Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Audition, commune, ouverte à la presse, de l’amiral (2S) Hervé de Bonnaventure, conseiller défense de MBDA, de M. Alexandre Dupuy, directeur des activités systèmes de KNDS France, et de M. Alexandre Houlé, directeur de la stratégie de Thales, sur les défis de l’économie de guerre.
Mercredi
27 novembre 2024
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 26
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président
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La séance est ouverte à onze heures quinze.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous poursuivons nos auditions avec les représentants des industriels pour évoquer les défis de l’économie de guerre. Pour cette deuxième table ronde, nous avons le plaisir d’accueillir M. Hervé de Bonaventure, conseiller défense du président-directeur général de MBDA, M. Alexandre Dupuy, directeur des activités systèmes de KNDS France et M. Alexandre Houlé, directeur de la stratégie de Thales.
Deux ans après les déclarations du président de la République sur l’économie de guerre, des réussites méritent d’être saluées. Un canon Caesar est maintenant produit en dix-sept mois au lieu de trente-six mois, et KNDS est en mesure d’en livrer plus de six par mois au lieu de deux auparavant. S’agissant de Thales, nous pouvons citer le doublement de la production du radar Ground Master. Chez MBDA, la production d’Aster doit être multipliée par trois, en 2025.
Nous serions donc heureux de vous entendre sur les défis relatifs à l’accélération des cadences et à l’augmentation des capacités de production, à la relocalisation d’un certain nombre d’activités sur le territoire français, à l’approvisionnement en matériels critiques ou encore à la consolidation de la chaîne de sous-traitance. De la même manière, nous aimerions connaître votre ressenti sur la question de la simplification normative en cours, notamment à la DGA. De plus, les travaux de notre commission ont confirmé que l’accès au financement demeure l’une des difficultés structurelles de la remontée en puissance de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Vous pourrez certainement y revenir.
Par ailleurs, il convient de relever que la préparation au passage éventuel à une économie de guerre se conçoit également au niveau européen. Les leviers européens se sont développés au-delà du fonds européen de défense. Je pense notamment au plan munitions du commissaire Thierry Breton, au mécanisme visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (EDIRPA) ou au règlement sur le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP), en cours de préparation. Vous nous direz certainement en quoi ces financements peuvent constituer une opportunité aussi pour notre BITD, afin qu’elle conforte sa profondeur stratégique au service de nos armées et de nos partenaires.
M. l’amiral (2S) Hervé de Bonaventure, conseiller défense du président-directeur général de MBDA. Conseiller défense de MBDA, je représente Éric Béranger, qui n’a malheureusement pas pu être présent aujourd’hui, en raison d’un rendez-vous avec les autorités en Italie. Je vous remercie de nous auditionner publiquement. Il est important que nos citoyens puissent suivre la tenue de ces débats dans un contexte qui, malheureusement, est de plus en plus dangereux pour notre monde. Le monde a changé et une nouvelle priorité est accordée aux munitions, armements et missiles.
Le contexte international, notamment marqué par la guerre en Ukraine et des attaques en mer Rouge, démontre l’importance d’avoir des stocks de munitions et de missiles, afin de pouvoir tenir dans la durée. Ce nouveau contexte place MBDA, premier acteur européen dans les systèmes de missiles, parmi les acteurs clés de cette remontée en puissance. Au défi de la performance s’ajoute aussi celui du temps et de la masse. Il faut désormais faire plus et plus vite, afin de fournir efficacement nos armées, mais aussi celles de nos partenaires stratégiques, sans sacrifier pour autant la performance de nos produits.
Même s’il reste du chemin à parcourir, je suis fier de dire que MBDA est au rendez-vous opérationnel. Notre groupe sert la marine nationale en mer Rouge, où nos missiles Aster ont été particulièrement efficaces. Le couple marine nationale-MBDA, auquel j’associe Naval Group et Thales, a permis de remplir la mission efficacement. MBDA est également au rendez-vous opérationnel en soutenant les armées en Ukraine. Les armées françaises ont donné aux armées ukrainiennes des systèmes équipés d’Aster, du système Mistral, ou encore le Scalp.
MBDA a aussi été au rendez-vous pour les Jeux olympiques, dont nous avons assuré la protection avec des systèmes VL Mica dans le sud de la France. Ces VL Mica ont d’ailleurs été livrés treize mois après leur commande, soit une performance remarquable et inédite. L’armée de l’air est particulièrement satisfaite de ce système, dont elle a passé une commande de huit nouveaux exemplaires.
Je tiens par ailleurs à rendre hommage devant vous aux femmes et aux hommes de MBDA qui sont au rendez-vous de cette économie de guerre. Ils sont aux postes de combat pour servir notre société et les armées françaises. Ce matin, j’étais aux Invalides pour lancer une formation à l’esprit de défense que nous réalisons régulièrement pour tous nos collaborateurs, après dix-huit mois au sein de MBDA. Ces stages durent un jour et demi et leur permettent de structurer leur engagement au sein de l’industrie d’armement, au service de la défense de la France.
Monsieur le président, lors de l’une de vos interventions devant les auditeurs de la nouvelle session nationale « Politique de défense » de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), vous avez indiqué que « promouvoir l’esprit de défense auprès du plus grand nombre est essentiel et participe à la fois à la résilience comme à la cohésion de la nation ». Éric Béranger est très attaché à ce que cet esprit de défense soit bien cultivé au sein de MBDA, mais aussi à l’extérieur. En conséquence, chaque salarié est un ambassadeur de cet esprit de défense.
De quelle manière MBDA s’est-il adapté à cette économie de guerre ? Aujourd’hui, notre plan d’investissement s’établit à 2,4 milliards d’euros pour l’ensemble du groupe sur les cinq ans, dont plus d’un milliard d’euros en France. L’effort consenti se traduit concrètement par un renforcement de notre outil de production. En région Centre, à Bourges, nous avons acheté plus d’une trentaine de nouvelles machines d’usinage, de soudage, de fraisage et de ponçage, qui sont progressivement installées et livrées. Nous avons doublé la superficie de notre site de Selles-Saint-Denis, qui sert à l’assemblage final des missiles, afin d’augmenter nos capacités de production et d’accueillir sur ce site de nouvelles activités.
D’autre part, nous constituons des stocks importants de composants ou de sous-ensembles, afin de pouvoir assembler plus vite et de donner de la visibilité à nos fournisseurs. Nous savons qu’une tension peut exister chez certains de nos sous-traitants qui font face à l’augmentation des commandes du secteur civil. Nous avons aussi augmenté nos stocks dans le domaine des aciers spéciaux. Nous avons ainsi commandé 80 tonnes d’aciers spéciaux, alors que notre consommation annuelle est plutôt de l’ordre de 4 à 5 tonnes. Nous disposons aussi de réserves de titane en grande quantité pour fabriquer plusieurs milliers de missiles et nous accéderons également à la qualification de « seconde source », pour ne pas être dépendants d’un seul fournisseur.
En réalité, un missile rassemble plusieurs dizaines de milliers de références ou de composants. Environ 60 % de la valeur d’un missile provient de nos sous-traitants et nous traitons avec environ 2 000 fournisseurs. Ces chiffres attestent qu’une accélération dans le cadre de l’économie de guerre ne peut pas se décréter d’un claquement de doigts. Elle nécessite d’anticiper et d’embarquer avec nous notre chaîne de sous-traitants, qui sont souvent des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Cela nécessite des investissements, mais aussi de gérer de façon très attentive les goulots d’étranglement et les compétences industrielles clés.
Il est bien sûr nécessaire que nos fournisseurs et les fournisseurs de nos fournisseurs mettent en place de nouveaux moyens pour augmenter les quantités produites. En parallèle, nous expérimentons de nouvelles manières de faire, plus agiles, afin de nous adapter toujours plus efficacement à la demande. Nous optimisons donc l’utilisation de notre outil de production. Dans certains sites, nous avons basculé en trois-huit ou en deux-huit, et nous avons mis en place une plateforme de fabrication additive à la pointe de la technologie à Bourges. Elle permettra d’obtenir des gains de temps, d’être plus efficace, de fabriquer parfois des pièces beaucoup plus optimisées. Nous avons ouvert cette installation à nos sous-traitants.
Nous travaillons toujours plus étroitement avec la direction générale de l’armement (DGA) et le ministère des armées, afin de trouver des solutions. À ce titre, un groupe de travail a été mis en place autour du missile Aster, directement sous le pilotage du ministre des armées. Lancé dès le mois de février, il a rendu ses conclusions au mois de juin. Grâce à ce groupe de travail, nous avons pu améliorer la cadence de production du missile Aster, qui sera largement augmentée en 2025. De la même manière, pour l’AKERON MP, la DGA nous a passé une commande globale, qui permettra d’accélérer la production et l’assemblage du missile et de produire une centaine de missiles en plus en trois mois sur activation de la clause d’accélération.
Enfin, MBDA est très vigilant et très attentif au maintien des compétences. Nous avons mis en place depuis quelques années un plan de recrutement massif, associé à un programme de formation et de transmission des savoirs. Sur l’ensemble du groupe, 2 500 recrutements sont ainsi prévus en 2024, dont plus de 800 en France, soit des chiffres similaires à ceux de 2023. En France, cela représente trois personnes recrutées par jour de travail.
Grâce à l’ensemble de ces actions, MBDA est pleinement engagée dans cette économie de guerre et a obtenu des résultats concrets. Au-delà de l’Aster, nous avons multiplié par quatre le nombre de Mistral produits par mois. Entre 2022 et 2025, nous sommes passés de dix missiles par mois à quarante missiles par mois. Pour l’AKERON MP, nous avons multiplié la cadence par 2,5, passant de vingt missiles par mois à cinquante missiles par mois. Nous avons en outre diminué la durée de fabrication de ces missiles.
Ces actions comportent également un volet européen. Je pense notamment à la grande réussite que constitue l’EDIRPA, qui a pour objet d’aider à la production de missiles pour les États membres. Cette initiative a permis la mise en place d’un mécanisme, dès 2023, et d’une lettre d’intention qui réunissait la France, la Belgique, Chypre, l’Estonie et la Hongrie dans un mécanisme d’acquisition en commun du Mistral 3 sous pilotage français. La Commission a annoncé le 14 novembre dernier que ce projet avait été sélectionné – soit le seul projet français à l’être –, ce qui permettra d’obtenir une subvention de 60 millions d’euros, au profit de cette production et de cette fourniture d’armes en commun. Grâce à cette dynamique lancée par EDIRPA, quatre autres pays se sont manifestés pour rejoindre le projet : l’Espagne, la Slovénie, le Danemark et la Roumanie.
M. Alexandre Dupuy, directeur des activités systèmes de KNDS France. Je suis en charge de l’activité système et des affaires publiques chez KNDS France. Je représente Nicolas Chamussy, qui est en déplacement aujourd’hui et ne pouvait pas se joindre à nous.
KNDS France est en réalité le nouveau nom de Nexter, depuis un an et demi. Pour mémoire, Nexter et Krauss-Maffei Wegmann ont fusionné en 2015 pour former le groupe KNDS. Depuis donc quelques mois maintenant, la partie française s’appelle KNDS France et la partie allemande KNDS Allemagne. Aujourd’hui, KNDS est le principal acteur de la défense terrestre en France, avec 4 500 collaborateurs en CDI, auxquels il faut rajouter des intérimaires et des apprentis. KNDS est un des leaders de la défense terrestre en Europe, présent sur les principaux segments capacitaires du combat terrestre, notamment les segments qui délivrent une capacité du feu et qui apportent une protection élevée aux combattants. Nous sommes engagés dans une dynamique de consolidation européenne à travers le groupe KNDS, cette fois-ci en incluant nos filiales en Italie et en Belgique, qui réalisent pour l’essentiel des munitions et dont nous étendons le spectre d’activité.
En métropole, KNDS dispose de neuf sites, répartis sur l’ensemble du territoire, de manière à peu près homogène. Dans le Centre-Val de Loire, deux de nos emprises ont la charge de fabriquer les munitions, les obus et les tubes des canons Caesar. Nous sommes également présents en Auvergne-Rhône-Alpes, à Roanne, où nous assemblons tous nos véhicules. Ainsi, les blindés du programme Scorpion, comme les travaux de rénovation du char Leclerc y sont réalisés. Dans la même région, de plus petits sites sont spécialisés en matériel de protection NRBC et en optique militaire.
À Tulle également, nous fabriquons et nous réalisons une activité de traitement thermique et de traitement de surface. À Tarbes, se trouve l’activité d’initiation du feu et à Toulouse, nous produisons de l’électronique. Enfin, à Versailles où se trouve le siège de l’entreprise, nous disposons également de petites filiales, KNDS France Robotics et KNDS France Training, situés sur le plateau de Paris Saclay où est présent un écosystème français de l’industrie de défense terrestre Nous n’avons pas cessé d’investir dans chacune de nos emprises depuis la création de Nexter et continué de créer des emplois, en moyenne 500 par an depuis 2017.
Nous sommes mobilisés depuis le début du conflit ukrainien, notamment au travers de l’artillerie mais pas uniquement. Pour y parvenir, nous avons identifié les segments sur lesquels nous pouvions accélérer notre production, mais également les achats de matières premières et de composants nécessaires. Ainsi, nous avons décidé d’acheter, bien au-delà de nos stocks habituels, les composants qui nous paraissaient les plus importants : la poudre nécessaire à la décharge propulsive pour des munitions, quelques composants électroniques et des aciers spéciaux, notamment des aciers retraités, sortis de fonderie, pour réaliser les fameux tubes des canons Caesar.
Ensuite, nous avons établi deux priorités : produire plus de Caesar et plus de munitions, ce qui nous a conduits à prioriser l’activité de nos salariés, qui se sont mobilisés à tous les niveaux, et auxquels je souhaite rendre hommage. Certaines des chaînes sont passées en trois-huit, voire en cinq-huit soit les trois-huit étendus le week-end, pour pouvoir monter en puissance sans déstabiliser le reste de l’activité. Nous avons ainsi continué à produire des blindés du programme Scorpion, nous avons maintenu la cadence de production des Jaguar, des Griffon, des Serval et avons tenu nos engagements en matière de livraison.
Cela nécessite d’adapter l’outil industriel, notamment dans nos chaînes de sous-traitance. Souvent, nous avons traduit cet engagement par des commandes fermes et en anticipation à une grande partie de nos sous-traitants, pour leur permettre de monter en puissance. Lorsque les limites capacitaires sont atteintes chez eux, nous cherchons une deuxième source : investir, choisir et qualifier une deuxième source, notamment en France pour répondre à l’impératif de souveraineté. Ces actions manifestent une prise de risque puisqu’il s’est agi de produire, au départ, sans commande. Nous avons ainsi choisi de préfinancer un certain nombre de Caesar, alors que nous ne disposions pas encore de commandes, pour l’équivalent de 500 millions d’euros, à peu près un tiers de notre chiffre d’affaires annuel, sur deux ans.
Ces efforts nous ont ainsi permis de passer d’une fréquence de deux Caesar par mois avant la guerre en Ukraine à six aujourd’hui, d’augmenter la production d’obus, pour l’adapter à la capacité maximale de production de poudre et livrer des coups complets. Dans ce domaine, le besoin consiste à pouvoir tirer à la distance maximale à chaque fois, ce qui inclut le maximum de charges modulaires.
Nous avons également travaillé dans le domaine du maintien en condition opérationnelle (MCO). Outre sa précision, sa capacité à être peu vulnérable grâce à sa mobilité, sa capacité à être soutenable facilement constitue également une des grandes forces du canon Caesar. Concrètement, nous arrivons à soutenir le Caesar à distance, en nous appuyant sur un partenaire local spécialiste de machines agricoles, et agissons par téléopération. À cette occasion, nous avons également repensé le mode de fabrication pour réduire le temps de cycle, que nous avons divisé par deux.
J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer la relocalisation à travers les doubles sources. Par ailleurs, la prise de risque est encore plus marquée lorsqu’il s’agit d’investir dans les machines-outils, puisqu’il faut être certain de pouvoir les utiliser pour les rentabiliser. C’est ici que notre capacité à vendre suffisamment pour amortir des investissements industriels est essentielle. Notre secteur était et demeure hautement concurrentiel, mais ses équilibres ont été profondément modifiés par la guerre en Ukraine. Certains industriels sont ainsi directement concernés par les besoins ukrainiens et voient leur chiffre d’affaires augmenter de manière assez significative, mais cela n’est pas le cas de tous, ce qui induit quelques distorsions.
L’origine des commandes importe également. Certains pays choisissent de commander immédiatement, mais d’autres commandes sont plus lentes à se matérialiser, lorsqu’elles passent par des canaux européens et des financements conjoints, créant un déséquilibre entre certains acteurs. Il nous faut aussi composer avec nos actionnaires et les convaincre d’investir, y compris en amont de commandes fermes. La question ne se pose pas avec l’État français, qui possède 50 % du groupe KNDS.
Le théâtre ukrainien nous a montré le besoin d’une artillerie de demain avec des munitions allant plus loin et étant plus précises, et avec une charge anti-char. Pour KNDS France il s’agit des obus BONUS qui dispose d’une charge anti-char, et des obus KATANA, pour la précision, dont nous terminons le développement. Les munitions téléopérées (MTO) sont à la fois une menace et un effecteur. KNDS contribue ainsi à un programme de munition téléopérée, Colibri, initié par la France qui a été accéléré pour pouvoir répondre au besoin ukrainien. J’en profite pour relever que ce programme est un exemple de consultation de la DGA, qui se traduit par des spécifications très légères, un temps de cycle très court et une première capacité livrable rapidement. Le théâtre ukrainien montre également l’importance du char, qui est le seul à pouvoir apporter des feux dans un environnement très menacé. La LPM prévoit d’ailleurs des actions sur ce point précis.
Par ailleurs, l’Europe est montée en puissance dans le domaine de la défense avec des financements pour acheter des matériaux, mais également pour subventionner des capacités. Nous sommes ainsi concernés par le plan ASAP (Act in support of ammunition production), qui vise à renforcer nos capacités de production de charges modulaires. Malgré ce besoin d’urgence, il faut relever que de plus en plus de pays européens demandent, en échange de leur financement, qu’une partie de l’activité industrielle soit réalisée sur leurs territoires.
Enfin, le modèle de BITD qui fonctionne aujourd’hui repose sur la réponse aux besoins français, mais également aux besoins export. Ce sont les exportations qui ont notamment permis aux chaînes de production des Caesar de tourner depuis une dizaine d’années. À ce titre, je me tourne vers vous, mesdames et Messieurs les députés, pour vous dire que nous avons besoin de vous. Vous pouvez jouer un rôle dans le soutien à l’export, en expliquant ce que nous savons faire, et dans quelles conditions. Je vous remercie de votre contribution en ce sens.
M. Alexandre Houlé, directeur de la stratégie de Thales. Le groupe Thales regroupe 80 000 collaborateurs, à moitié en France et à moitié à l’étranger. En France, une cinquantaine de sites sont répartis sur le territoire. Nous sommes le leader dans les technologies, avec un chiffre d’affaires issu à 50 % des activités de défense, 30 % de l’aéronautique et le spatial et 20 % pour la cybersécurité et l’identité digitale. Thales est donc un groupe dual.
Je souhaite d’abord revenir sur les engagements du groupe Thales pour répondre aux défis de l’économie de guerre et de la LPM 2024-2030. Nous sommes parfaitement conscients de l’effort que représente cette loi de programmation, alors que l’État traverse une situation financière difficile. Nous constatons avec satisfaction à ce stade l’effort consenti par le gouvernement pour maintenir la trajectoire de ressources prévue.
Néanmoins, dans ce contexte d’économie de guerre, les États ont certes augmenté leur budget de défense, mais cette augmentation n’est généralement pas suffisante pour financer un passage complet vers une véritable économie de guerre. Les dépenses consacrées à la défense s’élèvent ainsi à 2 % du PIB, contre 40 % à 60 % pendant la seconde guerre mondiale, et 4 % à 6 % pendant la guerre froide.
Cette économie de guerre et ce contexte nécessitent dans tous les cas que les industriels, dont Thales, entreprennent une adaptation industrielle. Nous le faisons depuis un certain nombre d’années. Nous avons auto-investi pour doubler la capacité de production des radars de défense aérienne Ground Master, de douze à vingt-quatre aujourd’hui, sur notre site de Limours en Essonne. Nous prévoyons de passer à trente-six dans les années à venir. Nous accompagnons Dassault Aviation pour tripler la capacité de production de nos équipements pour le Rafale, notamment les suites radars, les suites de guerre électronique, les suites optroniques. Nous avons ainsi investi dans un nouvel outil de production à Pont-Audemer dans l’Eure, à Étrelles en Ille-et-Vilaine, mais également sur d’autres sites en France.
Je pense également au quadruplement en cours des capacités de production de munitions sur notre site de la Ferté-Saint-Aubin, dans le Loiret, où nous passerons de 20 000 à 80 000 obus de mortier en quelques années, pour recompléter les stocks des armées françaises, et de nos alliés, mais aussi pour fournir des capacités de soutien à l’Ukraine.
Je tiens à mon tour à saluer l’engagement des salariés Thales pour avoir contribué à cette accélération.
Nous travaillons bien sûr avec une chaîne de sous-traitance, facteur clé de notre performance. En effet, Thales achète à peu près la moitié de son chiffre d’affaires, à hauteur de dix milliards d’euros. Dans cet effort en faveur de l’économie de guerre, la plus grande difficulté que nous avons rencontrée a précisément porté sur cette chaîne de PME et ETI, qui ont parfois peiné à servir nos commandes pour plusieurs raisons : (i) difficulté à investir (exemple des cartes électroniques nues - PCB), (ii) difficulté à recruter, dans des expertises pointues ou (iii) concurrence avec le domaine civil, en particulier aéronautique.
Face à cette situation, Thales accompagne quotidiennement ses sous-traitants pour les aider à sécuriser leur production. Par exemple, nous avons parfois acheté des machines pour ces PME et ETI, nous leur avons commandé par anticipation alors que nous ne disposions pas encore de commandes fermes de notre côté. En tant que maîtres d’œuvre, nous sommes conscients de notre responsabilité vis-à-vis de la chaîne de sous-traitance, en particulier lorsque celle-ci est petite.
Ensuite, je souhaite vous soumettre quelques réflexions sur l’économie de guerre. Pour pouvoir monter en compétences, un industriel doit disposer de trois leviers : de la visibilité, du temps et des ressources. La visibilité est essentielle pour permettre l’investissement. Il est difficile pour un industriel de se lancer dans un grand plan de recrutement, dans un plan d’investissement de long terme, dans la mobilisation de toute la supply chain, si dans le même temps il est à la merci d’une rupture de commandes dans les cinq ans à venir, parce que les priorités ont changé. Ce n’est bien sûr pas la garantie de saturer l’outil de production sur les 10 prochaines années, mais il est important de disposer d’une sécurisation sur un minimum de commandes, pour pouvoir s’engager dans les cycles longs qui caractérisent le secteur de la défense.
Deuxièmement, la durée de la montée en puissance constitue un point de vigilance. Il est évident que la montée en cadence industrielle depuis le sous-traitant de rang 2 jusqu’à l’assemblage du produit ne peut se réaliser du jour au lendemain. Dans le cas du Rafale, il faut de dix-huit à vingt-quatre mois pour mener à bien la production d’équipements très complexes. Pour gagner du temps, il faut alléger certains freins pour gagner en flexibilité, en agilité et en rapidité.
Il faut distinguer les produits sur le temps long de ceux sur le temps court. Les premiers correspondent à des systèmes très complexes, des technologies qui nécessitent souvent des années de développement. Ces systèmes sont indispensables dans les conflits de haute intensité, qu’il s’agisse par exemple du spatial militaire de haute performance, des capacités de résistance au brouillage ou des radars intégrant l’intelligence artificielle pour pouvoir repérer les très petits objets comme les drones.
Les produits sur le temps court sont généralement des produits qui sont consommables ou qui seront probablement utilisés sur des durées de quelques semaines ou quelques mois. Pour ces derniers, il n’est pas possible d’utiliser les mêmes normes que pour les produits du temps long si nous voulons être efficaces : il faut absolument éviter la sur-spécification, pour viser une spécification au juste besoin. Dans ce domaine, nous avons besoin que la DGA soit plus agile. À cet égard, le programme Impulsion lancé par la DGA va dans le bon sens, de même que la nouvelle feuille de route annoncée par le ministre des armées il y a quelques semaines. Thales a participé aux nombreux groupes de travail sur ces sujets de simplification, qui ont commencé à porter leurs fruits, mais qui doivent encore aller plus loin.
Le troisième point concerne les ressources, c’est-à-dire le partage du risque financier et de la capacité pour les industriels d’auto financer leur développement. Nous agissons déjà en ce sens, sans attendre les injonctions de l’État, dès lors que nous disposons d’un plan d’affaires solide. Par exemple, nous avons triplé la capacité de production de nos radars Ground Master, que nous avons développée sur fonds propres car le plan d’affaires le permettait, notamment à l’export.
Encore une fois, la visibilité est importante et renvoie également à la question de l’exportabilité des matériels dans le cadre d’un appel d’offres. À chaque fois que nous répondons à ce type d’appel d’offres, nous devons nous interroger pour savoir si le produit que nous développons peut s’insérer sur une chaîne mondiale. Ce questionnement ne concerne naturellement pas tous les produits ; il ne se pose probablement pas pour un sous-marin nucléaire, que l’on ne cherche pas forcément à exporter dans le monde entier. Il n’en va pas de même en revanche pour une jumelle, un obus, une radio,
En conclusion, au-delà de cet effort d’adaptation, Thales a continué à investir pour répondre à ces enjeux de croissance et de soutien des armées, ce qui n’implique pas uniquement des machines, mais d’abord et avant tout les femmes et les hommes. Lors des trois dernières années, nous avons recruté 9 000 personnes sur le seul secteur défense en France et 30 000 au total. Nous avons mis en place des « académies métier » pour les faire monter en compétences. Thales a ainsi consacré 750 millions d’euros d’investissements pour ses entités françaises lors des trois dernières années. De plus, nous déployons 4 milliards d’euros d’investissements en R&D pour apporter toujours plus d’innovations au service de nos clients, ce montant devant passer à 5 milliards d’euros à l’horizon 2030, notamment pour nous renforcer dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la cybersécurité. Ces investissements ne sont concevables que parce que nous menons des activités duales, à la fois civiles et de défense. Il s’agit ainsi de pouvoir transférer les meilleures technologies du civil vers le militaire, afin de fournir un bénéfice opérationnel à nos armées, sur les théâtres d’opérations.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
M. Julien Limongi (RN). Depuis deux ans, nous entendons parler d’une nécessaire transformation de notre économie vers un modèle d’économie de guerre, expression galvaudée, mais utilisée à longueur de temps. Cette ambition, portée par le président de la République et le ministre des armées, visait à répondre aux besoins stratégiques, notre défense dans un monde de plus en plus instable. Pourtant, aujourd’hui, il est temps de faire un bilan critique de cette réorientation.
Un des défis majeurs identifiés dès le départ était la capacité des multiples sous-traitants à répondre à l’accélération de la production et aux exigences accrues de notre industrie militaire. Ces PME, qui représentent une grande partie de la chaîne d’approvisionnement, devaient s’adapter en rythme inédit. Des goulots d’étranglement étaient craints dans les secteurs critiques comme l’électronique, la métallurgie ou encore les composants de précision. Qu’en est-il vraiment ? Les grandes entreprises du secteur ont-elles réussi à intégrer leurs sous-traitants dans cette dynamique ? Les petites structures ont-elles bénéficié du soutien nécessaire en termes de financement, de recrutements et de transferts technologiques ?
Il ne suffit pas d’accélérer la production dans les grands groupes si les fournisseurs en amont n’arrivent pas à suivre. En leur absence, le modèle risquerait de ne pas fonctionner, de s’écrouler potentiellement. Dès lors, quelles sont les conséquences de ce supposé passage en économie de guerre sur nos PME innovantes, vos sous-traitants, notamment en ce qui concerne les exigences accrues ou les retards de paiement ? Ces entreprises constituent en effet la colonne vertébrale de notre souveraineté industrielle. Si elles échouent, cette ambition ne restera qu’un slogan, loin des réalités du terrain.
M. Alexandre Dupuy. Quelques éléments de réponses ont été apportés sur la mobilisation des sous-traitants, effectivement indispensables. En tant que maître d’œuvre, nous achetons entre 50 % et 65 % de ce que nous vendons. Cela signifie que le dimensionnement de cette chaîne dépend de la prise de risque assumée par ceux-ci. Nous sommes allés assez loin en essayant de se projeter dans l’expression du besoin accessible, tout en étant raisonnables, avec en perspective ce qui se passera après pour ne pas se lancer dans des investissements qui n’auraient pas d’utilité au-delà de cinq à dix ans.
Les conséquences pour cette chaîne de sous-traitance devront être évaluées dans le temps moyen. Le principal enjeu n’est pas tant financier, puisque les maîtres d’œuvre sont bien présents, mais relève plus des ressources humaines, des efforts menés en matière de recrutement et surtout de formation, de compagnonnage. Certains centres de formation sont fortement montés en puissance, notamment en région Centre-Val de Loire, autour de quelques métiers sous tension, dont le soudage.
M. l’amiral (2S) Hervé de Bonaventure. Chez MBDA, 60% du montant d’un missile dépend de sa chaîne de sous-traitance. Nous ne pouvons pas avancer seuls et nous demeurons extrêmement vigilants. Depuis dix ans, nous avons au sein de MBDA des équipes dédiées au suivi de l’ensemble de nos fournisseurs et de nos sous-traitants, pour leur apporter la résilience suffisante. La ponctualité, la conformité, la robustesse et la pérennité des compétences nous permettront d’être au rendez-vous et MBDA est un acteur majeur du pacte Action PME, devenu le plan en faveur des ETI, PME et start-up (PEPS).
MBDA suit à peu près une centaine de start-up et a pris des participations dans une dizaine d’entre elles, pour les aider à se développer et à obtenir une taille critique. Nous suivons à peu près une centaine de sous-traitants pour leur apporter de la robustesse, notamment dans leurs finances, en leur passant des commandes pour leur permettre d’assurer les investissements nécessaires à cette montée en production.
M. François Cormier-Bouligeon (EPR). Nous sommes ici très attachés à notre industrie de défense française, essentielle à la souveraineté de notre défense. Le président Jean-Michel Jacques a souligné, comme je l’ai moi-même fait dans différents rapports, les très importants progrès réalisés par vos entreprises pour vous préparer à l’économie de guerre et augmenter vos cadences de production. Les exemples du canon Caesar, des munitions de 155 millimètres pour KNDS France, de l’Aster ou du Mistral pour MBDA, des radars et d’autres produits pour Thales forcent l’admiration. Je voudrais, au nom du groupe Ensemble pour la République, féliciter l’ensemble des collaborateurs de vos entreprises et de vos fournisseurs sous-traitants pour les efforts réalisés afin de répondre avec succès au contexte continental et mondial menaçant que nous connaissons.
La LPM prévoit, dans son article 49 la constitution de stocks stratégiques. Dans mon récent rapport, j’évoque un premier arrêté qui a été notifié à MBDA. Comment agissez-vous pour vous y préparer ? Ensuite, je souhaiterais connaître votre vision du rôle de l’Union européenne en matière de défense. Que pensez-vous d’EDIRPA ?
M. Alexandre Houlé. Nous transmettrons vos bienveillantes remarques à nos salariés. S’agissant de la LPM, Thales a constitué des stocks sur un certain nombre de matériaux stratégiques, des composants, mais aussi des sous-ensembles, pour pouvoir accélérer le moment venu. À titre d’exemple, nous avons choisi de saturer l’outil de production des radars Ground Master et d’investir en conséquence, alors même que nous n’avons pas encore reçu toutes les commandes. Nous pensons être capables de prendre ce risque parce que nous disposons d’une certaine visibilité sur la demande mondiale.
Enfin, le domaine des poudres constitue un sujet déterminant, un goulet d’étranglement. Eurenco est totalement saturé, certains acteurs européens ont été rachetés par des concurrents allemands qui verticalisent la chaîne de valeur. Nous établissons des accords stratégiques avec Eurenco : nous leur fournissons un certain nombre d’intrants que nous obtenons grâce à nos filiales en Australie, particulièrement des explosifs, et cette société fournit en contrepartie à Thales et à ses sous-traitants de la poudre et de la nitrocellulose.
M. Alexandre Dupuy. L’article 49 de la LPM vise à demander aux entreprises, à travers un dialogue efficace et rapide avec la DGA et l’état-major des armées, de mettre en place un stock qui permette de produire en autonomie, la réponse aux besoins fermes et « hautement probables » pour les deux ans qui viennent, se traduisant pour nous par des commandes d’équipements.
En revanche, il est plus difficile de déterminer ces besoins hautement probables dans le domaine du soutien. Les trois industriels qui se présentent aujourd’hui devant vous ont décidé d’investir dans un stock allant bien au-delà du besoin français, pour répondre aux problématiques Ukraine et export. Enfin, nous avons achevé nos discussions avec la DGA et nous venons de recevoir le courrier de notification de la déclinaison de l’article 49 de la LPM.
M. l’amiral (2S) Hervé de Bonaventure. Je souhaite évoquer l’Union européenne (UE). Au-delà d’EDIRPA, nous saluons l’arrivée de la stratégie industrielle européenne de défense (EDIS) et du futur Livre blanc, en cours de préparation. Le nouvel outil EDIP coiffera le fonds européen de défense et EDIRPA. Nous veillons à ce que ce nouveau règlement EDIP rappelle sans ambiguïté l’autorité de conception dans le critère d’éligibilité. Le contenu doit également être d’origine UE, le taux de 65 % évoqué aujourd’hui devrait être augmenté. Le troisième critère essentiel concerne l’absence de restriction d’emploi. Le quatrième doit prendre en compte la sécurité d’approvisionnement ou la faculté de pouvoir s’assurer, au cours de la vie d’une capacité, que la chaîne de soutien demeure libre.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Nous sommes parvenus à maintenir une BITD puissante et souveraine que toute l’Europe nous envie parce qu’il a toujours existé dans notre pays la volonté d’une défense souveraine, tant par le choix de la dissuasion que celui du général de Gaulle de quitter le commandement intégré de l’Otan. Nos armées ont donc conçu et acheté français.
Aujourd’hui, cette volonté politique peut être interrogée. L’Union européenne par la voix de la présidente de la commission von der Leyen a décidé, au mépris des traités européens, de se doter d’une compétence de défense et de nommer un commissaire à la défense, ce qui n’est absolument pas prévu dans le cadre des traités, alors même que ces derniers réduisent la défense de l’UE à n’être qu’un allié au sein de l’Otan.
Le projet EDIP vise à permettre le financement de matériels militaires. Les derniers éléments en notre possession indiquent que plus de 35 % du matériel financé par ce projet pourraient être achetés en dehors de l’UE. L’élection du président Trump aux États-Unis nous fait craindre un certain nombre d’éléments. En effet, nombreux sont nos partenaires qui décident d’acheter américain pour donner des gages, pour garantir leur sécurité par le maintien du parapluie nucléaire américain. Ne craignez-vous pas, dans ces conditions, que la BITD française pâtisse de ce dispositif européen qui aspirerait des fonds français pour financer des achats hors UE ?
M. l’amiral (2S) Hervé de Bonaventure. L’ADN de MBDA repose sur deux piliers : le pilier de la coopération et le pilier de l’export. Cette coopération peut intervenir dans différents cadres, mais je tiens à rappeler le succès du Scalp Storm Shadow, programme réalisé en forçant les forces armées et les industriels à converger vers un produit extrêmement semblable et à diviser par deux le coût de développement et l’investissement pour ce missile. Grâce à cette diminution, la France a pu acheter plusieurs centaines de missiles. Un deuxième exemple concerne le Rafale. Le très grand intérêt que suscite le Rafale réside également dans son équipement par le missile Meteor, champion du monde dans le domaine air-air, réalisé en coopération avec les cinq pays de MBDA et la Suède. La France n’a ainsi payé qu’un sixième environ du développement de ce missile. Bien qu’il s’agisse d’un programme en coopération, nous disposons de la liberté d’emploi de ce missile pour nos forces armées.
S’agissant du règlement EDIP, il nous faut défendre une trajectoire de progrès, au-delà des 65 % de contenus européens. Il convient également de mener un travail auprès des autres États membres, afin qu’ils comprennent cette priorité absolument essentielle : en achetant à l’extérieur, on devient dépendant, parfois vassal dans le temps long, et l’on prive les industriels européens des investissements nécessaires pour développer des briques technologiques futures.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Ils le font depuis cinquante ans !
M. Alexandre Houlé. Je partage ces derniers propos : en règle générale, nous avons plutôt intérêt à conduire des coopérations européennes. Thales est un grand défenseur du Fonds européen de défense et milite pour une orientation vers l’innovation. Une BITD européenne sera plus forte unie que fragmentée, pour faire face à la concurrence mondiale, notamment parce que nos compétiteurs extra-européens sont de plus grosse taille.
En revanche, nous ne devons pas être naïfs. Les industriels de la défense font remonter les besoins aux autorités françaises, à travers nos bureaux de représentation à Bruxelles, qu’il s’agisse de l’autorité de conception, de la préférence européenne, du maintien des prérogatives essentielles conservées par les États membres sur les priorités capacitaires et le choix d’export. À cet effet, industriels et État doivent agir de concert pour pouvoir imposer nos lignes rouges sur ces sujets et être véritablement efficaces.
M. Alexandre Dupuy. Le taux de 65 % de produits européens est bien un minimum, il peut s’accroître. À cet égard, il faut mener un long travail vis-à-vis de l’ensemble des pays européens qui ne possèdent pas de BITD et ont donc l’habitude d’acheter à l’étranger, avec de la formation associée. Il nous revient donc d’être capables de proposer une offre plus complète, intégrant les équipements, la formation et le MCO, pour les convaincre que nos solutions sont pérennes.
La disponibilité des équipements européens est également remise en question par quelques pays. Ici encore, le travail est collectif. Nous devons tous ensemble décider quels sont les équipements dont la capacité est insuffisante en Europe, et voir comment la développer. Un des volets du plan ASAP vise justement à donner à l’Europe plus de capacités pour pouvoir acheter européen.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Je souhaite vous interroger sur le projet de char du futur, lancé en 2017, mais qui a pris beaucoup de retard. Il a fallu en effet attendre des années pour que nous assistions enfin à la signature d’un protocole d’accord sur le partage des tâches pour le projet Main Ground Combat System (MGCS). Le chemin à parcourir est encore très long, puisque nos chars Leclerc ne pourront être remplacés par leurs successeurs qu’à partir de 2040.
Ces derniers mois, l’allemand Rheinmetall et l’italien Leonardo ont annoncé le lancement d’un projet concurrent au MGCS, qui devrait aboutir à un horizon plus proche. L’attitude de Rheinmetall, qui participe au MGCS, a largement contribué au retard pris par ce projet, en ne s’y greffant qu’en 2019.
Cependant, la capacité de la coentreprise germano-italienne à produire de nouveaux véhicules blindés dans des délais nettement plus courts que le MGCS nous invite à questionner l’horizon lointain de son aboutissement. Alors que les besoins capacitaires sont très importants à moyen terme, n’est-il pas possible d’envisager une production à plus court terme du MGCS, comme son projet concurrent est en mesure de le proposer ?
M. Alexandre Dupuy. Le programme MGCS est un programme en coopération voulu par deux États, la France et l’Allemagne, qui pourra être ouvert à d’autres pays. Son calendrier se situe dans le temps moyen-long, puisque l’on parle de 2035 et de 2040. La France est un peu plus pressée que l’Allemagne en raison de son plan d’équipement actuel. Néanmoins, le besoin militaire a convergé, les premiers financements sont mis en place et les deux ministres s’activent pour faire avancer le dossier. Nous venons d’ailleurs de franchir une nouvelle étape avec, du côté industrie, une compagnie de projets en cours de création (projet company), à quatre, réunissant Thales, KNDS France, KNDS Allemagne et Rheinmetall. Elle sera en mesure de répondre à une sollicitation d’une équipe franco-allemande pour développer des briques technologiques suivant huit piliers.
En parallèle, d’autres initiatives industrielles sont intervenues, dont celle entre Rheinmetall et Leonardo, que vous avez mentionnée. Celle-ci a un objet précis : le renouvellement du parc des chars Ariete italiens, un besoin à court terme. De la même manière, le projet Future Main Battle Tank (FMBT) mené par le Fonds européen de défense, vise à proposer le développement, soit d’un char à l’horizon d’une dizaine d’années, soit de briques technologiques susceptibles d’enrichir le MGCS. Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre les deux.
Aujourd’hui, les 200 chars Leclerc possédés par la France seront rénovés, à partir d’un programme qui progresse normalement. Un peu plus d’une trentaine de chars ont déjà été livrés, conformément au contrat. Tout est fait pour que les chars Leclerc puissent tenir jusqu’en 2040. Les briques technologiques sur lesquelles nous travaillons pour MGCS doivent nous permettre de faire évoluer le char Leclerc, si nécessaire. Tel est le sens du démonstrateur Leclerc Évolution que KNDS France a présenté à Eurosatory, qui intègre les nouvelles technologies. Cela nous permet d’aborder la coopération en position de force vis-à-vis de nos partenaires, mais également d’être prêts, au cas où.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Nous traversons effectivement une période majeure d’accélération des évolutions techniques et technologiques, nécessitant une adaptation continue dans le développement, notamment de vos produits. La question de l’obsolescence des technologies devient un élément crucial pour la constitution des stocks et leur stabilité.
Or le besoin en visibilité révèle un manque d’information quant à l’organisation des stocks et, a fortiori, des pertes à terme. Quelles proportions de ces stocks d’équipements conventionnels seraient utilisées à court terme dans chacun dans vos activités ? Par ailleurs, comment l’obsolescence et la gestion des stocks s’inscrivent-elles dans une perspective d’exportabilité accrue de vos produits ?
Enfin, la sauvegarde et le maintien des compétences correspondent en partie à l’investissement dans l’avenir, aussi bien par la recherche industrielle que par la recherche militaire. Le cyber et l’intelligence artificielle représentent des domaines à enjeux prioritaires pour que nos armées soient opérationnelles. De ce point de vue, comment investissez-vous dans la recherche sur ces deux sujets, dans vos productions ?
M. Alexandre Houlé. La question de l’obsolescence est effectivement essentielle en matière de stocks. Il s’agit d’avoir un stock roulant, de l’utiliser pour la production, et le réalimenter au fur et à mesure. Elle comporte nécessairement une part de risque, assumée par un industriel comme Thales.
Ensuite, Thales emploie plus de 6 000 experts en cybersécurité et près d’un millier d’experts en intelligence artificielle, domaine dans lequel nous investissons fortement pour pouvoir offrir le bénéfice opérationnel à nos clients. L’intelligence artificielle permet ainsi par exemple à nos radars de cibler encore plus rapidement les mini drones, tels que ceux que nous voyons en Ukraine. Notre entité cyber réalise de nombreuses missions de cybersécurité dans le domaine civil et nous la renforçons, d’année en année, depuis près de dix ans. Nous avons l’année dernière fait l’acquisition d’un grand acteur de la cyber aux États-Unis, Imperva, pour un peu moins de 4 milliards d’euros. Mais la cybersécurité irrigue également l’ensemble des autres activités de Thales, comme la défense, l’aéronautique et le spatial.
Enfin, dans le domaine de la défense, nous construisons une « IA de confiance », à la fois éthique, transparente et explicable. Nous devons expliquer que les algorithmes IA que nous développons ne sont pas des boîtes noires, qui produisent des données sans que nous ne maîtrisions le parcours décisionnel. Nous consacrons ainsi de grands investissements pour disposer de ressources et d’experts dans ces domaines très compétitifs.
M. Alexandre Dupuy. L’activité cyber comporte effectivement plusieurs volets. Il s’agit d’abord de la protection de nos installations et de nos outils de production, mais aussi la protection de la performance des systèmes d’armes que nous produisons. Scorpion repose sur un combat collaboratif et il faut s’assurer que personne ne puisse entrer dans la boucle décisionnelle du combat collaboratif.
En matière de stocks, tout dépend de la nature des produits que nous devons stocker. Un ébauché de tube Caesar peut se stocker dans le temps long, sans obsolescence, mais une poudre explosive se conserve plutôt mal, dans de fortes conditions de sécurité. En réalité, le meilleur mode de conservation est l’obus stocké, le produit fini. Enfin, au-delà du volet souveraineté, disposer de stocks nous permet également de produire plus vite et d’être plus réactifs en cas de sollicitation, éventuellement plus réactifs que la concurrence.
Mme Sabine Thillaye (Dem). KNDS est impliqué dans le développement de nombreux dispositifs comme les véhicules de combat, le programme Scorpion, les canons Caesar, le char MGCS. Comment articulez-vous les besoins auxquels vous êtes confrontés, comme le renforcement de vos capacités de production et la flexibilité industrielle ?
Par ailleurs, la question des matières premières demeure assez cruciale. Quelles difficultés rencontrez-vous dans ce domaine ? Quelles sont nos véritables dépendances ? Ensuite, quel regard portez-vous sur le Fonds européen de défense ? Il est parfois critiqué pour dispersion excessive de ses ressources vers un nombre trop élevé de projets. Quelles sont vos attentes quant au futur commissaire de défense, qui est chargé d’une meilleure coordination et une meilleure coopération ?
Enfin, les ministres Pistorius et Lecornu indiquent qu’ils partent désormais des besoins de nos armées et non plus des besoins des industriels. Comment voyez-vous ce changement de logiciel ? Pour finir, j’observe avec satisfaction l’achat de Brimstone 3 de MBDA par l’Allemagne
M. l’amiral (2S) Hervé de Bonaventure. Il est nécessaire de ne pas concentrer nos forces uniquement sur cette production et sur le temps présent, pour pouvoir aussi œuvrer sur le temps moyen et le temps long. MBDA conduit depuis dix ans le programme FMAN-FMC de missiles de croisière, pour remplacer les missiles Scalp et Exocet, aujourd’hui extrêmement performants.
Ce programme comprend deux composantes : un missile subsonique, mais furtif et un missile beaucoup plus véloce, extrêmement manœuvrant. Nous sommes actuellement dans une phase de levée de risques, qui devrait se concrétiser par un contrat de lancement-réalisation en 2025. Il est mené en coopération avec le Royaume-Uni et l’Italie.
S’agissant des matières premières, dans les aciers spéciaux, nous consommons entre quatre et six tonnes par an et nous disposons de quatre-vingts tonnes de stocks. Ce type de sécurisation est assez simple sur des matières qui ne vieillissent pas. Il en va différemment pour les composants ou les fibres ou les poudres, dont les durées de vie sont beaucoup plus courtes.
Avant le Brexit, 80 % des dépenses de défense de l’UE étaient assurées par la France et le Royaume-Uni. Le Fonds européen de défense permet d’augmenter l’argent disponible pour la R&T, mais nous devons veiller à l’arrivée de nouveaux concurrents. Le projet Aquila propose des concepts d’intercepteur contre-hypersonique à quatre pays membres de l’Union : la France, l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas.
Enfin, la LPM a érigé la dissuasion en priorité. MBDA fabrique le vecteur de la composante nucléaire aéroportée, à travers le système d’armes ASMPA-R. Nous développons en parallèle un nouveau missile, l’ASN4G, à la fois hypersonique et restant dans l’atmosphère. Le moteur sera un statoréacteur, aboutissement d’une recherche de vingt ans. Ce missile de haute technologie devrait être disponible vers le milieu des années 2030. Il fait partie d’un programme soutenu par la LPM.
M. Alexandre Dupuy. La réponse à l’ensemble des besoins passe d’abord par une standardisation, à laquelle la dynamique européenne contribue. Pour nous, l’enjeu, consiste à essayer de vendre toujours le même matériel. Aujourd’hui, il n’existe plus que deux modèles de Caesar. Une autre logique peut nous conduire à produire autrement, comme pour les Serval et les Griffon où une même base peut accueillir différentes versions.
Ensuite, il est naturellement nécessaire de disposer de visibilité pour pouvoir dimensionner un outil industriel et répartir son effort. Lorsque nous affronterons des périodes de charge plus faibles, il faudra s’assurer que l’outil est alimenté a minima par des commandes nationales ou export. Nous estimons qu’une chaîne de production de munitions doit au minimum tourner au tiers de sa capacité maximale pour entretenir les compétences. Nos ouvriers sont capables de passer d’une activité à une autre.
M. Alexandre Houlé. Les guerres de haute intensité, comme celle que nous connaissons en Ukraine, ne sont pas moins technologiques, contrairement à ce qui a pu être imaginé au début. Au moment où nous accroissons la production de matériels actuels, nous ne devons pas négliger la préparation de l’avenir. Thales investit sur fonds propres dans la R&D pour préparer l’avenir, parfois très lointain. Je pense notamment aux capteurs quantiques, cent fois plus petits, mais cent fois plus performants. Nous préparons également l’avenir, notamment grâce à notre dualité civile et militaire. Enfin, il est également essentiel de maintenir un niveau d’études amont suffisant pour pouvoir intégrer ces innovations au fur et à mesure dans les programmes futurs, au bénéfice de nos armées.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons maintenant à une séquence de quatre questions complémentaires, en commençant par une première série de deux questions.
M. Frank Giletti (RN). Il serait opportun pour le président de la République comme pour le gouvernement, d’avoir à l’esprit qu’avant d’utiliser tort et à travers un vocabulaire inadapté à la situation, « l’économie de guerre », une bonne appréhension des situations qui se présentent à nous, dans l’espace par exemple, constituera l’une des clés du succès des armées de demain.
Nos forces armées ne disposent aujourd’hui que d’un unique radar de veille spatiale GRAVES qui, même s’il représente une capacité unique en Europe, reste limité puisqu’il ne permet de suivre que les satellites en orbite basse, excluant par ailleurs les satellites ayant des orbites proches de l’Équateur. Or si nous voulons permettre à la France de maintenir son rang parmi les puissances mondiales, il nous incombe de moderniser urgemment notre système de détection dans l’espace. L’une des priorités affichées par la LPM concernait notamment le développement du successeur dudit radar, le GRAVES NG, pour une entrée en service à compter de 2030. Avez-vous obtenu des commandes pour l’étude et la conception de celui-ci ?
Mme Michèle Martinez (RN). Ma question s’adresse plus spécifiquement à MBDA. La coopération peut s’entendre de deux manières : soit comme une fin en soi, soit comme un moyen, avec la volonté de coopérer pour partager les coûts de la production.
De ce point de vue, MBDA est un projet de coopération européenne qui a bien fonctionné, grâce à la volonté politique d’alignement sur un projet commun d’acquisition et sans trop de spécifications. Cette réussite est riche en enseignements. D’une part, la coopération européenne en matière de défense ne se limite pas aux seules frontières de l’UE. Nous n’avons donc pas besoin que la Commission européenne s’ingère dans les politiques de défense des États membres pour que celle-ci soit efficace. D’autre part, elle révèle moins d’idéologie, de « coopération pour la coopération » et un peu plus de réalisme en matière d’industrie de défense, pour éviter les écueils que nous déplorons dans les programmes Scaf ou MGCS.
Dans ce contexte, pouvez-vous nous donner votre regard sur les raisons du succès industriel de MBDA ?
M. Alexandre Houlé. Monsieur le député, le spatial militaire constitue un champ de conflictualité de plus en plus important. La DGA a lancé plusieurs programmes pour y répondre, notamment le radar GRAVES NG, programme auquel Thales répond et est en discussion avec la DGA.
Thales souhaite également répondre à un autre programme sur des démonstrateurs de petits satellites qui permettraient de protéger d’autres satellites, et plus encore.
Thales reste vigilant afin que le spatial se maintienne au bon niveau dans les futures commandes de la LPM, d’autant plus que cette industrie duale est « disruptée » dans sa version civile par certains acteurs américains. Nous avons donc absolument besoin d’un soutien fort sur le spatial militaire pour pouvoir maintenir les compétences critiques en France.
M. l’amiral (2S) Hervé de Bonaventure. Madame Martinez, je vous remercie de nous avoir interrogés sur les critères de succès de la coopération. Le premier réside dans les besoins des armées des pays participant à cette coopération, qui doivent converger. Cela a notamment été le cas pour le Scalp Storm Shadow.
Le deuxième critère repose sur la convergence des calendriers, associée à une volonté politique, laquelle est primordiale pour faire converger les armées et les industriels sur le besoin. Dans ce cadre, celui qui est champion dans son domaine doit être assuré de mener le sous-ensemble de cette coopération. Dans le cadre d’une coopération, il arrive que certains pays soient tentés d’acquérir une compétence, ce qui contribue à alourdir les coûts et introduit plus de risques.
La gestion et la protection de la propriété intellectuelle sont également primordiales pour s’assurer que la coopération soit efficace. Ici aussi, il est souvent nécessaire de procéder à un arbitrage politique pour conduire les industriels à converger. Enfin, lorsqu’une capacité est fabriquée en coopération, il faut pouvoir conserver la pleine souveraineté, notamment dans le domaine de l’export, à l’heure où certains à Bruxelles souhaitent centraliser les licences export.
Mme Gisèle Lelouis (RN). Dans un contexte international marqué par le retour des conflits de haute intensité et des tensions géopolitiques croissantes, l’économie de guerre s’impose comme une réalité incontournable. La BITD française est un pilier stratégique dans notre appareil de défense, capable de fournir aux forces armées les équipements nécessaires pour garantir l’indépendance militaire du pays.
Dans ce contexte, le rôle des grands acteurs de la BITD comme MBDA, Thales et KNDS, est fondamental. Il incarne l’excellence française dans les domaines des armes modernes, des systèmes de défense et de la cybersécurité. Cependant, face à une Europe divisée sur des priorités stratégiques, il est crucial de garantir que les intérêts nationaux priment sur les coopérations industrielles, qui pourraient diluer notre capacité à défendre nos propres intérêts.
L’échec partiel de certains programmes européens, comme le Scaf ou les divergences entre États membres montrent que la coopération doit toujours être guidée par la préservation des capacités françaises. Ainsi, dans un contexte de montée en puissance de l’économie de guerre, comment les acteurs de la BITD envisagent-ils de garantir la souveraineté industrielle et militaire nationale, notamment en réduisant notre dépendance aux ressources stratégiques étrangères et en renforçant notre capacité de production ?
M. Thierry Tesson (RN). Ma question s’adresse plus spécifiquement à KNDS France. Comme vous le savez, nous sommes circonspects quant à l’aboutissement concret du projet MGCS. Celui-ci, miné par divers désaccords, voit constamment sa date de sortie repoussée. Lorsque le projet a été initié en 2012, la date de sortie était prévue pour 2035, puis 2040 et enfin aujourd’hui, 2045. En outre, la récente signature d’un accord entre Rheinmetall et Leonardo laisse craindre une minoration par nom de la France dans le projet MGCS, ainsi qu’un déclassement de KNDS sur le volet chenillé.
Néanmoins, votre entreprise a présenté à Eurosatory le char Leclerc Évolution, réponse intéressante. Combien coûterait l’acquisition de votre démonstrateur ? Si les armées le jugeaient au niveau, sous quels délais seriez-vous capable d’en lancer la production en série ?
M. l’amiral (2S) Hervé de Bonaventure. Madame Lelouis, je vous témoigne de notre volonté de maintenir notre souveraineté et de pouvoir favoriser cette coopération industrielle dans le cadre d’un juste calendrier.
Je souhaite également évoquer le programme en coopération sur le futur missile de croisière antinavire, dans lequel MBDA France et MBDA Royaume-Uni ont déployé différentes briques technologiques. Au cours de la phase de levée de risques, nous avons pu prouver la justesse des choix technologiques et notamment valider le fameux moteur de ce futur missile supersonique. Lorsque le contrat sera passé, nous pourrons doter les forces armées françaises d’un missile doté d’une capacité de frappe dans la profondeur, permettant de pénétrer dans les défenses sol-air, à l’horizon 2030. 750 personnes travaillent déjà à ce programme, des deux côtés de la Manche, ce qui témoigne de notre engagement.
M. Alexandre Dupuy. Monsieur le député, KNDS a présenté cinq chars à Eurosatory : les chars du présent (Leclerc et Leopard), du proche avenir (Leclerc Evolution et une version du Leopard avec une tourelle automatisée) et la préparation du futur, avec le projet de démonstrateur de technologies autur d’une tourelle avec un nouveau canon, ADT 140. Le Leclerc ne démérite pas et offre aujourd’hui toutes les caractéristiques d’un des meilleurs chars, sinon le meilleur char du monde. Il a moins été vendu à l’export en raison du calendrier : il est arrivé après le Leopard.
Le proche avenir se construit par le développement de briques technologiques, certaines en auto-financement, d’autres grâce à des commandes publiques. Certaines briques sont développées dans le cadre de la coopération. S’agissant de MGCS, l’architecture a été travaillée et nous devons aborder à présent un programme financé de piliers technologiques. Au sein de cette coopération, nous ne devons pas craindre la concurrence, pour prouver que certaines de nos capacités sont meilleures que celles des partenaires et ainsi être retenus et/ou travailler ensemble.
L’enjeu consiste pour nous à mobiliser les énergies pour maintenir et transmettre les compétences acquises grâce au char Leclerc et préparer l’avenir. Plus concrètement, si des commandes étaient passées pour quelques chars Leclerc Evolution, cela permettrait de comprendre, en compagnie de la DGA et des armées, ce que l’on peut en attendre et ce qui doit évoluer. Ce faisant, nous pourrions affiner le besoin. De nouveaux concepts comme un quatrième homme dans le char, l’utilisation de munitions téléopérées, la lutte anti-drones pilotée ou le télépilotage d’un robot ont été positionnés initialement dans le cadre de MGCS, à un horizon de quinze ans. Selon moi, il n’y a pas de sens à reproduire le démonstrateur tel qu’il existe aujourd’hui. Il convient d’abord de travailler avec la DGA et les armées pour s’assurer de la réponse aux besoins, non seulement nationaux, mais également d’un ou plusieurs pays export capables de cofinancer et d’étendre la surface de production.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie.
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La séance est levée à douze heures cinquante-six.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Frédéric Boccaletti, M. Manuel Bompard, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Stéphanie Galzy, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. Michel Gonord, Mme Florence Goulet, M. Daniel Grenon, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anne Le Hénanff, M. Julien Limongi, Mme Lise Magnier, Mme Michèle Martinez, M. Thibaut Monnier, M. Karl Olive, Mme Anna Pic, M. Aurélien Pradié, M. Thierry Tesson, Mme Sabine Thillaye
Excusés. – M. Christophe Bex, M. Aymeric Caron, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, M. Emmanuel Fernandes, M. Laurent Jacobelli, M. Pascal Jenft, M. Fabien Lainé, Mme Murielle Lepvraud, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Catherine Rimbert, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud, Mme Corinne Vignon
Assistait également à la réunion. – M. Bastien Lachaud