Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

 Audition commune, ouverte à la presse, de M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance, et de Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française, sur la problématique du financement de la BITD (cycle économie de guerre).              2


Mercredi
22 janvier 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 33

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président

 


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La séance est ouverte à neuf heures.

M. le président Jean-Michel Jacques. Nous achevons aujourd’hui notre cycle sur l’économie de guerre avec une audition relative au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD). La préparation à l’économie de guerre nécessite que les entreprises trouvent les financements nécessaires en vue d’adapter et de renforcer leurs outils de production. Cette question du financement est une préoccupation constante de notre commission et a fait l’objet de nombreux travaux parlementaires.

Nous avons constaté une légère amélioration du financement du secteur de la défense ces dernières années. Cependant, nos entreprises de défense souffrent encore trop souvent d’un déficit de financement privé, en dette ou en capital, ce qui entrave leur modernisation et leurs investissements. La création d’un outil de financement spécifique dédié aux PME-PMI de la BITD, comme un nouveau livret d’épargne dédié à l’industrie, est envisagée.

Nous regrettons que les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) soient encore trop souvent interprétés comme excluant l’investissement dans le secteur de la défense. Je considère au contraire que la défense est vertueuse, car elle nous protège et est nécessaire à notre société.

Pour mieux comprendre les difficultés rencontrées et les efforts en faveur des entreprises de la BITD française, nous avons invité deux acteurs importants du financement, représentant les secteurs privé et public.

Madame Maya Atig, directrice de la Fédération bancaire française et directrice générale de l’Association française des banques et Monsieur Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance en charge de l’international, de la stratégie, des études et du développement.

Je note également que la Commission européenne avance sur le soutien de la BITD européenne, notamment à travers la proposition de règlement établissant un nouveau programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP). Cependant, la question du financement des projets de défense soulève des divergences entre les États membres sur la définition des critères d’éligibilité. La France souhaite s’assurer que l’argent du contribuable européen ne servira pas à financer l’achat d’équipements étrangers, notamment américains.

Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française. Notre collaboration sur ce sujet a débuté avec l’audition par la mission flash sur le financement de la base industrielle et technologique de défense en décembre 2020.

Je tiens à affirmer clairement que les banques françaises ont été et resteront des partenaires de long terme du secteur de la défense. Notre position sur les questions de souveraineté est constante. La France est l’un des rares pays où plus de 90 % du financement de l’économie, des ménages et des entreprises repose sur des sociétés dont le centre de décision est en France. Cette base de financement nationale est un atout majeur pour notre souveraineté.

Nous sommes cohérents dans notre approche, défendant la souveraineté pour notre secteur et pour les autres. Nous sommes d’ailleurs quasiment la seule fédération bancaire européenne à être intervenue dans le débat européen que vous avez mentionné, Monsieur le président, en affirmant clairement cet engagement.

Concernant les critiques adressées à notre secteur, je souhaite y répondre de manière offensive. On nous a qualifiés de frileux, discriminants ou encore de Bisounours. On a évoqué des problèmes de compliance, d’ESG, et des difficultés systémiques. Certaines de ces critiques sont infondées, d’autres méritent d’être travaillées.

Il est important de ne pas nier l’existence de difficultés ponctuelles dans le financement, notamment dans l’attribution de prêts. Pour y répondre, nous avons mis en place, à la demande de l’industrie et sur proposition des assemblées parlementaires, des référents défense dans les différentes banques. Ces référents sont en contact direct avec les secteurs professionnels ou la direction générale de l’armement (DGA). Sur les quelques dizaines de dossiers remontés à la DGA, seuls treize posaient de réelles difficultés, et tous ont pu être traités.

Notre métier est de gérer les risques, et nous le faisons de manière professionnelle, que ce soit dans le secteur de la défense ou pour toute autre entreprise. Lorsqu’un crédit est demandé, de nombreux facteurs sont analysés.

Concernant les PME du secteur, nous manquons actuellement d’un diagnostic économique global, ne disposant pas nous-mêmes d’une base de données exhaustive sur leur situation.

La direction générale de l’armement et Bercy mèneront cette étude. Les entreprises de la base industrielle et technologique de défense sont fortement endettées, ce qui suggère un accès aux prêts, mais elles manquent de fonds propres. Elles ont choisi de produire en France malgré des coûts potentiellement plus élevés, ce qui a des conséquences. Leurs cycles de production exigeants et les flux de trésorerie irréguliers, notamment dans les chaînes de sous-traitance, compliquent la consolidation de leur position financière.

Certaines entreprises de la BITD sont réticentes à ouvrir leur capital, préférant maximiser leur ratio d’endettement sur fonds propres. Il n’existe pas actuellement d’instrument large permettant aux investisseurs particuliers fortunés d’investir facilement dans ces entreprises. L’épargne populaire et des classes moyennes est orientée vers des produits sans risque, incompatibles avec l’investissement en actions nécessaire pour ces entreprises. Même avec des garanties publiques importantes, il est difficile de réorienter cette épargne vers des investissements plus risqués.

Il faut donc se tourner vers des catégories d’épargnants plus aisés, capables d’investir dans les entreprises. La difficulté principale du secteur réside dans le financement, particulièrement en fonds propres, plutôt que dans l’accès au crédit. Nous encourageons publiquement les entreprises à dialoguer avec leurs banquiers, nos référents défense étant à disposition pour faciliter ces échanges.

Concernant les critères ESG, il est crucial d’être précis dans les termes utilisés. Par exemple, la notion d’« armes controversées » doit être clairement définie comme se référant aux armes interdites par les traités internationaux auxquels la France a souscrit. Nous travaillons à clarifier ces définitions dans les textes européens et nos politiques internes pour éviter toute ambiguïté.

Il existe effectivement certains investisseurs internationaux qui, pour des raisons géopolitiques ou autres, préfèrent ne pas investir dans le secteur de la défense. Il est important de proposer une offre diversifiée qui réponde à ces préoccupations tout en maintenant que l’investissement dans la défense est normal et fait partie de notre souveraineté financière.

M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance. Chez Bpifrance, notre vision du financement de la BITD s’inscrit dans un contexte très dynamique depuis 2022. Le marché mondial de la défense connaît une forte croissance, marquant la fin de la période post-guerre froide. La loi de programmation militaire (LPM) a considérablement changé la donne, offrant une visibilité à long terme, notamment pour les grands industriels de l’armement.

Cependant, la BITD, en particulier les sous-traitants, doit s’adapter à cette nouvelle réalité. Des études menées sur les entreprises de la BITD il y a quelques années révèlent que ces entreprises sont plus endettées et disposent de moins de fonds propres que leurs homologues d’autres secteurs industriels. Elles font face à des modalités de paiement parfois structurellement plus difficiles.

Dans le cadre de l’économie de guerre, un travail important sur l’outil industriel est nécessaire. Il faut exploiter la visibilité offerte par la LPM, simplifier les produits, sécuriser les ressources humaines et les chaînes d’approvisionnement, enfin favoriser l’accès au financement privé.

Un autre objectif majeur est l’intégration des start-up technologiques dans la BITD, impulsée notamment par la création de l’Agence d’innovation de défense (AID). Des innovations importantes pour la Défense émergent dans des domaines civils tels que le New Space, le quantique, ou la blockchain.

Dans ce contexte, Bpifrance accompagne le développement des entreprises de la BITD à travers un continuum de défense, couvrant les enjeux structurels, l’export, l’innovation et la croissance mais aussi des enjeux plus récents liés à l’augmentation des cadences comme la réduction des goulots d’étranglement. Nous disposons d’une gamme complète de solutions de financement, d’investissement, d’assurance export et de conseil, accessibles à toutes les entreprises de la BITD, sans restriction hormis les accords internationaux français sur les armes controversées.

Notre doctrine d’intervention, approuvée par l’Assemblée nationale en 2013, inclut pleinement les activités de défense. Nous avons développé un continuum pour la Défense, en partenariat avec la DGA, qui inclut des outils spécifiques tels que les fonds Definvest et Innovation Défense, les prêts Déf’fi et Article 90, un accélérateur spécialisé dans la défense, et des diagnostics dédiés.

Nous sommes actionnaires d’environ soixante-dix entreprises de défense, bien que la plupart ne soient pas exclusivement dédiées à ce secteur. Le fonds Definvest cible les entreprises considérées comme stratégiques par la DGA, tandis que le fonds Innovation Défense se concentre sur les innovations potentiellement utiles à la défense.

L’accélérateur défense a été créé l’année dernière en collaboration avec la DGA. Il s’agit d’un accompagnement non financier de trente entreprises considérées comme sensibles par la DGA, qui doivent augmenter leur cadence de production. Pendant douze mois, nous les accompagnons méthodologiquement pour optimiser leur fonctionnement. Le taux de satisfaction des entreprises participantes est extrêmement élevé.

Nous avons également lancé une initiative de porte-à-porte auprès de 1 000 entreprises de la BITD pour leur proposer notre aide en matière de financement et d’accompagnement. Il est important de noter que nos interventions en prêts se font toujours en partenariat avec une banque privée.

L’année dernière, nous avons dépassé 1,2 milliard d’euros d’investissements, de financement et d’accompagnement dans le secteur de la défense, hors grands groupes. Cela représente presque un doublement depuis 2018. Ces chiffres n’incluent pas l’assurance export, qui représente une activité très importante, oscillant entre 10 et 20 milliards d’euros.

Concernant les enjeux ESG, je considère que le financement des activités de défense y participe pleinement. La défense est essentielle à la préservation de nos valeurs et de notre continent. Il existe cependant un décalage entre cette réalité et la perception de certains investisseurs ou organismes financiers.

Au niveau européen, nous constatons un manque de cohérence entre les différents pays sur ce sujet. Le Parlement européen a un rôle crucial à jouer. La nouvelle Commission européenne semble alignée sur ces enjeux, comme en témoignent les récentes nominations de Commissaires. Cependant, il reste du travail à faire, notamment concernant la doctrine de la Banque européenne d’investissement (BEI).

M. le président Jean-Michel Jacques. Il serait intéressant que vous nous communiquiez les noms des banques qui ne soutiennent pas suffisamment le secteur de la défense. Cette information permettrait à nos concitoyens de faire de manière éclairée le choix de leur banque, en tenant compte de ce critère de patriotisme économique.

Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française. Il est important de nuancer le propos. Le paysage bancaire français est dominé par six groupes qui représentent environ 90 % de l’activité. Les banques qui ne travaillent pas avec le secteur de la défense le font rarement pour des raisons ESG, mais plutôt par manque de capacité à accompagner correctement ces clients spécifiques.

M. le président Jean-Michel Jacques. Votre réponse me semble « noyer le poisson ». Il serait plus transparent de nommer clairement les banques qui ne soutiennent pas le secteur de la défense et ne jouent pas le jeu. Les citoyens ont le droit de connaître les valeurs portées par leur banque, y compris leur position sur le financement du secteur de la défense.

Thierry Tesson (RN). Malgré les discours rassurants, il semble que les banques privées restent frileuses pour investir dans ce secteur stratégique, notamment en raison des craintes liées à l’image et aux critères ESG. Nous avons plusieurs exemples concrets de cette réticence :

1. Un sous-officier vétéran s’est vu refuser l’ouverture d’un compte professionnel par BNP Paribas et la Bred Banque populaire pour un projet validé par le ministère.

2. Une entreprise française de drones à usage dual a été dissuadée par BNP Paribas de s’adresser au marché de la défense, sous peine de perdre tout accompagnement financier.

3. Lors de la fourniture de pick-up non armés au G5 Sahel, aucune banque française n’a accepté de financer l’opération. Ce sont finalement la Deutsche Bank et Al Arabiya Bank qui ont pris le relais.

Ces exemples illustrent une tendance inquiétante parmi les grandes banques françaises telles que Bred Banque populaire, BNP Paribas, LCL, Société Générale, Crédit du Nord, etc.

Ma question est donc la suivante : quelles mesures comptez-vous prendre pour encourager les banques privées à soutenir notre base industrielle et technologique de défense ?

Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française. Je tiens à souligner l’importance de transmettre ces exemples aux référents de défense. Les dirigeants des banques concernées suivent ces sujets de très près. Concernant l’escalade individuelle, je suis étonnée qu’on refuse de suivre quelqu’un travaillant dans le secteur de la défense en général, car BNP Paribas, que vous avez citée, est l’un des principaux financeurs du secteur. Il est crucial de comprendre chaque cas individuel.

La question de la concurrence européenne et de la place d’autres banques est très instructive. Les banques françaises sont plus nombreuses dans ce secteur, mais ce n’est pas un marché fermé. On peut avoir des stratégies de conquête de nouveaux clients, en étant présent là où d’autres ne le sont pas ou en proposant de meilleurs prix.

Nous avons eu des cas où des entreprises nous ont signalé que des banques étrangères leur proposaient de meilleurs prix que les françaises. C’est positif d’une certaine manière, mais il faut veiller à ne pas s’aligner sur des prix trop bas ne permettant pas de couvrir le prêt. C’est pourquoi il est important d’examiner chaque cas individuellement.

Concernant la sensibilisation, M. Lagarde a mentionné un engagement de 1,2 milliard pour Bpifrance, incluant investissement, financement et accompagnement. Je n’ai pas de chiffre aussi précis pour l’ensemble des banques, car il n’existe pas de classification spécifique pour la défense. Les estimations basées sur quelques noms connus, y compris des PME, s’élèvent à plusieurs dizaines de milliards d’engagements pour l’ensemble des banques.

Nous rappelons les questions d’interprétation du terme « armes controversées » et la sensibilité du sujet. Tous nos adhérents sont au courant de cette audition et répondront individuellement. Ils sont à la disposition des parlementaires et des associations professionnelles.

Le message essentiel est qu’il ne faut pas se diviser sur ce sujet. Il faut regarder vers l’extérieur et l’Europe, et agir ensemble. Toutes ces banques travaillent avec le secteur de la défense et sont prêtes à traiter les situations individuelles en fonction de la qualité des dossiers, et non du secteur en général.

M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance. Concernant le rôle de Bpifrance pour aider les banques privées à servir les besoins financiers de la BITD, nous sommes tout à fait disposés à garantir leurs prêts. Nous pouvons également intervenir en co-financement avec les banques privées sur des prêts moyen-long terme, à 50/50, partageant ainsi le risque. Nous disposons aussi d’un outil de court terme important dans le domaine de la défense, notamment pour répondre à la problématique des délais de paiement.

L’export pose un problème particulier, surtout pour le financement d’opérations dans des pays ayant une image mitigée, notamment pour de petites opérations en Afrique. Nous essayons de résoudre ce problème à travers l’assurance export et les crédits export de Bpifrance. Nous finançons les acheteurs de produits français dans des géographies complexes, comme récemment des bateaux dans un pays africain.

Nous avons une limite haute à notre capacité d’engagement dans ces crédits export, et nous proposons depuis un certain temps de la relever, notamment pour le domaine de la défense dans ces géographies compliquées. C’est important car il existe un problème d’image réel concernant certains pays pour les banques privées.

M. Karl Olive (EPR). La BITD est un moteur économique et stratégique crucial, créant plus de 210 000 emplois directs et indirects. C’est l’un des rares secteurs à contribuer positivement à la balance commerciale. La loi de programmation militaire, dotée de 413 milliards d’euros, témoigne de la volonté de soutenir notre BITD et de bâtir une véritable économie de guerre.

La création de deux fonds d’investissement gérés par Bpifrance, Definvest et Innovation Défense, totalisant 300 millions d’euros, s’inscrit dans cette démarche. Cependant, ce montant reste modeste comparé aux initiatives américaines, comme la start-up Anduril qui a levé plus d’1,4 milliard de dollars en 2022.

La dépendance de notre industrie envers les financements publics est préoccupante, d’où l’importance d’impliquer des partenaires privés comme les banques et les fonds d’investissement. La mission flash de notre collègue Jean-Louis Thiériot a identifié plusieurs freins à l’investissement privé : les contraintes de la loi Sapin 2, les critères ESG tendant à exclure la BITD, le rôle prépondérant de l’État et les risques perçus liés au cycle long de production.

Dans ce contexte, renforcer les capacités d’investissement des entreprises de la BITD, particulièrement les PME, est vital. Mes questions sont les suivantes :

1. Quels leviers pourrions-nous envisager pour diversifier les sources de financement de la BITD, notamment en faveur des PME ?

2. Comment évaluez-vous l’écart entre la dotation des fonds gérés par Bpifrance et les montants levés par les initiatives américaines ?

3. Quelles mesures proposeriez-vous pour mobiliser davantage les partenaires privés et ainsi compléter les financements publics ?

M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance. Je suis d’accord avec votre remarque sur le montant des fonds d’investissement spécialisés en France. Comparés à nos alliés américains, nous avons des années-lumière de retard sur ce qu’ils peuvent investir. Cela pose des problèmes pour les entreprises classiques de la BITD, mais aussi pour les technologies d’avenir comme l’intelligence artificielle et le quantique, sur lesquelles de nombreux acteurs américains se positionnent en Europe.

Pour le fonds Innovation défense, nous l’avons ouvert à des investisseurs privés pour créer un effet de levier. Nous avons déjà des engagements, notamment d’un groupe allemand. Il y a peu de fonds privés spécialisés dans la défense sur le marché, et ceux qui existent ont eu des difficultés à lever des fonds. C’est un problème de culture des grands investisseurs institutionnels français et européens, qui ont parfois des doctrines excluant le secteur de la défense.

Ce problème se situe au niveau des asset owners, qui peuvent avoir des politiques difficiles à concilier avec le monde de la défense. Certains, comme les fonds souverains du Golfe, n’ont aucune limite dans ce domaine. À l’opposé, le groupe BEI a évolué positivement mais sa doctrine reste limitée, notamment pour la fabrication d’armes et de munitions.

Cette situation pose des problèmes complexes pour les fonds d’investissement, car il est difficile de déterminer si une PME ou une start-up sera cliente d’un fabricant d’armes après plusieurs niveaux de sous-traitance. Ces questions devraient être harmonisées au niveau européen.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Au nom de mon groupe, je tiens à souligner que les problèmes de financement de la BITD sont indissociables de ceux de l’économie réelle en général. Je note avec amusement que les défenseurs du libre-échange se rendent compte que le marché n’est pas toujours le plus adapté, notamment pour le financement de l’industrie de défense. Les armes ne sont pas des marchandises comme les autres, car elles touchent à la souveraineté des États et la recherche du profit peut alimenter la course aux armements.

Nous constatons aujourd’hui les difficultés liées à la privatisation du secteur, engagée il y a une trentaine d’années. Ce choix n’était pas inévitable et nous en payons les conséquences.

J’ai deux questions précises. Premièrement, comment Bpifrance travaille-t-elle en coordination avec le Comité interministériel de restructuration des industries (CIRI) et l’Agence des participations de l’État ? Deuxièmement, à Madame Atig, quelle est la position de la Fédération bancaire française sur le financement de la défense, notamment par les obligations convertibles en actions (OCA) et les obligations à bons de souscription d’actions (OBSA) ?

M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance. Il existe un partage des tâches entre le CIRI et nous. Bpifrance intervient en économie de marché, tandis que le comité interministériel de restructuration industrielle agit de manière plus directe et urgente sur les entreprises en grande difficulté. Notre doctrine ne nous permet pas d’intervenir directement sur ces entreprises, notamment en raison du droit européen.

Nous travaillons néanmoins avec le Trésor et les armées pour trouver des solutions, parfois en influençant ou en collaborant avec des donneurs d’ordre proches de Bpifrance. L’outil que nous utilisons souvent dans ces situations est le crédit court terme, qui permet de redonner du souffle aux entreprises.

Nous avons un système de travail avec le ministère des armées et le CIRI qui nous permet d’être systématiquement informés dans ce genre de cas. L’Agence des participations de l’État (APE) siège à notre conseil d’administration, donc nous travaillons en étroite collaboration également avec elle.

Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française. Votre question complète celle de Monsieur Olive. Il est important pour les entreprises d’avoir accès à différents instruments financiers : crédits bancaires classiques, crédits syndiqués, obligations convertibles en actions, et divers titres. Les obligations convertibles en actions sont souvent difficiles à mettre en place pour les PME, bien qu’elles puissent fonctionner pour les grandes entreprises. Pour les PME, ces produits sont complexes et peu accessibles aux épargnants individuels. Néanmoins, les OCA font partie de la palette de propositions disponibles.

M. Sébastien Saint-Pasteur (Soc). Il est important de noter l’évolution positive depuis 2020 concernant l’accès au crédit et l’attractivité des entreprises du secteur. Parmi les dix-huit recommandations formulées dans un récent rapport sénatorial, certaines ont été mises en œuvre, comme la création du fonds Definvest en 2018 et l’accélérateur défense.

Une proposition qui mérite notre attention est la création d’un livret d’épargne défense. Madame Atig, vous avez évoqué la difficulté d’orienter l’épargne des particuliers vers ce type d’investissement. Je pense que cela pourrait contribuer à éveiller un esprit de défense chez les citoyens. Que pensez-vous de cette idée ? Faut-il envisager d’autres outils financiers innovants ? Ou serait-il pertinent d’adapter la fiscalité de l’assurance-vie pour mieux orienter une partie des 300 milliards d’euros d’épargne privée vers le secteur de la défense ?

Par ailleurs, on constate que les grands groupes du secteur se portent bien sur les marchés financiers. Comment pourrait-on, selon vous, faciliter l’accès des très petites entreprises (TPE) du secteur de la défense aux investissements des petits épargnants ?

Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française. Je tiens à préciser que nous ne prétendons pas que tout se porte parfaitement bien. Nous cherchons des solutions là où des problèmes persistent.

Le fléchage de l’épargne est une idée répandue mais difficile à mettre en œuvre. Les épargnants sont habitués à des produits simples, souvent défiscalisés et peu risqués comme le plan d’épargne en actions (PEA), le livret A ou le plan d’épargne-logement. Le défi réside dans le fait que les épargnants sont peu enclins à faire des choix actifs d’investissement.

Actuellement, l’épargne est utilisée en grande partie par la Caisse des dépôts pour des usages d’intérêt général et par les banques pour financer l’économie, y compris les PME de la défense. Créer un produit spécifique pour la défense, comme un livret A dédié, ne résoudrait pas nécessairement les problèmes de financement des fonds propres et de l’innovation, car ces fonds sont peu orientés vers le risque.

Les fonds défense existants lèvent principalement des capitaux auprès d’investisseurs institutionnels. Il est complexe d’attirer les particuliers vers ces produits à risque. Une solution pourrait être de développer davantage de fonds défense accessibles au grand public et éligibles au PEA, ce qui leur donnerait une meilleure visibilité.

Il faut également noter que le livret A contribue déjà au financement de la défense, bien que dans une proportion difficile à quantifier précisément. À l’avenir, nous pourrions envisager des fonds plus nombreux, mais avec un régime fiscal similaire au PEA et intégrés à celui-ci.

M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance. Je souhaite ajouter deux points complémentaires.

Premièrement, en tant que copilote des travaux autour de la défense au sein de la Caisse des dépôts, je peux témoigner d’une forte dynamique dans ce domaine depuis quelques années. Le groupe, que ce soit avec ou sans le livret A, manifeste une volonté importante d’investissement, notamment dans les infrastructures et les entreprises du secteur de la défense.

Deuxièmement, nous avons développé chez Bpifrance un outil appelé Bpifrance Entreprises, qui en est à sa troisième génération. Ce produit permet aux Français d’investir, à partir de 500 euros, dans un portefeuille de fonds d’investissement qui soutiennent l’industrie française, y compris le secteur de la défense. Bien que les montants restent modestes (environ 100 millions d’euros par génération), ils démontrent qu’il est possible d’intéresser les particuliers au capital-investissement, y compris dans le domaine de la défense, sans avantage fiscal spécifique. Cette approche pourrait être une piste intéressante pour améliorer nos capacités de levée de fonds dans le secteur non coté, y compris pour la défense.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). En mai 2024, le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a averti les banques qui continuaient de bloquer les financements de PME de la défense en lien avec l’armement nucléaire. Actuellement, la majorité des banques françaises mutualistes, dont le Crédit Agricole, le groupe BPCE et le Crédit Mutuel, ainsi que des banques d’investissement comme BNP Paribas et la Société Générale, financent des industries de défense. Certaines ont publié des politiques sectorielles défense et sécurité, prétendument compatibles avec leurs objectifs de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Cependant, les banques sont soumises au respect et à la publication de critères extra-financiers, notamment le reporting ESG et RSE, qui servent à communiquer sur les aspects financiers, sociaux, environnementaux et de gouvernance de leurs activités. Quel regard portez-vous sur l’intégration de la finance verte pour la BITD ?

Je précise que le groupe écologiste s’était opposé à la proposition de loi visant à financer les entreprises françaises de la défense via les livrets A et de développement durable et solidaire, votée au Sénat en mars 2024. Nous défendons la réorientation de l’épargne populaire vers des projets socio-écologiques, dont l’urgence climatique est évidente.

Enfin, nous sommes favorables au maintien d’un contrôle public sur la BITD. Comment conciliez-vous investissement public et privé pour la BITD ?

Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française. Nous avons constamment demandé qu’il n’y ait pas de traitement spécifique et excluant de la défense, contrairement à la vision initiale des autorités européennes qui considéraient que le secteur ne pouvait pas entrer dans un cadre ESG positif. Compte tenu de l’impact de la défense sur la souveraineté et la liberté de notre continent, il faut évaluer les critères de pollution et les questions sociales pour la défense comme pour les autres secteurs, plutôt que de l’exclure d’emblée. Nous pensons qu’il y a une compatibilité.

Concernant le contrôle public, la structure de la base industrielle et technologique de défense, composée de 4 000 PME et de quelques grandes entreprises, démontre une vitalité et une diversité d’activités, y compris dans le civil. Une logique de nationalisation serait incompatible avec le maintien de cette vitalité.

M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance. Il n’y a pas d’incompatibilité entre l’application des principes RSE-ESG et la BITD. Chez Bpifrance, nous pensons qu’un plan de réindustrialisation de la France ne peut pas se faire sans un plan climat. La réindustrialisation passe par l’innovation et le verdissement, une vision partagée par de nombreux entrepreneurs et PME. Nos enquêtes de conjoncture montrent que, malgré une baisse des investissements due au ralentissement des commandes, ceux dans la décarbonation sont restés stables. Cet aspect démontre une prise de conscience et une nécessité dans toute la chaîne industrielle, notamment sur les questions climatiques, qui sont sans doute les plus sensibles dans ce domaine.

M. le président Jean-Michel Jacques. En complément, je rappelle que, lors de la loi de programmation militaire, nous avons voté pour valoriser l’engagement des réservistes dans les entreprises au sein des critères ESG. Cela illustre comment la défense peut être mise en valeur à travers ces critères, un aspect parfois mal compris.

M. Fabien Lainé (Dem). En cette période d’investiture de Donald Trump comme quarante-septième président des États-Unis, il est intéressant de comparer les différences culturelles entre l’Europe et les États-Unis. Les États-Unis considèrent leur armée comme un acteur central dans la défense de la liberté et des droits démocratiques à travers le monde, tandis que les pays européens ont longtemps perçu la défense comme une simple variable d’ajustement budgétaire.

Bpifrance a récemment doublé ses financements pour la BITD, ce qui est positif. Cependant, Madame Atig, nous n’avons pas obtenu de réponse claire sur les groupes bancaires qui financent la BITD, notamment les petites entreprises et les start-up indispensables. Compte tenu de la situation géopolitique actuelle et des menaces aux frontières de l’Europe, ce sujet ne peut être traité à la légère. Parmi les six principaux groupes bancaires français – BNP Paribas, Banque populaire avec la Caisse d’épargne, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Société Générale, et Banque Postale – pouvez-vous nous indiquer, proportionnellement à leur chiffre d’affaires et leurs engagements, lesquels prêtent le moins et le plus à la BITD ? C’est une information que les parlementaires de la commission de défense sont en droit de recevoir.

Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française. Je dispose de peu de chiffres précis, car il n’existe pas de code spécifique identifiant les entreprises du secteur de la défense, beaucoup ayant des activités duales. Néanmoins, je peux vous dire que les financements s’élèvent a minima à 40 milliards d’euros en crédits pour les groupes que vous avez cités. Ce chiffre inclut différents types de financements et de soutiens, mais je ne peux pas vous donner la proportion exacte par rapport au bilan de chaque banque. Il faut comprendre que chaque institution bancaire a sa propre stratégie et empreinte. Par exemple, Banque populaire ou Caisse d’épargne est plus orientée vers les PME, les commerçants et artisans, tandis que BNP Paribas ou Société Générale servent davantage des entreprises internationales. L’important est de comprendre que chaque banque est engagée. La plupart des banques publient des politiques sectorielles de risques, expliquant ceux qu’elles sont prêtes à prendre sur un secteur donné, bien que cela ne soit pas toujours mis en avant d’un point de vue commercial.

Une autre banque du groupe Crédit Mutuel présente sa politique de risque et de soutien de manière plus commerciale. Je pense que les meilleures pratiques vont progressivement s’imposer. Les 40 milliards mentionnés sont répartis entre toutes ces banques, et ce chiffre pourrait être plus élevé car nous avons pris la version minimale pour chacune. Sur environ 1 300 milliards de prêts aux entreprises, ces 40 milliards représentent près de 3 %, alors que la défense ne représente que 2 % de l’économie. Ces indications collectives apportent déjà une première réponse.

M. le président Jean-Michel Jacques. J’ai examiné les déclarations de ces six groupes bancaires. Le Crédit Mutuel Arkéa affirme clairement son soutien à la défense, tout en précisant les armes exclues. En revanche, le Crédit Agricole ne mentionne que la vigilance, l’évaluation des risques et les exclusions. Ce n’est pas une question de marketing, mais de patriotisme. Nous, parlementaires, attendons un soutien patriotique des banques françaises envers notre BITD.

Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française. Je vous assure du soutien patriotique des banques pour la BITD. Nos dirigeants, dont Jean-Laurent Bonnafé, Philippe Brassac, Daniel Baal, Stéphane Dedeyan, Nicolas Namias et Slawomir Krupa, ne comprennent pas pourquoi leur patriotisme est remis en question. Ils expriment leur soutien à la BITD.

M. le président Jean-Michel Jacques. Nous serions rassurés s’ils l’écrivaient noir sur blanc.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Les banques privées utilisent des outils classiques d’analyse des dossiers, principalement la mesure du niveau de risque et l’atteinte d’un niveau optimal de rentabilité financière. Vous avez évoqué la souveraineté financière, un terme nouveau pour moi. Comment concilier souveraineté stratégique et souveraineté bancaire, notamment à l’approche de la nouvelle revue stratégique ? Comment intégrez-vous ces notions ?

Concernant la coopération industrielle européenne évoquée par le président de la République, comment envisagez-vous les financements ? Enfin, vous avez indiqué que la France et les autres pays européens n’étaient pas alignés sur la notion de souveraineté bancaire. Ne sommes-nous pas plutôt isolés ?

Mme Maya Atig, directrice générale de la fédération bancaire française. Notre relatif isolement s’explique par le fait que peu de pays ont autant de grandes banques sur leur territoire et un financement de l’économie assuré à 90 % par des banques nationales. En France, six grands groupes financent la défense et d’autres secteurs. Dans d’autres pays, on trouve une ou deux grandes banques et une multitude de petites banques plus spécialisées. L’idée d’avoir de grands établissements bancaires performants à l’international est partagée par peu de pays. Les règles bancaires internationales impactent davantage les banques européennes que les américaines ou britanniques.

La souveraineté financière implique de maintenir des acteurs de poids sur le territoire national et européen, assurant une autonomie stratégique. Concernant le projet de souveraineté que vous mentionnez, nous n’y sommes pas associés malgré nos contacts réguliers avec le ministère de la défense.

M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance. Pour illustrer l’importance de la souveraineté bancaire, je siège au conseil d’administration de l’équivalent de Bpifrance en Lituanie. Dans ce pays, il n’existe aucune banque nationale, toutes ayant été rachetées par des pays nordiques. La façon de travailler sur l’industrie et la défense y est très différente de la France. Ce type de discussion que nous avons ici n’y serait même pas envisageable. L’absence de grandes banques nationales a un impact significatif.

M. Matthieu Bloch (UDR). Il serait pertinent d’envisager une mission flash sur le financement de l’industrie de défense, afin d’obtenir un panorama complet des pratiques en vigueur.

Monsieur Lagarde, le secteur de la défense représente l’un des derniers grands avantages comparatifs de la France dans l’économie mondiale. Malgré un déficit commercial important, la France demeure la troisième puissance exportatrice d’armes. Cependant, la résilience financière des entreprises de la BITD est cruciale pour maintenir notre fleuron industriel.

Ces entreprises font face à un double défi : d’une part, des avancées technologiques rapides nécessitant des investissements massifs en recherche et développement et, d’autre part, une nouvelle cadence de production imposée par le contexte géopolitique. Les PME, qui constituent 75 % de la BITD, doivent s’adapter à ce rythme frénétique, mais sont confrontées à un assèchement des liquidités dû à la réticence des investisseurs privés.

Mes questions sont les suivantes : Quels mécanismes Bpifrance met-elle en place pour assurer la résilience financière des entreprises de la BITD, en particulier les PME, dans ce contexte de course technologique ? Quelles actions sont entreprises pour éviter une dépendance excessive aux capitaux étrangers, qui pourrait compromettre notre autonomie stratégique ?

M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance. Nous travaillons en étroite collaboration avec la DGA pour répondre à trois enjeux majeurs : la stabilité financière des entreprises classiques, l’innovation et l’augmentation des cadences de production.

Nous utilisons pleinement nos instruments existants et avons mis en place des fonds spécialisés d’investissement pour attirer le marché privé du financement en capital dans ce secteur. Notre rôle de spécialiste et nos liens privilégiés avec le ministère des armées rassurent les co-investisseurs.

Nous travaillons actuellement sur plusieurs projets avec le ministère des armées, bien que les contraintes budgétaires de l’État imposent des arbitrages. Pour soutenir les entreprises les plus fragiles de la BITD, nous pourrions nous inspirer des outils comme les OCA et OBSA que nous avons mis en place en période post-COVID, évitant ainsi de sous-valoriser les entreprises ayant besoin de fonds propres.

Nous adoptons également une approche proactive en allant directement à la rencontre des entreprises de la BITD. Nos chargés d’affaires en région prennent l’initiative de contacter ces entreprises pour leur présenter les solutions de financement disponibles, conscients que certains entrepreneurs peuvent être réticents à l’idée de recourir à des financements extérieurs.

M. Frank Giletti (RN). Je souhaite aborder le financement de la BITD des différents pays de l’Union européenne, un sujet qui n’a pas été évoqué ce matin. Le président de la République a appelé à une préférence européenne en matière d’armement. Cependant, nous constatons que l’ancien commissaire Thierry Breton, en charge des questions de défense et défenseur de la souveraineté européenne, rejoint une banque américaine comme lobbyiste.

Dans ce contexte, j’aimerais avoir votre avis sur l’activité et l’ingérence des banques américaines au sein de l’Union européenne. Quel est leur rôle dans le financement du marché de l’armement sur notre continent ? Leur activité ne contredit-elle pas l’autonomie européenne et la préférence européenne en matière d’armement ?

M. Pascal Jenft (RN). Nos industries de défense sont poussées à être plus productives, notamment par nos engagements envers l’OTAN qui nous imposent de consacrer 2 % de notre PIB à la défense, avec une possible augmentation à 3 % souhaitée par Donald Trump. Parallèlement, l’Union européenne incite à investir dans d’autres domaines comme l’écologie, ce qui peut détourner certains investisseurs de la défense.

La question pour nos industriels de la défense est de savoir si leurs investisseurs peuvent adapter leur financement et, sinon, comment obtenir des fonds supplémentaires. Existe-t-il un risque sérieux d’immixtion d’influence étrangère via un appel à des investisseurs étrangers ? Les banques peuvent se montrer réticentes à financer l’industrie d’armement, d’autant que d’autres secteurs réclament également des investissements importants.

M. Bernard Chaix (UDR). Depuis 2017, plus de 25 milliards de dollars de capitaux privés ont été mobilisés dans le secteur de la défense aux États-Unis. En France, seuls deux fonds d’investissement ont choisi d’investir dans la BITD : Weinberg Capital et Tikehau Capital. Malgré cet engagement, nos entreprises restent sous-financées. Il est difficile d’estimer le montant exact des capitaux mobilisés, mais ils se comptent probablement en centaines de millions d’euros, voire quelques milliards au maximum. Face au réarmement mondial et à la course technologique du secteur, ces montants paraissent très modestes, et le contraste avec les États-Unis est inquiétant. Quels sont, selon vous, les principaux obstacles dissuadant les investisseurs privés de s’engager dans ce secteur et comment y remédier ? Comment la Fédération bancaire française envisage-t-elle de sensibiliser ses acteurs au caractère stratégique et patriotique de ces investissements pour notre souveraineté nationale ?

M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance. Concernant l’ingérence étrangère dans le domaine de la BITD, je rappelle que l’intégralité de ce secteur est soumise à la réglementation sur les investissements étrangers en France (IEF), avec une surveillance particulière pour le secteur de la défense. Bien que Bpifrance n’en fasse pas directement partie, nous sommes associés et consultés sur ce sujet. Des systèmes de protection existent, même s’ils ne sont pas toujours parfaits.

Pour répondre à votre question, Monsieur le député, il y a effectivement deux fonds privés spécialisés dans le domaine de la défense. Bpifrance est investisseur dans ces fonds et les soutient. Le groupe Caisse des dépôts, notre maison mère, a également co-investi à nos côtés pour soutenir ces fonds, ce qui est exceptionnel pour le secteur de la défense.

Quant à la réticence des investisseurs institutionnels, je pense qu’il y a d’abord des problèmes culturels. Ce sont des domaines peu connus. De plus, certains ont dans leur doctrine une exclusion du secteur de la défense. Ce problème de doctrine a été largement résolu en France pour les intermédiaires, mais il persiste au niveau des asset owners, c’est-à-dire les investisseurs qui financent les fonds et les banques. Il n’est en effet pas encore complètement résolu.

M. Thibaut Monnier (RN). La BITD en France est cruciale pour notre souveraineté nationale, mais son financement présente plusieurs défis pour notre autonomie stratégique. La BITD dépend fortement des contrats étatiques, la rendant vulnérable aux changements politiques. Les retards de financement et les annulations de programmes peuvent avoir des conséquences graves sur les opérations des entreprises. De plus, nos entreprises doivent rivaliser avec des géants mondiaux disposant de ressources financières considérables et d’un solide soutien étatique. Il est essentiel que nos entreprises puissent anticiper la production et l’industrialisation de leurs produits. Comment la France peut-elle améliorer la prévisibilité du financement de la BITD pour surmonter ces défis ?

Mme Florence Goulet (RN). Le besoin de financement de la BITD est plus que jamais d’actualité. De nombreuses entreprises rencontrent des difficultés à se financer, notamment en raison de la frilosité des banques et des investisseurs face aux exigences de la conformité bancaire et de la taxonomie verte européenne. Ces industries sont jugées trop risquées au regard des critères ESG.

À l’inverse, les États-Unis n’ont pas hésité à investir en Europe. Par exemple, la part des investisseurs institutionnels américains dans le capital de Thales est passée de 25 % en 2017 à 42 % en 2022, au détriment des Européens qui sont passés de 40 % à 28 % sur la même période. Quelles solutions pourrions-nous mettre en œuvre pour que notre industrie de défense puisse se battre à armes égales avec nos concurrents internationaux ? Que pensez-vous d’initiatives privées telles que SouvTech Invest, la plateforme de financement participatif dédiée aux start-up pour soutenir l’innovation et aux PME-ETI (entreprise de taille intermédiaire) pour la réindustrialisation ?

Mme Maya Atig, directrice de la fédération bancaire française. L’amélioration de la prévisibilité de l’État dépend essentiellement du respect des lois de programmation. Il n’existe pas de solution miracle. Des échanges réguliers avec le ministère de la défense et les entreprises sont nécessaires pour assurer une bonne visibilité sur les plans de trésorerie. Nous avons le sentiment que cet engagement tient dans le temps.

Quant à la présence des banques américaines en Europe, je n’ai pas de chiffres spécifiques au secteur de la défense. Leur activité en Europe est concentrée sur de grandes entreprises, fortement rentables et internationalisées. Les États-Unis ont une plus grande facilité à exprimer leur puissance financière en raison d’une fiscalité moins lourde et d’une protection sociale moindre, ce qui encourage les investissements risqués.

Le défi pour les décideurs européens est de trouver un équilibre. Si l’on impose davantage d’obligations aux banques européennes, cela réduira leur capacité à prendre des risques. Il faut que les autorités européennes assument ce choix et stabilisent les règles pour permettre la croissance.

Concernant le financement participatif, il ne représente actuellement qu’une petite partie du financement des entreprises. La question qui se pose pour toutes les formes d’investissement innovant est de savoir jusqu’à quel point le patriotisme des individus se traduit dans leurs choix de placements, sachant que ces investissements comportent des risques et peuvent être cycliques.

Pour le financement participatif comme pour les grands investisseurs, le défi est le même, à savoir de concilier une logique patriotique profonde avec les réalités du portefeuille d’investissement.

M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance. Je souhaite aborder brièvement la question de la prévisibilité, qui est un enjeu crucial. La loi de programmation militaire (LPM) offre une prévisibilité au maître d’œuvre industriel. Il serait souhaitable que cette prévisibilité se décline à tous les niveaux de sous-traitance. Je ne suis pas certain que ce soit actuellement le cas, et je sais qu’il s’agit d’une préoccupation pour nos partenaires de la DGA. Bpifrance est disposé à collaborer avec ses principaux partenaires de maîtrise d’œuvre industrielle dans le cadre de la dématérialisation des factures.

Notre objectif est d’anticiper les commandes de ces grands maîtres d’œuvre industriels en termes de crédit à court terme. Nous avons déjà mis en place ce système dans d’autres secteurs industriels et nous sommes prêts à le déployer ici.

M. le président Jean-Michel Jacques. En effet, la question des grands donneurs d’ordre est cruciale et mérite toute notre attention. Nous avons déjà rencontré cette problématique dans le secteur agroalimentaire. Je me demande si cela ne commence pas à se refléter dans la BITD. C’est un sujet important à surveiller. Merci pour vos réponses et votre participation.

 

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La séance est levée à dix heures quarante-cinq.

 

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Membres présents ou excusés

Présents.  Mme Delphine Batho, M. Édouard Bénard, M. Christophe Blanchet, Mme Anne-Laure Blin, M. Matthieu Bloch, M. Philippe Bonnecarrère, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, M. Yannick Chenevard, M. Alexandre Dufosset, Mme Sophie Errante, M. Yannick Favennec-Bécot, Mme Stéphanie Galzy, M. Frank Giletti, M. Damien Girard, M. Michel Gonord, Mme Florence Goulet, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Fabien Lainé, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Gisèle Lelouis, M. Julien Limongi, Mme Lise Magnier, M. Thibaut Monnier, M. Karl Olive, Mme Catherine Rimbert, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Thierry Tesson, M. Romain Tonussi

Excusés.  Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Manuel Bompard, M. Loïc Kervran, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud