Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Examen pour avis, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi autorisant la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti (n° 1450) (Mme Anne Le Hénanff, rapporteure) 2
Mercredi
4 juin 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 70
session ordinaire de 2024‑2025
Présidence
de M. Jean‑Michel Jacques,
Président
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La séance est ouverte à 11 heures 10.
M. le président Jean-Michel Jacques. Conclu pour une durée de dix ans, le précédent traité de coopération en matière de défense (TCMD) est arrivé à échéance le 30 avril 2024. S’il était tacitement renouvelable, la France et Djibouti ont souhaité procéder à une révision du traité afin de renforcer leur partenariat stratégique pour les prochaines décennies. Les négociations, qui ont débuté en février 2021, ont abouti le 24 juillet 2024.
Le nouveau TCMD reprend pour une large partie les stipulations du précédent, comme en témoigne le maintien de la clause de sécurité, qui prévoit notamment la participation de la France à la police de l’espace aérien et à la surveillance des eaux territoriales de la partie djiboutienne. Le traité reprend également les formes de coopération agréées avec les forces djiboutiennes ainsi que le régime auquel sont soumises les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj).
Parmi les quelques modifications opérées, je me réjouis tout particulièrement de l’extension de la durée de validité du traité, qui passe de dix à vingt ans. J’y vois un gage de confiance et la marque de la profondeur des liens qui unissent nos deux pays.
Madame la rapporteure, vous avez dressé un panorama complet des enjeux de ce traité et de la présence militaire française à Djibouti dans votre avis. Nous avons hâte d’entendre vos conclusions.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. C’est en ma qualité de rapporteure pour avis des crédits du programme 144, Environnement et prospective de la politique de défense, de la mission Défense du projet de loi de finances (PLF), que j’ai souhaité porter cet avis sur le projet de loi autorisant la ratification du TCMD. En effet, la contribution forfaitaire versée au profit de la République de Djibouti est financée grâce aux crédits de l’action 8 du programme 144.
Par ailleurs, j’ai eu à cœur d’appréhender le TCMD de manière concrète. À ce titre, j’ai souhaité effectuer un déplacement à Djibouti, afin de voir et de ressentir. Je remercie le président de la commission et les membres du bureau d’avoir autorisé la création de cette mission, qui a nourri ma réflexion et m’a permis d’aborder de manière factuelle et objective les enjeux de défense à Djibouti et, plus largement, la relation bilatérale qui lie nos deux pays.
Dans le cadre de mes travaux, j’ai également auditionné plusieurs représentants du ministère des Armées et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français.
Mon propos liminaire sera organisé en trois parties : un panorama de la géopolitique de Djibouti ; une présentation de l’action des FFDj ; et une revue des principales modifications apportées au traité.
Djibouti est un pays singulier, situé à la croisée de quatre zones géographiques : les plaques africaine, arabique, indienne et somalienne. Le pays se trouve aussi à la jonction de trois espaces stratégiques : l’océan Indien, la mer Rouge et l’Afrique. De ce point de vue, en dépit de sa localisation en Afrique, Djibouti est à la fois un pays africain et un pays arabe. En outre, il est au cœur de toutes les crises régionales : climatique, géopolitique, économique et religieuse. Au-delà, le pays ne laisse pas indifférent tant il est fascinant et unique.
La position géographique de Djibouti en fait un acteur important sur les plans stratégique et économique. En effet, le pays se situe à la fois sur un carrefour maritime mondial grâce à son ouverture sur le détroit de Bab-el-Mandeb, l’un des points névralgiques du commerce mondial, et sur un carrefour numérique, en raison de l’atterrage des câbles sous-marins.
Le pays est également un débouché portuaire majeur pour les États d’Afrique de l’Est, surtout pour l’Éthiopie enclavée, dont 90 % des biens exportés transitent par Djibouti.
Sur le plan militaire, le pays est impliqué dans les efforts de stabilisation régionale, par le biais de son engagement en Somalie depuis 2012. Plus de 1 200 militaires sont ainsi déployés au sein de la mission de maintien de la paix de l’Union africaine en Somalie, ce qui représente un investissement conséquent pour les forces armées djiboutiennes, composées d’environ 12 000 hommes.
Dans la région, Djibouti est donc considéré comme un îlot de stabilité au sein d’un environnement immédiat volatil, en constante évolution.
Sur le plan international, Djibouti est un allié traditionnel des pays occidentaux, notamment de la France et des États-Unis. Le pays a développé une stratégie de diversification de ses partenariats à partir des années 2000 et a considérablement renforcé ses relations avec certaines puissances asiatiques, en particulier avec la Chine. Membre de la Ligue arabe depuis 1977, Djibouti renforce également ses relations avec certains pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, notamment avec l’Arabie saoudite, la Turquie ou le Maroc.
J’en viens aux FFDj, qui sont présentes sur le territoire djiboutien depuis l’indépendance du pays en 1977. Fortes de plus de 1 450 femmes et hommes, les FFDj constituent la plus importante base militaire française permanente à l’étranger. Elles forment à la fois une base opérationnelle avancée, disposant de capacités de projection propres, et un pôle opérationnel de coopération. Leur zone de responsabilité permanente englobe neuf pays : Djibouti, l’Éthiopie, l’Érythrée, la Somalie, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Ouganda, le Kenya et le Yémen.
Les missions des FFDj sont les suivantes : contribuer, en application de la clause de sécurité du TCMD, au maintien de l’intégrité territoriale de Djibouti en assurant la participation de la France à la police du ciel et à la surveillance des eaux territoriales ; assurer leur contrat opérationnel en étant en mesure d’appuyer toute unité projetée dans la région et de conduire des opérations dans la zone de responsabilité permanente ; planifier et conduire des actions de partenariat militaire opérationnelles ; contribuer à l’appréciation autonome de situations ; assurer la protection des intérêts français dans la zone ; et garantir la liberté de navigation dans la région et soutenir les bâtiments en escale.
Par ailleurs, les FFDj offrent aux unités de métropole des possibilités d’entraînement dans un environnement régional exigeant, ce dont j’ai pu me rendre compte lors de ma visite du centre d’entraînement au combat et d’aguerrissement au désert (Cecad) et du centre d’entraînement des commandos à Arta plage.
Les FFDj constituent aussi une force interarmées, qui dispose d’un large spectre de capacités, que je voudrais détailler.
L’état-major interarmées a pour mission de planifier et de conduire les activités des FFDj dans tous les champs.
Le 5e régiment interarmes d’outre-mer est composé d’une compagnie d’infanterie, d’un escadron blindé, d’une compagnie d’appui mixte génie combat / artillerie sol-sol, du Cecad, d’un détachement de l’aviation légère de l’armée de Terre ainsi que d’une compagnie de commandement, de logistique et de maintenance.
La base aérienne 188 comprend deux escadrons, une escale aérienne militaire, un centre de commandement des actions aériennes, un centre de contrôle aérien et des moyens de protection et de soutien aéronautique.
La base navale compte deux chalands de transbordement maritime, deux pousseurs, deux vedettes rapides, un détachement de marins-pompiers et un détachement de la force maritime des fusiliers marins et commandos.
Les FFDj comprennent également un détachement avancé des transmissions et une direction interarmées du service de santé des armées, qui garantit le soutien médical et chirurgical du personnel militaire et civil des FFDj et de leurs familles.
Enfin, une direction du commissariat des armées, une antenne de la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (Dirisi), une direction de l’infrastructure de défense, un détachement du Service interarmées des munitions (SIMu) et une direction du service de l’énergie opérationnelle (SEO) sont également présents.
Les FFDj devraient bénéficier du renouvellement de certains équipements d’ici à 2028, conformément aux engagements pris dans la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030. Pour accueillir ces nouveaux équipements, il faudra conduire des opérations d’infrastructure.
Le positionnement des FFDj est stratégique en ce qu’il offre aux armées un avantage opérationnel conséquent, avec une capacité de projection vers différentes zones d’intérêt pour la France : le détroit de Bab-el-Mandeb, la mer Rouge et l’océan Indien. La France est le seul pays européen à posséder dans cette zone de telles capacités militaires, dont toute l’Europe dépend pour son approvisionnement et où circulent des flux économiques, énergétiques et numériques, ainsi que des métaux rares.
Djibouti constitue également une plateforme logistique essentielle pour le déploiement vers l’océan Indien et un point d’appui dans le cadre de la stratégie française dans la zone indopacifique.
Ce déploiement militaire offre une crédibilité opérationnelle fondant la légitimité stratégique de la France dans cette région et revêt un enjeu majeur de souveraineté dans un contexte sécuritaire volatil, à proximité immédiate de nos zones économiques exclusives et de nos territoires ultramarins.
Enfin, en soutenant les bâtiments en escale, les FFDj constituent un point d’appui essentiel pour les missions opérationnelles de l’Union européenne : l’opération Atalante, dédiée à la lutte contre la piraterie aux abords de la Corne de l’Afrique, et l’opération Aspides, dédiée à la protection du trafic maritime en mer Rouge contre les attaques menées par les Houthis.
Le positionnement stratégique des FFDj à Djibouti a notamment démontré toute sa pertinence lors de l’opération Sagittaire menée au Soudan, qui a fait l’objet d’un bilan circonstancié lors d’une audition devant notre commission. Ainsi, plus de 1 000 personnes de 84 nationalités ont pu être évacuées. L’ancrage profond et complet des FFDj dans leur environnement les a imposées comme l’élément central des opérations, le pivot naturel autour duquel s’est mécaniquement articulée la coordination avec les autres acteurs de la crise.
En outre, l’implantation française à Djibouti a largement contribué à l’appui fourni à Mayotte après le passage du cyclone Chido en décembre 2024. Au total, les FFDj ont appuyé 66 liaisons aériennes avec Mayotte grâce aux A400M de l’armée de l’Air et de l’Espace.
J’en viens désormais au TCMD. Dans le domaine la défense, la coopération franco‑djiboutienne était régie par le traité signé à Paris le 21 décembre 2011 et entré en vigueur le 1er mai 2014, pour une durée de dix ans. Il a donc expiré le 30 avril 2024.
Cet accord était essentiellement centré sur la coopération militaire, dans les domaines technique et opérationnel. Il se démarquait des accords contemporains conclus avec les autres États africains car il comprenait une clause de sécurité précisant les formes de la participation française à la défense de l’intégrité territoriale de la République de Djibouti.
Le traité fixait aussi les facilités opérationnelles accordées aux FFDj, parmi lesquelles figure la mise à disposition d’installations nécessaires à la mise en œuvre de la coopération en matière de défense.
Le précédent TCMD, renouvelable tacitement, prévoyait expressément une revue intégrale du traité dans sa neuvième année d’exécution. La France et Djibouti ont acté le principe d’une révision du TCMD lors de la visite du Président de la République de Djibouti à Paris le 12 février 2021, ce qui a donné lieu à la conclusion d’une déclaration d’intention relative au partenariat de défense.
Le traité signé le 24 juillet 2024 s’inscrit pleinement dans la continuité du précédent et constitue davantage une actualisation qu’un nouvel accord. Cette actualisation a pris la forme d’amendements, dont j’évoquerai les principaux.
La promotion de la francophonie, enjeu capital pour le rayonnement de la France à Djibouti, a été inscrite dans le préambule du traité. Lors de ma visite, j’ai constaté que les autorités djiboutiennes et nos collègues parlementaires sont très attachés à la langue française, qu’ils pratiquent avec beaucoup d’aisance.
Ensuite, la clause de sécurité a été renforcée par deux amendements portant sur deux alinéas de l’article 4, qui constitue le cœur de la coopération bilatérale de défense. D’abord, « l’intégrité territoriale de la République de Djibouti » a été ajoutée. Ensuite, la coordination du trafic aérien militaire a été insérée, permettant aux contrôleurs aériens français de contrôler et de coordonner les aéronefs militaires dans l’espace aérien djiboutien.
De plus, le périmètre du traité n’englobe plus seulement les « forces armées djiboutiennes » mais est étendu aux « forces djiboutiennes ». Cette évolution permet d’inclure dans la coopération les forces de sécurité intérieure de la République de Djibouti, notamment les garde-côtes dans le cadre de la surveillance des espaces maritimes. Dans les faits, cette évolution permet de reconnaître et d’encadrer une coopération déjà prolifique.
Le partenariat est également renforcé en matière de santé. La France conduit déjà de nombreuses actions dans ce domaine, tant du côté civil que du côté militaire. La nouvelle coopération ne se limitera pas au domaine de la défense. L’inclusion des hôpitaux civils à l’article 15 permet aux deux parties d’être soignées indifféremment en milieu militaire ou civil, en cas de nécessité ou d’urgence.
En outre, un comité militaire de dialogue stratégique doit être créé, qui aura vocation à renforcer le dialogue et la coopération entre les armées françaises et djiboutiennes, afin de répondre à des enjeux stratégiques communs. Il doit notamment permettre de définir un plan pluriannuel de coopération et d’assurer la tenue d’échanges à un bon niveau.
Avec le nouveau TCMD, les emprises nécessaires à nos missions opérationnelles sont garanties, voire augmentées, et notre capacité d’entraînement est préservée. En outre, des emprises non-opérationnelles seront restituées en totalité ou pour partie, notamment 40 % de l’îlot du Héron. Depuis 2002, cette zone accueille la base navale des FFDj, des logements pour les familles, des places d’hébergement pour les militaires en mission, le centre de restauration et d’hôtellerie, l’économat des armées, des locaux techniques pour les commandos fusiliers marins, des bâtiments technico-logistiques et un centre sportif et artistique. Il s’agit aussi d’un point de mise à l’eau pour les embarcations des commandos et en cas d’opération d’évacuation des ressortissants français. La restitution d’une partie de l’îlot du Héron permet de répondre à une demande ancienne des autorités djiboutiennes. Cette façade maritime, située dans un quartier convoité de la ville, pourra ainsi être exploitée pour les besoins militaires de Djibouti ou dans un cadre civil. Cette restitution n’aura pas d’impact opérationnel majeur, la zone restituée accueillant principalement des logements, qui seront relocalisés.
Par ailleurs, la durée de validité du traité passe de dix à vingt ans, l’accord restant renouvelable tacitement. Cette nouvelle durée, celle d’une génération, témoigne de la confiance accordée par Djibouti à la France et donne la visibilité nécessaire pour consentir des investissements de long terme. De ce fait, le nouveau TCMD donne davantage de prévisibilité et de stabilité aux deux parties.
La hausse de la contribution forfaitaire représente également une évolution majeure, puisqu’elle passe de 30 millions à 85 millions d’euros par an. Cette hausse se justifie à plusieurs titres. D’abord, la contribution financière de 30 millions d’euros dans le précédent TCMD n’avait pas été réévaluée depuis 2003. En outre, les armées françaises ne sont pas seules à Djibouti et la France fait face à une compétition accrue. Ainsi, des bases militaires japonaises, italiennes et chinoises se sont installées. Enfin, la hausse de la valeur du mètre carré, consécutive à l’urbanisation, a entraîné un décalage entre la valeur réelle du prix au mètre carré et le montant de la contribution forfaitaire payée par la France.
De plus, en vertu des stipulations de l’article 1er de l’annexe 3 du nouveau TCMD, la contribution forfaitaire sera libératoire de tout impôt, taxe, droit de douane, prélèvement et redevance, quelle que soit sa dénomination. La France bénéficiera donc de déductions fiscales qui diminueront mécaniquement le coût réel de sa contribution forfaitaire.
Au bilan, je ne peux que saluer la conclusion de cet accord équilibré et gagnant-gagnant, qui donne de la prévisibilité et de la stabilité en codifiant certaines pratiques, en clarifiant des procédures et en allongeant sa durée de validité.
Pour terminer, je partagerai quelques éléments plus personnels. Lors de ma visite à Djibouti, j’ai approfondi mes connaissances sur notre coopération bilatérale de défense, mais j’ai surtout fait des rencontres exceptionnelles. Je n’oublierai pas l’accueil que nous ont réservé nos collègues députés. Avec Yannick Favennec-Bécot, président du groupe d’amitié France-Djibouti, nous avons été merveilleusement accueillis. Nous avons échangé avec des amis de la France, défenseurs acharnés de la francophonie et de la relation franco‑djiboutienne. Ils nous ont fait part en toute sincérité de l’affection qu’ils portaient à notre pays et nous avons exprimé la nôtre. Je retiens cette phrase, prononcée par l’un de nos collègues : « Lorsque nous voyons des Français, c’est comme si nous retrouvions de vieux amis ». Puisse cette relation unique perdurer !
Je remercie également les ministres et autorités des ministères de la Défense et des Affaires étrangères djiboutiens, pour le temps qu’ils nous ont accordé et la qualité de nos entretiens. Je pense aussi à la rencontre avec le directeur du port de Djibouti, dont l’empathie et la francophilie illustrent le fait que la relation bilatérale s’incarne chaque jour, au-delà des traités. À cet égard, j’ai aussi constaté la profondeur des liens interpersonnels qui se sont tissés entre les marins français et djiboutiens.
Enfin, je voudrais exprimer ma gratitude et mon admiration à l’égard de l’équipe France présente à Djibouti. Je pense à notre ambassadrice, Mme Dana Purcarescu, au commandant des FFDj, le général Sébastien Vallette, à notre attaché de défense, le colonel Stéphane Caille, à la première conseillère de l’ambassade, au deuxième conseiller et à tant d’autres, qui travaillent tous les jours au service de notre pays, avec un talent et un dévouement exemplaires, aux côtés de personnels civils de recrutement local (PCRL) djiboutiens, qui participent, eux aussi, au rayonnement de la France à Djibouti.
Au moment où il nous revient d’autoriser ou non la ratification du TCMD, nous devons nous poser une question simple : souhaitons-nous que la France conserve son rang et sa relation unique avec Djibouti, un pays ami et un partenaire historique ? Pour ma part, la réponse est oui.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Catherine Rimbert (RN). Situé à l’entrée Sud de la mer Rouge, Djibouti contrôle un axe majeur, par lequel transite 10 % du commerce mondial, ce qui en fait l’un des points les plus sensibles et stratégiques de la planète. Cette position enviée s’accompagne d’une importante instabilité régionale. Ainsi, la Somalie et le Yémen sont marqués par l’insécurité et la menace terroriste.
La France n’est pas seule à Djibouti et il nous faut conserver notre place pour garder un contrôle sur le détroit. Après les trop nombreux échecs rencontrés par le Gouvernement pour maintenir notre présence dans la bande sahélo-saharienne, Djibouti constitue plus que jamais un point d’appui de la stratégie française sur le continent africain et dans la zone indopacifique.
Djibouti constitue un îlot de stabilité mais aussi un poste avancé d’observation, d’anticipation et d’intervention. Point d’appui opérationnel de nos forces armées et de notre marine, lieu d’entraînement de nos forces spéciales ou porte d’entrée pour nos opérations clandestines, notre présence à Djibouti est un levier d’autonomie stratégique, un outil de projection rapide en cas de crise et un appui à plusieurs opérations mondiales.
C’est grâce à Djibouti que notre pays peut se maintenir en mer Rouge, lutter contre la menace houthiste et protéger le commerce mondial. Il faut considérer cette base comme un enjeu d’avenir dans un espace devenu l’un des épicentres de la compétition mondiale.
Nous saluons le travail fourni pour renouveler ce traité, qui permet de maintenir notre indépendance stratégique et opérationnelle. Le Rassemblement national votera en faveur du projet de loi.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Le nouvel accord est un texte stratégique, qui permet notamment de maintenir la présence d’une base militaire française dans une région dont l’importance géopolitique ne cesse de croître.
Djibouti constitue une porte d’entrée vers la mer Rouge et le détroit de Bab‑el‑Mandeb. La zone relie la Méditerranée à l’océan Indien, constituant l’une des principales voies de passage du commerce maritime mondial. Ainsi, pas moins de 70 % du trafic maritime des pays de l’Union européenne y transite. Cette zone est régulièrement sujette à une instabilité qui pourrait la rendre impraticable sans protection. Dans ce contexte, la présence militaire française à Djibouti reste un élément clef pour protéger les navires des armateurs français et assurer la liberté de navigation.
Par ailleurs, cette base nous permet de projeter nos forces militaires vers des zones stratégiques. Elle joue aussi un rôle de relais logistique essentiel entre l’Hexagone, La Réunion et Mayotte.
Cependant, nous ne pouvons ratifier ce traité sans évoquer les profondes inquiétudes liées à la situation politique de Djibouti. Le Président Ismaïl Omar Guelleh dirige ce pays d’une main de fer depuis 1999. Les atteintes aux libertés fondamentales, la répression des opposants et les violations des droits humains y sont systématiques. Malgré cette réserve importante, notre groupe votera en faveur du projet de loi.
Mme Corinne Vignon (EPR). Djibouti occupe une place stratégique essentielle dans notre dispositif de défense. Ce pays est bien plus qu’un partenaire ; il est un allié fiable, un îlot de stabilité dans une région tourmentée et un point d’ancrage vital pour la projection de nos forces et la protection de nos intérêts.
La base des FFDj constitue notre implantation militaire permanente la plus importante à l’étranger. Elle permet à la France d’avoir une présence crédible dans l’océan Indien, de surveiller le détroit de Bab-el-Mandeb et d’intervenir rapidement dans les cas de crise, comme ce fut le cas au Soudan ou après le passage du cyclone Chido.
Le traité actualisé renforce cette coopération tout en l’adaptant aux réalités nouvelles. Il prolonge notre partenariat, intègre les forces de sécurité intérieure djiboutiennes, améliore nos capacités en matière d’infrastructure et porte notre engagement financier à un niveau plus cohérent, compte tenu de la concurrence géopolitique qui sévit dans la région.
Madame la rapporteure, au regard de la montée en puissance de la présence militaire chinoise à Djibouti, comment le comité militaire de dialogue stratégique peut-il constituer un levier pour mieux articuler notre coopération avec Djibouti autour de nos priorités de souveraineté, tout en consolidant notre avantage opérationnel face aux stratégies d’influence concurrentes ?
Notre groupe soutient ce projet de loi. Djibouti n’est pas seulement un point d’ancrage militaire de premier plan pour nos forces, c’est aussi un carrefour numérique mondial, où transitent plusieurs câbles sous-marins vitaux pour nos communications. Cette implantation participe pleinement à notre autonomie stratégique, y compris dans les champs opérationnel, informationnel et spatial.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. La présence de nombreux pays à Djibouti prouve le caractère stratégique de la zone.
Les Djiboutiens sont attachés au fait de pouvoir discuter avec toutes les nations et la présence chinoise ne met pas en péril la présence française. Nous avons demandé clairement si cette évolution pourrait remettre en cause notre présence, notamment dans le port ; ce n’est pas le cas.
Le traité tel qu’amendé prouve que les Djiboutiens souhaitent toujours avoir une relation privilégiée et approfondie avec la France.
Mme Isabelle Santiago (SOC). Le traité revêt une importance stratégique déterminante pour la France, bien au-delà de sa dimension bilatérale. Il s’agit d’un accord clef pour l’ancrage de notre présence militaire dans une zone charnière, au cœur d’un espace géopolitique sous tension croissante.
Djibouti occupe une position unique, qui confère à ce petit État une importance majeure, à laquelle s’ajoute sa stabilité relative dans une région très troublée. Cette situation explique pourquoi Djibouti est le seul pays au monde à accueillir les bases militaires permanentes de six puissances, dont la France, les États-Unis, la Chine et le Japon.
La contrepartie financière du traité passe de 30 à 85 millions d’euros par an. Cet effort est à la hauteur des attentes djiboutiennes et a des bénéfices stratégiques pour la France, dans un contexte où tous nos partenaires sont soumis aux mêmes demandes.
Le traité signé en 2024 ne relève pas de la simple reconduction mais d’une actualisation stratégique de notre positionnement en Afrique de l’Est. C’est aussi un acte de souveraineté et de responsabilité, dans un monde en profonde recomposition.
La France disposait d’installations stratégiques à Djibouti bien avant l’indépendance de 1977 et, depuis cette date, notre présence militaire n’a jamais été interrompue. Ce traité constitue le troisième cadre juridique formel donné à cette coopération, après ceux de 1977 et de 2011.
Djibouti offre aussi un lieu d’entraînement essentiel pour nos forces. Les conditions climatiques, la variété des terrains et les espaces disponibles y permettent l’organisation d’exercices d’ampleur, y compris interarmées et interalliés. Il s’agit d’un atout considérable pour la préparation opérationnelle de nos militaires mais aussi pour maintenir un haut niveau d’interopérabilité avec les autres forces présentes sur place.
Le groupe socialiste soutient ce projet de ratification.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). La France, ancienne puissance coloniale dans la région, est pleinement consciente de la position stratégique de Djibouti. Depuis l’indépendance de ce pays, la France maintient une force militaire constante, en cours de renouvellement pour vingt ans.
L’accord garantit le maintien de notre implantation dans une zone aux enjeux sécuritaires majeurs. Les actes de piraterie menés par les milices shebab en provenance de Somalie ainsi que les attaques des Houthis du Yémen représentent une menace directe pour la sécurité de la navigation maritime. Djibouti joue un rôle clef dans la sécurisation de ces routes maritimes, rôle que la France soutient activement dans le cadre des opérations européennes.
Notre base à Djibouti permet aussi de déployer des moyens militaires vers l’Afrique de l’Est, le Moyen-Orient et l’océan Indien. Elle constitue un point stratégique pour relier la métropole à La Réunion et à Mayotte, facilitant notamment les interventions d’urgence. Il est donc crucial de conserver cette position stratégique. Cependant, malgré nos alertes répétées, notre influence s’érode.
Dans la perspective de l’élection présidentielle qui doit se tenir à Djibouti en 2026, la France doit encourager un processus démocratique plus ouvert, garantissant notamment le droit de l’opposition à participer aux élections législatives. Enfin, le respect des droits humains est une obligation morale mais aussi un impératif stratégique ; notre présence dépend de la stabilité des régimes avec lesquels nous collaborons.
Notre groupe soutiendra le projet de loi.
Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Notre groupe votera le projet de loi autorisant la ratification d’un traité équilibré.
Je voudrais souligner l’importance de l’extension de la durée de validité du traité à vingt ans. Je suis allée à Djibouti, où j’ai pu constater l’étendue spectaculaire des investissements chinois, notamment dans les bases navales. À cet égard, je signale que la Chine a aussi financé la voie ferrée reliant Djibouti à Addis Abeba. Tous ces intérêts doivent être pris en compte et nous avons besoin d’être rassurés par une durée longue.
En ce qui concerne la coopération en matière santé, les installations présentes effectuent un travail extraordinaire auprès de la population, en matière de prévention et de traitement curatif, ce qui est important pour notre pays et pour l’image de ce que notre pays apporte en Afrique.
M. Loïc Kervran (HOR). Notre groupe votera en faveur du projet de loi. En effet, le TCMD consolide et actualise un partenariat stratégique essentiel pour la France, dans une région particulièrement instable et marquée par une compétition géopolitique intense.
À l’heure où notre pays réajuste son dispositif militaire en Afrique de l’Ouest et au Sahel, il est indispensable de maintenir une présence solide à Djibouti, carrefour stratégique de la Corne de l’Afrique et porte d’entrée de l’océan Indien. La base française de Djibouti constitue un atout majeur pour la liberté de navigation et la sécurité maritime, dans une zone vitale pour la France.
Le nouveau traité réaffirme la clause de sécurité et élargit le champ de coopération, en intégrant les forces de sécurité intérieure djiboutiennes et en renforçant notre coopération sanitaire et stratégique. Ces évolutions témoignent de notre engagement à accompagner Djibouti dans la préservation de sa stabilité et de sa souveraineté, tout en préservant nos intérêts stratégiques.
La contribution financière annuelle de la France a été revalorisée, notamment pour tenir compte des évolutions immobilières et des nouvelles demandes djiboutiennes. Cette revalorisation démontre la volonté française de maintenir un partenariat équilibré et respectueux.
M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). Le TCMD revêt une importance particulière dans le contexte actuel de redéploiement de notre présence militaire en Afrique. Il s’agit d’un engagement stratégique clair, dans une région où la stabilité est cruciale et où les menaces sont nombreuses.
Djibouti est un pays ami, un partenaire fiable et un point d’ancrage essentiel dans la Corne de l’Afrique, situé à un carrefour stratégique. Le pays joue un rôle central en matière de sécurité maritime, de lutte contre le terrorisme et de projection de nos forces.
Le traité modernise le cadre juridique de notre présence militaire, tout en répondant aux attentes djiboutiennes ; c’est gagnant-gagnant. Le TCMD prévoit le maintien de la clause de sécurité, la facilitation des exercices militaires, la création d’un comité stratégique et la restitution partielle de l’îlot du Héron. De plus, la contribution forfaitaire est portée à 85 millions d’euros par an, garantissant la lisibilité de notre engagement.
Dans un contexte de concurrence accrue, notamment face à la Chine, il est essentiel que la France demeure un acteur de référence. Notre coopération dépasse le seul champ militaire et inclut les domaines de l’éducation, de la culture, des infrastructures ou du spatial. Elle repose aussi sur la francophonie, que nous devons continuer à défendre, en facilitant notamment l’accès aux visas pour les étudiants djiboutiens. Nos collègues députés sur place nous ont dit à quel point ils espéraient nous voir travailler sur ce sujet.
Ce traité reflète une politique étrangère cohérente, équilibrée et ambitieuse. Notre groupe votera en faveur du projet de loi.
M. Édouard Bénard (GDR). L’objectif de ce partenariat est double : maintenir la présence militaire près du détroit de Bab-el-Mandeb et garantir les capacités de projection de nos forces sur le continent africain et dans la zone indopacifique.
L’augmentation de la contribution française aux finances du gouvernement de Djibouti est présentée comme un acte positif. Cependant, il faut mettre cette hausse en perspective et rappeler que les crédits dédiés à l’aide publique au développement (APD) ont été sabrés de 37 % dans la loi de finances pour 2025. De plus, en portant sa contribution financière à 85 millions d’euros, la France participerait au budget de Djibouti à hauteur de 10 %, renforçant des liens structurels de dépendance, dans un schéma asymétrique et dans une approche presque exclusivement militaire. Cette dernière a pourtant montré ses limites en Afrique de l’Ouest comme en mer Rouge, où les Houthis montent en puissance en dépit des actions menées par les différentes coalitions internationales.
En outre, on ne peut passer sous silence la nature du régime djiboutien. Le chef de l’État est au pouvoir depuis 1999, les exécutions arbitraires continuent d’avoir lieu malgré l’interdiction de la peine de mort, l’application des lois de la charia reste en vigueur et le régime refuse de ratifier un certain nombre de conventions internationales.
La France a-t-elle réellement besoin d’une base permanente à Djibouti alors qu’elle dispose des porte-avions naturels que sont Mayotte et La Réunion ? Il nous faut interroger notre présence militaire et notre soutien financier, qui peut être interprété comme une contribution directe au maintien au pouvoir d’un gouvernement autocratique.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux questions individuelles des autres députés.
M. Alexandre Dufosset (RN). Depuis plus d’un siècle, la présence française à Djibouti incarne notre ancrage stratégique dans une région charnière du monde. Cette implantation n’est ni un vestige du passé ni la marque d’un simple accord bilatéral ; elle témoigne d’une volonté constante de préserver nos intérêts vitaux dans la zone.
Ce nouveau traité s’inscrit dans la continuité et garantit la souveraineté française face aux appétits croissants des puissances étrangères, au premier rang desquelles se trouvent la Chine et la Turquie, qui entendent remodeler l’ordre régional à leur profit.
Le traité renforce notre dispositif de défense sur un axe vital du commerce mondial, tout en prolongeant notre coopération avec un partenaire historique en matière de sécurité, de renseignement et de lutte contre le terrorisme. Ce texte répond à une exigence impérieuse : maintenir la voix de la France dans une région devenue le théâtre d’une compétition stratégique féroce.
À l’heure où notre pays subit un recul d’influence dramatique sur le continent africain, où l’extension des réseaux islamistes menace la stabilité des États partenaires et où l’absence de pilotage stratégique affaiblit nos leviers de puissance, ce traité constitue un acte de souveraineté. Pouvez-vous rappeler, madame la rapporteure, pourquoi ce traité incarne, dans le chaos migratoire actuel, un point d’appui pour restaurer notre présence, notre respectabilité et notre influence sur la scène internationale ?
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Ce traité est stratégique notamment parce que la présence et l’influence de la France ont été réduites sur le continent africain. De plus, cet accord représente pour nous un point d’appui majeur pour une reprise des relations bilatérales avec les pays d’Afrique. Il est donc essentiel pour l’avenir et pour les nouvelles relations avec les pays d’Afrique qu’il nous faut inventer.
La commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.
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La séance est levée à 12 heures 05.
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Membres présents ou excusés
Présents. – M. Édouard Bénard, M. Frédéric Boccaletti, M. Manuel Bompard, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Alexandre Dufosset, M. Yannick Favennec‑Bécot, Mme Stéphanie Galzy, Mme Florence Goulet, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Laurent Jacobelli, M. Jean‑Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Guillaume Kasbarian, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Abdelkader Lahmar, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Murielle Lepvraud, M. Sylvain Maillard, M. Thibaut Monnier, M. Karl Olive, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Catherine Rimbert, Mme Marie‑Pierre Rixain, Mme Isabelle Santiago, M. Boris Tavernier, M. Romain Tonussi, Mme Corinne Vignon
Excusés. – M. Gabriel Attal, Mme Delphine Batho, Mme Valérie Bazin‑Malgras, M. Christophe Bex, Mme Anne‑Laure Blin, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Caroline Colombier, M. Olivier Faure, M. Emmanuel Fernandes, Mme Lise Magnier, Mme Michèle Martinez, Mme Mereana Reid Arbelot, M. Arnaud Saint‑Martin, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud