Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

 Examen, ouvert à la presse, du rapport pour avis et vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense (n° 536) (Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis).              2


Mercredi
12 février 2025

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 39

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
Président

 


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La séance est ouverte à dix heures trente-et-une.

M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen pour avis du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense, sur le rapport de Mme Valérie Bazin-Malgras.

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Je suis très honorée d’avoir été nommée rapporteure pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense signé à Paris le 29 juin 2021, complété par l’échange de lettres des 18 août 2023 et 9 novembre 2023.

L’Indonésie est un partenaire stratégique de la France en Indo-pacifique. L’accord de défense que nous examinons en est la traduction concrète. La semaine dernière, le groupe aéronaval (GAN), structuré autour du porte-avions Charles de Gaulle, a fait escale pour la première fois de son histoire en Indonésie, à Lombok. Je salue la décision historique de notre partenaire indonésien d’autoriser cette escale. Cette décision constitue un jalon essentiel dans l’approfondissement de notre relation bilatérale de défense.

L’esprit de cet accord de défense s’inscrit dans la stratégie de la France dans l’Indo‑pacifique. Comme l’indique l’étude d’impact jointe au projet de loi, la situation de pivot de l’Indonésie entre les océans Indien et Pacifique confère à ce pays une position clé dans la stratégie de la France dans l’Indo-pacifique, laquelle vise à maintenir un espace ouvert, libre de toute forme de coercition et fondé sur le respect du droit international ainsi que du multilatéralisme.

À l’heure où le théâtre indopacifique se transforme chaque jour davantage en un espace de confrontation entre les États-Unis et la Chine, la France entend s’affirmer comme une puissance pourvoyeuse de stabilité et respectueuse du droit international. La diplomatie française refuse la politique du fait accompli de compétiteurs toujours plus offensifs, qui contestent la liberté de circulation maritime dans des détroits ô combien essentiels à la sécurisation du commerce mondial. Renforcer notre réseau de partenaires en Indo-pacifique permettra à la France d’asseoir sa stratégie dans la région, en apparaissant comme une puissance incontournable dans la zone.

Pour la France, l’espace indopacifique est une réalité géographique. Elle y est présente grâce à ses départements et régions d’outre-mer (Drom) et à ses activités ultramarines à statut particulier, soit une population totale de 1,65 million d’habitants. Ainsi, 93 % de la zone économique exclusive (ZEE) française est située dans les océans Indien et Pacifique.

Par ailleurs, environ 150 000 Français résident dans les pays de la zone, plus de 7 000 filiales d’entreprises y sont implantées et 8 300 militaires y sont en mission au sein de forces prépositionnées et des forces de souveraineté. Le rôle de la France est aussi de protéger ses concitoyens et ses territoires, si éloignés soient-il de l’Hexagone. Le premier pilier de la stratégie de la France dans l’Indo-pacifique est dédié à la sécurité et à la défense. Sa mise en œuvre repose en grande partie sur la présence militaire française et sur les partenariats de défense bilatéraux conclus dans la zone.

Dans ce contexte, l’Indonésie est pour la France un partenaire stratégique. Conformément aux principes énoncés lors de la conférence de Bandung en 1955, l’Indonésie mène une politique étrangère libre et active, sous-tendue par la stratégie « mille amis, zéro ennemi » visant le maintien primordial de la stabilité régionale au moyen d’une multiplication des alliances afin de se prémunir contre les menaces.

Ce faisant, le partenaire indonésien s’inscrit dans la stratégie française en Indo‑pacifique. Lors de sa visite il y a dix jours, le ministre Sébastien Lecornu a déclaré : « Notre diplomatie est celle du non-alignement, du refus des blocs ». L’Indonésie, quatrième pays le plus peuplé au monde, est un partenaire stratégique dans la région. Son président, qui a été ministre de la défense, est francophile. Il refuse délibérément la logique de blocs. L’Indonésie est, avec Singapour et le Vietnam, l’un des trois partenaires stratégiques de la France en Asie du Sud-Est.

Pour l’heure, notre coopération bilatérale repose essentiellement sur l’armement. L’Indonésie est notre deuxième client à l’export en matière d’armement dans la zone Asie‑Pacifique. La moitié de son budget d’acquisition de matériels de défense est allouée à des achats de matériels français.

La capacité française à assurer des transferts de production ou de technologie au profit de la base industrielle et technologique de défense (BITD) indonésienne constitue l’un des atouts majeurs de la BITD française. L’Indonésie a fait confiance à nos industriels pour lui fournir des capacités militaires de pointe. Elle a notamment signé un contrat d’acquisition de quarante-deux Rafale en 2022 et un autre avec Naval Group en 2024 pour la fourniture de deux sous-marins Scorpène. Elle a également acheté à KNDS des canons Caesar.

C’est aussi grâce à l’Indonésie que la voix de la France porte dans la région, car elle nous a permis d’être admis au sein du format de défense de l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean). L’Indonésie prône un rôle central de cette organisation régionale dans la résolution des conflits de la zone.

Le présent accord nous permettra d’aller plus loin en renforçant et en pérennisant le cadre juridique de la relation bilatérale de défense entre la France et l’Indonésie. Il permet à la France d’accéder au statut de partenaire stratégique reconnu par l’Indonésie, puissance régionale majeure dans la région indopacifique. Il a vocation à remplacer l’arrangement technique de 2012, signé par les ministres de la défense et régissant jusqu’à présent les relations bilatérales de défense.

Il constitue un premier jalon sur la voie d’une pérennisation de nos relations, essentiel mais non suffisant. L’approfondissement du cadre juridique bilatéral sera véritablement achevé lors de la conclusion par les parties d’un accord relatif au statut des forces et d’un accord de sécurité relatif à l’échange d’informations classifiées, qui ne figurent pas dans le présent accord.

Dans le domaine de la défense, la France conclut traditionnellement avec ses partenaires des accords de coopération et de statut des forces. Toutefois, il arrive à la France de conclure des accords de coopération dans le domaine de la défense dépourvus d’accord sur le statut des forces, ces derniers prévoyant le cas échéant une clause d’effort visant la conclusion d’un accord de statut des forces. Tel est le cas dans le présent traité.

Les clauses relatives au statut des forces permettent notamment de traiter de l’articulation entre la compétence des juridictions pénales de l’État d’envoi et celles de l’État d’accueil, et de faciliter l’entrée, le séjour et la sortie du territoire de la partie d’accueil des personnels de la partie d’envoi, ainsi que l’importation de matériel en exonération de droits de douane et de taxes.

La conclusion d’une telle clause imposerait à la partie indonésienne le respect de garanties procédurales conformes aux engagements constitutionnels et conventionnels de la France, telles que la protection contre la peine de mort et contre la torture. Cette précision est fondamentale concernant notre accord de défense avec l’Indonésie, où la peine de mort est toujours applicable, fût-elle suspendue dans son application par un moratoire sur les exécutions depuis 2016. L’Indonésie est très réticente à conclure des accords de statut des forces, qu’elle considère comme un reniement partiel de sa souveraineté. Elle n’en a conclu qu’un, avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Par ailleurs, le Conseil d’État a considéré que l’accord qui nous est soumis ne comporte pas les garanties sociales essentielles de nature à assurer la protection effective du personnel français déployé en Indonésie, s’agissant notamment du prononcé de peines incompatibles avec les principes constitutionnels et les engagements conventionnels de la France. Il a donc conditionné son avis favorable à la production d’un accord sous forme d’échange de lettres stipulant que les exercices militaires interalliés mentionnés dans l’accord devront se dérouler, dans l’attente de la conclusion d’un accord sur le statut des forces, hors du territoire indonésien, sauf conclusion d’un accord propre à l’exercice concerné contenant les garanties précitées. L’accord de défense est donc complété par deux lettres échangées à cet effet entre la partie française et indonésienne.

Cet échange de lettres permet de protéger nos soldats déployés dans la région en l’absence d’accord sur le statut des forces. Il me semble fondamental que cette clause d’effort aboutisse à tel accord à moyen terme. Le ministère des armées et le Quai d’Orsay, lors de leurs auditions, ont affirmé que la conclusion d’un accord réciproque relatif au statut des forces demeure une priorité pour la France.

Toutefois, il a été convenu avec le partenaire indonésien d’attendre que les procédures françaises et indonésiennes d’entrée en vigueur du présent accord soient finalisées avant d’ouvrir les négociations d’un tel accord. Par ailleurs, l’acceptation récente par les autorités indonésiennes de l’escale du GAN français constitue une avancée majeure dans la coopération bilatérale de défense, que certains interprètent comme un signal positif dans la perspective des négociations relatives à un accord sur le statut des forces.

Enfin, une clause d’effort similaire a été insérée dans l’accord afin de parvenir à un accord de sécurité relatif à l’échange d’informations classifiées. Les négociateurs français semblent relativement optimistes sur leur capacité à parvenir, dans un délai raisonnable, à la signature d’un tel accord. Les négociations ont commencé et progressent relativement bien.

La coopération bilatérale sera véritablement approfondie lorsque ces deux dernières clauses auront été approuvées. Cela demande du temps, mais nos diplomates en font une priorité. Au demeurant, l’accord de coopération dans le domaine de la défense couvre un large spectre d’activités réalisables sur les territoires des deux parties pleinement susceptibles d’être mises en œuvre en l’absence d’accord sur le statut des forces. Il s’agit notamment d’activités de coopération en matière de renseignement, d’enseignement, de formation, de sciences et de technologie, d’industrie de défense, de maintien de la paix, d’aide humanitaire, de secours aux sinistrés, de lutte contre la piraterie et le terrorisme, d’équipement de défense, de production commune, de recherche, de développement et de soutien.

Sur le sujet tristement d’actualité des secours aux sinistrés en cas de catastrophe naturelle, l’accord permettra de faciliter l’assistance des militaires français prépositionnés dans la zone ou projetés depuis l’Hexagone vers l’Indonésie. Les armées françaises ont déjà porté secours à l’Indonésie sinistrée et seront prêtes à le faire encore si l’Indonésie en fait la demande.

En définitive, l’accord a vocation à pérenniser et à renforcer la coopération bilatérale en matière de défense entre la France et l’Indonésie. Même s’il ne comporte pas d’accord sur le statut des forces ni d’accord de sécurité, il représente un jalon majeur dans l’approfondissement et la pérennisation des relations de défense entre les deux parties.

Grâce à lui, la France accède véritablement au rang de partenaire stratégique de l’Indonésie. Le succès des négociations relatives à un accord sur le statut des forces doit demeurer une priorité, car il permettra de franchir un cap dans la coopération en rendant possible les exercices militaires conjoints sur le sol indonésien.

J’émets un avis favorable à l’adoption du projet de loi autorisant l’approbation de cet accord.

M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Frank Giletti (RN). Le groupe Rassemblement national fait souvent état, notamment dans cette commission, des lacunes de notre diplomatie, notamment en Afrique où notre niveau d’influence n’a jamais été aussi bas, au point de se faire purement et simplement éjecter. Toutefois, nous ne pouvons que saluer les récents efforts de positionnement dans certaines zones clés.

Tel est le cas en Indonésie. La France a tout intérêt à renforcer ses relations avec ce pays jouxtant la mer de Chine méridionale, zone éminemment stratégique. Économiquement, l’Indonésie profite de six détroits majeurs et de son ouverture sur la mer de Chine méridionale, par laquelle transite un tiers du commerce mondial. Militairement, les tensions sino-américaines s’y sont cristallisées dans les dernières années, à tel point que certains y voient l’épicentre d’un futur conflit majeur, voire mondial. La France doit contribuer au maintien des routes maritimes et d’un espace ouvert et libéré de toute forme de coercition, fondé sur le respect du droit international et du multilatéralisme.

Nos contrats industriels avec l’Indonésie se portent bien. Le fort intérêt indonésien pour la qualité des équipements de défense français, notamment les avions de combat Rafale, les avions de transport militaire A400M, les canons Caesar et les sous-marins Scorpène, offre des pistes de partenariat. La conclusion en 2022 d’un contrat d’exportation de quarante-deux Rafale est un franc succès. Sa réalisation est en cours. En 2024, la signature d’un contrat de livraison de deux sous-marins Scorpène par la France et Naval Group est également un succès.

En matière opérationnelle, grâce à notre coopération dans le cadre des exercices Pégase 2024 et La Pérouse 2025, les forces françaises et indonésiennes, notamment les forces aériennes, sont fréquemment en contact. La mission Clemenceau 2025 a permis au GAN, articulé autour du porte-avions Charles-de-Gaulle, de manœuvrer en Indonésie, ce qui constitue un record de projection pour notre porte-avions.

L’accord permet à la France, pays riverain de l’Indo-pacifique, de continuer à œuvrer toujours plus pour un espace libre, ouvert et stable. Il permet d’accentuer notre coopération avec un pays allié et favorise le développement d’accords industriels et commerciaux bénéfiques à nos deux nations. Je tiens à féliciter, au nom de notre groupe, nos diplomates et nos militaires qui ont contribué à sa conclusion. Nous y sommes favorables.

M. Sylvain Maillard (EPR). L’accord de défense dont il nous est demandé d’approuver la ratification, même s’il a vocation à être complété, notamment par la conclusion d’un accord sur le statut des forces, est largement développé. Il renforce nos liens avec ce partenaire stratégique qu’est l’Indonésie.

Il y a quelques mois, je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie, où se trouve l’une de nos trois forces de souveraineté de la zone indopacifique. J’ai pu constater à quel point cette région est soumise aux tensions géopolitiques, qu’il importe d’y être et de compter, et combien il est essentiel, pour la France, de s’appuyer sur des partenaires fiables.

À cet égard, notre relation avec l’Indonésie est très complète, et sa confiance dans notre matériel militaire solide. La visite du ministre Sébastien Lecornu en Indonésie au début du mois a rappelé combien cet enjeu de défense s’avérera crucial dans les prochaines années.

L’accord qui nous est soumis va pleinement dans le bon sens. Notre groupe en approuvera la ratification, qui coïncide avec le soixante-quinzième anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre le France et l’Indonésie. Sur quel grand sujet de politique régionale nos deux pays devront-ils plus particulièrement coopérer dans les années à venir ?

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Parmi les sujets dont j’ai dressé la liste exhaustive, la lutte contre le dérèglement climatique et la préservation de l’environnement devraient occuper une place centrale.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Président du groupe d’amitié France-Indonésie, je me réjouis que l’accord de défense entre nos deux pays nous soit soumis, non sans déplorer qu’il le soit près de quatre ans après sa signature. Au groupe La France insoumise, nous nous félicitons que le ministre des armées rejoigne enfin nos positions diplomatiques s’agissant de la nécessité du non alignement dans la zone Pacifique. L’importance de la présence française dans cette zone n’est pas à démontrer, en Polynésie et en Kanaky Nouvelle-Calédonie.

À présent, il faut faire coïncider les paroles et les actes. L’Indonésie est ancrée dans la tradition du non alignement, héritée de son histoire. Elle réalise la prouesse diplomatique, dans une zone névralgique, de coopérer avec toutes les parties prenantes tout en restant fidèle à l’histoire du mouvement des non-alignés et à l’esprit de la conférence de Bandung. Ainsi, elle mène des exercices militaires conjoints avec la Chine comme avec les États-Unis.

Ce non-alignement a des conséquences sur les relations entre la France et l’Indonésie. Les Indonésiens font le choix de se fournir en armes françaises ; la BITD française concentre 50 % du budget d’acquisition de défense indonésien. L’accord consacre cette logique d’achat français et accentue la coopération entre nos deux pays, notamment en matière de renseignement. Cela va dans le bon sens. Cependant, nous ne pouvons pas ne pas évoquer le recours à la peine de mort, les menaces à répétition envers la communauté LGBT et la situation en Papouasie.

S’il est acquis, par un échange de lettres visant à la protection de nos soldats, qu’aucune opération ne sera menée en territoire indonésien, quel était le statut de nos soldats lors de l’escale du Charles-de-Gaulle en Indonésie ? Ont-ils été autorisés à quitter le bord ? Si tel est le cas, quel était leur statut de protection vis-à-vis du droit indonésien ?

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Je comprends votre impatience concernant la mise en œuvre de l’accord, signé il y a quelques années et complété par des échanges de lettres en raison des garanties nécessaires, mais rien de tout cela n’est exorbitant de la temporalité diplomatique normale.

L’escale du Charles-de-Gaulle a été encadrée par le droit international coutumier, en vertu du principe de libre accès aux eaux intérieures des navires de guerre étrangers et du principe de libre séjour à la durée limitée par l’État côtier. Par ailleurs, le consentement de l’État côtier est recherché par voie diplomatique afin d’assurer les conditions nécessaires à leur bon déroulement. L’absence d’accord de statut des forces n’interdit pas les escales, mais la protection des soldats n’est pas optimale.

Mme Marie Récalde (SOC). L’accord de défense conclu en 2021 entre la France et l’Indonésie remplace un arrangement technique signé en février 2012 – ces choses-là prennent du temps.

Si le renforcement des liens unissant la France et l’Indonésie contribue à crédibiliser la posture de la France en Indo-pacifique en renforçant l’intégration de l’armée française dans la région, des réserves subsistent. Outre les interrogations que suscite la faiblesse des moyens de l’ambition indopacifique française, la situation des droits humains en Indonésie demeure au cœur de nos préoccupations.

La réforme du code pénal de 2023 soulève des questions. Lors de chacun de nos déplacements, nous ne manquons pas de rappeler l’attachement de la France aux droits humains, qui est tout à son honneur. L’Indonésie a encore des progrès à accomplir en la matière. Tel est aussi le cas en matière de réponse au dérèglement climatique. S’assurer un marché d’avenir et renforcer notre partenariat avec cet interlocuteur majeur qu’est l’Indonésie ne saurait le faire oublier.

Du point de vue technique, la particularité de cet accord est de ne pas comporter de clauses relatives au statut des forces armées, ce qui limite la possibilité d’envoyer du personnel français en Indonésie, donc sa portée opérationnelle, comme l’illustre l’escale du GAN. En somme, il s’agit d’un accord permettant de négocier un accord. Par ailleurs, la clause d’effort relative à l’échange d’informations classifiées prévue à l’article 10 ne semble pas satisfaisante.

En dépit de ces réserves, notre groupe votera la ratification de l’accord, notamment pour ne pas entraver les négociations menées par le Quai d’Orsay pour nos ressortissants français.

Conformément à sa politique de non-alignement, l’Indonésie a aussi signé un accord de défense avec la Chine. Il est possible que ces liens se renforcent, s’agissant notamment des garde-côtes. Comment envisageons-nous notre coopération avec l’Indonésie, notamment en matière de partage des données, si la Chine renforce ces liens ?

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Je comprends votre impatience. Nous déplorons tous le décalage entre le temps politique et le temps diplomatique.

S’agissant de l’accord de défense conclu entre la Chine et l’Indonésie en 2011, la France en tiendra compte de façon très scrupuleuse. Elle ne s’alignera pas sur des accords conclus avec un pays tel que la Chine.

Dans l’immédiat, il est possible de travailler avec l’Indonésie, comme l’a démontré l’escale du Charles-de-Gaulle. L’Indonésie est favorable à l’approfondissement de l’accord en matière de statut des forces et d’échange d’informations classifiées. Tous les feux sont au vert. Nous avançons, certes au tempo de la diplomatie, mais l’audition des diplomates concernés a montré que tout le monde travaille pour aboutir dès que possible à un accord pérenne avec l’Indonésie en matière de défense et d’informations classifiées.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Madame la rapporteure, dans votre excellent rapport, vous avez tout dit : cet accord est un jalon et une ambition.

L’Indonésie est un facteur clé dans cette Asie si compliquée, notamment en raison de ses détroits, particulièrement ceux de la Sonde et de Malacca. Dans ces goulots d’étranglement du commerce mondial se joue la liberté des mers. Il faut y être. Ce premier accord est une bonne chose. Il faut aller plus loin, au tempo de la diplomatie. Notre groupe soutiendra tout ce qui ira en ce sens.

S’agissant du statut des troupes éventuellement débarquées, il est certes souhaitable de conclure un accord de statut des forces, mais notre flotte fait escale dans de nombreux pays avec lesquels nous ne sommes pas liés, et c’est heureux, par de tels accords. Le droit coutumier de la mer et la pratique diplomatique des échanges de lettres permettent de faire beaucoup de choses. Notre présence en Indonésie est bien réelle, comme l’illustrent l’escale du Charles-de-Gaulle et les excellents résultats de notre BITD, qui dit toute l’importance du grand export pour une stratégie autonome française.

Notre groupe votera la ratification de l’accord. L’Indonésie a récemment rejoint les Brics. Comment s’inscrit-elle dans la summa divisio entre l’Ouest et le reste ?

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. L’Indonésie a rejoint les Brics récemment et essaie de travailler au mieux avec tout le monde. Nous ferons preuve de vigilance.

Mme Céline Hervieu (EcoS). Le groupe écologiste et social est favorable à une coopération entre la France et l’Indonésie, qui représente une puissance de stabilisation dans la région et un contributeur de premier plan aux opérations de maintien de la paix des Nations unies et aux organisations internationales. L’accord qui nous est soumis concourt à la mise en œuvre d’une coopération militaire d’intérêt pour nos forces et nos industries de défense.

Toutefois, nous insistons sur l’importance des conditions nécessaires à une coopération militaire renforcée, telles que rappelées par le Conseil d’État, et alertons sur les risques d’atteinte aux droits humains, en raison notamment du recours à la peine de mort. Nous appelons à une coopération renforcée dans le domaine maritime, par le biais de collaborations civilo-militaires variées allant des patrouilles aux capacités de sauvetage en mer et des opérations de protection civile aux navires de combat de première ligne, sans oublier les observations communes des effets du changement climatique qui, dans la région, est immense.

Nous voterons en faveur de l’accord en appelant au respect des droits humains.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). L’Indonésie est une puissance émergente et importante de l’Indo-pacifique au sein de l’Asean, qui est une structure avec laquelle nous devons avoir des liens étroits. En 2012, la France et l’Indonésie ont signé un arrangement technique limité. L’accord de 2021 fait officiellement de la France un partenaire stratégique reconnu par l’Indonésie, ce qui ouvre la voie à un approfondissement de la coopération militaire et industrielle, notamment dans le domaine maritime dans le cadre de nos déploiements en Indo-pacifique. Dans le contexte de tension entre la Chine et les États-Unis, notamment en mer de Chine, et de contestation des voies maritimes commerciales, l’accord permet d’ancrer davantage la France dans cette région et de renforcer notre influence diplomatique et militaire.

Je regrette l’absence d’un accord de statut des forces. Si l’échange de lettres permet de progresser, je forme le vœu que tout cela évolue vers une stabilisation accrue pour nos forces et que ce partenariat soit progressivement de plus en plus structuré. Le groupe démocrate votera en faveur de la ratification de l’accord.

La fragilisation des règles internationales dans cette zone doit nous inquiéter tous. Certains pays, notamment la Chine, ne les respectent plus dans le domaine maritime. Le présent accord permettra de nous ancrer dans la politique de surveillance active de nos espaces maritimes, qui me semble essentielle pour l’avenir du monde.

Mme Lise Magnier (HOR). La France dispose depuis 2018 d’une stratégie en Indo‑pacifique. Nos priorités dans la région sont multiples ; la défense et la sécurité de nos territoires ultramarins ; la promotion et la défense de la règle de droit ; le renforcement de la stabilité régionale ; la prise en compte des effets du changement climatique. Dans ce cadre, nos échanges avec l’Indonésie sont essentiels et nécessitent d’être raffermis.

Si nos échanges commerciaux sont encore limités, les autorités indonésiennes apprécient tout particulièrement la qualité des équipements de défense français. Elles ont d’ores et déjà concrétisé plusieurs commandes de matériel. Sur le plan opérationnel, l’Indonésie et la France ont participé à des exercices conjoints, tels que l’exercice Croix du Sud 2023, ce qui prouve notre volonté conjointe de coopération.

Jusqu’en 2021, le cadre de coopération dans le domaine de la défense n’était qu’un arrangement technique se bornant à définir des domaines de coopération. L’accord qu’il nous est demandé de ratifier permet de définir de nouvelles priorités pour notre défense commune. Il instaure un comité conjoint, co-présidé par le directeur général des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), témoignant d’une réelle volonté d’avancer ensemble.

Toutefois, l’accord ne comporte aucune disposition relative au statut des forces, qui fera l’objet d’une négociation ultérieure. Ces futures dispositions devront notamment permettre de traiter de l’articulation entre les compétences des juridictions pénales, et de faciliter l’entrée, le séjour et la sortie du territoire d’accueil ainsi que l’importation de matériel en exonération de droits de douane et de taxes. Pour l’heure, les exercices conjoints de nos forces armées devront se dérouler hors du territoire indonésien.

Le présent accord prouve l’engagement de la France à raffermir ses échanges avec l’Indonésie et sa position stratégique dans la zone indopacifique. Le groupe Horizons et indépendants votera en faveur du projet de loi.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR). L’accord revêt une importance stratégique majeure pour la France. La région indopacifique reflète désormais les dynamiques géopolitiques mondiales. Véritable carrefour commercial, elle est devenue le marqueur des tensions croissantes entre les puissances mondiales. Dans ce contexte, la France ne peut rester en marge. Elle devra jongler habilement entre les intérêts de ses territoires ultramarins et la consolidation de ses alliances avec les pays partenaires tels que l’Indonésie.

La coopération internationale dans le domaine de la défense doit être fondée sur des bases solides, des garanties claires et une vision stratégique cohérente. Or l’accord qui nous est soumis semble manquer de ces éléments fondamentaux. Le texte ne prévoit ni clause relative à l’échange d’informations classifiées, ni accord bilatéral sur le statut des forces. Nos soldats pourraient donc être soumis à la juridiction indonésienne, dont certains aspects sont incompatibles avec notre système juridique, notamment en ce qui concerne la peine de mort.

La coopération militaire en matière de catastrophes naturelles et de secours aux sinistrés est uniquement abordée sous le prisme du déploiement de moyens maritimes, aériens et terrestres. Or les pays dits du Nord ont une responsabilité dans la lutte contre le réchauffement climatique. Concentrons-nous sur la mise en œuvre rapide des accords pris lors des COP et conformons-nous aux recommandations du GIEC au lieu de déployer a posteriori nos forces armées, qui ont déjà fort à faire, notamment dans le cadre de l’opération Aspides en mer Rouge !

Le fonds de 100 milliards prévu par l’accord de Paris conclu en 2015 visant à soutenir les pays dits du Sud dans leur politique de lutte contre les effets du changement climatique n’a été mis en œuvre qu’en 2023. Soyons dans l’action et non dans la réaction ! Il est essentiel de tenir compte de ces éléments et de s’assurer que nous avons toutes les garanties nécessaires pour protéger les intérêts de la France et ceux de ses soldats.

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Certes, l’accord n’est pas pleinement satisfaisant, mais il comporte des clauses d’effort et nous travaillons à l’améliorer, notamment par le biais d’un accord de statut des forces et par des accords de sécurité. Les diplomates travaillent, le ministère des armées travaille, les parlementaires travaillent. Nous sommes tous impatients mais nous avons bon espoir d’aboutir dans les meilleurs délais.

 

La commission adopte le projet de loi non modifié.

 

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La séance est levée à onze heures dix.

 

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Membres présents ou excusés

Présents.  Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Édouard Bénard, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Hendrik Davi, Mme Stéphanie Galzy, M. Frank Giletti, M. Daniel Grenon, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Bastien Lachaud, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Gisèle Lelouis, Mme Lise Magnier, M. Sylvain Maillard, Mme Alexandra Martin, M. Thibaut Monnier, M. Karl Olive, Mme Anna Pic, Mme Natalia Pouzyreff, M. Aurélien Pradié, Mme Marie Récalde, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Catherine Rimbert, M. Thierry Tesson, M. Jean-Louis Thiériot, M. Romain Tonussi

Excusés.  M. Christophe Bex, Mme Anne-Laure Blin, M. Manuel Bompard, M. Yannick Favennec-Bécot, Mme Clémence Guetté, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, M. Arnaud Saint-Martin, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud, Mme Corinne Vignon