Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
— Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Mauriet, secrétaire général pour l’administration du ministère des Armées et des anciens combattants, sur le projet de loi de finances 2025.
Mercredi
23 octobre 2024
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 11
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président
— 1 —
La séance est ouverte à neuf heures.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous poursuivons notre cycle d'auditions sur le projet de loi de finances 2025. Nous accueillons M. Christophe Mauriet, secrétaire général pour l'administration du ministère des Armées depuis octobre 2022, responsable du programme 212 « soutien de la politique de la défense » et du programme 169 « reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant ».
Le secrétaire général pour l'administration occupe une position centrale dans la politique du ministère. Ses compétences s'étendent à l'ensemble de la chaîne de soutien et de fonctionnement : gestion financière, ressources humaines, achats hors armement, droit, accompagnement territorial, politique immobilière et de logement, infrastructures, politique environnementale, initiatives mémorielles et culturelles. Son rôle transversal dans l'utilisation des crédits du ministère est donc prépondérant.
Nous nous félicitons du respect, dans le projet de loi de finances pour 2025, de la marche de 3,3 milliards d'euros de la mission défense par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Cette progression s'inscrit dans la trajectoire de remontée en puissance prévue par la loi de programmation militaire 2024-2030.
Monsieur le secrétaire général, nous vous invitons à présenter la déclinaison prévue des actions administratives et financières du ministère sur l'ensemble des domaines d'intervention du SGA, au regard du projet de loi de finances pour 2025.
Plusieurs points retiennent particulièrement notre attention.
Premièrement, la politique des ressources humaines, notamment en matière de recrutement et de fidélisation. Ces aspects s'avèrent essentiels pour atteindre les objectifs d'effectifs fixés par la loi de programmation militaire.
Deuxièmement, l'avancement des plans « famille 2 » et « fidélisation 360 », destinés à améliorer concrètement les conditions de vie de nos soldats.
Troisièmement, les politiques d'infrastructures immobilières. Leur développement vise à garantir aux militaires des conditions de travail adaptées et des facilités en termes d'habitat. Dans ce cadre, la mise en œuvre du contrat Ambition Logement revêt une importance capitale, puisqu'elle doit permettre la rénovation du parc domanial métropolitain du ministère.
Monsieur le secrétaire général, nous vous laissons la parole pour aborder ces points et les autres politiques dont le SGA a la charge.
M. Christophe Mauriet, secrétaire général pour l’administration du ministère des Armées et des anciens combattants. Je suis heureux de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui et d'établir un dialogue franc et constructif qui nous permettra de mener un travail de qualité, notamment dans l'exercice de votre pouvoir de contrôle. Je vais vous présenter, en ma qualité de secrétaire général pour l'administration, les grandes problématiques telles qu'elles apparaissent dans le projet de loi de finances pour 2025.
Mon intervention s'inscrit dans la continuité des échanges que vous avez eus avec le ministre des armées, M. Lecornu, et le ministre délégué, M. Thiériot, lors de leur audition devant votre commission il y a neuf jours. Le secrétariat général pour l'administration est cette charnière politico-administrative qui permet, sous l'autorité directe du ministre, de coordonner toutes les grandes fonctions administratives concourant à la politique de défense. Les directions du SGA, telles que la DAF, la DAJ et la direction des ressources humaines, irriguent l'ensemble de la politique de défense.
Mon propos s'articulera autour de cinq axes : les ressources humaines, la fidélisation, la politique immobilière et les infrastructures, la transformation et la modernisation du ministère, enfin le soutien au monde combattant et le lien armée-nation, notamment concernant la jeunesse.
Concernant les ressources humaines, clé de voûte de la montée en puissance du modèle d'armée porté par la loi de programmation militaire 2024-2030, rappelons quelques chiffres. Le ministère des Armées, composé à 75 % de personnel militaire et 25 % de personnel civil, est le premier recruteur public. Plus de 27 000 recrutements sont prévus en 2025, un objectif qui sera probablement atteint dès 2024. Cela représente un renouvellement annuel d'environ 10 % des effectifs, illustrant le modèle RH "à flux" des armées.
La période 2024-2030 verra une augmentation des effectifs, avec un objectif de 275 000 personnes et 80 000 réservistes supplémentaires d'ici 2030. L'année 2024 marque un tournant positif, avec un schéma d'emploi en augmentation de 450 équivalents temps plein, que nous sommes en passe de réaliser, voire de dépasser.
Pour 2025, cette priorité accordée au modèle RH se confirme. La masse salariale représente 35 % du budget hors cotisations au compte d'affectation spéciale des pensions, soit près de 13,7 milliards de crédits de titre 2. Le schéma d'emploi prévoit 700 ETP supplémentaires par rapport à 2024, dont 630 sur le périmètre ministériel et 70 à la direction des applications militaires du CEA.
Quant à la réserve militaire, elle vise à renforcer les capacités des forces armées et à contribuer à la cohésion nationale. Le budget 2025 prévoit une hausse de 26 millions d'euros des crédits de titre 2 pour la réserve, avec un accroissement de 3 800 réservistes. L'objectif est d'atteindre une durée moyenne d’environ 30 jours de période de réserve annuelle et 47 600 personnes dans la réserve opérationnelle de premier rang (RO1) fin 2025, marquant ainsi une trajectoire ascendante ambitieuse.
Au regard des résultats encourageants de 2024, nous amplifions certaines actions préexistantes et en lançons de nouvelles, regroupées dans une démarche « fidélisation 360 » initiée par le ministre en mars 2024. Notre but est de retenir plus longtemps nos personnels au sein du ministère de la défense.
Pour le personnel militaire, dont la majorité est sous contrat à durée déterminée, nous visons à allonger l'ancienneté au moment du départ. Pour les militaires du rang, nous souhaitons passer de 3,9 ans d'ancienneté en 2023 à 6 ans en 2030. Pour les sous-officiers, l'objectif est d'atteindre 20 ans d'ancienneté en 2030, contre 17,6 ans actuellement. Quant aux officiers, nous visons 27 ans d'ancienneté en 2030, contre 25,2 ans en 2023. Dès 2024, nous constatons un allongement pour chacune de ces catégories.
Les leviers mobilisés pour atteindre ces objectifs sont d'ordre financier, statutaire, professionnel, mais concernent également l'accompagnement des personnels et de leurs familles.
Sur le plan financier, le budget 2025 poursuit l'effort en faveur des personnels du ministère de la défense. Les mesures catégorielles s'élèveront à 139 millions d'euros, dont 89 millions d'effets complets de mesures entrées en vigueur en 2024 et 50 millions de mesures entièrement nouvelles. Ces dernières concernent notamment les grilles indiciaires des officiers et les personnels civils contractuels, qui constituent désormais la majorité des recrutements civils au ministère.
Les effets de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), désormais totalement déployée, seront à nouveau perceptibles en 2025. Cette répartition des efforts au sein de l'augmentation de 3,3 milliards du budget de la défense démontre notre attention particulière au facteur humain.
Enfin, l'amélioration des conditions de travail et des perspectives de carrière fait partie intégrante de notre stratégie de sécurisation de la politique de ressources humaines du ministère.
Nous sommes contraints d'adopter une approche plus proactive qu'auparavant dans le renforcement et la fidélisation des compétences au sein du ministère. Plusieurs axes sont déployés à cet effet. Le nouveau régime de protection sociale complémentaire obligatoire en matière de santé a donné lieu à un accord avec les organisations syndicales, permettant de sélectionner deux prestataires pour le personnel civil et militaire. Ce dispositif, dont l'entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2025, mobilisera plus de 80 millions d'euros sur les crédits de masse salariale l'année prochaine. Notre objectif est d'accroître le taux de couverture des agents, actuellement de 85 % pour les militaires.
Le deuxième levier concerne la politique de reconversion, essentielle dans un modèle RH basé sur le flux. L'attractivité du ministère repose sur la promesse faite aux recrues de les accompagner dans leur projet professionnel et leur insertion dans le monde civil à chaque fin de contrat. La structure dédiée « défense mobilité » assure cet accompagnement personnalisé via la formation professionnelle et l'aide à l'insertion. Le budget alloué l'an prochain à ces mesures, incluant le retour à l'emploi et l'accompagnement social des blessés, s'élèvera à 32 millions d'euros. En 2023, 23 000 militaires ont été accompagnés et plus de 7 000 ont été reclassés, en augmentation par rapport à l'année précédente.
La fidélisation nécessite le renforcement de la relation individualisée entre les employeurs et le personnel militaire. La prime de lien au service permet ainsi un dialogue entre le chef de corps et le militaire envisageant de partir au terme de son contrat. La discussion se traduit par une prime, dont l’objectif est de fidéliser des compétences précieuses et en tension. Au PLF 25, près de 75 millions seront consacrés à ce dispositif, bénéficiant principalement aux militaires aguerris et expérimentés, dont deux tiers sont des sous-officiers. Ce mécanisme a contribué à accroître le taux de fidélisation, notamment dans l'armée de terre où le taux de renouvellement des contrats est passé de 32 % à 37 %.
L'allocation financière spécifique de formation, créée en 2018 et amplifiée depuis, vise à établir un lien précoce avec l'institution militaire. Cette bourse, destinée aux étudiants de tous niveaux, peut atteindre 20 000 euros par an pour les étudiants du supérieur. Elle est modulée en fonction des tensions RH spécifiques à certaines spécialités.
Le troisième levier s’attache à l'accompagnement des personnels et de leurs familles. Le plan « famille 2 », désormais intégré dans la démarche « fidélisation 360 », répond aux attentes croissantes des personnels militaires en termes de qualité de vie au travail. L'atténuation de l'impact des contraintes opérationnelles, l'amélioration du quotidien des familles dans les territoires et l'accompagnement des mutations sont aujourd'hui au cœur de la politique RH du ministère.
Le service de l'action sociale des armées apporte une contribution décisive à la prise en charge des militaires et de leurs familles. Le PLF 2025 prévoit un budget de 148 millions d'euros en autorisations d’engagement pour ce service. Ses interventions couvrent de nombreux domaines : soutien aux blessés et aux familles endeuillées, secours financiers d'urgence, accompagnement face aux difficultés financières, conjugales, familiales ou éducatives, souvent liées aux ruptures inhérentes à la vie militaire. La petite enfance constitue également un axe majeur d'intervention, avec la poursuite des efforts en matière de crèches.
Concernant l'hébergement et le logement, le programme de rénovation et de densification des logements domaniaux se poursuit. Des projets d'hébergement pour les élèves et stagiaires sont prévus en 2025, notamment à Saint-Maixent, Bron et Brest.
La politique immobilière et des infrastructures du ministère des armées revêt une importance capitale, étant donné l'étendue du patrimoine foncier (275 000 hectares). Près de 3 milliards d'euros y sont consacrés annuellement. Les objectifs sont multiples : remise à niveau et adaptation des infrastructures opérationnelles, accompagnement des chantiers de transformation et de modernisation des armées. Un travail approfondi a été mené sur l'empreinte territoriale du service du commissariat des armées et du service de santé des armées, avec une révision complète de leurs schémas directeurs.
Une revue des infrastructures opérationnelles et technico-opérationnelles a été lancée pour dégager des marges de redéploiement au profit d'infrastructures liées à la qualité de vie en enceinte militaire, notamment pour l'armée de terre qui connaîtra une importante réorganisation sur la période 2024-2030.
La transition écologique constitue un autre axe majeur de la politique immobilière et d'infrastructure du ministère. Des moyens substantiels y sont alloués en 2025, visant à améliorer la capacité opérationnelle des armées et à conforter l'outil de défense à court, moyen et long terme. Cela se traduit par l'accélération de la conversion ou de la modernisation énergétique de certaines emprises et par des actions concernant la gestion de l'eau.
La modernisation numérique, l'exploitation des données et l'intelligence artificielle font l'objet d'importants investissements dans le budget 2025, poursuivant les efforts engagés en 2024. La transformation du service d'infrastructure de la défense (SID) est également notable, ce service représentant la moitié des effectifs du SGA et se distinguant par ses capacités de construction d'ouvrages complexes.
Enfin, le budget 2025 prévoit des actions en matière de politique mémorielle, muséale et d'archives, de soutien aux blessés, ainsi que des mesures concernant la journée défense et citoyenneté (JDC) et l'accompagnement des différentes générations d'anciens combattants.
Mme Michèle Martinez (RN). Pour que la France puisse affronter un conflit de haute intensité, elle doit disposer d'une armée dotée d'un matériel conséquent, mais surtout d'effectifs humains suffisants. Les chefs d'état-major auditionnés la semaine dernière ont tous souligné ce défi des ressources humaines, englobant le recrutement et la fidélisation. Votre administration joue un rôle essentiel dans ce domaine, et je tiens à saluer, au nom du groupe Rassemblement national, l'ensemble du personnel sous votre autorité.
Bien que nous reconnaissions que le ministère des armées est l'un des mieux gérés, je souhaite attirer votre attention sur certains points concernant les rémunérations. Tout d'abord, la NPRM entraîne la fiscalisation de primes auparavant non imposables. Des militaires m'ont signalé une baisse de leurs salaires. Quelle est votre position à ce sujet ?
De plus, si nous prenons acte de la revalorisation de la grille indiciaire des sous-officiers, nous nous inquiétons de celle des officiers. Pour quelques dizaines d'euros supplémentaires, certains sous-officiers pourraient refuser de devenir officiers, compte tenu des contraintes et des tâches administratives que cela implique. Observez-vous un tel effet de seuil ?
Concernant le logement, je constate avec satisfaction l'augmentation des moyens alloués. Le plan « famille 2 », doté de 47,7 millions d'euros en AE (autorisations d'engagement) et de plus de 51 millions d'euros en CP (crédits de paiement), permettra notamment la construction de crèches, un point sensible pour nos militaires et leurs familles.
J'aimerais vous interroger sur les effets du plan « fidélisation 360 », lancé en mars 2024. Quels moyens lui sont alloués dans ce PLF pour 2025 ? Quels seront ses effets pour l'année prochaine ?
Enfin, j'ai noté que 42 millions d'euros en AE et 70 millions d'euros en CP sont prévus pour les infrastructures de restauration collective et les lieux de travail. Bien que cette augmentation semble importante sur le papier, est-elle suffisante au vu des retards accumulés dans ce domaine ?
M. Christophe Mauriet. Notre communauté professionnelle des ressources humaines, au-delà de la DRH ministérielle rattachée au secrétaire général pour l'administration, se mobilise chaque année pour relever le défi d'être le premier recruteur public du pays. Cette performance implique les DRH de chaque armée, notamment de la direction générale de l'armement.
Vous évoquez un sujet qui avait été anticipé dès la conception de la NPRM : le caractère non fiscalisé de certaines composantes de la rémunération indemnitaire, reposant sur des bases textuelles parfois anciennes et fragiles. La mise au point du nouveau dispositif avec le ministère des finances a visé à régulariser ces situations, dont la justification était moins évidente dans les années 2017-2020 que dans les années cinquante ou soixante, où une simple instruction d'un chef d'état-major suffisait pour exempter d'impôt une prime.
La NPRM a largement compensé l'effet de l'inclusion de ces éléments dans la base de calcul de l'impôt. Les cas de baisse de la solde nette d'une année sur l'autre, s'ils existent, ne s'expliquent probablement pas par la fiscalisation. Le principal facteur de variation de la rémunération totale est la part indemnitaire liée à l'activité, qui fluctue significativement selon les déploiements à l'étranger ou le maintien en garnison.
Pour convertir le système complexe des primes militaires en NPRM, nous avons investi 500 millions d'euros supplémentaires, un montant considérable comparé aux plans catégoriels d’autres ministères.
Concernant l'incitation à passer les examens professionnels et à progresser dans la hiérarchie, les nouvelles grilles indiciaires pour les sous-officiers et les officiers visent à offrir une juste compensation des efforts accomplis. Elles recréent des intervalles significatifs en termes d'échelonnement indiciaire, contrebalançant la compression observée en début de carrière due aux mesures générales de la politique salariale de l'État. Il est encore tôt pour évaluer l'efficacité de ce système, mais notre analyse indique la nécessité de cette approche.
Le plan « fidélisation 360 » dépasse le cadre du plan « famille ». Nous prévoyons 265 millions de crédits pour l'année 2025, amplifiant et combinant tous les leviers évoqués précédemment pour une démarche globale.
Enfin, les ensembles d'alimentation et de loisirs constituent un aspect essentiel de la qualité de vie au travail. À la suite de la revue approfondie du service de santé des armées (SSA) et du service du commissariat des armées (SCA), une priorité nette a été accordée à ces ensembles.
M. Sylvain Maillard (EPR). Je vous remercie pour ce tableau exhaustif des missions que vous accomplissez quotidiennement, missions essentielles pour préserver la cohérence de nos armées, garantir leur attractivité et fidéliser les hommes et femmes qui les composent. Les initiatives en faveur de la jeunesse s'avèrent fondamentales à cet égard.
Je souhaite vous interroger sur les aspects de la politique de ressources humaines de la défense, qui bénéficie d'une nouvelle augmentation de ses moyens dans le projet de loi de finances 2025. Cet effort financier devrait notamment profiter à la formation continue, en renforçant les actions de formation et l'apprentissage. Le ministère des armées est d'ailleurs devenu l'un des principaux recruteurs d'apprentis en France.
L'objectif de recrutement annuel pour l'ensemble du ministère des armées va connaître une hausse significative dans les mois à venir, dépassant les 15 %. Il passera de 3 200 apprentis pour l'année universitaire 2024-2025 à 3 681 pour 2025-2026.
Dans ce contexte, pourriez-vous préciser la place accordée aux jeunes sous le statut d'apprenti militaire, une innovation instaurée par la loi de programmation militaire 2024-2030 ? Un an après sa création, quel bilan dressez-vous de ce nouveau statut ? Comment évaluez-vous son attractivité pour attirer de nouveaux élèves dans les établissements d'enseignement technique et préparatoire militaire, sachant que le ministère des armées vise à doubler les effectifs de ces écoles entre 2024 et 2030 ?
M. Christophe Mauriet. Monsieur le député, la question des apprentis militaires a fait l'objet de longues discussions lors de la préparation et de l'examen de la LPM, lorsque le président Jacques en était le rapporteur. Cet axe représente un effort considérable pour le ministère, visant à revaloriser l'importance de l'enseignement technique préparatoire. Historiquement, les armées, les services et la DGA ont toujours investi dans la formation des ressources humaines spécialisées dont ils avaient besoin.
Ces dernières années, nous avons observé le développement de filières techniques au lycée militaire de Saint-Cyr-l'École, l'essor de l'école des apprentis de l'armée de l'air et de l’espace de Saintes, des initiatives similaires dans la marine nationale, ainsi que la réouverture d'une école militaire technique pour les sous-officiers de l'armée de terre à Bourges. Cette évolution traduit une prise de conscience : le ministère des armées doit générer lui-même une part croissante de ses ressources humaines spécialisées, notamment dans le domaine technique, plutôt que de s'appuyer uniquement sur le système éducatif ou l'enseignement professionnel classique.
Une telle démarche marque un retour aux pratiques qui ont fait la force du ministère des armées pendant de nombreuses années, avant d'être largement abandonnées il y a une vingtaine d'années lors des restructurations et des réductions d'effectifs survenues à la fin des années quatre-vingt-dix et au début des années deux-mille.
Concernant les apprentis militaires, les chiffres sont en progression constante. Nous devrions dépasser le seuil des 1 000 l'année prochaine, avec un objectif de 1100, alors que nous en comptons 730 en 2024. Le dispositif rencontre un véritable succès, mais il est également exigeant. La formation des apprentis nécessite la présence de maîtres d'apprentissage, impliquant une mobilisation importante du personnel existant au sein du ministère des armées. Notre principal défi consiste donc à susciter et à organiser, sur le long terme, le développement d'un vivier de maîtres d'apprentissage.
Actuellement, cette problématique retient davantage notre attention que les crédits de rémunération à allouer. C'est sur ce point que nous concentrons nos efforts pour éviter un potentiel goulot d'étranglement.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Je tiens à vous féliciter, Monsieur le secrétaire général, pour votre gestion de l'exécution budgétaire 2024. Face à la décision du gouvernement Attal de réduire le budget de 10 milliards d'euros en février dernier, dont 100 millions affectant le T2 du ministère des armées, je voulais vous féliciter pour avoir désobéi au Premier ministre et pour avoir présenté à Bercy une baisse de 35 millions, au lieu des 100 millions demandés. Cette démarche aurait dû servir d'exemple à vos homologues des autres ministères.
Cependant, je nourris de vives inquiétudes concernant l'exécution 2024. Les surcoûts liés aux missions opérationnelles, estimés à plus de 81 millions d'euros pour le T2, n'étaient pas prévus dans le budget initial. S'y ajoutent les dépenses supplémentaires engendrées par la situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, évaluées entre 10 et 20 millions d'euros. Au total, nous faisons face à un surcoût d'environ 100 millions d'euros.
Je souhaiterais comprendre comment vous envisagez de mener à bien cette exécution 2024 sans solliciter d'ouverture de crédits supplémentaires. Je présume que le programme 212 dégagera un excédent de 100 à 200 millions d'euros, ce qui impliquerait une ouverture nette de 200 millions d'euros. Or, il est question de ne pas débloquer certains crédits gelés pour finaliser l'exercice.
Concernant 2025, je m'interroge sur l'inscription budgétaire des surcoûts liés aux missions opérationnelles. Considérant que les forces armées françaises ne semblent pas sur le point de quitter la Roumanie, des surcoûts similaires risquent de peser sur l'exécution de la loi de programmation militaire. Pourriez-vous préciser comment ces dépenses sont anticipées dans votre budget ?
M. Christophe Mauriet. Je souhaite reformuler certains éléments de votre raisonnement qui, bien que séduisant, ne me semble pas entièrement convaincant. Le décret d'annulation a effectivement procédé à une annulation de 102 millions d'euros sur le programme 212 T2. De ce point de vue, les crédits sont bel et bien annulés.
Vous me félicitez en affirmant que Bercy aurait demandé 35 millions pour 100 millions. Permettez-moi de clarifier : Bercy a annulé 100 millions, et ces 100 millions sont effectivement annulés. L'objectif est donc atteint sans qu'il soit nécessaire de se poser des questions plus complexes. Votre raisonnement me paraît quelque peu subtil et j'éprouve des difficultés à l'appréhender pleinement.
Je tiens à souligner qu'il n'y a aucune désobéissance au Premier ministre, ni d'insoumission des fonctionnaires à l'autorité politique.
Concernant l'atterrissage 2024, notamment sur la masse salariale, un projet de loi de finances de fin de gestion est actuellement en préparation. Le conseil des ministres devrait l'adopter début novembre, comme il est d'usage. Les discussions interministérielles sont en cours, et leur issue n'est pas connue à ce stade. Nous aurons certainement l'occasion d'en reparler, mais pour l'instant, je n'ai aucune raison de m'inquiéter quant à notre capacité à couvrir l'intégralité des besoins de masse salariale du ministère pour l'exercice 2024.
S'agissant de la masse salariale et plus généralement des surcoûts engendrés par les missions opérationnelles, la loi de finances initiale prévoit depuis de nombreuses années une provision destinée à couvrir les surcoûts générés par diverses opérations ou activités des forces armées ne correspondant pas à leur service normal. Cette provision existe tant pour le titre 2 que pour le hors titre 2, et figure également dans le projet de loi de finances pour 2025.
Le ministre discute avec vous depuis plusieurs mois de la catégorisation juridique des Missops, Missint ou Opex. Mais là vous m'interrogez sur l'enveloppe budgétaire et l'exécution des crédits. Je vous précise que pour couvrir les surcoûts en cours d'année, nous suivons les règles établies pour chaque type de mission.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). C’est faux. Vous avez dit vous-même que le surcoût des Missint ne devrait pas être pris en compte par l’interministériel, ce qui est la règle pour les Missops ou les Opex. Une différence est donc bien faite. Il convient de noter que ni la Roumanie ni le flanc Est de l'Europe ne sont mentionnés dans le rapport annuel de performances concernant les Opex.
M. Christophe Mauriet. Cette provision, comme l'ensemble des crédits ouverts en loi de finances, peut s'avérer suffisante certaines années, parfois même excédentaire, et d'autres fois insuffisante par rapport aux besoins. C'est pourquoi il existe toujours un écart entre la prévision budgétaire et l'exécution effective du budget.
Pour déterminer si les surcoûts de titre 2 liés aux Missops seront absorbés par le budget en 2025, il faudra attendre la fin de l'exercice pour vérifier si la provision et, plus généralement, les 13,7 milliards de crédits de masse salariale prévus au PLF 2025 auront suffi à couvrir l'ensemble des besoins, tous motifs confondus. C'est la réponse la plus précise que je puisse vous apporter à ce stade, Monsieur le député.
Mme Marie Récalde (SOC). Je souhaite aborder plusieurs questions liées à l'évolution des effectifs des armées à l'horizon 2030, qui devraient atteindre 275 000 personnes, auxquelles s'ajouteront 80 000 réservistes. Ces changements soulèvent des interrogations quant à l'adaptation aux modes de vie actuels, notamment concernant les mutations.
La mutation, intrinsèque à la condition militaire, ne concerne pas uniquement le militaire mais l'ensemble de sa famille. Comment concilier cette réalité avec les aspirations contemporaines ? Le lien entre l'armée et le territoire revêt une importance capitale, particulièrement pour la question du logement.
Nous sommes conscients du manque de logements dans de nombreuses communes. Un militaire et sa famille déménagent en moyenne tous les quatre ans. Actuellement, l'État possède environ 12 000 logements, 22 000 sont réservés auprès des bailleurs sociaux et 3 500 auprès des bailleurs privés. Ces chiffres sont manifestement insuffisants.
Par ailleurs, la LPM identifie la transition écologique comme un axe structurant de la politique immobilière du ministère des armées. Celui-ci s'engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, en intégrant les normes les plus récentes dans ses chantiers de construction et de réhabilitation. Le ministère a-t-il prévu des crédits d'investissement pour la construction des logements nécessaires, en tenant compte de cet objectif environnemental ?
Au-delà du logement, nous connaissons l'importance du secteur du bâtiment et des travaux publics dans nos territoires. Compte tenu de votre attachement aux liens entre l'armée et le territoire, comment le ministère envisage-t-il les rénovations et les nouvelles constructions ? Je pense notamment aux difficultés du HQG de Bordeaux, où il a fallu déployer des trésors d'ingéniosité pour simplement repeindre certains bureaux.
Enfin, comment le ministère compte-t-il apporter sa contribution à l'effort demandé aux collectivités locales, dans le cadre du renforcement des liens entre l'armée et le territoire ?
M. Christophe Mauriet. Dans mon exposé initial, j'ai dû aborder certains sujets de manière succincte. Je souhaite donc revenir sur les points évoqués dans vos questions.
Concernant les logements domaniaux, souvent situés sur des parcelles peu densifiées ou ne répondant plus aux normes actuelles de construction, nous avons conclu une concession avec une société regroupant des opérateurs du marché de haute qualité. Sur une période de 35 ans, cette société assurera la gestion locative du parc, qui passera d'environ 6 000 à près de 8 000 unités, ainsi que sa rénovation en profondeur et la construction de nouveaux logements sur des terrains à densifier.
Nous allouons 200 millions d'euros au budget de la concession en 2025 pour ces travaux de restructuration et de construction, ce qui représente un effort très sensible par rapport aux années précédentes. Auparavant, la gestion était assurée par une filiale de la Caisse des dépôts, avec une politique minimaliste se limitant à l'entretien et aux réparations. Nous avons désormais changé d'échelle.
Les effets de cette nouvelle politique se feront sentir progressivement. Entre la signature de la concession et l'inauguration des bâtiments neufs ou rénovés, un certain délai est inévitable, notamment pour mener les démarches administratives et urbanistiques avec les collectivités concernées. Le contrat a été conclu début 2022 et les premières livraisons sont prévues pour 2025, avec 253 logements rénovés répartis entre Versailles, Apt, Montauban, Belfort et Brest.
Notre effort financier se voudra croissant jusqu'au début de la prochaine décennie, sans possibilité d'ajustement. Nous avons pris des engagements fermes envers le concessionnaire, envers lequel nous serons très exigeants. Cette concession, ce contrat Ambition Logement, démontre que nos objectifs en matière de logement ne sont pas de vaines paroles, mais se concrétisent par des obligations contractuelles strictes.
En matière de sobriété énergétique, une forme de consensus existe au sein du ministère sur l'importance d'adopter une politique de frugalité et de minimisation de notre impact environnemental. Ce consensus n'est pas limité à certains services particulièrement sensibilisés aux questions d’environnement, mais partagé par l'ensemble de la hiérarchie militaire, y compris le chef d'état-major des armées, les chefs d'état-major d'armée et la Direction générale de l'armement.
Nous avons entrepris de rénover les systèmes de chauffage les plus polluants et de conclure des contrats de performance énergétique avec des opérateurs du secteur pour les infrastructures obsolètes. Un effort important est également consenti dans le domaine du photovoltaïque. En 2025, nous allons conclure un power purchase agreement sur le site de Salbris, en Sologne, qui devrait couvrir jusqu'à 5 % de nos besoins énergétiques totaux grâce à des dispositifs innovants, tant sur le plan technique que contractuel.
Nous développons nos compétences juridiques et financières pour mener à bien ces montages complexes. À titre d'exemple, nous avons établi une concession pour le cercle national des armées à Paris, permettant la rénovation complète d'un bâtiment centenaire sans apport budgétaire, tout en générant des revenus grâce à sa valorisation économique par le concessionnaire.
En somme, le ministère s'efforce d'être proactif et de rechercher des solutions innovantes dans la mesure du possible, tout en restant humble face aux défis à relever.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Je souhaite compléter et appuyer les propos de ma collègue concernant la politique immobilière, la politique de logement des familles et la politique d'hébergement, qui constituent des chantiers incontournables. Pour être attractive et opérationnelle, l'armée doit accueillir son personnel dans des lieux salubres, décents et dignes. Je pense que nous partageons tous ce constat.
L'objectif du plan Ambition Logement prévoit la construction de 228 000 mètres carrés de surface habitable. Pourriez-vous préciser quelle part de cet objectif sera réalisée d'ici 2025, sachant que le plan se projette jusqu'en 2030 ? Ce plan vise également la réhabilitation et la mise à niveau de nombreux ensembles existants, grâce à un engagement de 1,2 milliard d'euros sur la période 2019-2025. Vous avez évoqué des pistes, mais cet axe s'avère primordial pour la transition écologique et énergétique.
Nous constatons sur le terrain que les conditions de vie et d'exercice des troupes, tant sur le sol français qu'à l'étranger, sont un prérequis pour respecter les militaires et leurs familles. Or, parfois, comme nous le voyons sur nos territoires, ils vivent dans des logements mal ou pas isolés, dans des casernes très dégradées, avec des coupures de chauffage, d'eau chaude et des infiltrations. J'en ai un exemple dans ma circonscription.
Ma question est donc la suivante : les opérations de réhabilitation sont-elles à la hauteur des besoins des militaires et de leurs familles ? Atteindront-elles les objectifs de sobriété énergétique du bâti des armées ? Et surtout, quel phasage est prévu, puisqu'évidemment, tout ne peut être réalisé du jour au lendemain ?
M. Christophe Mauriet. La dernière partie de votre propos concerne, en réalité, l'hébergement et non pas les familles.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Je ne suis pas en mesure de détailler ici la situation, que je connais par ailleurs, mais je pourrais vous en entretenir ultérieurement. Cette question concerne également les familles.
M. Christophe Mauriet. Je tiens à préciser que lorsqu'on réside dans une caserne, il s'agit d'hébergement et non de logement familial. Cette distinction terminologique est importante. L'hébergement constitue, selon les chefs d'état-major et le CEMA, un élément déterminant de la crédibilité de nos ambitions en matière de réalisation et de maintien de notre format RH. Les conditions d'hébergement des soldats dans les enceintes militaires reflètent directement notre crédibilité en matière de ressources humaines et, par extension, en matière capacitaire.
Concernant nos objectifs pour l'année prochaine, bien qu'ils ne soient pas pleinement satisfaisants, les efforts consentis dans ce domaine demeurent soutenus et s'inscrivent dans la durée. Le budget alloué à l'hébergement prévoit 120 millions d'euros pour de nouvelles opérations, avec des crédits de paiement estimés à plus de 140 millions d'euros. Nous envisageons la commande de 2 000 places et la livraison de 4 000 places.
Parmi les projets majeurs figurent la construction d'un nouveau bâtiment de casernement pour les élèves sous-officiers d'active à Saint-Maixent et la réhabilitation complète d'un bâtiment pour les élèves et stagiaires du service de santé à Bron. Ces opérations impliquent des rénovations approfondies, au-delà d'un simple rafraîchissement.
En matière de logement, l'année 2025 sera marquée par une intensification des mises en chantier, avec le lancement de la construction de 685 logements. Concernant la rénovation, nous prévoyons d'initier plus de 3 650 rénovations. À titre d'exemple, des rénovations seront entreprises à Brétigny-sur-Orge et des constructions neuves à Toulon.
Outre ces logements familiaux appartenant à l'État, dits logements domaniaux, nous maintenons nos efforts dans un parc pour lequel nous sommes réservataires, en concluant des conventions avec divers types de bailleurs, ce qui mobilise également des ressources importantes.
Le ministère des armées mène une politique de logement unique au sein de l'État, se distinguant des autres catégories d'agents publics. Cette politique bénéficie de moyens constants et s'appuie sur des textes autorisant des abattements allant jusqu'à 50 % sur les loyers du marché dans les zones tendues, incluant Paris, la région parisienne, mais aussi les régions bordelaise et toulonnaise.
Notre politique mobilise de nombreux leviers et ressources, reposant sur des bases juridiques spécifiques. Les efforts déployés résultent d'arbitrages budgétaires. Bien que les conditions de vie des militaires en enceinte militaire constituent une priorité, nous devons également prendre en compte les dépenses d'infrastructures technico-opérationnelles indispensables à la mise en œuvre des nouveaux équipements, qu'il s'agisse de navires, d'aéronefs ou d'engins roulants.
Nous sommes donc contraints d'effectuer un compromis. Néanmoins, je peux affirmer qu'à moyen terme, les termes de ce compromis évoluent chaque année en faveur des problématiques liées aux conditions de vie en enceinte militaire.
M. Christophe Blanchet (Dem). Dans le cadre de mes attributions, je souhaiterais aborder trois points. Premièrement, concernant les réservistes, vous avez mentionné l'objectif de 30 jours de mobilisation pour chacun d'entre eux. Je comprends que cela concerne les RO1, mais je souhaite évoquer les RO2. Le CEMAT, lors de son intervention la semaine dernière, a indiqué que les RO2 ne constituaient pas une priorité actuelle. Or, il s'agit de militaires mobilisables entre deux et cinq ans après leur mission. Un rapport antérieur soulignait que ces RO2 se sentent souvent déconsidérés, estimant ne pas être sollicités et parfois méconnus des régiments.
Ne serait-il pas pertinent d'envisager leur mobilisation, compte tenu de leurs compétences et de leur motivation potentielle à effectuer cette réserve, voire à accompagner les réservistes RO1 ? J'aimerais comprendre pourquoi cet aspect ne figure pas parmi les objectifs de la LPM actuelle.
Ma deuxième interrogation porte sur le lien armée-nation, sujet que vous n'avez pu aborder. Je préfère parler de « lien armée dans la nation », car il n'existe pas de distinction entre les deux, comme nous l'avions souligné dans un rapport présenté ici en juin. Comment envisagez-vous le développement des initiatives efficaces en la matière, notamment les cadets de la défense ? Par ailleurs, bien que cela relève moins directement de vos attributions, comment comptez-vous soutenir concrètement les classes défense ?
Enfin, puisque vous l'avez évoqué dans votre conclusion, pourriez-vous nous apporter des précisions supplémentaires concernant l'intelligence artificielle ?
M. Christophe Mauriet. La politique de développement des réserves initiée par le ministre Lecornu est multidimensionnelle. Le chef d’état-major de l'armée de terre, lors de son audition, a probablement souhaité souligner que la priorité actuelle portait sur la RO1. Néanmoins, le ministre n'a nullement manifesté un désintérêt pour la RO2. Au contraire, il a sollicité l'ensemble des acteurs du ministère afin de mobiliser plus activement le vivier des anciens militaires ayant récemment quitté le service. Je vous invite à échanger avec les états-majors pour obtenir une vision plus précise de cette question, tout en comprenant votre inquiétude et votre insatisfaction.
Concernant les liens entre l'armée et la nation, le budget 2025 comporte des éléments intéressants, notamment sur la JDC. Sous la direction du ministre Lecornu, nous avons collaboré ces derniers mois avec le général Givre, directeur du service national et de la jeunesse, pour réformer en profondeur la JDC. L'objectif est d'en faire un rendez-vous plus marquant et significatif pour la jeunesse, qui engagera davantage l'avenir de chaque jeune citoyen, contrairement à l'expérience actuelle parfois perçue comme routinière et superficielle.
Nous visons à intensifier cette expérience pour chaque jeune et à créer une relation durable. Cela implique un renouvellement du contenu de la journée, en mettant l'accent sur les aspects liés à la défense. Une enveloppe de 15 millions d'euros est prévue, notamment pour l'acquisition de matériel, afin de confronter les jeunes aux réalités concrètes de la défense moderne. L'objectif assumé est de susciter des vocations et de nourrir un intérêt pouvant mener à diverses formes d'engagement, y compris la signature de contrats, dont les armées ont tant besoin.
Cette réforme de la JDC, qui a succédé à la JAPD il y a une quinzaine d'années, vise à redynamiser un dispositif devenu quelque peu atone. L'ambition politique est de lui insuffler une nouvelle vigueur, sans pour autant négliger d'autres initiatives. Les armées abordent la question de la jeunesse de manière proactive, y consacrant des ressources et une réflexion approfondie. La stratégie ministérielle dans ce domaine est en phase de renforcement et gagne en priorité.
Concernant l'intelligence artificielle (IA), l'année 2024 a marqué une étape importante avec la création de l'agence ministérielle de l'IA de défense (Amiad). Cette structure fédère les actions, initiatives et capacités existantes, et vise à doter le ministère de compétences fondamentales. Le ministre a évoqué la mise en place d'une capacité de calcul de premier ordre.
L'IA suscite déjà des changements dans les états-majors et les services administratifs, permettant le redéploiement et l'allègement de certaines tâches. Des cas d'usage auparavant gourmands en ressources humaines sont désormais gérés par des algorithmes. Cependant, des prérequis essentiels concernent la gestion des données, comme leur organisation ou leur classification. L'Amiad stimule cet effort de mise en ordre des données dans toutes les entités du ministère.
Des gisements considérables de données financières et RH peuvent déjà conduire à une réinvention de certaines tâches ou métiers administratifs. Nous sommes engagés dans un processus qui transformera de nombreux métiers, non seulement dans l'administration, mais aussi dans les fonctions d'état-major et potentiellement dans la préparation et la conduite des opérations. L'IA est appelée à prendre une importance majeure dans tous ces domaines.
M. Bernard Chaix (UDR). Le groupe UDR accueille favorablement l'augmentation de 3,3 milliards d'euros du budget de la mission défense. M. le ministre Lecornu avait pertinemment souligné que les réductions budgétaires des trois dernières décennies avaient entraîné la suppression d'un régiment sur deux dans l'armée de terre. Cette diminution des effectifs a dissuadé de nombreux jeunes Français de s'engager dans une carrière militaire, perçue comme moins prometteuse.
Néanmoins, face au réarmement mondial, il est impératif d'assurer la relève de nos forces armées par les nouvelles générations. Je constate que la mission prévoit le recrutement de plus de 3 600 apprentis, un point déjà abordé auquel vous avez apporté une réponse exhaustive.
Je souhaite cependant revenir sur l'allocation de 11 millions d'euros supplémentaires à la politique des ressources humaines. Pouvez-vous confirmer que ces fonds additionnels seront consacrés à l'amélioration du recrutement et de la fidélisation de ces apprentis ? Envisagez-vous de lancer une campagne nationale de communication pour attirer ces jeunes talents ? Quelles actions concrètes comptez-vous mettre en œuvre pour atteindre cet objectif de 3 600 apprentis ?
M. Christophe Mauriet. Je suis particulièrement sensible à votre introduction. La question de la prise de conscience, de la perception et de la place de la défense, ainsi que des carrières au sein du ministère des armées, notamment militaires, revêt une importance capitale. Chacun d'entre nous peut contribuer à cette réflexion.
Nous avons constaté ces dernières années une forme d'effacement ou d'éloignement des préoccupations du pays concernant les questions de défense. Cette phase a été suivie par les événements tragiques de la période actuelle, suscitant un regain d'intérêt et un réengagement. Il incombe à chacun d'entre nous d'alimenter et de concrétiser cette dynamique.
L'apprentissage joue un rôle prépondérant dans ce contexte. Contrairement aux idées reçues, il ne se limite pas aux formations techniques, mais s'étend aux élèves d'écoles d'ingénieurs, de commerce, d'instituts d'études politiques et de facultés de droit. Cette modalité de formation allie l'enseignement universitaire classique à une mise en situation concrète, offrant une exposition précoce à la réalité professionnelle.
Pour que cette expérience soit véritablement formatrice, l'implication d'un maître d'apprentissage s’avère indispensable. Cette responsabilité exige un investissement réel, supérieur à celui d'un directeur de thèse envers son doctorant, ce dernier jouissant d'une plus grande autonomie. Actuellement, nous nous efforçons de susciter des vocations de maîtres d'apprentissage.
Vous avez raison de souligner la nécessité d'intensifier la sensibilisation. Nous devons privilégier des moyens de communication internes au ministère plutôt que grand public. En effet, l'intérêt des jeunes pour l'apprentissage au ministère des armées est déjà manifeste.
Aujourd'hui, un quart de nos apprentis sont recrutés dans le secteur du numérique, illustrant l'association réussie entre le ministère des armées et l'innovation technologique. Néanmoins, l'apprentissage ne se cantonne pas aux métiers techniques. Il concerne également les relations internationales, les fonctions administratives, financières et d'achat public, qui connaissent des tensions. Les métiers de gestion administrative et de paie pour les militaires sont également concernés.
Dans l'optique de former nos propres collaborateurs, nous devons activer ce levier de l'apprentissage pour répondre aux besoins dans ces différents domaines.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons à présent aux questions des députés. La parole est à Mme Nadine Lechon pour la première question.
Mme Nadine Lechon (RN). Monsieur le secrétaire général, la mixité dans nos armées et l'accompagnement du personnel constituent des missions prioritaires depuis 2019 pour le gouvernement. Cette quête de mixité exige la mise en place d'infrastructures adaptées. Le projet annuel de performance exprime l'ambition d'étendre l'offre de garde d'enfants, notamment par l'édification de crèches supplémentaires. Cependant, je m'interroge sur la précision selon laquelle ces constructions s'effectueront en collaboration avec les collectivités locales.
Dans d'autres domaines, tels que le logement de nos soldats, les collectivités ont déjà été sollicitées pour participer aux efforts. Ainsi, cette volonté de coopérer avec les collectivités concernant l'accompagnement des familles de militaires manque de clarté à mes yeux. Je souhaiterais obtenir des éclaircissements sur la méthodologie concrète qui sera adoptée pour soutenir nos militaires, leurs familles et leurs enfants, particulièrement les plus jeunes. De plus, je m'interroge sur les modalités de déploiement de ces crèches et centres de vacances sur le territoire et auprès de nos forces armées.
M. Thierry Tesson (RN). Monsieur le secrétaire général, je souhaite vous interroger sur l'état préoccupant des infrastructures sportives mises à la disposition de nos soldats. J'ai personnellement constaté cette situation au 41e régiment de transmission à Douai, au cœur de ma circonscription, et d'autres témoignages ont également fait état de ces difficultés.
En 2023, la Cour des comptes a révélé que les installations sportives de Saint-Cyr Coëtquidan se trouvaient dans un état déplorable. J'espère que ce ne sont pas celles que j'ai connues lors de mon service militaire, il y a fort longtemps.
Ces infrastructures revêtent une importance capitale pour la condition physique des soldats. J'irais jusqu'à affirmer qu'elles constituent le fondement du maintien de la capacité opérationnelle de nos armées.
Concernant ces installations sportives, je vous pose donc deux questions : disposez-vous d'un inventaire détaillé de leur état sur l'ensemble du domaine foncier de la défense ? Existe-t-il un plan de rénovation, voire une ligne budgétaire spécifique ?
Mme Anna Pic (SOC). Dans le cadre des partenariats avec les collectivités territoriales, j'aimerais obtenir des précisions sur les projets cofinancés prévus pour les deux prochaines années, qui permettront de mettre en œuvre le plan « famille » récemment proposé. À Cherbourg-en-Cotentin, nous venons d'inaugurer une crèche cofinancée par la ville et les armées, ce qui constitue une excellente initiative. Cependant, certains projets ne se concrétisent pas. Or, comme nous l'avons souligné, ces partenariats représentent un élément essentiel pour la fidélisation du personnel.
Par ailleurs, la question de l'externalisation mérite notre attention. Nos bases de défense se trouvent parfois dans un état préoccupant, et de nombreux personnels civils déplorent l'impossibilité d'effectuer des travaux de maintenance mineurs sans recourir à l'externalisation, faute de budget suffisant. Des inquiétudes persistent également concernant la restauration, le soutien et la blanchisserie.
M. Christophe Mauriet. L’exemple de Cherbourg s'inscrit dans notre volonté de partenariat avec les collectivités locales. Bien que le budget des armées soit conséquent, nous préférons monter des tours de table, même si cela peut exercer une pression sur les budgets des collectivités concernées. C'est une question de choix et d'orientation à laquelle le ministre attache une grande importance.
Généralement, les collectivités locales manifestent de l'intérêt pour cofinancer des structures de type crèche ou petite enfance avec le ministère des armées. L'institution de gestion sociale des armées (Igesa), notre opérateur, a déjà conclu cinq ou six accords-cadres avec des intercommunalités, des départements et parfois des régions sur l'ensemble du territoire national.
Nous sommes conscients que cela implique pour les collectivités locales une forme de priorisation ou de choix sous contrainte. L’an prochain, nous consacrerons 10 millions d’euros en crédits d’investissement au développement de l’offre en matière de petite enfance. Dans un contexte de marché du travail tendu pour la petite enfance, l'Igesa mène une politique salariale accommodante pour rester compétitive. En 2025, nous prévoyons la création de trois crèches à Paris (boulevard Mortier), Évreux et Varces, l'accompagnement de deux maisons d'assistantes maternelles et la réservation de 71 berceaux supplémentaires.
Concernant les installations sportives, la hiérarchisation des priorités incombe à l'armée bénéficiaire de l'infrastructure. Je suis particulièrement attentif à la nécessité de maintenir ces installations en bon état. Si des chefs d'état-major souhaitent un effort particulier dans ce domaine, ils l'expriment et obtiennent satisfaction.
Il est en effet indispensable de disposer de budgets pour des interventions de maintenance courante dans les formations administratives et les implantations locales du service d'infrastructure de la défense. La transformation du SID passe notamment par l'arrêt de la réduction des effectifs des régies. L'expérience a démontré qu'il était plus efficace et économiquement viable de conserver un contingent de collaborateurs dédiés à ces missions d'entretien, essentielles à la qualité de vie dans les corps de troupe et les établissements.
Cette orientation marque un tournant par rapport à la période précédente qui visait une externalisation quasi-totale. Nous avons mis un terme à cette approche, constatant les effets d'une politique d'externalisation probablement menée de façon excessive et trop dogmatique.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Je souhaiterais vous interroger sur le lien armée-nation, Monsieur le secrétaire général. Ayant assisté à l'exercice Orion dans les plaines du Grand Est, ma région d'origine, je m'interroge sur les moyens d'améliorer l'implication des territoires et des collectivités dans nos armées. Ne serait-il pas judicieux d'envisager la réquisition de bâtiments communaux pour optimiser les conditions d'entraînement de nos militaires sur le terrain, lorsque cela s'avère possible ?
J'ai en effet constaté un manque regrettable de coordination entre une collectivité locale et le régiment qui s'exerçait sur place. Je me demande si la réquisition de bâtiments communaux ne constituerait pas une solution bénéfique pour nos forces armées. Quel est votre avis sur cette question ?
M. Christophe Mauriet. Je ne vais pas exprimer d'opinion personnelle, mais il me semble préférable de privilégier la relation de confiance entre les élus d'un territoire et l'unité militaire en garnison avant d'envisager le recours à la réquisition, qui demeure un moyen assez brutal ou du moins relativement exorbitant du droit commun. La réquisition n'est pas illégitime en soi ; elle est prévue dans la LPM, notamment pour des questions de mobilisation économique et d'économie de guerre concernant principalement les acteurs industriels. De plus, lors des phases successives des stades de défense pouvant mener à une mobilisation générale, l'État peut être contraint, dans l'intérêt public, de procéder à des réquisitions.
Cependant, dans le cas précis que vous mentionnez où il semble exister une certaine indifférence ou mésentente préalable, j'entrevois difficilement comment éviter une dégradation ultérieure après la mise en œuvre d'une réquisition. Il est probable qu'une telle mesure aggrave encore davantage la difficulté initiale. Par conséquent, je pense qu'il serait plus judicieux que le colonel et le maire prennent véritablement le temps de faire connaissance. Mon expérience limitée montre généralement que les élus sont soucieux d'entretenir les meilleures relations possibles avec les établissements et structures relevant du ministère des armées et vice versa.
En conclusion, bien que légale et parfois nécessaire dans certains contextes spécifiques comme ceux prévus par la LPM pour assurer l'intérêt public en période critique, la réquisition apparaît ici comme un procédé excessif par rapport aux objectifs visés.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Mon intention était simplement de mettre en lumière une proposition de loi que j'avais élaborée à la suite d'un incident spécifique. Force est de constater que les élus ne sont pas toujours en phase avec les armées, ce qui est regrettable.
M. Christophe Mauriet. Concernant le principe de l'administration et des collectivités locales, je souligne l'importance capitale de la négociation, du travail collaboratif et de la connaissance mutuelle. En effet, bien que la perfection soit inatteignable, ces éléments demeurent essentiels pour favoriser une coopération efficace entre les différents échelons administratifs et territoriaux.
M. le président Jean-Michel Jacques. Merci beaucoup, Monsieur le secrétaire général et mes chers collègues. Nous nous retrouvons à onze heures pour la prochaine audition.
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La séance est levée à dix-heures quarante-quatre.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Édouard Bénard, M. Christophe Blanchet, M. Manuel Bompard, M. Philippe Bonnecarrère, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, M. Alexandre Dufosset, Mme Sophie Errante, M. Guillaume Garot, M. Frank Giletti, M. Damien Girard, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Abdelkader Lahmar, Mme Nadine Lechon, M. Didier Lemaire, Mme Murielle Lepvraud, Mme Lise Magnier, M. Sylvain Maillard, Mme Michèle Martinez, M. Thibaut Monnier, M. Karl Olive, M. Aurélien Pradié, Mme Marie Récalde, Mme Catherine Rimbert, M. François Ruffin, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Thierry Sother, M. Thierry Tesson, M. Romain Tonussi, Mme Corinne Vignon
Excusés. - Mme Cyrielle Chatelain, Mme Caroline Colombier, M. Thomas Gassilloud, Mme Clémence Guetté, Mme Alexandra Martin, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Mereana Reid Arbelot, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud