Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition du Pr Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme, du Pr Loïc Josseran, président de l’Alliance contre le tabac, et du Pr Amine Benyamina, chef du service de psychiatrie et addictologie quadri‑sites des hôpitaux Paul‑Brousse, Bicêtre, Antoine‑Béclère et Ambroise‑Paré (Assistance publique - Hôpitaux de Paris)              2

– Audition de Mme Stéphanie Martel, directrice des affaires externes de Philip Morris France, de Mme Marine Sauce, responsable des affaires réglementaires de Japan Tobacco International SAS, de M. Sébastien Charbonneau, directeur des affaires publiques et réglementaires de British American Tobacco France, et de Mme Caroline Brabant, directrice des affaires publiques d’Imperial Brands Seita              18

– Présences en réunion.................................35

 

 

 

 

 


Mercredi
24 septembre 2025

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 105

session extraordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
 

 


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La réunion commence à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)

 

La commission entend, sous la forme d’une table ronde, le professeur Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme, le professeur Loïc Josseran, président de l’Alliance contre le tabac, et le professeur Amine Benyamina, chef du service de psychiatrie et addictologie quadrisites des hôpitaux PaulBrousse, Bicêtre, AntoineBéclère et AmbroiseParé (Assistance publique - Hôpitaux de Paris).

 

M. le président Frédéric Valletoux. Le tabac est responsable, chaque année, de 75 000 décès en France, ce qui en fait la première cause de mortalité prématurée évitable. Son coût direct pour la Sécurité sociale est supérieur à 16 milliards d’euros : gardons-le à l’esprit avant les débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Les 13 milliards d’euros de recettes fiscales associées ne compensent donc que très insuffisamment cette somme. L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) estime ainsi les coûts directs et indirects liés au tabac à 156 milliards d’euros annuels.

Pour aborder ce sujet, et plus spécifiquement aussi celui du commerce parallèle, nous recevons le professeur Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme (CNCT), le professeur Loïc Josseran, président de l’Alliance contre le tabac (ACT) et le professeur Amine Benyamina, chef de service de psychiatrie et d’addictologie à l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, qui apportera son regard sur la réalité de la dépendance et sur les leviers thérapeutiques disponibles.

La réduction de la consommation de tabac et la prévention de l’entrée des jeunes dans le tabagisme exigent des mesures fortes. À l’initiative de nos collègues Michel Lauzzana et Francesca Pasquini, notre commission a récemment œuvré pour l’interdiction des cigarettes électroniques jetables. Notre attention doit maintenant se porter sur le commerce parallèle, qui représente entre 15 % et 20 % de la consommation. Cette situation pèse sur les débitants, alimente l’économie souterraine, prive l’État de recettes fiscales et affecte le levier efficace que constitue l’augmentation du prix du tabac.

Le protocole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) exige des quotas de livraison par pays en fonction de la consommation locale, ainsi qu’une traçabilité rigoureuse et indépendante des paquets. Je défends une proposition de résolution européenne visant à le mettre en œuvre ; elle a été adoptée au printemps dernier par la commission des affaires européennes, et j’ai bon espoir de la voir discutée en séance avant Noël.

Nous devons nous interroger sur la cohérence de nos politiques – fiscalité, paquet neutre, accompagnement au sevrage, mais également soutien aux acteurs économiques de nos territoires que sont les bureaux de tabac.

Cette matinée vise donc à éclairer notre réflexion : comment mieux prévenir le tabagisme et mieux sevrer les fumeurs ? Comment protéger les jeunes ? Comment limiter le commerce parallèle et accompagner la transition économique du secteur ?

Pr Loïc Josseran, président de l’Alliance contre le tabac. La société française est confrontée depuis longtemps au problème du tabagisme. Je vous remercie de nous donner cette occasion de l’aborder. Au cours des dernières décennies, les décisions fortes prises par les gouvernements et par le Parlement, dont celles que vous avez citées, ont permis de faire bouger les choses : les chiffres encourageants de l’OFDT montrent une diminution historique de la consommation de tabac chez les moins de 16 ans.

En revanche, je m’inscris en faux contre certains points que vous venez d’évoquer. Le commerce illicite de tabac n’est pas une question de santé publique. Ce qui nous intéresse, en tant que représentants de la société civile plus encore qu’en notre qualité de professionnels de santé, ce qui est au cœur des enjeux du tabagisme, c’est la santé des jeunes. Le commerce illicite n’est qu’une poudre aux yeux lancée par l’industrie du tabac depuis des décennies, dont le seul objectif est de nous distraire des mesures réellement efficaces, simples et connues : la fiscalité et le respect absolu de l’interdiction de la vente aux mineurs.

En France, les buralistes sont les premiers en cause sur ce dernier point, 60 % d’entre eux délivrant sans aucun contrôle du tabac à des mineurs. En procédant ainsi, ils s’assurent de leur marché pour vingt ou trente ans, suivant le principe même de l’addiction. En effet, il est malheureusement avéré que consommer du tabac de façon importante dans sa jeunesse entraîne ensuite une consommation longue et efficace, du point de vue économique, pour les buralistes. Ils savent parfaitement qu’il n’y aurait plus de marché du tabac s’ils cassaient cette dynamique. Cette table ronde n’aurait d’ailleurs plus lieu d’être puisque le tabagisme aurait disparu en France. Il faut donc écarter la question du marché illicite, qui n’a aucun lien avec la santé publique : il faut bien plutôt, pour agir, une réglementation efficace, un respect des normes et des lois en vigueur, et un discours fort sur la fiscalité.

Il est faux de prétendre que le commerce illicite représente la moitié de la consommation de tabac en France, comme le prétendent des rapports à la méthodologie douteuse. KPMG, porteur de plume de l’industrie du tabac, publie ainsi des contrevérités : par exemple, les dizaines de milliards de cigarettes vendues en France proviendraient, pour plus de la moitié, du marché parallèle. Imaginons seulement ce qu’inonder un marché national dans de telles proportions représenterait en volume et en capacités logistiques. Un autre chiffre du rapport KPMG m’étonne toujours : il y a deux ans, le trafic de cigarettes à Aurillac aurait augmenté de 1 200 %. Cela signifie, si l’on ajoute foi à ces données, que chaque habitant d’Aurillac fume 120 cigarettes par jour ! Pourtant, ces chiffres ne choquent personne. Ils sont allègrement repris et ils justifient même d’écarter les mesures réellement efficaces : l’augmentation de la taxation et le respect absolu de l’interdiction de vente aux mineurs. La situation perdurera tant que ces écrans de fumée serviront de vérités absolues.

Le tabagisme coûte 156 milliards d’euros quand les recettes fiscales liées au tabac ne dépassent pas les 15 milliards d’euros. Elles sont donc loin de compenser les coûts induits par ses effets sanitaires et sociaux, qui appauvrissent la collectivité. Autrement dit, l’État perd de l’argent à vendre du tabac et à se faire l’allié objectif de cette industrie. Cela dépasse l’entendement. On m’accusera, non sans raison sans doute, d’être opposé aux buralistes. Cette profession jouit d’une rente absolue. Ces vingt dernières années, elle a touché plus de 4 milliards et demi d’euros d’aides directes. Les buralistes ont vu leurs revenus liés au tabac augmenter de plus de 90 000 euros. Contrairement à l’État, ils sont aussi gagnants à chaque augmentation de la fiscalité, compte tenu du prix payé par les fumeurs. L’industrie est également bénéficiaire. Les perdants sont l’État et les fumeurs, qui y laissent leur argent et leur santé.

En tant que président d’université, je rencontre des difficultés pour boucler les fins de mois et le budget annuel. Nous gagnerions tous à investir 4,5 milliards dans les universités pour la formation des jeunes, la recherche et l’innovation, plutôt que dans le commerce des buralistes. Je ne parle même pas des hôpitaux : mes fonctions de médecin me conduisent à constater chaque jour l’état de délabrement du système hospitalier. La société française aurait avantage à financer ces domaines plutôt que l’activité mortifère du tabac. Ce choix ne m’appartient pas, mais je me permets de souligner ces points auprès de votre commission pour qu’elle fasse évoluer les choses.

Je vous rejoins sur la nécessaire traçabilité du commerce du tabac, actuellement à la main des industriels. Ce fait surprenant invite à s’interroger sur la réalité des chiffres avancés. Nous devons revenir à des fondamentaux simples et cesser de mettre en doute l’efficacité de la lutte contre le tabac en France.

Tous nos collègues européens envient la richesse et la diversité de notre arsenal de mesures réglementaires et législatives, qui s’attaquent à tous les domaines, de la consommation à la fiscalité. Reste que nous ne respectons pas cette réglementation : les mineurs peuvent toujours acheter du tabac et il est possible de fumer dans nombre de lieux publics. Les seules mesures strictement respectées sont de nature fiscale : lorsqu’une augmentation est décidée, elle est appliquée. Sur le reste, nos concitoyens et nos patients paient le prix du non‑respect des règles. Il est pour le moins dommage, vu l’appauvrissement de la société française et la quête de dizaines de milliards d’euros pour redresser la situation, que des sommes considérables partent chaque année en fumée dans le tabagisme.

Il y a, en ce domaine, des sources d’économies majeures : des économies directes et d’autres encore si l’on évitait, par exemple, nombre d’incendies et de feux de forêt, des hospitalisations inutiles, de la misère humaine. Notre société dans son ensemble se porterait mieux si l’on parvenait, avec courage, à la débarrasser véritablement du fléau du tabac.

J’ai évoqué l’importante baisse de consommation de cigarettes chez les jeunes. Il ne faut toutefois pas méconnaître la création, sous nos yeux, d’un marché de la nicotine, dont la cigarette n’est qu’un produit parmi d’autres. Les sachets de nicotine, la chicha déjà ancienne, les perles de nicotine ou le snus sont autant de leviers de croissance de l’industrie. Ayant compris que la cigarette n’était plus un marché d’avenir en Europe, et en particulier en France, elle cherche à diffuser de nouveaux produits.

Il y a quelques semaines ont été décidées des réglementations visant à les interdire. Nous nous félicitons que l’Assemblée nationale vote un tel texte, qui casse de façon inédite la dynamique du marché de la nicotine avant même que les produits ne soient implantés. Cette approche novatrice montre que ce marché de la nicotine n’est pas une fatalité et qu’il faut, à l’inverse, lutter contre des industriels n’ayant d’autre intérêt que leur portefeuille.

Je rappelle, pour conclure, qu’il n’existe plus aucune activité économique de production ou autre liée au tabac en France, hormis quelque 2 000 planteurs, chiffre marginal au regard de l’agriculture française. Le tabac n’est ni un art de vivre, ni un élément de masculinité ou de féminité. Il est pourtant l’un des rares produits qui prétendent rendre à la fois une femme plus féminine et un homme plus masculin ! Tel est le résultat d’une centaine d’années de manipulation par l’industrie, qui veut faire croire que fumer rend décontracté, plus jeune ou plus indépendant, que fumer donne de la liberté. Non. Fumer n’a qu’un objectif : enfermer dans l’addiction et priver le fumeur de plusieurs années de vie, en lui ayant fait les poches au passage. Le tabagisme, dramatique pour la société, ne mène nulle part.

Pr Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme. Mon collègue ayant été très complet, je me contenterai d’approfondir quelques points. Pour la société, le contrôle du tabac s’avère très rentable – la chose est quantifiable –, aussi bien pour la santé que les finances publiques. On estime que chaque euro investi dans ce domaine rapporte, selon les mesures mises en œuvre, entre 3 et 10 euros.

En politique, le long terme est souvent difficile à prendre en compte. Or, la lutte contre le tabac est rentable immédiatement, en particulier pour la Sécurité sociale. En effet, le tabac a une incidence non seulement sur les cancers, mais aussi sur les maladies cardiovasculaires, qui diminuent dans les semaines qui suivent l’arrêt du tabac – infarctus ou accident vasculaire cérébral. Les mesures que nous proposons, dès lors qu’elles sont efficaces et induisent une réduction de la consommation de tabac, produisent donc des bienfaits aussi bien sur la santé que sur les finances, en particulier de la Sécurité sociale.

La récente enquête de l’European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs (Espad) compare dans différents pays européens la consommation à 16 ans des produits dont nous parlons. La France, aux résultats auparavant médiocres, en obtient maintenant de très bons. Cette évolution positive s’explique par la réglementation, toutefois plus ou moins bien appliquée puisque 3 % des enfants de 16 ans fument quotidiennement et 6 % d’entre eux vapotent.

La lutte contre le tabac peut être abordée par ses deux extrémités : la prévention, dans laquelle la France ne s’en sort pas trop mal, et l’aide au sevrage, qui est insuffisante. Entre 60 % et 70 % des fumeurs, selon les populations concernées, ne souhaitent pourtant qu’une chose : arrêter. Mais les mois sans tabac ont beau être efficaces, la prise en charge souffre d’un manque d’investissements : on conseille aux fumeurs de contacter un professionnel de santé, mais le nombre de spécialistes est insuffisant.

Le coût du tabac et les augmentations de prix figurent incontestablement parmi les plus fortes incitations pour arrêter de fumer. Or, les achats hors réseau, légaux ou illégaux, donnent accès à des produits à des prix inférieurs. Ils cassent par conséquent l’effet des taxes. Cela justifie de s’intéresser à cette question – certes pas en s’appuyant sur le rapport de KPMG, qui ne vaut rien : inutile d’en parler. Une évaluation menée par le professeur Christian Ben Lakhdar de l’université de Lille offrira une quantification beaucoup plus fine. Ses premiers résultats, encore officieux, sont proches de ceux de l’OFDT : en 2022, le tabac a été acheté chez les buralistes à hauteur de 80 %.

En outre, contrairement à ce qu’affirme KPMG pour Philip Morris, les ventes hors réseau sont stables depuis 2014. À ce sujet, il faut d’abord évoquer les achats transfrontaliers. Professeur émérite à l’université de Lorraine et habitant à Nancy, je suis particulièrement au fait de cette pratique en raison de la proximité du Luxembourg. Dans les consultations de sevrage tabagique de la région, deux fumeurs sur trois s’approvisionnent là-bas. Nous devons aborder cette question frontalement. Nous sommes tous d’accord : il faudrait une harmonisation par grandes zones de l’Union européenne. Mais elle n’aura pas lieu à court terme…

Nous pouvons en revanche envisager deux pistes. La première concerne la traçabilité. Il y a plus de dix ans, nous nous sommes battus pour une traçabilité indépendante de l’industrie du tabac, dans le cadre du protocole de l’OMS. Cependant, ce qui a été décidé par l’Union européenne en ce domaine n’est pas appliqué comme il le faudrait. L’industrie du tabac se charge toujours des données, auxquelles nous n’avons guère accès, et elle définit la nature des paquets en circulation en fonction de ses intérêts. La mesure de la traçabilité nous échappe donc complètement. La deuxième piste, elle aussi liée à la traçabilité, concerne le surapprovisionnement. Elle consiste à contrôler les approvisionnements afin que chaque pays ne dispose que de la consommation de sa population.

Qui bénéficie du système d’achats hors réseau ? Le Luxembourg, sans aucun doute, dont les taxes sur les ventes de tabac et d’alcool fournissent une part importante des revenus. Qui sont les perdants ? L’État français, auquel des taxes échappent, mais surtout la santé des Français, puisque l’effet dissuasif du prix disparaît. Les buralistes se trouvent dans une situation ambivalente : ils perdent de potentiels revenus, mais leurs positions sur le sujet sont peu claires, calquées sur celles de l’industrie du tabac, et vont à l’encontre de leurs intérêts.

Une étude du CNCT, conduite cet été et non encore publiée, montre que 80 % des buralistes continuent à vendre du tabac aux mineurs. La situation ne change donc pas. Ils appliquent le principe de la faute lucrative : ils savent que ce qu’ils font est illégal, mais ils recrutent ainsi des consommateurs à vie. Il faut donc contrôler leur activité pour empêcher leur commerce à destination des mineurs et appliquer des sanctions dissuasives, fermetures administratives et pénalités qui, dans certains pays, peuvent atteindre 10 000 euros. De telles sanctions permettent généralement de calmer le jeu. Sans elles, tout débat est vain.

Quant à l’idée selon laquelle l’augmentation des prix, sous l’effet des taxes, entraînerait une hausse des achats transfrontaliers, elle est démentie par les chiffres que nous tenons à votre disposition. Le cas du Royaume‑Uni est bien documenté. Depuis quinze ans, la consommation diminue, les taxes augmentent et les achats illicites restent stables. En Europe, c’est en Norvège que le prix du tabac est le plus élevé, et en Estonie qu’il est le plus bas. Or, c’est dans ce pays, proche de Kaliningrad, qu’il y a le plus d’achats par contrebande.

Pr Amine Benyamina, chef du service de psychiatrie et addictologie quadrisites des hôpitaux PaulBrousse, Bicêtre, AntoineBéclère et AmbroiseParé (Assistance publique - Hôpitaux de Paris). Le tabagisme est un révélateur des inégalités de santé. Le tabac touche principalement des personnes qui ont un niveau socio-économique bas et qui possèdent moins de diplômes. C’est comme si l’information sur les méfaits du tabac ne leur parvenait pas : voilà une piste d’action pour les politiques publiques. Environ 30 % des personnes percevant de faibles revenus fument quotidiennement, contre 17 % pour le reste de la population. Le rapport est du simple au double.

Le tabac est l’un des plus gros pollueurs au monde : 23,5 milliards de mégots sont disséminés chaque année en France. Dans les lieux de santé sans tabac que nous aménageons avec le Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions, nous créons des espaces de récupération des mégots, qui sont un véritable fléau écologique.

Le tabac est une substance nocive et il représente un enjeu de santé publique majeur. Loïc Josseran a rappelé l’importance du programme national de lutte contre le tabagisme (PNLT). Nous pouvons être fiers de ce dispositif important et solide. Nos bons résultats, par rapport à nos voisins européens, lui sont en partie dus. Le programme actuel, qui couvre les années 2023 à 2027, comporte néanmoins quelques limites. La hausse progressive du prix du paquet de cigarettes jusqu’à 13 euros en 2026 n’est pas assez dissuasive. Nous l’avions dit au moment de l’élaboration : la fiscalité doit, pour être efficace, taper fort. Le déploiement d’espaces sans tabac est positif, mais il pourrait souffrir d’une certaine hétérogénéité selon les territoires : aux élus de veiller à cet écueil. Par ailleurs, nous regrettons l’absence de mesures de contrôle effectif de la vente de tabac aux mineurs : il s’agit d’un élément essentiel sur lequel il est nécessaire de sensibiliser ceux qui collectent la taxe. Je me suis récemment rendu au Congrès des États-Unis : dans un endroit où l’on consomme de l’alcool, on m’a demandé ma carte d’identité alors que je n’ai pas l’impression de ressembler à un enfant. Nous gagnerions à suivre cet exemple de vérification systématique. Le PNLT comprend d’autres volets, notamment sur la prévention en milieu scolaire et l’accompagnement des publics vulnérables.

L’industrie du tabac sait s’adapter de manière très efficace : elle dispose de moyens importants et elle sait innover. Derrière la nicotine, le tabac est toujours présent. De nouveaux produits tabagiques ciblent les jeunes pour les fidéliser. Comme les autres industries de l’addiction, des écrans ou de l’alcool, celle du tabac attaque les individus très jeunes pour stimuler leur système de récompense et ancrer leur addiction. Sans faire de publicité, il est ainsi possible de rendre une population captive : elle n’arrêtera de consommer que si elle meurt ou si, issue favorable, elle entre dans le dispositif de soins. Dans les deux cas, le coût pour la collectivité est élevé. Le marketing du tabac vise les jeunes et les femmes. Des arômes sont ajoutés à des produits dotés d’un design attractif. La nicotine est un facteur de confusion : dans la lutte contre l’addiction, la réduction des risques joue un rôle important, donc nous prescrivons le produit pour éviter que les personnes meurent ; l’industrie du tabac s’est adaptée et fournit de la nicotine pour que les jeunes deviennent ou restent dépendants.

Le vapotage doit être réservé aux personnes qui arrêtent le tabac, même si le débat scientifique sur son efficacité persiste. Il ne peut être question de le promouvoir auprès de ceux qui n’ont jamais fumé. Nous sommes tous trois d’accord sur ce point, même si cette position n’est pas unanimement partagée.

Ce sont les buralistes qui vendent des produits à base de nicotine aux mineurs. Il s’agit d’un problème pour la prévention du tabac chez les jeunes. Nous en discutons avec les représentants de la profession, que je vais bientôt recevoir dans mon service, et il serait important que l’Assemblée nationale dialogue avec eux ainsi qu’avec des agents de Bercy. En tant que président d’Addictions France, je me suis élevé contre l’ouverture des casinos en ligne. Depuis 2008, tout le monde s’est rendu compte de l’addiction puissante qu’ils créaient. Or, c’est la loi qui a permis ce phénomène en dérégulant cette activité : voilà un exemple de ce qu’il ne faut surtout pas faire. J’ai échangé avec des fonctionnaires de Bercy qui m’ont dit, de bonne foi, que cette activité apportait des ressources à l’État. Je leur ai répondu qu’il en coûterait bien plus de prendre en charge les malades.

Nous avons avancé quelques propositions utiles. Il faut rendre l’offre des produits moins attractive. Il faut poursuivre l’augmentation de la fiscalité car il s’agit d’un levier des plus efficaces. Il faut renforcer la prévention pour atteindre l’objectif d’une génération « zéro tabac ». Il faut encadrer le marché en expansion de la cigarette électronique. Il faut anticiper, pour mieux la réguler, l’innovation aboutissant à l’émergence de nouveaux produits nicotinés après la vapoteuse jetable et le sachet de nicotine. Il faut lutter contre la vente aux mineurs, action que nous avons les moyens de mener. Il faut recentrer les messages de communication et de prévention en les adaptant à ceux qui ne les reçoivent pas : les personnes non diplômées ou qui ne perçoivent pas la subtilité de certains discours de prévention.

Les scientifiques vous diront que le tabac accompagne la consommation d’alcool ou de produits prescrits par les médecins comme les opiacés et les antalgiques. Il n’est pas nécessaire d’avoir une ordonnance pour consommer ce produit qui rassure et qui semble aider à surmonter des moments difficiles alors qu’il enferme ceux qui en deviennent dépendants.

M. Thibault Bazin, rapporteur général. Professeur Josseran, vous avez fait état de votre préoccupation, que nous partageons, pour la santé des jeunes. Mais vous avez affirmé que le commerce illicite ne jouait aucun rôle, que les deux vecteurs opérants étaient la fiscalité et l’interdiction de la vente aux mineurs. Le professeur Martinet a toutefois admis que 10 % du tabac étaient achetés hors réseau, sans fiscalité et avec des prix inférieurs.

Permettez-moi de revenir sur la spécificité des régions transfrontalières. Parlementaire lorrain, je mesure l’impact du trafic qui favorise le commerce parallèle. Au moment du confinement, en 2020, les buralistes de Meurthe-et-Moselle ont enregistré une hausse de la consommation de 40 %. Des particuliers ont alors indiqué qu’ils se fournissaient d’habitude ailleurs et ils ne sont pas revenus dans les bureaux de tabac avec le déconfinement. Ce constat ne montre-t-il pas la limite d’une approche uniquement fondée sur la fiscalité ? La résolution défendue par le président Frédéric Valletoux ne pourrait-elle pas contribuer à remédier aux problèmes de traçabilité et de surapprovisionnement ?

N’observez-vous pas des modifications de consommation chez les plus jeunes liées au développement d’autres addictions ? Professeur Benyamina, il faut parler du vapotage : ne présente-t-il pas le risque de créer une dépendance à la nicotine ?

Enfin, la croissance exponentielle de boutiques et de distributeurs de cannabidiol (CBD) est-elle sans conséquence pour la santé ? J’ai reçu des personnes qui pensaient pouvoir conduire après en avoir consommé et dont le permis a été retiré. Ne conviendrait-il pas de prendre des précautions supplémentaires, notamment en matière d’information sur les risques sanitaires ?

M. Michel Lauzzana (EPR). Plus personne ne remet en cause la nocivité du tabac : 40 % des cancers évitables lui sont dus, soit deux fois plus qu’à l’alcool.

Je suis d’accord avec le professeur Josseran sur le commerce hors réseau. L’étude de KPMG surévalue certainement le phénomène. Néanmoins celui-ci existe. Voilà pourquoi j’ai soutenu la proposition de résolution européenne du président Valletoux. Je continuerai de défendre devant la Commission européenne, comme je l’ai déjà fait, un système de traçabilité des produits du tabac indépendant des fabricants.

Depuis 2017, les gouvernements et les députés se sont mobilisés autour du PNLT. Vous avez évoqué une baisse de la consommation des jeunes : celle-ci s’accompagne-t-elle d’un déplacement vers les produits nicotiniques ? La nicotine est addictive, donc l’industrie du tabac cherche à développer la vente de ces produits. L’un des leviers de lutte contre cette stratégie est le prix. Mais, au-delà de cet instrument, comment parvenir à protéger les plus vulnérables, particulièrement exposés au risque de dépendance au tabac comme le montrent de nombreuses études ?

Convient-il d’aligner, à l’occasion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, la taxation de la vape sur celle du tabac ? Cette mesure serait-elle efficace ?

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Vos interventions permettent d’ouvrir le débat qui aura lieu à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale – en espérant que nous puissions un jour voter sur un tel texte.

L’industrie du tabac est mafieuse et criminelle. Par le mensonge et la falsification de données, elle rend dépendantes des milliards de personnes à un produit mortel pour elles‑mêmes et pour leurs proches – cancers du poumon et de la vessie, maladies cardiovasculaires et respiratoires. Non contentes de ces résultats, les entreprises du tabac organisent directement des marchés illicites. Ceux-ci ne sont pas des marchés parallèles, ils sont au cœur du modèle économique de ces sociétés, lesquelles provoquent un surapprovisionnement. Je suis élu dans une région frontalière, l’Occitanie : Andorre reçoit 800 millions de cigarettes par an quand la consommation andorrane n’est que de 100 millions. Il est évident que cette différence de 700 millions de cigarettes ne s’évapore pas dans la nature : elle alimente des filières de consommation, notamment dans les départements pyrénéens. L’industrie du tabac organise sciemment un modèle illicite, qui tue toujours plus de personnes, pour générer toujours plus de profits. Une fois le marché créé, les entreprises demandent une baisse de la taxation du tabac pour ne pas créer de concurrence déloyale pour les buralistes, alors que ce sont elles qui l’ont nourrie. Une directive européenne est en préparation : elle pourrait harmoniser la fiscalité du tabac et des produits qui en contiennent. Aura-t-elle un impact sur les marchés parallèles et, si oui, lequel ?

La traçabilité des produits dépend totalement de l’industrie, comme tous les éléments importants qui touchent au tabac. À quoi pourrait ressembler une reprise en main concrète par la puissance publique ? Faut-il placer les sociétés tierces qui gèrent les données des contrats sous contrôle public ? Les auditeurs devraient-ils signer un contrat avec l’État plutôt qu’avec les industriels ? Quelles pistes préconisez-vous pour nous rapprocher des préconisations de l’OMS en la matière et abandonner le modèle actuel de capitulation totale devant un groupe d’intérêt mortel ?

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). La consommation de tabac est marquée par l’appartenance sociale : elle est plus forte dans les classes populaires. Le prix est un élément important, mais il n’est pas le seul moyen de lutter contre le tabac. Je pose par exemple la question de l’interdiction complète de la cigarette dans les universités : j’ai tenté de le faire dans l’ensemble des campus universitaires dont j’étais la vice-présidente, mais j’ai échoué. Il conviendrait de bannir la cigarette des abords des lycées, puisque les jeunes sortent fumer devant l’entrée des établissements. Le tabac est la seule addiction acceptée dans les entreprises, où l’on trouve souvent un coin réservé aux fumeurs. Cette tolérance se retrouve dans les hôpitaux. Soutenez-vous l’interdiction du tabac dans les entreprises ?

Vous avez affirmé que fumer n’était pas un art de vivre. Pourtant, dans les films, les séries, les livres et les bandes dessinées, la représentation de la cigarette est souvent favorable car consommée par les personnages principaux : ne convient-il pas d’agir également dans ce domaine ?

Les services de psychiatrie sont les parents pauvres de l’hôpital et les services d’addictologie le sont davantage encore. Il s’agit d’une lacune de la politique de santé publique de lutte contre les addictions, le tabac en particulier.

Pr Amine Benyamina. Madame Rousseau, il y a une journée spéciale consacrée à la santé mentale aujourd’hui sur France Inter. J’ai envoyé un courriel après la matinale pour regretter l’absence de tout développement sur l’addiction. Ceux qui connaissent un problème de santé mentale – un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), un trouble de l’humeur, un trouble bipolaire, etc. – ont souvent recours à un faux ami comme l’alcool. L’addiction est plutôt la règle que l’exception dans ces situations.

La santé mentale est la grande cause nationale de 2025. Or nous, addictologues, avons été totalement oubliés. Lors d’une réunion à Matignon, j’ai demandé qu’au moins les personnes en mauvaise santé mentale et prises au piège d’une consommation addictive ne soient pas négligées. Les structures d’addictologie sont en effet en lambeaux comme l’est la psychiatrie. Il y a de nombreuses actions à mener. Lorsque le diplôme d’université d’addictologie a été créé il y a vingt ans, le climat était à l’enthousiasme. Mon maître Michel Reynaud, qui n’est plus de ce monde, a lancé le diplôme d’études spécialisées complémentaires (Desc) d’addictologie. Mais le soufflé est en train de retomber. La stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives (Simca) pour les années 2023 à 2027 est vide : dans ce contexte, toute aide est la bienvenue.

L’addiction n’est pas un vice, mais une maladie qui concerne tout le monde, y compris les membres de votre assemblée. Il faut commencer par lutter contre le déni puis, pour prendre en charge les malades et alléger le fardeau pour la société, avoir des soignants, des messages clairs et des moyens.

Avec ma collègue Karine Gallopel-Morvan, nous essayons par tous les moyens d’interdire le tabac dans les campus universitaires. Nous avons commencé par créer des lieux de santé sans tabac et nous tentons de promouvoir des écoles de santé sans tabac – les instituts de formation en soins infirmiers et les facultés de médecine.

Pr Loïc Josseran. Je vous rejoins totalement, madame la députée, sur le constat dressé pour le cinéma et la télévision. Je l’étendrais au secteur de la mode puisque les grandes maisons de couture françaises sont des pourvoyeuses de publicités indirectes, dans lesquelles des mannequins portent une main à la bouche d’une certaine façon ou utilisent un tube de rouge à lèvres pour mimer la consommation d’une cigarette ou d’un produit du tabac. La société française est tellement imprégnée de cette représentation que la seule évocation d’un geste renvoie à la cigarette. L’ACT travaille sur ce problème. Mais nous savons parfaitement, grâce à des études américaines conduites il y a plusieurs dizaines d’années, que des liens financiers existent entre les industries culturelles et du tabac. Ainsi, certains acteurs étaient rémunérés en fonction du nombre de cigarettes fumées dans un film.

Sous couvert de création artistique, ce vecteur publicitaire qui brave l’interdit se révèle puissant. Il faut toujours se poser la question de l’intérêt pour le scénario du film ou de la série de la présence d’une cigarette : le plus souvent, il est nul. J’ai récemment vu des policiers fumer dans un commissariat ou un juge dans un tribunal. C’est surréaliste ! Il ne s’agit pas d’œuvres des années 1950 mais de la première moitié de la décennie 2010. De telles images envoient le message que fumer est normal. Il ne faut plus accepter cette situation : la création artistique, que je respecte, ne doit plus être le faux nez de la publicité de l’industrie du tabac. Dans une biographie de Serge Gainsbourg, l’acteur doit bien entendu fumer ; en revanche c’est totalement dispensable pour un personnage de 14 ans qui traverse la rue.

Quelques buralistes sont peut-être victimes du marché parallèle et du commerce transfrontalier. Mais faut-il, pour eux, refuser de protéger l’ensemble de la jeunesse ? La position de l’ACT est claire : si nous voulons que le prix du paquet de cigarettes atteigne 25 euros en 2032, il doit augmenter de 10 % par an. Une telle progression de la fiscalité n’est pas punitive, elle constitue la condition d’une action efficace sur les comportements. Il y va de la santé publique et de la protection de la jeunesse. Je vous rejoins, monsieur Clouet : nous n’avons pas le droit d’abandonner le cerveau de nos enfants aux industriels du tabac comme nous le faisons actuellement. Nous devons aller plus vite, plus loin et plus fort dans l’augmentation de la fiscalité si nous souhaitons être collectivement efficaces.

Pour couvrir l’ensemble du coût social du tabac et compenser son coût économique, il faudrait porter la fiscalité à un niveau qui placerait le prix de paquet de cigarettes à 45 euros. Le coût du tabac est de 2 300 euros par an et par Français. C’est énorme !

Les industriels ont massivement investi les réseaux sociaux. British American Tobacco a consacré 1 milliard de livres sterling sur cinq ans à sa présence sur TikTok. Ce n’est certainement pas pour séduire de nouveaux consommateurs âgés de 50 à 60 ans, mais bien pour cibler une population particulière.

Vous avez tout à fait raison, monsieur Clouet : c’est l’industrie qui organise le marché parallèle, qui fait preuve d’une remarquable stabilité en France. Depuis 2014, 80 % des cigarettes vendues le sont dans le réseau des buralistes ; 15 % le sont de manière légale en dehors de ce réseau, en duty free par exemple. La zone noire représente 5 %, dont 1 % de vente à la sauvette dans les rues. Le marché parallèle est donc loin de représenter la moitié des cigarettes vendues dans notre pays, contrairement à ce que prétend l’industrie du tabac.

Pr Yves Martinet. La consommation de tabac est un marqueur social. Les fumeurs appartenant aux classes socio-économiques défavorisées ont autant envie d’arrêter de fumer que les autres. D’ailleurs, c’est pour eux que l’élasticité de la consommation au prix est la plus forte : lorsque le prix du paquet augmente, ce sont les pauvres et les jeunes qui restreignent leurs achats. Il faut agir à la fois sur la prévention et sur l’aide à l’arrêt du tabac. Les Britanniques se sont montrés très efficaces : ils ont créé de nombreuses structures décentralisées et les ont installées à proximité de populations socialement diverses. Cette organisation a engendré une baisse importante de la consommation de tabac.

L’article 5.3 de la convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, signée en 2003 et ratifiée par la France un an plus tard, stipule que les politiques de santé publique doivent se prémunir de l’influence des intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac, expression qui comprend les buralistes qui sont les relais des industriels. Or, l’industrie du tabac manipule la traçabilité et agit en dehors du Protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, qui définit la traçabilité optimale. À l’échelle nationale, le ministère chargé de l’écologie a créé une structure, Alcome, pour aider les communes à financer le traitement des déchets liés à la consommation de tabac. Mais ce sont l’industrie du tabac et les buralistes qui pilotent son action. Cette situation est tout à fait anormale. L’industrie doit bien entendu financer la gestion de ces déchets, mais cette opération ne doit pas être, pour elle, l’occasion de se refaire une virginité. Alcome traite dorénavant avec les hôpitaux et plus seulement avec les communes. Cette structure devrait être indépendante ; elle s’intéresse désormais à la politique du traitement des mégots dans les hôpitaux. Nous marchons sur la tête !

Au-delà de l’Union européenne et des débats sur la traçabilité et la fiscalité, au-delà de l’échelle nationale et des discussions autour du PNLT, il conviendrait de s’intéresser aux communes. Nous conduisons un projet tout à fait original dans le Grand Est, Villes libres sans tabac. La convention-cadre de l’OMS insiste sur l’importance de multiplier les mesures pour une politique efficace. Voilà pourquoi nous agissons également à l’échelon local.

M. Paul Christophe (HOR). La lutte contre le tabagisme demeure un enjeu de santé publique majeur et d’intérêt national. Le tabac tue chaque année plus de 75 000 personnes en France, soit près de 13 % des décès. À eux seuls, ces chiffres devraient suffire à nous interpeller.

Depuis 2017, notre pays se distingue par une politique volontariste avec des augmentations successives de prix, la généralisation du paquet neutre, l’interdiction renforcée de la publicité, ainsi qu’une politique de prévention – j’insiste sur ce mot – en direction des jeunes. Cependant, malgré ces efforts, la prévalence tabagique reste élevée. Près d’un adulte sur quatre fume quotidiennement et l’entrée dans le tabagisme a lieu de plus en plus tôt, ce qui emporte de lourdes conséquences sanitaires et sociales.

Face à l’extrême dangerosité du produit, que personne ici ne conteste, nous devons franchir une nouvelle étape. Il est essentiel de poursuivre la montée en puissance des mesures de réduction de la consommation, mais aussi d’interroger l’efficacité réelle de notre arsenal face à des pratiques qui évoluent. Nous le voyons avec la multiplication des nouveaux produits et la croissance du commerce parallèle. Comment, dès lors, renforcer l’impact de nos politiques publiques ? Comment faire en sorte que la France reste à la pointe du combat et assure une protection maximale des publics les plus vulnérables – avec les limites évoquées plus tôt au sujet de la vente transfrontalière ?

Le groupe Horizons°&°Indépendants soutiendra toutes les initiatives allant dans le sens de l’intérêt et de la santé des Français. La proposition de résolution du président Valletoux en est un bon exemple. J’ajoute qu’il faut aussi tenir compte de la responsabilité environnementale. Pour vivre à proximité d’une station balnéaire, je peux témoigner du fait que les mégots sur les plages demeurent un problème prégnant, contre lequel nous avons beaucoup de mal à lutter. Outre les enjeux sanitaires, une question environnementale majeure s’impose à nous, notamment au titre de la politique de l’eau.

M. Nicolas Turquois (Dem). En premier lieu, je tiens à renouveler mes remerciements au président Valletoux. Cela fait cinq ans que je suis membre de cette commission et je n’ai pas le souvenir qu’une table ronde sur le tabac ait été organisée auparavant.

Professeur Benyamina, vous avez indiqué qu’il y a, dans ces murs, beaucoup de gros fumeurs. Je m’interroge donc sur la résistance des pouvoirs publics, Assemblée nationale incluse, dans le combat contre le tabac. Dans quelle mesure sommes-nous réellement volontaristes en ce domaine ?

Ensuite, au cours de votre plaidoyer, professeur Josseran, vous vous êtes demandé si nous devions sacrifier notre jeunesse pour quelques buralistes. Pour ma part, je n’entends pas un tel discours. Je partage l’avis selon lequel les chiffres contenus dans l’étude de KPMG sont excessifs. Mais, dans mon département de la Vienne qui, contrairement à celui du rapporteur général Thibault Bazin, se situe à 600 kilomètres des frontières, les buralistes que j’ai rencontrés m’ont indiqué avoir connu une hausse d’activité de 20 à 30 % lors du confinement. C’est une réalité : la plupart des fumeurs de mon territoire s’approvisionnent en cigarettes grâce à un transporteur de leur connaissance.

Par ailleurs, nous ne lutterons pas efficacement contre le tabac si nous sacrifions des gens. Il faut inclure les buralistes. À cet égard, et nous en avons peu parlé, comment les contrôles administratifs sont-ils conduits ? En effet, je suis choqué d’apprendre que la vente aux mineurs est si peu contrôlée, voire pas du tout. C’est un point important sur lequel nous devons agir avec, et non contre, les buralistes.

Dernière question : certains pays européens ont-ils instauré l’interdiction générationnelle, et quelle est votre opinion à ce sujet ?

Mme Océane Godard (SOC). Je vous remercie pour votre présence et cet échange d’informations. Vous avez beaucoup parlé de prévention. Nous vous rejoignons évidemment et, comme vous, nous estimons que la protection des jeunes générations passe non seulement par une réglementation ferme, mais aussi par de la dissuasion. À cet égard, pourrions-nous aller plus loin en matière de prévention scolaire grâce à des campagnes ciblées et, pourquoi pas, en incluant des modules dédiés dans les programmes du collège ? Faudrait-il également prévoir une prise en charge gratuite et facilité du sevrage pour les jeunes ?

Par ailleurs, si beaucoup d’énergie est consacrée à la prévention, l’accompagnement pour arrêter de fumer, vous le disiez, est lacunaire. Or l’enfermement dans l’addiction d’une personne, jeune ou moins jeune, est source de souffrance, tandis que l’arrêt, même si on le souhaite, est compliqué. Quel plan d’accompagnement pourrions-nous lancer ?

Enfin, je rejoins les propos de Nicolas Turquois concernant la répression et l’interdiction. De quelle manière aller plus loin en matière de contrôle ? Comme lui, je suis choquée d’entendre que 60 % des buralistes vendent du tabac à des mineurs. Je ne pensais pas la proportion si élevée. Comment faire en sorte que l’interdiction soit respectée ? Faut-il davantage de contrôles ?

M. Stéphane Viry (LIOT). Le tabagisme est une question de santé publique. Des décisions ont été prises depuis plusieurs années pour faire baisser la consommation : il faut en donner acte. Cela étant, eu égard aux addictions, se pose désormais la question de la régulation et du contrôle de la distribution des produits tabagiques et nicotiniques. Ainsi que l’a dit le professeur Martinet, les contrôles sont la clé de voûte, tant pour la santé que pour les finances publiques. C’est pourquoi je m’interroge sur l’opportunité et l’efficacité de ceux que nous menons, étant rappelé que le marché de la nicotine est en pleine explosion avec des acteurs très créatifs, ce qui laisse craindre un rebond de la consommation dans les années à venir.

Au fond, j’ai le sentiment d’être dupé lorsqu’ici, à l’Assemblée nationale, nous votons à l’unanimité, donc de façon claire et ferme, des propositions de loi comme celle visant à interdire les cigarettes électroniques jetables et qu’il reste facile de s’en procurer auprès des buralistes, au marché noir ou sur internet. J’ai vraiment l’impression qu’on nous prend pour des gogos et que le législateur est impuissant face à un marché qui, lui, est trop puissant. Dans le même ordre d’idées, je pourrais citer, puisque je suis député des Vosges, la plateforme de covoiturage Carklop, qui facilite l’approvisionnement à l’étranger et à bas coûts. Comment maîtriser tout cela ?

J’entends votre point de vue sur les buralistes. Dans la mesure où nous avons besoin d’un réseau régulé et contrôlé, ne faudrait-il pas les repositionner comme pivots de la distribution ? Ces commerçants, que je dirai d’utilité publique, assurent un maillage territorial et vendent autre chose que du tabac. Nous voyons bien que la situation nous échappe et qu’il faut trouver quelque chose. L’État et les douanes sont, je le crains, insuffisants. Pourquoi ne pas mobiliser les buralistes et recontractualiser notre relation avec eux ? Compte tenu de leur implantation et de leurs responsabilités, je ne vois pas comment faire sans eux ou, à tout le moins, en faisant d’eux des ennemis.

Pr Yves Martinet. Je m’exprimerai en premier car le Comité national contre le tabagisme travaille spécifiquement sur le contrôle de l’activité des buralistes. Tous les mois, nous observons ce qui se passe en France et nous publions nos études sur notre site.

J’ai commencé à le dire dans mon propos liminaire, le problème c’est qu’aucun contrôle de l’activité des buralistes n’est organisé par l’État. Dès lors qu’ils ont une licence, ils peuvent s’installer et faire ce qu’ils veulent sans risque de se faire prendre. Le calcul est incertain, mais nous avons estimé qu’ils font l’objet d’environ une visite par siècle. En tant qu’association, nous procédons à des visites inopinées avec des clients mystères, en l’occurrence un adulte et un mineur dont on n’aura pas modifié l’apparence. Je le précise car nous entendons beaucoup de remarques de ce type.

D’abord, nous regardons si les règles relatives à la publicité sur le lieu de vente sont appliquées. Normalement, une affichette bien visible doit indiquer que la vente est interdite aux mineurs. Ce n’est pas toujours le cas : nous avons vu que plusieurs dizaines de buralistes ne respectaient pas cette obligation. Ensuite, il est interdit de faire la publicité de produits du tabac. Quant à la promotion des cigarettes électroniques, elle est limitée à des publicités bien précises, ce qui n’est pas non plus toujours respecté.

Sachez, à cet égard, que l’industrie du tabac est en train de commercialiser du tabac à chauffer, en parallèle du tabac à fumer. En France, Philip Morris est pour le moment le seul à le faire avec ses appareils Iqos. Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails, mais des recherches indépendantes indiquent qu’il s’agit d’un produit apparemment aussi toxique que le tabac fumé. Cependant, la réglementation ne s’applique pas de la même manière et l’industrie raconte des bobards. Il y a des stands entièrement consacrés au tabac chauffé alors que c’est illégal.

Nous contrôlons donc la publicité et la vente. Nous publions des statistiques à l’échelle nationale. Puis, le cas échéant, nous lançons des actions en justice. Elles nous coûtent cher et les buralistes sont bien défendus, mais nous aussi. Certains commerçants sont condamnés. Mais la sanction ne représente même pas le montant d’une cartouche de cigarettes ! Il n’y a aucune efficacité. Pourtant, certains pays réussissent. Au Québec, quinze professionnels sont payés uniquement pour vérifier que les dépanneurs – c’est ainsi qu’on appelle les épiceries – ne vendent pas de tabac aux mineurs. Et les sanctions sont si importantes que les associations qui représentent ces revendeurs contrôlent elles-mêmes les établissements pour éviter qu’ils n’aient à fermer.

En conclusion, si des contrôles ne sont pas organisés de manière systématique, régulière et indépendante par l’État, et si leurs conséquences ne sont pas assez sévères, cela ne sert à rien.

Pr Loïc Josseran. Je ne pense pas que les buralistes soient à plaindre, tant s’en faut. Les seuls produits du tabac représentent 90 000 euros de chiffre d’affaires par an et par professionnel, sachant qu’ils ont d’autres activités comme le jeu et l’alcool. Notons d’ailleurs que leur commerce repose plutôt sur les addictions. Vous comprendrez que je n’en sois pas un grand partisan. J’entends qu’il s’agit d’un commerce de proximité qui peut rendre quelques services, mais il serait dangereux d’en faire la pierre angulaire du contrôle du tabac en France, justement parce que leur activité est tournée vers les addictions.

Il n’empêche que nous avons un problème et que nous avons besoin d’une distribution structurée et réglementée, d’autant que la vente de cigarettes à l’unité se développe. Pas plus que les autres, cette activité n’est contrôlée, ou l’est peu, alors qu’elle est absolument dramatique. Ne serait-ce qu’à Colombes, où j’habite, des enfants de 12 ou 13 ans peuvent acheter une cigarette à l’unité dans certaines officines de nuit. Suivant la marque, on la lui vendra entre 1 et 1,50 euro. C’est explosif car on sait que c’est ainsi qu’on entre dans le tabac. Il faut absolument lutter contre ce marché.

Par ailleurs, je ne voudrais pas laisser penser que la vapoteuse jetable est en train d’exploser. Au contraire, nous avons réussi à casser le système. Cependant, l’industrie s’est très vite recomposée et la notion d’usage unique, au cœur du texte adopté, a été largement dépassée. Les cigarettes sont devenues rechargeables, ce qui montre d’ailleurs l’agilité des industriels pour contourner la réglementation dès son apparition.

L’interdiction générationnelle, évoquée par M. Turquois, est envisagée en Nouvelle-Zélande et elle est en cours d’adoption au Royaume-Uni. C’est une idée intéressante que l’Alliance soutient. Par une telle mesure, nous pourrions par exemple interdire l’achat de produits du tabac aux jeunes nés après le 1er janvier 2014. Cela changerait la donne ! N’oublions pas que 70 % des Français sont favorables à un arrêt progressif de la vente de tabac. La société a conscience des méfaits de ces produits, étant aussi rappelé que 90 % des fumeurs veulent cesser. Passé les premières années de lune de miel, et outre quelques très rares irréductibles, les fumeurs ne sont pas satisfaits de leur statut. L’interdiction générationnelle permettrait de voir ce commerce s’éteindre progressivement, puisque les jeunes concernés ne pourraient pas acheter de tabac une fois arrivés à l’âge adulte. À bien y réfléchir, il ne s’agirait d’ailleurs que de la stricte application de l’interdiction de vente aux mineurs : si on ne peut acheter du tabac avant 18 ans, on n’est en principe pas fumeur à sa majorité. Et si personne ne consomme autour de soi, le produit disparaît progressivement de l’environnement. En effet, quand on n’est pas sollicité par ses pairs, le risque du tabagisme devient très limité. Ces éléments sont à considérer et l’interdiction générationnelle constituerait un message extrêmement fort de la part des autorités françaises.

Quant à la résistance des pouvoirs publics vis-à-vis des mesures antitabac, elle est réelle. Pour avoir été conseiller d’un ministre de la santé, j’ai touché cette réalité du doigt. Je l’ai vécue, je l’ai entendue, je l’ai constatée, notamment de la part de Bercy et avec les douanes en arrière-cour. Les industriels du tabac y ont table ouverte. Ce n’est pas un fantasme quand j’affirme que l’État a un double discours vis-à-vis de l’industrie du tabac.

Mme Josiane Corneloup (DR). Je vous remercie, monsieur le président, de cette invitation à échanger sur un sujet majeur de santé publique, et je vous remercie, messieurs, de vos éclairages. Nous sommes tous sensibles à l’impact du tabac sur la santé, mais aussi aux réalités sociales et économiques qui entourent sa consommation. Cela a été répété, le tabagisme demeure la première cause de mortalité en France avec 75 000 décès par an. Le coût, pour la collectivité, a été évalué à près de 47 milliards d’euros, dont 12 milliards pour l’assurance maladie. L’augmentation des prix ainsi que les mesures de prévention ont indéniablement contribué à faire baisser le nombre de fumeurs. Il n’en demeure pas moins que la lutte contre le tabagisme doit être un engagement collectif, cohérent et durable.

Il a été dit que la création artistique ne devait pas être un vecteur de publicité pour la cigarette. Je viens justement de participer à une commission d’enquête sur l’impact des réseaux sociaux sur la santé mentale de nos enfants. Permettez-moi d’être inquiète de l’influence de ces plateformes sur la consommation de tabac. Car si la publicité est interdite dans les médias traditionnels, les réseaux sociaux et les influenceurs offrent de nouvelles voies de promotion, souvent déguisée en contenus dits « art de vivre » et ciblant directement les jeunes. Des enquêtes récentes ont montré que plusieurs centaines d’influenceurs ont diffusé des contenus favorables au tabac ou au vapotage en contournant toutes les règles existantes. Au niveau européen, deux directives encadrent la publicité transfrontalière, mais elles ne prévoient pas de dispositif spécifique contre la promotion par les influenceurs.

Ne faudrait-il donc pas interdire explicitement la publicité, le placement de produits et les contenus sponsorisés en faveur du tabac et du vapotage sur toutes les plateformes en ligne ? Ne faudrait-il pas rendre responsables les influenceurs, les annonceurs et les plateformes de diffusion et prévoir des sanctions administratives majeures ? En effet, je crains que nous n’assistions à une dérive importante.

M. Hendrik Davi (EcoS). À mon tour je vous remercie, monsieur le président, pour cette audition, et je vous remercie, messieurs, pour votre présentation. Lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le groupe Écologiste et social avait déposé de nombreux amendements relatifs à la fiscalité comportementale, notamment sur l’alcool, le tabac et les sucres. Nous nous sommes toutefois heurtés à une large majorité de nos collègues, qui ont repris en chœur les arguments des différents groupes d’intérêt. Certains de ces arguments, par exemple sur la vente à la sauvette, étaient même directement issus des industriels du tabac. Je vous engage donc à rencontrer un à un tous les députés qui ont repoussé nos amendements, le cas échéant en consultant le détail des votes, afin de leur communiquer les faits scientifiques. De cette manière, nous éviterons peut-être des débats lunaires à l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, si je suis intimement convaincu qu’il faut agir sur les prix, n’écartez-vous pas un peu vite de la réflexion les enjeux de santé publique ? Cela a été quelque peu évoqué, mais que faire pour rappeler au plus grand nombre les effets du tabac ? Plus particulièrement, un travail est-il mené avec l’éducation nationale pour inclure cet enjeu dans les manuels scolaires ? De même, est-il prévu une augmentation des moyens des services d’addictologie et de Santé publique France, institution que je sais menacée pour siéger au sein de son conseil d’administration ? S’agissant des entreprises, ne pourrait-on pas inclure, parmi les formations qu’elles proposent, des modules sur les addictions au tabac et à l’alcool ?

Pourquoi ne pas aussi élargir les interdictions ? Ma collègue Sandrine Rousseau a évoqué les universités : alors qu’il ne nous viendrait pas à l’esprit d’y autoriser la présence d’un bar, il existe bien des zones fumeurs.

Enfin, comment limiter le marketing, que ce soit par les influenceurs ou au sein des films et des séries ? C’est un point sensible car il a trait à la liberté artistique. Mais les contenus récents continuent de véhiculer les mêmes stéréotypes que dans les années 1950. Il n’y a pas une série qui ne montre un verre d’alcool ou une clope !

M. Christophe Bentz (RN). Vous me permettrez d’avoir une position quelque peu divergente de ce que nous avons entendu jusqu’à présent. Comme le disait le professeur Martinet, on peine à établir des politiques de long terme. Notre devoir fondamental, en matière de lutte contre le tabagisme, est pourtant de penser le temps long.

L’interdiction totale du tabac, évoquée par Mme Rousseau, n’est pas une solution. Quasiment aucun État au monde n’a fait ce choix et, après tout, nous sommes un pays de liberté. Concernant les taxes comportementales, il est tout à fait vrai que mon groupe avait voté contre, monsieur Davi. Si une telle politique fonctionne bien au démarrage, elle trouve très vite ses limites ensuite.

Professeur Martinet, vous avez dit que, au fond, si 3 % des plus de 16 ans sont fumeurs, ce n’est pas un si mauvais résultat. Au contraire, j’estime que c’est là qu’il faut agir en priorité, afin de sauver les générations futures du tabagisme. En réalité, ce qu’il faut, c’est casser la reproduction sociale, notamment en milieu scolaire, et familiale, ce qui est peu évoqué. C’est dans ce domaine que nous pourrions trouver de réelles solutions. Ne faudrait-il pas établir des politiques plus fermes à l’égard des établissements qui accueillent des mineurs ? Nous devons approcher autant que possible 0 % de fumeurs chez les moins de 18 ans, population censée ne pas avoir accès aux produits du tabac. De plus, ne pourrions-nous pas élaborer des politiques de prévention plus novatrices à destination des familles pour que, demain, les enfants de parents fumeurs soient, eux, non-fumeurs toute leur vie durant ?

Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). Je vous remercie, messieurs, pour vos analyses qui mettent en lumière l’évolution des pratiques et des risques liés au tabac. À cet égard, nous observons une banalisation du vapotage, en particulier chez les jeunes, et une explosion de l’usage des dispositifs électroniques, pratiques qui emportent des conséquences sanitaires et sociales majeures.

Or si certains présentent la cigarette électronique comme un outil de réduction des risques, beaucoup craignent qu’elle ne devienne une porte d’entrée vers le tabagisme, notamment pour les adolescents. Aussi, quels outils de régulation vous paraissent-ils adaptés pour encadrer ces nouveaux produits et limiter leur attractivité chez les jeunes ? Quelles actions prioritaires recommandez-vous pour éviter que le vapotage ne conduise les adolescents vers le tabagisme ?

Pr Amine Benyamina. Pour répondre aux alertes de Mme Corneloup sur les réseaux sociaux et les influenceurs, je rappellerai qu’avec l’avènement, depuis une vingtaine d’années, du numérique et d’internet, toutes les lois relatives au tabac, à l’instar de la loi Évin de 1991, sont devenues désuètes. Outre que cette loi a été grignotée – c’est un euphémisme ! –, les réseaux sociaux apparaissent comme un véritable Far West.

La semaine dernière, en qualité de président d’Addictions France, j’ai présenté une étude sur les paris sportifs montrant l’importance de ces plateformes qui organisent l’addiction des plus pauvres et des plus jeunes, c’est-à-dire des oubliés de la société. Des influenceurs sont payés pour inciter à parier, à boire, à consommer du tabac et la loi ne s’applique pas à leur activité. Il serait donc utile de restaurer la loi Évin dans les limites de son périmètre, c’est-à-dire le tabac et l’alcool, tout en l’adaptant aux réseaux sociaux.

Je rappelle que, dans ce domaine, la France a récemment été à l’initiative de deux textes européens extrêmement importants, les règlements sur les services numériques et sur les marchés numériques, qui visent à réguler les mastodontes mondiaux, américains pour l’essentiel. Ce sont deux beaux textes, qui ont coûté sa place à Thierry Breton, qu’il faut appliquer aux réalités hexagonales et notamment aux placements de produit, qui sont d’ailleurs souvent de véritables promotions assumées.

Je rappelle que les jeunes ne regardent pas la télévision et ne vont plus au cinéma. S’il leur arrive de regarder la même chose que nous, c’est deux heures plus tard avec leur ordinateur sur les genoux. Et, comme nous le disions, ils font l’objet d’un matraquage systématique de la part des réseaux sociaux.

Pr Loïc Josseran. Je rejoins totalement ce qui vient d’être dit au sujet des réseaux sociaux. C’est un espace de liberté et nous voyons bien que les petits influenceurs sont la cible privilégiée des industriels du tabac pour passer des messages, placer et vendre leurs produits de façon très efficace.

Concernant le vapotage, vous avez raison, madame Ronceret, il est important de se positionner et de prendre certaines mesures. Je pense au paquet neutre, mais aussi à des mesures qui pourraient concerner les arômes, tous plus hallucinants les uns que les autres. Je ne sais pas ce que peuvent sentir les saveurs « tagada tsoin tsoin » ou « licorne », mais c’est bien ce qui attire les 13‑16 ans. Si, comme le disait parfaitement Amine Benyamina, les arômes participent de l’utilisation de cigarettes électroniques chez les fumeurs en sevrage ou chez ceux qui ont déjà consommé, il faut absolument interdire ces produits aux plus jeunes. Par ailleurs, les projets de taxation français, certes éloignés de ce qui est envisagé au niveau européen, pourraient aussi avoir un effet.

À cet égard, je vous rejoins, monsieur Bentz : il faut continuer à augmenter la fiscalité sur le tabac de façon franche et régulière et éviter les hausses sans lendemain, dont les effets s’épuisent dans le temps. C’est bien en reproduisant des augmentations substantielles que nous continuerons de réduire la consommation. Et gardons à l’esprit que les taxations comportementales visent avant tout à protéger les plus jeunes !

Pr Yves Martinet. Nous aurions dû commencer par rappeler que la nicotine est une drogue dure, dans laquelle on entre facilement mais dont on sort très difficilement. Deux personnes sur trois qui essaient leur première cigarette pendant l’enfance seront des consommateurs réguliers pendant une période de leur vie. Notre position est donc claire : interdiction de tous les nouveaux produits qui contiennent de la nicotine ! Il n’y a en effet aucune raison de vendre des sachets de nicotine : tout argument contraire est inopérant. Quant à ce qui existe, c’est-à-dire le tabac fumé, il faut le gérer par le contrôle de la vente, l’augmentation des prix et tout ce que nous avons évoqué.

Quant à la cigarette électronique, mon point de vue personnel est que nous devrions en confier la vente aux pharmaciens dès lors qu’on la considère comme un substitut nicotinique, certes un peu atypique. En dehors de cet usage, la vente doit être contrôlée de la même manière que pour les produits du tabac, en poursuivant un objectif d’extinction. Il faut que les buralistes regardent la réalité en face. Je le répète : ce que nous voulons, c’est l’extinction de la vente de nicotine, à l’exception de la nicotine thérapeutique vendue en pharmacie.

M. le président Frédéric Valletoux. Je remercie les députés présents pour leurs questions et les auditionnés pour leurs réponses.

 

La commission entend ensuite, sous la forme d’une table ronde, Mme Stéphanie Martel, directrice des affaires externes de Philip Morris France, Mme Marine Sauce, responsable des affaires réglementaires de Japan Tobacco International SAS, M. Sébastien Charbonneau, directeur des affaires publiques et réglementaires de British American Tobacco France, et Mme Caroline Brabant, directrice des affaires publiques d’Imperial Brands Seita.

M. le président Frédéric Valletoux. Le sujet qui nous réunit est grave. Chaque année, le tabac cause près de 75 000 décès en France. Son coût social s’élève à 156 milliards d’euros par an. Chaque année, l’État perd entre 3 et 5 milliards d’euros de recettes fiscales en raison du commerce parallèle. Ce dernier fragilise le réseau des buralistes et réduit l’effet des politiques de santé publique ; il est donc nécessaire de mieux le comprendre.

Les facteurs déterminants souvent évoqués pour expliquer le développement de ce commerce parallèle sont l’opportunisme des consommateurs, l’inefficacité des douanes ou la force des réseaux de contrefaçon, mais la réalité est plus complexe.

On distingue trois composantes du commerce parallèle de tabac : les achats transfrontaliers, alimentés par des écarts de fiscalité et de prix ; la contrebande de masse, rendue possible par une surproduction destinée à l’export ; les contrefaçons, dont les données montrent qu’elles restent marginales.

En la matière, vos entreprises continuent de mettre en avant des chiffres contestables, notamment issus d’une étude réalisée par le cabinet KPMG portant sur la contrefaçon. Nous attendons, dans les prochains jours, des études commandées par l’État dont la méthodologie sera plus fiable.

Plusieurs questions peuvent se poser. Quelle fiabilité accorder à vos évaluations sur l’importance de la contrefaçon quand d’autres sources indépendantes, notamment provenant d’Irlande, ne la détectent pas ? Comment justifier que seuls 12 % des ventes de tabac au Luxembourg correspondent à une consommation locale réelle, quand l’excédent alimente massivement les marchés voisins ? Enfin, estimez-vous respecter le protocole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lequel impose d’adapter les approvisionnements aux besoins locaux, ou organisez-vous sciemment un surapprovisionnement qui profite au commerce parallèle ?

L’objectif de cette table ronde est de nous permettre de mieux comprendre ce marché peu transparent dont les nombreux dysfonctionnements ont une influence sur la santé publique, qui nous intéresse au premier chef au sein de cette commission.

Mme Stéphanie Martel, directrice des affaires externes de Philip Morris France. La France a accumulé du retard dans sa politique de lutte contre le tabagisme. L’entreprise Philip Morris a été auditionnée l’année dernière par la commission des affaires sociales du Sénat dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) portant sur la fiscalité comportementale. Le rapport indique que « la politique de réduction du tabagisme est un échec », avec une « prévalence du tabagisme à peu près stable depuis 1960, malgré l’effet de la hausse de la fiscalité ». Cet échec est indiscutable. Il se manifeste sur plusieurs plans.

Sur le plan de la santé d’abord, la France compte encore 14 millions de fumeurs. Les objectifs affichés des plans antitabac sont donc loin d’être atteints. Au cours des dix à vingt dernières années, de nombreux pays ont réussi à diviser leur prévalence tabagique par deux, voire trois ou quatre, alors que celle de la France ne baisse que très marginalement. Le nombre total de fumeurs a même augmenté depuis l’an 2000. Cette stagnation s’accompagne d’une forte inégalité sociale, puisque les populations défavorisées fument jusqu’à deux fois plus que les populations aisées.

Sur le plan de l’ordre public ensuite, le bilan est très inquiétant. L’actualité met en avant de manière incessante le sujet du narcotrafic, mais le commerce illicite de cigarettes – plus rentable et moins sanctionné que le trafic de drogue – est lui aussi devenu une réalité dans tous nos territoires. Ainsi, d’après le rapport réalisé par l’entreprise KPMG, près de la moitié des cigarettes consommées en France sont désormais achetées hors du réseau des buralistes, et il s’agit pour les deux tiers de produits illicites. Sous l’impulsion de Gabriel Attal, alors ministre du budget, le Gouvernement s’était engagé à fournir rapidement une estimation claire de ce marché parallèle. Presque quatre ans plus tard, ces données publiques se font encore attendre. Pour autant, nous constatons que les trafics sont dénoncés depuis plusieurs années par les élus, les commerçants et les riverains des quartiers touchés.

Ce phénomène criminel a un corollaire budgétaire. Depuis 2021, malgré les hausses de taxes répétées, les recettes fiscales liées au tabac s’érodent inexorablement. En 2024, elles s’élevaient à 13 milliards d’euros, soit une baisse de 1,6 milliard d’euros en quatre ans seulement. Certes, l’objectif de la fiscalité comportementale est d’inciter à réduire la consommation de tabac, ce qui implique de voir les recettes associées diminuer au fil du temps. Cependant, la baisse des recettes ne s’explique pas par une diminution du nombre de fumeurs, puisqu’il est resté stable. Les recettes issues des produits du tabac ne vont donc plus dans les poches de l’État, mais bien dans celles des trafiquants. Le manque à gagner pour l’État lié au marché parallèle est estimé à 9,5 milliards d’euros pour la seule année 2024.

Cette perte de recettes s’ajoute à une mésestimation systématique du rendement fiscal des produits du tabac par l’administration. Chaque année, la direction de la sécurité sociale (DSS) présente des prévisions de recettes liées au tabac totalement fantaisistes pour justifier des hausses de taxes dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Chaque année, on constate un écart de plusieurs centaines de millions d’euros entre les recettes annoncées et les recettes perçues – jusqu’à 800 millions d’euros d’écart en 2024. Pour rétablir l’équilibre des comptes sociaux, il est temps d’admettre que l’hypertaxation des produits du tabac qui caractérise la France est un échec budgétaire. Depuis l’an 2000, les prix ont augmenté de 300 %. Ce niveau de taxation pousse les fumeurs à se tourner vers les réseaux illicites, ce qui engendre un effondrement des recettes publiques.

Sur le plan territorial enfin, cette politique est désastreuse. Du fait de la concurrence des vendeurs à la sauvette, la perte de revenus pour les buralistes continue de s’aggraver, menant à leur disparition progressive et à la mise en péril de 80 000 emplois. En vingt ans, près de 10 000 points de vente ont fermé, soit un tiers des buralistes. Ces acteurs de proximité pourraient pourtant jouer un rôle dans la transition tabagique du pays, ce qui permettrait dans le même temps de préserver le tissu économique local.

Le retard et même l’échec de la France dans sa lutte contre la cigarette sont aujourd’hui criants, sans qu’aucun changement d’approche ne soit envisagé, pourtant seul à même d’accélérer l’éradication de la cigarette. Tous les pays ayant réussi à réduire rapidement le nombre de fumeurs ont un point commun : ils ont intégré les nouveaux produits de la nicotine à leur politique de santé. En ajoutant une approche de réduction des risques aux impératifs prioritaires de sevrage et de prévention, ces pays ont obtenu des résultats. La France aurait pu s’en inspirer ; elle ne l’a pas fait. Bien au contraire, au pays des Lumières, l’application outrancière du principe de précaution conduit à une épidémie d’interdictions qui étouffe l’innovation. Qui peut croire que, dans un monde ouvert et digitalisé, une simple interdiction décrétée constitue une protection efficace ? Huit mois après l’interdiction des cigarettes électroniques jetables, celles-ci continuent de remplir les poches des adolescents. Dans les faits, les interdictions se soldent toujours par l’émergence d’un marché clandestin hors de contrôle, auquel les plus jeunes sont particulièrement exposés. Cette approche n’aide personne : elle prive les fumeurs adultes de nouvelles solutions pour arrêter la cigarette sans pour autant empêcher les mineurs d’accéder à ces produits.

Plutôt que d’employer invariablement les mêmes méthodes qui produisent les mêmes effets, les pouvoirs publics devraient d’abord évaluer scientifiquement le rapport bénéfice-risque des nouveaux produits de la nicotine tels que la vape, le tabac chauffé et les sachets de nicotine, en lien avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) par exemple. Sur le fondement de cette analyse, ils pourraient ensuite les réglementer, les commercialiser et les fiscaliser de manière différenciée afin qu’ils puissent jouer leur rôle.

En septembre 2023, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a publié une note sur les nouveaux produits du tabac ou à base de nicotine. Elle recommande de lancer rapidement de nouvelles études sur les alternatives à la cigarette pour en estimer le rapport bénéfice-risque et de poursuivre la mise en place des outils de prévention et d’interdiction de la consommation de produits nicotiniques par les mineurs. Elle rappelle que si le sevrage demeure l’objectif à atteindre, il convient d’adopter une approche de réduction des risques pour les fumeurs qui ne pourraient ou ne souhaiteraient pas utiliser les produits du tabac traditionnels. Malheureusement, les conclusions de ce rapport ne sont toujours pas suivies d’effets, mais nous espérons que cette audition sera l’occasion de revenir ensemble sur ces recommandations.

Mme Marine Sauce, responsable des affaires réglementaires de Japan Tobacco International SAS. Cette table ronde est l’occasion à la fois d’évoquer les problématiques du commerce illicite et de la contrefaçon, mais aussi de dissiper certaines idées fausses qui ont la vie dure.

Le groupe Japan Tobacco International (JTI) est le deuxième fabricant de tabac en France, représentant 25 % du marché des cigarettes et 50 % du tabac à rouler. Récemment, le groupe est entré sur le segment des produits à risque réduit à usage oral avec les sachets de nicotine.

Le commerce parallèle est un véritable fléau national. En France, une cigarette sur deux est achetée en dehors du réseau des buralistes, dont 15 % environ sont attribuables à la contrefaçon. La France se distingue assez tristement au sein de l’Union européenne, puisqu’elle représente à elle seule 50 % du commerce illicite de tabac. Une fois ce constat établi, il est nécessaire d’en identifier les facteurs déterminants et de trouver les meilleurs moyens d’agir sur ses causes.

Le prix est un facteur déterminant. Le prix d’un paquet de cigarettes de la marque la plus vendue est passé de 4 à 13 euros en vingt ans, sous l’effet d’une politique fiscale agressive ininterrompue menée depuis une vingtaine d’années. Cette hausse se poursuivra vraisemblablement l’année prochaine du fait de l’inflation et d’une nouvelle taxe sur les mégots envisagée par le Gouvernement.

Le récent lancement de la plateforme numérique Carklop, qui met en relation des particuliers pour acheter de l’alcool et des cigarettes à moindre prix, illustre parfaitement les effets pervers de la fiscalité punitive. Cet exemple, comme bien d’autres, montre que l’augmentation des prix ne supprime pas la demande mais ne fait que la déplacer.

L’augmentation vertigineuse des prix a créé un écart considérable avec les pays voisins. Dans un contexte de libre circulation des marchandises, cela fait de la France un pôle d’attraction pour le commerce illicite. Ce phénomène alimente le crime organisé, les importations à grande échelle et la contrefaçon, un constat d’ailleurs largement partagé par Europol.

Pour autant, les effets sur la consommation de tabac sont marginaux puisqu’elle n’a que faiblement diminué. La prévalence tabagique s’élevait à 25,5 % en 2020 et demeure à un niveau élevé de 23,1 % en 2023. C’est pourquoi nous préconisons un changement d’approche quant à la question des prix, menée de manière franche et réaliste.

Tout ne relève bien évidemment pas des pouvoirs publics ; Japan Tobacco International prend toute sa part et met en place des mesures concrètes pour lutter contre le commerce illicite. Nous sécurisons notre chaîne d’approvisionnement grâce à des investissements importants et nous collaborons avec les forces de l’ordre et les gouvernements. Depuis le début de l’année 2025, notre entreprise a contribué au démantèlement de sept sites de production illicite en Europe et en Ukraine. Ces sites représentaient environ 4,1 milliards d’unités par an et la France figurait parmi les principaux pays concernés.

J’en viens au protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac. Nous ne sommes bien évidemment pas opposés à ses objectifs. Nous regrettons cependant que ce dernier ne traite pas la cause du problème et se contente de se concentrer sur les seuls symptômes. Nous préconisons une approche différente, consistant à agir directement sur les réseaux de contrebande plutôt qu’à multiplier les contraintes administratives sur les opérateurs légaux.

Mon homologue l’a mentionné : il est moins question d’un marché du tabac que d’un marché des produits nicotiniques, pour lesquels le cadre réglementaire est inadapté, incomplet et prohibitionniste. Les buralistes n’ont pas le monopole de la vente de cigarettes électroniques et de sachets de nicotine, qui peuvent être vendus en ligne. Cela complexifie à la fois le contrôle de la chaîne d’approvisionnement et la lutte contre les trafics. Il est donc essentiel de mettre en place un cadre réglementaire strict et équilibré pour protéger les consommateurs plutôt que de procéder à une interdiction qui les conduit vers des produits non réglementés. L’exemple des dispositifs électroniques de vapotage à usage unique est parlant : l’interdiction pure et simple a contribué à créer un marché parallèle. Aujourd’hui, il suffit d’un clic sur internet ou d’un passage en épicerie de nuit pour s’en procurer.

Nous appelons donc à des solutions pragmatiques : sortir d’une logique purement fiscale qui creuse l’écart avec nos voisins et alimente les trafics, renforcer les moyens de contrôle, cibler directement les réseaux criminels et étendre cette approche à l’ensemble des produits nicotiniques en privilégiant la régulation à la prohibition.

M. Sébastien Charbonneau, directeur des affaires publiques et réglementaires de British American Tobacco (BAT) France. La politique fiscale appliquée au tabac en France est l’une des plus punitives d’Europe. Le prix moyen d’un paquet de cigarettes s’élève à près de 13 euros, dont 85 % reviennent à l’État en raison de la fiscalité applicable. En Espagne, en Italie ou au Luxembourg, les mêmes paquets sont vendus à un prix compris entre 5 et 7 euros. En conséquence, des milliards d’euros de recettes fiscales sont perdus au fil des ans. Pour autant, la prévalence tabagique stagne à 30 %. Qui peut encore prétendre que l’augmentation des taxes est efficace pour faire reculer le tabagisme ? La réalité est tout autre : cette politique a surtout favorisé une contrebande industrielle et organisée.

Bien sûr, on peut renforcer les sanctions contre les trafiquants ; on peut donner plus de moyens aux douanes et aux forces de l’ordre, qui font déjà un excellent travail compte tenu des ressources mises à leur disposition. On peut aussi engager la responsabilité des plateformes numériques, devenues les premiers buralistes illégaux de France. On peut également mettre en œuvre des efforts de collaboration internationale pour contrer le défi mondial que représente le commerce illicite de tabac tel que le préconise le protocole de l’OMS. Ces mesures sont utiles mais insuffisantes. Elles ne répondent pas à la question de fond : comment faire en sorte que le tabagisme baisse durablement ?

Le commerce illicite est d’abord le symptôme d’un échec collectif. L’État a un devoir moral, celui d’aider les fumeurs à se libérer du tabac. Cela suppose une approche pragmatique, fondée sur la science et non sur l’interdiction par principe. Au lieu d’encadrer les alternatives au tabac, notamment les sachets de nicotine, voilà qu’il est proposé de les interdire. Cela ne fera que créer un nouveau marché parallèle. Il est nécessaire de se défaire de ce réflexe d’interdiction systématique. Les nouveaux produits sans tabac, sans combustion et donc sans fumée doivent être encadrés, fiscalisés, mais surtout vendus par des commerçants responsables et non par des trafiquants dans la rue. En Suède, où ces produits sont encouragés mais strictement régulés, le tabagisme est tombé à 5 %.

Nous proposons une approche pragmatique consistant à interdire la vente aux mineurs, à établir des normes pour ces produits, à en limiter la teneur en nicotine et les arômes permis et à prévoir des sanctions conséquentes en cas d’infraction. Nous ne défendons ni le statu quo ni le laisser-faire, mais une approche de compromis interdisant l’accès de ces produits aux mineurs tout en permettant aux fumeurs adultes d’accéder légalement à des alternatives au tabac. Cette transition, qui permettrait aux fumeurs adultes d’accéder à des produits adaptés, aptes à les aider à réduire leur consommation tabagique, requiert le soutien des gouvernements et des autorités de santé publique. Malheureusement, la France semble s’y opposer.

La simple interdiction d’un produit ne fonctionne pas ; l’histoire nous l’a montré à de nombreuses reprises. Cette approche, en plus d’être contre-productive, témoigne d’un manque de courage politique dont il faudrait pourtant faire preuve pour réglementer des produits qui peuvent réellement aider à réduire le tabagisme.

Vous êtes la représentation nationale : vous seuls pouvez faire preuve de courage politique, privilégier les faits probants aux postures idéologiques et protéger les mineurs sans punir les adultes. Vous seuls pouvez bâtir une stratégie cohérente de lutte contre le tabagisme en France permettant de se donner une réelle chance d’atteindre l’objectif de bâtir la première génération sans tabac d’ici 2032.

Mme Caroline Brabant, directrice des affaires publiques d’Imperial Brands Seita. Imperial Brands Seita est la filiale française du groupe Imperial Brands. C’est un acteur majeur du secteur de la nicotine. Créée en 1926 comme monopole d’État sous le nom de Service d’exploitation industrielle des tabacs, notre société a évolué en 1935 pour prendre la dénomination actuelle de Service d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (Seita). Notre société a été privatisée en 1995 et a été rachetée par le groupe Imperial Tobacco en 2008.

Nous sommes le dernier fabricant à avoir conservé une usine sur le sol métropolitain, à Sandouville, près du Havre. Forts de notre histoire quasi centenaire, nous sommes aujourd’hui actifs dans la commercialisation des produits du tabac et des accessoires pour des marques emblématiques comme Gauloises, News, Fortuna ou Riz La Croix.

Depuis bientôt dix ans, nous sommes engagés dans une transformation industrielle de grande ampleur. En 2018, notre société a été la première du secteur du tabac à démocratiser le vapotage au sein des réseaux des buralistes à travers le lancement de notre marque de cigarette électronique Blue. Nous pensons fermement que la cigarette électronique est un produit pertinent de réduction des risques liés au tabagisme, puisqu’elle ne contient pas de tabac et n’implique pas de combustion. Cette dernière est responsable de la production des substances toxiques à l’origine des méfaits du tabagisme dans le cas de la cigarette classique.

Nous sommes présents sur l’ensemble de la filière. Imperial Brands est la seule entreprise de son industrie à avoir une approche holistique et équilibrée du marché de la nicotine en France. Ce positionnement nous permet de formuler trois principaux constats.

D’abord, la fiscalité du tabac ne permet pas d’assurer des rentrées budgétaires suffisantes pour mener des politiques de santé publique adaptées. Depuis 2022, les recettes fiscales sont en baisse, alors même que la DSS justifie les hausses de fiscalité par des prévisions de rentrées fiscales supplémentaires. Longtemps dénoncées par notre entreprise auprès des décideurs publics, les erreurs de prévision de la DSS ont enfin été démontrées par la représentation nationale. Aussi, dans le rapport d’enquête sur les dérives budgétaires publié le 15 avril 2025, les députés Mathieu Lefèvre et Éric Ciotti ont documenté les erreurs de prévision relatives au rendement de la fiscalité liée au tabac. Selon eux, le produit de l’accise sur le tabac est surestimé chaque année. L’État est donc le grand perdant d’une situation dont il est malheureusement à l’origine. Plutôt que d’augmenter la dose d’un traitement qui ne fonctionne pas, il est désormais urgent d’opérer un changement de stratégie.

Ensuite, la fiscalité du tabac est peu efficace d’un point de vue comportemental. Au cours des vingt-cinq dernières années, le prix du paquet de cigarettes a été multiplié par quatre. Aucun autre produit de la vie quotidienne n’a subi une telle inflation sur la même période. L’objectif pour l’État était alors de dissuader la consommation de tabac. Or on constate une stabilisation de la prévalence tabagique et du niveau de consommation. En somme, les fortes hausses de la fiscalité intervenues ces dernières années ne sont plus opérantes pour le fumeur. Le rapport parlementaire précité dit explicitement que la politique menée est « inefficace sur le plan de la santé publique ».

Enfin, nous constatons que le matraquage fiscal conduit le consommateur à se détourner des réseaux de buralistes, mais pas de la consommation de tabac. Les rapporteurs Mathieu Lefèvre et Éric Ciotti confirment que « la hausse des taxes entraîne en fait un déplacement de la consommation du marché légal vers le marché parallèle ». Le rapport parlementaire de 2021 publié à l’issue de la mission d’information relative à l’évolution de la consommation du tabac et du rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac dresse le même constat.

Aussi, le trafic de tabac en France connaît une dynamique préoccupante. Longtemps dominé par les achats transfrontaliers, il est désormais structuré autour de réseaux de contrebande et de contrefaçon. Il convient de mettre en garde contre la seule approche transfrontalière du phénomène, qui ne permet pas de saisir la réalité du problème. Cette lecture occulte en effet la structuration protéiforme des réseaux de vente illicite. Ces derniers s’ancrent dans les territoires, exploitent les failles du commerce numérique et mobilisent des circuits logistiques complexes.

En 2017, le marché parallèle représentait 25 % des cigarettes consommées en France – une part déjà significative, qui s’élève désormais à plus de 40 %. Par ailleurs, sa structure évolue, démontrant une prépondérance notoire de la mainmise des réseaux criminels sur ce marché avec la contrebande et la contrefaçon. En 2017, la contrefaçon ne représentait qu’une part marginale du trafic de tabac, qui reposait à 50 % sur le commerce transfrontalier et à 50 % sur la contrebande. Aujourd’hui, la contrefaçon représente 40 % du marché parallèle ; la contrebande, 50 % ; le transfrontalier, 10 %.

Ce marché parallèle crée de l’insécurité et des tensions locales, finance la criminalité organisée et entame l’efficacité des politiques de santé, publique, puisqu’il donne un accès massif à des produits attractifs en raison de leur prix, inférieur à ceux des produits légaux, qui ne sont soumis à aucune norme sanitaire. Pour une entreprise comme la nôtre, proposant des produits d’entrée de gamme, le premier concurrent est désormais le marché parallèle.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions.

M. Arnaud Simion (SOC). Selon le ministère de la transition écologique, plus de 23 milliards de mégots recouvrent chaque année l’espace public français. Ces déchets, classés dangereux en raison des milliers de substances chimiques qu’ils contiennent, sont un facteur majeur de pollution des sols et des eaux. Quant au poids financier de leur collecte, de leur ramassage et de leur traitement, il pèse considérablement sur la collectivité publique.

Depuis 2021, les producteurs de tabac doivent, au nom du principe pollueur-payeur, financer la collecte et le traitement des mégots jetés dans l’espace public. Cette obligation est assumée par Alcome, dont les industriels du tabac sont les administrateurs et les actionnaires. Or, ces dernières années, cet organisme s’est vu infliger plusieurs sanctions administratives en raison de manquements à ses obligations légales.

Le 15 novembre 2023, le ministère de la transition écologique lui a imposé une astreinte financière pour non-présentation dans les délais requis d’un contrat type destiné à soutenir financièrement l’installation par les collectivités territoriales de cendriers de rue. En juin 2024, une deuxième sanction a été prononcée pour non-respect des objectifs définis dans le cahier des charges de la filière responsabilité élargie du producteur (REP) de tabac. Le 19 juin 2025, une nouvelle astreinte journalière de 350 euros – montant ridiculement bas – lui a été infligée pour non-exécution des dispositions prévues dans le cahier des charges pour le financement des projets de recherche et développement concernant le recyclage des mégots.

Comment expliquez-vous ces manquements répétés ? Seraient-ils dus au caractère trop contraignant, selon vos entreprises, des dispositions du cahier des charges de la filière ?

M. Hendrik Davi (EcoS). D’abord, votre audition ne devrait pas avoir lieu puisque la convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac nous interdit d’accepter le lobbying et les mensonges des producteurs dans le cadre de la construction des politiques de santé publique. Mais passons !

En 1953, des chercheurs du Sloan Kettering Institute de New York démontrent que du goudron de cigarette étalé sur la peau de souris provoque des cancers mortels. Soixante‑douze ans plus tard, les faits sont sans appel : le tabac est toujours la première cause de mortalité et de maladie évitable. Chaque année, en France, 75 000 personnes meurent du tabac, qui est directement lié à un décès sur trois chez les hommes de 35 à 69 ans. Parce que la nicotine est une drogue dure, les produits dérivés ne sont pas une solution.

Un tiers des jeunes âgés de 17 ans ont déjà fumé, et vous en êtes collectivement responsables : avec les puffs, les produits sucrés et colorés et le marketing sur les réseaux sociaux, vous orchestrez une stratégie agressive en leur direction.

Le tabac est également à l’origine d’un désastre financier et environnemental. Son coût pour la collectivité s’élève à 156 milliards d’euros par an, soit dix fois le déficit de la sécurité sociale – ce n’est pas un détail ! – et il est responsable d’une pollution massive, sans compter les incendies qui peuvent être déclenchés par des mégots mal éteints.

Pourtant, vous continuez de défendre l’extension offensive de ce marché, y compris par le lobbying politique. Vos entreprises ont ainsi dépensé 6 millions d’euros en lobbying entre 2020 et 2024. Vos objectifs sont toujours les mêmes : atténuer l’effet des politiques publiques, combattre la fiscalité comportementale et promouvoir une réglementation favorable à vos produits. Et, qui plus est, vous mentez ! L’augmentation des prix n’accroît pas les ventes illicites : elle induit une baisse de la consommation – les articles scientifiques sont unanimes sur ce point.

Pouvez-vous indiquer le montant des profits et marges reversés à vos actionnaires et celui de vos dépenses de marketing et de recherche et développement (R&D) – soi-disant pour créer de meilleurs produits ? Comment organisez-vous la transition de votre industrie vers des produits moins nocifs ?

M. le président Frédéric Valletoux. Je précise que la stipulation de la convention de l’OMS que vous avez citée s’applique non pas aux assemblées parlementaires, qui sont libres d’auditionner toutes les personnes qu’elles souhaitent entendre, mais aux gouvernements.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Ce n’est pas tous les jours que l’Assemblée nationale reçoit les représentants d’une industrie qui tue délibérément 75 000 personnes par an dans notre pays ! À vrai dire, je ne comprends pas très bien les raisons de votre présence dans notre commission.

Faute de temps, je ne m’adresserai qu’à la représentante de Philip Morris. Où en est le fichage clandestin des députés européens pour retarder la directive « tabac » ? Qu’en est‑il du travail des enfants de moins de 10 ans qui ramassent à mains nues du tabac en Bulgarie, au Kazakhstan, aux États-Unis et en Indonésie ? Qu’en est-il de la dissimulation des résultats scientifiques qui prouvent le caractère mortel de votre activité, dissimulation qui consiste soit à acheter directement des laboratoires, soit à fournir des études falsifiées ou cyniques à des gouvernements, comme celle que vous avez fournie à la Tchéquie, qui intégrait les économies représentées par les morts du tabac dans le financement du régime de retraite ? M. Apollinaire Compaoré, par exemple, représentant de Philip Morris au Burkina Faso, est-il toujours fiché comme contrebandier à l’ONU et est-il toujours en lien avec des trafiquants de drogue du Sahel ou Al-Qaïda ? Où en est votre coopération avec l’État d’Israël en dépit de ses violations du droit international ?

Enfin, madame Martel, avant d’être une lobbyiste de la cigarette, vous avez travaillé pour Monsanto, puis pour Sanofi, avant de retourner à vos premières amours en rejoignant BASF, qui produit des pesticides interdits en France. Quant à vous, madame Sauce, vous étiez assistante parlementaire du sénateur LR François Bonhomme, qui défend les intérêts de la cigarette lors de la discussion des projets de loi de financement de la sécurité sociale au Sénat. Comment s’opèrent ces évolutions professionnelles intéressantes ?

Vos entreprises doivent être soumises au droit commun, voire démantelées. Comment comptez-vous donc mettre fin à l’activité que vous représentez ?

Mme Stéphanie Martel. Je ne vous promets pas de répondre à chacune des très nombreuses questions qui nous ont été posées.

Tout d’abord, nous avons répondu à l’invitation de votre commission des affaires sociales dans un esprit de discussion, avec la volonté de partager avec vous nos données et nos vues. C’est une question de démocratie ; nous sommes là pour exprimer le point de vue des industriels, lesquels peuvent faire partie de la solution. Philip Morris est un industriel en cours de transformation qui investit 14 milliards d’euros dans la R&D pour en finir avec la cigarette. Cette transition, nous ne pouvons pas la réaliser seuls. Nous proposons des innovations qu’il revient aux pouvoirs publics de faire évaluer scientifiquement par les agences de santé. Or, à la différence de nos voisins notamment, la France est le seul pays à ne pas soumettre ces produits à une évaluation méthodique qui permettrait pourtant d’encadrer leur commercialisation et de les fiscaliser.

La moindre nocivité des alternatives que nous mettons au point a été scientifiquement démontrée par de nombreuses agences de santé, et elles font leurs preuves dans maints pays. Ainsi, la Suède, qui a autorisé la vente des sachets de nicotine, est le seul pays qui peut prétendre être non‑fumeur puisque sa population compte moins de 5 % de fumeurs. Mais je pourrais citer également le Japon, l’Italie, les États-Unis, le Royaume-Uni ou la Nouvelle-Zélande : tous les pays qui sont parvenus à faire baisser le nombre de fumeurs ont intégré la réduction des risques dans leurs approches sans renoncer pour autant au sevrage, à la prévention et à la non-initiation des mineurs.

Par ailleurs, évitons les amalgames. Nous ne sommes pas comptables de l’ensemble des produits actuellement commercialisés en France et ailleurs. Qu’il s’agisse des puffs, des cigarettes électroniques jetables ou des autres produits, nous réclamons une réglementation très stricte, car notre durabilité est en jeu. L’objectif est de convertir les adultes qui fument des cigarettes, réputées nocives, à ces produits moins risqués parce que tout le monde ne peut pas se sevrer. Si les substituts nicotiniques ou la vape étaient la solution miracle, il n’y aurait plus de fumeurs en France. Or ce n’est pas le cas. Ces produits ont donc leur utilité.

Philip Morris ne combat pas la fiscalité comportementale ; nous réclamons que celle-ci soit bien appliquée. Pendant des décennies, un seul produit existait : la cigarette, qui a fait l’objet d’une taxation croissante. Mais cette politique montre actuellement ces limites puisque les taxes ont atteint un niveau tel que les fumeurs adultes se procurent des produits sur le marché parallèle. Désormais, le paysage nicotinique est composé d’un ensemble de produits qui sont des alternatives à la cigarette. La fiscalité comportementale doit donc s’adapter à cette nouvelle donne : la taxation doit dépendre de la nocivité du produit. Le propre de ce type de fiscalité est en effet d’encourager la consommation des produits les moins nocifs.

En ce qui concerne Alcome, nous finançons en effet la filière REP appliquée aux mégots, à laquelle des objectifs précis sont assignés. Nous couvrons 35 % de la population française grâce à des contractualisations avec les communes, dont nous soutenons financièrement les actions de nettoyage des rues. Nous menons également des actions de sensibilisation de la population et nous avons, par exemple, distribué 1,7 million de cendriers de poche. Nous pourrons vous fournir un rapport complet sur l’activité de cette REP, sur laquelle nous travaillons avec les ministères concernés.

Enfin, Philip Morris soutient les agriculteurs du monde entier pour que leurs conditions de vie et de travail ainsi que leurs ressources soient durables et pour éviter le travail des enfants.

Mme Marine Sauce. Notre logique, comme celle de toute entreprise, est commerciale. Mais la première part de marché que nous souhaitons prendre est la part de marché légale qui revient actuellement à l’illégal. Ainsi, les sachets de nicotine présentent un intérêt du point de vue de la réduction de la prévalence tabagique. L’exemple de la Suède est éloquent à cet égard.

Oui, le tabac est un produit dangereux : c’est une vérité que personne ne conteste. Mais nous sommes des acteurs légaux, qui opèrent dans un cadre fiscal et sanitaire, avec des systèmes de traçabilité et de sécurité robustes. La question est donc celle de savoir si l’on souhaite que ce produit dangereux soit distribué par des opérateurs légaux et contrôlés ou par des réseaux mafieux. Nous présenter comme la source du problème, c’est commettre une erreur de diagnostic. Le marché parallèle ne nous rapporte rien ; il nous coûte. Tant que le diagnostic ne sera pas le bon, on ne trouvera pas de solution.

M. le président Frédéric Valletoux. Ce n’est pas parce que vous affirmez que le marché est transparent que c’est une réalité. Il serait bon, du reste, que l’on aborde la question de la traçabilité et de la transparence, qui ne sont absolument pas assurées.

M. Sébastien Charbonneau. Les risques liés au tabagisme sont documentés et reconnus par l’industrie. C’est précisément la raison pour laquelle nous sommes engagés dans une voie de transformation. Le meilleur choix pour un fumeur est d’arrêter, mais tous ne le souhaitent pas ou ne le peuvent pas. À ceux-là, nous souhaitons offrir des alternatives dans un esprit de réduction des méfaits. En matière de profitabilité, l’ambition de BAT est connue : nous souhaitons que la part des revenus issus des produits alternatifs dans le chiffre d’affaires du groupe, qui est actuellement de 20 %, atteigne 50 % en 2035.

Nous encourageons donc les autorités publiques à regarder les faits scientifiques et à adopter une stratégie de santé publique axée sur la réduction des méfaits pour accompagner les fumeurs vers des alternatives moins nocives. En France, la prévalence tabagique demeure très élevée au regard de ce qu’elle est dans d’autres pays : elle est presque deux fois plus élevée que la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Nous souhaitons pouvoir collaborer avec les autorités de santé publique pour parvenir à des sociétés sans tabac.

En ce qui concerne Alcome, nous sommes tributaires du cahier des charges, qu’il y aurait lieu de réviser. Nous travaillons en ce sens sous la tutelle des autorités gouvernementales.

Mme Caroline Brabant. Nous estimons, nous aussi, qu’il est de notre responsabilité d’améliorer nos produits en investissant dans la recherche afin de proposer des alternatives moins nocives que le tabac combustible. Je pense en particulier à la vape, qui, selon des études publiées par l’homologue britannique de Santé publique France, est 95 % moins nocive que la cigarette.

Deux études – l’une réalisée en 2022 par Santé publique France avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et Epidemiology in Dermatology and Evaluation of therapeutics (EpiDerm), l’autre, anglaise, réalisée par Preventive Medicine – ont montré que la cigarette électronique est deux fois plus efficace que les substituts nicotiniques vendus en pharmacie pour accompagner le fumeur adulte – adulte, j’insiste – vers une réduction, voire l’arrêt de sa consommation de tabac combustible.

Nous sommes conscients des dérives d’autres industriels. Pour notre part, nous ne donnons pas aux produits du vapotage des noms empruntés aux registres de la confiserie ou de la pâtisserie pour attirer les mineurs. Nous souhaitons d’ailleurs fermement que de telles dénominations ainsi que toute pratique marketing visant à attirer les mineurs soient interdites.

S’agissant d’Alcome, nous sommes liés par un cahier des charges dont nous souhaiterions l’amélioration, car certaines de ces dispositions nous empêchent d’atteindre nos objectifs immédiats. Je pense en particulier à la prise en compte du gisement non contribuant qui nous impose une charge supplémentaire. Nous estimons en effet qu’il ne nous revient pas de prendre en charge la part des mégots liée aux produits de contrebande et de contrefaçon, dont la part est massive en France.

Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). Vous présentez vos nouveaux produits – cigarettes électroniques, tabac à chauffer ou substituts nicotiniques – comme des alternatives moins nocives au tabac combustible. Mais nous nous inquiétons du double discours qui consiste, d’un côté, à promettre une réduction des risques, de l’autre, à développer une stratégie marketing, notamment sur les réseaux sociaux, qui entretient l’attractivité de ces produits pour les jeunes. Comment pouvez-vous garantir que ces nouveaux produits ne sont pas un moyen de recruter une nouvelle génération de consommateurs ?

M. Paul Christophe (HOR). La dangerosité du tabac ne fait plus débat : si ce produit apparaissait aujourd’hui sur le marché, il serait immédiatement interdit. On nous a parlé des recettes fiscales qui alimentent le budget de la sécurité sociale, mais pas des dépenses de santé liées à la consommation de tabac...

La France mène une lutte déterminée contre le tabagisme, notamment en augmentant les prix, en interdisant la publicité et en imposant le paquet neutre. Le point faible de cette stratégie reste le commerce parallèle. Celui-ci entretient une rentabilité toujours croissante pour les majors du secteur, qui se partagent plus de 60 milliards d’euros par an à l’échelle mondiale.

Pourquoi vous opposez-vous partout à la mise en œuvre du protocole de l’OMS contre le commerce illicite de tabac, qui impose des quotas de livraison et, surtout, une traçabilité strictement indépendante ? Monsieur Charbonneau, puisque vous nous avez provoqués en évoquant un manque de courage politique, je vous demande de prendre l’engagement devant notre commission de soutenir l’instauration d’une traçabilité indépendante sur tous les constituants des cigarettes.

Enfin, nous attendons des réponses claires sur le coût de fabrication réel de vos produits et sur ce qui rend, selon vous, la contrefaçon si rentable alors que les véritables produits sont eux-mêmes accessibles à bas prix dans de nombreux pays voisins.

M. Philippe Vigier (Dem). D’abord, c’est l’honneur du Parlement d’entendre tous les acteurs de la vie économique et sociale.

En matière de courage, chacun doit prendre sa part. J’ai le souvenir d’avoir déposé, il y a quelques années, un amendement visant à imposer la traçabilité de l’ensemble des paquets de cigarettes pour s’assurer de l’origine de la production. Vos entreprises s’y sont opposées. Or c’est le véritable enjeu, car je suis de ceux qui pensent que l’augmentation des taxes, si elle a permis une stagnation, voire une légère diminution, ne produit plus d’effet à partir d’un certain seuil.

Le courage consisterait-il, selon vous, à interdire toute consommation de tabac ou de produits de substitution aux mineurs ? Êtes-vous prêts à vous investir davantage dans la recherche médicale sur les conséquences du tabac sur la santé ? Enfin, vous engagez-vous à mettre fin à toute communication en direction de la jeunesse sur les réseaux sociaux ?

M. Nicolas Turquois (Dem). Vos propos préliminaires sont édifiants. Un proverbe chinois bien connu dit que lorsque le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. Les enjeux sanitaires, sociaux et environnementaux liés au tabac sont majeurs, mais vous dénoncez le trafic, déplorez la fiscalité – qui, à vous entendre, encouragerait presque la consommation – et présentez les substituts nicotiniques comme la solution. Je suis atterré par une telle irresponsabilité !

Je ne vous ai entendu évoquer ni la reconversion de vos entreprises dans d’autres activités, ni les actions sérieuses que vous pourriez mener pour lutter contre la contrebande – dont vous êtes aussi parfois bénéficiaires –, ni les actions de prévention massives auxquelles vous pourriez vous livrer auprès de la jeunesse.

M. Michel Lauzzana (EPR). J’adhère à tout ce qui vient d’être dit, en particulier s’agissant du traçage – une information que nous réclamons depuis longtemps, sans résultat.

Votre argumentation est tout sauf convaincante, et vous dites même des choses fausses. Ainsi, les politiques de lutte contre le tabagisme, notamment parmi la jeunesse, ont bien donné des résultats : chez les jeunes de 16 ans, le tabagisme quotidien est passé de 16 % à 3,1 % entre 2015 et 2024 ; chez ceux de 17 ans, de 25,1 % à 15,6 % entre 2017 et 2022 – une baisse de 9 points en quelques années.

Les politiques de lutte contre le tabac sont efficaces ; c’est d’ailleurs pour anticiper cette évolution que vous avez entrepris une dérive vers les produits nicotiniques. Je doute néanmoins de votre bonne foi, car plutôt que de vous adresser aux consommateurs de tabac, vous ciblez les jeunes, c’est-à-dire de nouveaux consommateurs, avec une stratégie de communication très agressive. Or la nicotine est le produit même qui crée l’addiction. Je ne peux donc adhérer à votre argumentation, d’autant que vous créez un écran de fumée avec le sondage KMPG, dont les résultats sont surévalués. Il faut bien sûr lutter contre la vente illicite de tabac – c’est le rôle du pouvoir exécutif. En tant que législateur, cependant, nous estimons qu’il faut continuer à augmenter la taxation des produits du tabac, qui a démontré son efficacité, notamment auprès des classes les plus défavorisées. Par ailleurs, lorsque vous comparez le prix du tabac il y a vingt ans, à 4 euros, avec le prix actuel, vous oubliez l’inflation. C’est ridicule ! À dire trop de choses fausses, vous rendez votre argumentation inaudible.

Mme Josiane Corneloup (DR). La fiscalité du tabac en France a fortement augmenté ces dernières années, contribuant à une baisse d’environ 32 % des ventes officielles de cigarettes et à une chute historique du nombre de fumeurs. Les recettes fiscales du tabac atteignent encore 13,4 milliards d’euros en 2022. L’industrie du tabac soutient souvent que des taxes trop élevées alimenteraient un marché parallèle important, mais les experts indépendants notent qu’aucun chiffre ne corrobore une explosion du commerce illicite imputable aux taxes. L’OMS estime même que le développement du marché noir provient essentiellement des fabricants eux-mêmes, du fait d’un défaut de traçabilité et d’une surproduction détournée. Quelle part de responsabilité vous attribuez-vous dans ce problème du trafic illicite ? L’OMS souligne que celui-ci est largement alimenté par les fuites de la chaîne d’approvisionnement officielle ; comment y remédier ? Enfin, comment protéger nos jeunes de la publicité violente en faveur du tabac et d’autres produits sur les réseaux sociaux ?

M. le président Frédéric Valletoux. Plusieurs questions portent sur le problème de la transparence et de la traçabilité ; je vous invite à y apporter une réponse.

Mme Stéphanie Martel. Depuis 2019, l’Union européenne s’est dotée d’un système de traçabilité contrôlé par les douanes des États membres. Ce contrôle, qu’on accuse régulièrement de ne pas être indépendant, fonctionne grâce à un code unique apposé sur chaque paquet. En France, ce code est réalisé à l’Imprimerie nationale ; les machines sont scellées et contrôlées par les douanes – autant de preuves d’indépendance de ce processus qui relève d’une chaîne européenne.

Pas un jour ne se passe sans des arrestations ou un démantèlement d’usine. Les trafics représentent une réalité de terrain dénoncée par de multiples acteurs. Les buralistes souffrent de ce marché parallèle. Les maires des communes concernées se plaignent de la vente à la sauvette, qui entretient la délinquance de proximité et contribue au sentiment d’insécurité dans les quartiers. Les douanes, dans leur dernier rapport, notent que 19 % de leurs saisies relèvent de la contrefaçon. On peut continuer la liste jusqu’aux parlementaires qui, l’année dernière, ont renoncé à augmenter les taxes, conscients des trafics dans leur région.

Si la réalité de terrain est indéniable, les chiffres, eux, sont délicats à manier. Le rapport KPMG, demandé par la Commission européenne en 2004 et financé par les industriels, est la seule source permettant d’établir des comparaisons de volumes entre les années, à méthodologie constante. Pour avoir une idée du commerce parallèle, on peut se référer aux chiffres de Santé publique France, évaluant la consommation journalière totale de cigarettes par les fumeurs français. En appliquant à ce volume les taux actuels de fiscalité, on arrive à 21 milliards d’euros de recettes fiscales qui devraient arriver dans les caisses de l’État ; or on est à un peu plus de 13 milliards. Cet écart montre qu’il y a bien des achats de cigarettes qui échappent à la taxe, et ce sont des calculs réalisés à partir des données publiques qui l’établissent de manière incontestable.

Par ailleurs, les trafics engendrent une violence et une polycriminalité dénoncée dans le rapport des douanes. Europol en a fait une priorité, car le trafic du tabac est assuré par les mêmes réseaux que celui de la drogue. Des trafics se développent aussi dans les épiceries et les bars associatifs, occasionnant des rixes et des opérations violentes déplorées par les fédérations de commerçants.

Quelle est la cause des trafics ? La taxe étant devenue très élevée, les fumeurs, souvent issus des milieux défavorisés, essaient de la contourner en allant chercher des produits qui y échappent. Il est difficile de rendre l’industrie responsable de la politique fiscale à l’œuvre. Les hausses de taxes répétées ont pu donner des résultats, mais tous les pays qui avaient expérimenté cette approche ont observé un plafond d’efficacité et, pour accélérer l’arrêt du tabagisme, se sont tournés vers les nouveaux produits.

S’agissant des quotas, nous n’avons pas la même lecture du protocole de l’OMS que les partisans de ce mécanisme. Pour nous, le protocole n’exige pas que les ventes des fabricants aux distributeurs soient proportionnées à un marché national ; il suggère plutôt qu’elles soient proportionnées à la demande du marché où les produits sont vendus ou utilisés, quelle que soit la nationalité des consommateurs. Dans un marché unique européen, avec une libre circulation des personnes, conditionner les fournitures aux distributeurs à la nationalité des consommateurs serait contraire au droit européen. Par ailleurs, imaginez un fumeur français qui achète son paquet de cigarettes à l’étranger, où le tabac est moins taxé ; si le buraliste étranger lui dit qu’il a atteint son quota et ne peut plus lui vendre de cigarettes, croyez‑vous qu’il va arrêter de fumer ou repartir se fournir chez le buraliste français ? Non, puisqu’il cherche à contourner la taxe. Une telle démarche va simplement créer une pénurie artificielle et les consommateurs se tourneront plus encore vers le marché illicite.

C’est pourquoi la solution, selon nous, est de proposer aux fumeurs français une alternative compétitive au marché illicite : des produits réputés comme moins nocifs par de nombreuses autorités de santé dans le monde. Nous appelons d’ailleurs de nos vœux le développement des recherches sur ces produits et serions ravis d’y contribuer. Nous aimerions notamment que l’Anses fasse l’évaluation des produits de la nicotine du point de vue du rapport bénéfice-risque. Les budgets de recherche afférents de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) ont été fortement réduits l’année dernière, et nous le déplorons.

Mme Marine Sauce. En ce qui concerne la stratégie de marketing et de promotion agressive de l’industrie auprès des mineurs, le groupe que je représente n’a aucune activité de ce type sur les réseaux sociaux. Nos activités auprès des acteurs publics sont déclarées et conformes aux règles de transparence et de déontologie.

S’agissant de la traçabilité et de l’éventuelle responsabilité de l’industrie en matière de trafic illicite et de fuites sur notre chaîne d’approvisionnement, c’est une erreur de diagnostic – je m’exprime au nom de mon groupe, mais je pense que tous les groupes représentés à cette table seront d’accord. Bien au contraire, nous collaborons activement avec les pouvoirs publics et investissons massivement pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement. En 2024, sur l’ensemble des saisies de la marque JTI, 96,4 % étaient des contrefaçons : cela montre que les fabricants font preuve de responsabilité pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement et illustre la réalité du phénomène de contrefaçon.

Nous sommes évidemment favorables à l’interdiction de la consommation pour les mineurs. À l’heure actuelle, il n’existe aucune réglementation qui les protégerait, en particulier vis-à-vis des nouveaux produits, et JTI se prononce en faveur d’un cadre réglementaire strict et proportionné. Il serait intéressant d’associer les buralistes à la réflexion, vu le rôle important qu’ils ont à jouer dans l’application de ce cadre.

M. Sébastien Charbonneau. Puisque j’ai été interpellé sur ce point, je commencerai par évoquer le protocole de l’OMS. C’est dans un esprit positif que j’avais fait cette remarque. Le sujet est complexe et controversé, et je suis heureux que nous ayons cet échange, même si certains estiment qu’il va à l’encontre de l’article 5.3 de la convention-cadre pour la lutte antitabac de l’OMS. Cet article n’interdit pas les débats, mais recommande qu’ils soient encadrés et transparents, comme celui que nous avons aujourd’hui.

Le problème du commerce illicite de tabac étant mondial, il est souhaitable d’adopter des protocoles internationaux. Certes, on peut prendre des mesures au sein de l’Union européenne, mais la chaîne d’approvisionnement des produits illicites dépasse ses frontières. Beaucoup de composants proviennent du reste du monde ; or le protocole de l’OMS n’est pas ratifié par l’ensemble des pays signataires et les soixante-dix parties ne l’appliquent pas nécessairement. Il reste donc encore beaucoup de travail à mener.

La traçabilité des produits a été mise en œuvre en Europe de façon complètement indépendante de l’industrie du tabac. Ce cadre est d’ores et déjà en place et nous nous y conformons à 100 % en fournissant aux autorités toutes les données, du début de la fabrication du produit jusqu’à son point de vente.

En ce qui concerne les substances entrant dans la fabrication des produits, un groupe de travail au sein de l’équipe du protocole planche actuellement sur le sujet. Il doit faire un rapport lors de la quatrième session de la réunion des parties au protocole (MOP4), qui se tiendra en novembre à Genève. Nous souhaitons la mise en place d’un contrôle de tous les éléments servant à la fabrication de cigarettes, ce qui aiderait à cerner les sites et les usines de fabrication illégaux au sein de tous les pays parties.

S’agissant des quotas, tout a été dit. J’ajouterai qu’une telle mesure irait à l’encontre de l’esprit même de l’Union européenne, fondée sur la libre circulation des personnes et des marchandises. C’est donc à ce niveau qu’il faudra en discuter, car la mesure n’est pas prévue dans le protocole de l’OMS – l’article 7 ne fait pas explicitement mention de quotas. Cela dit, une telle démarche ne ferait que déplacer le problème : la majorité des produits illicites ne proviennent pas des pays frontaliers, et je ne sais pas comment on appliquerait la mesure aux pays de provenance éloignés, en Afrique du Nord ou ailleurs.

Pour ce qui est des jeunes, ils ne devraient consommer aucun de nos produits. Ceux‑ci s’adressent à un public adulte, déjà fumeur ou consommateur de produits de la nicotine. Certains avancent que ces derniers sont mis en avant précisément pour recruter de nouveaux consommateurs : un de vos collègues a ainsi noté que la prévalence du tabagisme chez les jeunes de 17 ans a baissé de 9 points depuis quelques années ; mais il n’y a pas là de lien de cause à effet. Nous soutenons fortement l’encadrement de ces produits, l’interdiction de leur vente aux mineurs, un contrôle serré et des sanctions sévères en cas d’infraction pour ceux qui fourniraient ou vendraient ces produits aux mineurs. Cependant, les trafiquants dans la rue n’ayant que faire de l’âge de leurs clients, l’interdiction risque de ne pas atteindre son objectif : empêcher l’accessibilité de ces produits aux mineurs.

Mme Caroline Brabant. S’agissant de la traçabilité, nous sommes tous engagés à lutter contre le commerce illicite et nous le soulignons chaque fois que nous sommes invités à nous exprimer. Le contrôle de cette traçabilité est indépendant, puisqu’un numéro est attribué à chaque paquet par l’Imprimerie nationale – un organisme mandaté par l’État, qui réalise nos cartes d’identité, passeports et autres documents sécurisés, donc d’un sérieux absolu. Nos entreprises n’ont pas accès aux données : celles-ci sont gérées et analysées par des entrepôts primaires et secondaires, eux aussi désignés par l’autorité publique à laquelle les données sont destinées. En 2019, répondant à une question écrite d’un de vos collègues parlementaires, Gérald Darmanin, alors ministre des comptes publics, avait d’ailleurs jugé ce système track and trace conforme au protocole de l’OMS.

Nous sommes bien entendu favorables à l’idée de restreindre au maximum l’accessibilité des produits aux mineurs. La vente des cigarettes électroniques leur étant déjà interdite, l’enjeu est d’assurer le respect de la loi par les détaillants, donc les contrôles. Les canaux de distribution représentent également un point crucial : les produits de vapotage sont vendus dans de grandes enseignes de bricolage ou de décoration, où des mineurs peuvent accompagner leurs parents ou se rendre eux-mêmes. J’ai déjà exposé nos engagements et lignes directrices en matière de marketing : notre entreprise s’efforce de limiter au maximum l’attrait de ces produits pour les mineurs.

L’étude de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) qui a été évoquée met au jour la baisse du tabagisme expérimental parmi les moins de 16 ans, et nous nous en réjouissons. Parmi les causes de ce phénomène, l’impact des politiques publiques de prévention est certainement considérable. L’une de vos collègues proposait que nous fassions de la sensibilisation auprès des mineurs sur ces enjeux, mais je ne pense pas que nous devons nous substituer à l’État ; mieux vaut que nous évitions toute communication à destination des mineurs.

La directrice adjointe de l’OFDT et le président de la Mildeca ont tous deux souligné le changement des représentations sociales. On peut se féliciter de la préoccupation croissante pour la santé, le sport et le corps, mais il faut également noter une évolution en matière de sociabilité : on observe de plus en plus de phénomènes de repli sur soi, de sociabilité axée sur internet et les réseaux sociaux, et de détresse mentale. En cette année 2025 où la santé mentale est érigée en grande cause nationale, nous devrions nous pencher davantage sur ces questions.

*

La réunion s’achève à douze heures quarante.


Présences en réunion

 

Présents.  M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, M. Guillaume Florquin, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, M. Michel Lauzzana, Mme Anne-Sophie Ronceret, Mme Sandrine Rousseau, M. Arnaud Simion, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry

Excusés.  Mme Anchya Bamana, Mme Béatrice Bellay, M. Elie Califer, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Didier Le Gac, Mme Karine Lebon, Mme Joséphine Missoffe, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, M. Jean-Hugues Ratenon

Assistait également à la réunion.  M. Jean-Victor Castor