Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
— Audition commune, ouverte à la presse, de l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta, directeur de la direction internationale de la coopération et de l’export de la direction générale de l’armement (DGA/DICE), de M. Armel Castets, sous-directeur du financement international des entreprises et du soutien au commerce extérieur à la direction générale du Trésor, et de M. Bruno Berthet, président du conseil d’Aresia et président de la Commission internationale du GIFAS, pour le Conseil des industries de défense françaises (CIDEF) sur la problématique du soutien à l’exportation des entreprises de la BITD (cycle économie de guerre).
Mercredi
15 janvier 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 32
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président
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La séance est ouverte à neuf heures trente.
M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle sur l’économie de guerre par une audition relative au soutien aux exportations des entreprises de notre base industrielle et technologique de défense (BITD). Je précise que cette audition est distincte de l’audition des ministres sur le rapport 2024 relatif aux exportations d’armes de la France. Cette dernière audition, que nous avons dû reporter du fait de la démission du gouvernement Barnier, devrait se tenir le 18 février après-midi, conjointement avec la commission des affaires étrangères et la commission des affaires économiques.
La présente audition a pour objet de nous interroger sur l’efficacité du soutien apporté aux exportations des entreprises de la BITD. Chacun sait ici que l’exportation de matériel militaire est indispensable pour maintenir une BITD autonome, renforcer nos alliances et garantir notre indépendance. Cette attention a conduit à la mise en place d’un écosystème étatique de soutien aux exportations de matériel militaire, en complément des actions conduites par le groupement professionnel. Cet écosystème est-il efficace ? Comment pourrait-on éventuellement l’améliorer ?
Pour saisir plus nettement le sens de cette question, nous accueillons l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta, directeur de la direction internationale de la coopération et de l’export de la direction générale de l’armement (DGA), ainsi que M. Armel Castets, sous-directeur du financement international des entreprises et du soutien au commerce extérieur à la direction générale du Trésor (DGT). Je rappelle que la DGA et la DGT constituent deux acteurs clés du soutien aux exportations. Messieurs, votre présence aujourd’hui démontre la dimension interministérielle du sujet.
Nous accueillons enfin M. Bruno Berthet, président du conseil d’Aresia, un équipementier important du secteur de l’aéronautique civile et de défense. M. Berthet est présent aujourd’hui en sa qualité de président de la commission internationale du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) et représente à ce titre le Conseil des industries de défense françaises (Cidef).
Messieurs, avant que vous ne soyez interrogés par les membres de la commission, je vous cède la parole pour un propos liminaire.
M. l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta, directeur de la direction internationale de la coopération et de l’export de la direction générale de l’armement (DGA/Dice). Je vous présente, en mon nom propre et au nom de la direction générale de l’armement, nos meilleurs vœux pour 2025. Notre monde est malheureusement désordonné et dans ce monde, nous avons besoin d’une action et d’une diplomatie centrales. Pour présenter une forte crédibilité diplomatique, nous devons disposer d’un fort caractère opérationnel de nos forces armées et, pour ce faire, nous avons besoin d’une industrie d’armement forte et souveraine.
Les représentants de la DGA, de la DGT et de l’industrie que vous recevez aujourd’hui cherchent d’abord et avant tout à procurer le plus d’atouts possible à la France dans ce domaine. En m’engageant dans mon poste, la première question que je me suis posée concernait le rôle de l’État dans la stratégie d’export d’armement, alors que l’on pourrait penser de manière superficielle que la stratégie export relève en premier lieu des directeurs commerciaux des entreprises.
En quoi l’export relève-t-il d’une politique publique ? Je pense que nos échanges y répondront largement. Nous illustrerons nos propos par des exemples les plus parlants possibles, même si le contenu et le niveau de concurrence commerciale, de rivalité géopolitique et diplomatique nous empêcheront d’entrer dans un détail trop fourni. Pourquoi exporter ? Pourquoi est-ce une politique publique ? La première raison est liée aux retombées économiques : les exportations de matériel de guerre françaises représentent en moyenne 8 milliards d’euros par an, avec des pics réguliers liés à un ou plusieurs contrats importants.
À titre d’exemple, en 2022, les exports ont représenté 27 milliards d’euros, dont le principal contributeur était le contrat Rafale aux Émirats arabes unis. Sur la même période, le déficit de la balance commerciale française au niveau des biens s’établissait à 160 milliards d’euros. En 2024, les exports se sont élevés à 18 milliards d’euros, comme l’a récemment révélé le ministre des armées lors de ses vœux. Néanmoins, ces chiffres sont très loin de décrire la politique d’exportation de la France. Cette politique est en effet d’abord et avant tout l’expression de notre politique étrangère. À titre d’exemple, il y a deux ans, la Pologne a fait l’acquisition de deux satellites d’observation auprès de la France. Le montant de ce contrat était tout à fait significatif, mais l’essentiel était ailleurs, dans le partenariat établi. En effet, un partenariat dans le domaine des satellites d’observation concerne non seulement la communauté du renseignement, mais il est aussi vital pour notre diplomatie, d’autant plus qu’il intervenait après une période de refroidissement avec la Pologne.
Les exportations sont également un vecteur de stabilisation et de sécurité régionale. Quand le contrat Rafale a été passé avec les Émirats arabes unis, la presse a largement reconnu que Dassault Aviation avait obtenu un contrat d’environ 16 milliards d’euros. Mais le partenariat stratégique qui en a découlé a conduit la France à assumer son rôle de partenaire lors de l’attaque terroriste de janvier 2022 – que les Émiratis considèrent comme leur « 11 septembre » – notamment parce que nous avons déployé des missiles de défense sol-air. Les échecs permettent également de mesurer le poids de la politique étrangère dans une acquisition, comme en témoigne l’épisode Aukus, il y a quelques années.
Les coopérations ou les exports peuvent aussi relever bien plus, par moments, d’une politique que d’une stratégie commerciale. Dans une crise, il est souvent de bonne politique d’opposer plusieurs fronts à l’adversaire. Il s’agit de fronts militaires, naturellement, mais pas seulement. Tisser des relations d’armement avec des alliés historiques d’un rival peut faire évoluer les allégeances et l’obliger à disperser ses efforts. C’est clairement ce que font certains de nos rivaux dans certaines régions du globe. Il n’y a pas de raison de nous interdire d’agir de la même manière, de notre côté.
Vous avez évoqué, monsieur le président, l’économie de guerre. Dans ce cadre, on pourrait se demander si l’export ne conduit pas à diluer nos efforts, alors que nos stocks d’armements et de munitions sont loin d’être pléthoriques. En réalité, il n’en est rien : nous pouvons décider de réinvestir aujourd’hui parce que nous avons précisément su garder les compétences et les capacités de production pendant les périodes de crise en termes de commande publique, grâce à l’export. L’exemple du missile Mistral de défense sol-air de très courte portée est à ce titre éclairant. La France n’en avait pas commandé pendant environ une décennie, mais les partenaires étrangers l’avaient fait. C’est grâce à ces commandes que nous avons pu relancer les chaînes de production, en 2022. Et c’est grâce à ces chaînes que nous avons pu satisfaire le besoin urgent des armées françaises, mais aussi de plusieurs armées partenaires, notamment en Europe et en Ukraine.
Une boucle « vertueuse » de l’export est également liée au fait qu’il donne lieu à des redevances. Contrairement à l’industrie civile, qui développe le plus souvent ses produits sur fonds propres ; dans le domaine militaire, le contribuable finance le plus souvent les développements. Il est donc juste que l’industriel, qui exporte et engrange donc des marges sur ces contrats export, rétrocède une partie de ses bénéfices à l’État, qui peut alors les réinvestir dans ses programmes d’armement. Enfin, l’export permet le maintien de la compétitivité de la BITD qui se heurte à la concurrence et qui n’attend pas tout d’un État-providence.
En synthèse, l’export permet de disposer d’une BITD solide et souveraine, qui offre la possibilité à nos armées de remplir leur contrat opérationnel et qui nous évite de dépendre de fournisseurs étrangers ; lesquels pourraient décider de retarder les livraisons à la France pour assurer d’autres de leurs priorités.
Comment agissons-nous ? Notre leitmotiv concerne des armements crédibles portés par un accompagnement étatique agile. Il est très souvent fait mention de « l’équipe France », parce qu’elle associe de façon coordonnée les autorités politiques, les services étatiques sous le pilotage de la direction générale de l’armement, qui assure la cohérence d’ensemble de toutes ces actions. Il faut souligner que l’État est un acteur de plus en plus sollicité face à la demande grandissante des partenaires de recourir à des partenariats de gouvernement à gouvernement – ou G to G.
Il n’y a d’ailleurs plus réellement d’exports stricto sensu, car nous nous engageons de plus en plus dans des coopérations avec nos partenaires étrangers. Les armées, dans le domaine des opérationnels et de l’interopérabilité ; des entités spécialisées pour la formation ou la doctrine ; la DGA dans le domaine technique, capacitaire, programmatique et de profondeur de coopération industrielle ; le réseau diplomatique et la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) dans le domaine politico-militaire sont ainsi particulièrement mobilisés.
Le ministère chargé de l’économie contribue au soutien de l’État aux exportations françaises d’armement. Pour certains partenaires étrangers, le volet financier est essentiel, à travers des prêts dont ils ont besoin, afin de pouvoir acheter ces matériels à crédit. De fait, ces prêts peuvent être aussi importants que la performance intrinsèque des matériels. À ce rôle s’ajoute celui de la « finance de guerre », qui doit permettre de donner des outils à nos entreprises pour obtenir les financements nécessaires au développement de leur activité. Enfin, nos industriels sont incontournables pour produire des matériels de qualité, à un prix raisonnable et dans des délais de production le plus agressifs possible. De fait, les délais de livraison deviennent aujourd’hui un critère différenciant majeur en matière d’export.
Notre approche est équilibrée, mais également très rigoureuse. Les activités de commerce des armes sont strictement contrôlées. Le soutien étatique s’adresse aux grands groupes, mais également aux petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI). Ce soutien se manifeste par l’aide à des participations à des salons à l’étranger, mais aussi par la création de labels de type « utilisé par les armées françaises » qui représente un véritable gage de crédibilité, ou des considérations complètement stratégiques. Je pense notamment aux instruments européens qui imposent une coopération entre plusieurs États.
En France, notre écosystème industriel repose notamment sur de grands groupes. Mais pour que ces grands groupes français puissent avoir accès à des subventions européennes, il leur faut s’associer à des groupes étrangers. Dès lors, le réflexe naturel pourrait consister à aller chercher des PME à l’étranger au détriment de PME françaises. En conséquence, notre rôle consiste à nous assurer que si cela doit intervenir, la réciprocité doit également être la règle : dès lors qu’un maître d’œuvre étranger se lance dans une coopération internationale et veut rechercher des financements européens, il est de notre devoir à tous de soutenir l’introduction de PME françaises dans ces projets pilotés par des étrangers.
En conclusion, je répondrai sans détour que l’export est clairement une politique publique et nécessite une équipe France unie. Je sais d’ailleurs ce que cette équipe France doit à la diplomatie parlementaire. À ce sujet, mes équipes mais également l’ensemble du dispositif interministériel se tiennent à votre disposition en amont de vos réunions et de vos déplacements internationaux.
M. Armel Castets, sous-directeur du financement international des entreprises et du soutien au commerce extérieur à la direction générale du Trésor. Monsieur le président, je vous remercie pour votre invitation. Dans mon propos liminaire, je vais m’efforcer de revenir succinctement sur les performances à l’export des entreprises françaises de la, BITD, avant de rappeler les principaux outils publics de soutien à l’exportation pour le matériel de guerre. J’indiquerai enfin quelques points de vigilance chers à la direction générale du Trésor.
Les performances des entreprises françaises de la BITD connaissent des variations importantes d’une année à l’autre, au gré des très importants contrats. Cependant, ces performances demeurent soutenues dans le temps, si l’on prend en compte les prises de commandes, qui nous semblent constituer le bon indicateur. Ces prises de commandes s’établissaient à 8,7 milliards d’euros en 2023, contre 22 milliards d’euros en 2022 et 11,7 milliards d’euros en 2021. Elles seront de 18 milliards d’euros en 2024. Ces performances font ainsi de la France le deuxième exportateur de matériel de défense au monde. S’agissant des destinations, les contrats les plus importants concernent notamment l’Asie-Pacifique. Il faut également relever une base d’importation du matériel de guerre français en Europe, et enfin, des contrats conclus très régulièrement au Proche-Orient et en Afrique.
Ces performances sont bien sûr d’abord dues aux caractéristiques et à la qualité de la production du matériel par les entreprises de la BITD en France. Mais nous espérons également que le champ très développé des outils publics de soutien à l’exportation contribue financièrement à rendre l’offre française compétitive sur les marchés étrangers. À ce titre, je me concentrerai sur quelques dispositifs, au sein d’une gamme très diverse d’outils qui sont notamment exécutés par Bpifrance Assurance Export pour le compte et au nom de l’État.
L’outil principal concerne ainsi l’assurance-crédit, qui permet aux pays acheteurs d’emprunter les sommes nécessaires auprès de banques privées grâce à la garantie de l’État sur le prêt bancaire. Très concrètement, nous procédons à travers cet outil à une substitution du risque de non-paiement par le pays client, qui peut être élevé, par un risque souverain français, évidemment jugé plus sûr par les établissements bancaires. Deux effets vertueux se manifestent à travers cet outil : l’abaissement du coût du crédit et donc de l’acquisition, mais aussi la résorption d’une faille de marché, notamment pour les pays marqués par un risque de crédit élevé, qui peuvent éprouver des difficultés à trouver un mécanisme assurantiel en dehors du mécanisme de soutien public.
De plus, pour certains types de contrats particulièrement importants dans la relation diplomatique entre la France et le pays acheteur notamment, ou lorsque l’on rencontre des difficultés importantes de financement, nous parvenons à articuler cet outil – le crédit bancaire garanti – avec des prêts du Trésor. Dans ce cas, nous établissons une offre financière mixte, qui a deux effets. Le premier concerne à nouveau l’abaissement du coût total de financement. Le prêt du Trésor s’effectue à un taux fixe fixé par l’OCDE, mais puisqu’il émane directement de l’État français, il évite les marges bancaires sur la part du financement qui est prise en charge par le prêt du Trésor. Par ailleurs, il s’inscrit dans un accord d’État à État, ce qui permet d’éviter la procédure compétitive et ainsi de s’assurer que l’entreprise française obtienne effectivement le marché.
Un autre outil est constitué par la stabilisation de taux, y compris lorsque la banque offre un taux variable dans le temps. Dans ce cas, le Trésor vient en substitution pour offrir un taux fixe, ce qui constitue également un avantage compétitif pour l’offre française, notamment lorsque les conditions de marché sont particulièrement incertaines. Enfin, dans le cadre de la structuration de l’offre financière française, nous développons le refinancement des grands contrats à travers l’offre de la Société française de financement local (Sfil), caisse de réassurance qui vient refinancer le contrat. Cette offre permet de baisser le coût total de financement et représente à ce titre un élément important pour la compétitivité de l’offre française.
L’ensemble de ces instruments intervient dans un cadre approuvé annuellement par le ministre de l’économie. La politique de financement export détermine ainsi chaque année l’appétence au risque de l’État pour l’octroi, pays par pays, de ces outils financiers de soutien à l’export, qu’il s’agisse des prêts ou des assurances crédit. À cette intention, nous procédons à une évaluation annuelle des risques macroéconomiques et des risques intrinsèques aux pays, en examinant l’ensemble des indicateurs tels que les réserves de change, les arriérés ou la soutenabilité de la dette, qu’elle soit publique ou externe.
En fonction de cette analyse de risques, nos outils peuvent ensuite être ouverts, ouverts sous conditions, poser des restrictions sectorielles ou enfin être totalement fermés. Cette carte, publiée annuellement, est disponible sur le site de la direction générale du Trésor. En outre, la DGT participe à la commission interministérielle en charge de l’octroi des licences d’exportation au côté du ministère des armées et du ministère des affaires étrangères. À cet effet, nous appliquons la position commune européenne de 2008. Nous nous employons plus spécifiquement à analyser la capacité de l’État acheteur à rembourser le bien.
Je terminerai mon intervention en soulignant deux points d’attention de la DGT. Le premier concerne la place des PME et des ETI de cette BITD. Nous veillons à ce que nos outils permettent de soutenir de façon particulière leur offre. Il s’agit notamment de l’assurance caution export, qui permet de couvrir les émetteurs de caution contre le risque de défaillance de l’industriel. Cet outil offre ainsi aux banques la possibilité de s’exposer à des entreprises dont la surface financière est plus limitée. À ce titre, l’État a rehaussé la quotité maximale assurée de 50 % à 80 % des engagements de caution des PME et ETI. Il a par ailleurs doublé en 2023 le chiffre d’affaires social pris en compte pour savoir si l’entreprise se situe ou non dans la catégorie PME-ETI, en le relevant de 150 millions d’euros à 300 millions d’euros par an. Ce relèvement a permis de faire rentrer un nombre important d’entreprises dans ce champ.
Par ailleurs, dans l’instruction quotidienne des dossiers, nous veillons avec nos collègues Bpifrance Assurance Export à prendre en compte les spécificités et les difficultés particulières des PME. Il ne s’agit donc pas un outil en soi, mais d’une vigilance particulière. Enfin, en lien avec la politique publique de réindustrialisation du territoire, nos outils sont également conditionnés à des exigences de part française, c’est-à-dire la part de la valeur ajoutée du contrat – qu’elle soit industrielle, financière ou de service – qui est effectivement réalisée sur le territoire national. Le seuil minimal est de 20 % pour l’assurance-crédit et de 50 % pour les prêts du Trésor. Dans le cas de l’assurance-crédit, la part du contrat qui est effectivement couverte au moyen de la garantie publique est proportionnée à la part française. Il s’agit là d’incitations très fortes, afin de maintenir l’outil industriel sur notre territoire.
M. Bruno Berthet, président du conseil d’Aresia et président de la Commission internationale du Gifas, pour le Conseil des industries de défense françaises (Cidef). Mon intervention se déploiera en trois parties et évoquera le contrôle, le financement et le soutien, tel que l’industrie peut le percevoir. La France est un exportateur important d’équipements de défense dans le monde. Il s’agit là d’un axe stratégique, dont l’industrie est parfaitement consciente. De fait, nous n’exportons pas une arme de guerre au sens réglementaire du terme comme nous exportons des automobiles ou des biens de consommation classiques. La BITD bénéficie d’un haut niveau de savoir-faire et d’une force politico-commerciale significative, installée dans la durée.
L’exportation de défense est un cas spécifique, qui obéit à une réglementation particulière bien connue et parfaitement légitime. À ce titre, le premier soutien consiste à faire en sorte que le contrôle des exportations d’armements ne constitue pas un frein trop important. Ainsi, il faut disposer d’un contrôle qui soit à la fois fluide et rigoureux. Il est difficile d’être compétitif s’il est nécessaire d’attendre deux mois pour disposer d’une autorisation d’exploitation quand des concurrents peuvent l’obtenir en quinze jours.
Dans ce domaine, il existe désormais depuis des années une concertation importante et continue, à tous les niveaux. Je rappelle ainsi que le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale participe en personne à certaines réunions. Cette concertation donne globalement satisfaction : ce contrôle, tout en restant extrêmement rigoureux, s’est en effet largement fluidifié au cours des dernières années. La diminution du délai d’autorisation d’exploitation intervient depuis plusieurs années, même si nous observons aujourd’hui – de manière très conjoncturelle je l’espère – une réaugmentation de ce délai. Nous sommes très attentifs à cet aspect et dialoguons de manière permanente avec l’administration.
Ce contrôle est, de notre point de vue, indispensable et très rigoureux. La BITD est très attachée à ce que ce contrôle demeure national, dans la main des autorités gouvernementales françaises. En effet, une vision supranationale viendrait impacter un sujet de souveraineté nationale. Sur le fond, cette collaboration entre l’État et l’industrie concernant le contrôle se déroule de manière fluide. Nous appelons naturellement de nos vœux qu’elle puisse se poursuivre et même s’améliorer. L’industrie souhaite d’ailleurs que ce mode de coopération soit étendu à d’autres domaines, et particulièrement celui des biens à double usage.
Sur le plan économique, la BITD constitue une des rares filières dont la contribution à la balance commerciale de la France soit positive. Cette BITD n’est pas uniquement constituée de grands groupes dont les sièges sont situés à Paris, mais irrigue bien vos territoires. Les exportations de défense sont à la fois le fait de Dassault Aviation, de Naval Group, de Nexter et des grands satellitaires, mais aussi des PME et ETI implantées dans vos circonscriptions.
En matière de financements, le dispositif est devenu plus opérationnel ces dernières années. Pour autant, il importe de considérer la concurrence internationale, qui bénéficie de son côté de dispositifs attractifs, voire agressifs. Nos concurrents traditionnels constitués par nos alliés et partenaires états-uniens, allemands ou italiens sont aujourd’hui rejoints par un certain nombre de nouveaux arrivants qui prennent une part de marché de plus en plus importante sur le marché international, avec des offres de financement agressives, qui détonnent par rapport aux habitudes bien réglées qui existaient dans « le monde d’avant ». Parmi ces derniers, on peut citer la Corée du Sud ou la Turquie, mais la liste est en réalité relativement longue. Il s’agit notamment de l’Ukraine, qui est en train de se doter d’un tissu d’industries de défense extrêmement important et affirme ouvertement qu’elle a vocation à devenir un très grand exportateur d’équipements de défense.
L’accompagnement financier est significatif, mais peut toujours être amélioré. Du côté industriel, il faut relever à ce titre une France à plusieurs vitesses. Par exemple, le dispositif d’accompagnement et de soutien d’une exportation de Rafale est traité à Paris par les services centraux des ministères concernés et les directions générales des établissements bancaires. Il n’en va pas de même pour les projets de l’une des PME implantées dans vos circonscriptions ; dont les PDG doivent aller négocier leurs lettres de crédit avec des chargés d’affaires bancaires, qui ignorent l’existence d’une procédure CIEEMG (Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre).
Dans ce cadre, les groupements industriels comme le Gifas ont notamment pour mission d’accompagner leurs adhérents, pour essayer de déminer un certain nombre de cas connus. Cependant, il ne faut pas sous-estimer les difficultés auxquelles les industriels sont exposés lorsqu’ils veulent exporter. En matière d’exportation, il ne s’agit pas seulement de favoriser les approches de quelques grands industriels, ces fameux « éléphants » qui irriguent certes l’ensemble des entreprises la BITD. Il s’agit également de mobiliser plus amplement cette BITD pour aller chercher des contrats, en Europe et au-delà.
Les résultats de ces dernières années sont effectivement très significatifs, pour ne pas dire exceptionnels. Néanmoins, un certain nombre de faiblesses persistent en France. Celles-ci concernent d’abord les produits qui sont proposés : la BITD française propose très essentiellement des produits choisis et développés pour les armées françaises et bénéficie à ce titre du soutien de l’administration. Il n’en reste pas moins que le format militaire français est assez spécifique et que les produits proposés ne reflètent pas nécessairement une stratégie d’export en tant que telle de chacun des industriels. Le cas des drones est à ce titre assez significatif. Pendant très longtemps, ce segment a constitué un angle mort des propositions de défense en France, car notre armée n’en formulait pas la demande.
En conclusion, du point de vue des industriels, le soutien à l’exportation par l’administration française est extrêmement satisfaisant, mais peut encore être amélioré. À ce titre, je tiens à souligner que l’accompagnement parlementaire est essentiel. Dans certains cas, pour certains pays, votre contribution s’avère particulièrement utile et nous ne pouvons que souhaiter travailler encore mieux, ensemble.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
Mme Catherine Rimbert (RN). Monsieur l’ingénieur général, Messieurs, l’année 2024 a été positive en termes d’exportation d’armements, qui s’est établie à 18 milliards d’euros pour la France. Ce montant est encourageant, mais il s’explique surtout par les livraisons de vingt et un Rafale contre treize en 2023 et un carnet de commandes de 220 chasseurs à Dassault Aviation.
Cette dynamique des grands groupes de BITD ne doit toutefois pas faire oublier que les PME et les très petites entreprises (TPE), maillons essentiels de notre tissu industriel de défense, se heurtent à de nombreux obstacles administratifs liés à l’export control. Bien entendu, les process et les règles sont indispensables pour assurer le respect des obligations stratégiques et réglementaires de la France. Ils engendrent cependant des délais significatifs, des surcoûts et une mobilisation excessive des ressources internes des entreprises. Nous sommes bien loin de cette économie de guerre si chère à Emmanuel Macron.
Il est à souhaiter, dans le domaine de la défense comme dans bien d’autres, que si un jour nous devions être en guerre, la sur-réglementation et la complexité des normes s’effaceraient devant l’efficacité. À cela s’ajoute un constat alarmant : un grand nombre de TPE et de PME de BITD souffrent d’un manque de formation et d’accompagnement en matière d’export control, ce qui complique encore davantage leur capacité à se conformer aux exigences et à accéder aux marchés internationaux.
Dans ce domaine, comment simplifier les procédures pour encourager l’export tout en préservant les exigences de sécurité nationale ? Quelles mesures de formation ou dispositifs particuliers peuvent être mis en place pour renforcer les compétences des entreprises à l’export ? Enfin, comment le Gifas, la DGA ou la DGT peuvent-ils intervenir pour alléger ces charges administratives et réglementaires ?
M. l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta. Vous avez raison, les pics en montants d’exportation sont effectivement liés aux « éléphants » dont parlait M. Berthet. En 2024, l’export a concerné les chasseurs Rafale, mais également des sous-marins, à destination des Pays-Bas, pour un montant de plusieurs milliards d’euros, ou des canons Caesar. Mais ils ne sont pas les seuls : au sein des 18 milliards d’euros mentionnés, presque la moitié – environ 8 à 9 milliards d’euros – est constituée par le « socle », c’est-à-dire des contrats inférieurs à 200 millions d’euros, moins visibles et moins médiatisés.
Ensuite, notre objectif consiste à opérer de meilleurs contrôles, toujours plus efficaces. Dans le monde brownien, plus instable, dans lequel nous évoluons désormais, il est nécessaire de nous poser continuellement la question des évolutions possibles. Ce questionnement prend naturellement du temps, impliquant la réaugmentation des délais, précédemment évoquée. Cependant, soyez assurés que notre objectif consiste effectivement à accélérer ces processus, pour le bien de tous, entreprises et administration.
Nous sommes extrêmement vigilants à l’accompagnement des petites entreprises, même si des améliorations peuvent toujours intervenir. Nous organisons des séminaires en région, nous nous déplaçons auprès des entreprises, dans les territoires, pour assurer des formations pour expliquer le dispositif de contrôle export, à la fois français, mais aussi américain. En effet, la réglementation américaine sur le trafic d’armes au niveau international (International Traffic in Arms Regulations, ITAR) est extrêmement rigoureuse. Nous expliquons donc aux entreprises ces dispositifs, qui demeurent parfois méconnus.
M. Yannick Chenevard (EPR). Dès lors que l’on aborde le sujet de l’augmentation des exportations d’armement, cela signifie que la situation internationale se tend. Cette situation est marquée par le retour des empires. Certains pays, qui s’étaient quelque peu relâchés pour certains, souhaitent se réarmer et parfois très rapidement. En conséquence, ils achètent soit sur étagère, soit du matériel d’occasion, soit ils veulent des volumes, comme cela a été rappelé concernant les drones. L’amélioration des cadences de production en France a-t-elle un impact sur les livraisons à l’export ?
Ensuite, monsieur l’ingénieur général, vous avez évoqué brièvement la norme ITAR. Cette dernière ne constitue-t-elle pas un frein à l’export de matériel américain, puisqu’elle implique pour les pays acheteurs de demander aux États-Unis leur accord pour l’utilisation dudit matériel ? Dans ce cas, cette norme pourrait constituer un atout pour l’armement français. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Enfin, nous constatons aujourd’hui le besoin de volume, de masse et de rapidité de production. En renouvelant l’ensemble de nos normes et de nos conditions de fonctionnement, qui représentent parfois un important handicap pour gagner des marchés très rapidement, nous mettons-nous en situation d’assurer cette masse, ce volume et cette rapidité ?
M. l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta. Tous les termes que vous avez évoqués sont particulièrement ciblés. Il faut produire vite, il faut produire des volumes. De fait, au-delà de la qualité intrinsèque des équipements, les conditions de financement importent grandement. Aujourd’hui, le principal discriminant est probablement relatif aux délais de livraison, qui tendent à s’allonger. Un homologue européen m’a ainsi indiqué que le pays fournisseur avec lequel il a contracté vient de lui annoncer un délai supplémentaire de quatre ans pour la fourniture du matériel commandé. En réaction, les pays clients partenaires demandent des délais de livraison particulièrement agressifs.
Les actions mises en œuvre depuis 2022 dans le cadre de l’économie de guerre ont contribué de manière assez notable à l’accélération de la production pour les armées françaises, mais aussi pour l’export. L’exemple le plus emblématique concerne probablement le canon Caesar. Auparavant, la société KNDS France attendait de recevoir une commande pour lancer la production de ce matériel, selon un schéma traditionnel. KNDS France a pris la décision très courageuse industriellement de décider de produire les « long-lead items », les sous-ensembles à cycle industriel long avant l’obtention de commandes fermes. Quand le marché de l’artillerie s’est ranimé, KNDS France a été en mesure de fournir ces canons dans des délais de livraison extrêmement agressifs.
J’ai déjà évoqué par ailleurs le cas des missiles Mistral. La plupart des pays européens avaient abandonné les capacités de défense sol-air, mais ils se sont brutalement réactivés. Puisque la chaîne de fabrication avait été maintenue par l’export et que la capacité existait, nous avons pu conclure un certain nombre d’accords étatiques avec Chypre, la Hongrie, la Belgique ou l’Estonie pour des acquisitions groupées de ces missiles Mistral, dont le cycle de production a été accéléré. Naturellement, cela n’est jamais suffisant et il serait souhaitable que les industriels puissent prendre encore plus de risques pour raccourcir leurs délais de livraison. Mais, honnêtement, nous sommes globalement en bonne voie.
Vous avez par ailleurs évoqué la norme ITAR. Le contrôle américain conduit de temps en temps à interdire des livraisons. Un des exemples emblématiques concerne le chasseur de sixième génération F35 que les États-Unis ont refusé de fournir à la Turquie parce qu’elle avait acheté des systèmes de défense sol-air russes. Nous pouvons parfois en profiter, mais dans certains cas, nous adoptons la même approche que le contrôle export américain.
Ensuite, le chantier des normes françaises est en cours. Il nous faut dépasser plusieurs difficultés, notamment la responsabilité personnelle, y compris pénale, d’un certain nombre d’acteurs. À ce titre, il convient de mener des réflexions pour se libérer de ces responsabilités personnelles, qui sont la marque des temps de paix. Si nous vivions un véritable temps de guerre, le ministère ou l’État seraient responsables. Or, aujourd’hui, nous ne sommes ni véritablement en paix, ni véritablement en guerre ; nous vivons dans un entre-deux, qu’il nous faut traiter.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je conserve une forme de doute concernant l’effectivité de cette responsabilité pénale individuelle, qui est parfois invoquée pour justifier l’absence de prise de risque, d’initiative ou d’audace. À ce titre, je suis preneur d’exemples concrets, si vous pouvez m’en fournir.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). S’agissant de la problématique à tiroirs des exportations, je souhaite évoquer dans un premier temps les redevances perçues par l’État de la part des industriels, au titre des exportations d’armement.
Dans un rapport publié en janvier 2021, la Cour des comptes recommandait au ministère des armées « de faire preuve de plus de diligence dans l’établissement et le recouvrement des redevances dues par les industriels exportateurs et leurs sous-traitants ». Alors que les redevances doivent rembourser une bonne partie des prestations réalisées par l’État dans le développement ou la réalisation des technologies et outillages, certains industriels en contestent le calcul et répugnent à les acquitter. Le manque de transparence à ce sujet dans les documents budgétaires génère un manque à gagner difficile à chiffrer. Disposez-vous de davantage d’informations en la matière, notamment en ce qui concerne le montant des sommes perçues au titre de ces redevances, le mode de calcul, le taux de recouvrement, les éventuelles contestations et les moyens mis en œuvre par le ministère pour les recouvrer ?
Je souhaite également vous interroger à propos du travail de la CIEEMG, qui peut concerner des configurations critiques. Les documents divulgués par le média indépendant Disclose en avril 2019 ont prouvé que du matériel militaire français a été fourni à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis dans le cadre du conflit au Yémen, alors que ces pays sont accusés de crimes de guerre. Pourtant, il semble que cette commission continue d’autoriser l’exportation de matériel vers ces pays. Ce simple exemple nous amène à vous demander des éléments d’explication à propos des critères utilisés pour accorder ou non les licences d’exportation auprès de pays acheteurs.
Je rappelle, à toutes fins utiles, que la loi de programmation militaire (LPM) prévoit la création d’une commission parlementaire d’évaluation des exportations de matériel de guerre. Depuis la dissolution, aucune information n’est disponible sur les travaux et la composition de cette commission. Disposez-vous d’informations à ce sujet, au niveau du ministère ?
M. l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta. L’ensemble du ministère et du gouvernement considère qu’il est effectivement juste de percevoir ces redevances dans la mesure où ce sont essentiellement des deniers publics, et donc les contribuables, qui financent le développement de nouveaux matériels, pour les besoins des armées françaises. J’observe d’ailleurs que le principe même des redevances n’est pas l’apanage de la France, l’immense majorité des pays du monde le pratiquent. Du reste, lors des coopérations internationales, l’une des premières questions à résoudre consiste à s’entendre sur un mécanisme de redevances en cas d’export. Dans ces conditions, il est évidemment de notre devoir de recouvrer ces redevances.
Comme la Cour des comptes l’a relevé, ce recouvrement a été plus compliqué à une certaine période, pour de bonnes et mauvaises raisons. Par exemple, malgré ses excellentes performances et son succès actuel, le Rafale ne s’est pas exporté pendant quasiment vingt ans. Durant cette période, les industriels s’interrogeaient pour essayer de réduire leur prix à l’export et demandaient à l’État une exonération de redevance, afin de gagner des marchés.
Depuis le rapport de la Cour des comptes, des actions ont été mises en œuvre et nous avons émis un grand nombre de titres de perception qui, pour certains, restent à honorer par les entreprises. Mais la situation tend clairement à s’assainir. J’ajoute qu’en dépit des quelques créances qui n’avaient pas été recouvrées, la Cour des comptes concluait son rapport en indiquant que le bilan du système demeurait largement positif. Quoi qu’il en soit, l’une de nos missions prioritaires consiste bien à recouvrer ces créances, à la fois parce que le principe est juste, mais aussi parce que cela nous permet de réinvestir dans nos programmes d’armement.
Vous avez également mentionné la CIEEMG, qui n’est pas le thème central de cette audition. Cependant, je peux vous assurer que les critères examinés sont rigoureux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous dépassons actuellement les délais d’instruction qui pourraient être attendus ou espérés de la part de nos industriels. Lors de ces instructions, nous respectons naturellement tous les engagements internationaux de la France. Le plus important contrat de l’histoire française concerne les quatre-vingts Rafale vendus aux Émirats arabes unis. Il est à la fois parfaitement public et parfaitement assumé.
M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC). La Cour des comptes a rendu un rapport assez éclairant en 2023 sur deux volets spécifiques. Le premier concerne la formation et le soutien aux TPE et PME. La part de ces TPE et PME dans la BITD reste en effet insuffisante, alors qu’elles pourraient contribuer à une plus grande réactivité et une plus grande innovation. Ensuite, je souhaite également aborder le développement de la pratique des offsets, les compensations industrielles demandées par les pays acheteurs. De quelle manière ce sujet est-il appréhendé ? En effet, il me semble que cet aspect est particulièrement impactant pour les petites entreprises.
M. Armel Castets. Le soutien aux TPE et PME fait l’objet d’une attention constante de la part de nos équipes, au quotidien. Au-delà des instruments, soyez assurés que l’équipe France soutient notre tissu industriel. Pour y parvenir, nous nous efforçons de nous rendre accessibles aux TPE et des PME, mais également d’aller vers elles. Gaël Diaz de Tuesta a d’ailleurs rappelé les efforts de la DGA pour se déplacer dans les territoires et y faire connaître les instruments. Je veux également souligner que Bpifrance Assurance Export est filiale du groupe Bpifrance. À ce titre, nous nous appuyons sur le réseau Bpifrance dans les territoires, que vous connaissez bien, pour promouvoir, secteur par secteur, les spécificités des différents outils et du soutien dont les entreprises de la BITD peuvent bénéficier.
Naturellement, des marges d’amélioration demeurent et ont d’ailleurs été relevées dans le rapport de la Cour des comptes de 2023. Cependant, quand nous nous comparons à nos voisins, nous n’avons pas à rougir de la gamme des instruments disponibles, de l’ensemble des outils de soutien public, qui peuvent certes être affinés ou améliorés. Il nous faut encore développer notre effort « d’aller vers » en direction des TPE et PME. Nous y réfléchissons à la fois en interministériel, mais également à la DGT. En effet, lors de nos déplacements, nous rencontrons les chefs d’entreprise et leurs équipes et nous constatons que certains des instruments disponibles ne sont toujours pas connus. Je pense notamment à la procédure de l’article 90, un outil particulièrement intéressant, puisqu’il s’agit d’une avance remboursable mise à la disposition des TPE et PME, qui permet notamment d’adapter du matériel militaire déjà développé aux besoins spécifiques d’un pays de destination.
En résumé, nous offrons une gamme de produits disponibles, nous adaptons nos niveaux d’exigence, notamment l’exigence de contenu local, aux besoins des PME et des ETI. Au quotidien, dans l’instruction, nous nous efforçons d’être particulièrement vigilants pour les accompagner, car nous savons que l’obstacle administratif est plus élevé pour ces entreprises. Enfin, nous sommes conscients de ce défi « d’aller vers », qui doit continuer à tous nous mobiliser.
M. l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta. La procédure de l’offset était finalement assez vertueuse, originellement. Lorsque l’on vend un armement à un pays, celui-ci, désireux de ne pas trop déséquilibrer sa balance commerciale, demande qu’on lui achète des biens pour un montant ou une fraction du montant en question. Initialement, cela concernait par exemple des matières premières.
Petit à petit, ce mécanisme a été dévoyé par les pays qui pratiquent l’offset et qui ont demandé de se limiter au champ de la défense. Cela a d’abord entraîné des surcoûts pour le client qui pratique l’offset. En effet, lorsque l’on demande à un industriel de construire une usine dédiée ou un offset, sa première réaction va consister à surfacturer cette prestation, puisqu’elle lui coûte plus cher. Ensuite, le mécanisme induit un caractère potentiellement artificiel : lors de mes déplacements internationaux, j’ai pu constater qu’un certain nombre d’usines ou de sites de production créés par un offset, par un surcoût payé par le pays client, n’avaient pas véritablement de marché à l’expiration des obligations d’offset. En conséquence, la France ne pratique pas historiquement l’offset.
Il n’empêche que lors de nos achats, nous demandons un certain nombre de compensations, qui peuvent se révéler être des success-stories. À titre d’exemple, lors de l’achat de l’avion Hawkeye auprès des États-Unis, une PME française a été imposée par le biais de compensations. Elle a tellement bien réussi qu’elle figure désormais dans la chaîne de valeur de l’entreprise américaine.
Je pense que votre question portait également sur les difficultés rencontrées par les PME dans l’exercice de leurs obligations d’offset. Dans la mesure du possible, il convient de revenir à la philosophie originelle de l’offset. Si l’entreprise en question peut satisfaire ses obligations d’offset, par exemple en achetant un certain nombre de biens d’intérêt dans le pays en question, nous en revenons à la définition originale et vertueuse de l’offset. Le Gifas doit s’efforcer à ce titre d’identifier les opportunités qui existent en la matière.
Ensuite, il s’agit de jouer sur l’équipe France. En fonction des contrats, la PME peut souhaiter réaliser cet offset pour elle-même, mais elle peut aussi s’appuyer sur les grands groupes. Envisager la problématique en équipe France, sur la globalité du marché mondial, et non projet par projet ou pays par pays nous offre aussi une agilité qui nous permet de satisfaire un certain nombre de ces obligations.
M. Bruno Berthet. Certaines PME peuvent effectivement éprouver des difficultés en matière d’offset. En effet, quand un maître d’œuvre consent à un offset pour décrocher un contrat, son réflexe naturel va consister à modifier sa chaîne d’approvisionnement, au détriment d’une PME ou ETI française avec laquelle il travaillait jusqu’alors. En conséquence, la supply chain française doit s’organiser et le sujet de l’offset constitue un sujet industriel, qui se traitre entre maîtres d’œuvre et sous-traitants.
Ensuite, le soutien des PME et ETI pour l’export de défense fait partie de la politique publique, sur laquelle les parlementaires donnent leur avis. Dans certains cas, soutenir l’exportation de quarante fusils de précision peut demander presque autant de travail à l’administration que l’exportation d’un escadron de Rafale, qui bénéficie d’un regard plus attentif des plus hautes autorités de l’État. L’industrie demande ainsi que les services qui contribuent au soutien aux exportations d’armement soient mieux dotés en personnels : plus il y aura d’agents, plus les exportations de défense des PME et des ETI seront soutenues.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Monsieur l’ingénieur général, je souhaite vous interroger sur la problématique de l’export impliquant d’autres pays. En effet, l’industrie de la défense se conçoit de plus en plus à une échelle européenne. Nous le constatons à travers les différents grands programmes d’armement terrestre comme le système principal de combat terrestre (MGCS), aérien avec le système de combat aérien du futur (SCAF) ou maritime, à travers le projet de corvette européenne (EPC). De fait, notre BITD devient de plus en plus une BITD européenne.
Pour autant, la législation sur l’exportation d’armements diffère d’un pays à l’autre. Nos partenaires allemands adoptent une vision particulièrement restrictive, laquelle peut être source de blocages. Arquus en a fait les frais en 2019 concernant les boites de vitesse, de même que le contrat SFMC, qui impliquait des éléments pyrotechniques du canon Caesar. Surtout, le sous-traitant, Nicolas industrie, a été poussé à la faillite du fait de ce même blocage allemand.
Cette difficulté présente d’autant plus d’enjeux que nos partenaires outre-Rhin sont impliqués dans des projets comme le MGCS et le SCAF. Alors que nos chaînes de production d’armement sont de plus en plus intégrées au niveau multinational, comment mieux prévenir les blocages d’exportation par des partenaires européens aux législations différentes ?
M. l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta. Il existe une ligne rouge absolue, soutenue à tous les niveaux de l’État : le contrôle export doit rester national. Nous l’assumons, dans la mesure où ce domaine relève de l’expression de notre diplomatie, de notre politique, de notre géopolitique. Naturellement et simultanément, les autres pays disposent aussi de leur contrôle national, afin de garantir leur souveraineté.
En conséquence, dans les programmes en coopération, l’enjeu consiste à s’entendre et à adopter une posture conciliante, mais aussi à éviter de s’engager avec un maillon trop faible qui exporterait de façon désordonnée. Dans ce cadre, nous pouvons nous féliciter de l’accord intergouvernemental conclu avec l’Allemagne et l’Espagne pour l’instant et qui est amené à s’étendre à d’autres pays européens qui disposent d’une forte BITD. Cet accord nous permet de ne pas bloquer les exportations des autres pays sans une excellente raison d’intérêt national. En l’espèce, nous nous faisons confiance sur le caractère rigoureux de nos systèmes respectifs.
Depuis que cet accord a été signé avec les Allemands et les Espagnols, nous avons apuré un grand nombre de licences qui étaient en souffrance, par différents mécanismes. Le premier concerne le de minimis : dès lors qu’un système est au-delà de 80 % français, les Allemands ne peuvent pas s’opposer à un export. Cet accord comprend également un volet sur les grands programmes en coopération, comme le SCAF ou le MGCS où la clause de minimis ne s’applique pas. L’accord prévoit là aussi une confiance a priori, pour éviter les blocages intempestifs. Nous souhaitons malgré tout, notamment avant de lancer les phases successives du SCAF par exemple, que les règles du jeu soient très claires concernant la stabilité des positions des uns et des autres. Le contrôle export français prend un certain temps lors de l’instruction, mais une fois la licence initiale délivrée, il permet d’être stable dans le temps, ce qui constitue une grande force, reconnue par l’ensemble des partenaires.
M. Damien Girard (EcoS). Notre BITD vise notamment à garantir des capacités suffisantes pour défendre nos intérêts. L’exportation d’équipements militaires est une condition pour préserver la BITD française, première industrie de défense du continent européen et deuxième exportatrice au monde.
Je souhaite particulièrement vous interroger sur la dimension européenne de notre BITD. Deux élections de Donald Trump et le retour de la guerre sur notre continent n’ont pas freiné une dynamique de dépendance de notre continent vis-à-vis du matériel américain. Ainsi, la France, première industrie de défense de l’Europe, n’exporte que marginalement sur notre propre continent, près de 10 % en moyenne sur les cinq dernières années.
Le président de la République, dans son discours aux ambassadeurs, a d’ailleurs souligné cet enjeu et avancé l’idée d’une préférence européenne pour les marchés de la BITD du continent. Le besoin d’aider massivement des alliés tels que l’Ukraine et la construction progressive d’une force de défense européenne opérationnelle nécessitent en effet de s’appuyer sur des industries européennes – notamment françaises – solides. Quelles sont les marges de manœuvre pour renforcer l’habileté des entreprises françaises en Europe ? Quel arbitrage opérer entre exportation de matériel français et projet européen commun ?
M. Armel Castets. L’européanisation du financement de la défense constitue une dimension essentielle, sur laquelle les administrations travaillent toutes intensément. À ce titre, je rappelle un certain nombre de développements récents qui représentent des signaux très positifs de la position française tenue à Bruxelles et auprès de l’ensemble de nos partenaires européens.
D’abord, la Banque européenne d’investissement (BEI) a évolué, après avoir tenu une politique très fermée pendant des années. Nous l’interprétons comme le résultat d’une prise de conscience sur la nécessité d’une autonomie stratégique européenne davantage affirmée. Très concrètement, elle peut octroyer des prêts aux entreprises de la BITD à travers l’enveloppe de l’Initiative stratégique pour la sécurité européenne, qui a été rehaussée de 6 à 8 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Il existe encore des limites – que nous nous employons à faire évoluer – notamment dans sa politique d’exclusion des munitions, armes, équipements, infrastructures militaires et policières, qui atténuent la portée de ce soutien.
J’ajoute que le programme InvestEU, qui regroupe plusieurs instruments financiers du précédent cadre financier pluriannuel européen, contribue aussi à l’effort collectif, notamment au moyen de garanties budgétaires de l’Union européenne (UE) de 26,2 milliards d’euros, elles aussi gérées par la BEI. Le programme ambitionne un effet de levier sur la mobilisation d’investissements privés, afin de remédier aux défaillances de marché et au déficit d’investissement dans l’UE. Le périmètre du programme a été élargi et comprend quatre fenêtres : les infrastructures durables, la R&D, les PME et le social. Des investissements stratégiques ont été opérés à travers cette fenêtre, par exemple dans la cybersécurité, la défense et l’espace.
Enfin, le Fonds européen de défense a vocation à être pérennisé dans le prochain cadre financier pluriannuel, de même qu’un ensemble d’instruments européens qui ont été développés à titre exceptionnel, notamment le programme EDIRPA, le fonds ASAP et le programme EDIP. La France pointe la nécessité d’établir un minimum de commandes européennes à travers cette nouvelle fenêtre budgétaire. Cette position ne fait pas consensus à Bruxelles, mais nous réaffirmons notre ambition à son égard.
M. l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta. Monsieur le député, vous avez évoqué la préférence européenne et son caractère politique, qui est le pendant de ce qui se pratique ailleurs. Il suffit pour s’en convaincre de penser au Make America Great Again de Donald Trump ou à la politique pratiquée par l’Inde, illustrations d’une certaine forme de protectionnisme. Cette idée de la préférence nationale politique est bien à l’œuvre dans un certain nombre de blocs ou de pays du monde, et il me paraît tout à fait naturel que le président de la République l’exprime de manière symétrique.
Une autre approche plus technique peut être adoptée, celle de la bonne foi. Quand une entreprise étrangère envisage de produire en France ou en Europe, des coopérations gagnant-gagnant peuvent être réalisables si elle nous permet de nous approprier ses matériels, de les modifier et de les « franciser ». Mais si cette même entreprise se contente de fournir des « boites noires » que nous ne pouvons pas modifier, elle agit seulement dans une démarche purement mercantile et il est alors de notre devoir collectif de repousser cette coopération.
S’agissant de l’export ou de la coopération en Europe, il est toujours possible de faire mieux. Mais il faut relever les réussites, comme le programme CaMo de matériel terrestre avec la Belgique, le programme des sous-marins avec les Pays-Bas, un certain succès des missiles de défense sol-air à très courte portée Mistral ou du canon Caesar, l’équipement de Rafale pour trois autres pays européens. Ces exemples montrent malgré tout que les produits français sont appréciés et s’exportent en Europe. Ils se juxtaposent aux grands projets européens, comme l’A400M, le SCAF ou MGCS, qui doivent être réalisés à l’échelle d’un continent. Il faut conserver ce panachage entre l’export d’équipements vers un certain nombre de pays européens et la poursuite de ces grands programmes.
M. Bruno Berthet. Il existe effectivement un certain nombre de rapprochements transnationaux entre différents pays européens pour constituer des groupes européens, le meilleur exemple étant constitué par MBDA. En revanche, ces rapprochements concernent peu les PME. À titre personnel, je peux témoigner de la difficulté de conduire ces rapprochements, car il est très difficile d’obtenir un accompagnement financier pour mener à bien une consolidation européenne dans le domaine de l’armement. En Europe, il est difficile de trouver des fonds et d’adresser des politiques publiques qui sont assez différentes selon les pays ; il est structurellement compliqué pour essaimer une BITD réellement européenne. Mais je pense que nous y parviendrons avec le temps.
Ensuite, il est exact qu’un certain nombre de dispositifs ou d’actions dans le domaine de la défense vont être financés par Bruxelles, alors que certains pays ont l’habitude d’acheter en dehors de l’Union européenne. Ici aussi, l’action politique doit être pragmatique. Nous ne pourrons pas dire du jour au lendemain à certains partenaires européens de n’acheter que des matériels européens. En revanche, il nous faut expliquer que des fonds européens doivent être ciblés pour financer des travaux en Europe.
M. Christophe Blanchet (Dem). Messieurs, permettez-moi, au nom du groupe Les Démocrates, de vous souhaiter une très belle année. J’espère que notre commission de la défense conservera son esprit de paix pour nos débats et nos échanges et qu’elle pourra ainsi inspirer l’hémicycle.
Vous avez cité nos partenaires, nos concurrents et les pays émergents, mais vous n’avez pas évoqué la Chine. Ce pays a déclaré hier un excédent brut commercial à hauteur de 1 000 milliards d’euros, dû en grande partie à un fort dumping. Dans quelle mesure ce dumping impacte-t-il l’économie de défense et, potentiellement, l’aspect concurrentiel de nos entreprises ? Ensuite, la Chine demeure le champion du monde de la copie et de la contrefaçon. Cet aspect pose la question de la propriété industrielle et intellectuelle. Dans quelle mesure parvenons-nous à protéger effectivement cette propriété industrielle, afin qu’elle ne soit pas copiée et qu’elle se retourne contre nous ? Dans quelle mesure notre BITD innove-t-elle et valide-t-elle ses brevets ?
M. Armel Castets. Au-delà même du sujet de la BITD, la Chine n’est pas membre de l’OCDE, qui a établi le cadre auquel nous nous soumettons, comme l’ensemble des pays de l’UE. De ce fait, un certain nombre de grandes économies émergentes ne rentrent pas dans ce cadre et en profitent pour proposer des offres de financement particulièrement attractives, qui affectent la compétitivité de nos entreprises sur la scène internationale. La question des subventions nationales fait l’objet de travaux intenses et elle est effectivement soulevée lors des échanges bilatéraux avec les autorités du pays que vous mentionnez.
Ensuite, le marché de la défense constitue malgré tout un sujet spécifique, au sein duquel la relation diplomatique et stratégique joue évidemment un rôle très important pour un certain nombre d’équipements. Ainsi, l’accès à l’équipement lui-même s’inscrit aussi dans un partenariat. Lorsqu’il achète un matériel français, un pays étranger vient aussi chercher une expertise, une capacité de maintenance et de formation des équipes. Ces éléments permettent de relativiser la dimension strictement liée au financement du projet. Ainsi, l’intensité de la relation diplomatique et stratégique de la France avec un grand nombre d’États conduit ces pays à chercher du matériel français.
Par ailleurs, dans les négociations contrat par contrat, nous observons que la recherche d’un partenariat stratégique sur le matériel de guerre et du soutien d’un pays comme la France peut avoir valeur de signal, celui du choix d’une puissance d’équilibre plutôt que l’un des deux géants. Enfin, la France est dotée d’un mécanisme de contrôle des investissements, avec un dispositif spécifique qui s’applique à la BITD, dans la mesure où les technologies françaises sont convoitées par nos compétiteurs en général, et pas uniquement la Chine. Enfin, je ne dispose pas d’éléments concernant les brevets, mais nous pourrons vous apporter une réponse ultérieurement.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). Sauf erreur de ma part, vous n’avez pas fait allusion dans votre exposé au service après-vente. Existe-t-il un service après-vente des exportations ? Si tel est le cas, de quelle manière s’opère-t-il ? Ensuite, parmi les différents acteurs, j’ai identifié notamment des opérateurs privés, comme Défense conseil international (DCI), dont l’État détient 34 % du capital. Cette structure a pour objet d’accompagner les contrats à l’export et d’exporter le savoir-faire et l’expertise française, mais elle est également qualifiée d’opérateur du ministère des armées. À ce titre, elle mène des actions de formation, d’entraînement, de conseil, de mise à disposition de moyens et d’accompagnement des ventes d’armement dans les domaines terrestres, aériens, maritimes, mais aussi de la cybersécurité, de la cyberdéfense, de la guerre électronique, notamment à travers un partenariat privilégié avec Thales. Or, DCI est une émanation de la DGA. Pouvez-vous fournir de plus amples détails à ce propos ? Pourriez-vous développer les modes de fonctionnement privés et publics qui concernent DCI ? Comment vous organisez-vous pour accompagner l’après-vente des exportations ?
M. Bruno Berthet. Le domaine des exportations de défense est souvent un domaine exorbitant par rapport au droit commun, mais elles nécessitent bien entendu un accompagnement, qui va être dimensionné en fonction de la demande du client. Certains clients considèrent qu’ils savent s’organiser seuls, voire veulent être totalement autonomes, y compris dans la maintenance, quand d’autres demandent un soutien.
Du côté industriel, la moindre des choses consiste à proposer une opération globale, incluant la maintenance sous différents aspects. La part de l’industrie et la part des opérationnels peuvent être très différentes selon les milieux et les systèmes d’armes, en France comme à l’étranger. DCI est un opérateur, dont le positionnement a d’ailleurs progressivement évolué ces dernières années. Il peut accompagner les industriels dans l’exportation de défense, mais il peut également être utilisé par le ministère des armées pour transférer du savoir-faire directement opérationnel. Intrinsèquement, DCI peut être un des opérateurs choisis par un maître d’œuvre industriel qui accompagne, soutient et contribue à la formation des opérateurs dans le pays importateur. En résumé, il s’agit donc d’un opérateur très important.
M. Bernard Chaix (UDR). Pour la France, l’exportation d’armes représente un enjeu immense, à plusieurs titres. Tout d’abord, elle figure parmi les derniers véritables avantages comparatifs de notre économie. En effet, le déficit commercial de la France est devenu abyssal : de 58 milliards d’euros en 2017, celui-ci a presque atteint 100 milliards d’euros en 2023. Malgré ce contexte alarmant, la France demeure la troisième puissance exportatrice d’armes dans le monde, se situant encore devant le Royaume-Uni et même la Chine. Certains en nourrissent un sentiment de culpabilité. Pour ma part, je pense que le secteur figure parmi les derniers reliquats de notre puissance, et qu’il convient donc le chérir.
En outre, notre excellence dans l’aéronautique militaire nous permet de conserver une bonne représentation sur la scène internationale. Alors que notre influence diplomatique s’efface partout, nos entreprises, avec le soutien de l’État, permettent d’entretenir des relations bilatérales de qualité avec les puissances régionales telles que l’Inde, l’Égypte ou les Émirats arabes unis.
Le secteur de la BITD française est bien sûr composé de nos grands groupes industriels, mais aussi de plus de 4 000 PME et ETI, irriguant près de 200 000 emplois. Dans son rapport de 2023, la Cour des comptes avait suggéré de renforcer l’accompagnement des TPE et PME du secteur. Il s’agissait alors de lancer un programme de formation à l’exportation en leur apportant un soutien sur les procédures, l’analyse des pays acheteurs et une aide sur les enjeux juridiques. Où en sommes-nous du plan « Action PME » du ministère des Armées ? Quels efforts complémentaires sont envisagés pour permettre à ces entreprises de contribuer efficacement à la pérennité de nos exportations d’armement ?
M. l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta. Monsieur le député, soyez sûr que nous chérissons autant que vous cette capacité d’exportation, notamment par les relations diplomatiques qu’elle nous permet de tisser.
Les PME représentent un enjeu majeur et nous nous attachons réellement à assurer ces actions de formation. Le plan « Action PME » est d’ailleurs devenu le « Plan en faveur des ETI, PME et Startups » (PEPS), pour augmenter encore plus son périmètre d’action. Nous aidons les PME à participer à des salons à l’étranger et nous avons créé le label « utilisé par les armées françaises », qui leur permet également d’avoir une référence simple à souligner dans leurs discussions avec les partenaires. Nous les aidons aussi dans les grands instruments européens comme le Fonds européen de défense, pour avoir accès aux maîtres d’œuvre industriels tiers étrangers. Enfin, nous menons ce « Tour de France » pour former les PME, les informer sur le contrôle export français ou étranger et les dispositifs de soutien export, dont le PEPS. En marge du dernier salon Euronaval, près de 350 représentants d’entreprises, essentiellement des PME, sont venus écouter les présentations françaises, mais aussi du département d’État, du département du commerce et du département de la défense américains, pour se familiariser avec ces outils.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons maintenant à une séquence de cinq questions complémentaires, en commençant par une première série de trois questions.
Mme Michèle Martinez (RN). L’Allemagne est notre premier partenaire commercial. Au nom d’une prétendue Europe de la défense qui ne signifie rien et ne mène nulle part, nous menons avec Berlin des projets d’armement qui s’enlisent. Je pense notamment aux programmes SCAF et MGCS. La balance commerciale entre la France et l’Allemagne en matière d’armement est déséquilibrée. Nous achetons un fusil d’assaut emblématique à nos partenaires. En retour, la France n’est que le seizième fournisseur de l’Allemagne en matière d’armement, derrière la Macédoine. Comment expliquez-vous un tel déséquilibre de la balance commerciale ? Pourquoi les entreprises de notre BITD ont-elles tant de difficulté à exporter vers notre premier partenaire commercial ?
M. Karl Olive (EPR). L’industrie de défense française constitue un véritable poumon économique, représentant 200 000 emplois directs et indirects et générant un chiffre d’affaires annuel d’environ 30 milliards d’euros.
L’exportation joue un rôle clé dans ce chiffre d’affaires global de l’industrie de la défense, mais elle doit faire face à une concurrence internationale qui ne cesse de s’intensifier. L’épisode des sous-marins australiens en 2021 illustre bien cette réalité. L’Australie avait en effet annulé abruptement une commande de douze sous-marins auprès de Naval Group pour se tourner vers des modèles américains et britanniques, dans le cadre de l’accord Aukus. Or, il y a quelques semaines, l’ancien sous-marinier et directeur du Submarine Institute of Australia, Peter Briggs, a déclaré au think tank Australian Strategic Policy Institute que l’Australie devait être prête à abandonner le plan d’achat des huit sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire du plan Aukus et commencer à planifier l’acquisition d’au moins douze sous-marins de classe Suffren. Notre industrie est-elle en mesure de se repositionner efficacement en cas de revirement du gouvernement australien ? Plus largement, quelle est notre stratégie pour renforcer notre différenciation face à la concurrence dans le domaine des sous-marins à propulsion nucléaire ?
Mme Caroline Colombier (RN). Je souhaite attirer votre attention sur les petites et moyennes entreprises qui concourent à la BITD en France et qui font toujours face à un défi majeur : le financement de leurs activités à l’exportation. Un rapport parlementaire d’une mission flash en 2021 soulignait déjà que l’industrie de défense faisait face à des difficultés accrues de financement, venant principalement du poids croissant de la conformité, renforcé par la loi Sapin 2, et de la prise en compte de critères extra-financiers comme le risque d’image ou les critères ESG.
Pour rappel, les PME représentent 76 % des 2 000 entreprises au cœur de la BITD. En raison de la contraction du crédit bancaire, ces entreprises rencontrent des difficultés pour obtenir les fonds nécessaires à leurs opérations internationales, qui représentent une part significative de leur chiffre d’affaires. Elles doivent aussi faire face à des coûts élevés pour développer, produire et exporter des technologies de pointe, et l’absence de financement adéquat peut limiter leur capacité à innover et à répondre aux exigences des marchés internationaux. En écho au rapport flash, lors de ses vœux, le ministre des armées est également revenu sur cette attente. Qu’en est-il de la création d’un fonds souverain et de solutions durables pour faciliter l’accès au financement et préserver ainsi l’autonomie stratégique de la BITD ?
M. l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta. L’annulation de la commande des sous-marins australiens relevait d’une décision géopolitique. L’Australie est désormais face à un projet immense, colossal, qu’elle va devoir traiter. Si jamais elle nous adresse une demande formelle, nous l’étudierons. Le choix par la marine des Pays-Bas, marine européenne et alliée dans le cadre de l’OTAN, dotée d’une expérience expéditionnaire, du sous-marin Barracuda à propulsion conventionnelle (Blacksword Barracuda) nous honore, mais nous engage également. D’autres pays nous sollicitent, à l’instar du Canada par exemple, potentiellement pour une douzaine de sous-marines de cette classe.
S’agissant de notre relation avec l’Allemagne, j’avoue que je maîtrise moins bien que vous les chiffres que vous avez évoqués. Le tissu industriel français est relativement bien implanté en Allemagne, à travers des groupes comme Thales ou Safran. Ces derniers mènent une activité non négligeable en Allemagne et qui n’est probablement pas comptabilisée dans la balance commerciale. Ensuite, un certain nombre de projets franco-allemands se sont effectivement enlisés. Je ne citerais pas les projets MGCS et SCAF à ce titre, mais plutôt d’autres comme le Tigre standard 3 ou l’avion de patrouille maritime. Les projets MGCS ou du drone MALE constituent des projets européens structurants, qui certes franchissent leurs jalons moins rapidement qu’espéré, mais ils progressent et respectent les lignes rouges françaises.
M. Armel Castets. L’accès au financement pour les PME de la BITD est assez semblable à celui des PME dans les autres secteurs. Ainsi, elles ont globalement accès au crédit bancaire. Je souligne les efforts conjoints du ministère des armées, du ministère des finances et de la fédération bancaire française pour s’assurer de l’existence de référents BITD dans chaque banque et faciliter la prise en considération des demandes de financement. Ces PME sont néanmoins confrontées à un sujet spécifique de transformation de leurs résultats en fonds propres, ce qui constitue un défi, au même titre que celui des délais de paiement.
Les autorités françaises font par ailleurs preuve d’une vigilance accrue en matière de conformité, qu’il s’agisse de la DGA ou de la DGT. Dans les différentes instances où nous intervenons, nous veillons à ce qu’il n’y ait pas d’exclusion préalable par principe des domaines de la BITD, ce qui implique que les formulations de la réglementation financière européenne soient suffisamment précises, afin de ne pas laisser place au doute. En effet, en cas de doute ou d’ambiguïté, les départements de la conformité des banques s’engagent dans une interdiction de principe.
M. Thierry Tesson (RN). Les exportations de notre industrie d’armement sont importantes et je note qu’il s’agit d’un petit noyau industriel protégé, probablement parce qu’il bénéficie d’argent public. Nous avons évoqué aujourd’hui les normes américaines ITAR, mais l’on connaît moins les normes allemandes qui émanent de l’Office fédéral de l’économie et du contrôle d’exportation, le Bundesamt für Wirtschaft und Ausfuhrkontrolle (BAFA), qui permettent à l’Allemagne d’exercer une capacité d’embargo. Elles ont ainsi été employées pour les restrictions imposées sur l’Eurofighter et le blindé Guarani.
Compte tenu des coopérations qui nous lient avec notre voisin, le risque d’un blocage de nos exportations existe. C’est d’autant plus préoccupant que le gouvernement fédéral pousse des projets concurrents comme le KF-51 face à l’EMBT ou bloque le montage du canon Ascalon sur le MGCS pour imposer un matériel allemand. Quels armements établis sur les partenariats avec l’Allemagne ont couru par le passé ou pourraient courir dans le futur un risque d’empêchement d’exportation par le BAFA ?
M. Philippe Bonnecarrère (NI). Vous avez fait référence au plan « Action PME ». Dans le souci de solidifier notre base industrielle et nos PME, une attention particulière est-elle accordée à la reconversion de nos sous-traitants automobiles ? Ces entreprises connaissent les machines-outils, ont une culture de la production de masse, de la qualité et du contrôle ; mais elles souffrent aujourd’hui des exceptionnelles difficultés qui affectent le secteur automobile.
M. l’ingénieur général de l’armement Gaël Diaz de Tuesta. Le meilleur exemple du blocage du contrôle export allemand a concerné l’A400M, dont le modèle économique repose d’ailleurs en partie sur l’export. Nous avons pu mobiliser l’accord trilatéral franco-germano-espagnol sur le contrôle des exportations pour faire évoluer cette position allemande et lever les blocages allemands qui avaient été exprimés pour un certain nombre de destinations.
S’agissant des programmes en coopération, la France a érigé une ligne rouge absolue, afin de conserver son système de contrôle export national et régalien. S’agissant des PME, dans le cadre de l’économie de guerre, nous nous sommes tournés vers des industriels habitués à la production en masse. Objectivement, après deux ou trois décennies de paix, ces industriels n’appartenaient pas nécessairement à l’industrie de défense. La DGA a donc abordé les constructeurs automobiles pour bénéficier de leur colossale expérience en matière de production de masse, charge à eux ensuite de répercuter cette impulsion au sein de leur chaîne de sous-traitance.
M. Bruno Berthet. Le bon sens incite effectivement à aider à la reconversion d’un certain nombre d’acteurs. Comme vous le savez, certaines ETI voire certaines PME travaillaient déjà à la fois pour le secteur automobile et le secteur de la défense. Je pense par exemple à une belle ETI, Lisi, qui produit de la visserie de manière indifférente pour l’automobile et pour la défense. Néanmoins, même une société de ce type a besoin d’un peu de temps pour reconvertir une usine dédiée à l’automobile, dans la mesure où les normes et les cadences diffèrent. Il faut donc prévoir un certain nombre de transferts de savoir-faire.
Cela étant, des accompagnements interviennent souvent avec un soutien national de la part de la DGA, mais aussi un accompagnement local. Je pense par exemple à l’organisation qui a été mise en place dans la vallée de l’Arve, site bien connu de la Haute-Savoie, qui subit la crise automobile. Dans ce département, le préfet pilote une action pour accompagner les PME tournées vers l’automobile dans leur reconversion, notamment dans le domaine de la défense. En résumé, il existe là un véritable sujet et l’accompagnement public est essentiel, au-delà de celui des filières et des groupements industriels.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie.
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La séance est levée à onze heures quarante.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, Mme Anne-Laure Blin, M. Frédéric Boccaletti, M. Philippe Bonnecarrère, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. Alexandre Dufosset, Mme Sophie Errante, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, M. Thomas Gassilloud, M. Damien Girard, M. Michel Gonord, Mme Florence Goulet, M. Daniel Grenon, Mme Catherine Hervieu, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Abdelkader Lahmar, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Gisèle Lelouis, M. Didier Lemaire, Mme Murielle Lepvraud, M. Julien Limongi, Mme Lise Magnier, M. Sylvain Maillard, Mme Michèle Martinez, Mme Alexandra Martin, M. Karl Olive, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Marie Récalde, Mme Catherine Rimbert, M. Arnaud Saint-Martin, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Thierry Sother, M. Thierry Tesson, Mme Sabine Thillaye, Mme Corinne Vignon
Excusés. - Mme Delphine Batho, M. Matthieu Bloch, M. Manuel Bompard, Mme Alma Dufour, M. Emmanuel Fernandes, M. Fabien Lainé, Mme Anna Pic, M. Aurélien Pradié, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud