Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 

– Examen, ouvert à la presse, du rapport pour avis sur le projet de contrat d’objectifs et de performance (COP) entre l’État et l’Institut français pour la période 2024-2026
(M. Frédéric Petit et M. Aurélien Taché, rapporteurs)...........2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mercredi
12 février 2025

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 34

session ordinaire 2024-2025

Présidence
de M. Michel Herbillon, Vice-président


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La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, du rapport pour avis sur le projet de contrat d’objectifs et de performance (COP) entre l’État et l’Institut français pour la période 2024-2026.

La séance est ouverte à 11 h 20.

Présidence de M. Michel Herbillon, vice-président.

M. Michel Herbillon, président. Mes chers collègues, notre ordre du jour se poursuit avec l’examen du rapport pour avis sur le projet de contrat d’objectifs et de performance (COP) entre l’État et l’Institut français pour la période 2024-2026. Ce document définit, d’une part, les orientations, les modalités d’action et les priorités géographiques assignées à l’Institut français et prévoit, d’autre part, les modalités de suivi et d’évaluation des actions menées. Il s’agit donc d’un texte stratégique qui engage l’action de cet établissement pour les années à venir.

Ce document, qui couvre donc une période allant du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2026, a été déposé sur le bureau de notre Assemblée le 20 décembre dernier. Je tiens à souligner un point qui ne peut nous laisser indifférents : la transmission d’un projet de COP à la fin de l’année 2024 pour une période qui aurait dû débuter dès janvier 2024. Ceci constitue une anomalie trop fréquente, que nous avons souvent eu l’occasion de dénoncer. Je souhaiterais vraiment que les calendriers soient davantage respectés. Il n’est pas convenable de demander à notre commission de se prononcer sur un COP ayant déjà un an d’existence.

Permettez-moi de rappeler que l’Institut français, créé en 2010, est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Il est placé sous la double tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et du ministère de la culture. L’Institut français n’exerce pas la tutelle du réseau culturel français à l’étranger, qui relève uniquement du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Son rôle est essentiel, car il assure un appui au réseau culturel français à l’étranger, favorise la diffusion de la culture et de la langue française et soutient l’internationalisation des secteurs culturels et créatifs français. Les compétences et les moyens qu’il mobilise ont ainsi une incidence sur un large périmètre humain et budgétaire, comprenant l’ensemble des moyens mobilisés par le réseau culturel français à l’étranger. À ce titre, l’Institut français constitue un levier fondamental pour le rayonnement de la France et le dialogue interculturel.

Selon le projet de rapport de nos collègues, les objectifs fixés dans le précédent contrat ont été globalement atteints, malgré un contexte difficile dû à la crise sanitaire. C’est en tout cas un constat encourageant. Notre responsabilité est désormais de nous prononcer sur les objectifs assignés pour les prochaines années, en veillant à leur pertinence et à leur faisabilité.

Je cède à présent la parole à nos deux rapporteurs.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le président, pour le rappel salutaire concernant le respect du calendrier. Je crois même que le précédent COP n’avait pas du tout été examiné par cette commission.

Le COP 2024-2026 pour l’Institut français est le document-cadre qui définit les enjeux de l’action, la stratégie et les principaux outils de cet établissement. Ce document étant un COP, et non un contrat d’objectifs et de moyens (COM), il ne contient pas de trajectoire budgétaire.

L’Institut français, créé en 2010, est l’héritier d’anciennes structures établies pour contribuer à la politique culturelle extérieure de la France, notamment l’Association française d’action artistique, l’Association pour la diffusion de la pensée française et l’Association Afrique en créations. Dans le contexte actuel de remise en question des agences et des opérateurs de l’État, il est important de souligner que la création de cet EPIC visait à moderniser notre politique culturelle extérieure en la dotant d’un relais pérenne et mieux identifié entre l’étranger et la France, ainsi qu’entre les professionnels de la culture et nos réseaux culturels à l’étranger.

À travers ses missions, l’Institut français répond à deux préoccupations complémentaires de ses tutelles, à savoir, pour le Quai d’Orsay, appuyer les services culturels des ambassades et, pour le ministère de la culture, contribuer à l’internationalisation du secteur culturel français.

L’Institut français à Paris, tête de réseau, est une structure de taille réduite d’environ 150 emplois, couvrant tous les enjeux et secteurs de notre diplomatie culturelle. Il joue un rôle de tête de réseau sans lien hiérarchique avec l’ensemble du réseau culturel français à travers le monde, qui comprend une centaine d’Instituts français rattachés aux services culturels des ambassades, ainsi que le réseau des Alliances françaises.

L’Institut soutient des programmes de coopération mis en œuvre par les ambassades, en récusant les approches trop surplombantes. L’idée n’est pas d’avoir une projection depuis Paris, mais d’établir une programmation à partir des besoins remontés par les postes. L’Institut français fait donc office de tête chercheuse des nouveaux talents et des initiatives françaises et francophones afin d’en faire bénéficier le réseau culturel français à l’étranger. En miroir, son expertise se nourrit de la connaissance du terrain qui permet de renouveler les liens entre les acteurs français et étrangers.

L’Institut français est devenu un acteur majeur de notre diplomatie culturelle et d’influence. Il est important de préciser que cette notion d’influence ne doit pas être comprise comme la promotion insidieuse de notre seule façon de voir le monde ou de nos intérêts économiques étroits, mais plutôt comme une diplomatie de coopération culturelle promouvant la liberté d’expression et la solidarité internationale, qui représentent les meilleurs leviers de rayonnement de la France. L’Institut français ne doit pas avoir pour mission d’être le bon soldat d’une guerre culturelle, mais de promouvoir un esprit français en soutenant les espaces de dialogue et de liberté. La démarche doit clairement être celle du dialogue des cultures et de la co-construction des projets avec nos partenaires étrangers. C’est d’ailleurs l’esprit qui prévaut largement aujourd’hui, ce dont je me félicite, même si le risque que la commande politique cherche à instrumentaliser les coopérations culturelles existe toujours, ce qui serait contre-productif.

En plus des actions classiques de développement des échanges artistiques et de soutien aux acteurs de la culture dans les pays du Sud, l’Institut français s’est vu confier de nouvelles missions au cours des quinze dernières années. À la suite des printemps arabes, le débat d’idées est devenu un marqueur important de l’image de notre réseau culturel, notamment sur les thématiques intéressant la jeunesse. La Nuit des idées, dont la neuvième édition a eu lieu en 2024, est devenue un événement emblématique des Instituts français à travers le monde.

À la croisée de la diplomatie culturelle et économique, l’Institut français a développé le soutien aux industries culturelles et créatives (ICC), s’intéressant aux enjeux entrepreneuriaux et à de nouveaux secteurs, comme la création numérique, le design et les métiers d’art.

L’Institut français est également devenu un acteur de la promotion de la langue française, en appui aux centres de langues du réseau culturel français à l’étranger. Il appuie ainsi la formation pédagogique et linguistique des professeurs de français langue étrangère (FLE) à travers le dispositif en ligne IFprofs, entièrement rénové en 2024, qui compte aujourd’hui plus de 66 000 inscrits et est devenu un outil important pour la Francophonie.

Les grands axes du projet de COP s’appuient sur les acquis du précédent contrat 2020-2022, dont le bilan est positif malgré le contexte de la crise sanitaire. L’Institut a su s’adapter aux freins à la mobilité des artistes et des professionnels durant la crise liée à la pandémie de Covid-19 et a accompagné le passage du réseau culturel vers le numérique. Il a mis en œuvre avec succès des saisons culturelles comme Africa2020 et France-Portugal et organisé la présence française lors de grands événements prescripteurs, comme la Biennale de Venise pour l’art et l’architecture et la Triennale du design de Milan.

Le nouveau COP érige le soutien et l’animation du réseau en objectif de premier rang. Cependant, il ne comporte pas de programmation des moyens budgétaires, alors que l’Institut français intervient beaucoup en cofinançant des projets des centres culturels. Il propose ainsi chaque année une dizaine d’appels à projets dans les domaines couvrant ses principales activités, ce qui permet aux centres culturels d’accueillir des artistes français et francophones pour des expositions, des spectacles, des conférences ou encore des résidences, de soutenir des projets pilotes de promotion de la langue française grâce au fonds langue française ou encore de moderniser les centres culturels via le fonds médiathèque.

Je regrette donc que les ambitions affichées par le COP soient finalement contredites par la réduction de 6 % de la subvention pour charge de services publics de l’Institut français en 2025, soit une perte de 1,7 million d’euros. L’établissement est contraint de répercuter cette perte presque entièrement sur des cofinancements dans les domaines du cinéma, du soutien aux résidences d’artistes, des mobilités et de l’accompagnement des sociétés civiles des pays du Sud. Chercher à faire des économies sur l’Institut français est hors de proportion avec les vrais enjeux budgétaires et nous oblige à renoncer à des vecteurs diplomatiques essentiels.

Cette situation est d’autant plus regrettable que le projet de COP identifie clairement des priorités géographiques pour notre diplomatie culturelle, répondant à des enjeux stratégiques majeurs en distinguant trois grandes zones prioritaires.

La première zone prioritaire est l’Afrique, qui compte 40 % des Instituts français, avec l’objectif d’y soutenir le développement de l’entrepreneuriat culturel. Le programme Accès Culture cofinance, par exemple, des projets portés par des binômes d’opérateurs africains et français, permettant de passer d’une logique d’aide à une logique d’investissement solidaire et partenariale. Le fonds Équipe France Création Africa vise à structurer les filières des ICC africaines en favorisant les connexions entre professionnels français et africains et leur mise en réseau dans de grands événements sectoriels où l’Afrique est aujourd’hui sous‑représentée.

Ces actions répondent à un intérêt stratégique manifeste, tant l’image de la France se trouve aujourd’hui très dégradée sur le continent africain, notamment auprès des jeunes générations, et que, symétriquement, on doit déplorer tant de réflexes de repli et de peurs de ce côté de la Méditerranée. Ce sera d’ailleurs l’un des enjeux de la future Maison des mondes africains, dont l’Institut français est un membre fondateur. Je tiens à redire à quel point ce projet essentiel est attendu, car on entend qu’il serait menacé.

La deuxième zone prioritaire est l’Europe, au sens des quarante-sept pays de la communauté politique européenne, incluant notamment l’Ukraine, la Turquie, la Géorgie et l’Arménie. L’Institut français souhaite y accroître les coopérations avec la jeunesse et les sociétés civiles dans des contextes de guerre et de mise en cause de la démocratie.

La troisième zone prioritaire est l’Asie du Sud et l’Océanie, identifiées comme zones à forts enjeux, notamment pour la présence française dans les ICC.

Je suis, à titre personnel, favorable aux orientations fixées par le COP et appelle à soutenir l’action de l’Institut français. Néanmoins, ne nous payons pas de mots : la situation n’est pas au beau fixe et nous ne pourrons pas tenir nos ambitions partout si nous n’y mettons pas les moyens.

J’ajoute que le mécénat est trop souvent présenté comme une alternative au financement public, mais les grands mécènes culturels ne semblent pas porter beaucoup d’intérêt aux actions de coopération à destination de l’Afrique et tendent à rechercher un retour sur investissement dans les pays à fort pouvoir d’achat. De plus, le mécénat ne justifie nullement de diminuer les crédits publics, car leur effet de levier facilite la recherche de partenaires. À l’inverse, la baisse des subventions publiques complique la recherche de mécènes. J’appelle donc à ce que les actes et les financements soient mis en conformité avec les objectifs « littéraires » présentés dans ce COP.

M. Frédéric Petit, rapporteur. Je voudrais tout d’abord replacer ce COP dans le contexte de la feuille de route de l’influence, initiée par notre commission lors du précédent mandat et finalisée par le ministre en 2021. C’est le premier document qui a rassemblé l’ensemble de ces politiques dans un écrit commun, présenté à l’ensemble des consulats et du réseau par Jean-Yves Le Drian en octobre 2021. Cette idée a été portée pendant plusieurs années par Marielle de Sarnez.

On dit qu’on se fait des alliés dans les ambassades, tandis qu’on se fait des amis dans les centres culturels. C’est ce qui résume la différence entre la diplomatie des sociétés civiles, c’est-à-dire la diplomatie non institutionnelle, et la diplomatie institutionnelle.

Je voudrais illustrer ce point par trois exemples significatifs.

Tout d’abord, l’Institut français de Bucarest a survécu pendant quarante ans grâce à une personne qui y est restée confinée durant la période communiste.

Ensuite, l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) à Damas a continué à salarier six personnes depuis 2011 jusqu’à récemment.

Enfin, le dialogue France-Afrique a été organisé, discrètement, mais avec succès, en Algérie en 2023.

Ces activités démontrent l’importance de cette diplomatie des sociétés civiles lorsque la diplomatie institutionnelle est bloquée, ne fonctionne plus ou doit être relayée autrement.

Le rôle d’opérateur de l’Institut français a considérablement évolué entre 2017 et 2022. Il a enfin réussi à jouer un rôle d’interface entre toutes les organisations culturelles en France (Centre national du cinéma et de l’image animée, Bureau international de l’édition française, etc.) et les réseaux culturels dans le monde. Auparavant, il existait une séparation entre la culture à l’intérieur et celle à l’extérieur. L’Institut français de Paris joue donc ce rôle d’interface, bien intégré dans ses stratégies, entre la centaine d’Instituts français dans le monde et toutes les ressources culturelles en France, publiques ou non.

Il est important de noter que le réseau à l’international ne se limite pas aux Instituts français. Il comprend également enfin, depuis quelques années, le réseau des plus de 800 Alliances françaises ou encore les Deutsch-Französische Gesellschaft en Allemagne. L’Institut français peut être amené à soutenir ces différentes entités, qu’elles soient gérées directement par la France ou non.

Je voudrais insister sur un point important pour notre commission : nous avons réussi, avec l’Institut français, à mener une réforme significative. Il s’agit de l’un de nos opérateurs à s’être le plus réformé, de manière forte, mais sans conflit. Bien qu’elle ait pu parfois être source de tensions au sein du personnel du fait des changements d’habitudes, cette transformation est absolument réussie. Les changements sont perceptibles tant à Paris que sur le terrain. Par exemple, au sein de l’Institut français de Belgrade, l’Institut français de Paris est désormais perçu comme la tête de réseau.

Par ailleurs, les moyens sont en effet réduits de 6 % par rapport au budget 2024. Néanmoins, ils restent en hausse significative, non seulement par rapport aux réalisés 2023 et 2024, mais également depuis 2017. Cette commission a veillé à l’augmentation des moyens alloués aux diplomaties éducatives et culturelles, avec notamment la création de 150 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, maintenue malgré les réductions budgétaires en 2025.

Il est important de noter que la subvention pour charges de service public à la tête de réseau, d’un montant de 26 millions d’euros, ne signifie absolument pas que le réseau dispose de moins de moyens. Par exemple, l’Institut français gère un budget de 44 à 45 millions d’euros. De plus, le réseau à l’étranger dispose d’un chiffre d’affaires d’environ 1 milliard d’euros, grâce aux Instituts français, Alliances françaises et autres instituts bénéficiant de leurs propres ressources grâce aux événements organisés.

Cet effet de levier permet d’impulser une politique sous notre contrôle, en coopération avec des institutions locales. Par exemple, l’État polonais soutient des actions de l’Institut français de Varsovie. Je suis d’ailleurs surpris que cette idée soit parfois critiquée par ceux qui prônent l’ouverture de la Maison des mondes africains. Ce serait une faute politique et du néocolonialisme que ce lieu soit exclusivement financé par des crédits publics français. La diversité des financements est la traduction financière d’une vraie coopération.

L’Institut français doit continuer sa réforme en matière de contrôle interne. La mise en place d’une démarche qualité et d’un département de contrôle interne indépendant est particulièrement appréciable. L’Institut est également en voie d’obtenir l’accréditation dite PACA (Pillar Assessed Contribution Agreements), qui lui permettra de demander, comme le Goethe-Institut, à bénéficier des subventions des projets européens.

Enfin, je souhaite réitérer ma proposition de synchroniser tous les COM et COP sous le contrôle de notre commission sur une période de quatre ans, correspondant à un mandat. Nous aurions une sorte de loi de programmation générale lors de la première année et une sorte de bilan durant la dernière. Synchroniser l’ensemble des COM et des COP sous le contrôle de notre commission permettrait de nous inscrire dans la continuité de cette magnifique feuille de route de l’influence, que nous avions impulsée et quasiment imposée à notre exécutif en 2021. Nous y travaillons avec le bureau et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Michel Herbillon, président. Nous espérons depuis longtemps la mise en œuvre de ce que vous proposez, dont nous avons souvent parlé au sein de la commission. Malheureusement, cela reste pour l’instant un vœu pieux. Je trouve tout à fait anormal que cette idée ne soit pas mise en œuvre. Il serait en effet plus pertinent d’établir un lien entre les COP, les COM et la durée du mandat, même si celui-ci peut parfois être interrompu.

Il serait en tout cas souhaitable qu’on ne nous soumette plus des projets de COP si tardivement. Je trouve cela tout à fait irrespectueux envers la représentation nationale et notre commission.

Je cède à présent la parole aux représentants des groupes politiques.

Mme Dominique Voynet (EcoS). On peut s’interroger sur la valeur de notre avis concernant un COP dont la première année est déjà échue et la deuxième bien entamée.

L’Institut français accomplit un travail de qualité et le COP comporte de bonnes ambitions. Cependant, les baisses de crédits déjà actées en octobre dernier et aggravées dans le budget adopté la semaine dernière, de l’ordre de 10 %, soulèvent des interrogations. Concernant la manière d’atteindre nos objectifs, l’influence de la France dans le monde semble fragilisée, malgré les bonnes intentions affichées, et la réduction des crédits de l’aide publique au développement (APD) ne facilitera pas les choses.

Le développement de ressources propres via la billetterie des événements culturels ou les cours de langue française n’est pas nécessairement un mauvais point, mais une clarification sera nécessaire. Soit les établissements culturels français remplissent une mission d’État, celle de la diplomatie d’influence, et méritent donc un budget conséquent et stable, soit ils fonctionnent comme des centres culturels en autogestion, sur le modèle des Alliances françaises, dont beaucoup ne reçoivent pas de financement de l’État. La stabilité des ressources propres peut être remise en question, notamment face aux crises économiques ou politiques, mais le débat budgétaire a montré que cet argument peut être retourné.

Je m’interroge particulièrement sur la pertinence d’un élargissement des priorités géographiques. Votre rapport évoque une approche « plus large et plus flexible ». Ne risque‑t‑on pas de s’éparpiller dans un contexte de baisse des crédits ? Ne serait-il pas plus judicieux de se recentrer et de concentrer les moyens ?

Le Sahel semble être une des priorités, alors même que la voix de la France y est devenue inaudible. Quelle place pour l’Institut français dans cette région ? Plusieurs éléments suscitent l’inquiétude. Le centre culturel franco-nigérien Jean Rouch a fermé en avril 2024, puis a été rouvert sans présence des drapeaux français et sous un nouveau nom. Je pense aussi au saccage des locaux de l’Institut français de Ouagadougou en octobre 2022, qui reste fermé et dont les activités semblent avoir été transférées dans l’établissement La Ruche. Est-ce un nouveau modèle adopté dans la région, sans l’utilisation du nom Institut français ? Dépend-il du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ? Qui le finance ? Il est crucial de clarifier la stratégie française dans cette région.

M. Aurélien Taché, rapporteur. C’est effectivement un enjeu majeur. Dans de nombreux endroits, la diplomatie institutionnelle est à l’arrêt, mais la diplomatie culturelle s’efforce de se maintenir et de poursuivre ses activités.

Concernant le Sahel, la diplomatie culturelle a dû s’arrêter au Niger sur injonction des autorités, mais ce n’est cependant pas le cas au Burkina Faso ni au Mali, où des actions se poursuivent.

Évidemment, dans un contexte de réduction générale des crédits et de suspension de l’APD pour ces pays pour des raisons politiques, la situation est compliquée. Néanmoins, nos équipes sur place s’efforcent de maintenir ce lien, tout comme le font ceux qui travaillent dans notre réseau éducatif à l’étranger. Il est crucial de les soutenir.

Vous avez raison de souligner que nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion plus globale sur notre stratégie diplomatique vis-à-vis de ces pays, qui devra probablement évoluer à court ou moyen terme.

M. Frédéric Petit, rapporteur. Tout d’abord, l’APD n’est pas un outil d’influence, mais un instrument de lutte contre les inégalités mondiales. Certes, cela confère une certaine influence à la France, mais il ne faut pas instrumentaliser l’APD dans le cadre d’une lutte d’influence, au risque de tomber dans une forme de chantage.

Ensuite, je tiens à rappeler que les Instituts français à l’étranger sont des établissements autonomes. Ils ne sont pas gérés par l’Institut français de Paris, ni financièrement ni en termes d’autorité. Leur fonctionnement est en réalité plus proche de celui des Alliances françaises que ce que vous semblez suggérer.

Concernant les exemples cités, notamment au Niger, la fermeture d’un Institut français ne signifie pas nécessairement la fin de l’influence culturelle française ou que cette dernière n’est plus organisée par la France. Elle peut être organisée autour de l’ambassade. Quand Aurélien Taché évoque nos équipes, il faut comprendre ce que cela signifie. Par exemple, lorsqu’un port français coopère avec un port algérien afin de lui écrire, sous les radars, son plan de pêche durable, s’agit-il de coopération ou d’influence, sachant que cela n’est pas examiné dans notre commission et que cela n’est pas l’État ? Ce que vous évoquez n’est pas un nouveau modèle, mais une réalité. Le but n’est pas que toute l’action culturelle de la France à l’étranger dépende du ministère, ce qui serait non seulement impossible, mais aussi potentiellement dangereux.

Par exemple, l’IFPO, qui a maintenu sa présence en Syrie, est géré par des scientifiques et ne reçoit aucune directive de l’exécutif concernant le choix des chercheurs ou des projets. L’ingérence de l’exécutif dans le domaine scientifique est une pratique que l’on observe de la part de dirigeants comme Viktor Orbán, mais pas de dirigeants français.

Mme Maud Petit (Dem). Votre rapport souligne les diverses missions de cet organisme, sa réactivité, son inventivité et sa capacité d’adaptation, notamment lors du COP pour la période 2020-2022. L’Institut français apparaît comme un rouage essentiel de la politique étrangère, économique et culturelle de notre pays. Son rôle est d’autant plus crucial aujourd’hui, alors que la politique étrangère ne se construit plus uniquement d’État à État, mais davantage par des interactions avec de multiples acteurs. Cette évolution renforce le rôle central de l’Institut français et le place comme pivot et tête de réseau du développement de l’action culturelle extérieure de la France. C’est d’autant plus le cas que son champ d’intervention est extrêmement vaste, couvrant la promotion de la culture française, l’enseignement du français à l’étranger, la diffusion du patrimoine cinématographique et audiovisuel ou encore la professionnalisation du réseau de coopération et d’action culturelle à l’étranger.

L’Institut français semble s’acquitter parfaitement de cette diversité de missions et en tirer profit. Les ressources propres d’activité de l’Institut français ont généré 145 millions d’euros en 2023, notamment grâce aux cours et certifications de langue française, à la billetterie des manifestations culturelles et à divers parrainages. Cette manne financière importante est bienvenue dans un contexte de restrictions budgétaires. Ajoutée aux subventions du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et du ministère de la culture, elle permet à cet organisme de fonctionner de manière optimale sur le plan financier.

Cette tendance est confirmée par une croissance significative des recettes de l’Institut français, passant de 34 millions d’euros en 2017 à plus de 45 millions d’euros en 2024. De plus, il est à noter qu’entre 2023 et 2024, ces recettes ont également enregistré une hausse importante de plus de 6,4 millions d’euros.

Messieurs les rapporteurs, à quoi attribuez-vous ces hausses significatives de recettes ? En outre, en vous basant sur cette croissance, quelles projections envisagez-vous d’ici à 2027 ?

M. Frédéric Petit, rapporteur. J’avais effectué une projection lors d’une de mes années de contrôle. L’évolution n’est évidemment pas exponentielle. Il faut considérer que, dans le périmètre actuel, nous avons atteint une taille appropriée. Cependant, le périmètre est amené à s’étendre. Reprendre nos activités en Syrie, en Ukraine ou en Cisjordanie nécessitera de nouveaux moyens. Ces moyens ne concerneront pas uniquement la subvention de services publics, mais impliqueront de nouveaux développements. Actuellement, nous sommes à environ 45 à 50 millions d’euros, ce qui pourrait faire l’objet d’une légère augmentation, mais semble adéquat pour le périmètre actuel.

Cette évolution, et plus particulièrement la très forte hausse des dernières années, est due à la réorganisation et à l’adaptation de la structure à son rôle. Très souvent, nos opérateurs ont une structure héritée de l’histoire, résultant du regroupement d’anciens opérateurs. Il faut quelques années pour que l’opérateur s’aligne sur ses nouvelles missions. Une fois cette adaptation réalisée, le modèle se met en place et fonctionne. Je crois que c’est ce qui s’est produit dans ce cas.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Il faut prendre en compte le fait que certains de ces financements étaient ponctuels. Certes, l’opérateur a su s’adapter. Cependant, si nous perdons certains cofinancements publics, tels que ceux de la Caisse des dépôts et consignations ou de l’Union européenne, il sera difficile de trouver des mécènes pour intervenir partout, notamment dans le domaine de la solidarité internationale. C’est pourquoi il est nécessaire d’être vraiment prudents.

M. Michel Guiniot (RN). Le projet de COP soulève plusieurs observations.

Tout d’abord, si l’Institut français est chargé de faire rayonner la France et sa culture – et donc l’État français – dans le monde, il est attristant de constater que le champ lexical du mot « France » apparaît moins fréquemment que le mot « Europe » et les vingt‑deux occurrences liées au champ lexical de l’Afrique. De plus, on note l’absence de références à l’Asie ou aux Amériques. Le COP parle donc davantage des autres que de la France, ce que je regrette.

En page 5, le projet se donne pour objectif de « nourrir le désir de France », une formulation poétique, mais rapidement contredite. En effet, en page 16, le COP fixe explicitement comme objectif de l’Institut français le renforcement de sa dimension européenne, alors que celle-ci ne représente que quatre des programmes de l’Institut. L’objectif 3.4.1 vise à inscrire les priorités de l’action culturelle extérieure de l’Union européenne et la promotion de ses valeurs. Devrions-nous envisager de changer le nom de l’Institut français ?

Par ailleurs, le COP prévoit la mise en place d’un règlement des aides allouées par l’Institut français afin de codifier et de simplifier les procédures pour les bénéficiaires des subventions. Cela suggère-t-il un manque de contrôle dans l’attribution de ces subventions, ce qui serait quelque peu délicat pour un budget de plus de 600 millions d’euros ?

Enfin, le budget initial du projet de loi de finances (PLF) initiale pour 2025 faisait figurer une dotation de 675 millions d’euros pour l’Institut français. Cependant, le PLF, comme imposé par le gouvernement la semaine dernière, affiche un budget de 650 millions d’euros. Les documents transmis par l’Institut français en décembre 2024 ne reflétaient pas encore les mesures d’économie dernièrement décidées. Disposez-vous d’informations sur les mesures d’économie envisagées par l’Institut français au vu des coupes budgétaires qu’il devra subir ?

M. Frédéric Petit, rapporteur. Concernant le champ lexical, il est normal que, dans cette commission, nous mentionnions plus fréquemment les noms de la Syrie, du Proche‑Orient ou de l’Ukraine que celui de la France. Il semble donc également normal que les noms que vous avez cités soient plus présents dans ce texte que les autres.

Quant à l’Europe, vous soulevez un point important. Depuis longtemps, l’Europe cherche à être reconnue et à travailler concrètement. À titre personnel, mon usine avait été évacuée par les Européens. Dans de nombreux pays, il existe des structures dans les postes qui collaborent sur des sujets communs aux différentes ambassades européennes. Le réseau European Union National Institutes for Culture (EUNIC) regroupe les instituts culturels européens, comme le Goethe-Institut ou l’Instituto Cervantes, qui travaillent ensemble régulièrement. Le COP vise à faire reconnaître l’Institut français comme l’un des opérateurs européens, ce qui nécessite une accréditation. Un exemple concret de cette collaboration est l’institut de Ramallah, qui est un Institut français Goethe. Cette coopération entre la France et l’Allemagne a une forte portée symbolique dans des zones de conflit.

Concernant les chiffres, il semble y avoir une confusion. Le budget de 675 millions d’euros correspond au budget total du programme 185. L’Institut français perdra 0,6 % de 26 millions d’euros. Les détails précis ont déjà été identifiés.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Je souhaite ajouter que nous n’abandonnons pas les autres zones géographiques. Des zones prioritaires ont été définies en raison de contraintes budgétaires et d’enjeux jugés plus importants, notamment en Afrique, en Europe et en Asie du Sud. Cependant, des actions sont menées ailleurs, comme la saison France-Brésil en Amérique du Sud ou une résidence d’artistes au Japon gérée directement par l’Institut. Il est simplement nécessaire de faire des choix.

Il est important de souligner que la diplomatie culturelle française ne vise pas à faire la promotion de l’État français. Une de nos spécificités, dont nous pouvons être fiers, est d’organiser des programmations culturelles et des débats d’idées sur des thèmes compliqués, dans des pays où ces sujets sont difficiles à aborder. Cela inclut des discussions sur les droits des femmes, les droits des personnes LGBT ou encore des débats sur la présence ou le passé de la France dans certains pays. Par exemple, au Bénin, le documentaire Dahomey a donné lieu à des débats, lors desquels des jeunes se sont demandé pourquoi ils parlent français. Je suis fier que notre diplomatie culturelle permette ce type de débats sans chercher à faire la promotion de l’État français. Faisons plutôt vivre un esprit français, car c’est ce qui fait rayonner notre pays dans le monde depuis des siècles.

Mme Amélia Lakrafi (EPR). En tant qu’élue d’une circonscription des Français de l’étranger et rapporteure, avec Monsieur Taché, d’un rapport d’information sur la Francophonie, je souhaite souligner le rôle essentiel de l’Institut français dans notre dispositif culturel et linguistique. Vous avez raison de souligner qu’il est devenu une véritable tête de réseau, structurant et alimentant l’ensemble de notre action culturelle à l’international.

Cette montée en puissance est en grande partie due à l’augmentation continue de ses ressources depuis 2021 grâce aux subventions du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, du ministère de la culture, au développement de ses ressources propres et aux financements obtenus auprès de l’Agence française de développement (AFD) et de l’Union européenne.

Je me réjouis que l’Afrique figure parmi les zones prioritaires de ce COP. Dans un contexte marqué par une montée de la propagande anti-française, le rôle de l’Institut français est de plus en plus stratégique. Lors de mes visites dans plusieurs Instituts de ma circonscription, j’ai pu constater leur forte fréquentation, notamment par la jeunesse locale, contredisant souvent les discours alarmistes sur notre image en Afrique.

En outre, il est important de noter que l’Institut français n’exerce pas de tutelle sur les établissements du réseau culturel français à l’étranger. Chaque Institut développe sa propre stratégie en fonction du contexte local.

Lors de mes déplacements, j’ai observé une concurrence directe, concernant l’offre de cours de langue, entre certains Instituts et les Alliances françaises présentes dans les mêmes villes. Or, les Alliances françaises, en tant qu’associations, disposent de ressources financières plus fragiles et moins pérennes que les Instituts, ce qui peut menacer leur équilibre économique. Votre rapport mentionne le rapprochement récent entre la Fondation des Alliances françaises et l’Institut français de Paris. Comment ces deux institutions pourraient‑elles mieux coordonner leur action pour éviter cette concurrence qui va à l’encontre de la cohérence et de l’efficacité du réseau culturel à l’étranger ?

M. Frédéric Petit, rapporteur. Il y avait effectivement de fortes tensions. Un travail a été effectué, dont l’apogée a été la feuille de route de l’influence. Le discours du président de la République aux ambassadeurs, en 2019, a clarifié la situation en positionnant les ambassadeurs comme chefs d’orchestre devant mettre en place toutes les actions de la France. Cette fausse concurrence s’est ainsi peu à peu réglée dans tous les domaines.

Concernant les Instituts français et les autres lieux, comme les Alliances françaises, la situation s’est améliorée en bonne entente. Vous parlez de concurrence, mais il existe également une concurrence des organismes privés. Ces problématiques se règlent généralement auprès du conseiller de coopération et d’action culturelle (COCAC), selon des éléments géographiques, comme en Pologne, ou selon un partage des métiers. Par exemple, à Brême, l’Institut français intervient dans le département francophone de l’université.

L’organisation des Alliances françaises a été complètement reformée du bas vers le haut, avec l’élection de responsables régionaux en lien direct avec Paris. Il faut noter que l’Institut français compte environ 200 personnes à Paris, tandis que la fédération des Alliances françaises, dont la mission est uniquement de coordonner ses membres, compte seulement 7 personnes.

M. Michel Herbillon, président. Il est heureux de constater que nous sommes passés d’une situation d’opposition à une situation de coordination avec le COCAC et de complémentarité.

M. Frédéric Petit, rapporteur. Oui. Bien que des tensions ponctuelles puissent encore survenir, la situation a effectivement changé. Dans les pays comptant de nombreuses Alliances françaises, l’ambassade demande au ministère de financer un poste de délégué des Alliances françaises de son pays, ce qui est très fréquent en Amérique du Sud.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Je tiens à souligner l’excellent travail des Instituts français, notamment en Afrique, quant aux cours de français et à la programmation culturelle. Lors de notre mission Francophonie au Sénégal, j’ai été frappé par le fait que l’Institut français à Saint-Louis abrite le seul cinéma de la ville. Bien que la fréquentation des cours de français ait diminué, les équipes font un travail incroyable pour se renouveler et s’adapter aux nouveaux usages. Ce sont désormais souvent les entreprises qui financent des cours de français pour leurs employés. Je souhaite souligner l’impressionnant travail effectué par nos équipes dans les Instituts français. Je crois que nous sommes les seuls à maintenir ce type d’équipements culturels dans un certain nombre d’endroits et à nous déployer de cette manière pour que notre belle langue continue de rayonner partout.

M. Frédéric Petit, rapporteur. Les Instituts français se sont développés sur le marché des institutions locales. Par exemple, une mairie ou un ministère peut demander une formation en français pour son personnel, comme ce fut le cas pour le ministère de l’intérieur en Slovénie. Dans ces situations, c’est l’Institut français qui répond à la demande plutôt qu’une Alliance française, car le client préfère généralement traiter avec une institution officielle plutôt qu’avec une association locale.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). L’importance du réseau de l’Institut français et la place de l’Institut de Paris comme tête de réseau font consensus. À ce titre, je souscris globalement aux objectifs affichés dans le COP conclu entre l’État et l’Institut français.

Cependant, derrière ces belles intentions affichées, la réalité budgétaire est inquiétante, avec une baisse de 6 % de la subvention allouée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, soit une coupe de 1,7 million d’euros, ainsi qu’une réduction supplémentaire globale de 10 % du programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence. C’est donc bien l’action même de l’Institut français qui est fragilisée. S’y ajoutent les incertitudes quant au gel et à l’annulation de crédits susceptibles d’intervenir au cours de l’année 2025. Comment prétendre soutenir sérieusement notre rayonnement culturel tout en sabrant ses moyens ?

Parler, comme ma collègue Maud Petit, de capacité d’adaptation des agents de l’Institut français est un doux euphémisme face aux conséquences directes et concrètes de ces coupes budgétaires. Des programmes d’accompagnement du réseau culturel français seront revus à la baisse, des projets sont annulés et l’autofinancement soulève des questions, puisque je crois savoir que des frais de dossier d’étudiants non retenus sont utilisés pour financer d’autres activités.

Monsieur Petit, vous évoquez une amélioration du budget depuis 2017, mais vous omettez systématiquement l’effet de l’inflation sur les budgets pour masquer la réalité.

La baisse de la subvention contredit le projet de COP, car, s’il n’est pas formellement adossé à une trajectoire de moyens, à l’image d’un COM, il a néanmoins été construit sur l’hypothèse du maintien de la subvention du ministère de l’Europe et des affaires étrangères à niveau constant.

Sur l’aspect stratégique, on peut questionner les trois grandes zones géographiques : Afrique, Europe et une prétendue région indopacifique. Au sein du groupe parlementaire La France Insoumise, nous nous opposons à ce terme et préférons parler d’Asie-Pacifique, estimant qu’il ne faut pas jouer sur les tensions géopolitiques dans ce domaine.

Le groupe La France Insoumise alerte sur l’incohérence de ce COP avec les moyens qui lui sont alloués et appelle à une révision et à une actualisation de la trajectoire budgétaire pour la période 2025-2027.

Enfin, concernant la Maison des mondes africains, cette promesse présidentielle faite sans concertation a suscité de nombreuses oppositions, notamment quant à son installation à l’Hôtel de la Monnaie de Paris, à laquelle nous étions défavorables. En plaisantant, on pourrait suggérer d’installer la Maison des mondes africains au Château de Versailles, un lieu touristique très fréquenté, ce qui permettrait de faire rayonner notre culture et notre vision de l’amitié avec les autres pays.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Concernant la Maison des mondes africains, je suis d’accord qu’il est facile de prendre des engagements sans réfléchir à leur mise en œuvre concrète. L’Hôtel de la Monnaie a déjà fort à faire dans son domaine et ce point aurait dû faire l’objet d’une réflexion en amont. Néanmoins, ce projet est très attendu pour faire rayonner la création africaine à Paris, et nous devrons avancer sur ce sujet.

Quant aux questions de crédits, la baisse de 6 % et de 1,7 million d’euros pour l’Institut français se traduit concrètement par une réduction de 25 % du financement public pour les programmations financées par l’Institut français. Cela signifie des spectacles déprogrammés et des débats d’idées qui n’auront pas lieu. Il faut que nous puissions le redire clairement.

Lors de mes travaux sur la Francophonie ou sur ce projet de COP, j’ai été choqué de constater, notamment en Afrique de l’Ouest, l’utilisation des frais de dossiers d’étudiants étrangers non retenus pour financer de la programmation culturelle plutôt que pour renforcer l’accueil des étudiants étrangers. Cet argent devrait être utilisé pour améliorer l’accueil des étudiants étrangers et financer des bourses pour ces derniers. Notre programmation culturelle devrait bénéficier de crédits dédiés, provenant des programmes dédiés également.

M. Frédéric Petit, rapporteur. Cette utilisation a été exceptionnellement autorisée pendant la crise liée à la pandémie de Covid-19. Il est actuellement strictement interdit, pour une ambassade, d’effectuer ce qu’on appelle de la fongibilité.

Je précise que les 6 % de baisse pour l’Institut français sont inclus dans la réduction globale de 10 % du programme 185. Il est donc relativement favorisé avec une baisse de 6 % par rapport à la moyenne de 10 % pour les autres programmes.

Je tiens à rappeler que, depuis 2017, les moyens de l’Institut français ont augmenté de 15 millions d’euros, passant de 30 à 45 millions d’euros. C’est un fait. Vous indiquez que je ne prends pas en compte l’inflation, mais on pourrait également appliquer une inflation négative aux 20 années précédentes de coupes budgétaires constantes. Je dis simplement que la courbe s’est inversée.

Vous soulignez l’importance de la Maison des mondes africains. Or, il s’agit exactement de ce financement. Le financement prévoit une contribution très faible de l’État français, éventuellement par la mise à disposition d’un espace avec un bail emphytéotique, par rapport au coût total de ce projet. Lorsqu’on coopère, on met ses moyens en commun. Il ne s’agit pas de chercher des financements privés, mais de chercher à coopérer avec d’autres.

M. Michel Herbillon, président. Si j’ai bien compris, la Maison des mondes africains ne s’implantera plus à l’Hôtel de la Monnaie et nous sommes actuellement à la recherche d’un nouveau lieu d’implantation.

M. Aurélien Taché, rapporteur. En effet, monsieur le président. C’est pour cela que les soutiens de ce projet sont inquiets. Nous sommes d’accord pour dire qu’il s’agit d’un projet important, mais, dans la mesure où il n’y a pas eu de concertation initiale, l’annonce de l’implantation à l’Hôtel de la Monnaie a suscité une opposition. Le projet est donc aujourd’hui en suspens, sans lieu d’implantation défini. C’est une situation que je regrette.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). L’Hôtel de la Monnaie de Paris est l’un des derniers lieux de production industrielle en France. Il s’agit de plus d’un site très symbolique et de l’un des plus anciens bâtiments de la capitale. L’annonce du président de la République a pris le personnel au dépourvu. Les salariés ont compris qu’il y avait un objectif autre derrière cette décision. Cette proposition manquait de toute façon de cohérence. Finalement, je crois que la ministre de la culture, qui est très intéressée par la Ville de Paris puisqu’elle en est élue, a estimé qu’il n’était peut-être pas indispensable de mener cette proposition à son terme.

M. Michel Herbillon, président. Un lieu d’implantation est donc recherché.

M. Stéphane Hablot (SOC). L’Institut français est l’opérateur chargé de conduire la politique culturelle extérieure de la France, dont vous avez rappelé les différents enjeux. Il promeut également la Francophonie et facilite le développement des industries culturelles.

Des dimensions économiques, culturelles et fraternelles sont à développer, dans un contexte de montée du sentiment anti-français.

Au niveau local, nous constatons que les jumelages et les coopérations que nous avons mis en place – impliquant des troupes de théâtre, des musiciens, des artistes et des résidents-artistes – transcendent ces sentiments et cultivent au contraire la fraternité entre les peuples, qui n’ont rien à voir avec ces histoires diplomatiques ou politiques.

Les crédits du programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence subissent une baisse de 10 %, ce qui contredit le COP. Les moyens de la politique culturelle extérieure doivent être préservés. Avons-nous les moyens nécessaires ? Nous nous battrons en tout cas, car la culture est importante. On peut essayer de réduire ou tuer les budgets, mais on ne pourra jamais réduire ou tuer une culture. Lorsque les populations échangent entre elles, cela se passe naturellement et fraternellement.

Vous insistez également sur la priorité accordée au soutien de l’entrepreneuriat culturel africain, avec 40 % de l’ensemble des Instituts français situés sur ce continent. Il est en effet crucial de raffermir nos liens dans le cadre de ce que vous appelez une « diplomatie des sociétés ». Cette priorité répond à l’une des principales préoccupations du ministère de l’Europe et des affaires étrangères : promouvoir l’image de la France.

Ma question porte sur l’articulation entre les fonds mobilisés par l’Institut français et les fonds Équipe France, principal outil d’aide aux projets dans les pays éligibles à l’APD. Il serait important de réfléchir sur les chiffres concernant le soutien à l’entrepreneuriat culturel africain et son impact sur la perception de l’image de la France. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point en particulier ?

M. Frédéric Petit, rapporteur. Concernant le budget 2025, lors de la commission mixte paritaire (CMP), qui était un peu sous contrôle des sénateurs, nous avons constaté que nombre de ces derniers ne comprenaient pas bien les enjeux de la diplomatie en général et ce que nous essayons de faire dans ce domaine. Je sais d’expérience que c’est toujours là qu’ils ciblent leurs coupes budgétaires. À leurs yeux, la diplomatie se résume aux boîtes de chocolats. Rappelons qu’ils ont ajouté, sans se poser de questions, vingt millions d’euros de coupes là où nous en avions déjà décidé quatorze millions d’euros. C’était vraiment une épreuve de force. De notre côté, tout le monde était contre. Nous étions tous d’accord sur ce point, surtout concernant l’APD. Il faut tout de même rappeler que nous étions un peu sous pression.

Votre remarque sur les collectivités territoriales est très intéressante, car c’est exactement cela que j’évoque. Il ne s’agit pas de méchants mécènes ou d’argent privé que nous irions chercher je ne sais où. Cela demande à l’Institut français de Paris de s’organiser différemment de ce qu’il était en 2017, car il va maintenant chercher ces partenariats. Il sait que cela existe et agit en ce sens.

J’ai vu des choses absolument extraordinaires dans ma circonscription, par exemple concernant le besoin de jumelage avec l’Ukraine. Avant, je prêchais dans le désert. Maintenant, le conseiller culturel m’aide concrètement en identifiant les besoins spécifiques. Dans ma circonscription, un jumelage a été relancé grâce à l’échange des directeurs de musées. Les deux maires se sont mis d’accord pour que leurs directeurs de musées échangent leurs postes pendant un an, ce qui a un faible coût.

Ce qui est exemplaire dans ce que vous dites est que cette énergie et cette richesse ne relèvent pas du budget de l’État, mais doivent être coordonnées par le budget de l’État. Il ne faut donc pas que le budget de l’État diminue. J’ai clairement écrit que j’étais contre les diminutions. Il faut continuer à augmenter ce budget pour obtenir ces effets de levier avec des opérateurs bien organisés afin de mettre en cohérence tout ce que fait la France. Ce que fait une mairie, c’est ce que fait la France, même si l’ambassadeur n’est pas celui qui dirige.

M. Nicolas Forissier (DR). J’ai lu, avec beaucoup d’intérêt, ce rapport très clair qui souligne l’importance majeure de la diplomatie culturelle. La diplomatie française ne se limite pas à la diplomatie du Quai d’Orsay et des ambassadeurs. Ce n’est pas non plus uniquement, vu de notre fenêtre, le rôle majeur que doit jouer la diplomatie parlementaire. C’est un faisceau d’éléments qui portent la France avec un grand F. Je crois que nous devons continuer à porter ce message particulier de la France et à nous battre pour cela.

Je suis totalement d’accord avec ce qui a été dit concernant les collectivités locales, qui constituent un effet de levier supplémentaire. Il faut juste apporter une petite nuance : la réduction des moyens – notamment des dotations de l’État – vers les collectivités locales, récurrente depuis un certain nombre d’années, a conduit beaucoup de nos élus à prendre du recul par rapport à tout ce qui représente des dépenses qui ne paraissent pas prioritaires. Je pense qu’il y a quand même un risque sur ce plan.

J’ajoute qu’il est quand même un peu surprenant, voire anormal, que nous ayons à rendre un avis sur un COP qui est déjà mis en œuvre à plus de la moitié. C’est un signal et un symbole du dérèglement du fonctionnement de notre État et des relations avec le Parlement. Je trouve qu’il y a une forme d’irrespect à l’égard du Parlement, monsieur le président, et je pense que cela mérite que nous réagissions.

Par ailleurs, je suis fasciné par le fait que, quel que soit le sujet, les économies semblent toujours devoir être réalisées par les autres. J’observe une baisse de crédit de 6,4 % pour l’Institut français, dans le cadre plus global d’une réduction de 10 %, ce qui est plutôt satisfaisant. Cependant, dans le même rapport, vous nous expliquez qu’il n’y a pas de marge de manœuvre possible sur la masse salariale. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ? N’existe-t-il aucun moyen de réaliser des économies structurelles de fonctionnement sans impacter les programmes ou les interventions ? Je suis surpris que nous ne soyons pas capables de réformer les différentes structures de l’État, y compris l’Institut français, d’autant plus que des recettes privées très importantes sont générées et que tout cela s’inscrit dans un chiffre d’affaires global d’un milliard d’euros. Il est crucial que nous apprenions à réorganiser nos dépenses publiques. La France est le pays qui a la dépense publique la plus élevée parmi tous les pays comparables. Je ne comprends pas pourquoi des économies ne sont jamais possibles nulle part, y compris à l’Institut français.

Ensuite, je m’interroge sur les dysfonctionnements concernant les politiques d’influence, dans lesquelles la diplomatie culturelle joue un rôle majeur. En visitant l’Institut français de Tunis, qui fonctionne remarquablement bien malgré un problème de sécurité que nous sommes en train d’essayer de résoudre, j’ai constaté que le lien entre l’ambassade et l’Institut fonctionnait plutôt bien. Est-ce une situation générale ou avez-vous identifié des faiblesses structurelles dans la coordination entre les ambassades et les Instituts français, voire avec d’autres intervenants, y compris privés, en matière de diplomatie culturelle ?

Enfin, la France est-elle toujours capable d’être totalement dispersée dans sa présence à l’étranger, ce qui a souvent été son sujet, ou les efforts évoqués finissent-ils par porter leurs fruits ? Cette dispersion bien française des efforts cède-t-elle aujourd’hui la place à une action beaucoup plus coordonnée en matière d’influence culturelle entre les différents intervenants, y compris privés ?

M. Frédéric Petit, rapporteur. Depuis 2017, la cohérence a effectivement progressé. Les signes que j’ai mentionnés, à savoir le discours de 2019, la feuille de route de 2021 et la loi du 4 août 2021, en témoignent. Nous avons de plus particulièrement progressé concernant l’influence de cette commission. Aujourd’hui, chaque ambassadeur se considère comme un représentant de toute la France, connaît les interventions des mairies et sait ce qu’il se passe dans son pays. Un outil, appelé « plan pays », a d’ailleurs été développé dans de nombreux domaines. Par exemple, le plan éducation ne se limite pas aux lycées français, mais aborde également le fonctionnement du système éducatif du pays et les possibilités de coopération ou de formation.

Concernant les COM et les COP, j’ai l’espoir qu’une fenêtre de tir se présente, à la suite des annonces du précédent premier ministre et, plus récemment, du premier ministre et du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Ils ont en effet exprimé leur intention de commencer à préparer le budget 2026 dès maintenant, en se concentrant sur l’organisation plutôt que sur les chiffres. D’après ce que j’ai entendu, ils souhaitent réunir les rapporteurs maintenant. Cela pourrait nous offrir une fenêtre de tir pour poser les bonnes questions avant de nous demander où effectuer des coupes budgétaires.

Une réorganisation métiers de la masse salariale de l’Institut français a déjà été effectuée. Alors que l’Institut était organisé par thèmes de culture en 2017, il dispose aujourd’hui d’une direction réseau avec des formateurs qui enseignent aux personnels du réseau comment vendre des cours de français et qui se déplacent non seulement dans les Instituts français, mais aussi dans les Alliances françaises. Nous avons maintenant des chefs de projets formés à la gestion de projets, y compris leur financement et leur cofinancement. Lorsque nous disons qu’il n’y a pas de marge de manœuvre sur la masse salariale, il s’agit de problèmes liés au droit du travail pour les fonctionnaires. Cependant, l’évolution d’une masse salariale constituée de personnes rassemblées de divers horizons vers une transformation de leurs métiers est assez extraordinaire.

Enfin, les interventions – c’est-à-dire le montant que l’Institut français alloue aux Instituts français et aux Alliances françaises dans le monde – ne font pas partie des 26 millions d’euros évoqués et ne sont pas réduites. Ces interventions font partie d’un autre budget mis à leur disposition, distinct de la subvention pour charges de service public de l’Institut français de Paris.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Concernant la masse salariale de l’Institut français, il est crucial de comprendre que, dans de nombreux cas, les chefs de projet sont les seuls salariés à travailler sur le projet en question. Supprimer le poste de chef de projet signifie alors supprimer le projet. Par exemple, le projet de Maison des mondes africains est dépendant du chargé de mission dédié. Il faut donc être extrêmement prudents sur ce point.

Bien que des économies soient toujours envisageables, les domaines de la coopération internationale et de la culture sont toujours les premiers visés, y compris dans les collectivités locales. Je me réjouis qu’il existe des cofinancements avec des collectivités locales, et même avec le secteur privé. Cependant, cela ne doit pas devenir un éventuel alibi pour réduire les financements de l’État. La diplomatie en général et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères ont quand même été « mis à l’os », pour reprendre l’expression d’un ancien ministre. Si nous n’y prenons garde, la diplomatie culturelle pourrait être menacée, car jugée non prioritaire. Or, nous avons tous souligné ce matin l’importance, particulièrement dans le moment que nous vivons et pour l’image de la France à l’étranger, de faire vivre cet esprit français.

M. Pierre Pribetich (SOC). Au nom du groupe parlementaire Socialistes et apparentés, je m’associe aux protestations concernant l’examen et aux dysfonctionnements réguliers concernant les rapports présentés par nos collègues. On peut légitimement s’interroger sur l’intérêt d’examiner un document déjà exécuté.

M. Frédéric Petit, rapporteur. J’espère que l’information selon laquelle la commission sera saisie, par l’intermédiaire de ses rapporteurs, dès février de l’organisation et du travail sur le budget de l’année prochaine est exacte. Cela nous permettrait de définir les objectifs avant de décider des coupes ou des augmentations budgétaires. Cette démarche me semble saine. Si, en tant que rapporteur, je suis intégré à cette démarche, je soulèverai la question de la synchronisation de tous nos COM et COP.

M. Michel Herbillon, président. Je tiens à remercier nos deux rapporteurs pour leur travail très intéressant dans des délais contraints. J’associe également l’administrateur de notre commission à ces félicitations et remerciements.

Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise la publication du rapport d’information qui lui a été présenté.

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La séance est levée à 12 h 35.

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Membres présents ou excusés

Présents.  Mme Sophia Chikirou, Mme Christine Engrand, M. Nicolas Forissier, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, Mme Amélia Lakrafi, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Pierre Pribetich, M. Jean-Louis Roumégas, M. Aurélien Taché, Mme Dominique Voynet

Excusés.  Mme Nadège Abomangoli, M. Karim Ben Cheikh, M. Guillaume Bigot, Mme Eléonore Caroit, Mme Christelle D’Intorni, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Bruno Fuchs, M. Perceval Gaillard, Mme Brigitte Klinkert, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Mazaury, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa

Assistait également à la réunion.  M. Stéphane Hablot