Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
— Nomination d’un rapporteur pour avis sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense (n° 536).
— Audition commune, ouverte à la presse, de M. Benjamin Gallezot, délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques, de M. Thierry Francou, président directeur général d’Eurenco et de M. Bruno Durand, président d’Aubert et Duval, sur les problématiques d’approvisionnement et de relocalisation dans le cadre d’une économie de guerre.
Mercredi
18 décembre 2024
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 30
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président
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La séance est ouverte à neuf heures deux.
M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, avant de commencer notre audition, je tiens à faire part de la solidarité de notre commission vis-à-vis de l’ensemble des habitants de Mayotte, victimes du plus fort cyclone qu’a connu cet archipel depuis quatre-vingt-dix ans, et qui font face à une situation humanitaire et sanitaire dramatique.
Je voudrais, en votre nom également, exprimer notre soutien et notre admiration pour l’action des militaires français qui, en ce moment même, interviennent pour aider les populations mahoraises et qui contribuent notamment à l’acheminement de plusieurs tonnes de matériel. Une fois encore, l’armée française a répondu présente pour aider et soulager les maux causés par une situation exceptionnelle.
J’ai demandé dès lundi au ministre des armées, Sébastien Lecornu, des informations détaillées sur les moyens déployés par nos armées en faveur de Mayotte, sollicitant un point de situation devant notre commission par un personnel traitant, afin que vous puissiez exercer au mieux votre mission d’évaluation et de contrôle. Le ministre m’a répondu qu’en raison de la mobilisation intensive des personnels en cellule de crise et sur place, il était impossible dans l’immédiat de répondre favorablement à cette demande. J’ai donc demandé qu’une note détaillée précisant la diversité des moyens engagés nous soit rapidement adressée. Nous l’avons reçue ce matin et nous allons vous l’envoyer.
Ensuite, il nous faut désigner un rapporteur pour avis sur le projet de loi adopté par le Sénat autorisant l’approbation de l’accord relatif aux coopérations dans le domaine de la défense entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d’Indonésie. À la suite d’un appel à candidatures lancé auprès des coordonnateurs de groupe, nous avons reçu celle de Mme Valérie Bazin-Malgras.
Mme Bazin-Malgras est désignée rapporteure pour avis sur le projet de loi adopté par le Sénat autorisant l’approbation de l’accord relatif aux coopérations dans le domaine de la défense entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d’Indonésie.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous poursuivons maintenant notre cycle d’auditions dédié à l’économie de guerre en abordant ce matin les problématiques relatives à l’approvisionnement et à la relocalisation.
Nous avons le plaisir d’accueillir M. Benjamin Gallezot, délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques depuis janvier 2023. Monsieur, vous êtes normalien, ingénieur général de l’armement, et vous avez occupé de nombreuses fonctions en cabinet ministériel, notamment comme directeur adjoint du cabinet de Mme Florence Parly lorsqu’elle fut ministre des armées. Vous avez également été directeur adjoint du cabinet du Premier ministre de 2021 à mai 2022.
Je salue également M. Thierry Francou, président directeur général d’Eurenco, diplômé de l’Ensta Bretagne et ingénieur de l’armement. Monsieur, vous avez assumé d’importantes responsabilités à la direction générale de l’armement (DGA), chez Safran, puis chez ArianeGroup, avant de prendre, en 2019 la tête du groupe Eurenco.
Enfin, Monsieur Bruno Durand, vous avez passé une grande partie de votre carrière chez Safran. Vous avez ensuite pris la direction d’Aubert et Duval, à la suite du rachat de cette importante entreprise stratégique par un consortium composé d’Airbus, de Safran et Tikehau Capital, l’État possédant également une action spécifique assortie de droits particuliers.
Les retours d’expérience de la crise sanitaire puis de la guerre en Ukraine ont démontré à quel point les transformations économiques et technologiques de ces dernières décennies nous ont rendus dépendants de ressources rares, d’entreprises manufacturières, mais également d’industries étrangères. Ceci a été d’ailleurs favorisé par des choix de délocalisations, au point d’affecter parfois notre autonomie stratégique et notre souveraineté.
Cette prise de conscience se traduit dans la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, qui prévoit plusieurs outils pour mieux sécuriser les approvisionnements des forces armées et de nos capacités de production, à travers notamment la constitution de stocks stratégiques ou la priorisation des commandes. Par ailleurs, l’État et la plupart des filières professionnelles se sont mobilisés pour créer une filière de recyclage du titane ou pour identifier les conditions de la sécurisation de notre approvisionnement en matière de matières minérales.
La délégation interministérielle aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques a été créée le 10 décembre 2022. Monsieur Gallezot, vous nous direz certainement comment vous vous employez pour faire en sorte que la France maîtrise mieux ses approvisionnements. Nous savons que l’identification des entreprises critiques, des vulnérabilités et des potentiels goulets d’étranglement constituent des problématiques qui nous empêchent parfois de renouer avec cette logique d’économie de guerre.
M. Benjamin Gallezot, délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques. La délégation interministérielle a été créée par un décret publié le 10 décembre 2022 et tire son origine d’un rapport confié à M. Philippe Varin, ancien patron de PSA et ancien dirigeant d’industrie, notamment dans l’aluminium. Ce rapport a ainsi émis un certain nombre de recommandations sur la politique à conduire en matière d’approvisionnement de minerais et métaux stratégiques. Ce rapport était particulièrement centré sur la problématique de l’industrie des batteries et des terres rares, en particulier dans l’automobile, mais ses conclusions valent pour la plupart des secteurs industriels, en particulier le secteur de la défense.
Philippe Varin a ainsi recommandé la création d’un poste de délégué interministériel pour coordonner l’action des différents ministères concernés. Il s’agit d’une structure légère puisque, puisque nous sommes deux. Cette délégation fonctionne sur le principe de subsidiarité, elle vise à impulser l’action du gouvernement et à appuyer les ministères dans leur travail. S’agissant du ministère des armées, nous travaillons avec l’acteur principal dans ce domaine, la direction générale de l’armement (DGA), qui a la connaissance des besoins de l’industrie. Dans ce domaine, la situation est particulière, puisque l’État est acheteur, ce qui n’est pas le cas de la plupart des secteurs industriels.
Cette délégation a notamment pour rôle de coordonner les différents services du gouvernement, d’interagir avec les industriels et de travailler avec nos partenaires internationaux. Nous avons d’abord mis en place des outils pour bien connaître les filières des minerais et métaux stratégiques. De fait, la connaissance fine des chaînes de valeur de nos dépendances est extrêmement complexe. Nous parlons ici d’une cinquantaine de métaux stratégiques, chacun ayant des utilisations multiples et connaissant, entre la phase d’extraction et la phase de fabrication des pièces, cinq à sept étapes industrielles successives, qui servent quasiment toutes les industries.
À ce titre, nous avons mis en place l’Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi), qui rassemble nos meilleurs centres de recherche dans le domaine des minerais et des métaux, dont en particulier le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), mais aussi le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), ainsi que d’autres entités publiques et l’industrie privée.
L’ensemble des secteurs industriels est représenté au sein de cet Observatoire, en particulier l’industrie de défense à travers ses trois syndicats professionnels, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) ; le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (Gicat) et le Groupement des industries de construction et activités navales (Gican). Cet organisme nous aide ainsi à améliorer notre connaissance des filières, à examiner la criticité de chacun des métaux et à appuyer les industriels dans leur démarche de sécurisation de leurs approvisionnements. Il est assez original dans la mesure où il est véritablement fondé sur un partenariat entre les pouvoirs publics et l’industrie. Il a produit un certain nombre d’études, en particulier sur la question du titane.
Ensuite, nous avons travaillé sur la problématique des stocks. Très rapidement, dans le cadre de la LPM, a émergé l’idée d’une série de mesures permettant de mieux maîtriser un certain nombre d’approvisionnements, à la fois en temps normal et en temps de crise ou de guerre. L’article 49 de la LPM permet ainsi à l’État de déterminer les niveaux de stocks qui doivent être constitués au sein des entreprises qui répondent aux besoins d’approvisionnement du ministère des armées. Il s’agit là d’une logique assez similaire à celle qui est appliquée par les États-Unis depuis un certain temps. En revanche, alors qu’aux États-Unis, le stock est détenu par le ministère des armées, la logique que nous avons souhaité appliquer concerne des stocks détenus sous la responsabilité des industriels. Cette modalité semble plus efficace, en particulier parce qu’elle permet de s’assurer que les besoins correspondent vraiment à ceux des industriels, sous la supervision globale de la DGA.
Par ailleurs, nous avons mis en place des outils de soutien pour les projets de capacité industrielle, organisés autour de quatre dispositifs. Le premier s’inscrit dans le cadre de France 2030, avec 400 millions d’euros, aujourd’hui quasiment intégralement engagés, pour soutenir des projets d’extraction, de transformation, de raffinage ou de recyclage des métaux. Le deuxième concerne un crédit d’impôt qui, conformément aux règles européennes, est ciblé sur un certain nombre de secteurs, en particulier ceux qui sont liés aux batteries, mais qui contribuent tous à la résilience de nos chaînes d’approvisionnement.
Le troisième outil porte sur un fonds d’investissement dans lequel l’État fournit 500 millions d’euros et qui a pour vocation de réunir des financements privés jusqu’à 2 milliards d’euros. Ce fonds peut prendre des participations minoritaires dans des projets industriels opérant sur l’ensemble de la chaîne depuis l’extraction et la transformation jusqu’au recyclage, en France, en Europe, ou à l’international. Les équipes de ce fonds, géré par la société privée InfraVia, ont été mises en place et les premiers investissements devraient être réalisés dans le courant du premier trimestre de l’année prochaine. Le dernier outil financier a trait à la garantie des projets stratégiques : l’État fournit sa garantie pour des emprunts bancaires liés à des projets industriels en France ou à l’étranger, au cas par cas, après validation de la direction générale du Trésor.
Le troisième élément de la stratégie est relatif à la coopération internationale. Les chaînes de valeur dont nous parlons sont fortement internationalisées et il est absolument vital de travailler avec nos partenaires pour essayer de développer des ressources nouvelles. À ce jour, nous avons conclu une dizaine de partenariats internationaux et nous travaillons dans des cadres multilatéraux, en particulier au sein de l’Union européenne, qui a adopté un règlement sur les matériaux critiques (Critical raw material act), mais aussi dans des cadres multilatéraux, qu’il s’agisse de l’OCDE, de l’Agence internationale de l’énergie ou d’autres organismes.
Enfin, le dernier élément a trait à la recherche et développement, pour trouver d’autres solutions de substitution, améliorer la compétitivité et les capacités de notre industrie, mais aussi le recyclage. Nous menons un effort très important en matière d’innovation, en particulier dans le cadre de France 2030, à travers des programmes d’identification des ressources du territoire national, mais aussi plus en aval, en lien avec le recyclage, le raffinage et la transformation des métaux.
M. Thierry Francou, président d’Eurenco. Eurenco a été créé il y a vingt ans dans un objectif de rationalisation de l’outil industriel, à une période où il n’existait plus de commandes de munitions et où la situation européenne était marquée par une surcapacité en termes de poudres et explosifs.
Nous fabriquons ainsi des poudres et explosifs, pour un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros en 2024 (en hausse de 30 % par rapport à 2023), soit deux fois et demie plus qu’en 2019. Nos sites se répartissent en France à Sorgues près d’Avignon et à Bergerac, mais également en Suède, en Belgique et à Houston, pour nos activités civiles. En 2024, environ 1 400 personnes sont employées par Eurenco, soit 500 de plus qu’en 2019. Notre chiffre d’affaires se décompose de la manière suivante : 80 % sur la défense et 20 % sur le civil, en sachant que nous le réalisons pour 80 % à l’export, les 20 % restants se répartissant entre la France, la Belgique et la Suède.
Eurenco est le chimiste de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Nous transformons ainsi des produits nitrés en des produits énergétiques pour la défense, dont des poudres. Ces poudres concernent des applications différentes : des poudres de petit calibre et des poudres de gros calibre, des tailles et formulations différentes impliquant également des outils de production spécifiques. Grâce à ces poudres, nous générons du gaz pour propulser des obus, des munitions. Nous produisons également des explosifs, qui permettent de générer du souffle pour les obus, les têtes de missiles ou de torpilles, dans le but de servir l’ensemble de la BITD.
Nous réalisons également des produits combustibles, des charges modulaires d’artillerie, une forme de pâte à papier très chargée destinée à brûler pour apporter le maximum d’énergie à l’obus qui sera propulsé. Nous chargeons en explosifs des obus, des têtes militaires, des bombes aéronautiques, notamment sur notre site de Sorgues. Nous disposons ainsi d’une capacité de plus de 20 000 chargements d’obus de 155 millimètres à Sorgues, en complément des activités de KNDS basées à La Chapelle-Saint-Ursin, mais en employant une technologie différente. Aujourd’hui, nous chargeons des obus pour Rheinmetall et pour l’État allemand.
Ces charges explosives présentent une qualité d’insensibilité : nous pouvons placer dans ces munitions des explosifs insensibles qui pourront être embarqués avec un haut niveau de sécurité sur des porteurs nucléaires, comme les sous-marins ou les porte-avions.
Nous menons également une activité civile dans le domaine des additifs pour carburant, qui représentent 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, notamment grâce à un monopole sur les États-Unis et le Canada, que nous traitons à partir de notre port logistique à Houston. Cette dualité civile et militaire est utile pour nous assurer une activité contracyclique et nous permettre d’entretenir nos compétences. Dans le détail, nous utilisons le résidu de fabrication des explosifs pour réaliser ces additifs, en faisant d’un déchet une valeur. Nous produisons également des carburants pour la propulsion des satellites depuis notre site suédois.
Nos segments de marché sont diversifiés, qu’il s’agisse de la nitrocellulose, des poudres et charges propulsives pour des munitions de moyen et gros calibres, des têtes militaires explosives pour bombes, obus, torpilles ou missiles, des poudres pour le petit calibre et la chasse, des explosifs pour des applications pétrolières pour pouvoir forer à forte profondeur et enfin des additifs pour carburant. Aujourd’hui, notre premier client réalise seulement 12 % de notre chiffre d’affaires, en cohérence avec notre stratégie de diversification, laquelle a pour objet d’assurer une résilience des chaînes d’approvisionnement et de limiter nos dépendances.
Nos forces résident dans notre indépendance vis-à-vis de la chaîne munitionnaire, mais également dans notre actionnariat. Eurenco est détenu à 100 % par l’État à travers sa holding de tête, la Société nationale des poudres et explosifs, qui est détenue par l’Agence des participations de l’État. Cette détention rassure aussi un certain nombre de nos clients finaux, c’est-à-dire des pays.
M. Bruno Durand, président d’Aubert et Duval. Aubert et Duval est une entreprise née en 1907, spécialisée dans la sidérurgie. Nous exerçons ainsi trois métiers. Le premier métier est celui d’élaborateur : il consiste à concevoir et fabriquer des alliages d’aciers spéciaux, de titane ou de superalliages en base nickel offrant des propriétés particulières en termes de corrosion et de tenue à température. Une fois que ces gros lingots de sept à vingt-quatre tonnes sont produits, la deuxième étape est celle de la forge, qui consiste à frapper ces matières pour casser la structure moléculaire et renforcer la résistance mécanique. La mise en forme de grandes pièces intervient ensuite dans des très grosses presses. À titre d’exemple, nous disposons d’une presse de 65 000 tonnes, dont il y a peu d’exemplaires comparables au monde : deux en Russie, deux en Chine et une aux États-Unis. Après cette mise en forme, les pièces sont livrées, soit au client final, soit à un usineur.
Notre chiffre d’affaires est réalisé à 65 % dans l’aéronautique, 15 % dans la défense, mais aussi dans l’énergie ou le médical. Tous nos produits sont des produits critiques destinés à des secteurs critiques et répondent à un besoin de résistance. Les matériaux militaires présentent des contraintes spécifiques en termes de température et de fatigue : nous livrons en particulier une partie des alliages pour le moteur du Rafale, la partie forgée du canon Caesar, des éléments sur les missiles et sur les chaudières nucléaires des porte-avions et sous-marins.
Aubert et Duval emploie aujourd’hui 4 000 personnes, pour un chiffre d’affaires de près de 820 millions d’euros. Notre positionnement géographique est un héritage de l’histoire, où il fallait être proche d’une source d’énergie (dans notre cas, un barrage hydraulique) et « loin des Allemands ». Nous sommes ainsi essentiellement implantés en Auvergne et dans l’Ariège. En 2023, la société, qui souffrait de difficultés, a été rachetée par Airbus, Safran et Tikehau, l’État français possédant une action spécifique. En effet, ces difficultés mettaient en péril les chaînes d’assemblage des principaux clients de l’entreprise, qui se sont réunis pour lui permettre de se stabiliser. L’objectif consistait ainsi à permettre la poursuite de la fourniture aux lignes d’assemblage civiles et militaires, mais également à développer les matériaux du futur et à assurer une indépendance vis-à-vis des matériaux américains.
Depuis le rachat de l’entreprise, le chiffre d’affaires a augmenté de 20 % chaque année et 650 personnes ont été embauchées. Dans la métallurgie, la R&T se déploie sur différents secteurs. Le premier concerne le développement des alliages du futur, en particulier pour les avions du futur. En effet, des températures plus élevées permettent de moins consommer et d’augmenter la poussée. Nous menons ainsi des travaux avec le DGA pour Safran et pour le système de combat aérien du futur (SCAF). La R&T porte également sur les alliages destinés aux canons et aux petits calibres.
D’autres travaux de recherche portent sur les contrôles, dans la mesure où les autorités de régulation dans le domaine du nucléaire et celui de l’aéronautique sont de plus en plus sévères. Dans ce segment, nous nous inspirons de ce qui est réalisé dans le domaine médical et menons des travaux en lien avec le CEA et Framatome. Enfin, le troisième axe de recherche concerne la simulation, grâce à notre maîtrise des trois métiers de l’alliage, de la forge et de la mise en forme. Nous faisons ici appel à l’intelligence artificielle (IA) pour mener à bien ces simulations. Ces travaux nous ont notamment permis de multiplier par trois nos cadences de production pour le canon Caesar. Nous évoluons dans une industrie de temps long, qui nécessitent de forts investissements et donc de disposer d’une vision de long terme pour effectuer les bons choix.
Les moteurs militaires évoluent dans de très hautes températures, au-delà de la température de fusion des alliages traditionnels. Ainsi, si ces moteurs ne comportent pas des pièces résistants à ces hautes températures, ils fondent. Pour y parvenir, nous fabriquons des alliages à base de poudre, très particuliers. Or cette poudre est fabriquée par une poignée d’acteurs chinois, russes, américains et français. Pour conséquent, posséder ces technologies constitue un élément clé de notre souveraineté.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie pour ces propos liminaires très riches et très complémentaires. Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
Mme Florence Goulet (RN). À l’heure du retour de la menace d’un conflit de haute intensité en Europe, couplé au passage en force vers une énergie décarbonée, gourmande en métaux rares, la France se retrouve en difficulté pour ses approvisionnements stratégiques, alors qu’elle avait, il y a quelques années encore, de nombreux atouts en main. D’une part, sa diplomatie est boutée hors d’Afrique, à un moment de tensions sans précédent sur les ressources minières. D’autre part, depuis les années 1980, elle ne dispose plus d’un État stratège soucieux de préserver ses intérêts nationaux.
Nous avons assisté au démantèlement de nos champions industriels et de nos arsenaux et à la liquidation de nos stocks stratégiques. Alors que la menace renaît en Europe, que la fable de la fin de l’Histoire s’effondre et que le président de la République exhorte les industriels de l’armement à produire plus et plus vite, que faire ? Augmenter la cadence de production des munitions ? Encore faut-il disposer des matériaux nécessaires, comme le tungstène pour les obus perforants, le tantale-155 pour le canon Caesar et les terres rares pour les systèmes de guidage. Le rapport Varin préconisait, dès 2022, un accompagnement financier important des États. Il recommandait au moins 30 % d’autonomie sur les approvisionnements stratégiques, le premier impératif étant de rouvrir des mines en France et en Europe, avec la création d’un fonds d’investissement dédié. Pourtant, la dépendance s’est aggravée et il est toujours très compliqué d’ouvrir des mines, comme en témoigne l’exemple de la mine de tungstène de Salau en Ariège.
Pour le recyclage, une chaîne industrielle ne pourra être mise en œuvre sans un soutien financier volontariste. En effet, recycler coûte à ce jour toujours plus cher que d’extraire. L’opportunité de reconstituer des stocks stratégiques n’est toujours pas arrêtée. La France ne dispose même pas de liste nationale de matériaux critiques et s’appuie sur des listes européennes. C’est pourquoi, messieurs, je vous demande ce qu’il faudrait mettre en œuvre en matière d’approvisionnements critiques, afin que vous puissiez répondre aux besoins de la défense de la France et de ses alliés.
M. Benjamin Gallezot. De la mine aux besoins en métaux de l’industrie de défense, il faut passer par plusieurs étapes incontournables. Le premier élément porte sur les gisements, c’est-à-dire des roches qui renferment plusieurs minéraux. À partir du minerai, le minéral est transformé pour en extraire le métal. Dans l’exemple du titane, le produit ici récupéré est un oxyde de titane. Pour obtenir du titane métallique, l’éponge de titane, il faut ensuite enlever l’oxygène. Une grande partie des utilisations de l’éponge de titane concerne l’industrie en général, mais une petite partie est destinée au titane de classe aéronautique, employé pour les activités militaires.
Dans l’aéronautique, nous avons estimé le besoin en titane entre 20 000 et 30 000 tonnes, dont quelques milliers sont dévolues aux activités de défense. En règle générale, les applications de défense représentent 5 à 10 % (20 à 30 % dans des cas particuliers) de l’utilisation des métaux stratégiques. Il n’existe donc pas, il ne peut exister, dans ce domaine, des chaînes complètement dédiées à la défense, au moins pour la partie qui permet d’extraire du métal. Il est donc illusoire de songer ici à une production autarcique.
C’est la raison pour laquelle nous avons créé l’Ofremi, afin de pouvoir prendre, dans chacun des cas, les bonnes solutions industrielles, à un coût raisonnable. Dans le cas du titane, l’essentiel des besoins est d’ordre civil et nous travaillons sur le recyclage des déchets de fabrication de titane, mais aussi sur des approvisionnements diversifiés des éponges de titane, qui servent à l’ensemble de l’industrie, en particulier l’industrie aéronautique civile. Ce faisant, nous sécurisons l’approvisionnement militaire, à travers la constitution de stocks, pour pouvoir répondre aux situations de crise.
En conclusion, au-delà du volet financier, l’enjeu consiste à bien décortiquer les besoins en compagnie des industriels et à prendre les mesures adaptées aux spécificités de la défense, afin de constituer les stocks à des niveaux suffisants, pour réagir utilement en temps de crise.
M. Thierry Francou. Je souhaite ajouter un élément concernant la chimie, mais qui est parfaitement en ligne avec les propos de M. Gallezot. Selon moi, les deux axes de sécurisation reposent sur le maintien d’une industrie européenne de la chimie et l’accélération des solutions de substitution.
Pour disposer de l’acide nitrique indispensable à la fabrication de poudre, il nous faut des plateformes chimiques, qui sont généralement opérées par des producteurs d’engrais. Or comme la presse s’en fait l’écho, les chimistes européens renoncent à des investissements en Europe pour délocaliser leurs usines de fabrication d’engrais. Par conséquent, sans une industrie européenne de la chimie, nous serons confrontés à de graves problèmes d’approvisionnement.
Nous nous efforçons également d’accélérer des substitutions. À ce sujet, il a beaucoup été question de produire de la nitrocellulose à partir du coton, mais celui-ci n’est pas produit en France ni en Europe. En revanche, la cellulose de bois est plus disponible. Cet exemple témoigne ainsi de la nécessité de changer les pratiques et les besoins.
M. Bruno Durand. Le titane est assez peu présent dans l’industrie de défense. Mais comme M. Gallezot l’a indiqué, nous avons sécurisé quelques matériaux. Je pense notamment à l’un d’entre eux, nécessaire dans les alliages, qui est un sous-produit de la fabrication de combustible nucléaire, que nous avons sécurisé auprès de Framatome.
Ensuite, dans la métallurgie, le recyclage est connu depuis le Moyen-Âge. Environ 80 % de notre fabrication provient du recyclage. Pour le titane, nous recyclons 75 %, ce qui est économiquement et écologiquement rentable, car cela permet de diviser les émissions de CO2 par trois.
Mme Emmanuelle Hoffman (EPR). Permettez-moi de commencer par vous remercier, au nom du groupe Ensemble pour la République, pour votre présence et vos présentations respectives. Je tiens aussi à saluer les efforts déjà entrepris par le gouvernement, et en particulier par notre ministre des armées, pour soutenir notre industrie de défense. La loi de programmation militaire 2024-2030, avec son budget historique de 413 milliards d’euros, témoigne de l’engagement fort de l’État.
De plus, le plan de relance aéronautique de 15 milliards d’euros, lancé en 2020 et le fonds d’investissement défense de 2 milliards d’euros, annoncé en 2023 représentent des initiatives importantes pour renforcer notre souveraineté industrielle. Comme vous l’avez rappelé, nos industriels de défense font face à des défis majeurs concernant leur chaîne d’approvisionnement : la dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers pour certains composants critiques et matières premières, la nécessité d’adapter rapidement les capacités de production pour répondre à une demande accrue d’équipements et de munitions, notamment dans le contexte en conflit en Ukraine qui met sous pression l’ensemble de la chaîne logistique, sans parler des défis liés à la cybersécurité, au recrutement de personnels qualifiés ou à l’accès aux financements.
La relocalisation de certaines productions stratégiques, la diversification des sources d’approvisionnement et le renforcement de la coopération européenne apparaissent comme des leviers essentiels pour accroître la résilience. Des défis majeurs persistent à ce jour. Comment évaluez-vous l’efficacité du plan d’action sur les métaux critiques et stratégiques lancé par le gouvernement en janvier 2023 ? Comment percevez-vous l’évolution de la coopération européenne ces dernières années, notamment à travers des initiatives comme le Fonds européen de défense ? Quels sont les principaux freins à une collaboration plus étroite au niveau européen dans vos secteurs respectifs ? Enfin, comment concilier l’objectif de souveraineté nationale avec la nécessité de coopérer au niveau européen ?
M. Benjamin Gallezot. Parmi les projets qui ont été engagés, je peux mentionner celui concernant l’aluminium, métal très utilisé dans l’aéronautique, mais aussi par d’autres secteurs industriels. Soutenus par le plan d’action France 2030, les projets portés permettent d’augmenter de 50 % la capacité de recyclage d’aluminium en France. Il y a quelques semaines, une nouvelle ligne a par exemple été inaugurée sur le site Constellium de Neuf-Brisach, l’un des plus importants sites de recyclage d’aluminium en France.
Dans le domaine du cuivre, le groupe Nexans, un des leaders mondiaux du câble, a annoncé la création d’une usine de recyclage, qui nous permettra d’augmenter significativement nos capacités et de combler notre retard vis-à-vis de nos partenaires européens. Nous appuyons également l’investissement du groupe Solvay dans une usine de séparation de terres rares, à La Rochelle. Une autre usine de séparation de terres rares devrait également voir le jour dans le sud-ouest de la France. De mon point de vue, la stratégie de mobilisation de moyens financiers importants dans le cadre de France 2030 a porté ses fruits. Aubert et Duval a lancé un plan pour augmenter les capacités de fabrication de lingots de titane au sein de la filiale EcoTitanium.
Ensuite, comment concilier Europe et souveraineté ? La coopération européenne est absolument essentielle : les chaînes de valeur sont par nature européennes. Il n’existe pas de concurrence significative à ce niveau, les pays européens sont confrontés aux mêmes défis. La coopération européenne que nous mettons en place, en particulier dans le cadre du règlement sur les matériaux critiques, est fondamentale, incontournable.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Je souhaite évoquer la problématique des relocalisations. Cette année, notre pays a connu davantage de fermetures d’usines que d’ouvertures. La délocalisation industrielle est en marche : tel est le bilan de sept années de pouvoir d’Emmanuel Macron. Dans cette conjoncture négative, comment considérer qu’une économie de guerre pourrait être un palliatif pour réindustrialiser le pays ?
Ensuite, à Bergerac, en avril 2024, à l’occasion de la pose de la première pierre d’une nouvelle unité de production chez Eurenco, le président de la République affirmait que l’objectif concernait la maîtrise de la totalité du processus, depuis l’extraction, le raffinage, la transformation jusqu’au recyclage des métaux rares. Quand parviendrons-nous à cet objectif ambitieux ? Est-il seulement atteignable, puisque le sous-sol français ne peut pas répondre à lui seul à la demande sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement ?
Nous devons tirer toutes les conséquences de la crise du covid. Il convient de diversifier nos importations, de sécuriser les routes commerciales et notamment les points chauds. Cela passe effectivement par la relocalisation de filières de production pilotées et opérées par l’État, ainsi que par le stockage de matières premières stratégiques. À ce sujet, monsieur le délégué interministériel, pouvez-vous nous décrire plus précisément la situation des stocks stratégiques ?
Enfin, les besoins en métaux rares sont en croissance exponentielle. D’ici à 2030, les prévisions font état d’une multiplication par dix des besoins en lithium et par sept pour le graphite et le manganèse. Dès lors, comment l’industrie de la défense s’insère-t-elle dans cette croissance de la demande ? Pour conclure, comment conjuguer extractivisme et préservation de l’environnement ? Le sous-sol de ma région, l’Alsace, contient l’un des gisements de lithium les plus importants du pays. Dans quelle mesure l’industrie de la défense compte-t-elle ou non s’insérer dans l’exploitation de ces gisements ?
M. Benjamin Gallezot. Je ne partage pas la première partie de votre intervention. Sur l’ensemble du quinquennat, le bilan est largement positif en créations nettes d’usines. Quatre grands projets de giga-factories sont en cours en France, dont une usine déjà en service. Si vous vous rendez dans la région de Dunkerque, vous verrez que la réindustrialisation produit des effets concrets, à la fois en matière de capacités industrielles, mais aussi d’emplois.
Ensuite, vous avez évoqué l’articulation entre les capacités d’extraction d’un minerai comme le lithium et la défense. Nous disposons en France de ressources importantes de lithium et nous conduisons des projets concrets pour les développer. Si l’ensemble de ces ressources est développé, les trois quarts des besoins en lithium des gigafactories envisagées sur le territoire français seront couverts. Nous nous attachons à appuyer les industriels dans leurs projets, ce qui peut prendre du temps. Ensuite, l’industrie ne raisonne pas par idéologie et je ne me reconnais pas dans cette idée d’extractivisme. Nous essayons de développer les projets d’extraction de minéraux, dans un cadre réglementaire extrêmement rigoureux.
Enfin, les besoins de la défense en lithium sont très faibles par rapport à ceux des giga-factories. En développant dans ce cas particulier des capacités civiles, nous nous donnons une chaîne industrielle qui permettra également de répondre aux besoins des armées en lithium.
M. Thierry Francou. Le métier d’Eurenco consiste à produire des poudres et des explosifs. Nous sécurisons nos matières premières de base auprès de notre chaîne d’approvisionnement depuis longtemps, avant même la crise sanitaire. Mais les chaînes d’approvisionnement européennes ont connu des interruptions durant la crise covid. À Bergerac, l’enjeu consistait à reprendre notre autonomie depuis la nitrocellulose jusqu’aux charges modulaires, à partir d’une chaîne sécurisée de bout en bout, en baissant nos coûts. En neuf mois, nous avons construit neuf bâtiments et la première ligne est en cours de réception. Elle commencera à fonctionner en janvier et l’ensemble sera livré en milieu d’année prochaine.
Nous avons pu monter ce chantier rapidement parce que nous disposions encore des compétences sur notre site suédois. Des personnels ont ainsi été formés pour en Suède et ont ensuite travaillé sur le site de Bergerac. En résumé, nous agissons dans notre domaine d’expertise, en améliorant nos stocks et la résilience de notre chaîne d’approvisionnement, mais nous ne maîtrisons pas l’ensemble des éléments de la souveraineté. J’insiste sur la préoccupation concernant l’industrie chimique en Europe. Sans ces matières premières de base, les activités d’Eurenco, mais aussi de l’ensemble des fabricants de poudres et explosifs en Europe, cesseront.
M. Fabien Lainé (Dem). L’approvisionnement et la relocalisation des minerais et matériaux stratégiques constituent sans doute deux des enjeux les plus cruciaux dans le cadre d’une économie de guerre. Depuis la chute de l’Union soviétique, la France a tourné le dos à une armée de masse pour se concentrer sur une armée dite « bonsaï », dotée de matériels très performants sur le plan technologique et stratégique. Je pense notamment au tir particulièrement réussi il y a quelques semaines du M51, fleuron de notre dissuasion nucléaire à Biscarrosse, dans ma circonscription.
Ces équipements de très haute technologie obligent nos armées à dépendre de minerais et de matériaux stratégiques parfois peu accessibles, et notamment certains qui sont extraits dans des pays compétiteurs comme la Chine. Il y a peu de temps, avec ma collègue Isabelle Santiago, nous sommes rendus à Washington dans le cadre de l’Assemblée parlementaire de l’Otan, où ces questions ont été évoquées. À ce sujet, je souhaite évoquer un aspect rarement abordé dans le débat public concernant la guerre en Ukraine. En effet, ce pays possède la sixième réserve de titane au monde, mais également du lithium, du manganèse ou du graphite. Existe-t-il aujourd’hui un inventaire des minerais critiques nécessaires à nos armées ?
M. Benjamin Gallezot. Les besoins des armées sont en grande partie identiques à ceux de l’industrie civile. Les spécificités n’apparaissent que très en aval. Ensuite, face aux dépendances, les projets sont nombreux en France, et notamment dans les territoires et départements d’outre-mer, dont les ressources sont importantes.
Mais nous ne pouvons pas extraire la totalité des métaux dont nous avons besoin, ce qui souligne le caractère incontournable des partenariats. Heureusement, la ressource géologique est souvent dispersée dans le monde, y compris pour le cobalt, élément métallique supposé rare. Le cobalt est souvent présent à proximité du nickel, donc notamment en Nouvelle-Calédonie. De notre côté, nous nous attachons à créer les capacités industrielles, à travers des soutiens. Mais encore une fois, aucun pays ne dispose d’une exclusivité géologique et il est possible de s’approvisionner auprès de pays partenaires pour des applications souveraines.
Vous avez raison, l’Ukraine dispose de ressources minérales importantes et bénéficie d’une longue tradition minière et métallurgique. Nous avons d’ailleurs soutenu le service géologique de l’Ukraine, dont une partie des équipes a été hébergée au BRGM, en France. Nous les avons aidées à établir un recensement des ressources minérales de l’Ukraine, avec le soutien financier de l’Europe. Nous poursuivons des relations régulières avec les autorités ukrainiennes et nous nous inscrivons dans un processus d’approfondissement de cette collaboration.
M. Bruno Durand. J’insiste pour ma part sur la nécessité absolue de conserver les compétences. Nous formons des ingénieurs de très bon niveau, mais qui ont de moins en moins de place pour s’exprimer. L’une des réussites d’Aubert et Duval consiste à avoir conservé ses compétences en métallurgie, qui sont extrêmement rares. Il est essentiel de nourrir cette excellence française et de la conserver sur notre territoire.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Les industries de défense se trouvent confrontées à des défis exponentiels en matière d’approvisionnement en minerais et métaux stratégiques. L’investissement est primordial pour encourager les filières industrielles et prioriser ainsi les ressources nécessaires aux marchés clés, notamment dans le domaine des batteries et des métaux d’alliage, pour les industries de pointe et de souveraineté.
Nous dépendons de pays producteurs qui se situent principalement en dehors de l’Union européenne, avec lesquels nous pouvons parfois nous trouver en situation de coopération limitée. Cet aspect engendre à moyen terme des questions concernant un approvisionnement incertain pour nos industries, mais également la sécurisation du stockage des minerais stratégiques.
S’agissant des problématiques d’approvisionnement et de relocalisation, le choix du développement de la haute technologie semble pouvoir être complété par le recours aux technologies dites « low tech ». Se pose également la question de la comptabilité entre un objectif de sobriété énergétique pour l’autonomie de nos armées et celle de l’équilibre entre haute technologie et équipements de base. De même, le réemploi de matériaux critiques est une clé pour parvenir à des objectifs industriels durables.
Pourriez-vous nous partager vos positions sur le développement de la low tech ? S’agissant du réemploi des matériaux, les démarches que vous nous avez présentées pour la France existent-elles dans les autres pays avec lesquels nous coopérons ? Comment s’organise le respect des normes environnementales, afin d’éviter les externalités négatives ? Enfin, quelles incitations économiques et réglementaires sont nécessaires pour favoriser la relocalisation dans les phases nécessaires ?
M. Benjamin Gallezot. Encore une fois, les minerais sont disponibles dans de très nombreux pays. Au sein de l’Otan, le Canada, qui dispose d’une géologie absolument incroyable et d’une industrie minière extrêmement puissante, est un partenaire majeur. La Suède, qui vient d’adhérer à l’Otan, possède également des activités minières importantes, en particulier dans le minerai de fer. Mais l’on peut également citer la Finlande, l’Espagne ou la Grèce, qui produit notamment de la bauxite. Au sein de l’Otan, nous disposons donc des ressources minières très largement suffisantes pour répondre à nos besoins de défense. En résumé, la disponibilité du minerai primaire n’est pas un sujet majeur : nous n’avons pas nécessairement besoin d’aller dans des pays risqués ou lointains pour obtenir les ressources.
Ensuite, le recyclage et le réemploi constituent effectivement des leviers extrêmement importants. J’ai déjà mentionné l’aluminium, mais il faut également citer les terres rares. Nous avons inauguré il y a quatre mois à Grenoble une usine de recyclage d’aimants, qui sont très présents dans notre quotidien. Ce recyclage doit permettre à lui seul de couvrir une grande partie de nos besoins. Cela vaut pour les terres rares, mais aussi par exemple pour le germanium, notamment utilisé pour les appareils de vision nocturne militaires, qu’il est possible de recycler à partir de sources secondaires.
M. Bruno Durand. Nos contrats commerciaux comprennent une partie liée au recyclage. Nous avons réinventé le principe de la consigne des bouteilles de verre : notre client doit nous rendre la partie recyclée. Par ailleurs, nous sommes de forts consommateurs d’énergie et sommes donc très sensibles aux évolutions des prix. Notre transition du gaz vers l’électricité prend du temps.
M. Thierry Francou. En matière de sécurisation, certains matériaux ne se stockent pas. Par exemple, il ne se passe que trois semaines entre la fabrication de l’acide nitrique et son utilisation. La résilience de la chaîne d’approvisionnement n’en est que plus essentielle.
S’agissant du réemploi, dans le cadre de la montée en capacité et face au manque de poudre, nous avons repris des poudres du ministère des armées qui avaient été fabriquées dans les années 1990, pour les reconfigurer et permettre de les réutiliser, sur le théâtre ukrainien. Trente ans après leur fabrication, elles fonctionnaient parfaitement.
Mme Isabelle Santiago (SOC). Je fais partie des quelques députés de cette commission qui siègent à l’Assemblée parlementaire de l’Otan, où nombre de ces sujets ont été évoqués dans le cadre de la commission économie et défense, notamment ceux concernant les terres rares.
Ensuite, cinq chantiers prioritaires ont été identifiés dans la LPM, dont celui consistant à sécuriser nos chaînes d’approvisionnement pour assurer notre souveraineté dans les capacités de production et garantir notre autonomie de décision. Dans ce cadre, nous sommes particulièrement attentifs à la chaîne des sous-traitants. Quelles actions envisagez-vous d’adopter pour consolider la chaîne des sous-traitants et l’aider à faire face à ses approvisionnements ?
Monsieur Francou, Eurenco a été auditionné au Sénat récemment. Vous avez évoqué la cellulose de bois, qui serait produite dans une filière en Aquitaine. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Benjamin Gallezot. Comme je l’ai indiqué précédemment, la chaîne peut comporter jusqu’à six étapes entre l’extracteur et l’assembleur. Nous travaillons en lien avec les fédérations professionnelles pour repérer les maillons les plus fragiles. À un moment, Aubert et Duval a fait partie de celles-ci. L’action menée par Airbus, Safran et Tikehau a donc été salutaire. Cet exemple témoigne de la capacité des donneurs d’ordre à pouvoir se saisir de la situation et procéder à des investissements massifs. Quoi qu’il en soit, nous devons conserver notre très grande vigilance.
M. Thierry Francou. La solution de substitution existe, elle est déjà fabriquée. La nitrocellulose à base de cellulose de bois est ainsi utilisée dans certains produits. L’élément bloquant aujourd’hui concerne aujourd’hui la vitesse de requalification de nouveaux sous-éléments dans la chaîne d’approvisionnement. Désormais, l’enjeu porte sur l’accélération. Aujourd’hui, quels que soient les pays en Europe ou même aux États-Unis, il est très difficile de changer la moindre virgule sur une spécification. Le besoin est fort, partagé, mais le processus est long et compliqué.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). Une fois n’est pas coutume en commission de la défense nationale, je souhaite évoquer les questions de finances. Monsieur Gallezot, vous avez évoqué des mesures d’accompagnement. La situation budgétaire de notre pays nécessiterait potentiellement de revoir sa stratégie, notamment dans le ciblage et la priorisation des accompagnements financiers. Comme vous l’avez exposé en introduction, les dispositifs sont nombreux et onéreux, qu’il s’agisse de France 2030, des crédits d’impôt ou des garanties financières. Pourriez-vous nous préciser si des travaux prospectifs sur ces aspects spécifiques financiers sont engagés à votre niveau interministériel, pour anticiper les évolutions financières que nous devrons probablement mener, mais également les contraintes liées à la rareté des produits et aux relations géopolitiques entre les pays ?
Messieurs Francou et Durand, vos deux entreprises témoignent d’une forte croissance depuis quelques années, qui atteint parfois 30 %. Pourriez-vous nous éclairer sur les raisons précises de ces évolutions à deux chiffres ? Enfin, quel est votre niveau de dépendance aux finances publiques pour mener à bien vos évolutions ?
M. Benjamin Gallezot. Tout d’abord, lorsque nous entreprenons, nous avons le souci permanent d’être les plus économes possible des deniers publics. Vous avez mentionné un certain nombre de dispositifs, mais il faut distinguer les différents aspects. Par exemple, la création d’un fonds d’investissement de 500 millions d’euros a été inscrite dans le budget au titre de France 2030, mais il s’agit d’un investissement et non d’une dépense publique au sens maastrichtien du terme. Ce fonds d’investissement a pour objectif de rapporter de l’argent, et non d’en coûter.
Ensuite, les garanties sont données au cas par cas, Bpifrance et le Trésor cherchant à minimiser les risques de sinistres. De fait, historiquement, les garanties de l’État à l’export sont plus rémunératrices que coûteuses pour le budget de l’État. À ce jour, je ne connais pas par exemple de sinistre sur les contrats Rafale, dont les garanties sont payantes. En revanche, ces garanties permettent de réduire le risque pour les industriels. Les agents de l’État, notamment ceux de Bpifrance, sont donc toujours extrêmement scrupuleux lorsqu’ils valident les projets, d’autant plus que dans ces domaines, seul l’État accepte de prendre des risques pour la réindustrialisation, mais ils sont soigneusement contrôlés.
Par ailleurs, les 400 millions d’euros d’investissement s’étalonneront sur cinq à dix ans. Ces aides sont octroyées sous condition de cofinancement par l’industriel, de manière temporaire (jusqu’à fin 2025) et sont soumises au contrôle du Parlement et de la Cour des comptes. En résumé, il n’est pas possible de réindustrialiser sans consentir un important effort budgétaire.
M. Thierry Francou. La croissance d’Eurenco est tirée par l’envoi de munitions en Ukraine et la reconstitution de stocks dans les pays qui envoient les munitions. Nous disposons ainsi de commandes fermes jusqu’en 2032 et les demandes qui nous sont adressées correspondent à trois fois nos capacités de production. En dépit des investissements en cours, la demande est bien supérieure à ce que nous sommes capables de produire. La première étape a consisté à augmenter nos effectifs et à faire tourner nos usines à pleine capacité, puis nous avons procédé à des investissements d’augmentation capacitaire, dans le souci de la gestion à long terme de cet investissement.
S’agissant de notre dépendance à la commande publique française, celle-ci est aujourd’hui estimée à moins de 7 % de notre chiffre d’affaires. Nous utilisons en revanche le dispositif France 2030 et notamment son plan de décarbonation, qui nous offre un effet de levier. Enfin, nous avons levé 75 millions d’euros de subventions européennes dans le cadre de la démarche Asap, dont 6 millions d’euros en Suède. Sur la centaine de millions d’euros d’investissement réalisés cette année, 90 % des retombées dans la chaine de fournisseurs sont allés au Bergeracois, 5 % à la France et le reste en Europe. À Bergerac, 400 personnes travaillaient cet été sur le chantier.
M. Bruno Durand. Notre croissance est tirée par celle de l’aéronautique, du trafic et des long-courriers. Ensuite, nous avons bénéficié du rapatriement par nos clients d’un certain nombre de pièces qui étaient auparavant fabriquées en Russie. Dans le domaine de l’énergie et des turbines terrestres, l’élément marquant est le passage du charbon au gaz, marqué par une très forte croissance asiatique. Enfin, le nucléaire et les SMR ont besoin que l’on maîtrise les technologies des matériaux, de même que le marché médical.
Nous sommes peu dépendants de la commande publique. En revanche, le soutien à la R&T demeure important. J’ajoute par ailleurs que lorsque nous avons racheté cette société, toutes les banques nous ont écrit pour supprimer les découverts bancaires, à l’exception notable du Crédit Agricole.
Désormais, l’enjeu de la souveraineté est compris par l’ensemble de nos interlocuteurs. La priorisation des commandes de souveraineté est par exemple acceptée par nos clients américains, qui connaissent leur propre Patriot Act.
Mme Mereana Reid Arbelot (GDR). Ma question porte sur la définition des matières premières stratégiques, élément central de l’économie de guerre, mais aussi de la répartition des compétences entre l’État et la Polynésie française, dont je suis députée. En effet, l’État est compétent en Polynésie en ce qui concerne les matières premières stratégiques telles qu’applicables sur l’ensemble du territoire de la République. Un rapport sénatorial de 2022 relève cependant une forte illisibilité de la répartition des compétences en matière de minerais stratégiques, en raison de renvois multiples à des textes anciens.
Ainsi, la seule définition des matières premières stratégiques est celle d’une décision de 1959, qui classe dans cette catégorie les minerais ou produits utiles aux recherches ou réalisations applicables à l’énergie atomique, c’est-à-dire les substances suivantes : l’uranium, le lithium, le thorium, l’hélium, le béryllium, et leurs composés. Le code minier dispose que la liste de ces matières est fixée par décret.
Aujourd’hui, cette liste n’a pas été modifiée et il me semble nécessaire que la représentation nationale soit éclairée sur la manière dont l’État la fera évoluer. Qui sera consulté ? Quelles seront les modalités retenues pour fixer cette liste ? Je rappelle que l’ONU a systématiquement réaffirmé les droits inaliénables du peuple de la Polynésie française, à la propriété, au contrôle et à l’utilisation de ces ressources naturelles.
Ainsi pour les Polynésiens, dans ce contexte belliqueux dans lequel les États sont incités à renforcer leurs ressources de défense ou de guerre, il s’agit de savoir comment sont considérées les ressources minérales comme les terres rares et les nodules polymétalliques que l’on trouve dans nos fonds marins et, par conséquent, de quelles compétences elles relèvent.
M. Benjamin Gallezot. Il s’agit d’une question assez spécifique à la Polynésie, qui ressort des compétences respectives du territoire et de l’échelon national en matière de politique minière. Il n’existe pas d’intention de modifier le décret que vous avez mentionné.
Ensuite, la position du gouvernement français consiste à ne pas avoir recours à l’exploitation des ressources minérales en haute mer. En effet, il existe déjà des ressources terrestres et il ne serait pas responsable d’aller puiser dans les ressources minières des grands fonds marins. De plus, nous ne connaissons pas suffisamment l’environnement écosystémique de ces grands fonds marins. La France prône donc la collaboration de plusieurs pays en matière de recherche pour mieux connaître ces grands fonds.
Il existe effectivement des ressources potentielles dans la zone économique exclusive (ZEE) et les eaux territoriales des archipels de Polynésie. Je pense notamment aux nodules que vous avez évoqués, mais également aux encroûtements cobaltifères présents sur les pentes des volcans. Cependant, le gouvernement et l’ensemble des acteurs en Polynésie sont très attachés à la qualité de l’environnement. En l’état actuel des connaissances, il ne semblerait pas raisonnable de se lancer dans cette exploitation.
M. Bernard Chaix (UDR). Les métaux stratégiques constituent l’épine dorsale de notre souveraineté industrielle et militaire. Malheureusement, il serait illusoire de parler de souveraineté aujourd’hui, alors même que nous faisons face à de fortes vulnérabilités en matière d’approvisionnement. Comme le constate l’excellent rapport de notre collègue Jérôme Buisson présenté ce matin en commission des affaires étrangères, ces ressources sont concentrées entre les mains de quelques puissances étrangères. Ainsi, 90 % des terres rares mondiales sont extraites et raffinées en Chine, 50 % du titane, indispensable pour la production des Rafales, proviennent de la Russie et 70 % du tungstène essentiel à la construction des canons Caesar, sont produits en Asie. Que deviendraient ces armements si nos flux d’approvisionnement venaient à être coupés ?
Les États-Unis ont déployé une stratégie nationale cohérente de sécurisation de leurs approvisionnements en nouant des partenariats bilatéraux avec l’Australie et le Canada. Le règlement européen sur les matières premières critiques, dont l’objectif est d’augmenter nos capacités d’extraction et surtout de diversifier nos chaînes d’approvisionnement, va dans le bon sens. Cependant, vous en conviendrez, nous ne partageons pas exactement les mêmes intérêts stratégiques que nos vingt-six partenaires européens, particulièrement en ce qui concerne notre industrie de la défense. La stratégie européenne devra alors absolument être complétée par une approche française.
Ainsi, une question s’impose : quelle est aujourd’hui la stratégie française mise en œuvre pour sécuriser ces métaux essentiels à nos armements les plus stratégiques ? Disposons-nous d’une cartographie précise des ressources exploitables sur notre territoire national, notamment en outre-mer ? Enfin, à ce jour, moins de 1 % des terres rares sont valorisées. Existe-t-il des pistes prometteuses en matière de recyclage de ces matériaux ?
M. Benjamin Gallezot. J’ai déjà eu l’occasion de répondre en grande partie à vos questions. Nous disposons de partenaires diversifiés au sein de l’UE et de l’Otan. En France, nous avons lancé un programme de mesures géophysiques et géochimiques, de cartographie des ressources minérales. Le BRGM est notamment à l’œuvre dans le Massif central. Nous appliquerons les meilleures technologies, y compris l’IA pour exploiter au mieux ces mesures. Elles nous permettent d’évaluer les ressources minérales dans la profondeur, au-delà de 300 mètres. Au fur et à mesure que ces travaux arriveront, la cartographie sera de plus en plus précise. De telles campagnes seront également menées en outre-mer, en particulier en Guyane.
Quoi qu’il en soit, il ne faut pas rentrer dans une logique d’autarcie qui consisterait à imaginer créer des chaînes uniquement nationales pour la production militaire. Cette logique n’est pas viable, car les quantités militaires ne justifient pas ces exploitations, en règle générale. Nous devons donc agir par une combinaison de l’exploitation et du recyclage. J’ai déjà évoqué le sujet des aimants : il n’est pas pertinent d’utiliser des terres rares pour construire des aimants pour la défense quand il est possible de recycler l’existant.
Cette approche est déployée au cas par cas, dans l’objectif de choisir les meilleures solutions. Encore une fois, les ressources sont limitées, qu’il s’agisse des ressources financières ou des ressources humaines. Souveraineté ou maîtrise ne signifient pas autarcie.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons maintenant à une séquence de quatre questions complémentaires, en commençant par une première série de deux interventions.
M. Philippe Bonnecarrère (NI). Je remercie les intervenants pour la qualité de leurs réponses. Vous avez fait œuvre de pédagogie en expliquant qu’il n’y avait pas, à l’heure actuelle, de problème de disponibilité du minerai. Vous avez également indiqué que les sujets militaires s’inscrivaient dans des chaînes de production civile et qu’une partie de la production assurée pour les besoins de l’économie générale pouvait être utilisée à des fins militaires.
Chemin faisant, vous nous avez indiqué que le développement des projets demeurait pour partie fragilisé. Comment parvenir à favoriser ce développement ? En d’autres termes, sur un certain nombre de minerais critiques, notre pays devrait-il mettre en œuvre des procédures d’urgence ou des procédures dérogatoires aux règles minières traditionnelles ?
M. Thibaut Monnier (RN). L’actualité nous rappelle l’importance de nos territoires d’outre-mer et de leur développement. Des puissances comme la Chine accroissent la pression, notamment sur la Nouvelle-Calédonie, riche en ressources minières, puisqu’elle possède par exemple la deuxième réserve du monde de nickel. L’exploitation de cette matière première est à 90 % importée par la Chine. Dès lors se pose la question de la captation de nos ressources par ce pays, qui mène une lutte d’influence et de déstabilisation de moins en moins dissimulée en Nouvelle-Calédonie. Quel est votre regard d’industriels sur cette situation ?
M. Benjamin Gallezot. Le Parlement a adopté il y a un peu plus d’un an une loi d’accélération des projets, qui permet de concilier les besoins avec les procédures environnementales. Un premier train de mesures a été établi et il convient déjà de l’appliquer dans son intégralité. Nous sommes d’ailleurs aidés dans notre tâche par la diligence des préfets.
Par ailleurs, il existe une procédure des projets nationaux d’intérêt majeur, qui a d’ailleurs été activée pour une mine de lithium. Elle permet en particulier à l’État de reprendre la compétence sur les autorisations de permis de construire, ce qui correspond souvent à une demande des collectivités locales, qui ne disposent pas forcément de l’ensemble des compétences techniques. S’agissant du domaine minier, un texte a été approuvé par le Sénat et sera soumis à l’Assemblée nationale. Il comporte des dispositions visant à simplifier les procédures de permis d’exploration minier.
Ensuite, le nickel de Nouvelle-Calédonie ne part pas à 90 % en Chine. Il est destiné au Japon, à la Corée du Sud, mais aussi à la Chine. De fait, Japon et Corée du Sud constituent des partenaires très importants des mineurs de Nouvelle-Calédonie, depuis de très nombreuses années. Dans le domaine des minerais, il est certain que la proximité géographique joue un rôle important.
Depuis plusieurs mois et années, le gouvernement français s’attache à aider l’industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie. Nous l’avons réalisé à travers des opérations de soutien et de prêts, notamment aux usines pyrométallurgiques ou hydrométallurgiques, qui connaissaient des difficultés. Nous avons mis en place des aides importantes, qui ont permis de maintenir des usines jusqu’à présent. En outre, nous travaillons très activement sur les projets de reprise des différentes usines. En résumé, le gouvernement s’attache à mettre en place toutes les conditions pour pouvoir préserver cette industrie.
Ensuite, nous travaillons avec les acteurs industriels du nickel en Nouvelle-Calédonie pour voir comment il est possible de réorienter une partie des flux vers l’Europe, ce qui existait d’ailleurs à une certaine époque, lorsque le nickel calédonien était acheminé à l’usine de Sandouville, à côté du Havre. Nous avons proposé des dispositifs d’aide, y compris pour l’approvisionnement en électricité, enjeu fort en France métropolitaine, mais encore plus en Nouvelle-Calédonie, où le prix de l’électricité est bien plus élevé pour les industriels opérant sur ce territoire que pour leurs concurrents. Comme vous le savez, ce pacte n’a pas été saisi pour le moment par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie. De notre côté, nous nous efforçons de préserver cette industrie, en grave danger à l’heure actuelle.
Mme Nadine Lechon (RN). Ma question concerne l’usine de poudre d’Eurenco à Bergerac. Le 11 avril 2024, Emmanuel Macron a affirmé qu’elle était l’image de la reconquête industrielle de notre pays. Ainsi, 500 millions d’euros d’investissement et 400 emplois sont consacrés à la relance d’une production de munitions pour la France et ses alliés. Mais derrière cette façade, qu’en est-il vraiment ?
Monsieur Francou, au Sénat, le 22 mai dernier, vous aviez dit « On parle d’économie de guerre, mais nous avons des réglementations de temps de paix. » Concrètement, vous dites avoir perdu plus de neuf mois dans la construction du site de Bergerac en raison d’un excès de normes, d’un manque de considération des pouvoirs locaux, d’une difficulté à se projeter, sans parler des perturbations des activistes. À ce titre, nous souhaitons donc savoir quelles barrières juridiques et normatives nuisent à cette réindustrialisation. Quel impact sur les délais ces barrières peuvent-elles engendrer ? Quels freins au développement avez-vous clairement identifiés ?
M. François Ruffin (EcoS). Mon intervention fera le lien entre l’industrie de la défense et la défense de l’industrie. Monsieur le délégué, dans votre réponse, vous avez mentionné ce que j’appellerais plus un frémissement qu’un véritable rebond de l’industrie dans notre pays. Davantage d’usines ouvrent, entraînant davantage d’emplois, mais la part de l’industrie dans la valeur ajoutée stagne. Il est à craindre que nous devions connaître un hiver prolongé, un retour des délocalisations en série face à la vague de dumping, notamment en provenance de la Chine.
Si l’industrie de la défense avait dû être soumise comme les autres secteurs industriels à la « concurrence libre et non faussée », à « la libre circulation des marchandises », elle n’existerait quasiment plus aujourd’hui. Si l’on peut encore parler d’industrie de défense française, c’est bien parce que l’on a réussi à la préserver assez largement des règles du marché européen, notamment grâce aux orientations de la commande publique, à travers l’intervention de l’État. Celle-ci permet d’éviter le risque technique ou de marché grâce à une planification menée par la DGA. Ne devons-nous pas en tirer les leçons pour agir de la sorte dans l’industrie en général si nous voulons retrouver une souveraineté économique ?
M. Thierry Francou. Lors de mon audition devant le Sénat, il m’avait été demandé pourquoi il ne m’était pas possible d’aller plus vite, en comparaison de ce qui se passait en Russie. J’avais alors répondu que la Russie était en guerre et s’affranchissait des contraintes réglementaires. De notre côté, nous devons toujours faire face aux mêmes contraintes de temps de paix. À titre d’exemple, pour commencer la construction d’une usine, il faut au préalable effectuer un an d’études environnementales. Sans cette obligation, nous n’aurions certes pas gagné un an, mais nous aurions pu aller plus vite.
Lors de l’audition, j’avais souligné la différence entre les procédures réglementaires à l’œuvre dans notre pays et celles des pays en guerre ou en économie de guerre. J’avais également souligné l’alignement et le support de l’ensemble des services, de l’État jusqu’au local, pour obtenir ces autorisations dans les délais minimum.
En réalité, notre véritable sujet d’inquiétude ne concerne pas la réglementation, mais porte sur la délocalisation à l’œuvre de la chimie européenne. Celle-ci n’est pas liée au règlement REACH, mais aux contraintes de l’ensemble de la réglementation européenne, qui engendrent des coûts supplémentaires pour les opérateurs et affaiblissent leur compétitivité. Simultanément, d’autres réglementations suscitent l’ouverture à des productions en provenance d’ailleurs, notamment de Chine, mais qui ne respectent pas les mêmes réglementations et dont les coûts sont très différents. En résumé, la question porte à la fois sur la compétitivité, mais aussi sur le maintien des actifs de production sur le territoire européen. Nous n’avons plus d’usine d’acide nitrique concentré en France depuis déjà quelque temps. Dans ce domaine, ma chaîne d’approvisionnement est donc belge, allemande et polonaise.
M. Benjamin Gallezot. Monsieur Ruffin, je n’ai pas parlé de frémissement, mais d’une véritable dynamique, notamment dans les secteurs que je suis. En matière aéronautique, la croissance de la production d’avions a été particulièrement forte par rapport à il y a une quinzaine d’années. La dynamique industrielle est réelle, elle est survenue parce que l’État a travaillé avec les industriels sur la R&T, sur différents outils, dont les avances remboursables. Ces outils de politique industrielle existent et ont été considérablement développés depuis 2017, notamment dans le cadre de France 2030.
L’argent n’est plus seulement orienté vers la R&T, mais également vers les capacités industrielles, ce qui constitue une nouveauté. Jusqu’à récemment, les réglementations européennes permettaient des aides à la R&T, mais pas à des aides à l’investissement. Ceci est désormais possible.
Depuis longtemps, la France milite pour le développement de telles politiques industrielles dans le cadre européen. Des progrès ont donc été accomplis de manière importante ces dernières années ; la situation a beaucoup évolué par rapport à il y a une dizaine ou une quinzaine d’années. Tous les problèmes ne sont certes pas résolus.
Le cas de l’industrie de défense est plus un cas extrême qu’un exemple, dans la mesure où, en l’espèce, le client public maîtrise le type de produit, la quasi-totalité de la commande et le volet export. Mais il est possible de s’inspirer de ce cadre. Le secteur de l’automobile affronte actuellement des difficultés, mais des évolutions doivent être relevées. Il y a quinze ans, il n’existait pas de dispositifs d’aide pour l’industrie automobile, qui ne le demandait pas forcément. Aujourd’hui, la construction d’usines de batteries se réalise grâce à une aide et un soutien de l’État. Quelque part, la transition des moteurs thermiques aux véhicules électriques constitue un élément de politique industrielle, assumé et autorisé par l’Europe, et déployé grâce à des investissements importants de l’État.
Ensuite, il convient de parler des protections. Le marché européen est en effet ouvert, mais il se protège de plus en plus. À cet égard, les aspects environnementaux constituent un sujet majeur, à travers notamment les clauses miroir. Dans le domaine automobile par exemple, les bonus sont conditionnés aux contenus en CO2. De la même manière, l’UE a pris des décisions en matière de droits de douane.
En conclusion, la politique industrielle et la protection ne règlent pas tous les problèmes, mais ils constituent des outils puissants. Un certain nombre d’éléments que la France portait depuis longtemps sont aujourd’hui intégrés dans le « logiciel européen ». Nous œuvrons pour faire en sorte que la nouvelle Commission reprenne un certain nombre des propositions françaises en faveur d’une plus grande protection, d’un meilleur équilibre et d’une politique industrielle digne de ce nom au niveau européen.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie.
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La séance est levée à onze heures trois.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Édouard Bénard, M. Christophe Blanchet, Mme Anne-Laure Blin, M. Matthieu Bloch, M. Philippe Bonnecarrère, M. Bernard Chaix, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Sophie Errante, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Emmanuel Fernandes, M. Guillaume Garot, M. Frank Giletti, M. Michel Gonord, Mme Florence Goulet, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Loïc Kervran, M. Abdelkader Lahmar, M. Fabien Lainé, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, M. Thibaut Monnier, M. Karl Olive, Mme Mereana Reid Arbelot, M. François Ruffin, M. Arnaud Saint-Martin, Mme Isabelle Santiago, M. Thierry Tesson, Mme Corinne Vignon
Excusés. - M. Christophe Bex, M. Frédéric Boccaletti, M. Manuel Bompard, M. Hubert Brigand, M. Yannick Chenevard, Mme Stéphanie Galzy, M. Laurent Jacobelli, M. Bastien Lachaud, Mme Murielle Lepvraud, Mme Lise Magnier, Mme Alexandra Martin, Mme Natalia Pouzyreff, M. Aurélien Pradié, Mme Catherine Rimbert, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Mikaele Seo, Mme Sabine Thillaye, M. Boris Vallaud