Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
— Audition, ouverte à la presse, de M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, sur le projet de loi de finances 2025.
Mercredi
23 octobre 2024
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 13
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président
— 1 —
La séance est ouverte à seize heures trente.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous poursuivons cet après-midi notre cycle d'auditions consacré au projet de loi de finances pour 2025 en recevant M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement.
Vous êtes responsable, aux côtés du chef d'état-major des armées, du programme 146 dédié à l'équipement des forces armées. Et je salue notre rapporteur sur ce programme, M. François Cormier-Bouligeon.
Les enjeux budgétaires du programme 146 sont considérables : il mobilise plus de 55 % des autorisations d'engagement et 30 % des crédits de la mission défense. Sur le plan capacitaire, l'année 2025 sera notamment marquée par le renouvellement de notre dissuasion nucléaire avec des commandes atteignant les 26 milliards d'euros.
Nous attendons vos éclaircissements sur ces efforts inédits en faveur de la dissuasion nucléaire, dans les limites imposées par le secret-défense.
Au-delà de la dissuasion, le projet de loi traduit les grandes priorités capacitaires définies par la loi de programmation militaire 2024-2030. Cela inclut notamment la défense sol-air, les drones et les munitions. À cet égard, nous espérons que vous reviendrez sur les récents essais menés par la DGA concernant les nouveaux missiles de défense sol-air et les munitions téléopérées.
Enfin, nous souhaiterions un premier point d'étape sur la transformation en cours au sein de la DGA. Il serait pertinent d'aborder notamment la rapidité d'acquisition des équipements ainsi que les mesures prises pour simplifier ces processus dans une logique économique adaptée aux besoins actuels.
Monsieur le délégué général, je vous cède la parole.
M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Je souhaite tout d'abord vous féliciter pour vos élections et réélections respectives et pour avoir choisi cette commission essentielle, dans un contexte de tensions internationales sans précédent depuis la fin de la Guerre froide.
C'est un honneur de poursuivre nos efforts au profit de notre défense nationale, en commençant par ce projet de loi de finances 2025.
Concernant le contexte budgétaire, nous pouvons nous réjouir du maintien de la trajectoire de la loi de programmation militaire (LPM), indispensable pour poursuivre les programmes en cours et lancer les suivants.
Concrètement, le programme 144 bénéficie de 1,4 milliard d'euros en crédits de paiement pour la recherche et technologie, couvrant la dissuasion, les écoles, l'Onera et l'institut franco-allemand de Saint-Louis.
Le programme 146 dispose de 18,7 milliards d'euros, dont 10,7 milliards pour les programmes à effet majeur, 5,7 milliards pour la dissuasion (auxquels s'ajoutent 0,9 milliard du P.178 et 0,2 milliard du P.144), et 1,6 milliard pour les autres opérations d'armement.
L'année 2025 sera exceptionnelle, marquée par le lancement de programmes structurants : le porte-avions de nouvelle génération, le Rafale, l'ASN4G, le drone de combat Ucav, le renouvellement de la composante océanique de dissuasion avec le missile M51.4, et le programme Slam-F pour la guerre des mines. Des livraisons majeures sont également prévues : 14 Rafales, un A400M, une frégate de défense et d'intervention, 308 blindés Scorpion, 60 véhicules Fardier et 28 véhicules légers pour les forces spéciales.
Cette année 2025 représente un tournant majeur pour les quarante prochaines années, déterminant l'avenir de notre dissuasion et de notre système de défense. Sans la marche LPM, aucune nouvelle opération ne pourrait être engagée l'an prochain.
Il convient de souligner la complexité inédite de mise en œuvre de cette démarche capacitaire, due à plusieurs facteurs. Le contexte international, avec des crises qui se succèdent et se superposent, entraîne une évolution permanente des besoins. La guerre en Ukraine a remis en lumière certaines innovations comme les drones, l'artillerie, la défense sol-air et la guerre électronique. Les bouleversements géopolitiques entraînent des répercussions sur nos approvisionnements et nos dépendances.
Nos missions se sont multipliées et étendues, notamment le soutien à l'Ukraine, impliquant des cessions d'équipements et la mobilisation d'une task force pour connecter nos industriels aux besoins ukrainiens. La DGA participe également à l'utilisation des intérêts des avoirs russes gelés, bénéficiant directement à l'industrie française à hauteur de 300 millions d'euros en 2024.
L'économie de guerre et l'extension de la réserve DGA, tant en nombre qu'en profils, ainsi que la création de la réserve industrielle de défense, contribuent au lien armée-nation.
Les programmes eux-mêmes constituent un facteur de complexité, subissant des aléas liés à leur nature intrinsèque ou aux dépendances issues des coopérations.
La pluriannualité de la LPM, bien que nécessaire pour les grands programmes et la préparation de l'avenir, requiert une capacité d'adaptation. Il faut savoir prendre des décisions radicales, comme l'arrêt de programmes au moment opportun pour éviter des coûts excessifs et préserver notre fiabilité et la visibilité dont nos industriels ont besoin.
Le facteur de complexité lié aux enjeux économiques, à l'inflation et à la pression sur les finances publiques se manifeste par des gels importants. Cette situation souligne la difficulté d'implémenter cette LPM, qui constitue un vecteur de stabilité essentiel pour notre travail.
Nous devons optimiser les ressources allouées afin de respecter les efforts consentis par la Nation. Deux axes d'efforts ont été lancés depuis 2022 et se prolongent jusqu'en 2025 : l'économie de guerre et la transformation de la DGA. Sous l'impulsion du ministre des armées, plusieurs chantiers ambitieux ont été initiés pour préparer le passage à une économie de guerre, conformément à la volonté du Président annoncée lors du salon Eurosatory en 2022. L'objectif est d'être prêts à réagir rapidement en cas de crise.
Je tiens ici à saluer le travail des équipes de la DGA qui, depuis deux ans, n'ont laissé aucun sujet sans réponse. Les cadences et délais de production ont été augmentés et réduits respectivement. Par exemple, dans le PLF 2025, nous avons accéléré la production des missiles Aster avec six fois plus livraisons que prévu initialement.
La relocalisation est également essentielle. Onze projets sont en cours tandis que dix autres sont étudiés. À Bergerac, nous avons posé cette année la première pierre d'une usine qui produira des explosifs dès l'année prochaine. D'autres initiatives concernent notamment le soudage pour les aciers spéciaux utilisés dans les sous-marins.
En 2023, j'ai décidé d'améliorer le processus des programmes d'armement avec une analyse critique systématique des fonctionnalités coûteuses en termes financiers ou temporels pour tous les nouveaux projets prévus jusqu'en 2025. Nous collaborons parfois avec l'industrie civile pour adopter leurs meilleures pratiques comme ce fut le cas lors d'un hackathon impliquant Renault sur un projet robotique militaire permettant ainsi une réduction significative des coûts tout en augmentant considérablement sa durée opérationnelle.
Concernant les drones, à la suite des questions posées récemment sur ce sujet stratégique, nous avons lancé une dynamique collective visant à renforcer cette filière industrielle grâce au pacte drones signé par le ministre lors du salon Eurosatory.
Vous avez voté diverses dispositions normatives et réglementaires relatives aux réquisitions prioritaires ainsi qu'à la constitution stratégique des stocks dans cette LPM. Elles sont actuellement traduites réglementairement permettant ainsi une action dynamique voire coercitive si nécessaire envers les entités concernées. L’article 49 de la LPM a été décliné par un décret du 28 mars 2024 et suivi d’un arrêté stock, d’autres étant en cours de constitution. Cet arrêté a été signé le 14 mai 2024 par la société MBDA. Il s’agit d’ailleurs d’une demande émise par l’industriel, qui souhaite recevoir une aide pour la montée en cadence de sa production en vue de constituer les stocks essentiels.
Le décret du 1er octobre 2024 relatif aux réquisitions pour les besoins de la défense et de la sécurité nationale s’articule avec les différents régimes juridiques portant sur la préparation à la gestion des crises. Il a été publié au Journal officiel du 2 octobre. Les dispositions sont entrées en vigueur le lendemain.
Au niveau européen, des avancées notables méritent d’être signalées. L’Edirpa, constitué de 300 millions d’euros du budget de l’Union européenne, vise à soutenir l’acquisition conjointe d’équipements. Adoptée en fin d’année 2023, la démarche a permis de faciliter la conclusion d’arrangements d’acquisitions conjointes, s’agissant notamment des munitions Mistral et des canons Caesar. Ces arrangements offrent aux industriels une visibilité accrue sur leurs carnets de commandes et répondent aux besoins de partenaires qui ne souhaitent pas conduire eux-mêmes la contractualisation. Ils se reposent donc sur la DGA pour mener ces acquisitions au nom et pour le compte d’un ensemble de partenaires.
Pour sa part, l’initiative Asap mobilise 500 millions d’euros en soutien à l’outil industriel de protection des munitions et de missiles, avec l’ambition d’éviter d’éventuels goulets d’étranglement. Les industriels français ont remporté quatre projets dans le cadre de l’appel d’offres européen.
Nous concentrons également nos efforts sur divers instruments européens, notamment le fonds européen de défense 2025, destiné à initier les futurs travaux sur les briques technologiques en matière de recherche et développement. Parallèlement, nous négocions l'instrument Edip qui facilitera l'acquisition conjointe de production européenne sur la période 2025-2027. Il est essentiel de rester vigilant quant à la mise en application de cet instrument et aux critères d'éligibilité à ce mode de financement.
Le chantier de simplification constitue un élément central des travaux actuels et futurs de l'économie de guerre. Le 21 mai dernier, nous avons organisé un colloque avec les industriels, recueillant une centaine de propositions de nos partenaires. Ces suggestions sont actuellement examinées par nos services, et certaines simplifications sont expérimentées avec les industriels, notamment pour réduire les délais des opérations de vérification. Nous effectuerons un bilan de ces mesures en 2025.
Ces actions concernent la production, le soutien et le maintien en conditions opérationnelles. Dans le domaine des ressources humaines, nécessaires à la montée en puissance de la base industrielle et technologique de défense (BITD), nous avons mis en place un observatoire des métiers. Ses premiers résultats ont été communiqués en juillet dernier. Une enquête nationale sur les besoins en ressources humaines à court et moyen terme a également été lancée au profit de la BITD. L'objectif est de déployer des chantiers territoriaux de soutien au recrutement.
Nous menons plusieurs actions avec France Travail, notamment un forum de recrutement en ligne qui a réuni plusieurs centaines de personnes sur plusieurs jours. Nous approfondirons cette initiative par de nouvelles actions conjointes. De plus, nous déployons une réserve industrielle sous statut militaire, pilotée par la DGA, qui renforcera les effectifs de production des entreprises incluses dans le dispositif en cas d'engagement majeur. Cette réserve comprendra principalement des techniciens et des ouvriers sous statut militaire, rattachés à l'armée la plus concernée par le domaine en question. Notre objectif est d'atteindre environ 3 000 réservistes pour cette réserve industrielle.
Nous avons déjà signé trois conventions, avec Scania France, Geo4i (imagerie satellitaire) et Verney-Carron (armement petit calibre). Les conventions avec les grands groupes seront signées d'ici la fin de l'année.
Concernant les normes, sujet récurrent, des travaux sont en cours impliquant la DGA, le SGA, les forces et l'industrie, notamment sur l'évolution des normes applicables aux munitions. La réglementation Otan étant moins contraignante que la réglementation française, son emploi pourrait être envisagé. Nous travaillons également sur la navigabilité des aéronefs, des drones et des référentiels maritimes, visant à réviser les référentiels, particulièrement dans le domaine maritime.
Pour mener à bien ces chantiers, nous avons besoin d'une BITD solide, partenaire, acceptant le partage du risque, connaissant sa chaîne de sous-traitance et dynamique à l'export.
Dans cette optique, nous conduisons un chantier de transformation de la DGA, complémentaire aux chantiers d'économie de guerre. Ce projet, nommé Impulsion, vise à provoquer un changement culturel au sein de la DGA et à mettre en place une réorganisation, effective depuis la publication des textes en mars 2024.
Dans le cadre de cette transformation, nous cherchons à collaborer différemment avec les forces et l'industrie. Nous avons créé la force d'acquisition réactive, chargée de piloter des projets principalement sous contrainte de délais. À ce jour, dix-huit opérations sont gérées par cette force, dont cinq urgences opérationnelles, avec déjà quelques succès notables.
Nous avons livré des systèmes pour les Jeux olympiques de Paris, notamment les VL Mica et les drones anti-drones. Dans le contexte de la crise en Ukraine, nous avons fourni des drones de l'air et des munitions téléopérées, testées avec succès récemment. En mer Rouge, nous avons déployé sur nos frégates multi-missions un viseur Paseo, un système optronique issu du char Leclerc, permettant de caractériser et d'identifier les menaces à grande distance.
Nous expérimentons également des matériels dans le cadre d'exercices opérationnels avec les forces, ce qui nous permet de tester en amont des équipements acquis sur étagère ou des démonstrateurs, au plus près des conditions d'utilisation opérationnelle. Cette approche sensibilise les industriels et le personnel de la DGA aux réalités opérationnelles et nous permet de bénéficier directement des retours des utilisateurs.
Je rappelle que la DGA est garante de la performance globale du système de défense, et que parfois, la maîtrise d'ouvrage ne suffit plus pour assurer l'effet militaire recherché. La DGA doit recouvrer sa position de maître d'œuvre des systèmes de défense en réintégrant des compétences d'ingénierie pour piloter de façon cohérente l'ensemble des opérations contribuant aux effets militaires requis pour l'accomplissement d'une mission donnée. Nous avons instauré, entre 2024 et 2025, des communautés d'intérêts dans les domaines de la connectivité aéronautique et terrestre, ainsi que du combat aéroterrestre. Ces domaines nécessitent une cohérence technique globale du système de défense, au-delà d'une simple juxtaposition de contrats avec différents industriels. Ces communautés regroupent des personnels des états-majors et de la DGA afin de maîtriser les architectures d'ensemble, de leur conception à leur réalisation. D'autres communautés sont en cours de création dans le domaine aéronautique.
Pour transformer notre relation avec l'industrie, nous avons créé la direction de l'industrie de défense, visant à mieux évaluer, accompagner et optimiser la performance industrielle. Nous avons également mis en place les attachés de l'industrie de défense en région (Aider), présents dans toutes les régions pour superviser l'écosystème économique de défense, établir des liens privilégiés avec les services économiques de l'État en région, coordonner les instruments et conseiller techniquement chaque préfet de région. Ce dispositif novateur a été instauré il y a quelques mois.
Nous avons renforcé le plan action PME, rebaptisé Peps, pour inclure les start-up, TPE, PME et entreprises de taille intermédiaire. La DGA a souvent été accusée de privilégier les grands groupes, conséquence de la réduction des effectifs depuis 2000, passant de 100 000 à environ 10 500 personnes. Cette contraction nous a contraints à opter pour des contrats verticalisés via les grands groupes. Aujourd'hui, nous nous efforçons de collaborer davantage avec les PME. En 2023, sur 149 notifications de marché d'armement, 51 impliquaient une PME comme titulaire, cotraitante ou sous-traitante de rang 1.
D'autres chantiers sont en cours, notamment la simplification des suivis et des contrôles qualité, avec une adaptation des exigences au juste besoin, en concertation avec les forces armées, impliquant un partage du risque pour alléger le suivi et les contrôles de réception et optimiser la maîtrise des risques industriels et étatiques.
En conclusion, je tire trois enseignements majeurs. Premièrement, l'économie de guerre réaffirme le rôle stratégique de la DGA pour la base industrielle et technologique de défense, en structurant les filières, en suivant la production, en cartographiant et résolvant les goulets d'étranglement, en maîtrisant les chaînes de sous-traitance et en veillant à ce que la visibilité offerte par la LPM bénéficie à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance.
Deuxièmement, la transformation ne peut s'opérer seule, mais en coopération avec l'état-major des armées et les états-majors d'armées. L'état-major des armées a lancé le projet « post-combustion » pour renouveler la démarche capacitaire, répondant aux enjeux du temps court et du temps long. La DGA s'adapte à ces deux aspects.
Troisièmement, le modèle DGA est conforté. Malgré la complexité croissante de la démarche capacitaire, nous avons engagé 20 milliards d'euros en 2023, un record, tout en assumant de nouvelles missions et en poursuivant nos programmes. Nous attirons l'attention de partenaires étrangers souhaitant reproduire notre modèle. Les défis actuels ne font que renforcer la pertinence du modèle DGA, créé par le général de Gaulle et Pierre Messmer.
Je souhaite que ce bilan et ces perspectives vous confirment notre maîtrise approfondie de nos missions. Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous donnons maintenant la parole aux orateurs de groupes.
M. Julien Limongi (RN). Monsieur le délégué général, j'aimerais aborder deux sujets déterminants pour l'avenir de nos capacités de défense : le système de combat aérien du futur (Scaf), destiné à remplacer le Rafale, et le système principal de combat terrestre (main ground combat system - MGCS), qui succédera au char Leclerc. Ces projets stratégiques nécessitent des éclaircissements.
L'examen des documents budgétaires révèle deux points notables. Le projet de loi de finances 2025 prévoit, dans l'action 0962 « frapper à distance Scaf », 813 millions d'euros en autorisations d'engagement au titre des dépenses de fonctionnement, alors que cette action était dépourvue de financement dans le PLF 2024. Parallèlement, l'action 0980 « opérer en milieu hostile MGCS » connaît une augmentation de 65 millions d'euros en autorisations d'engagement par rapport à 2024.
Pourriez-vous nous éclairer sur la nature de cette nouvelle dépense concernant le Scaf ? Le PLF ne fournit pas de détails précis. S'agit-il, par exemple, d'un projet incluant l'embarquement nucléaire ? La nature exacte de cette dépense demeure imprécise, tout comme l'orientation technique que prend le Scaf.
Concernant le MGCS, nous souhaitons évoquer la possibilité de développer un char intermédiaire en attendant le char du futur. Si nous sommes favorables à une coopération internationale dans le développement de certains équipements militaires, notamment pour maîtriser les coûts, il est impératif que cette coopération soit harmonieuse et cohérente.
Nous nous interrogeons également sur les divergences qui semblent se dessiner entre l'évolution des doctrines militaires françaises et allemandes.
De plus, des investissements sont déjà engagés, alors que nous ne disposons pas encore d'une vision claire sur le produit final ni sur les acteurs industriels impliqués. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous apporter des précisions sur les dépenses prévues dans le PLF 2025 pour le Scaf et le MGCS.
M. Emmanuel Chiva. Vous savez que le projet Scaf, signé en 2022, entre dans sa phase dite 1B. Nous avons lancé les travaux industriels sur l’ensemble des piliers du NGWS (next generation weapon system), selon un accord de coopération qui prévoit une phase 2, impliquant la réalisation d’un démonstrateur. Ce sont bien les dépenses comprises dans les postes que vous soulignez.
Je ne peux pas garantir la tenue de la date prévue pour la phase 2, qui dépendra notamment des élections à venir chez certains de nos partenaires étatiques. Le ministre a annoncé un sommet en décembre réunissant la France, l'Allemagne et l'Espagne pour discuter des périmètres opérationnels liés à la doctrine française de dissuasion, de l'utilisation sur porte-avions et des potentialités d'exportation du système.
Le Scaf reste à définir précisément. Quoi qu'il en soit, le Rafale F5 connaîtra une évolution pour répondre à nos besoins de dissuasion et d'emport de la nouvelle composante aéroportée ASN4G. Un point d'étape, prévu dans la LPM, sera effectué entre les phases 1B et 2 lors de ce sommet avant la fin de l'année.
Concernant le MGCS, nous avons signé l'accord et sommes en train de créer une société de projets. Les actionnaires fondateurs sont KNDS Allemagne, KNDS France, Rheinmetall et la division Six de Thales. La constitution de cette société a pris plus de temps que prévu, repoussant la notification des premiers contrats initialement envisagée début 2025. Les crédits alloués correspondent au lancement de la phase d'études et de démonstrations technologiques prévue l'année prochaine.
Je tiens à préciser que nous n'en sommes qu'au début du projet. Par ailleurs, sachez que la question de la prolongation du char Leclerc jusqu'en 2040 est bien identifiée.
M. François Cormier-Bouligeon (EPR). Je tiens à vous remercier, au nom de mon groupe, Ensemble pour la République, pour la clarté de ces propos malgré la complexité des sujets abordés. Je salue également la réorganisation de la DGA visant à préparer notre BITD à l'économie de guerre et à répondre aux besoins de nos forces, conformément aux directives du chef de l'État et du ministre des armées.
Après les interrogations sur les segments terre et air, je souhaite aborder le segment marine, en commençant par le renouvellement de la dissuasion océanique avec le SNLE 3G. Le projet de loi de finances 2025 prévoit plus de 11,5 milliards d'euros d'autorisations d'engagement pour le lancement en réalisation du renouvellement de nos sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Cet effort financier considérable vise à maintenir l'efficacité et la crédibilité de la composante océanique de notre dissuasion.
Compte tenu de l'ampleur des montants en jeu, il me paraît essentiel que la représentation nationale puisse saisir pleinement les enjeux et défis d'un tel programme.
Monsieur le délégué général, pouvez-vous détailler ce que recouvrent précisément ces 11,5 milliards d'euros ? Pourriez-vous également préciser les enjeux opérationnels, technologiques et industriels liés au renouvellement de nos sous-marins, ainsi que le calendrier de livraison des SNLE 3G ?
Concernant le porte-avions nucléaire de nouvelle génération, le PLF 2025 lui alloue 10,2 milliards d'euros d'autorisations d'engagement. Malgré l'importance de ces engagements financiers, la documentation budgétaire demeure peu précise sur leur affectation. Le projet annuel de performance du programme 146 se limite à mentionner la commande du marché principal du PNG. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements sur la nature concrète de ces 10,2 milliards d'euros d'autorisations d'engagement ? Pour quelle raison parle-t-on de marché principal ? Quelle est l’évaluation actuelle du coût global du porte-avions nouvelle génération à ce stade ?
M. Emmanuel Chiva. Le programme SNLE 3G représente actuellement l'entreprise technologique la plus complexe. Un sous-marin nucléaire lanceur d'engins combine en effet plusieurs fonctions : navire armé, autoprotégé, submersible, lanceur de missiles et doté d'une centrale nucléaire embarquée.
Les enjeux principaux de ce programme consistent à répondre à l'évolution des menaces, notamment en termes d'invulnérabilité. L'objectif est de permettre au sous-marin de « se diluer dans l'océan », selon l'expression consacrée des marins. Cela implique l'intégration de technologies avancées en matière de discrétion acoustique et de performance des chaufferies nucléaires. De plus, ces nouveaux bâtiments devront être capables d'embarquer les missiles M51 de nouvelle génération.
Le périmètre du programme englobe le développement et la construction des sous-marins, y compris leurs chaufferies nucléaires, ainsi que l'adaptation des moyens de qualification et d'essais, tant étatiques qu'industriels. Étant donné la spécificité des SNLE, il est nécessaire de disposer de simulateurs et de plateformes d'entraînement dédiés aux équipages, tout en respectant les interfaces avec les installations terrestres.
Le programme vise à produire quatre sous-marins destinés à remplacer les quatre SNLE de type Le Triomphant actuellement en service. Le calendrier prévoit un stade d'orientation lancé en août 2015, une phase de réalisation débutée en février 2021, et une mise en service opérationnelle du premier SNLE 3G en cohérence avec le retrait du dernier SNLE de type Le Triomphant, après 2035. Ces décisions engagent plusieurs générations.
Pour des raisons de confidentialité liées à la dissuasion, le coût unitaire et le devis du programme sont classifiés.
Concernant le porte-avions nucléaire de nouvelle génération, le PLF prévoit la poursuite de la phase de préparation et le devis de réalisation est en cours de négociation avec les industriels. Des approvisionnements à long terme ont été anticipés, notamment pour les chaufferies nucléaires, dont la réalisation ne peut être menée en parallèle. La planification tient compte des interactions entre les chaufferies des sous-marins, les cœurs nucléaires du futur porte-avions et l'éventuelle prolongation des cœurs nucléaires du porte-avions Charles de Gaulle.
La phase de préparation représente un coût de 1,3 milliards en coûts des facteurs de 2024. L'estimation globale du projet s'élève à environ 10,2 milliards d'euros, conformément aux annonces du ministre. Le lancement de la réalisation est prévu pour fin 2025.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Je tiens à saluer, Monsieur le délégué général, la richesse de vos propos. Je note avec satisfaction votre évocation du rôle de la DGA comme maître d'œuvre, et non plus seulement comme maître d'ouvrage. Cette évolution fait écho à des préoccupations et préconisations que nous avions formulées par le passé.
Concernant la soutenabilité à long terme du programme 146, nous observons que 58 milliards de crédits devront être ouverts après 2027, alors que le précédent PLF n'en prévoyait que 39,5 après 2026. Cette augmentation substantielle de 20 milliards d'euros pour des projets lancés soulève des interrogations quant à la soutenabilité budgétaire et aux défis financiers que nous pourrions rencontrer dans les années à venir. J'aimerais connaître votre avis sur la répartition des crédits et la manière dont nous allons pouvoir, dans une certaine mesure, lisser cette hausse importante des crédits à ouvrir à terme.
Plus spécifiquement, je souhaite vous interroger sur le programme d'achat de supercalculateurs pour la simulation. Compte tenu de la situation actuelle dans ce domaine, le ministre a récemment indiqué que le fournisseur français, qui semblait s'imposer naturellement, n'était plus en mesure de répondre aux besoins en matière d'intelligence artificielle. Je m'interroge donc : comment ce prestataire, Atos, pourrait-il encore fournir un supercalculateur pour la simulation de la dissuasion tout en n'étant pas compétitif dans le domaine de l'intelligence artificielle ? Cette situation me semble délicate à appréhender.
M. Emmanuel Chiva. Lorsque l'on évoque les supercalculateurs, il convient de distinguer ceux utilisés dans le domaine nucléaire de ceux dédiés à l'intelligence artificielle. Les premiers diffèrent des seconds, qui reposent sur des GPU principalement produits par Nvidia. En matière de souveraineté, quelle que soit la décision finale concernant le supercalculateur Asgard pour l'agence ministérielle de l'intelligence artificielle de défense, nous sommes encore en phase d'analyse des offres. Il est donc prématuré d'annoncer un choix définitif. Les processeurs intégrés à ces calculateurs proviennent tous de la même origine.
Concernant les autres types de supercalculateurs, notamment ceux destinés à la direction des applications militaires du CEA mentionnés par la ministre, ils sont acquis auprès d'Atos, une société reconnue mondialement dans ce secteur. Atos joue un rôle stratégique essentiel pour la dissuasion et la simulation militaire ; sa souveraineté a été préservée avec soin.
Pour ce qui est du marché lié à l'intelligence artificielle, nous attendons les résultats des offres tout en sachant que la durée de vie opérationnelle d'un supercalculateur dans ce domaine est relativement courte (deux à trois ans). Nous reviendrons donc rapidement sur cette question.
En termes de soutenabilité budgétaire et programmatique, plusieurs projets majeurs seront lancés entre 2025 et 2027 ayant un impact significatif sur cette décennie. Avec le chef d'état-major des armées – coresponsable du programme 146 –, nous suivons régulièrement ces dossiers lors des comités de pilotage afin d'assurer une vigilance constante. La loi de programmation militaire actuelle prévoit une gestion segmentée permettant un contrôle rigoureux des flux financiers grâce aux approches budgétaires et contractuelles adoptées avec nos partenaires industriels. Cette méthode permet également d’anticiper toute rigidité potentielle au sein des programmes concernés.
Enfin, il convient aussi de rappeler que cette loi introduit un nombre considérable « d'objets » ou projets importants comparativement aux lois précédentes. Cela explique en partie certains effets observables aujourd'hui.
M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC). Ma question porte sur les défis de cybersécurité auxquels font face les TPE-PME. Une étude récente menée conjointement par Cybermalveillance, la CPME, le MEDEF, l'union des entreprises de proximité et le club Hebios révèle un constat alarmant : 61 % des entreprises de moins de 250 salariés se considèrent mal protégées ou peinent à évaluer leur niveau de sécurité.
Ce risque n'est pas simplement théorique. Dans ma circonscription, une entreprise de transport en décembre dernier et une entreprise d’e-commerce il y a un mois ont été victimes de cyberattaques, avec des conséquences considérables. Je ne pense pas que ma circonscription soit particulièrement ciblée, malheureusement.
Concernant le secteur de la défense, nous espérons que la situation des PME est moins préoccupante que celle de l'ensemble des PME françaises en matière de cybersécurité. L'action de la DGA, qui a mis en œuvre le plan PME avec BPI France, offre un accompagnement financier aux entreprises du secteur de la défense qui en font la demande. Ce plan concerne près de 20 000 PME.
Nous savons également que le niveau de sécurité a été renforcé autour de certains chefs d'entreprise, notamment les sous-traitants de grands groupes. Le ministre de la défense et des forces armées l'a récemment annoncé publiquement, soulignant la nécessité d'intensifier l'accompagnement pour faire face à la réalité des menaces, en particulier pour les entreprises de défense impliquées dans l'aide à l'Ukraine.
Nous pouvons donc nous interroger : le plan PME est-il pleinement efficace ou doit-il entrer dans une nouvelle phase, compte tenu de l'imminence des dangers ? L'enjeu est tel et l'impact si important que nous ne pouvons nous dispenser d'une remise en question constante de nos actions. Nous devrions peut-être envisager des règles plus contraignantes pour les entreprises concernées, étant donné la nature et l'ampleur du danger.
Je vous serais reconnaissant de nous apporter un éclairage sur votre diagnostic de la situation et les pistes d'amélioration envisagées.
M. Emmanuel Chiva. Nous assistons à une augmentation significative des attaques, qu'il s'agisse de délits de droit commun, de rackets, ou d'actions liées au conflit en Ukraine. Nos concurrents ciblent également des domaines spécifiques comme le spatial et le naval, avec des attaques structurées émanant de services étrangers, principalement dirigées vers les PME et TPE, naturellement moins préparées à y faire face.
La BITD compte environ 4 000 entreprises, dont 1 200 considérées comme critiques. Nos équipes en inspectent près de 900 par an. Les attaques visent soit à neutraliser, soit à voler des données, et le plus préoccupant reste ce que nous ignorons encore. La découverte tardive de vols de données soulève la question de leur durée et de l'ampleur réelle du problème.
Il est donc primordial d'intervenir directement auprès de ces entreprises. Sans nécessairement être plus coercitif, il faut disposer des moyens d'agir. Notre dialogue avec l'Anssi devrait permettre de répondre à certains de ces besoins. La direction d'industrie de défense, créée en mars dernier, a mis en place une équipe cyber dédiée aux PME. Le plan Peps comporte un axe de résilience cyber, et notre vision stratégique de 2023 réaffirme la résilience cyber de la nation comme l'une de nos deux missions principales, aux côtés de la dissuasion.
En 2023, 56 diagnostics cyber ont été réalisés, ce qui reste insuffisant au regard des enjeux. Plutôt que de contraindre les entreprises, nous avons opté pour la création d'un référentiel d'exigences minimales en matière de cybersécurité. Nous leur indiquons ainsi le niveau minimal de protection attendu pour travailler avec la défense. Ce référentiel est utilisé par les maîtres d'œuvre industriels dans leurs relations avec leurs sous-traitants.
Au-delà de la cyberprotection, la sécurité physique des entreprises est également préoccupante. Nous constatons une multiplication d'incidents comme des incendies ou des dégradations, potentiellement intentionnels. Je rappelle l'incendie d'une usine en Allemagne fabriquant des missiles utilisés en Ukraine, probablement d'origine criminelle. Nous avons donc élaboré un référentiel d'exigences minimales de protection physique, ou « référentiel de sûreté fondamentale », mis à disposition des industriels sur notre site. Des maîtres d'œuvre industriels tels que Thales, MBDA, Dassault et Safran l'utilisent pour évaluer leurs sous-traitants les plus critiques.
M. le président Jean-Michel Jacques. En complément, je tiens à souligner le rôle essentiel des référents sécurité de la gendarmerie dans nos circonscriptions. Ils apportent une aide précieuse à nos entreprises locales. De même, la DGSI, au niveau local, fournit un soutien important à notre tissu entrepreneurial.
M. Damien Girard (EcoS). Le 16 octobre dernier, le chef d'état-major de la marine a souligné les risques liés à un manque de capacité opérationnelle du fait d’un retard de deux ans dans le programme des frégates de défense et d'intervention (FDI) assemblées à Lorient, dans ma circonscription. Alors que le Président de la République défendait récemment l'idée d'une économie de guerre, je souhaite vous interroger sur la stratégie adoptée par la DGA dans ce contexte précis du projet de loi de programmation militaire 2024-2030.
Comment comptez-vous prévenir tout nouveau risque lié au manque de moyens pour nos forces navales ainsi qu'à une augmentation imprévue des coûts du programme, comme cela avait été observé avec les frégates multi-missions ? Par ailleurs, comment envisagez-vous soutenir efficacement l'essor et la montée en puissance flexible et progressive de notre base industrielle et technologique de défense, notamment navale ?
La loi actuelle sur la programmation militaire ainsi que la stratégie ministérielle initiée début 2022 mettent en avant l'importance cruciale d'explorer et sécuriser nos fonds marins. Vous avez évoqué vous-même les nouvelles activités que cela implique, illustrées notamment par le récent sabotage sous-marin en mer Baltique. Quelles orientations stratégiques adopte donc la DGA afin d'équiper notre pays avec des capacités adéquates pour explorer, sécuriser et maîtriser nos fonds marins conformément au potentiel écologique et économique offert par notre zone économique exclusive ?
M. Emmanuel Chiva. Je me rends régulièrement à Lorient et je suis conscient des retards dans le projet de nouveaux bâtiments. La frégate de défense et d'intervention Amiral Ronarc'h a effectué sa première sortie en mer il y a environ trois semaines. Bien que nous souhaiterions une progression plus rapide, il s'agit d'un programme complexe où certains délais sont inévitables, mais dans ce cas, ils restent relativement limités.
Rappelons le calendrier. La phase de réalisation des frégates a débuté en 2017. En 2021, nous avons commandé les frégates de défense et d'intervention numéros 2 et 3. En novembre 2022, la mise à flot définitive de la première a eu lieu. La livraison de cette première FDI Amiral Ronarc'h est prévue pour 2025, suivie des FDI 2 à 5 en 2027, 2028, 2031 et 2032, au-delà de la loi de programmation militaire actuelle, avec la commande de la quatrième en 2025.
Nous collaborons de manière réfléchie avec l'industriel en adoptant une approche dite « coque blanche ». Cette démarche vise à soutenir l'activité du chantier de Lorient, illustrant un exemple intéressant d'économie de guerre auto-générée. Ce n'est pas la DGA qui a demandé à Naval Group de produire deux frégates par an, mais l'industriel lui-même qui a décidé d'accélérer la cadence. Cela implique que l'industriel devra fournir des efforts pour permettre à l'export d'étaler les livraisons pour la France.
Nous sommes prêts à collaborer avec l'industriel, par exemple en avançant la commande de certaines frégates pour la France, tout en anticipant leur exportation vers les pays intéressés. Le domaine de la flotte de surface apparaît extrêmement compétitif aujourd'hui. Nous avons bon espoir pour plusieurs pays, sans pouvoir divulguer les prospects actuels en audience publique. Ces frégates sont attrayantes, car elles incarnent la modernité, peuvent intégrer des armements variés, sont écologiques le cas échéant, disposent d'un équipage réduit et répondent aux exigences de nombreuses marines.
Concernant la maîtrise des fonds marins, la LPM 2024-2030 prévoit l'acquisition de premières capacités opérationnelles : trois sous-marins autonomes (AUV) capables de plonger à 6 000 mètres et un sous-marin téléopéré (Rov) également à 6 000 mètres. Ce sujet est lié à un enjeu de constitution d’une filière industrielle souveraine, incluse dans le plan France 2030, dont la DGA est désignée opératrice pour la partie maîtrise des fonds marins.
L'importance de ce domaine est manifeste, comme l'ont montré les récents événements en mer Noire et l'attention portée aux câbles sous-marins. La marine nationale surveille attentivement ces infrastructures, particulièrement face aux activités de nos compétiteurs à proximité de nos câbles.
Le projet de loi de finances 2025 prévoit la poursuite des campagnes d'expérimentation. Nous accélérons également dans certains domaines, notamment avec Naval Group, en lançant un projet de drone sous-marin de combat appelé Ucuv.
Notre approche consiste à évaluer d'abord les capacités de surveillance à 6 000 mètres avec le matériel disponible, avant de passer à une étape de construction capacitaire plus progressive pour acquérir les trois AUV et le Rov mentionnés, dans le cadre de France 2030.
Mme Josy Poueyto (Dem). Je souhaite aborder la question de l'efficacité de nos choix technologiques en matière de défense. Sommes-nous condamnés à dépenser toujours davantage dans une course technologique de plus en plus onéreuse ? À partir de quel moment le rapport coût-avantage cesse-t-il de nous être favorable ? Ces interrogations sont particulièrement pertinentes alors que nous examinons le budget.
On évoque de plus en plus les technologies douces ou les équipements dits rustiques. L'agence de l'innovation et de défense prévoit d'ailleurs l'organisation d'un événement en novembre pour réfléchir, entre spécialistes, à des alternatives au tout technologique dans les secteurs qui s'y prêtent.
L'ère des dividendes de la paix avait permis d'assumer le choix de la haute technologie, engendrant une hausse considérable des coûts de production et de maintenance. Cependant, le retour de la haute intensité a modifié la donne, et nous faisons face à de fortes contraintes budgétaires.
Dès 2018, je suis intervenue à plusieurs reprises avec les collègues de mon groupe pour proposer des alternatives au tout technologique, souvent très coûteux et pas toujours adapté aux besoins. Force est de constater que nos suggestions n'ont pas été prises au sérieux à l'époque, mais le temps nous donne raison. Nous nous réjouissons que ce sujet gagne désormais en importance.
Pouvez-vous nous éclairer sur l'état de la réflexion de la DGA concernant cet enjeu qui doit allier utilité, accessibilité et durabilité ? J'ai appris que BPI France a lancé, en partenariat avec la DGA, la première promotion de l'accélérateur défense dédié aux sous-traitants. L'alternative au tout technologique sera-t-elle à l'ordre du jour, sachant que les sous-traitants ne sont pas les seuls acteurs concernés au sein de la BITD, notamment dans l'optique de la maîtrise des coûts ?
M. Emmanuel Chiva. En tant que directeur de l'agence de l'innovation de défense, j’avais souligné que l'innovation ne se limitait pas aux aspects technologiques. Elle peut également revêtir des formes simples ou rustiques.
Nous mettons actuellement en place l'analyse fonctionnelle et l'analyse de la valeur (Afav) pour les nouveaux programmes, afin d'effectuer les choix les plus pertinents en collaboration avec les forces armées.
Notre objectif est de nous éloigner de la tendance à privilégier systématiquement la haute performance au détriment d'autres critères. Le contexte actuel nous impose de reconsidérer l'équilibre entre coût, performance et délai. Nous constatons que certains industriels peinent à exporter des systèmes à la pointe de la technologie en raison de contraintes de livraison ou de coûts excessifs.
Désormais, nous appliquons cette approche de manière systématique à tous les nouveaux programmes, en étroite collaboration avec l'état-major des armées. Cette démarche s'inscrit dans le cadre de la force d'acquisition réactive, visant à obtenir des systèmes opérationnels dans des délais d’un à trois ans, soit en intégrant directement des innovations, soit en adoptant de nouvelles méthodes d'achat ou des formules de services.
Concernant la durabilité, nous nous interrogeons sur la pertinence d'acquérir uniquement des systèmes conçus pour durer. Prenons l'exemple des drones, dont l'évolution est largement influencée par l'industrie du divertissement. Il peut être judicieux d'envisager l'utilisation de systèmes consommables ou de disposer de plusieurs générations ou types de systèmes en parallèle, plutôt que de se limiter à un modèle unique.
Cette approche marque une rupture avec la culture traditionnelle de l'armement, qui tendait à développer un drone spécifique pour chaque besoin. Nous explorons désormais la possibilité d'utiliser différents drones pour des missions variées. Par exemple, nous envisageons d'avoir un drone dédié aux missions de jour et un autre pour la nuit, plutôt que de chercher à développer un seul appareil polyvalent nécessitant une optronique complexe et lourde.
Notre démarche actuelle consiste à remettre en question l'ensemble des besoins pour obtenir les effets recherchés, sans nécessairement miser exclusivement sur l'innovation technologique et la performance maximale.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). En ma qualité de rapporteur pour avis des crédits du programme 144 « environnement prospectif de la politique de défense », je souhaite vous interroger sur l'intelligence artificielle, thématique choisie cette année pour le P.144.
Dans le cadre de mes travaux, j'ai rencontré de nombreux acteurs de l'intelligence artificielle de défense : l'Amiad, l'AID, des industriels et des chercheurs. Le rôle de la DGA dans la mise en œuvre de la feuille de route nationale de l'intelligence artificielle a été systématiquement mentionné.
Aussi, j'aimerais vous poser deux questions. D’abord, pourriez-vous nous exposer comment la DGA intègre le développement et l'utilisation de l'IA pour ses propres besoins, tant dans son mode de fonctionnement que dans l'ensemble des programmes d'armement dont elle a la responsabilité ?
Ensuite, quelle est votre perception du rôle de l'Amiad ? Cette agence devrait permettre à la France de devenir un acteur majeur en Europe en matière d'IA de défense. Comment collaborez-vous avec l'Amiad pour atteindre cet objectif ?
M. Emmanuel Chiva. L'essor actuel de l'intelligence artificielle résulte principalement de la convergence d'algorithmes connus depuis longtemps, de la disponibilité accrue des données et de la puissance des infrastructures de calcul permettant leur traitement. Cette combinaison a engendré une véritable révolution. L'IA sera omniprésente demain, chacun l’utilisera sans en avoir conscience, comme c'est le cas aujourd'hui avec les technologies réseau et Ethernet, désormais intégrés nativement.
L'IA sera inévitablement présente dans l'ensemble des systèmes d'armes. J'ouvre une parenthèse pour rappeler que l'association des termes « militaire », « IA » et « armes » suscite souvent des inquiétudes. Néanmoins, la question des systèmes d'armes létaux autonomes (Sala) a été examinée par le comité d'éthique de la défense, qui a établi des lignes rouges claires. Ces limites nous permettent toutefois de poursuivre la recherche dans ce domaine.
L'IA assistera également la DGA et le ministère des armées dans divers secteurs, tels que les finances et les ressources humaines. Le SGA est chargé de la transformation numérique et de l'intégration de l'IA au sein du ministère. Le ministre a décidé d'accroître l'investissement en matière d'intelligence artificielle, passant de 100 millions d'euros par an à une moyenne de 200 millions d'euros grâce au "patch IA". Tous les programmes intégreront désormais l'IA.
Des programmes majeurs structureront le recours à l'IA au sein du ministère, notamment Artemis.IA, une plateforme opérationnelle mise en place pour le renseignement. Je souligne le rôle essentiel de l'agence numérique de défense dans le développement de ce type d'outil. L'IA sera également présente dans les programmes Scorpion, Rafale, Scaf, drones, sans oublier tous les bâtiments de surface.
La DGA s'intéresse à l'ensemble de ces domaines. Une nouvelle agence ministérielle pour l'intelligence artificielle de défense a été créée avec notre concours. Nous avons mis à disposition une trentaine d'ingénieurs de haut niveau pour constituer cette agence, qui repose sur deux piliers : un pilier recherche à Palaiseau et un pilier production à Bruz. À terme, 300 experts intégreront ces structures pour développer et déployer à grande échelle des cas d'usage à fort potentiel pour les armées, les directions et services, ainsi que pour les opérations quotidiennes.
Cette démarche nécessite l'adaptation des infrastructures de calcul du ministère. C'est pourquoi nous avons lancé un appel à projets pour disposer de notre propre supercalculateur, indispensable dans le traitement des données classifiées. Les principaux enjeux concernent la montée en puissance de l'Amiad, que la DGA considère comme un pôle d'excellence mondial au sein du ministère des armées.
Je rappelle que l'IA figure parmi les dix axes potentiels de rupture identifiés dans la loi de programmation militaire. Le volume considérable de données générées aujourd'hui exige un recours massif à ce type de technologie et le développement d'une infrastructure numérique adaptée. À titre d'exemple, le data hub embarqué, installé sur des frégates multi-missions de la marine nationale, permet aux marins en mer de développer des algorithmes et de l'intelligence artificielle sur des données manipulées localement.
M. Matthieu Bloch (UDR). Les exercices Mepat et Orion menés ces deux dernières années ont mis en lumière les difficultés logistiques rencontrées par nos armées. Comme le soulignait un éminent général français, « les amateurs discutent tactique, les professionnels discutent logistique ». Dans ce contexte, les avancées de la fabrication additive pourraient transformer en profondeur la manière dont les forces armées opèrent sur le terrain. Cette technologie permettrait de produire des pièces de rechange directement sur les théâtres d'opérations, évitant ainsi les délais prolongés inhérents aux chaînes d'approvisionnement traditionnelles. Elle offre la possibilité de maintenir nos forces en conditions opérationnelles de manière réactive et autonome, réduisant simultanément les temps de réparation et l'empreinte logistique des opérations.
La loi de finances 2025 alloue des crédits importants à l'innovation et à la modernisation de notre industrie de défense. Où en est la DGA dans le développement et l'intégration de l'impression 3D dans les chaînes de soutien logistique de nos armées ? Quels programmes concrets bénéficient des crédits de 2025 pour permettre le déploiement de cette capacité, notamment en opération extérieure où les conditions s'avèrent souvent les plus exigeantes ?
Par ailleurs, l’avènement des technologies quantiques s'apprête à révolutionner les capacités de traitement de l'information, particulièrement dans le domaine de la cryptographie. Nous sommes d'ores et déjà engagés dans une course à la technologie quantique. Récemment, la DGA a initié le programme Proqcima visant à développer deux prototypes d'ordinateurs quantiques universels de conception française d'ici 2032. Le budget alloué aux investissements pour les opérations d'armement connaît une augmentation de près de 37 % cette année. Cette hausse permettra-t-elle de développer et de déployer plus rapidement des prototypes de réseaux de communication quantiques dans les environnements tactiques ?
M. Emmanuel Chiva. La fabrication additive fait l'objet d'une attention particulière depuis longtemps pour son potentiel d'utilisation sur le terrain, malgré certaines contraintes. Les technologies d'impression 3D ont considérablement progressé ces dernières années. Il y a une décennie, les US Marine Corps avaient déjà conçu des shelters mobiles équipés d'imprimantes 3D, mais leur usage était limité à la production de pièces pour l'équipement individuel du fantassin, les matériaux disponibles n'étant pas adaptés à des pièces plus complexes. Cette situation a évolué.
La DGA a lancé plusieurs expérimentations sur la fabrication additive. La plus récente concerne l'envoi d'un caisson de fabrication additive, développé par la société Vistory, actuellement testé en Roumanie et bientôt en Ukraine. Nous collaborons avec l'entreprise Arquus, qui a fourni des véhicules de l'avant-blindé aux forces ukrainiennes. Ces matériels nécessitent des pièces de rechange qui ne sont plus fabriquées. Les techniques d'impression actuelles, qu'il s'agisse de matière plastique ou de métal, permettent de produire ces pièces sur place, dans un environnement sécurisé.
Au-delà de l'impression 3D, il est essentiel de garantir l'intégrité de la chaîne de fabrication pour prévenir tout piratage qui pourrait introduire des faiblesses dans des pièces critiques. La fabrication additive implique donc une réflexion sur la cybersécurité, notamment sur les chaînes de garantie et d'authentification. Le système mis en place ne se limite pas à un shelter équipé d'imprimantes, mais comprend également un environnement logiciel et une plateforme utilisant la blockchain pour assurer l'intégrité des pièces fabriquées.
Nous sommes au début d'une utilisation massive de pièces certifiables, y compris dans le domaine aéronautique, qui pourront être déployées sur les terrains, les bases aériennes ou embarquées sur différents bâtiments. Actuellement, au moins quatre bâtiments de la marine nationale, dont un sous-marin, intègrent des technologies de fabrication additive à bord.
Concernant le quantique, le ministère des armées concentre ses investissements sur les capteurs quantiques : horloges atomiques, nouvelles centrales inertielles, gravimètres quantiques à atomes froids, qui équiperont bientôt les bâtiments de la marine nationale. Ces technologies présentent un intérêt essentiellement militaire.
Pour l'ordinateur quantique, nous comptons principalement sur le secteur civil pour accélérer le développement. Le partenariat d'innovation Proxima, doté de 430 millions d'euros, vise à soutenir cinq PME dans le développement de technologies prometteuses pour atteindre l'objectif de calculateurs à qubits parfaits en 2022. Ce budget, issu de France 2030, est géré par la DGA en raison de notre expertise en gestion de grands projets. Il convient de noter que deux de ces PME ont récemment bénéficié d'un investissement du fonds innovation défense.
Nous travaillons également sur les communications quantiques et la cryptographie post-quantique. Cette dernière, bien que n'étant pas une technologie quantique en soi, vise à rendre nos algorithmes résistants au décryptage par un ordinateur quantique. C'est un enjeu national, tant pour le secteur militaire que civil. Une attaque future pourrait cibler des systèmes critiques comme le système bancaire ou les données de santé, ce qui serait possible avec un ordinateur quantique si nous ne nous protégeons pas. Face à la stratégie chinoise de store now decrypt later, nous devons renforcer la robustesse de notre pays contre ces attaques hybrides potentielles.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons maintenant à une séquence de six questions d'une minute chacune, en commençant par une première série de trois. Monsieur Frédéric Bocaletti, vous avez la parole.
M. Frédéric Boccaletti (RN). Monsieur le délégué général, vous avez récemment accordé un contrat visant à soutenir le développement de l'obus de précision Katana, susceptible d'équiper nos forces et d'être exporté dès 2026. S'agissant de la qualité de cet armement, notamment en comparaison avec l'Excalibur américain, son coût engendrera vraisemblablement une hausse de la facture globale.
Quels arbitrages financiers envisagez-vous pour assurer un stock suffisant d'obus d'artillerie dans l'hypothèse d'un engagement majeur ? Comment garantir un flux continu de munitions de 155 mm pour l'entraînement des forces, leur usage probable ainsi que des livraisons simultanées à l'Ukraine ?
M. Yannick Chenevard (EPR). Je tiens tout d'abord à féliciter la DGA et les industriels pour l'installation du système Paseo et d'autres équipements sur nos frégates en mer Rouge. Cette réalisation revêt une importance capitale, nos bâtiments étant eux-mêmes la cible d'attaques.
Ma question porte sur les chaudières K15 du porte-avions Charles de Gaulle, sujet que vous avez abordé précédemment. Vous avez mentionné qu'une évaluation de leur état serait effectuée pour déterminer la possibilité de prolonger l'utilisation du navire, cet élément étant décisif pour son avenir. Sans demander de révéler des informations confidentielles, pourriez-vous nous donner une indication sur le calendrier envisagé pour cette évaluation ?
M. Christophe Blanchet (Dem). Ma question porte sur le cahier d'incidents, un outil managérial destiné à lutter contre les violences sexuelles et sexistes. À la suite de la recommandation émise par la mission en avril 2024 visant à étendre son utilisation aux militaires et au personnel civil, les généraux nous ont récemment confirmé son application au sein des armées. Il convient désormais de l'étendre également aux personnels civils.
Étant donné que la DGA emploie la plus forte proportion de personnels civils, soit 80 % de ses 10 600 effectifs, et que ce cahier d'incidents constitue l'un des leviers d'attractivité pour la fidélisation des femmes, ma question est la suivante : comment envisagez-vous la mise en œuvre de ces cahiers d'incidents au sein de la DGA ?
M. Emmanuel Chiva. S’agissant des obus de 155 mm, je tiens à souligner que dans le cadre des procédures mises en place dans le contexte de l'économie de guerre, nous avons multiplié la production par soixante. Cette accélération de notre capacité productive est remarquable, avec des livraisons en Ukraine prévues jusqu'en 2025. Ce processus dépend néanmoins de deux intrants essentiels : la poudre et la nitrocellulose. Nous attendons actuellement que l'usine de Bergerac puisse augmenter sa production de poudre pour accélérer davantage.
En 2024, nous procédons à une révision complète de nos programmes de munitions, ce que nous appelons la tiger team. Cette démarche a déjà été appliquée pour les missiles Aster, dont la fabrication et les délais de production étaient auparavant très contraints. Nous étendons maintenant cette approche à l'ensemble des programmes de munitions.
Concernant l'obus Katana, par rapport à une munition standard, il s'agit d'un compromis entre coûts, délais et performances. La question se pose : l'état-major des armées préfère-t-il disposer rapidement d'un grand nombre de munitions standard, ou plus tard de munitions plus sophistiquées, ou encore d'un mélange des deux ? Et à quel coût ? Ce sont les arbitrages que nous étudions actuellement.
Nous travaillons également sur de nouvelles normes, notamment la non-application du dispositif Murat (munitions à risque atténué). Il s'agit de munitions conçues pour ne jamais exploser de manière accidentelle, par exemple sur un navire. Nous assouplissons certaines contraintes, particulièrement pour les munitions d'entraînement, tout en garantissant la sécurité des utilisateurs. Cela nous permet de contourner diverses contraintes réglementaires.
Je rappelle que nous pourrions produire davantage d'obus de 155 mm pour les canons Caesar, mais la qualité des charges propulsives est déterminante. Nos charges actuelles permettent d'envoyer un obus Caesar à 40 kilomètres, ce qui est directement lié à la qualité des explosifs et de la poudre. Ces spécifications répondent aux besoins exprimés par les forces armées.
Concernant les chaudières K15 du porte-avions Charles de Gaulle, j'ai évoqué ce sujet car un arrêt technique majeur, l’ATM3, est prévu pour 2027-2028. Pour mémoire, le précédent ATM avait eu lieu en 2017-2018. Il est difficile d'inspecter l'intérieur d'un cœur de chaudière nucléaire sans ouvrir le porte-avions. Comme nous souhaitons limiter ces ouvertures, nous considérons que c'est une opportunité d'apprendre sur le comportement de ces cœurs nucléaires. De plus, cela nous permet d'envisager, en cas d'aléa sur le programme PANG (Porte-Avions Nouvelle Génération), une éventuelle prolongation de la durée de vie du Charles de Gaulle au-delà de 2038, soit quarante ans après la divergence de sa chaudière.
Cette option nous donnerait plus de temps pour le développement du porte-avions de nouvelle génération. C'est un exercice de planification que nous menons actuellement. Mais je ne suis pas sur cette stratégie actuellement. Cela entraînerait des répercussions importantes, nous incitant à différer non seulement la mise en service opérationnelle, mais aussi la préparation. Des effets se feraient sentir sur les infrastructures et les chaînes de fabrication des autres cœurs nucléaires. C'est pourquoi j'ai mentionné l'intégration de cette étude lors de l’ATM3 du porte-avions Charles de Gaulle.
Concernant les violences sexistes et sexuelles, vous avez parfaitement raison. La DGA n'y échappe pas. Avec 10 500 personnels, dont 80 % de civils, nous sommes confrontés à un certain nombre d'incidents. J'ai récemment eu connaissance de plusieurs cas. Je serai extrêmement clair : j'ai d'ailleurs adressé hier un courriel aux équipes de la DGA à ce sujet. Tout soupçon entraîne une suspension immédiate. Si les faits sont avérés, l'ensemble des sanctions applicables, jusqu'à la radiation, seront mises en œuvre. Notre politique est de zéro tolérance pour ce type de comportement à la DGA. Des cas se sont déjà produits et les personnes concernées ont été radiées des cadres de la DGA.
J'ai transmis un message à l'ensemble du personnel : ces actes sont inacceptables et ne doivent pas se produire. Dans un contexte de féminisation croissante de la DGA, il faut noter que les violences sexistes et sexuelles ne sont pas uniquement le fait des hommes. Cela signifie que nous n'échappons pas aux réalités de la société, et qu'au sein d'une organisation de plus de 10 500 personnes, nous sommes inévitablement confrontés à quelques cas. La semaine dernière, trois cas m'ont été signalés. Nous prenons immédiatement des mesures conservatoires.
Nous avons mis en place la cellule Thémis, permettant aux victimes de nous saisir directement. Une équipe de l'inspection générale traite ces cas, comme cela a été fait la semaine dernière. Nous nous concentrons souvent sur la sanction des coupables, mais nous devons collectivement améliorer le soutien et l'accompagnement des victimes. J'ai donné des directives en ce sens, notamment à l'ensemble des membres du comité exécutif. Toutes les recommandations formulées par le ministre sont suivies scrupuleusement.
Mme Gisèle Lelouis (RN). L'année dernière, deux frégates multi-missions françaises déployées en mer Rouge ont effectué 22 tirs de missiles Aster en quatre mois, dont onze en un seul mois, pour contrer des drones et des missiles. Ces tirs s'avéraient indispensables pour prévenir des dommages potentiellement considérables sur nos bâtiments. Néanmoins, leur fréquence soulève des préoccupations, d'autant que sur les huit frégates multi-missions dont dispose la France, seules deux sont équipées de capacités de défense antiaérienne renforcées.
L'escalade des tensions dans cette zone d'opérations depuis le 7 octobre 2023 met en lumière l'utilisation croissante des drones comme véritable force de frappe. Cette évolution engendre notamment un risque de saturation des capacités de défense aérienne de nos frégates multi-missions.
Dans ce contexte, il convient de s'interroger sur l'aptitude de nos frégates multi-missions à répondre efficacement à l'évolution des menaces aériennes, telles que les missiles hypersoniques ou les drones de nouvelle génération. Par ailleurs, les investissements prévus par le PLF, notamment en ce qui concerne l'acquisition de nouvelles unités ou la modernisation des frégates existantes, paraissent-ils suffisants pour faire face à ces défis ?
Mme Sabine Thillaye (Dem). Dans vos propos liminaires, vous avez brièvement évoqué l'institut Saint-Louis, un établissement franco-allemand de recherche appliquée existant depuis 1959, dont on parle peu. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec Michael Meinl à ce sujet. Il m'a fait part de son regret concernant l'écart entre la recherche technologique et son application concrète au niveau capacitaire. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ? Comment l'institut collabore-t-il avec vous et de quelle manière pourrions-nous optimiser cette relation dans notre coopération bilatérale ? Par ailleurs, la question linguistique se pose. Il semblerait que les équipes ne pratiquent plus guère la langue de leur partenaire. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces aspects ?
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Je me réjouis d'apprendre que le programme Girafe poursuit sa progression. J'aimerais aborder la situation des Forges de Tarbes, un dossier que je suis attentivement depuis longtemps. Force est de constater que les investissements promis par le repreneur n'ont toujours pas été concrétisés. J'ai eu connaissance qu'au début de l'année, la DGA a dépêché une mission pour auditer le site. Bien que cette question soit spécifique dans le cadre de cette audition, je saisis l'opportunité rare de m'adresser directement au délégué général pour obtenir des précisions à ce sujet.
Par ailleurs, j'aimerais soulever un point plus général concernant l'organisation de vos services. Nous avons évoqué les agences et la nouvelle direction de l'industrie de défense. Par curiosité personnelle, je souhaiterais comprendre quelles sont les différences entre les agences et les directions, et quels avantages vous percevez dans ces deux modèles d'organisation apparemment distincts ?
M. Emmanuel Chiva. Je vais aborder les points concernant les frégates déployées en mer Rouge dans l'ordre. Le ministre et moi-même avons eu l'opportunité d'effectuer un débriefing immédiat avec les équipages à bord d'une frégate à Toulon, ce qui s'est révélé extrêmement instructif. Je tiens à vous assurer que le retour d'expérience direct et rapide des équipages est pris en compte dans un processus que nous avons mis en place. Cela permettra aux prochaines frégates se rendant dans la région de bénéficier, le cas échéant, d'améliorations, de nouveaux équipements, de nouvelles doctrines ou de nouveaux usages.
Vous avez mentionné le fait historique que nous avons tiré 22 missiles. La question se posait de savoir si nous utilisions les bons missiles sur les bonnes cibles. Un débat portait sur l'opportunité de tirer un missile coûtant plusieurs millions d'euros sur ce qui semblait être un drone. Je tiens à préciser que lorsque nos unités tirent sur des drones, la moitié d'entre eux s'avèrent en réalité être des missiles.
Les missiles Aster 15 et 30 ont été conçus notamment pour l'autoprotection des navires. Un navire qui se considère en danger n'hésite pas à utiliser un missile onéreux contre un drone, car l'enjeu est la protection d'un bâtiment valant plusieurs centaines de millions d'euros, sans compter les vies humaines en jeu. Vous l'avez souligné, ces tirs étaient pleinement justifiés.
Néanmoins, il peut être pertinent de combiner différents modes d'action et d'améliorer l'identification de la menace. C'est pourquoi nous avons installé les systèmes Paseo, qui équiperont rapidement toutes les frégates. Nous avons également déclenché des urgences opérationnelles pour doter au moins trois de ces frégates du système Skyjacker, un leurre pour drones qui leur fait croire qu'ils se trouvent à un endroit différent de leur position réelle.
En mer, contrairement au contexte des Jeux olympiques de Paris, nous pouvons utiliser des moyens consistant à projeter une grande quantité de métal en l'air pour neutraliser ces menaces, notamment face aux essaims. Une task force de lutte anti-drone a été constituée à la lumière des événements en mer Rouge. Elle a permis, par exemple, d'étudier l'utilisation de munitions de 76 mm du canon 76 pour neutraliser les menaces de drones.
J'ajoute que lorsque je parle de retour d'expérience et d'adaptabilité, la première frégate ayant tiré ces missiles s'est retrouvée dans une situation où elle ne disposait plus que des missiles nécessaires à son autoprotection - le nombre exact étant classifié - et n'était donc plus en mesure de poursuivre sa mission. Or, les missiles Aster n'étaient pas qualifiés pour être transportés par voie aérienne. En une semaine, la DGA a été saisie de l'affaire, nous avons collaboré avec les autres services et la DMAé pour effectuer les calculs nécessaires afin de qualifier en urgence le transport de missiles Aster dans un A400M. La frégate est revenue le samedi à Djibouti, et dès le dimanche, les missiles étaient à bord.
Cette opération n'était pas simple, car dans un A400M, certaines zones sont sujettes à des vibrations, ce qui peut poser un problème avec les missiles. Cela démontre notre capacité à agir rapidement, même en termes de réglementation et de certification.
Je souhaite signaler deux points supplémentaires. Premièrement, l'expérimentation prochaine d'armes à énergie dirigée de type laser à bord de ces frégates. Deuxièmement, concernant la lutte contre les missiles hypersoniques, le nouveau missile Aster 30 B1NT a été testé avec succès il y a un mois à la DGA. Lors d'un tir très ambitieux à Biscarrosse, il a réussi à intercepter des cibles se déplaçant à 800 km/h. Ce missile possède la capacité de contrer les menaces hypersoniques, répondant ainsi à la réalité des menaces actuelles.
Concernant l'institut Saint-Louis, que je connais parfaitement pour m'y être rendu à maintes reprises, son unique inconvénient réside peut-être dans son éloignement géographique. Néanmoins, cet établissement se distingue par son excellence, notamment dans le développement de notre prototype de canon électromagnétique.
Une nouvelle réflexion sur l'orientation en matière de recherche et de technologie de l'ISL sera menée en 2025, s'appuyant sur une évaluation scientifique des résultats des projets de recherche réalisés en 2023. Je tiens à souligner que l'institut constitue un pôle d'excellence non seulement pour le canon électromagnétique, mais également pour les armes laser, la robotique, le camouflage et l'imagerie optique hors ligne de vue.
L'institut Saint-Louis a toujours été confronté à des difficultés culturelles. Je suis enclin à penser que malgré les barrières linguistiques, un terrain d'entente devrait être trouvable. La plupart des chercheurs maîtrisent l'anglais, langue privilégiée pour la publication des résultats de recherche.
Le défi majeur réside dans la transition du prototype ou du démonstrateur vers la mise en service opérationnelle. Cette problématique du passage à l'échelle incombe précisément à l'agence de l'innovation de défense, chargée de faciliter et d'accélérer ce processus. J'ai pleine confiance en son équipe et son directeur pour relever ce défi, qui s'applique à tous les domaines de l'innovation, au-delà de l'institut. Les questions centrales sont : comment accroître rapidement la maturité technologique et comment procéder de manière incrémentale pour mettre l'innovation au service des utilisateurs dans les meilleurs délais ?
S’agissant de la distinction entre agence et direction, une direction s'intègre dans l'architecture globale de la DGA. Une agence, en revanche, fonctionne selon le modèle de service à compétences nationales, offrant davantage d'autonomie et une gouvernance adaptée à une collaboration avec l'ensemble des entités du ministère des armées. Ce modèle a été choisi pour l'Amiad et l'Agence de l'Innovation de Défense, tandis que la direction de l'industrie de défense, pleinement intégrée à la structure de la DGA, est dirigée par un directeur d'administration centrale.
Quant aux Forges de Tarbes, nous suivons attentivement ce dossier. Nous avons apporté un soutien financier sous forme d'avance remboursable et fourni une aide pour l'investissement dans les outils de production. Les Forges de Tarbes produisent le compartiment métallique des obus du camion César. La production a triplé en 2023 et poursuit sa progression en 2024. Nous veillons scrupuleusement au respect des engagements pris par l'industriel. Les équipes de la direction de l'industrie de défense effectuent régulièrement des visites sur site pour suivre l'évolution de ce dossier prioritaire.
M. le président Jean-Michel Jacques. Merci, Monsieur le délégué général, pour toutes vos réponses nourries et merci à vous, mes chers collègues, pour vos questions.
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La séance est levée à dix-huit heures quinze.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Christophe Blanchet, M. Matthieu Bloch, M. Frédéric Boccaletti, M. Yannick Chenevard, M. François Cormier-Bouligeon, M. Alexandre Dufosset, M. Frank Giletti, M. Damien Girard, Mme Catherine Hervieu, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Abdelkader Lahmar, Mme Anne Le Hénanff, Mme Gisèle Lelouis, M. Julien Limongi, Mme Michèle Martinez, Mme Anna Pic, Mme Josy Poueyto, Mme Catherine Rimbert, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Thierry Tesson, Mme Sabine Thillaye, M. Romain Tonussi
Excusés. - M. Manuel Bompard, M. Bernard Chaix, Mme Cyrielle Chatelain, M. Thomas Gassilloud, Mme Clémence Guetté, Mme Lise Magnier, Mme Alexandra Martin, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Mereana Reid Arbelot, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud