Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
— Audition, commune, ouverte à la presse, de l’ingénieur en chef de l’armement (ICA) Benoît Rademacher, directeur-adjoint de l’institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), de M. Julien Malizard, titulaire de la Chaire économie de défense à l’IHEDN, et de M. Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (IFRI), sur l’économie de défense.
Mercredi
20 novembre 2024
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 24
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président
— 1 —
La séance est ouverte à onze heures.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous poursuivons notre cycle d'auditions sur l'économie de guerre en accueillant trois chercheurs spécialisés dans ce domaine.
Tout d'abord, l'ingénieur en chef de l'armement Benoît Rademacher, qui a occupé divers postes à responsabilité au ministère des armées et à celui des finances avant de rejoindre l'IRSEM en 2016 en tant que directeur du domaine Armement et Économie de Défense, puis comme directeur adjoint. Ensuite, Monsieur Julien Malizard, qui enseigne l'économie de défense dans de nombreuses formations supérieures, notamment à l'université Lyon III Jean Moulin, l'université de Nice et l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. Ses travaux portent principalement sur les enjeux budgétaires, l'impact économique de la défense, les exportations d'armes et les problématiques d'acquisition en Europe. Enfin, Monsieur Léo Péria-Peigné, qui se concentre sur les enjeux de l'industrie de défense et d'armement, ainsi que sur la prospective capacitaire. Monsieur Péria-Peigné vient de publier un ouvrage consacré à la géopolitique de l'armement, s'inscrivant pleinement dans le cœur de notre sujet.
Votre présence aujourd'hui s'avère essentielle pour obtenir un regard extérieur sur la capacité des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française à transformer leur modèle économique. L'objectif est double : d'une part, mieux intégrer les enseignements de la guerre en Ukraine et les mutations qu'elle engendre ; d'autre part, se préparer à soutenir un effort de guerre durable, si nécessaire, au bénéfice de nos forces armées ou de nos partenaires.
ICA Benoît Rademacher, directeur-adjoint de l’institut de recherche stratégique de l’École militaire. En guise de propos liminaires, je souhaite effectuer un rapide panorama des capacités industrielles de défense dans le contexte sécuritaire actuel. Mon objectif est de mettre en lumière certains enjeux dépassant la seule question de l'économie de guerre et d'ébaucher quelques pistes de réflexion sur les sujets qui nous occupent.
Rappelons tout d’abord que la France a opté pour un modèle d'armée complet, lui permettant d'assurer l'ensemble des fonctions stratégiques définies par les livres blancs, les revues stratégiques de défense et de sécurité nationale, et la revue nationale stratégique de 2022. Les moyens alloués à ce modèle sont déterminés par une loi de programmation militaire pluriannuelle fixant des objectifs capacitaires en matière d'équipements des forces.
La France figure en outre parmi les rares pays disposant d'une industrie capable de fabriquer la quasi-totalité des équipements militaires nécessaires à ses armées. Les industries de défense sont les héritières d'une longue tradition industrielle au service de la puissance de l'État, indissociable de la politique de défense française.
La cohérence d'ensemble du modèle de défense français et du paysage industriel de défense s'inscrit donc nécessairement dans une perspective de long terme, ce modèle faisant face à des évolutions notables.
Le spectre d'intervention des armées s'est considérablement élargi, s'adaptant aux menaces tant en termes de champs de bataille qu'en termes d'intensité et allant des opérations de maintien de la paix aux conflits de haute intensité.
L'évolution des technologies, notamment numériques, a par ailleurs entraîné l'arrivée de nouveaux acteurs issus du monde civil dans le paysage industriel de la défense. On observe une transition du modèle de spin-off vers celui du spin-in, visant à capter les innovations civiles pour les intégrer aux systèmes de défense. Cela engendre un certain découplage entre les cycles d'innovation, qui s'accélèrent, et la durée de vie des systèmes d'armes, de plus en plus longue. Ces évolutions technologiques conduisent également à un nivellement technologique, permettant l'émergence de nouveaux acteurs sur la scène internationale.
Le conflit en Ukraine illustre ces évolutions, en ce qu’il étend les dimensions du champ de bataille, notamment à la sphère informationnelle. On y observe la coexistence de moyens militaires classiques et de moyens adaptés du civil tels que les drones. Des acteurs civils, individus ou entreprises, interviennent dans le conflit, à l'instar de Maxar pour l'interprétation d'images satellites ou de Starlink pour la mise à disposition de moyens de communication. Enfin, ce conflit de haute intensité se caractérise par un usage intensif des moyens et une forte attrition.
Ces éléments mettent en évidence les défis auxquels la France est confrontée pour maintenir ses capacités d'innovation, ses capacités industrielles et, plus largement, adapter son économie à l'émergence de situations potentiellement extrêmes.
Les enjeux de l'économie de guerre englobent non seulement la capacité à augmenter et accélérer la production, de munitions notamment, mais également à l'intégration accrue de technologies et d'acteurs civils dans les écosystèmes d'innovation et de production de défense. Elle concerne également la sensibilisation et la mobilisation potentielle de la population, touchant aux forces morales, bien que cet aspect dépasse mon propos actuel.
Dans quelle mesure la politique de défense française prend-elle en compte ces enjeux ? Sur le plan de l'innovation, la création de l’Agence de l’innovation de défense (AID) en 2018 répond explicitement à l'ouverture sur les écosystèmes d'innovation civils. Elle fédère des dispositifs existants et en crée de nouveaux, sans pour autant exclure les initiatives locales des forces armées, comme les plateaux et laboratoires, ni les interactions entre industriels de la défense et écosystèmes d'innovation civile. La création de fonds dédiés, tels que le fonds innovation défense (FID), complète ce dispositif.
Au niveau capacitaire, les lois de programmation militaire 2019-2025 et 2024-2030 constituent une réponse à ces enjeux. Il convient de souligner l'effort financier consenti et la réalisation en volume de la LPM 2019-2023.
Je souhaite mettre en exergue deux points de la LPM 2024-2030, regroupés dans le chapitre « Économie de défense ». L'article 47 refonde le régime des réquisitions, avec un décret d'application prévu pour le 1er octobre 2024 et l'article 49 instaure l'obligation de constituer des stocks stratégiques pour les entreprises commercialisant du matériel de guerre. Ces dispositions, potentiellement contraignantes, octroient au premier ministre des leviers importants pour mobiliser des ressources. Elles dépassent les aspects volumétriques, capacitaires et financiers, marquant ainsi la prise en compte de la situation à laquelle la France pourrait être confrontée.
Bien que la France ne soit pas, au sens strict, en économie de guerre, elle se dote donc des moyens non seulement budgétaires, financiers et capacitaires, mais également légaux et réglementaires, pour y basculer si nécessaire.
M. Julien Malizard, titulaire de la Chaire économie de défense à l’IHEDN. Bien que les réflexions que je vais vous présenter ici soient liées aux travaux de la Chaire économie de défense, elles ne représentent pas l'opinion de l’IHEDN.
Le 23 septembre 2023, William LaPlante sous-secrétaire américain à la défense, déclarait : « L'industrie de défense répond à la façon dont nous la finançons et à la manière dont nous l'avons financée au fil du temps ». Dans une perspective économique, cela signifie que la demande adressée par les États précède l'offre industrielle. La performance de l'industrie de défense française est ainsi étroitement liée aux dépenses d'équipements passées, et son évolution future dépendra largement des investissements à venir.
Il est tout d’abord à noter que la base industrielle et technologique de défense (BITD) française figure parmi les plus performantes en Europe et dans le monde, avec huit groupes français classés parmi les cinquante premières firmes mondiales. L'institut suédois SIPRI souligne que la France possède la gamme de matériels la plus étendue en Europe, avec un niveau technologique proche de celui des États-Unis. Cette réussite découle en grande partie des investissements de défense. Entre 1980 et 2024, la France a en effet consacré en moyenne 18 milliards d'euros constants aux dépenses d'équipements, se positionnant comme le premier investisseur de l’Union européenne en matière d'équipements de défense. Ces dépenses représentent les trois quarts des investissements publics de l'État, générant un impact économique significatif avec un multiplicateur de 2 à un horizon de cinq ans. L'autonomie stratégique implique donc une politique industrielle efficace d’un point de vue économique.
Il est par ailleurs admis que le marché français étant trop restreint pour préserver l'outil industriel de défense, les exportations constituent un levier essentiel, représentant environ 25 % du chiffre d'affaires de l'industrie.
Malgré ce bilan globalement positif, la France fait face à quatre défis majeurs, dont le premier est de nature budgétaire. En valeur réelle, le budget de la mission de défense en 2024 demeure inférieur à celui de 1991. La défense représente actuellement près de 2 % du PIB, contre 4 % en moyenne durant la guerre froide et 2,7 % en 1991. Bien que la trajectoire de la loi de programmation militaire 2024-2030 soit ambitieuse, elle ne permettra pas de retrouver les niveaux de la guerre froide. De plus, l'augmentation de 15 % du budget de défense français entre 2014 et 2023 est inférieure à celle de nombreux partenaires européens.
Le deuxième défi est capacitaire. Bien que la LPM 2024-2030 maintienne le socle des forces armées et le développement des futures plateformes majeures, ainsi que certaines technologies de rupture, plusieurs programmes conventionnels conservent toutefois leur trajectoire initiale, voire sont révisés à la baisse. La loi d'Augustine, prévoyant une augmentation exponentielle des coûts d'équipement, risque en outre de réduire le pouvoir d'achat du ministère. Selon les travaux de la littérature économique sur les trajectoires de coûts, le budget doit être augmenté de 20 % tous les six ans pendant une génération pour que le format des forces armées demeure inchangé.
Le troisième défi est industriel : compte tenu des trajectoires budgétaires et de commandes, le modèle d'affaires de l'industrie de défense française devrait rester inchangé, avec une production rationalisée autour d'un champion national par domaine et une production en flux tendu. La préparation à une guerre de haute intensité a été entreprise par certains industriels dans les secteurs des munitions et des missiles. Nous observons notamment une multiplication par quatre de la cadence de production du Mistral 3, ainsi qu'une augmentation de trois à quatre fois la production de canons Caesar dans le domaine de l'artillerie. Néanmoins, à l'échelle globale de l'industrie de défense, la question du partage du risque entre l'État et l'industrie concernant les coûts liés à l'adaptation industrielle s'avère déterminante pour la mise en œuvre de la politique publique. Cette dernière devra assumer les frais inhérents au passage d'une logique de flux tendu à une logique de massification. L'équilibre entre la prise de risques par les industriels et l'accompagnement public est au cœur de cette problématique. Il convient de considérer cela non pas comme un coût budgétaire, mais comme un investissement visant à fournir les équipements indispensables aux forces armées.
La structure du marché présente par ailleurs des particularités notables puisqu’il s’agit d'un monopsone, c'est-à-dire un seul acheteur face à plusieurs vendeurs. L'État, en définissant les besoins, détermine ainsi la taille du marché. Bien que la tendance mondiale au réarmement engendre un choc de demande, la France n'a pas véritablement réussi à tirer profit de cette situation en Europe, capitalisant davantage sur le grand export.
La question de l'adaptation industrielle se pose donc dans ce contexte. Si le choc de demande actuel s'avère permanent et s'accompagne d'une augmentation des commandes fermes, l'adaptation industrielle sera nécessaire. Il convient de rappeler que l'industrie de défense s'inscrit dans le temps long, avec des cycles de développement et de production s'étendant sur plusieurs décennies. Cette industrie s'adaptant difficilement aux changements brutaux de cadence et de rythme, la visibilité et la stabilité sont essentielles. Toute remontée en puissance industrielle doit ainsi s'accompagner d'une trajectoire crédible afin de préserver la dimension industrielle de l'autonomie stratégique.
Le dernier défi identifié est d'ordre technologique. La guerre en Ukraine révèle certaines ruptures, notamment la « dronisation » du champ de bataille et l'utilisation accrue de technologies civiles. Ces solutions, si elles ne remplaceront pas les équipements de haut niveau, permettent néanmoins une plus grande efficacité des systèmes d'armes, voire une massification à moindre coût par la militarisation de systèmes civils.
Deux types de marchés se distinguent. D'une part, un marché traditionnel reposant sur des plateformes classiques, avec un petit nombre de firmes maîtres d'œuvre industriels bien identifiées et des coûts fixes importants. Il s'agit ici d’une production dont l'objectif est d'être légèrement supérieur à l'adversaire et où l'innovation se conçoit dans un cadre descendant, l'utilisateur définissant ses besoins auxquels le développement des produits s'adapte. La valeur de ces biens est élevée et implique une production en petites séries. D'autre part, un marché émergent qui englobe les capacités apparues depuis la guerre en Ukraine. Sa dynamique se rapproche davantage de celle des produits civils, avec de faibles barrières à l'entrée, une plus forte contestabilité et une proximité accrue avec le secteur civil grâce aux effets de série. L'innovation y est de type « techno push », les entreprises proposant des solutions avant même l'expression d'un besoin. La valeur des produits est généralement faible, leur durée de vie sur le champ de bataille étant elle-même limitée.
Ces deux marchés sont complémentaires car ils répondent à des besoins différents. En termes de politique industrielle, la France occupe une position favorable sur le marché traditionnel, avec des leaders européens et mondiaux, grâce à la cohérence de son modèle et à la supervision de la direction générale de l’armement (DGA). Parallèlement, un soutien budgétaire, même modeste, devrait permettre de tester des solutions sur le marché émergent. Les retours d'expérience sur les projets Larinae et Colibri devront faire l'objet d'une attention particulière.
M. Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales. Je souhaite revenir sur la notion d'économie de guerre, qui marque une rupture avec les trois dernières décennies durant lesquelles l'industrie de défense a dû adopter une stratégie de survie. Cette période a été caractérisée par une production réduite et ralentie, seul moyen pour l'industrie et la DGA de pérenniser ce secteur.
La transition brutale entre les années de guerre froide et la période 1990-2010 a contraint à réduire les capacités de production au minimum viable afin de maintenir les compétences et les chaînes d'approvisionnement. Cette approche explique notamment la lenteur des livraisons de systèmes tels que le Caesar. L'enjeu était de préserver une capacité d'approvisionnement constante à travers une chaîne logistique stimulée en permanence. Une production massive sur une courte période, sans perspectives d'exportation, aurait rapidement conduit à l'obsolescence de la chaîne et à la perte de compétences. Le choix du « juste à temps » n'est donc pas fortuit, mais représente une stratégie de survie dans un contexte de privatisation de la BITD. Le char Leclerc illustre les conséquences de cette approche : initialement prévue à plus de 1 400 unités, la production a été réduite à 400 après la fin de la guerre froide. Malgré un contrat d'exportation de 400 unités supplémentaires, la chaîne de production s'est finalement arrêtée en 2008. Quinze ans plus tard, le soutien de ce système devient problématique, la filière d'approvisionnement en pièces détachées ayant largement disparu. Cette situation impacte notamment notre partenariat avec l'Allemagne puisque nos besoins en chars de combat sont plus pressants que les leurs, leur chaîne de production ayant été maintenue grâce à l'export.
Ces défis se conjuguent à une sophistication croissante des systèmes, les rendant à la fois plus complexes à produire et à maintenir et plus onéreux. Le Leclerc et le Rafale coûtent deux à trois fois plus cher que leurs prédécesseurs. S'ajoute à cela le développement de normes liées aux temps de paix, parfois difficilement compatibles avec les exigences d'un conflit de haute intensité. Lors de notre récent déplacement en Ukraine, nous avons constaté que la dérégulation était perçue comme essentielle pour faire face à la Russie, permettant plus de rapidité et d'adaptabilité face à une armée encore très soviétique.
La sortie de cet état de stase pour l'industrie de défense constitue l'enjeu majeur de ce qui a été qualifié, peut-être à tort, d'économie de guerre. Cette terminologie a suscité des inquiétudes chez nos partenaires européens, notamment allemands et polonais. Il serait plus approprié de parler d'un retour à la normale, visant à retrouver des capacités de production plus efficaces, rapides et potentiellement moins coûteuses. Pour y parvenir, des réformes sont nécessaires, notamment concernant les normes, les demandes et les exports.
La BITD fait aujourd’hui face à un empilement de normes civiles et militaires françaises, européennes et internationales qui entravent son action. À titre d'exemple, le retard du drone Patroller de Safran s’explique en partie par la nécessité de respecter de nombreuses normes civiles liées au survol de zones habitées. La DGA a récemment entrepris une réforme visant à classer les normes et potentiellement dispenser certains systèmes de leur application. Cette initiative s'avère pertinente, car de nombreuses normes posent des difficultés considérables dans le développement des équipements militaires. Prenons l'exemple du Griffon, nouveau véhicule blindé de l'armée de terre, dont le développement a été retardé par la nécessité de se conformer à certaines normes. Un cas particulièrement révélateur concerne les phares du véhicule. Initialement placés à une hauteur élevée, ils ont dû être abaissés pour respecter les normes routières internationales, qui stipulent que les phares ne doivent pas éblouir les conducteurs arrivant en sens inverse. Cette modification a entraîné une refonte complète de la face avant du véhicule qui a engendré un nouveau problème : les phares, désormais trop bas, heurtaient les essieux et se brisaient. Cet exemple, bien que trivial, illustre les conséquences de l'application de normes civiles, conçues pour des véhicules produits en grande série, à des équipements militaires dont la production est limitée.
Un autre défi réside dans la culture de réduction maximale des risques, inhérente à nos sociétés modernes, qui impacte également l'industrie de défense. Chaque système doit être qualifié par les industriels puis par la DGA avant sa mise en service, ce qui engendre des surcoûts et des délais importants. La réforme de la DGA prend en compte cet aspect, mais ses effets restent à confirmer. Pour illustrer cette problématique, examinons le cas d'une douille de 20 millimètres. Sa production, apparemment simple, nécessite six à huit semaines en France, contre moins de deux semaines en Ukraine. Cette différence s'explique par les nombreuses normes et contraintes que KNDS doit respecter pour se conformer aux exigences françaises. Ces normes entraînent des surcoûts, des délais allongés et une mobilisation importante de ressources humaines.
Il est à noter que nos partenaires européens, notamment allemands, ont des exigences moins strictes. Le risque est que cet empilement de normes, bien qu'ayant des effets positifs, n'aboutisse qu'à des améliorations marginales.
Les réformes engagées par la DGA et les récentes déclarations des responsables politiques montrent une prise de conscience de ces enjeux. Il est désormais crucial que ces réformes produisent leurs effets et bénéficient des moyens financiers et humains nécessaires.
Le principal levier reste cependant la commande publique. D'après les échanges avec les industriels, leur réticence envers le concept d'économie de guerre s'explique par l'absence de commandes massives pour répondre à un besoin immédiat. Les augmentations de production constatées résultent souvent d'une accélération des commandes existantes plutôt que d'une réelle augmentation en volume. Les industriels, contraints d'investir pour répondre à ces demandes, craignent que ces investissements ne soient pas rentabilisés si les contrats ne sont pas renouvelés au même volume. L'export joue également un rôle majeur dans l'augmentation des cadences de production. Bien qu'essentiel pour notre industrie de défense, il demeure une ressource imprévisible qui ne permet pas aux industriels de disposer d’une visibilité à long terme.
Enfin, bien que l'augmentation du budget liée à la LPM ait été favorablement accueillie par les industriels, des inquiétudes persistent quant à la sincérité budgétaire et à la pérennité de ces engagements au-delà de 2027 et des prochaines élections présidentielles.
Mme Florence Goulet (RN). L'économie de défense demeure au cœur d'une stratégie industrielle et d'une ambition de souveraineté nationale, malgré les pressions des partisans d'une Europe de la défense à outrance, qui s'apparente en réalité à une défense « otanisée ». La base industrielle et technologique de défense française, forte d'environ 1 700 entreprises, dont de nombreuses PME, occupe une position centrale en termes de performance et d'innovation, bien que les dépenses ne représentent actuellement qu'une part modeste du PIB en raison de multiples restructurations.
L’économie de guerre évoquée par le président de la République implique-t-elle une augmentation substantielle des ressources allouées à notre défense, étant donné le sous-équipement chronique mis en lumière par le nouveau contexte géopolitique ? Emmanuel Macron insiste sur la nécessité de produire davantage et plus rapidement, mais le budget, atteignant à peine 2 % du PIB cette année, est loin de correspondre à une économie de guerre qui supposerait une réaffectation massive des moyens vers les besoins des armées.
Un décalage persiste entre les besoins urgents de soutien à l'Ukraine, le renforcement de nos capacités face à une menace de guerre de haute intensité et une LPM qui doit également prendre en compte le renouvellement global de nos équipements : porte-avions, frégates, avions et chars de combat, sans oublier les menaces dans le cyberespace, les enjeux du quantique et de l'intelligence artificielle.
Face à la nécessité d'un réarmement, un déficit budgétaire considérable et des choix économiques discutables, la marge de manœuvre réelle du gouvernement suscite des interrogations. Cette situation pourrait l'inciter à effectuer des achats à l'étranger sur étagère, remettant en cause notre principe d'autonomie stratégique. La préparation à une guerre de haute intensité pourrait certes bénéficier à l'économie française, mais cela nécessiterait des choix politiques radicalement différents.
Dès lors, notre économie de défense est-elle encore en adéquation avec les menaces actuelles et comment pouvons-nous optimiser nos ressources ?
M. Julien Malizard. Les budgets sont définis en fonction d'objectifs précis. Actuellement, nous nous situons sur un plateau de 2 % qui représente une certaine stabilité depuis une quinzaine d'années. Un effort budgétaire significatif est observé depuis 2015, globalement aligné sur le taux de croissance du PIB. Si la LPM annoncée est respectée, nous pouvons envisager une augmentation du taux de l'effort de défense français à l'horizon 2030. Cela dépendra évidemment des perspectives de croissance, mais il est peu probable que nous atteignions 3 % ou 4 %, comme je l'ai mentionné dans mon propos liminaire. La question essentielle porte donc sur l'efficacité de nos dépenses. Globalement, nous constatons qu'un euro dépensé génère des effets économiques et militaires significatifs. En comparaison avec d'autres pays, notre efficacité se démarque. Cela témoigne de la cohérence d'ensemble de notre modèle, conçu il y a plus de soixante ans.
Votre question relève également des enjeux budgétaires majeurs, qui concernent notamment cette trajectoire dans un contexte d'endettement public important. Bien que les débats actuels sur la trajectoire future soulèvent des interrogations, le projet de loi de finances ne sacrifie pas la défense, contrairement aux tendances historiques observées depuis les années 80 lors de chocs économiques.
La question fondamentale demeure l'articulation des moyens par rapport aux objectifs. Actuellement, bien que nous préservions le socle existant, nous rencontrons cependant des difficultés pour aller plus loin quantitativement.
Concernant la possibilité d'achats sur étagère, la stratégie française privilégie une politique d'autonomie stratégique, incluant une dimension industrielle. Bien que l'achat sur étagère puisse offrir des avantages économiques, tels que des effets de série potentiels, la France n'a pas opté pour cette approche jusqu'à présent. Nous pourrions cependant envisager cette option dans certains domaines où le pays n'est pas toujours bien positionné, comme nous l'avons constaté avec l'achat de drones américains, reconnus pour leurs performances supérieures.
Nous devons donc décider si nous souhaitons renforcer nos capacités dans ces domaines, sachant que cela nécessiterait un investissement conséquent et du temps pour rivaliser avec les meilleurs au niveau mondial.
Mme Corinne Vignon (EPR). Le groupe Ensemble pour la République approuve et soutient les initiatives menées depuis 2017, et plus particulièrement depuis 2022, visant à renforcer nos capacités militaires et notre industrie de défense. La France s'inscrit actuellement dans une trajectoire de modernisation de son appareil défensif et de développement de nouveaux programmes d'envergure, tels que le porte-avions de nouvelle génération, de nouveaux Rafale ou encore des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération. Dans le cadre de nos discussions sur l'économie de guerre, je souhaiterais vous poser trois questions.
Monsieur Péria-Peigné, vous avez évoqué la « théorie bonsaï » appliquée par la France, consistant à disposer d'une grande diversité d'armements en quantités limitées. Pourriez-vous préciser votre analyse de cette stratégie ? Estimez-vous qu'elle soit adaptée pour honorer nos engagements internationaux et nous préparer à d'éventuels conflits de haute intensité ?
Monsieur Malizard, en tant que spécialiste des questions économiques, comment envisagez-vous l'impact de l’élection de Donald Trump aux États-Unis sur nos industries de défense ?
Monsieur Rademacher, fort de votre expérience à la DGA, quelle est votre appréciation des efforts de simplification des cahiers des charges, sollicités par plusieurs industriels et par le ministère des armées ? Constatez-vous des avancées significatives dans ce domaine ?
M. Léo Péria-Peigné. Je persiste à penser que nous demeurons dans une logique de bonzaï, la LPM en cours devant servir de tuteur pour consolider certaines branches. Cette trajectoire semble malheureusement se poursuivre au moins jusqu'en 2030, particulièrement lorsque nous comparons notre effort à celui d'autres pays européens.
Pour illustrer mon propos, la France ne possède actuellement que quatre lance-roquettes unitaires, ancêtres des HIMARS qui se sont distingués en Ukraine. Ces capacités, réduites drastiquement depuis trente ans, étaient même vouées à disparaître selon la précédente LPM. En effet, nous arrivions en 2025 sans aucune prévision de remplacement, alors que ces systèmes doivent être retirés du service dès 2027. La décision de les remplacer a finalement été prise, mais le rapport annexé de la LPM ne prévoit que 32 lanceurs d'ici 2035. En comparaison, la Pologne a acquis 250 équivalents coréens, dispose déjà d'une vingtaine ou trentaine de systèmes américains et envisage d'en acheter davantage. Cette approche découle d'une stratégie différente de la nôtre. Les Polonais ne cherchent pas à se doter de l'ensemble des systèmes existants, mais avec plus de 2 500 chars, 1 000 blindés, 1 600 pièces d'artillerie mobiles et 300 à 400 lance-roquettes multiples, leur capacité de défense terrestre s'avérera crédible à l'horizon 2030-2035.
Notre soutien limité en armement à l'Ukraine a malheureusement mis en évidence les lacunes de notre format. Le modèle du bonzaï nous permet certes de remonter en puissance si nécessaire, car nous conservons nos capacités. Cette flexibilité s'avère un avantage par rapport à certains de nos partenaires, pour lesquels recréer une capacité serait plus complexe que de simplement l'augmenter. En ce sens, le choix du bonzaï demeure pertinent. Néanmoins, notre aide militaire à l'Ukraine s'est révélée extrêmement limitée, car nous avons dû prélever méticuleusement sur nos propres ressources pour en transférer aux Ukrainiens. Cette situation se vérifie dans de nombreux domaines. Nous avons opté pour la suppression de nos stocks au profit d'une logique de flux tendu permanente, ce qui nous a pénalisés en 2022 et continue de nous affecter. Les années 2022 et 2023 ont probablement entaché la crédibilité de la France et de ses armées au niveau européen.
J'espère que la LPM en cours permettra de résoudre une partie de ces problèmes, notamment concernant les munitions. Cependant, en l'état actuel, elle prévoit un parc d'artillerie français de 110 pièces, un parc de chars de 180 à 200 unités et un parc de véhicules blindés aptes au combat inférieur à 800 unités. Nos capacités seront à la mesure des moyens que nous prévoyons.
M. Julien Malizard. Concernant l'impact potentiel de l'élection de Donald Trump sur l'industrie de défense, je souhaite reprendre l'analyse de mon collègue Olivier Schmitt, qui distingue la stratégie optimale pour les Français et les Européens de ce qui risque de se produire dans le contexte politique actuel. La politique de Trump, à l’image de son précédent mandat présidentiel, risque d'accentuer la fragmentation européenne. Pour certains pays européens, la sécurité garantie par l'Otan, donc par les États-Unis, demeure primordiale. Ainsi, pour renforcer l'autonomie stratégique européenne, une coordination accrue et des investissements supplémentaires seraient nécessaires afin de stimuler l'industrie de défense européenne. Or, les augmentations budgétaires se concentrent principalement dans les pays d'Europe centrale et orientale tandis que les industries de défense se situent plutôt en Europe de l'Ouest, ce qui crée un découplage au sein de l'Europe. Une meilleure coordination s'avère indispensable pour gagner en efficacité et accroître collectivement les dépenses afin d'atteindre un niveau adéquat.
Une étude de l'International institute for strategic studies a estimé que face à une guerre de haute intensité, les Européens devraient investir massivement par rapport à l’existant s'ils souhaitaient assurer leur propre défense, en faisant preuve de coordination. Cependant, malgré cette trajectoire idéale pour une défense européenne autonome, le risque de fragmentation persiste. Certains pays pourraient ainsi adopter une approche transactionnelle avec le président américain, négociant un soutien contre l'acquisition de matériel militaire. La question de la coordination se pose donc, mais la politique de défense reste une prérogative forte des États et l’absence de coordination internationale qui en découle accroît le risque de poursuite de cette fragmentation, potentiellement préjudiciable pour les Européens dans leur ensemble.
Il convient de noter que, d'un point de vue strictement économique et quantitatif, aucun pays européen ne pourrait agir seul en cas de guerre de haute intensité. Face à ce panorama, je me montre donc pessimiste.
ICA Benoît Rademacher. La DGA a été créée en 1961 sous le nom de délégation ministérielle à l'armement, avec pour mission principale la mise en place de la force de dissuasion française. Cette institution est chargée de la maîtrise d'ouvrage de systèmes d'armement complexes, nécessitant des processus bien définis. Pour illustrer cette complexité, prenons l'exemple d'un sous-marin nucléaire lanceur d'engins, composé d'environ 30 millions de composants. La DGA a fait évoluer ses processus pour s'adapter à cette complexité, notamment en passant de l'instruction 15-16 à l'instruction 16-18, qui vise à réduire les étapes du processus. Le ministre des armées a récemment souligné la nécessité de poursuivre la simplification des processus. Il a proposé de mettre en place des processus différenciés selon les types de systèmes : des procédures plus simples pour des besoins à court terme et des processus plus élaborés pour les systèmes s'inscrivant dans le temps long. Cette approche rejoint la réflexion sur l'existence de différents marchés dans l'industrie de la défense. D'une part, un marché complexe pour des systèmes dont la durée de vie peut atteindre 30 ou 40 ans et, d'autre part, des marchés davantage adaptés à des acquisitions rapides avec des acheteurs spécialisés.
Par ailleurs, la création de l'Agence de l'innovation de défense, distincte de la DGA, vise à offrir plus de flexibilité dans les acquisitions agiles et innovantes. Sébastien Lecornu a évoqué la possibilité de doter cette agence d'une capacité d'achat directe. Pour les achats innovants ou impliquant des acteurs moins conventionnels comme les start-ups, il est en effet essentiel d'adapter le niveau d'exigence et de dialogue. La DGA a donc réalisé des progrès significatifs dans ce domaine, en mettant l'accent sur l'innovation et en créant des unités de conduite de programme agiles et innovantes. S’il conviendra d’observer dans la durée les résultats de ces diverses innovations, j'estime donc que cet enjeu a bien été pris en considération.
M. le président Jean-Michel Jacques. En ma qualité de rapporteur de la LPM, je tiens à souligner que la qualification de « stratégie bonzaï » me paraît souvent excessive car notre armée, lorsqu'elle frappe, est redoutable et efficace.
Il convient également de rappeler que l'objectif de cette loi de programmation militaire était de doter notre armée de capacités de renseignement, d'analyse et d'action, y compris en profondeur, tout en lui permettant d'être un pays-cadre. Cela implique de maîtriser l'espace jusqu'aux fonds marins, du monde matériel à l'immatériel et entraîne inévitablement des choix financiers différents de ceux, par exemple, de la Pologne.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Mon groupe ne reconnaît pas l'expression « économie de guerre ». En effet, non seulement nous ne sommes pas en guerre, mais si tel était le cas, le système industriel et l'économie de défense actuels seraient déjà largement dépassés par les exigences d'une guerre de haute intensité. Nous sommes plutôt dans une logique de remontée en puissance et de consolidation d'un secteur industriel indispensable à la souveraineté et à la vie économique du pays.
Je souhaite également réagir aux propos de M. Malizard concernant la comparaison budgétaire entre les périodes pré et post-guerre froide, qui ne prend pas en compte l’élément fondamental qu’est l'existence de la conscription. Le modèle ayant été profondément transformé depuis lors, cette comparaison semble légèrement abusive.
Quant au débat budgétaire, mon groupe a maintes fois souligné, hors de l’hémicycle puisque les discussions n'auront pas lieu, l'insincérité du budget présenté pour 2025. Nous avons surtout été quasiment les seuls à mettre en lumière l'insoutenabilité de la trajectoire budgétaire à partir de 2027, tant l'écart entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement s'est creusé.
Je souhaiterais vous poser trois questions. Premièrement, concernant la dépendance aux importations de composantes et de matières premières : quelles actions sont entreprises ou mériteraient de l'être afin de sécuriser ces approvisionnements ? Deuxièmement, quelle est la réalité et l'avenir du Zeitenwende ? Enfin, je pose une question ouverte sur le bilan de la privatisation du secteur qui, bien que récente, influence manifestement le modèle en place.
ICA Benoît Rademacher. Sur le sujet de la dépendance aux importations, nous constatons la présence croissante de composants numériques et informatiques dans l'industrie et une utilisation massive de composants civils, notamment les puces et sous-systèmes électroniques. Il ne serait pas raisonnable de réinternaliser toutes ces capacités, étant donné leur bon fonctionnement actuel. Si nous procédons ainsi pour des systèmes extrêmement pointus, en particulier ceux liés à la dissuasion nucléaire, cette approche est toutefois difficile à généraliser car nous devons maintenir un équilibre délicat entre la performance des équipements intégrant les composants les plus avancés et la maîtrise des coûts.
L'enjeu principal réside dans la sécurisation des chaînes d'approvisionnement. Bien que la loi de programmation militaire impose aux industriels de la défense de constituer des stocks stratégiques, la situation se complexifie lorsque ces capacités de production ne sont pas situées sur notre territoire. Prenons l'exemple des terres rares, dont la Chine domine le marché avec 50 % des réserves et 85 à 90 % de la production mondiale. Sa stratégie vise clairement à renforcer sa présence dans l'aval de la chaîne de valeur, passant d'exportateur de matériaux bruts à fournisseur de composants. Au-delà de la sécurisation des approvisionnements, nous devons considérer la compétition à l’échelle internationale car, si la demande intérieure chinoise venait à primer sur les demandes extérieures, nous devrions être capables d’anticiper ce risque. Cela nécessite d'avoir une vision précise de l'ensemble des sous-traitants et fournisseurs, ce qui s'avère complexe en raison de la concentration des grands maîtres d'œuvre industriels. Il est également nécessaire d’envisager, sur le long terme, des technologies de substitution permettant de recourir à des moyens différents. Cette réflexion implique de s'abstraire de la manière dont nous menons actuellement les programmes d'armement.
Des recherches sont en cours dans ce domaine, mais cette contrainte s’impose malheureusement à nous. Les industriels ont l'obligation de constituer des stocks stratégiques et de diversifier leurs approvisionnements auprès de différents fournisseurs.
M. Léo Péria-Peigné. Nous avons réalisé, en collaboration avec Élie Tenenbaum, une étude sur le sujet du Zeitenwende il y a un an et une nouvelle étude similaire sur la Pologne sera publiée d'ici le mois de février. L'Allemagne entre dans une période électorale qui confirmera ou infirmera probablement certaines trajectoires, mais il est actuellement difficile d'observer des résultats concrets. Les difficultés que nous avions identifiées persistent : vieillissement de la population, manque d'attrait pour les métiers de l'uniforme et retard significatif de la Bundeswehr dans de nombreux domaines, notamment les infrastructures. Bien que ces facteurs entravent considérablement l'émergence d'un véritable Zeitenwende, une évolution politique intéressante se dessine néanmoins, avec notamment des changements révélateurs dans le discours du parti écologiste allemand sur les questions de défense et d'armement. Longtemps considéré comme l'un des partis les plus pacifistes d'Europe, il a en effet opéré un véritable tournant depuis le début de la guerre en Ukraine. Les élections de l'automne prochain entraîneront des répercussions importantes sur la réalité du Zeitenwende. Certains partis souhaitent le renforcer, tandis que d'autres sont plus nostalgiques d'une époque où le commerce avec la Russie était plus aisé.
Nous devrons observer attentivement cette situation, mais les conclusions de notre étude demeurent valables. Après trente ans, la France n'est malheureusement plus le premier partenaire militaire de l'Allemagne et doit s'ouvrir à d'autres partenaires. Lors de mon récent séjour en Pologne, j'ai constaté une réelle volonté de collaboration avec la France, ce qui pourrait ouvrir des perspectives intéressantes, là où la situation franco-allemande reste très complexe aujourd'hui.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous pourrions en effet envisager de fructueuses collaborations avec cette force armée d'excellence.
M. Julien Malizard. Dans une perspective historique, la privatisation de l'industrie de défense française est liée à la transformation de la DGA au milieu des années 1990. Cette évolution découlait d'une conception politique selon laquelle le marché serait plus efficace qu'une production régulée par l'État. Aujourd'hui, la structure capitalistique française dans ce secteur est singulière en Europe. Elle se caractérise par des entreprises privées sous capitaux publics, l'État étant actionnaire majoritaire dans l'aéronautique, voire unique actionnaire pour certaines entités comme KNDS France.
Cette configuration soulève la question fondamentale du partage du risque. Si ces entreprises étaient restées entièrement publiques, il aurait peut-être été plus aisé d'assumer des changements radicaux dans les trajectoires de commandes, de répartir le risque lié au coût du stockage ou encore d'appliquer certaines dispositions prévues dans la LPM. Un modèle d'arsenal tel qu'il existait auparavant aurait facilité cette gestion. Dans une logique de monopsone, l'État aurait assumé seul les coûts, simplifiant ainsi la gestion. Il faut néanmoins reconnaître que l'industrie de défense actuelle, organisée en grands groupes dotés d'une fonction achat performante, permet une rationalisation des coûts et une réelle efficacité.
Le débat se cristallise donc autour de deux aspects : d'une part, l'efficacité dans l'approvisionnement en composants et, d'autre part, l'internalisation par la puissance publique du coût des options évoquées. C'est sous cet angle qu'il convient d'appréhender la question.
M. Léo Péria-Peigné. La comparaison entre la France et l'Allemagne dans le domaine de l'industrie de défense s'avère pertinente. Bien que, dans le secteur terrestre, la France ait théoriquement abandonné le modèle d'arsenal, Nexter demeure une entreprise indirectement contrôlée par l'État français, tandis que l'Allemagne a entièrement privatisé Rheinmetall. Cette différence de stratégie se traduit par des résultats concrets, puisque Rheinmetall sera en mesure de produire plus d'un million d'obus l'année prochaine tandis que la France atteindra difficilement les 100 000 unités.
Il serait cependant hâtif d'attribuer cette disparité uniquement à la privatisation car, dans le secteur naval, la situation s'inverse. Les chantiers navals allemands privatisés rencontrent des difficultés considérables, au point que l'État a dû intervenir financièrement pour sauver l'un d'entre eux, une première dans l'histoire. En revanche, Naval Group, bien que partiellement privatisé mais toujours fortement influencé par l'État, demeure une entreprise extrêmement performante.
Mme Alexandra Martin (DR). Je souhaite évoquer le défi capacitaire humain dans notre économie de défense, caractérisée par le retour du combat de haute intensité. La préparation à ce type d'affrontement nécessite une augmentation substantielle des capacités de mobilisation opérationnelle et matérielle, mais également humaine. La professionnalisation des armées et la modernisation de nos systèmes de défense requièrent un renfort permanent de ressources humaines et civiles dans toutes les missions, des plus traditionnelles aux plus innovantes.
À l'instar de nombreux pays, l'apport des forces de réserve a acquis une importance déterminante en raison de leur flexibilité d'emploi et de leur excellent ratio coût-efficacité. Les réservistes constituent une composante essentielle de notre stratégie nationale de défense, qu'il s'agisse de la réserve opérationnelle intégrée en renfort dans les forces ou de la réserve citoyenne, relais de la défense auprès de la société civile. Ces deux piliers de la réserve militaire agissent de manière complémentaire : d'une part, pour épauler les armées dans l'accomplissement de leurs missions en permanence, et d'autre part, pour promouvoir l'esprit de défense et consolider le lien entre la nation et son armée.
Outre les investissements prévus par la LPM pour la transformation de nos forces armées, un objectif de 100 000 réservistes à l'horizon 2030 a été fixé. Cet objectif vous semble-t-il suffisant ? Les moyens alloués dans la LPM vous paraissent-ils adéquats ? Quelle est votre appréciation de l'apport de ces réserves dans notre économie de défense et de guerre ?
M. Julien Malizard. Dans une perspective historique, les dépenses de fonctionnement, incluant une part importante de la masse salariale, ont maintenu une remarquable stabilité. Contrairement aux attentes des années 1990-2000, la fin de la conscription n'a pas généré les économies escomptées pour financer les équipements. Aujourd'hui, la gestion des ressources humaines constitue un enjeu majeur pour plusieurs raisons. Les forces armées requièrent principalement des individus jeunes et en bonne santé, or la démographie actuelle présente des cohortes moins importantes au sein de ces classes d'âge. Des signaux d'alerte récurrents indiquent que les objectifs de recrutement n'ont pas été atteints par le passé. Il est donc impératif d'attirer et de fidéliser le personnel. Les réservistes sont perçus comme une solution pour certaines fonctions, permettant d'accéder à des compétences spécifiques sans nécessiter un recrutement permanent.
Le chiffre de 100 000 réservistes dépend des objectifs fixés. Historiquement, la France a opté pour un nombre limité de réservistes par rapport à la taille de ses forces armées, contrairement à d'autres pays comme la Finlande ou la Suisse qui ont adopté une approche différente. Ces modèles mériteraient d'être étudiés pour évaluer l'importance de la réserve.
Néanmoins, des difficultés intrinsèques persistent. Les réservistes, bien que sous contrat avec les forces armées, rencontrent parfois des obstacles pour être mis à disposition par leurs employeurs. Bien que des engagements aient été pris par certains grands groupes, un accompagnement reste nécessaire, tant pour les grandes entreprises que pour les structures plus modestes. Souvent, les réservistes proviennent de l'industrie de la défense, ce qui facilite leur sensibilisation au sujet.
Un défi majeur réside dans le manque de connaissance du secteur de la défense par le grand public. Dans l'optique d'une éventuelle massification de la réserve, il est essentiel d'attirer des personnes initialement indifférentes ou peu informées. Des initiatives telles que la Fabrique Défense ont été lancées pour présenter les métiers de ce secteur. Cependant, améliorer la connaissance générale du domaine de la défense reste un travail de longue haleine qui nécessite un soutien continu.
M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC). Stocker de l'eau potable, constituer des réserves alimentaires, prévoir des liquidités, se munir de vêtements chauds et acquérir une radio autonome : voilà quelques recommandations contenues dans le manuel actuellement distribué à 5 millions d'exemplaires par la Suède à ses citoyens pour les préparer à l'éventualité d'un conflit. La Finlande a également lancé un site internet proposant des conseils de préparation analogues. Bien que nous évoquions fréquemment les ordinateurs quantiques, les soldats augmentés et la robotisation des forces aériennes, force est de constater que les fondamentaux demeurent essentiels. L'esprit de défense, cette capacité d'une nation à faire front commun face aux dangers, en constitue un élément clé. La question de nos capacités de production sur des éléments basiques en est un autre.
Monsieur Péria-Peigné, vous avez présenté une douille pour illustrer vos propos, et non un ordinateur quantique. Dans certains secteurs, nos capacités de production restent effectivement limitées, notamment concernant la fabrication de poudre. À ce jour, le projet de relocalisation de l'entreprise Eurenco à Bergerac est le seul existant. La nécessité d’augmenter les stocks de munitions est un objectif clairement identifié. Cette année, près d'un tiers des entreprises de l'armement déclarent rencontrer des difficultés d'approvisionnement, soit deux fois plus que dans le reste de l'industrie manufacturière. Ce constat nous oblige à sécuriser davantage l'ensemble de la chaîne de production pour ne pas dépendre de fournisseurs susceptibles d'interrompre leurs livraisons en fonction des évolutions géopolitiques.
Pourriez-vous nous indiquer les actions à privilégier pour consolider la chaîne de sous-traitants et les aider à surmonter les difficultés engendrées par la hausse d'activité nécessaire et souhaitable pour répondre aux enjeux actuels ? Vous avez évoqué la question de la commande publique, des normes, des technologies de substitution et de la diversification des fournisseurs mais quels sont, selon vous, les leviers à prioriser pour répondre aux difficultés d'approvisionnement que déclarent connaître 30 % des entreprises de l'armement ? Qu'en est-il des projets de relocalisation ? Pourriez-vous également nous fournir des éléments d'analyse comparée ? Quelles solutions ont fonctionné ailleurs face à ces difficultés et dont nous pourrions nous inspirer ou que nous pourrions adopter ?
M. Léo Péria-Peigné. Je développerai deux pistes de réflexion. Premièrement, il convient de prendre en compte le fait que l'industrie de défense représente un secteur de taille modeste, tant à l'échelle nationale qu'européenne, même en considérant l'ensemble des acteurs du continent. Cette industrie se caractérise par des demandeurs peu nombreux qui passent des commandes de volumes restreints. Par conséquent, une des solutions envisageables, déjà évoquée et qui mérite à mon sens d'être approfondie, consiste en la mutualisation des commandes. Cette approche ne devrait pas se limiter aux systèmes finis commandés par les États mais devrait surtout viser le regroupement des donneurs d'ordre de l'industrie de défense au niveau européen. L'objectif serait de pouvoir prétendre à des commandes plus conséquentes en termes de composants ou de matières premières, et ainsi gagner en importance dans la hiérarchie des priorités des fournisseurs. J'estime que cette démarche constitue un des éléments incontournables auxquels nous serons confrontés et qui s'avèrent essentiels pour l'avenir du secteur.
M. Julien Malizard. Je souhaite revenir sur un point évoqué lors des débats préparatoires à la LPM. Lors de mon audition dans le cadre de groupes de travail, j'avais proposé une analogie avec le secteur bancaire et financier que je soumets à nouveau à votre attention. Dans le domaine financier, les banques centrales organisent régulièrement des exercices appelés stress-tests, qui consistent à simuler un choc économique pour évaluer la sensibilité des banques face à diverses crises et vérifier leur capacité à maintenir leur liquidité et leur solvabilité. Nous pourrions envisager une approche similaire pour l'industrie de défense. L'idée serait de demander ouvertement aux industriels, dans le cadre d'un exercice de simulation, quel serait le délai nécessaire pour honorer une commande dans le cas d’une augmentation substantielle de la demande. Cette démarche permettrait d'identifier les points de blocage potentiels.
L'enjeu de l'économie de guerre réside dans la prise de conscience et le renforcement des capacités de production. Cependant, puisque nous ne sommes pas en situation de conflit, l'objectif est davantage un travail d'anticipation et de cartographie des besoins. Cette simulation, sous forme de stress-test industriel, offrirait l'opportunité d'identifier les obstacles, à condition que les industriels participent en toute transparence. Nous pourrions ainsi les accompagner pour éviter les écueils liés aux goulets d'étranglement et à la dépendance à un fournisseur unique pour certains composants.
Je suis convaincu que cette approche faciliterait l'anticipation nécessaire, en adéquation avec notre ambition de renforcer nos capacités.
M. Fabien Lainé (Dem). En juin 2022, peu après le déclenchement du conflit en Ukraine, Emmanuel Macron a initié la stratégie d’économie de guerre pour la France. Après trois décennies marquées par les dividendes de la paix et 80 ans sans conflit interétatique majeur sur notre continent, le concept a resurgi dans notre lexique et fait l'objet de discussions.
Traditionnellement, une économie de guerre entraîne une transformation profonde des structures économiques, sociales et industrielles d'un pays pour soutenir l'effort militaire. Elle remet en question les principes de l'économie de marché telle que nous la connaissons en temps de paix, faisant de la victoire militaire l'unique objectif national. L'Ukraine en offre un exemple frappant, consacrant actuellement 30 % de son PIB à l'effort de guerre et exigeant un sacrifice considérable de sa population, dont la vie est bouleversée à tous les niveaux.
Aussi, à partir de quel pourcentage du PIB peut-on véritablement parler d'économie de guerre pour un pays comme le nôtre, qui n'est pas directement impliqué dans le conflit ?
Nous sommes plusieurs à nous rendre au sommet de l'Assemblée parlementaire de l'Otan vendredi à Montréal, où nous échangerons avec nos homologues européens, canadiens et américains. Il serait intéressant d'aborder la perception de ce concept chez nos voisins et alliés, notamment allemands, italiens et polonais. Nous savons que certains peinent à atteindre les objectifs fixés par l'Otan. Quelle est leur perception à cet égard ?
M. Julien Malizard. Je souhaite évoquer un exercice de prospective réalisé récemment pour le podcast « Le Collimateur », où nous avons analysé les implications d'un budget de défense français atteignant 3 % voire 4 % du PIB. Bien que cet exercice de politique-fiction fût complexe, il soulève des questions pertinentes.
L'Ukraine est un pays en guerre, avec une véritable économie de guerre. Celle-ci se caractérise par un effondrement du PIB, une production entièrement orientée vers les besoins de la défense nationale et une suspension des marchés pour réallouer les ressources. Ce schéma rappelle la situation des puissances européennes et des États-Unis durant les guerres mondiales. La France, n'étant pas en guerre, ne peut adopter une telle posture. Néanmoins, nous pourrions établir un parallèle avec la période de la guerre froide, où nous nous préparions à un conflit de haute intensité face à une menace provenant principalement de l'Est. À cette époque, l'effort de défense représentait en moyenne 4 % du PIB. Sans affirmer que ce chiffre doive être notre objectif, il constitue une référence historique intéressante si l'on considère l'analogie pertinente.
Cette réflexion s'inscrit dans des débats budgétaires actuellement complexes, impliquant d'importants coûts d'opportunité. Augmenter les dépenses de défense signifierait renoncer à d'autres types de dépenses publiques, dans un contexte d'endettement public élevé.
D'un point de vue historique, la guerre froide apparaît comme une période singulière. En temps de paix, le budget de défense avoisine généralement 2 % du PIB, soit notre niveau actuel. En temps de guerre, particulièrement lors de conflits totaux, ce pourcentage peut atteindre 20 à 40 % selon les circonstances. La guerre froide se distingue avec un effort de défense oscillant entre 3 et 5 % du PIB, reflétant une situation intermédiaire entre paix et affrontement direct.
Si nous estimons que la situation actuelle s'apparente à celle de la guerre froide, et que nous souhaitons nous y préparer, les efforts budgétaires à consentir devraient être légèrement supérieurs à ceux que nous connaissons aujourd'hui.
M. Léo Péria-Peigné. Pour donner un ordre de grandeur, le PIB polonais représente entre un quart et un tiers de celui de la France. Malgré cela, la Pologne a décidé d'allouer cette année 4,7 % de son PIB à la défense, et certaines voix politiques préconisent même d'atteindre les 5 %.
Que signifie concrètement cet investissement ? Si la marine polonaise demeure modeste et sa force aérienne moins importante que la nôtre, l'objectif affiché de cette transformation militaire polonaise est en revanche le doublement des effectifs de l'armée de terre. Actuellement composée de quatre divisions de trois brigades chacune, la Pologne ambitionne d'ajouter deux divisions supplémentaires de quatre brigades, puis de faire passer l'ensemble de ses divisions à quatre brigades.
D'un point de vue purement stratégique, ce message est particulièrement fort, tant vis-à-vis des adversaires tels que la Russie que des partenaires. Si l'étude que nous menons actuellement révèle que cet effort se heurtera à d'importantes difficultés, notamment en termes de ressources humaines, ce signal est néanmoins perçu très favorablement par de nombreux partenaires, en particulier en Europe de l'Est, qui ont constaté les difficultés des puissances européennes à réagir à la crise ukrainienne. Rappelons qu'à l'automne 2023, lorsque les États-Unis ont suspendu leur aide à l'Ukraine, celle-ci a failli s'effondrer, l'Europe étant incapable de prendre le relais. Dans ce contexte, l'effort polonais visant à se doter d'un outil de dissuasion conventionnel est, selon moi, très bien accueilli, notamment par les petits pays du flanc est. À terme, si la Pologne atteint ne serait-ce que la moitié ou les deux tiers de ses ambitions, l'équilibre sécuritaire européen s'en trouvera bouleversé.
En comparaison, la LPM en cours en France a annoncé une augmentation de 40 % des budgets. Malheureusement, en termes de signalement stratégique, je pense qu'elle peine à se concrétiser par des annonces similaires. Nous avons fait le choix de la cohérence, ce qui est tout à fait compréhensible au vu de nos besoins. Néanmoins, je crains que l'effort français soit moins perçu, simplement parce qu'au final, nous n'aurons ni un canon, ni un navire, ni un avion supplémentaire. En matière de défense et d'armée, ces aspects sont importants et ce signalement compte. Si affirmer que nous sommes une armée d'emploi et que nous avons fait un choix de cohérence et de pertinence est compréhensible pour des spécialistes comme nous, un observateur moins averti aura en revanche des difficultés à percevoir cela.
ICA Benoît Rademacher. Je souhaite compléter en soulignant la complexité des comparaisons entre États. Bien que le ratio dépenses de défense sur PIB révèle que nous performons moins bien que les autres, je rappelle que nous partons d'un niveau plus élevé. Il convient de rappeler que le modèle d'armée complet de la France, sa capacité à être nation-cadre et à intervenir en premier sur un théâtre d'opérations, nécessitent des capacités de renseignement, d'anticipation et de conduite d'opérations que nos alliés ne possèdent pas nécessairement. Si l'effort des Allemands et des Polonais est notable, notamment pour l'équipement de l'armée de terre, nos enjeux diffèrent manifestement dans d’autres domaines.
La France dispose en outre d'une capacité de dissuasion nucléaire qui représentera environ 40 % des crédits de dépenses d'équipements dans la prochaine LPM. Ce montant considérable correspond également à la mise en œuvre de nouveaux programmes, tels que les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de troisième génération. Nous revenons ainsi à la discussion sur le temps long et la persistance historique liée à la cohérence du modèle français, face aux enjeux émergents des conflits de haute intensité. Si je partage les propos relatifs à l'importance d'un signal stratégique montrant notre effort, nous devons nous comparer aux autres pour constater que nous n'avons pas à rougir de notre situation.
Concernant la part du PIB, une approche pourrait consister à considérer les dépenses de défense en excluant la dissuasion. Cependant, il faut rester prudent avec ces métriques, car ce que qui est inclus dans les dépenses de défense varie selon les pays. Il faut prendre en compte de nombreux éléments et se concentrer finalement sur les capacités opérationnelles. De ce point de vue, la France possède un modèle d'armée singulier par rapport à ses partenaires européens.
M. le président Jean-Michel Jacques. Notre dissuasion nucléaire représente un atout stratégique majeur que peu de nations possèdent.
M. Léo Péria-Peigné. Je crains que placer la dissuasion nucléaire au cœur de notre stratégie ne transmette un message ambigu à nos partenaires. La France affirme en effet disposer de la dissuasion nucléaire et, par conséquent, d'une armée d'emploi, sans nécessité de développer un modèle similaire à celui des autres nations européennes. Cette position soulève des interrogations chez nos alliés concernant nos capacités de soutien concrètes en cas d’attaque. Les discussions conduites depuis trois ans sur ce sujet révèlent sa complexité. Notre armée d'emploi se limite à quelques brigades, qui semblent insuffisantes pour venir en aide à nos partenaires et pour assumer le rôle de nation-cadre en encadrant un corps d'armée. Je redoute donc que l'accent mis sur la dissuasion dans notre proposition ne puisse se retourner contre nous.
M. le président Jean-Michel Jacques. La dissuasion nucléaire conserve indéniablement son efficacité face à un adversaire également doté de l'arme atomique.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). Je trouve, à titre personnel, vos propos extrêmement sévères envers la position française et ne partage pas l'intégralité de vos déclarations.
La LPM et, plus récemment, le budget 2025 ont fait l'objet d'un travail approfondi de notre part. Nous avons établi plusieurs constats que vous n'avez que peu abordés dans votre exposé. Il s'agit notamment des nouveaux champs de conflictualité, qui engendrent des coûts, de l'augmentation bienvenue des partenariats européens, susceptibles d'alléger certaines dépenses grâce à une mutualisation future, des ruptures technologiques onéreuses, ainsi que du développement indispensable des moyens alloués aux services de renseignement pour garantir leur efficacité. J'ai une connaissance approfondie de ce dernier point en tant que rapporteure du programme 144.
Ma question est la suivante : ne pensez-vous pas qu'il soit illusoire, voire inutile ou superflu, de chercher à retrouver le niveau de production de l'après-guerre froide ? J'insiste sur ce point car je trouve votre position pour le moins surprenante. Pour inverser l'approche de mes collègues, si nous devions effectuer des choix, lesquels préconiseriez-vous ?
ICA Benoît Rademacher. Ainsi que vous l'avez souligné, nous sommes confrontés à une extension des champs de conflictualité, notamment avec l'émergence de nouvelles technologies, ce qui nous oblige à nous adapter constamment. Notre modèle d'armée soulève la question de la cohérence, qui peut être remise en question, mais qui engendre une certaine inertie programmatique nous contraignant à mener de nombreuses actions simultanément. Il convient de souligner que l'effort financier prévu dans la LPM et la réalisation de la précédente prennent en compte ces enjeux.
Concernant le niveau de production, le débat se concentre sur des besoins à plus court terme et sur une certaine inertie du système. Si la nécessité de se réarmer est évidente, nous ne sommes cependant pas en guerre, et notre réflexion doit donc s'orienter vers une logique de probabilité de conflit afin de déterminer les ressources, moyens et capacités nécessaires pour progresser.
Quant aux partenariats européens, il s'agit davantage d'un réveil de nos partenaires, car nous disposons déjà de capacités relativement complètes. L'intervention de l'armée française au Mali en est un exemple probant, puisque nous étions les seuls à pouvoir intervenir, ce qui bénéficiait à l’ensemble du territoire géographique européen.
Vous soulignez à juste titre l'émergence de nouveaux champs de conflictualité qui nous obligent, dans le cadre de la compétition internationale en matière sécuritaire, à suivre l'évolution de certaines technologies telles que l'intelligence artificielle ou les capacités quantiques. Pour donner une perspective, la France, qui demeure un petit pays à l'échelle mondiale, a pourtant réussi à se doter de manière indépendante d'une capacité de dissuasion et d'intervention que peu de pays possèdent. Même des pays tels que l'Inde ou la Chine, avec leurs budgets conséquents, ne disposent pas de ces capacités de présence navale globale, de renseignement et d'innovation technologique. Nous devons en être fiers, tout en reconnaissant l'émergence de nouveaux compétiteurs sur la scène internationale et la nécessité d'adapter notre modèle.
Les pistes évoquées incluent des approches partenariales, où nos alliés prendraient le relais sur certaines questions sécuritaires, ainsi que la coopération dans divers domaines de recherche pour accroître nos leviers d'action.
M. Julien Malizard. Si la trajectoire actuelle garantit le socle et la cohérence globale de notre stratégie de défense, nous faisons cependant face à une extension de la conflictualité. Nous pouvions, auparavant, envisager une forme de substituabilité entre les différents types d'opérations : des interventions ponctuelles durant la guerre froide, des opérations de maintien de la paix dans les années 1990, puis la lutte contre le terrorisme pendant deux décennies. Aujourd'hui, nous entrons dans une nouvelle ère où la guerre de haute intensité émerge tandis que les enjeux précédents demeurent. Cette situation engendre un risque d'élongation. Notre cohérence globale nous permet d’assurer tout type d’intervention mais nous devons nous préparer à la guerre de haute intensité tout en poursuivant la lutte contre le terrorisme, en renforçant le flanc est et en abordant les nouveaux champs de conflictualité tels que le cyber, les fonds marins et le spatial.
Cette accumulation de missions génère des besoins supplémentaires. Si la LPM prévoit de consolider l'ensemble, elle ne permet pas, en raison de la trajectoire budgétaire, de recréer une masse comparable à celle de la guerre froide. Ce n'est d'ailleurs probablement pas l'objectif puisqu’il s'agit plutôt d'agir de manière cohérente et progressive.
Il serait contre-productif d'imiter l'approche polonaise, qui a fait passer son budget de défense de 2 à 5 % du PIB en trois ans, car cette frénésie d'achat de matériel sans réelle réflexion sur son utilisation n'est pas souhaitable. Il est préférable d'adopter une approche graduelle pour continuer à solliciter notre tissu industriel et préserver notre autonomie stratégique tout en garantissant une visibilité.
La LPM prévoit en partie cet accroissement quantitatif. La cohérence est maintenue mais nous devons procéder par étapes car une augmentation trop brutale serait inefficace et pourrait nuire à la masse opérationnelle.
J'ai brièvement évoqué une piste de réflexion en citant l'exemple de l'Ukraine, qui montre comment des technologies civiles, comme les drones, peuvent compenser des faiblesses dans certains domaines, notamment l'artillerie. Il serait intéressant d'explorer cette voie, potentiellement moins coûteuse. C'est pour cela que je suggère d'établir un bilan détaillé des programmes Larinae et Colibri afin d’identifier précisément les points faibles. Cela nous permettrait de déterminer comment créer de la masse sur un projet moins structurant et moins onéreux sans compromettre la cohérence globale de notre modèle de défense.
M. Léo Péria-Peigné. Je tiens à souligner que la France, avec un PIB représentant la moitié de celui de l'Allemagne, ambitionne de développer à la fois le nucléaire et le contre-terrorisme, avec des opérations qui vont de Sentinelle à Barkhane, de maintenir sa présence en Indopacifique, dans sa zone économique exclusive (ZEE), en outre-mer et vise désormais la maîtrise du quantique, de l'hypersonique, des fonds marins et de l'espace, le tout avec un budget de 50 milliards d'euros. Je crains que cette ambition, bien que politiquement compréhensible, ne s'avère à la fois illusoire et périlleuse. Nous parviendrons peut-être à établir des têtes de pont, des capacités échantillonnaires et à ajouter des branches au bonzaï, mais ce dernier résistera-t-il face à une crise majeure ?
Si je comprends la nécessité de rester à la pointe technologique, j'estime en revanche que nos forces armées doivent prioritairement nous protéger des menaces existentielles. Le conflit en Ukraine a rappelé aux Européens la fonction première d'une armée et d'une industrie de défense, ainsi que les dangers qui nous guettent à seulement trois heures de vol de nos frontières, bien différents de ceux rencontrés au Mali ou en Afghanistan.
Je m'interroge donc sur notre crédibilité, en temps de guerre, sur l'ensemble des domaines évoqués. L'Allemagne, avec 2 % de son PIB consacré à la défense, dispose de 75 milliards d'euros, sans les contraintes de la dissuasion nucléaire, de la présence outre-mer ou d'une implication militaire significative dans la lutte antiterroriste. Ces fonds sont majoritairement investis dans la défense territoriale et dans la constitution d'une armée conventionnelle capable de faire face à la menace russe. La France se sent peu menacée, comme en témoignent les sondages et le comportement électoral des citoyens. À l'inverse, les Polonais, qui se sentent extrêmement menacés, concentrent l'essentiel de leurs moyens militaires sur cette menace spécifique.
Je crains qu'en dispersant nos ressources, nous ne diluions notre efficacité. J'utilise souvent l'image d'une passoire pour illustrer le budget militaire français : la LPM a certes apporté plus d'eau, mais elle a également ajouté des trous. Finalement, le débit dans chaque trou n'a pas augmenté, et notre crédibilité face à un conflit potentiel risque de ne pas s'améliorer significativement. Bien que nous investissions des sommes qui nous paraissent considérables dans le quantique, l'intelligence artificielle ou l'hypersonique, ces montants restent modestes pour nos partenaires mieux dotés. Nous devons nous interroger sur le rapport coût-bénéfice de ces investissements : les sacrifices consentis pour ces capacités valent-ils réellement leurs retombées potentielles ?
Mme Michèle Martinez (RN). Dans le cadre des débats relatifs à la défense européenne, une prétendue base industrielle et technologique de défense Européenne (BITDE) est fréquemment évoquée. Certes, des entreprises ou des programmes menés conjointement par plusieurs pays européens connaissent des succès notables. Ces réussites ne se cantonnent d'ailleurs pas à l’Union européenne, comme en témoigne la société MBDA, emblème de la coopération en matière de défense entre le Royaume-Uni et la France. Néanmoins, le constat s'avère peu flatteur pour les partisans d'une Europe de la défense. L'Allemagne, notre principal partenaire commercial, n'occupe que le seizième rang des clients de la France en termes d'achats d'armement, derrière la Macédoine. Les programmes système de combat aérien du futur (SCAF) et système principal de combat terrestre (Main Ground Combat System, MGCS), menés en collaboration avec ce pays sont d'ailleurs au point mort. La majorité des États membres de l'UE privilégie l'achat de matériel américain, sans considération particulière pour une éventuelle préférence communautaire.
Dans ces conditions, comment peut-on évoquer une BITD européenne qui ne débouche sur rien de concret et demeure dépourvue de sens ?
Mme Caroline Colombier (RN). Le développement d'une économie de guerre en temps de paix vise à équiper massivement et rapidement nos forces au début d'un conflit.
Plusieurs options s'offrent à nous pour atteindre cet objectif. La première, qui consiste à produire des quantités massives d'armement, engendre toutefois des coûts considérables que nous ne sommes pas en mesure d'assumer. La deuxième option, qui repose sur la mise en place d'importantes capacités de production, représente un pari financier risqué pour nos industriels, qui ajusteront invariablement leurs outils de production en fonction de la demande actuelle. La troisième option, évoquée par divers médias spécialisés, est le concept de « socle défense ». Il s'agirait de passer d'un système d'achat à un système de location de l'ensemble des équipements majeurs, géré par une unique société de projet capable d'absorber les risques d'attrition. L'étalement des coûts de location permettrait de libérer des marges d'investissement pour les armées et les équipements en fin de location seraient vendus à des pays émergents en quête de matériel d'occasion. Le financement de cette société serait assuré par une souscription populaire. Ce modèle, qui permettrait de fournir davantage d'équipements à nos forces et d'augmenter les capacités de production de nos industriels sans alourdir les finances publiques, ne serait-il pas précisément l'instrument le plus approprié pour relever le défi de l'économie de guerre ?
Mme Stéphanie Galzy (RN). La montée des tensions internationales et les conflits en cours, notamment en Europe de l'Est et au Moyen-Orient, ont conduit de nombreux pays à réévaluer leurs dépenses militaires et à mobiliser des ressources économiques conséquentes pour soutenir leurs efforts de défense.
Comment l’augmentation des dépenses militaires et la mobilisation des ressources économiques pour soutenir l'effort de guerre affectent-elles l'équilibre macroéconomique et la stabilité financière à long terme, en particulier concernant la dette publique et l'inflation ? Quelles mesures peuvent-elles être prises afin d'atténuer ces impacts négatifs, tout en garantissant la sécurité nationale ?
M. Léo Péria-Peigné. Je vais me concentrer sur la base industrielle et technologique de défense européenne. Même s’il est vrai que l'Allemagne et la France achètent peu d'armement l'une à l'autre, affirmer que la BITDE n'existe pas reviendrait à ignorer plusieurs projets qui fonctionnent mais dont la France s'est retirée. L'avion de chasse européen Eurofighter existe bel et bien, même si certains le considèrent différent ou inférieur au Rafale. De même, le blindé européen Boxer est une réalité, bien que la France l'ait quitté pour développer le VBCI. Ces projets, qui existent et remplissent leurs objectifs, démontrent que la BITDE est en cours de développement plutôt qu'en voie d'extinction.
Ce sujet demeure néanmoins complexe. La Pologne a opté pour des achats américains et coréens principalement en raison de la rapidité de livraison face à l'urgence du conflit à ses frontières. Avec une production européenne annuelle de seulement 50 chars, il était inconcevable pour les citoyens polonais d'attendre 15 ans pour obtenir les 1 000 chars nécessaires. La situation est similaire pour les canons automoteurs : la capacité de production du Caesar, limitée à une trentaine par an, ne pouvait satisfaire la demande polonaise de 1 000 unités. Ces éléments soulèvent des questions sur l'état de nos industries respectives.
Nous sommes confrontés à un problème majeur lié à l’implantation de l'industrie de défense américaine sur nos territoires. Si des débats sont en cours concernant l'utilisation des fonds européens pour l'achat d'armement européen, la définition de ce dernier varie selon les acteurs. L'Allemagne tend à considérer comme européen tout armement fabriqué en Europe, tandis que la France privilégie ceux développés en Europe. Cette nuance requiert une vigilance constante pour préserver l'embryon de BITDE qui s'est formé car, au-delà des projets dont la France s’est retirée, il existe des collaborations en cours, notamment via MBDA, ainsi que des projets plus ambitieux comme l'avion A400M.
M. Julien Malizard. La logique de coopération constitue-t-elle un objectif en soi ou un moyen de partager les coûts et la production ? La réponse à cette interrogation détermine l'ambition industrielle poursuivie. Le projet MBDA illustre une coopération européenne réussie, fruit d'une volonté politique d'alignement sur des besoins communs. Cette réussite découle de la limitation des spécifications propres à chaque pays, contrairement à d'autres projets comme l'hélicoptère Tigre où les divergences entre les exigences françaises et allemandes ont compliqué la collaboration.
L'efficacité d'une coopération repose sur l'alignement des objectifs, notamment dans la répartition des tâches. Un programme d'acquisition commun offre une visibilité industrielle permettant de planifier les investissements nécessaires. Chaque pays tend cependant naturellement à rechercher un retour national sur ses investissements et la difficulté réside donc dans l'articulation entre les décisions prises à l'échelon supranational et les actions menées au niveau national. Bien que la Commission européenne et d'autres instances proposent des solutions pour améliorer cette coordination, leur efficacité reste limitée en raison des réticences exprimées par certains États membres.
Concernant les effets économiques des dépenses militaires, l’approche keynésienne les assimile à toute autre dépense en mettant en avant les retombées positives et le soutien à l’activité économique. La question est de savoir si ces retombées positives surpassent les potentiels effets négatifs liés à l'endettement ou à l'inflation. Les études menées pour la France, auxquelles j'ai contribué, révèlent un impact globalement positif qui s'explique notamment par l'absence de fuites dans le circuit économique : les achats de la DGA profitent aux entreprises françaises et à leur chaîne de sous-traitance nationale, évitant ainsi de soutenir des plans de relance étrangers. Bien que le secteur de la défense soit relativement modeste, il concentre en outre un potentiel considérable en termes de recherche et développement. Malgré ces aspects positifs, les risques inflationnistes ne doivent pas être négligés, comme l'illustre l'expérience américaine récente où l'inflation a fortement affecté l'efficacité des entreprises.
Il est essentiel, afin d’optimiser l'efficacité de ces dépenses, d'établir des trajectoires budgétaires planifiées sur le long terme qui permettraient d’éviter les à-coups qui engendreraient une hausse des prix. La crédibilité de ces trajectoires doit s'accompagner d'investissements stratégiques tels que la relocalisation des activités de production de poudre à Bergerac. Ces processus nécessitent du temps, généralement un à deux ans au cours desquels les enjeux d'approvisionnement doivent être gérés. Une planification à long terme, associée à la visibilité offerte aux industriels, permet de relever ces défis efficacement.
ICA Benoît Rademacher. La pratique qui consiste à recourir à des moyens de location pour les équipements militaires existe déjà, notamment pour les moyens de transport stratégiques à longue distance. Des développements ont également été réalisés dans le domaine de la formation des pilotes de chasse et d'hélicoptères, comme à l'école du Luc dans le Var. Progressivement, nous nous inscrivons dans une logique de partenariat public-privé, à l'instar de l'Hexagone Balard.
Si ces perspectives sont intéressantes, en ce qu’elles permettent d'éviter un coût d'acquisition immédiat du capital, certaines limites apparaissent rapidement. Il convient notamment d'examiner le coût global sur la durée de location et de déterminer si une gestion interne ne serait pas plus avantageuse. Le caractère hostile des environnements soulève par ailleurs la question du partage des risques liés aux dommages potentiels sur les matériels et les soldats. Cette dimension du risque impose donc certaines restrictions. La question de la disponibilité se pose également lorsque des capacités sont mutualisées et que des priorités surviennent. Je considère néanmoins qu'une réflexion approfondie sur les modèles d'affaires est nécessaire. Nous discutons beaucoup des nouvelles technologies et capacités, mais il est tout aussi important de repenser les processus d'acquisition.
Le ministre des armées et des anciens combattants, Sébastien Lecornu, a souligné le 24 octobre dernier la nécessité de disposer de capacités d'achats sur étagère. Nous pouvons aller plus loin dans cette direction, notamment en envisageant la cession de matériel à mi-vie et en approfondissant la réflexion relative au marché de l'occasion.
Nous nous heurtons cependant à un paradoxe. Prenons l'exemple d'un matériel avec une durée de vie en service de quarante ans : si nous devons nous en dessaisir à mi-vie, soit dans une vingtaine d'années, il faut dès maintenant concevoir et produire le système qui prendra la relève. La question se pose alors de savoir si ce nouveau matériel s'inscrira dans l'architecture du système actuel ou s'il appartiendra à la prochaine génération. Nous observons ici le décalage entre l'accélération des cycles technologiques et l'allongement de la durée de vie des équipements militaires. Bien que réalisable, cette approche impliquerait un coût d'entrée important pour l'acquisition capitalistique.
J’estime néanmoins que l'innovation des processus d'acquisition et la réflexion sur de nouvelles approches, telles que la mise à disposition de matériel par des sociétés, sont des pistes à explorer pour sortir de la logique patrimoniale qui prévaut actuellement dans l'acquisition d'équipements militaires.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je tiens à exprimer ma sincère gratitude envers nos intervenants pour cette audition particulièrement enrichissante qui nous a permis d'approfondir notre compréhension des enjeux et de remettre en question certaines de nos conceptions.
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La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Matthieu Bloch, Mme Caroline Colombier, Mme Stéphanie Galzy, M. Frank Giletti, Mme Florence Goulet, M. David Habib, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Loïc Kervran, M. Fabien Lainé, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Murielle Lepvraud, M. Julien Limongi, Mme Michèle Martinez, Mme Alexandra Martin, Mme Josy Poueyto, M. Aurélien Rousseau, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Romain Tonussi
Excusés. - M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, M. Bastien Lachaud, Mme Lise Magnier, Mme Anna Pic, Mme Natalia Pouzyreff, M. Aurélien Pradié, M. Loïc Prud’homme, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud
Assistait également à la réunion. - Mme Corinne Vignon