Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Mathilde Félix‑Paganon, représentante permanente de la France au Comité politique et de sécurité (COPS) de l’Union européenne (cycle Europe de la défense). 2
Mercredi
19 mars 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 50
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à neuf heures trois.
M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, pour commencer, je tiens à rendre hommage à deux militaires du 41e régiment de transmission de Douai qui sont décédés en service lundi dernier lors d’un tragique accident près d’Arras. En votre nom, je voudrais présenter nos sincères condoléances et notre soutien à leurs familles, à leurs proches et à leurs frères d’armes. Un troisième militaire a été grièvement blessé et nous lui souhaitons un prompt rétablissement.
Pour revenir à notre ordre du jour, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui Mme Mathilde Félix-Paganon, représentante permanente de la France au comité politique de sécurité (COPS) de l’Union européenne. Cette audition s’inscrit dans un double cadre, à la fois celui de nos travaux consacrés à l’Europe, mais également ceux qui s’attachent à la réactualisation de la revue nationale stratégique (RNS).
Le COPS est un organe peu connu en dehors des spécialistes des affaires européennes, mais il exerce une compétence essentielle en matière de politique étrangère et de sécurité commune (Pesc) et de politique de sécurité de défense commune (PSDC). Rassemblant les ambassadeurs des vingt-sept États membres, c’est en son sein que les principales décisions dans ces matières sont discutées et mises en œuvre. Cet organe rappelle ainsi le rôle majeur des États membres dans cette politique européenne, qui demeure intergouvernementale.
Nommée à l’été 2023 dans cette fonction, vous êtes, madame l’ambassadrice, au cœur des bouleversements stratégiques que nous vivons et qui impactent très fortement l’Europe de la défense. Alors que depuis 2016 celle-ci progressait très lentement, l’agression russe de l’Ukraine a suscité et amplifié des initiatives européennes, tandis que l’élection de Donald Trump et ses dernières déclarations ont constitué un électrochoc pour nombre d’États membres. Une nouvelle ère commence. La construction d’une véritable autonomie stratégique européenne est désormais perçue comme une urgence et une nécessité.
Longtemps réticents face à ce qu’ils percevaient comme une tentative française de les éloigner des États-Unis, certains États membres semblent avoir pris conscience des incertitudes qui pèsent aujourd’hui sur le soutien de l’allié américain. Le moment est venu pour l’Europe de s’affirmer et de s’autonomiser, aussi bien en termes d’analyse stratégique que sur ses bases industrielles de défense ou ses moyens capacitaires. L’Europe doit afficher son unité et se réarmer. Dans cette situation exceptionnelle, compte tenu de ses atouts, notamment militaires, la France, doit jouer un rôle essentiel.
Mme Mathilde Félix-Paganon, représentante permanente de la France au Comité politique et de sécurité de l’Union européenne. Je suis très honorée d’intervenir devant la représentation nationale. En tant que fonctionnaire appliquant les orientations de nos autorités politiques, il me semble essentiel d’être à la disposition du Parlement pour expliquer et informer sur la nature de l’activité que je conduis au quotidien.
Mon intervention a pour objet de dresser un tableau rapide du COPS, de clarifier ce qu’il fait et ne fait pas. J’y interviens dans le cadre plus global de la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, qui traite également de toute la matière communautaire. Comme le président Jacques l’a rappelé, le COPS obéit à la méthode de l’intergouvernementalité, qui fonctionne par unanimité. Tout ce qui concerne davantage l’action législative conduite au sein de l’Union européenne ne relève donc pas stricto sensu du champ de compétence du Comité.
Depuis ses débuts, la raison d’être du COPS portait sur la gestion des crises externes. Désormais, la frontière entre les crises externes et ce qui relève de la sécurité interne de l’Union européenne s’est quelque peu dissipée, mais le Comité n’avait pas pour mandat de piloter la défense collective de l’Union européenne, qui reste du domaine de l’Otan pour les vingt-trois États membres de l’Union européenne qui en sont membres.
En dehors de ce cadre général de la gestion de crise externe et de la méthode de l’intergouvernementalité, le cadre conceptuel qui guide notre action est celui de la Boussole stratégique, laquelle s’articule autour de quatre priorités : agir, protéger, investir et coopérer. Cette Boussole a été adoptée lors de la présidence française de l’Union européenne en mars 2022.
Le COPS agit à travers trois grands outils. Le premier concerne les missions et opérations civiles et militaires. Ce volet relativement actif, est un peu moins mis en avant dans nos débats aujourd’hui au regard de la focalisation sur le capacitaire. Pour autant, il demeure le cœur de métier du Comité politique et de sécurité tel que consacré par le traité de l’Union européenne. Le deuxième outil, extra budgétaire, est constitué par la Facilité européenne pour la paix (FEP), qui permet à la fois de financer des coûts communs des missions et opérations militaires de la PSDC, mais aussi de déployer des mesures d’assistance dans un certain nombre de pays tiers, aujourd’hui au nombre d’une vingtaine. Ces mesures d’assistance peuvent être de nature létale ou non létale. Enfin, le troisième outil est relatif à la garantie de la cohérence globale des dossiers capacitaires, qui sont aussi très largement traités par l’Agence européenne de défense (AED) et par les collègues en charge des questions d’armement dans les filières plus communautaires.
La Boussole stratégique a pour objectif général d’affirmer une autonomie stratégique de l’Union européenne, afin d’agir en faveur de sa propre sécurité et de réduire ses dépendances. Un de ses principaux résultats opérationnels, un peu technique, concerne la mise en place une capacité de déploiement rapide qui doit permettre à l’Union européenne de pouvoir intervenir rapidement et efficacement face à une situation de crise, à travers le déploiement de 5 000 hommes capables d’agir dans des environnements non-permissifs multi-milieux et multi-champs. Par ailleurs, la Boussole prévoit également des missions civiles de PSDC très importantes pour contribuer au renforcement de la sécurité intérieure dans un certain nombre de pays tiers.
Cette Boussole avait également pour but de doter l’Union européenne d’une forme de doctrine et de renforcer la résilience de l’Union européenne face aux menaces hybrides. À cet effet, un certain nombre d’outils ont été mis en place à la suite de l’adoption de cette Boussole. Enfin, un autre objectif de cette dernière consiste à essayer de nous doter d’une culture stratégique commune, par une analyse partagée des menaces et la mise en place d’une capacité d’analyse de l’Union européenne en matière de renseignement. Il ne s’agit naturellement pas de créer un service de renseignement au niveau européen, qui reste de la compétence exclusive des États membres, mais bien d’essayer, via la mutualisation de certains types de renseignements, de se doter de la capacité de définir en commun les types de menaces et donc les réponses à apporter.
Parmi ces outils, il convient de citer les missions de politique et de sécurité et de défense commune. À ce jour, l’Union européenne déploie, dans le domaine militaire, cinq missions et quatre opérations. Je tiens à en évoquer trois, qui ont fait l’objet d’une attention soutenue. La première concerne la mission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien à l’Ukraine (European Union Military Assistance Mission in support of Ukraine ou EUMAM Ukraine), lancée en 2022. Il s’agit de la plus importante mission de PSDC de l’Union européenne, qui a permis à ce jour de former à peu près 73 000 soldats ukrainiens, l’objectif étant d’atteindre le chiffre de 75 000 au printemps. Il s’agit là d’un des moyens de contribution de l’Union européenne et singulièrement de la France, dans le contexte international que nous connaissons.
La deuxième opération est EUNAVFOR Aspides, qui a pour tâche de garantir la protection de la liberté de navigation et de la sauvegarde de la sûreté maritime, en particulier pour les navires marchands et commerciaux en mer Rouge. La dernière opération, la plus ancienne, lancée en 2004, est EUFOR Althea. Déployée en Bosnie-Herzégovine, elle repose sur un volet exécutif de soutien aux autorités de ce pays.
La PSDC civile est moins connue mais également très importante, dans le cadre d’un continuum aujourd’hui plus prononcé entre les enjeux de sécurité intérieure et de politique étrangère et de sécurité commune. Une de ces missions est ainsi déployée en Arménie (EUMA) et porte sur une mission d’observation de la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Située exclusivement du côté arménien, elle a pour but de limiter les incidents et d’appuyer les populations arméniennes dans les zones frontalières affectées par le conflit. À ce titre, 180 personnels y sont déployés.
Un autre objet civil est constitué par la mission de conseil aux forces de sécurité intérieure ukrainiennes (EUAM Ukraine), dont l’objectif consiste à appuyer la réforme du secteur de la sécurité et du secteur judiciaire de l’Ukraine. Elle joue un rôle subsidiaire dans le cadre de la négociation d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne.
Le dernier exemple de mission civile que je souhaitais citer, malheureusement de nouveau en suspens depuis deux jours au regard des derniers développements sur le terrain, est constituée par la mission de l’Union européenne d’assistance au poste frontière de Rafah (EUBAM Rafah), créée en 2005. Après une première mise en suspens en 2007, elle a pu se déployer, notamment via le l’envoi de deux équipes spécialisées, auxquelles contribuent des gendarmes français, des gardes civils espagnols et des carabiniers italiens. Elle a permis de réouvrir un point de passage à Rafah, fruit d’un accord entre les autorités israéliennes, l’Autorité palestinienne et l’Égypte.
Parmi les autres outils, il convient de mentionner à nouveau la Facilité européenne pour la paix, un instrument extra budgétaire qui repose sur les États membres. Elle assure à la fois le financement des coûts communs des missions et opérations de PSDC militaire, mais aussi des mesures d’appui et d’assistance. La FEP offre la possibilité de fournir des équipements létaux et constitue aujourd’hui le principal véhicule du soutien militaire de l’UE aux forces armées ukrainiennes, à travers un engagement total d’environ 12 milliards d’euros.
Ensuite, le COPS joue également un rôle de garantie de cohérence en matière capacitaire. À ce titre, une multitude d’initiatives ont été lancées pour répondre aux besoins matériels et opérationnels identifiés par nos armées. Encore une fois, il s’agit d’un domaine intergouvernemental mettant en œuvre des dispositions dans lesquelles la compétence des États membres est pleinement reconnue. L’Agence européenne de défense, que vous avez reçue, contribue au développement de capacités à travers le Plan de développement capacitaire (capabilty development plan) ou la revue annuelle coordonnée de défense (CARD) ; mais le COPS assure la cohérence d’ensemble desdits outils.
Les outils tels que l’acte en soutien à la production de munitions (Asap), le règlement visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (Edirpa) ou le programme européen pour l’industrie de la défense (Edip) ne relèvent pas de la compétence du COPS, puisque nous sommes sous le régime du traité de l’Union européenne et non du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En conséquence, les sujets relatifs au renforcement de la compétitivité industrielle ne sont pas de la compétence de ce Comité.
En conclusion, pourquoi agir à travers les vecteurs de l’ensemble de ces instruments européens ? Il s’agit d’abord de démultiplier notre influence, puisque les personnels locaux offrent un retour d’information et constituent également les faire-valoir d’un savoir-faire dans un certain nombre de domaines. Il s’agit ensuite de permettre la mutualisation des risques et des moyens. À titre d’exemple, le redéploiement d’EUBAM Rafah n’aurait été pas possible si nous n’avions pas été dans une configuration européenne.
Agir en Européens offre également l’opportunité d’augmenter le coût pour l’agresseur, notamment dans le domaine cyber. De son côté, la FEP permet d’obtenir un retour pour nos opérateurs qui sont très présents dans la mise en œuvre des mesures d’assistance. Enfin, alors que le Livre blanc sur l’avenir de la défense européenne sera dévoilé aujourd’hui, sur le plan capacitaire, agir en Européens fournit l’occasion de favoriser l’interopérabilité de nos forces armées et les économies d’échelle, ainsi que de développer nos capacités de production, avec des retombées positives sur l’emploi et nos tissus économiques.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie pour ce propos liminaire très riche et qui suscitera certainement de nombreuses questions.
Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
M. Alexandre Dufosset (RN). L’Union européenne ne détient à ce jour aucune compétence explicite en matière de défense. L’expression « défense européenne » ne figure pas dans les traités, pas plus que celle d’Europe de la défense. Cette dernière n’est d’ailleurs pas envisageable. Les vingt-sept États européens poursuivent en effet parfois des intérêts divergents et disposent de doctrines militaires différentes. Les armées européennes ne sont pas interopérables. Le fait qu’il existe un commissaire à la défense, une Agence européenne de défense (AED) et même un état-major de l’Union européenne ne change rien à l’affaire.
En revanche, il nous paraît souhaitable de mettre en œuvre l’Europe de la coopération en matière de défense, préconisée par Marine Le Pen il y a quelques jours. Pourquoi ne pas travailler par exemple à l’émergence d’une filière européenne des semi‑conducteurs dont nous connaissons l’importance en matière de défense et au-delà, pour l’économie ? Des géants comme MDBA, Airbus ou KNDS illustrent déjà cette Europe de la coopération en matière de défense. Ils sont les fruits de coopérations librement décidées entre acteurs issus de différents pays d’Europe. De même, au cours de son histoire, la France a suscité ou rejoint de nombreuses alliances militaires et elle continuera de le faire. Cela n’a jamais impliqué qu’elle fonde son armée dans un grand tout autonome.
S’agissant de la revue nationale stratégique, il serait aberrant que son actualisation contribue à entretenir le fantasme de cette Europe de la défense. En revanche, nous sommes à l’écoute de vos idées, Madame l’ambassadrice, afin que le RNS tienne davantage compte de la nécessaire coopération des acteurs européens de la défense, publics comme privés. Nous serions en particulier intéressés de vous entendre sur le rôle que peut jouer la COPS à cet égard.
Mme Mathilde Félix-Paganon. Je pense avoir largement développé ces aspects lors de mon intervention. « L’Europe de la coopération en matière de défense » est en un sens une autre manière de formuler ce qui est déjà entrepris. En matière de sécurité, le COPS agit selon la règle de l’unanimité et selon une logique coopérative. De manière concrète, si l’unanimité n’est pas atteinte, aucune action ne peut être conduite sur le terrain. Ce qui est aujourd’hui déployé à l’échelle européenne s’effectue dans le respect des paramètres que vous avez très largement énoncés.
Les dossiers plus capacitaires ne relèvent pas en tant que tels de la compétence du COPS, mais certains projets sont d’une telle ampleur que la coopération européenne ne représente pas un repli de l’autonomie de la France, mais un démultiplicateur de nos moyens.
M. Yannick Chenevard (EPR). Après des décennies de sommeil stratégique, l’Europe se réveille. Le plan ReArm Europe, doté de 800 milliards d’euros, constitue à ce titre un tournant important. Il est d’ailleurs impératif que l’argent des Européens soit utilisé pour acheter de l’armement européen, pour renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne, ce qui stimule naturellement la recherche et le développement, les capacités de production, l’emploi et des retombées fiscales.
Après le Brexit, qui recevait d’ailleurs les faveurs d’un certain nombre en France, nos amis anglais ont initialement tourné leur regard vers le grand large. Désormais, ils ont plutôt tendance à opérer un demi-tour, en fixant le cap vers l’Europe, dans la mesure où le grand large est rempli d’incertitudes. Ils ne pas sont certains de la pertinence de nos alliances, voire redoutent des mésalliances.
La France est liée à la Grande-Bretagne par les accords de Lancaster House, qui permettent de développer des stratégies communes sur la création de forces expéditionnaires, la coordination en matière de porte-avions, la collaboration sur les drones et la coopération nucléaire. Quel est votre avis sur la manière dont nous discutons aujourd’hui avec la Grande‑Bretagne, dans l’esprit de Lancaster ? Pouvons-nous imaginer des traductions sur le plan opérationnel ?
Mme Mathilde Félix-Paganon. Vous avez rappelé avec beaucoup de pertinence la densité des relations bilatérales entre notre pays et le Royaume-Uni en matière de défense. Dans le cadre européen, la question des modalités d’engagement avec le Royaume-Uni dépasse très largement le champ de la défense, tout en reconnaissant l’extrême importance de mener des discussions bilatérales, en témoignent celles qui réunissent actuellement le président de la République et le premier ministre britannique.
Nous avons toujours défendu, en tant qu’autorités françaises, une approche par paquet, qui a pour objet de ne pas distinguer les différentes filières. En conséquence, il faut à la fois avancer sur les sujets politiquement plus sensibles – à l’instar de la pêche – mais aussi bien réfléchir à la façon dont nous pouvons travailler avec ce pays, de manière ad hoc. Nous devons garantir la préservation des règles du marché intérieur.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Madame l’ambassadrice, vous avez tenu des propos évidents, notamment en rappelant que la défense collective des vingt-trois pays de l’Union européenne membres de l’Otan dépendait bien de cette organisation et non de l’UE. Ceci est d’ailleurs inscrit noir sur blanc dans les traités. D’après vous, comment faire émerger l’Europe de la défense telle qu’elle est présentée, y compris par le président Macron, tant que ces traités resteront en l’état ? La France entend-elle proposer une réforme de ces traités pour retirer la mention de l’Otan et permettre ainsi potentiellement l’avènement d’une Europe de la défense ?
Vous nous indiquez par ailleurs que la défense européenne repose sur l’Otan. À ce titre, la Turquie est membre de l’Otan quand Chypre est membre de l’Union européenne. Or ces deux États sont en conflit et la Turquie refuse tout transfert de données sensibles de renseignement de l’Otan vers l’Union européenne au motif que qu’il pourrait servir les Chypriotes. Cet exemple témoigne d’une contradiction fondamentale entre le choix de confier à l’Otan la défense de l’Europe et la volonté de développer une Europe de la défense. De quelle manière la France envisage-t-elle de dépasser le problème existant entre Chypre et la Turquie ?
Ensuite, EUFOR Althea n’existe que parce que l’Otan met à sa disposition son état‑major bruxellois. Dans ces conditions, comment l’Union européenne peut-elle mener ses opérations en dehors de l’Otan ? Enfin, vous avez évoqué ReArm Europe, mais aujourd’hui, 62 % des armes achetées par les Européens sont américaines. Dès lors, comment les pays européens pourraient-ils opérer immédiatement une bascule pour n’acheter que des armes européennes ? Comment la France entend-elle s’assurer que ces 800 milliards d’euros ne seront employés que pour l’achat d’armes européennes ? Si cette somme revenait à financer l’armement américain, je ne vois pas où se situerait l’indépendance de l’Europe.
Mme Mathilde Félix-Paganon. Tout d’abord, je n’ai pas exactement dit qu’il n’existait pas de défense européenne. J’ai précisé que ce qui relevait du domaine de la défense collective et des garanties de sécurité collective ne relevait pas en tant que tel des compétences de l’UE. Cela étant, nous pourrions nous interroger sur la portée que nous donnons à l’article 42, paragraphe 7, qui constitue une forme de garantie héritée d’ailleurs de l’ancienne Union de l’Europe occidentale (UEO). D’une certaine manière, les traités offrent la possibilité d’emprunter ce chemin.
La question de la révision des traités dépasse très largement mon domaine d’activité en tant que fonctionnaire. En revanche, l’Europe s’est développée à travers les faits. Dès lors, le contexte auquel nous sommes confrontés peut nous conduire à évoluer. Il en va ainsi du débat actuel sur l’incarnation du pilier européen de l’Otan.
EUFOR Althea obéit à des dispositions qui ont été conjointement agréées et donc aux mécanismes des accords dits « Berlin Plus ». Même s’il s’agit d’un sujet délicat pour les États membres qui ne sont pas partie à l’opération, nous sommes toujours parvenus sur le fondement du renouvellement de la résolution des Nations unies qui permet le déploiement de cette opération, à obtenir le consensus européen, ou à tout le moins à une absence de blocage. Pour le moment, même si nous ne pourrions sans doute pas relancer une autre opération de type « Berlin Plus », EUFOR Althea bénéficie toujours d’une forme de consensus.
Pouvez-vous me rappeler votre question concernant Chypre et la Turquie ?
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Cette question porte sur l’impossibilité pour l’UE de travailler avec l’Otan, dans la mesure où les Turcs refusent de partager des renseignements avec l’Union.
Mme Mathilde Félix-Paganon. Il s’agit d’un sujet extrêmement sensible. Sur le plan diplomatique, il conviendrait de voir comment les circonstances permettraient de parvenir à un certain nombre d’avancées dans ce domaine.
S’agissant du capacitaire, il existe une grande convergence, portée de manière constante par nos autorités politiques, afin que cette montée en puissance sur le plan européen se réalise en faveur du renforcement de la base industrielle et technologique européenne (BITDE). Dans le cadre des discussions Edip – dont je n’ai pas la charge –, l’un des points de cristallisation concerne la reconnaissance de la notion d’autorité de conception. À cet effet, nous souhaitons que des dispositions très claires soient actées dans les textes.
M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC). Ma question s’inscrit dans le prolongement des celles qui ont été soulevées sur la gouvernance et le processus décisionnel complexe dans lequel la France et l’Union européenne évoluent. En réaction au désengagement des États-Unis, la Commission européenne, par la voix de sa présidence, a annoncé le 4 mars dernier le lancement d’un fond de 800 milliards d’euros pour la défense européenne, afin de réaffirmer l’Europe et de soutenir l’Ukraine.
Cette aide militaire à l’Ukraine prend la forme de plusieurs mesures d’assistance adoptées au niveau européen, à travers la Facilité européenne pour la paix (FEP). À ce jour, 6,5 milliards d’euros ont été mobilisés dans le cadre de cet instrument, dont l’enveloppe totale a été portée à 17 milliards d’euros par différentes décisions du Conseil. Ce premier pas reste néanmoins largement insuffisant, tant le besoin est grand. Malheureusement, la Hongrie de Viktor Orban bloque la Facilité européenne de paix et par conséquent le soutien à Kiev, en utilisant son droit de veto. La Hongrie refuse de fait d’accélérer la production de munitions d’artillerie, de renforcer les systèmes de défense aérienne ou de disposer d’un plus grand nombre de drones et d’avions de chasse.
Malgré ce veto hongrois, une solution alternative émerge. Il s’agit de la création d’un fonds européen abondé sur la base d’une participation des États membres volontaires pour financer de prochaines garanties de sécurité à l’Ukraine. Des pays extérieurs tels que le Royaume-Uni et la Norvège pourraient y contribuer. Quelle sera l’articulation entre ce nouveau fonds de soutien militaire à l’Ukraine et la FEP ? Comment contourner les obstacles auxquels est confrontée la FEP, quand un seul État membre peut utiliser son droit de veto ?
Mme Mathilde Félix-Paganon. Il faut d’abord reconnaître l’immense rôle joué par cet instrument pour inciter à la cession d’armements existants à l’Ukraine. Cependant, il s’agit d’un mécanisme de remboursement ex post. En conséquence, les États membres peuvent continuer individuellement à livrer des armements sans garantie d’être remboursés, et déposer a posteriori ces demandes de remboursement. Sur ce sujet, il existe donc des nuances, qui ne sont pas que sémantiques.
S’agissant du mécanisme volontaire qui pourrait voir le jour, je ne peux apporter plus de précisions, dans la mesure où le contexte est particulièrement sensible et où cette audition n’intervient pas à huis clos. Le Conseil européen qui interviendra dans deux jours portera notamment sur cette question.
M. le président Jean-Michel Jacques. Vos propos nous rappellent la pertinence du huis clos, lorsque celui-ci est réalisé à la juste mesure.
M. Jean-Louis Thiériot (DR). Madame l’ambassadrice, vous avez rappelé que le COPS relevait de l’intergouvernemental. Par conséquent, les questions sur une éventuelle communautarisation de la défense de l’Europe ne sont pas de votre ressort.
L’un des enjeux majeurs de la construction de l’autonomie stratégique et du pilier européen de l’Alliance réside dans la capacité à concevoir européen, produire européen et acheter européen. Vous n’êtes pas en charge des différents programmes qui relèvent de la compétence communautaire. En revanche, compte tenu de vos fonctions et à la lumière des événements récents (annonce de Donald Trump sur l’Ukraine, réception musclée du président Zelensky dans le Bureau ovale), ressentez-vous une modification des attitudes de nos partenaires ? Certains demeurent-ils très attachés à la notion de BITD transatlantique ? Pour ma part, j’ai été particulièrement frappé par les récents propos de Friedrich Merz, mais également ceux du premier ministre lituanien, tenus avant la réception de Volodymyr Zelensky à Washington, qui appelait les États-Unis à construire des usines en Lituanie.
Enfin, vu du COPS, quel est votre regard sur le programme ELSA qui porte sur des armements destinés à frapper dans la profondeur ? Cette question est-elle de votre ressort ? Qu’en avez-vous retenu ?
Mme Mathilde Félix-Paganon. La France a insisté afin que le domaine des frappes dans la profondeur fasse partie des domaines prioritaires identifiés dans le Livre blanc et nous espérons que cet aspect sera retenu.
Ensuite, il existe effectivement une évolution de nombreux États membres concernant une forme de sécurité européenne et la montée en puissance de la capacité de défense européenne. L’exemple de l’Allemagne est à ce titre assez saisissant, à la fois en matière budgétaire et d’affichage politique. La plupart de nos partenaires estiment ainsi que se reposer sur une garantie de sécurité américaine ne constitue plus une option. Mais la nuance réside dans la manière de le formuler. Compte tenu de leur positionnement géographique, certains pays doivent ainsi maintenir un discours public s’appuyant sur cette garantie de sécurité américaine, tout en développant simultanément ce que pourraient être des capacités de défense européenne.
M. Damien Girard (EcoS). Le groupe Écologiste et Social est attaché à la construction d’une Europe forte, stratégiquement indépendante de toute influence. L’évolution des situations internationales requiert un dynamisme européen face aux menaces aux frontières de l’Union. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé une résolution pour faire en sorte que la France et l’Union européenne entament un dialogue avec les autorités groenlandaises et danoises, afin d’identifier leurs besoins et les garanties de sécurité envisageables dans la région, en prenant exemple sur le modèle du déploiement français Lynx en Estonie.
Ces propositions sortent de l’esprit des accords « Berlin Plus » et de la logique du traité sur l’Union européenne, notamment de son article 42, qui indique que la défense commune des Européens est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Les réflexions du président de la République sur un éventuel déploiement européen pour offrir des garanties de sécurité à l’Ukraine rejoignent ces questions. Aujourd’hui, nous n’avons pas intérêt à quitter l’Otan, ni même son commandement intégré, qui offre à la France une capacité d’influence importante sur le fonctionnement de l’ensemble de l’organisation.
Cependant, alors que les opérations militaires de l’Union européenne s’appuient notamment sur les capacités de commandement et de logistique de l’Otan, nous devons nous poser la question de la réduction de cette dépendance stratégique. Quelles sont les priorités pour construire une véritable capacité européenne de commandement, de renseignement et d’interopérabilité qui contribue à notre autonomie stratégique ? Quelles sont les contributions spécifiques de la France à cet effort ?
Mme Mathilde Félix-Paganon. Nous demeurons pour le moment dans la phase initiale de cette réflexion et de cette montée en puissance des capacités de commandement européennes. Lors de mes propos liminaires, j’ai cité la capacité de déploiement rapide, laquelle constituerait une première démonstration de cette capacité de l’Union européenne à commander et à assurer le quartier général opérationnel d’une opération dans un État tiers, sur des théâtres externes. S’agissant de la sécurité des États membres de l’Union européenne, l’Union européenne ne s’est pas encore penchée sur les sujets de garantie des sécurités collectives.
D’autres réflexions peuvent se poser sur l’articulation entre l’Union européenne et l’utilisation éventuelle des capacités de commandement et opérationnelles de l’Otan par un groupe d’États membres intéressés. La réponse dépendra naturellement in fine de la posture américaine sur ce sujet. Un des scénarios porterait sur le désengagement des Américains associé à un maintien des structures, ce qui permettrait une forme d’engagement accru des Européens grâce aux facilités offertes par l’Otan. Mais un autre scénario pourrait être celui d’un retrait américain plus majeur. Nous sommes précisément à la croisée des chemins et je ne suis pas pleinement en capacité de formuler une réponse à ce sujet.
Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Comment transmettre l’idée d’une Europe de la défense aux populations européennes ? Il me semble en effet essentiel qu’elles puissent y adhérer. Malheureusement, entre le COPS, la facilité européenne de paix, la coopération structurée permanente (CSP) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), la lisibilité fait défaut. En tant que spécialistes, nous parvenons à nous y retrouver, mais une simplification serait grandement nécessaire pour pouvoir parler aux citoyens européens, ne serait-ce que pour leur montrer qu’il ne s’agit pas seulement de discussions d’initiés et que nous ne cherchons pas à leur cacher quelque chose.
Ensuite, en compagnie du Royaume-Uni, les pays européens cherchent à se positionner dans les négociations en cours en faveur d’un cessez-le-feu en Ukraine, afin de préserver leur intérêt sécuritaire. Ils proposent même potentiellement de déployer des forces comme garantie d’un cessez-le-feu efficace. Ces éléments sont-ils discutés actuellement au sein de votre instance ?
Mme Mathilde Félix-Paganon. Ma réponse se situera à la lisière de ma position de citoyenne et de mon rôle de fonctionnaire, dans la mesure où je ne peux que souscrire à ce souhait de simplification et d’explication. Lorsque nous lançons une opération comme Aspides, il serait peut-être dans notre intérêt d’expliquer que le fait que les bateaux puissent continuer à circuler en mer Rouge comporte des implications très concrètes, par exemple celle d’éviter des ruptures de stock dans les magasins. De même, la mission de partenariat de l’Union européenne en République de Moldavie (EUPM Moldova) vise à contribuer à l’amélioration de la résilience du secteur de la sécurité en Moldavie dans les domaines de la gestion de crise et des menaces hybrides, y compris la cybersécurité et la lutte contre la manipulation et les ingérences étrangères en matière d’information. Une telle mission permet de garantir un bon déroulement des processus électoraux. L’inverse pourrait entraîner des incidences directes sur le fonctionnement de nos démocraties. En résumé, il est impératif de mieux incarner ce que ces politiques apportent sur le plan intérieur, dans le quotidien des citoyens.
La simplification est en cours. Simultanément, il convient également de faire preuve de vigilance car il s’agit de domaines relevant de la souveraineté nationale. Ceci impose malgré tout que certaines contraintes du processus décisionnel puissent être maintenues, afin de garantir la préservation de la souveraineté. La simplification est donc louable, mais elle ne doit pas être conduite dans la précipitation. Il s’agit de bien soupeser la plus-value éventuelle des simplifications apportées.
Enfin, le sujet de l’implication européenne en Ukraine a été traité par le COPS de manière plus limitée, à travers la mission de formation EUMAM Ukraine. Lorsqu’il s’est agi de renouveler le mandat de la mission, la possibilité de dispenser certaines formations sur le sol ukrainien avait été discutée de manière préliminaire. Ce sujet sensible n’a pas recueilli l’unanimité des États membres. C’est la raison pour laquelle nos autorités politiques réfléchissent davantage à des formes de coalition ad hoc, même si le débat se reposera nécessairement sur le plan européen.
M. David Habib (LIOT). Je souhaite revenir sur l’Ukraine. Celles et ceux qui veulent honnêtement et fraternellement défendre l’Ukraine ont gagné en Europe. Il n’y a plus que quelques formations nationalistes qui viennent rappeler que l’Europe n’a pas vocation à s’occuper de cette question. Les uns s’abritent derrière le conflit entre Chypre et la Turquie, mais vous avez apporté tout à l’heure une réponse d’une lumineuse clarté ! De son côté, le Rassemblement National nous a habitué à une grande agilité intellectuelle. Étant passé de l’écu à l’euro en sept ans, il pourra sans doute également passer d’une vision souverainiste à une vision ouverte en moins de temps.
Madame l’ambassadrice, après la décision du Bundestag et de l’Allemagne je voudrais vous interroger sur la capacité de l’UE à offrir une réponse à court terme à l’Ukraine, c’est-à-dire lors des trois mois à venir, lesquels seront décisifs pour l’identité ukrainienne et la souveraineté de ce pays.
Mme Mathilde Félix-Paganon. Vous avez reconnu l’ampleur de l’effort consenti par les Européens et leur capacité de répondre à travers deux volets : la formation des troupes et la livraison d’équipement aux Ukrainiens. Les mécanismes demeurent en vigueur : une fois encore, en dépit du blocage hongrois, les livraisons d’équipements ne sont pas interrompues. Pour le moment, seule la capacité de pouvoir bénéficier ex post des remboursements est en pause. La contribution européenne en matière de PSDC est donc au-rendez-vous.
La réponse à court terme, dans les prochaines semaines, est d’ordre politique. De nombreuses réunions sont intervenues au plus haut niveau, dans le cadre d’une intense activité diplomatique, qui a permis de rappeler que le conflit en Ukraine ne peut se régler sans ce pays et que la sécurité collective de l’Union européenne ne peut être déterminée sans la participation de l’UE.
M. Bernard Chaix (UDR). Nous vivons un grand moment de refondation de l’ordre international. Les grandes puissances font preuve d’une assertivité croissante dans la défense de leurs intérêts. Ainsi, nous constatons que les Américains se désengagent de la sécurité du continent européen. Ce désengagement inédit nous oblige à repenser notre architecture de sécurité. En effet, 84 000 soldats américains sont positionnés sur le sol européen. En 2024, 63 % des équipements achetés en Europe étaient américains. Enfin, différents pays comme l’Allemagne accueillent des armes nucléaires tactiques américaines.
Cette dépendance influence naturellement les orientations de la politique étrangère européenne, notamment au sein du COPS. Cette situation est parfois consternante, presque ironique. Alors que le président Trump lorgne sur le Groenland, un territoire danois, le Danemark lui-même continue de se fournir largement en avions américains F-35. Le groupe UDR plaide en faveur d’une France qui redevienne une puissance d’équilibre indépendante. La prise de conscience de cette dépendance est donc une bonne nouvelle. Nous ne serions pas hostiles à ce que la France s’investisse dans la défense du continent. Nous aurions à notre tour une influence sur les orientations de la politique européenne.
Pour y parvenir, il faudrait que le retrait américain permette à nos fleurons français de gagner en parts de marché. La sortie américaine ne constituera une bonne nouvelle si et seulement si elle permet un sursaut sur les achats d’armes françaises. Mais peut-on vraiment affirmer que cela sera bien le cas ? Vos homologues européens du COPS sont-ils plus ouverts à l’idée d’acheter nos armes, alors même qu’ils sont nombreux à demander à Washington de ne pas partir ? Lors de la révision de la revue nationale stratégique, comment assurer que la dimension européenne de notre défense aille de pair avec des opportunités économiques de vente d’armes françaises à nos partenaires européens ?
Mme Mathilde Félix-Paganon. Je crois avoir déjà partiellement répondu à cette question. La prise de conscience de nos partenaires est réelle. Sur le plan intellectuel, notre objectif à moyen terme d’un renforcement de la BITDE est très largement soutenu. Naturellement, dans la déclinaison opérationnelle, des sujets sensibles demeurent, à l’instar du financement ou non de la production sous licence. La France se bat fermement pour disposer d’une BITDE autonome, selon des critères qui garantissent ce principe. En revanche, la question de l’achat des armes françaises par nos partenaires européens n’est pas traitée dans le cadre du COPS, dans la mesure où il s’agit d’un sujet industriel.
Malgré tout, il existe une volonté d’acheter davantage de produits européens, et surtout d’acheter en commun. En effet, sur des projets industriels d’ampleur, de telles acquisitions conjointes permettraient aussi garantir des débouchés de marché, tout en respectant évidemment l’expression individuelle des besoins par les États membres.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons maintenant à une séquence de questions complémentaires à titre individuel.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Nous faisons face aux menaces hybrides, qu’il s’agisse des cyberattaques, des actes de sabotage, de l’espionnage, de l’ingérence dans les processus électoraux, de la désinformation, encore de l’usage de pressions économiques ou financières. Parallèlement, nous observons le développement de nouvelles technologies, à travers le recours à l’intelligence artificielle par les acteurs qui en ont les moyens.
Comment la France envisage-t-elle de renforcer la coopération entre les États membres de l’Union européenne au sein du COPS pour garantir une défense européenne, notamment face aux menaces hybrides et émergentes ? Ensuite, quels sont les besoins en termes d’harmonisation des normes et des pratiques de cybersécurité au sein de l’UE afin de garantir une réponse unifiée face aux menaces étatiques et non-étatiques ? Enfin, comment le COPS abordera-t-il le sujet du recours aux mines antipersonnel qui vient d’être annoncé par la Pologne et les États baltes, à l’encontre de la convention d’Ottawa ?
Mme Mathilde Félix-Paganon. Permettez-moi de revenir vers vous concernant votre question sur la convention d’Ottawa. Je vous adresserai une réponse détaillée, que je ne peux formuler en l’état.
Ensuite, le cyber constitue l’un des axes de la Boussole stratégique adoptée en 2022. Des groupes de travail dédiés agissent ainsi sur les sujets relatifs à la cybersécurité et aux menaces hybrides ; ils se réunissent chaque semaine. Une première concrétisation est d’ailleurs intervenue, à travers la création d’une boîte à outils de lutte contre les menaces hybrides et la révision des lignes directrices de la « boîte à outils » cyber. Ces travaux ont ainsi permis d’attribuer à la Russie deux attaques cyber effectuées à l’encontre d’États membres. Il s’agit donc bien d’une très grande avancée.
La France est très active dans les instances que je viens d’évoquer. Nous disposons également d’équipes de réaction rapide face aux menaces hybrides qui bénéficient de la mutualisation d’informations transmises par les États membres. La France y contribue très activement. Enfin, nous coopérons de manière bilatérale avec un certain nombre d’États tiers, notamment la Moldavie.
M. Thierry Tesson (RN). La politique de défense consacrée en droit par les articles 4, 5 et 42 du traité de l’Union européenne relève exclusivement de la prérogative des États membres. Dans ce contexte, le rôle de la Commission européenne en matière de défense n’existe pas. Toute implication dans ce domaine dépasse son champ de compétence et constitue de fait une violation du droit européen. Pourtant, avec la création d’un commissaire européen à la défense et à l’espace, l’adoption de la réglementation sur le programme européen pour l’industrie de la défense (Edip) et le rôle croissant de Mme von der Leyen dans les négociations internationales, la Commission semble vouloir s’imposer comme le grand ordonnateur des politiques de défense des États membres. En tant que représentant de la France au sein d’un organe de l’Union européenne, comment percevez-vous cette montée en puissance de la Commission en ce domaine ?
Mme Mathilde Félix-Paganon. Cette montée en puissance s’opère de manière particulièrement prononcée sur les sujets industriels capacitaires, notamment sur le fondement de l’article 173 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui porte sur le renforcement de la compétitivité de l’industrie. Dans la mesure où l’Union européenne est une construction de droit, ces évolutions politiques se réalisent évidemment dans le plein respect des traités et des facilités qu’ils offrent.
M. Thierry Tesson (RN). Il s’agit donc selon vous de sujets relevant de l’industrie et non de la défense.
Mme Mathilde Félix-Paganon. Oui. La plupart des actions conduites par le commissaire à la défense sont à proprement parler des sujets de renforcement de l’industrie de défense européenne.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Madame l’ambassadrice, vous avez raison de rappeler que la construction de l’Union européenne se fonde sur le droit. Mais il est également vrai que l’on peut parfois s’y perdre, dans la mesure où certains volets demeurent intergouvernementaux, quand d’autres sont plus intégrés, à l’instar la coopération structurée permanente, du Fonds européen de la défense et de la Boussole stratégique européenne. À ce titre, comment s’articuleront la boussole stratégique européenne et le Livre blanc de l’UE ?
Mme Mathilde Félix-Paganon. Nous en saurons plus aujourd’hui, puisque ce Livre blanc est sur le point d’être dévoilé. Le Livre blanc ne remplace pas la Boussole, dont le spectre est plus large, mais la complète au regard de l’urgence de certains enjeux suscités notamment par l’agression russe à l’égard de l’Ukraine. Il permet de se pencher de manière plus précise sur un certain nombre de sujets capacitaires qui sont à esquissés ou évoqués dans la Boussole.
Le Livre blanc offre également l’occasion d’actualiser la définition des menaces. Cette actualisation s’avère nécessaire compte tenu des développements des deux dernières années. La Boussole avait été rendue publique quelques semaines après l’agression russe. Le Livre blanc permet de davantage prendre en compte la question ukrainienne dans la recomposition du sujet de la défense européenne et de ses capacités industrielles.
La question de l’appel à la clarté dans les différents instruments en place trouve en moi un écho certain. Comme je l’ai déjà évoqué partiellement un peu plus tôt, il me semble essentiel d’incarner les résultats concrets apportés par les outils qui sont déployés. En revanche, même si nous sommes soumis à un devoir d’explication, de transparence et de pédagogie vis-à-vis de nos citoyens, je ne suis pas sûre qu’il soit nécessaire de faire comprendre l’ensemble du processus décisionnel et des textes existants.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Il me semble cependant nécessaire de bien clarifier les différents domaines de compétences. Le volet intergouvernemental demeure naturellement, mais sur certains sujets, il est quand même plus efficace d’être intégrés.
Mme Mathilde Félix-Paganon. Oui. C’est la raison pour laquelle, lors de mes propos liminaires, j’ai fortement insisté sur le caractère intergouvernemental de l’action que nous déployons et sur la nécessité d’obtenir à chaque fois un accord des vingt-sept États membres. Ce principe d’unanimité est d’ailleurs assez simple à expliquer. À mon avis, plutôt que de l’envisager comme un facteur de blocage, il faut le considérer comme un atout, qui doit être défendu en tant que tel dans la prise de décision.
M. Jean-Louis Thiériot (DR). Nous sommes à peu près tous d’accord ici pour considérer qu’en vertu de la lecture des traités, la défense nationale relève des souverainetés nationales et donc de la compétence des États. Notre famille politique, héritière du général de Gaulle y est évidemment très attachée.
Cela étant posé, les débats existant sur les équipements militaires s’inscrivent dans un cadre plus vaste, celui que nos armées françaises appellent Dorese, acronyme de « Doctrine, organisation, ressources humaines, équipements, soutien des forces, entraînement ». Ces équipements relèvent de l’industrie et c’est donc au titre de la politique industrielle européenne communautaire que l’Union européenne peut de fait jouer un rôle dans ce domaine. On sait également que de toute structure administrative, en vertu du principe d’entropie, s’efforce toujours d’augmenter son rôle.
Au sein du COPS, organe intergouvernemental, quelles sont les modalités de vigilance que vous pouvez exercer au titre de vos fonctions pour éviter des empiètements communautaires dans le domaine de la défense ?
Mme Mathilde Félix-Paganon. La première manière consiste à faire remonter les informations et les points de vigilance à nos autorités, dans la mesure où notre action s’inscrit dans un cadre politique beaucoup plus large, le Comité des représentants permanents, et surtout le Conseil européen. De fait, de tels sujets sont de plus en plus traités au niveau des chefs d’État et de gouvernement. Notre pays est bien équipé sur les sujets européens, à travers notamment le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE). Nous disposons d’instances de pilotage qui permettent de traduire en démarches, en discours et en positionnements nos points de sensibilité sur le plein respect des compétences.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie, madame l’ambassadrice.
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La séance est levée à dix heures dix-neuf.
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Membres présents ou excusés
Présents. – M. Manuel Bompard, M. Philippe Bonnecarrère, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Alexandre Dufosset, Mme Sophie Errante, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Thomas Gassilloud, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Abdelkader Lahmar, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Murielle Lepvraud, M. Julien Limongi, M. Sylvain Maillard, Mme Alexandra Martin, Mme Marie Récalde, Mme Catherine Rimbert, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Thierry Tesson, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, M. Romain Tonussi
Excusés. – Mme Delphine Batho, M. Christophe Bex, Mme Anne-Laure Blin, M. Matthieu Bloch, M. Elie Califer, Mme Cyrielle Chatelain, M. Emmanuel Fernandes, M. Frank Giletti, Mme Florence Goulet, Mme Lise Magnier, Mme Anna Pic, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud