. Je tiens aussi à rappeler un principe : l’APL est une aide au logement et non pas une incitation au travail. La détourner de sa vocation initiale serait une erreur. Enfin, nous nous opposerons à toute idée de plafonnement global des aides sociales qui fragiliserait davantage celles et ceux qui cumulent les vulnérabilités. Simplifier, oui ; fragiliser, non.
M. Fabien Di Filippo (DR). Inutile de vous dire que je suis en désaccord avec la rapporteure socialiste et l’oratrice du groupe Socialistes et apparentés. Sur les aides sociales, il faut tenir un discours de vérité. Si l’on ne sait pas vers quel but on veut tendre, alors on ne débouchera sur rien. À entendre certains, il faudrait élargir les dispositifs : l’aide sociale serait-elle un puits sans fond ? Rappelons qu’à l’origine elle est censée servir de filet de sécurité transitoire à ceux qui sont exposés à des accidents de la vie. Soyons clairs d’emblée : le but de l’ASU ne saurait être autre que d’encourager à un retour à l’activité le plus rapide possible. Il n’est pas d’augmenter les ressources des ménages sans activité comme l’a dit la rapporteure.
Nous devons poursuivre trois objectifs principaux. Premièrement, il faut minimiser les risques de fraudes en centralisant les dispositifs pour mieux contrôler les droits qu’ils ouvrent et les paramètres des demandeurs.
Deuxièmement – et c’est peut-être le plus important –, il s’agit d’augmenter l’écart entre les revenus du travail et les revenus de ce que j’appelle l’assistanat. Dans certains cas, les Français n’ont aucun intérêt à reprendre une activité professionnelle du fait des coûts directs et indirects qu’elle induirait, de leur situation familiale ou du cumul des dispositifs d’aides locaux et nationaux. C’est ainsi qu’on construit sa vie dans l’inactivité, ce qui renvoie à un vrai problème philosophique, qui pourrait être la clé d’entrée de votre réflexion sur l’aide sociale unique. Comment peut-on envisager de construire une vie en dehors du socle que constitue le travail ? L’ASU est une première étape, indissociable d’une seconde, son plafonnement, que nous voulons fixer à 70 % du Smic afin que la reprise d’une activité soit toujours plus favorable.
Troisièmement, il importe d’encourager une reprise d’activité la plus rapide possible afin de ne pas laisser les bénéficiaires s’installer dans le cercle vicieux de l’assistanat parce que plus longtemps on y reste, moins on a de chances d’en sortir. Quel modèle donne-t-on à ses enfants quand on a toujours vécu dans l’inactivité ? Le risque de reproduction sociale est là et cela n’est pas étranger au fait que les jeunes ont aujourd’hui un rapport distant au travail, en particulier ceux qui n’ont jamais vu aucun de leurs deux parents travailler. Il faut mettre les vraies questions sur la table, sans tabou et avec courage.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Lundi dernier, l’Insee publiait ses données sur l’évolution de la pauvreté en France pour l’année 2023. Le constat est édifiant : le taux de pauvreté atteint son plus haut niveau depuis 1996, date à laquelle a été modifié le mode de calcul de cet indicateur ; 650 000 personnes ont basculé dans la pauvreté, du fait notamment de l’impact de l’inflation. Dans ce contexte d’aggravation inédit de la pauvreté, notre État social constitue un amortisseur que nous devons plus que jamais défendre. Pourtant ceux qui en ont besoin n’en bénéficient pas tous puisque près d’un tiers des personnes éligibles ne réclament pas leurs prestations sociales – 34% le RSA, 30 % la prime d’activité. Les raisons de ce non-recours aux prestations sociales sont multiples : complexité administrative, méconnaissance des droits par les bénéficiaires, stigmatisation sociale, peur du jugement alimentée par les critiques régulières autour de l’assistanat et manque d’accompagnement des bénéficiaires. Ce non-recours constitue une entorse à la République sociale mais aussi un frein aux politiques de lutte contre la pauvreté. C’est pourquoi lutter contre ce phénomène est une priorité pour le groupe Écologiste et Social.
Nous sommes donc favorables à toutes les mesures de simplification administrative susceptibles de limiter le non-recours, qu’il s’agisse du versement à la source annoncée par le Président de la République, de la fusion du RSA, de la prime d’activité et des aides au logement ou de l’harmonisation des bases de ressources de ces allocations, piste que votre rapport esquisse. Nous soutiendrons ainsi la création d’une allocation sociale unique si elle est envisagée comme un moyen de réduire le non-recours. Elle ne saurait se traduire par une baisse du niveau des prestations sociales fusionnées et par une remise en cause de notre État social. Le groupe Écologiste et Social veillera tout particulièrement à ce que ce ne soit pas le cas.
M. Philippe Vigier (Dem). Je ne vous ferai pas le mauvais procès de vous dire, mesdames les rapporteures, que l’on découvre trop tard votre travail car vous avez déjà rempli une belle mission en vous attaquant à ce sujet, sur lequel tant de choses ont été dites et écrites. Je vous félicite d’avoir ouvert ce chantier qui semble entouré de craintes analogues à celles qu’avait suscitées le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu.
M’étant attaqué à cette question il y a une dizaine d’années, j’estime important de nous assurer que l’on recueille de la part de tous les organismes concernés la totalité des informations nécessaires, notamment auprès des caisses d’allocations familiales. Il s’agit d’argent public et nous devons savoir exactement comment il est utilisé. Ce gage de confiance permettrait d’aller plus loin dans la démarche.
Par ailleurs, il importe de bien déterminer le périmètre pour éviter les effets de bord. On ne peut pas faire de la pauvreté un totem, je le dis à M. Peytavie. Il s’agit d’assurer un équilibre en prenant en compte tout à la fois ceux qui n’ont pas recours aux aides alors qu’ils pourraient en bénéficier et ceux qui profitent du système. En ce sens, je comprends que certains insistent sur la reprise du travail.
Enfin, comment envisagez-vous la suite de vos travaux ? Comment pourra-t-on vous accompagner ? Sur de tels sujets, je ne suis pas persuadé qu’il faille s’écharper. Avoir des faits objectifs sous les yeux peut aider chacun à mieux apprécier les enjeux.
M. François Gernigon (HOR). Le groupe Horizons°&°Indépendants tient à saluer l’engagement des rapporteures, qui défendent avec conviction une réforme attendue par des millions de Français : la mise en place de l’allocation sociale unique. Face à la complexité des dispositifs actuels et au non-recours massif aux droits, l’ASU représente une avancée décisive pour la justice sociale, la lisibilité de notre système et l’efficacité de l’action publique. Plus de 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et trop parmi elles renoncent à leurs droits, faute de démarches simplifiées ou d’informations claires. L’ASU, en harmonisant les bases de ressources du RSA, de la prime d’activité et des APL, permettra à chaque allocataire de bénéficier d’un accès simple et équitable à ces aides, tout en garantissant que chaque euro gagné par le travail se traduise par un gain réel et systématique.
Nous souhaitons que les premières mesures de cette réforme soient inscrites dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Il s’agit d’une exigence de justice et de confiance envers nos concitoyens. Nous appelons le Gouvernement à s’emparer sans attendre des recommandations du rapport : harmonisation des bases de ressources pour garantir un accès simple et cohérent aux prestations sociales ; mise en place du revenu social de référence comme nouvelle base de calcul des droits accompagnée d’une préservation des spécificités propres au logement, au handicap, à la famille ou à l’âge ; suppression des trappes à inactivité – chaque euro gagné par le travail doit se traduire par un gain net, quel que soit son statut ou sa situation familiale.
La réussite de l’ASU sera un marqueur fort de notre capacité à transformer la vie quotidienne des Français, à lutter contre la pauvreté et à valoriser le travail. Notre groupe sera pleinement mobilisé pour accompagner cette réforme structurelle.
M. Stéphane Viry (LIOT). Je tiens à remercier Sandrine Runel et Nathalie Colin-Oesterlé de nous avoir proposé une méthodologie en vue de la création d’une allocation sociale unique. Je le dis avec les mots qui sont les miens : il faut y aller ! Il y a quelques mois, une proposition de loi présentée par nos collègues de la Droite républicaine a permis de provoquer un débat sur cette question à laquelle plusieurs rapports ont été consacrés. Vous entendez lutter contre la pauvreté et le non-recours en visant, grâce à la solidarité à la source, plus d’efficacité : il s’agirait de limiter les coûts de gestion, d’éviter les indus, de réguler la survenue des erreurs, et là, nous ne pouvons que dire qu’il faut s’engager dans cette direction le plus rapidement possible. Ce mécanisme pourrait être la première étape d’une réforme de notre contrat social, grâce à la création d’un revenu social de référence.
Toutefois, un second aspect doit être pris en compte : l’incitation au travail et à l’emploi. Nous savons que dans certains cas, en effet, il est peu intéressant de travailler : des trappes à inactivité incitent à ne pas reprendre un emploi ou à ne pas accepter un emploi mieux rémunéré. Ma question sera simple : proposez-vous un plafonnement de l’ASU ou une modulation des aides à partir du socle que constitue le revenu social de référence ?
Enfin, madame Runel, je tiens à vous dire que j’apprécie particulièrement votre proposition n° 2, qui vise à éviter qu’un ménage ne voie diminuer les montants versés au titre du RSA quand l’un de ses enfants travaille. Si elle trouvait rapidement une traduction concrète dans une proposition de loi, celle-ci serait susceptible de recueillir un consensus.
Mme Karine Lebon (GDR). L’idée d’une allocation sociale unique peut sembler séduisante – simplification des démarches, lutte contre le non-recours, meilleure lisibilité du système – mais lorsqu’on la regarde de plus près, en particulier depuis les départements d’outre-mer comme La Réunion ou Mayotte, elle suscite des inquiétudes. Notre système social est certes complexe mais cette complexité reflète la richesse et la diversité des situations humaines qu’il cherche à accompagner : RSA, APL, AAH, prestations familiales, chaque aide répond à une vulnérabilité spécifique. Les fusionner sans nuances dans une allocation forfaitaire risque de diluer la capacité de notre modèle social à cibler les besoins réels, en particulier ceux des publics les plus fragiles. À La Réunion, où près de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et où le chômage est particulièrement élevé, les aides sociales représentent une ressource vitale pour des milliers de familles. Le rapport de la mission d’évaluation de la loi de 2005 sur le handicap de nos collègues Sébastien Peytavie et Christine Le Nabour l’a souligné avec force : il existe des différences entre les aides sociales dans les outre-mer et dans l’Hexagone. À Mayotte, les personnes en situation de handicap perçoivent des prestations réduites dans un contexte de sous-équipement alarmant. Il y a là une double peine que toute réforme sociale se doit de corriger.
Une réforme de cette ampleur est l’occasion de réaffirmer la nécessité d’établir une égalité des aides sociales sur l’ensemble du territoire national, à Mayotte comme à La Réunion, en Guyane comme dans les Antilles : c’est cette égalité de traitement qui fonde la crédibilité de notre pacte social. Nous appelons à une réforme guidée par des principes clairs : un accès automatisé mais encadré pour renforcer les droits, un maintien des dispositifs ciblés à même de répondre à la diversité des parcours, un accompagnement humain au plus près des territoires, une convergence réelle des montants et des prestations sociales. La diversité des situations appelle des réponses adaptées pour garantir l’universalité des droits. C’est en affirmant l’égalité territoriale que nous rendrons la protection sociale plus juste, plus efficace et plus fidèle à ses valeurs fondatrices.
Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Mesdames les rapporteures, je vous rejoins sur la nécessité de réformer notre système trop complexe de prestations de solidarité afin de le simplifier, d’éviter les non-recours mais aussi, grâce à l’harmonisation des bases de ressources, d’accroître sa lisibilité, gage de confiance dans notre système de protection sociale. Avec mes collègues du groupe Droite Républicaine, nous plaidons depuis plusieurs années pour la création d’une allocation sociale unique plafonnée afin de garantir qu’il y ait toujours un gain au travail. Or ce n’est pas toujours le cas, surtout quand le foyer est bénéficiaire de plusieurs allocations comme le RSA, les APL et la prime d’activité. Mesdames les rapporteures, avez-vous exploré les trappes à inactivité, qui rendent plus avantageux le fait de ne pas travailler ? Certains économistes évoquent des seuils de dix‑huit ou de vingt-trois heures selon les secteurs professionnels et les grilles salariales afférentes. Avez-vous identifié des iniquités cachées dans notre système ?
Votre rapport illustre aussi la nécessité de procéder par étapes. Il importe de définir au plus vite le revenu social de référence en s’appuyant sur une base de ressources harmonisée. Ne procrastinons pas : la création de l’ASU doit être envisagée dès cette année, surtout s’il faut quatre ans pour la faire aboutir, comme l’estime la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). En quoi les difficultés rencontrées par le système d’information des caisses d’allocation familiales pourraient empêcher d’avancer ? Vous évoquez un « risque de saturation en exploitation, de lourdeur de la maintenance corrective et de retard sur d’autres projets de modernisation ». Enfin, quels délais induirait l’application de la solidarité à la source dans l’actualisation du montant des aides ou la régularisation des trop-perçus ?
Mme Justine Gruet (DR). Merci, mesdames les rapporteures, pour ce travail qui pose les fondations d’une réflexion plus globale. Le passage à une allocation unique serait source d’économies dans les frais de gestion de chaque organisme, même si certains sont déjà très efficients, notamment les caisses d’allocations familiales. Il contribuerait aussi à mettre fin au fonctionnement en silo des organismes concernés, qui ne communiquent pas nécessairement sur les prestations dont bénéficient nos concitoyens. Un meilleur partage d’informations favoriserait une prise en charge plus individualisée, lisible et globale. Ces économies de fonctionnement, certes symboliques, permettraient en outre de diminuer les dépenses et donc le poids des charges sur le coût du travail.
On passe souvent pour les méchants lorsque l’on dit vouloir privilégier ceux qui travaillent mais on doit permettre à toute personne qui peut travailler de s’épanouir dans son emploi. Notre pacte républicain repose aussi sur le respect de notre système de solidarité par les uns et par les autres. À cet égard, l’allocation unique est susceptible d’améliorer la lutte contre les abus et de redonner du sens aux aides et aux allocations sociales. Notre volonté de plafonner l’ASU renvoie aussi à la nécessité de conserver à ces aides leur caractère de coup de pouce temporaire car un projet de vie reposant uniquement sur cette solidarité connaîtrait malheureusement rapidement des limites. De surcroît, s’il n’y a pas plus de personnes qui travaillent, on risque de fragiliser ce subtil équilibre entre la nécessité d’une solidarité nationale et la valorisation du goût de l’effort et du mérite. J’espère que, avant le PLFSS, nous serons en mesure de supprimer les trappes à inactivité qui perdurent dans notre pays.
Mme Béatrice Bellay (SOC). D’après le rapport, le revenu de solidarité outre‑mer (RSO) ne serait pas pris en compte dans la première étape de la réforme envisagée. Cette exclusion temporaire d’une prestation aussi structurante pour les pays des océans, dits territoires d’outre-mer, suscite une inquiétude légitime. Le taux de pauvreté y est significativement plus élevé qu’en métropole, le non-recours aux droits évidemment plus marqué et les conditions de logement, d’emploi et d’accès aux services publics sont différentes. Par ailleurs, les aides au logement, intégrées dans le périmètre initial de l’ASU, sont actuellement calculées en fonction de zones géographiques recouvrant des réalités socio-économiques hétérogènes puisqu’elles rassemblent territoires d’outre-mer et territoires métropolitains. Ce découpage ne permet pas de tenir compte des spécificités ultramarines, notamment celles du marché locatif martiniquais. Quelles mesures seraient envisagées pour territorialiser les barèmes et les critères de l’ASU afin de garantir une équité réelle aux bénéficiaires des pays des océans ? Si l’intégration du RSO dans le périmètre de l’ASU est envisagée, à quel horizon l’est-elle et selon quelles modalités ? J’appelle de mes vœux une étude d’impact spécifique portant sur les pays des océans avant toute éventuelle réforme.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé, rapporteure. L’ASU repose, selon nous, sur une double philosophie : d’une part, lutter contre la pauvreté et le non-recours, tout en réduisant les coûts de gestion et en limitant les indus, involontaires ou non ; d’autre part, valoriser le travail. L’un ne peut aller sans l’autre. Dès lors, il faut veiller à ce que la reprise d’une activité n’entraîne pas de pertes brutales des aides, sinon cela serait dissuasif. À cet égard, le versement d’une compensation pendant la période de transition a toute son importance.
Je précise, par ailleurs, que le document qui vous a été transmis dans des délais dont je vous prie de nous excuser n’est pas un rapport à proprement parler mais une communication. Dans le cadre d’une mission flash, les rapporteurs ne sont pas soumis aux mêmes obligations pour faire part des résultats de leurs travaux. Il s’agit surtout pour nous de synthétiser les éléments dont nous avons pris connaissance lors des auditions. Sandrine Runel a d’ailleurs bien pris soin de préciser que nous ne reprenons pas à notre compte tout ce qui est écrit. Seules nos propositions correspondent à nos positions personnelles.
Enfin, s’agissant du plafonnement, monsieur Di Filippo, je ne fuis pas le débat mais il faut prendre garde aux effets pervers du retour à l’activité. Pour éviter toute désincitation, nous préconisons un lissage : le gain de 1 euro ne doit pas entraîner la perte immédiate de 1 euro de prestations, notamment dans le cadre d’un temps partiel.
M. Peytavie a insisté sur la lutte contre le non-recours et c’est exactement ce que nous visons. M. Vigier a souligné la nécessité d’une plus grande lisibilité et je vais dans son sens. La recentralisation des informations concerne non seulement les collectivités locales et les aides extralégales mais aussi les caisses dans leur ensemble, dont les données devraient être remontées au niveau d’une autorité centralisée.
Mme Sandrine Runel, rapporteure. S’agissant des différentes options mises sur la table, il me paraît nécessaire de revenir aux discussions que nous avons pu avoir avec les cabinets des différents ministères concernés, notamment ceux de la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et du Premier ministre. Si notre mission d’information s’est transformée en mission flash, c’est parce que le Gouvernement a lancé sur l’ASU une mission commando – terme employé par le Premier ministre – confiée à M. Lenglart, nommé il y a deux jours à la tête de l’Insee après avoir dirigé la Drees. Cette volonté nous a paru plutôt de bon augure.
Les administrations et le directeur de la Cnaf, interrogés au sujet des spécificités liées à la mise en œuvre de l’ASU, nous ont répondu qu’aucune difficulté technique ne se posait. « Le jour où vous » – sous-entendu, la représentation nationale et le Gouvernement – « appuierez sur le bouton, on saura faire », nous a-t-il été dit, « même si cela prendra trois, quatre, cinq ans. » Personne, me semble-t-il, ne voudrait aujourd’hui revenir sur l’imposition à la source dont les effets bénéfiques sont tangibles : outre qu’elle a contribué à réduire les indus et à limiter les problèmes de gestion financière d’une année sur l’autre, elle a pu intégrer les modifications des revenus de référence liées aux parcours de vie.
Nous savons donc que la mise en place de l’ASU est faisable techniquement. En revanche, il n’y a pas de volonté politique clairement affichée. Je suis donc bien incapable de répondre aux questions sur les suites données à cette réforme car, du côté du Gouvernement, nous n’avons ni le son ni l’image. Notons que le terme même d’ASU est très maladroit : il ne s’agit pas d’une allocation sociale unique ou unifiée mais d’une réforme du mode de calcul des barèmes en vue d’harmoniser le versement des prestations et de le rendre plus juste. Elle n’implique pas une fusion complète des différentes prestations sociales, perspective qui a pu susciter des interrogations sur l’AAH qui n’est pas prise en compte. Cela me conduit aux questions sur nos concitoyens d’outre-mer. Si, à ce stade, il n’y a pas de réflexions sur les prestations qui leur sont spécifiques – et je rejoins ma collègue Lebon quand elle souligne la nécessité de garantir une égalité de traitement pour l’ensemble des Français –, ils sont concernés par les différents scénarios proposés puisque ceux-ci s’intéressent aux personnes relevant des quatre premiers déciles, autrement dit les plus pauvres de France, parmi lesquelles nous retrouvons malheureusement beaucoup d’habitants des territoires ultramarins
Monsieur Di Filippo, nous ne serons sans doute jamais d’accord mais cela ne nous empêchera pas de réfléchir ensemble sur cette réforme. Vous affirmez qu’on ne peut pas construire sa vie sur l’inactivité mais l’inactivité n’a jamais été un projet de vie pour quiconque. Reste qu’il y a dans notre pays des personnes qui ne peuvent pas travailler. C’est la raison pour laquelle il existe des entreprises, des ateliers et des chantiers d’insertion. C’est pourquoi nous défendons l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée qui offre une rémunération compensant l’absence des revenus du travail. Comme ma collègue Nathalie Colin-Oesterlé, j’estime qu’il doit y avoir une incitation à la reprise d’une activité, quelle qu’elle soit – temps partiel, activités d’insertion ou autre –, et qu’une compensation doit être prévue pour contrebalancer les pertes sèches de ressources, terme préférable à celui de « revenus » pour désigner les prestations. Nous sommes convaincues que le travail est la meilleure forme d’émancipation pour chacun et j’imagine que vous ne doutez pas que nous préférons l’émancipation à l’aliénation.
Il nous est malheureusement difficile de vous en dire plus sur les suites données à ce projet de réforme mais nous pouvons nous faire, auprès du Gouvernement, les porte-parole de la volonté qu’ont manifestée les membres de la commission des affaires sociales d’avancer assez rapidement. Il serait envisageable d’ouvrir ce chantier dans le cadre non du PLFSS mais d’une proposition de loi ou d’un projet de loi d’ici à la fin de l’année. Nous sommes tous animés de la volonté de lutter contre la pauvreté et les dernières publications de l’Insee n’ont pas de quoi nous rassurer.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé, rapporteure. Je conclurai en citant notre proposition n° 21 qui souligne que « seule une démarche de fusion structurée, autour d’un socle de solidarité complété par des modules thématiques – logement, famille, handicap, etc – permettra d’atteindre l’objectif central de rationalisation administrative, de lisibilité pour les usagers, et d’efficience dans la gestion des droits sociaux et de valorisation du travail ».
Mme Annie Vidal, présidente. Je vous remercie, mesdames les rapporteures, pour la qualité de vos travaux et de vos réponses.
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La réunion s’achève à onze heures quarante-cinq.
Présents. – M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Béatrice Bellay, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, Mme Sylvie Bonnet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Sandra Delannoy, M. Fabien Di Filippo, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Camille Galliard-Minier, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, Mme Justine Gruet, M. Michel Lauzzana, Mme Christine Le Nabour, Mme Karine Lebon, Mme Hanane Mansouri, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Jean-Philippe Nilor, M. Sébastien Peytavie, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry
Excusés. - Mme Anchya Bamana, M. Elie Califer, M. Arthur Delaporte, Mme Sylvie Dezarnaud, Mme Laure Lavalette, Mme Élise Leboucher, M. Laurent Panifous, M. Jean-Hugues Ratenon
Assistaient également à la réunion. – Mme Josiane Corneloup, M. Philippe Vigier