Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Examen, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti (n° 1450) (M. Marc de Fleurian, rapporteur)              2

– Informations relatives à la commission.....................14


Mercredi
11 juin 2025

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 71

session ordinaire 2024-2025

Présidence
de Mme Éléonore Caroit,
Vice-présidente


  1 

La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur le projet de loi n° 1450.

La séance est ouverte à 10 h 00.

Présidence de Mme Éléonore Caroit, vice-présidente.

Mme Éléonore Caroit, présidente. La France entretient une relation étroite avec Djibouti, ancienne colonie devenue indépendante en 1977. Présent militairement depuis 1894, notre pays y maintient sa plus grande base à l’étranger, où stationnent 1 500 personnels militaires et civils. Cette emprise est la seule base française à l’étranger disposant de capacités maritimes, aériennes et militaires permanentes et d’un état-major interarmées.

Le traité de coopération en matière de défense (TCMD), signé à Paris le 2 juillet 2024, a pour objectif de renforcer de façon ambitieuse la relation bilatérale de défense entre la France et Djibouti et de garantir durablement l’accès français à des infrastructures stratégiques. Renouvelant le précédent accord signé en 2011 et entré en vigueur en 2014, ce nouveau traité a été conclu pour une durée de vingt ans reconductible.

Dans ce traité, la France s’engage à approfondir sa coopération avec Djibouti, notamment par le renforcement des capacités des forces armées djiboutiennes (FAD) et par un appui médico-militaire. En contrepartie, les forces françaises à Djibouti (FFDj) conserveront des facilités opérationnelles, notamment l’usage à titre permanent mais non exclusif de l’aéroport d’Ambouli.

La partie djiboutienne a souhaité revaloriser la contribution forfaitaire annuelle payée par la France pour continuer à bénéficier des emprises qu’elle utilise. Il n’en demeure pas moins que ce traité présente un intérêt certain, en raison de la position stratégique essentielle de Djibouti sur la principale route maritime entre l’Europe et l’Asie, où transitent une grande partie des importations françaises et 15 % des besoins en hydrocarbures de France métropolitaine.

La base française décuple nos capacités de projection vers l’Indopacifique et vers les outremers. Elle permet également à notre pays de contribuer à la stabilisation de la région par la lutte contre le terrorisme dans le cadre des opérations anti-piraterie Aspides et Atalante. Par ailleurs, Djibouti abrite quatre autres bases militaires étrangères où stationnent des forces américaines, chinoises, italiennes et japonaises. C’est dire la compétition stratégique qui s’y joue et l’importance de notre vote en faveur de la ratification de ce texte.

M. Marc de Fleurian, rapporteur. La République de Djibouti est un petit pays, d’une surface de 23 000 km2 et d’une population de 1,2 million d’habitants. Sa position géographique entre la Corne de l’Afrique et la péninsule arabique, à l’orée de la mer Rouge, en fait un acteur diplomatique de premier plan. Sur le plan sécuritaire, Djibouti est à proximité immédiate de plusieurs foyers d’instabilité tels que le Soudan, le Yémen, la Somalie et l’Éthiopie, où une guerre civile dans le Tigré a fait plus de 600 000 morts de 2020 à 2022.

Tout cela en fait un poste d’observation et d’action privilégié pour les forces occidentales et asiatiques engagées pour la paix et dans la lutte contre le terrorisme et la piraterie. Ces conflits affectent directement Djibouti, qui subit des flux migratoires importants – environ 200 000 Éthiopiens ont transité par Djibouti en 2024 – ainsi qu’une menace terroriste élevée – plusieurs attentats ont été commis par les Shebabs somaliens et par le groupuscule djiboutien du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD). C’est pour cette raison que l’armée djiboutienne s’est directement impliquée, à hauteur de plus de 1 200 soldats, dans la mission de stabilisation de l’Union africaine (UA) en Somalie.

Djibouti occupe également une position clé du point de vue économique. Son port donne sur la principale route maritime reliant l’Europe à l’Afrique et à l’Asie par le canal de Suez, à hauteur du détroit de Bab el-Mandeb séparant les côtes djiboutienne et yéménite – large de seulement 27 kilomètres –, par lequel passe 30 % du trafic mondial de conteneurs et 10 % du commerce pétrolier mondial.

Cette position en fait un point névralgique pour la sécurité des routes commerciales internationales, notamment dans un contexte où les attaques houthies à l’encontre des navires de marchandises se multiplient depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël. C’est depuis Djibouti que l’Union européenne (UE) mène les opérations Atalante et Aspides visant à lutter contre ces attaques et, plus largement, contre la piraterie. Djibouti est aussi une porte digitale pour notre continent : dix-sept câbles sous-marins reliant l’Asie, l’Afrique et l’Europe passent au large de ses eaux territoriales ; je salue les ouvriers calaisiens qui participent à leur construction.

Cette importance n’a échappé à aucune des grandes puissances militaires. Cinq d’entre elles, dont trois dotées de l’arme nucléaire, disposent d’une base militaire à Djibouti : la France depuis l’indépendance en 1977 ; les États-Unis depuis 2003, avec environ 4 000 soldats ; le Japon depuis 2011, avec environ 400 soldats ; l’Italie depuis 2012, avec environ 300 personnels ; la Chine depuis 2017, avec environ 1 000 soldats sur une base pouvant en accueillir jusqu’à 7 000. La France y possède sa plus grande base militaire à l’étranger, avec près de 1 500 personnels, la seule à disposer de capacités permanente maritimes, terrestres et aériennes, ainsi que d’un état-major interarmées. Cette présence offre une grande réactivité opérationnelle et une capacité de projection vers le Sahel, vers l’océan Indien et vers nos territoires ultramarins.

Depuis 2000, cette base a servi à une quinzaine d’opérations extérieures (Opex). Récemment, les FFDj ont rapatrié plus de 1 000 ressortissants de quatre-vingts nationalités différentes lors des affrontements armés au Soudan. En 2024, la base de Djibouti a servi d’appui logistique pour l’opération de soutien à Mayotte après le passage du cyclone Chido.

Dans un contexte de redéploiement de la présence militaire française en Afrique et de développement de la stratégie de la France dans l’Indopacifique, la base de Djibouti s’impose plus que jamais comme un atout central de notre dispositif de défense. Elle devrait bénéficier d’un réinvestissement significatif au cours des prochaines années, permettant notamment d’y construire les infrastructures nécessaires à plusieurs Rafale.

C’est dans le cadre de cette coopération historique et dense que s’inscrit le nouveau traité de défense visant à renouveler et à renforcer notre partenariat bilatéral acté en 2021 par les deux chefs d’État. La renégociation a commencé en mai 2023 et s’est achevée en juillet 2024.

Le traité conclu le 24 juillet 2024 reprend globalement l’architecture de celui de 2014. Il maintient la clause de sécurité prévoyant, sous certaines conditions, la participation de la France à la défense de Djibouti en cas de menace ou d’attaque. Cette clause, unique parmi les accords conclus par Djibouti, a été activée en 2008 lors d’une incursion des troupes érythréennes à la frontière du pays.

Le TCMD rappelle les modalités de la coopération militaire franco-djiboutienne en matière de formation, de conseil et d’armement. Il reconduit les dispositions relatives au statut des membres des FFDj en matière de permis de conduire, de port d’armes et de coopération judiciaire. La France conserve ses installations et sécurise son accès à l’aéroport et à certains quais du port. Elle cède 40 % de l’îlot du Héron, ce qui ne devrait pas affecter ses capacités opérationnelles s’agissant de zones occupées par des logements qui seront relocalisés.

Le nouvel accord prévoit des évolutions dans quatre domaines principaux : le dialogue stratégique ; la coopération civile ; les facilités opérationnelles ; la contribution pour la mise à disposition des installations.

Le traité prévoit la création d’un comité militaire de dialogue stratégique et d’un mécanisme d’alerte ayant vocation à donner une portée plus efficace à la clause de sécurité. Dans le domaine militaro-civil, le traité précise que la France s’engage à apporter une aide médicale aux forces djiboutiennes et, dans la mesure du possible, à la population. Il précise également que la France participe à la régulation du trafic aérien aux côtés de Djibouti.

Par ailleurs, le nouveau traité prévoit une simplification des contraintes administratives. Les déplacements et les exercices nécessiteront désormais une simple notification aux autorités locales ; auparavant, un accord préalable était exigé. S’agissant de la contribution financière, une augmentation significative est prévue : elle passera de 30 à 85 millions d’euros par an.

Cette hausse substantielle doit être appréciée à l’aune de l’étendue des emprises dont bénéficie la France, de la concurrence des autres pays pour s’y implanter et des besoins financiers de Djibouti. Le précédent montant, fixé en 2003, avait été nettement sous-évalué. Par ailleurs, cette contribution est libératoire de toute imposition. Enfin, le traité renégocié prévoit un engagement plus long, de vingt ans au lieu de dix ans, permettant à la France d’avoir une visibilité accrue sur ses actions et une coopération plus approfondie avec nos partenaires djiboutiens.

Compte tenu des enjeux stratégiques précités, il semble indispensable que le Parlement autorise la ratification de ce traité afin de permettre à la France de maintenir sa présence militaire à Djibouti dans un cadre rénové et sécurisé. Ce texte reflète une volonté commune de réviser notre partenariat de manière ambitieuse en consolidant plus de quatre décennies de liens d’amitié et de coopération privilégiée. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter la ratification du TCMD, à l’instar du Sénat le 21 mai dernier.

Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis de la commission de la défense et des forces armées. Je concentrerai mon propos sur les enjeux stratégiques de Djibouti et l’importance subséquente, pour nos armées, du TCMD entre la République française et Djibouti, dont j’ai pris la mesure lors de mon déplacement sur place en compagnie de Yannick Favennec-Bécot, président du groupe d’amitié France-Djibouti.

Djibouti est un pays à la croisée de quatre zones géographiques – la plaque africaine, la plaque arabique, la plaque indienne et la plaque somalienne – et à la jonction de trois espaces stratégiques – l’océan Indien, la mer Rouge et l’Afrique. Djibouti est au cœur des crises régionales, qu’elles soient climatiques, géopolitiques, économiques ou religieuses. Sa position géographique en fait un acteur important en matière stratégique et économique. Djibouti est un carrefour maritime mondial grâce à son ouverture sur le détroit de Bab el-Mandeb, qui est l’un des points névralgiques du commerce mondial, et un carrefour numérique en raison de l’atterrage de câbles sous-marins.

Djibouti est un îlot de stabilité dans un environnement caractérisé par une très forte instabilité. Le pays assure cette stabilité par le biais de son engagement en Somalie. Depuis 2012, plus de 1 200 militaires djiboutiens sont déployés sur le théâtre somalien, au sein de la mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom). Tel est l’environnement volatil et empreint de fortes tensions dans lequel opèrent les FFDj, fortes de plus de 1 450 femmes et hommes, depuis la plus importante base militaire française permanente à l’étranger.

À la fois base opérationnelle avancée disposant de capacités de projection propres et pôle opérationnel de coopération, sa zone de responsabilité permanente englobe neuf pays de la zone. L’importance et l’excellence des FFDj a récemment été illustrée par l’opération d’évacuation des ressortissants français au Soudan, dans le cadre de l’opération Sagittaire, et lors des opérations d’évacuation à Mayotte, à la suite du cyclone Chido.

Par-delà ses dispositions, le TCMD renforce une relation de confiance de longue date, qui s’inscrit dans un cadre juridique clair. Lors de notre déplacement à Djibouti, nous avons échangé avec des amis de la France, défenseurs acharnés de la francophonie et de notre relation bilatérale, qui nous ont fait part, en toute sincérité, de l’affection qu’ils portent à notre pays. Je retiens tout particulièrement les mots prononcés par l’un de nos homologues parlementaires : « Lorsque nous voyons des Français, c’est comme si nous retrouvions de vieux amis ». Puisse cette relation unique entre nos deux pays perdurer !

Pris globalement et à l’aune du contexte stratégique, le TCMD est un accord équilibré, gagnant-gagnant, offrant aux deux parties de la prévisibilité et de la stabilité, en codifiant certaines pratiques, en clarifiant les procédures et en allongeant sa durée, qui passe de dix à vingt ans, soit une génération, ce qui témoigne de la confiance accordée par Djibouti à la France et offre la visibilité nécessaire pour consentir des investissements de long terme. Le comité militaire de dialogue stratégique aura vocation à renforcer le dialogue et la coopération entre nos deux armées afin de répondre à des enjeux communs.

En matière de stationnement des forces, les emprises nécessaires à nos missions opérationnelles sont garanties, voire augmentées, et notre capacité d’entraînement est préservée. Des emprises non opérationnelles seront totalement ou partiellement restituées, notamment sur l’îlot du Héron.

Le TCMD renforce la clause de sécurité par la mention explicite de l’intégrité territoriale de Djibouti, étend la coopération aux forces de sécurité intérieure et renforce la coopération en matière de santé. La commission de la défense nationale et des forces armées a émis un avis favorable à l’adoption de ce traité. J’espère que les membres de la commission des affaires étrangères partageront cette position en votant la ratification du TCMD.

Mme Éléonore Caroit, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.

M. Michel Guiniot (RN). L’accord qu’il nous est demandé de ratifier est important pour les relations entre la France et Djibouti. Il s’inscrit dans un contexte géostratégique compétitif : cinq bases étrangères sont présentes dans le même espace, dont les seules bases de la Chine et du Japon à l’étranger et la plus grande base américaine en Afrique.

Pour la France, il s’agit de notre plus grande base à l’étranger, où sont stationnés près de 1 500 soldats, à la demande de la partie djiboutienne. Le maintien de la présence militaire française est conditionné à la restitution de terrains actuellement occupés, notamment 40 % de l’îlot du Héron, au Nord de Djibouti, comme le prévoit l’article 11 de l’annexe I du TCMD.

Nous avons la chance d’avoir la base aérienne (BA) n° 188 Colonel Massart, qui nous offre une autonomie stratégique aérienne. S’agissant de notre autonomie stratégique navale, la restitution par la partie française de 40 % de l’îlot du Héron ne risque-t-elle pas de nous mettre en difficulté dans le cadre de notre mission de défense ? Certes, il ne s’agit que d’immeubles d’habitation mais le point 6 de l’article 8 prévoit la possibilité d’une installation militaire étrangère dans cette zone. Au surplus, la partie djiboutienne n’est tenue qu’à une simple information si notre emprise, même à usage exclusif, s’avérait insuffisante pour nos besoins. Devrons-nous partager le port avec la base chinoise implantée à Doraleh ?

Le rapport du Sénat précise que les logements disponibles sur l’île du Héron seront remplacés par des baux dans Djibouti. Il s’agit donc d’une augmentation des charges de logement du personnel, alors même que nous disposions des infrastructures.

L’article 1 de l’annexe III dispose que la France s’engage à verser une contribution forfaitaire annuelle de 85 millions d’euros, soit 55 millions de plus qu’auparavant, en complément d’une augmentation prévue de 50 % du nombre de stagiaires formés chaque année par la France au titre de l’article 5. Quel coût global cette disposition représente-t-elle pour le contribuable ? Le sénateur Robert Xowie l’évalue à 1,2 milliard d’euros par an ; ce montant figure-t-il dans les prévisions ?

Il est nécessaire que la présence française soit forte, tant pour notre stratégie de crédibilité en Afrique que pour la sécurité des denrées qui traversent le détroit de Bab el-Mandeb à destination de l’Europe ou en partance pour l’Europe. Le groupe Rassemblement national votera le texte.

M. Marc de Fleurian, rapporteur. La restitution de l’îlot du Héron a une importance symbolique pour les Djiboutiens. Le foncier y a pris beaucoup de valeur, s’agissant d’une emprise située dans une partie très valorisée de Djibouti-ville. Il est normal, en tant que partenaire, de répondre à cette demande de nos alliés. Le relogement des personnels n’induira aucun surcoût et sera même source d’économies : les familles seront logées en ville, ce qui externalisera le coût du logement, et les célibataires au camp du 5e régiment interarmes d’outre-mer (RIAOM) ou à la BA 188. Concentrer les emprises offre un gain financier à nos forces.

La restitution d’une partie de l’îlot du Héron n’amoindrira pas nos capacités opérationnelles, dans la mesure où nous conservons les ateliers et les capacités de mise à l’eau. Nous n’aurons pas à faire appel aux Chinois, dans la mesure où nous conservons la capacité historique de nos emprises, qui peuvent accueillir 5 000 personnels, soit trois fois plus que l’effectif actuel. De surcroît, l’armée française a la capacité de densifier les camps et le fait régulièrement en opération lorsqu’il faut monter en puissance, par exemple récemment au camp Kossei, au Tchad, et à l’aéroport de Bangui. Il nous arrive de multiplier par dix la population de militaires accueillis dans une emprise, sans difficulté.

S’agissant de l’augmentation de la contribution forfaitaire annuelle de plus 55 millions d’euros, il faut déduire des 85 millions annuels quelque 4 millions en taxes et impôts divers, ce qui ramène le montant à 81 millions en fait. Cette réévaluation s’inscrit dans le contexte de la concurrence avec les autres puissances. En réalité, les Djiboutiens nous font un prix d’ami, d’autant que nos emprises sont vastes, bien davantage que celles des autres puissances.

Le coût des stagiaires djiboutiens accueillis en France en formation initiale, d’application ou technique est de l’ordre de quelques dizaines de milliers d’euros par an, dans le cadre d’une coopération dont bénéficient de nombreux pays alliés et amis.

Le montant de 1,2 milliard d’euros avancé par notre collègue sénateur correspond quant à lui au fonctionnement global des FFDj : la masse salariale des militaires projetés, le kérosène des avions et le fioul des bateaux en passant par leur maintenance, soit les dépenses engagées pour toute force prépositionnée.

M. Michel Guiniot (RN). Devrons-nous partager le port avec la base chinoise ?

M. Marc de Fleurian, rapporteur. Le TCMD sécurise le quai n° 9, auquel nous amarrons les bâtiments de la marine nationale, et permet l’accès ponctuel aux quais n° 8 et 10. Nous sécurisons donc un quai et la capacité de nous étendre si nous devions accueillir davantage de bâtiments de la marine.

Mme Amélia Lakrafi (EPR). Le TCMD a une valeur hautement stratégique pour la France et pour Djibouti, pays-clé de ma circonscription et fidèle allié de longue date. Il renouvelle et renforce un partenariat qui est tout sauf symbolique. Il s’inscrit dans une histoire dense et profonde, dont j’ai personnellement pris la mesure à Djibouti en mai 2021, aux côtés du ministre Jean-Baptiste Lemoyne : j’y ai ressenti la force du lien franco-djiboutien, incarnée par la présence de plus de 4 000 Français, dont de nombreux binationaux, et par la présence de nos 1 500 militaires au cœur de notre plus grande base à l’étranger. Ce lien est aussi incarné par la francophonie vivante, assumée et partagée : dans une région majoritairement anglophone, Djibouti fait figure de bastion francophone, ce qui donne encore plus de sens à notre engagement mutuel.

À l’heure où notre présence militaire en Afrique se réduit, conformément aux objectifs du discours de Ouagadougou prononcé par notre président en 2017, la base de Djibouti est devenue notre dernier ancrage stratégique permanent sur le continent, avec celui de Libreville. Dans un contexte où d’autres puissances s’implantent, maintenir cette coopération est essentiel, non seulement pour des raisons diplomatiques mais aussi pour la sécurité collective. L’opération Sagittaire d’évacuation de nos compatriotes à Khartoum, menée depuis Djibouti, fut un exemple éclatant de l’efficacité de notre dispositif militaire et diplomatique ; j’en profite pour saluer chaleureusement le professionnalisme de nos forces armées et de notre réseau diplomatique, ainsi que la coopération précieuse des autorités djiboutiennes.

Le TCMD comporte plusieurs avancées notables : une clause de sécurité exclusive ; une durée de vingt ans, synonyme de confiance ; une coopération militaire et civile renforcée au service des populations. À l’heure où quelques pays, notamment ceux de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont avec la France des relations tendues, il est essentiel de rappeler que cinquante des cinquante-quatre États africains, soit la très grande majorité d’entre eux, entretiennent avec nous des relations de confiance dynamiques et respectueuses. Dans ce contexte, quels sont les facteurs qui font de Djibouti un partenaire stable et engagé à nos côtés ?

M. Marc de Fleurian, rapporteur. Vous avez raison de saluer les 5 000 Français installés à Djibouti, parmi lesquels des militaires avec leurs familles et un tiers de franco-djiboutiens, que nous saluons.

La durabilité de notre partenariat avec Djibouti s’explique par le fait qu’il s’agit d’une coopération entre nos deux pays, qui est un facteur de stabilité pour les Djiboutiens. La coopération privilégiée avec la France leur assure un équilibre et leur permet de conserver leur liberté d’action vis-à-vis des autres puissances implantées sur place.

Les Djiboutiens ne sont pas demandeurs d’un partenariat privilégié avec les Américains ni avec les Chinois. Avec la France, ils savent qu’ils ont affaire à un partenaire respectueux, qui s’inscrit d’emblée dans une relation équilibrée et joue un rôle d’arbitre entre les grandes puissances présentes sur leur sol.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). L’accord de défense entre la France et Djibouti qui nous est soumis constitue à nos yeux un texte de haute importance stratégique. Il s’inscrit dans une continuité qui ne doit rien au hasard, celle de la présence de nos forces armées dans une région du monde dont le rôle géopolitique est de plus en plus central. Djibouti occupe une position cruciale, à la croisée des routes maritimes internationales, aux portes de la mer Rouge et à l’entrée du détroit de Bab el-Mandeb. Cette voie relie la Méditerranée à l’océan Indien et aux principales zones économiques d’Asie. Elle constitue l’un des axes vitaux du commerce mondial : près de 70 % du trafic maritime de et vers l’Union européenne y transite.

Or cette zone est caractérisée par des instabilités récurrentes, qui rendent impérative une capacité de présence, de dissuasion et de sécurisation. Dans ce contexte, la base militaire française à Djibouti est un outil opérationnel indispensable. Elle permet de garantir la liberté de navigation, de protéger les navires battant pavillon français et, plus largement, de défendre nos intérêts stratégiques.

Elle constitue également un point d’appui pour la projection de nos forces vers des régions sensibles telles que le Moyen-Orient et l’Asie de l’Est. Elle joue un rôle logistique essentiel entre l’Hexagone, La Réunion et Mayotte. Elle a notamment permis d’assurer des interventions rapides et efficaces lors des récentes catastrophes naturelles subies par ces territoires.

Si nous reconnaissons la portée stratégique du TCMD, nous ne saurions fermer les yeux sur la situation politique préoccupante qui prévaut à Djibouti. Le président Ismaïl Omar Guelleh dirige le pays depuis 1999. À cette longévité s’ajoute un exercice du pouvoir autoritaire : répression des opposants, restriction des libertés publiques, violations persistantes des droits fondamentaux.

Nous avons le devoir de le rappeler. Cela fait partie intégrante de notre responsabilité politique. Notre soutien au TCMD n’est pas un silence complice. Il doit être associé à une exigence claire : le respect des droits humains et des libertés fondamentales. La coopération militaire ne peut pas effacer nos principes.

Notre groupe, tout en affirmant sa vigilance à l’égard de la situation intérieure de Djibouti, votera la ratification du TCMD, car il sert les intérêts de la France, sans renier les valeurs qui fondent notre engagement républicain.

M. Marc de Fleurian, rapporteur. Avoir la France pour partenaire privilégié est une opportunité pour les Djiboutiens en matière de respect des droits de l’Homme. Il n’en irait peut-être pas ainsi s’ils choisissaient la Chine ni même les États-Unis. La France joue en la matière un rôle d’amélioration que d’autres puissances ne joueraient pas.

Il est donc nécessaire que la France demeure le partenaire privilégié de Djibouti et n’y réduise pas sa présence. Sa plus-value est illustrée par la multiplicité de nos partenariats. Ainsi, l’école internationale de perfectionnement à la pratique de la police judiciaire (EI3PJ) a pour mission de diffuser des bonnes pratiques dans ce domaine. Les choses évoluent progressivement, dans le respect de la souveraineté des États.

M. Nicolas Forissier (DR). Le groupe Droite républicaine se prononcera pour l’adoption de ce traité d’une grande importance stratégique. Monsieur le rapporteur, eu égard aux enjeux stratégiques, considérez-vous que l’investissement de la France est suffisant ou qu’il faudra renforcer les moyens consacrés à cette base militaire ?

Par ailleurs, dans le cadre de la lutte d’influence entre la Chine et les États-Unis, la France peut être une puissance d’équilibre offrant une troisième voie, comme le souhaitent les Djiboutiens. Ne devrait-elle pas s’inspirer davantage du modèle établi à Djibouti pour guider sa politique étrangère et de défense au Moyen-Orient et, plus globalement, dans la zone Asie-Pacifique ? Djibouti n’est-il pas, en quelque sorte, le parfait exemple de ce que la France doit continuer à construire ? Cela suppose un renforcement des moyens, pas forcément facile à obtenir dans le contexte budgétaire actuel.

M. Marc de Fleurian, rapporteur. Les forces positionnées à Djibouti sont significatives : un régiment interarmes complet avec une compagnie d’infanterie, un escadron blindé, une compagnie d’appui mixte, des moyens de l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT) et de l’armée de l’air et de l’espace (AAE), des hélicoptères de manœuvre et d’assaut, des moyens navals, un détachement permanent de forces spéciales, un escadron de Mirage prochainement remplacés par des Rafale. Nous avons déjà la capacité d’agir sur l’intégralité du spectre.

À mon sens, l’équilibre est bon entre le coût du prépositionnement des forces et nos besoins. Nous savons également monter en puissance, comme nous le faisons à chaque crise, et multiplier assez vite par deux, par cinq ou par dix les forces positionnées sur nos emprises. L’infrastructure de Djibouti permettrait d’accueillir rapidement une telle montée en puissance.

Il faut en effet s’inspirer du modèle djiboutien pour construire ou reconstruire des relations équilibrées, notamment avec nos partenaires africains, compte tenu de la réduction de notre présence militaire sur le continent. Djibouti est également un partenaire privilégié car il nous permet de proposer un modèle qui marche, fondé sur des relations rénovées.

M. Stéphane Hablot (SOC). On ne doit pas être manichéens. Mieux vaut en effet que ce soit la France plutôt que la Chine ou les États-Unis qui s’implantent là-bas. Le TCMD est essentiel. Notre groupe votera sa ratification.

Monsieur le rapporteur, vous avez été militaire. Vous savez donc que la coopération militaire est une priorité. Elle nécessite confiance et loyauté. Nous avons évoqué tout à l’heure la francophonie. La France investit dans le développement urbain, dans la santé, l’énergie et l’éducation.

Cependant, une affaire en cours montre que l’on doit dialoguer et faire évoluer les choses, notamment le respect des droits fondamentaux. Une enfant de nationalité française a été enlevée. Certes, il s’agit d’une affaire privée mais les décisions de justice, en France et à Djibouti, vont dans le même sens sans être appliquées. Quand la justice est ignorée, il n’y a plus de confiance. Le président de la République s’en est mêlé.

L’affaire de la petite Liya Lider a fait du bruit. Comment avoir confiance dans les règles de sécurité et de défense ? Nous disons oui à l’alliance stratégique, oui à la souveraineté nationale. Le temps des vieilles habitudes de la Françafrique est révolu. Mais on ne doit pas s’asseoir sur les principes fondamentaux.

L’amitié entre la France et Djibouti mérite mieux que des silences. Nous le disons haut et fort et nous le dirons bientôt au nouvel ambassadeur de France nommé à Djibouti : nous devons dialoguer pour faire respecter nos droits fondamentaux.

M. Marc de Fleurian, rapporteur. La coopération judiciaire est formellement renforcée et sécurisée dans le cadre du traité. Pour le cas particulier que vous évoquez, je m’abstiendrai de tout propos car la moindre prise de parole peut empêcher la résolution du problème.

M. Stéphane Hablot (SOC). Je suis totalement d’accord avec vous. Il s’agit de faire appliquer une décision de justice.

Mme Clémentine Autain (EcoS). La porte d’entrée de la mer Rouge et du golfe d’Aden, le détroit de Bab el-Mandeb, a une importance stratégique évidente, puisqu’il permet de relier la Méditerranée à l’océan Indien. C’est un point de passage crucial pour l’Europe, où transite 70 % de son trafic maritime.

L’intérêt stratégique de Djibouti n’est pas à démontrer. La France, son ancienne puissance coloniale, le sait d’ailleurs très bien. Depuis l’indépendance de 1977, notre pays conserve une présence militaire dont nous discutons ce matin le renouvellement pour vingt ans. Ce traité renforce celui de 2014, notamment en rétrocédant 40 % de l’îlot du Héron à Djibouti et en revalorisant le loyer annuel de notre base, qui passera à 85 millions d’euros.

Ce nouveau texte conforte notre implantation dans la région, où les enjeux de sécurité sont nombreux – actes de piraterie des milices shebab depuis la Somalie, attaques des rebelles houthis du Yémen – et menacent la circulation maritime. Djibouti est indispensable pour sécuriser ces flux. Notre base est aussi un relais utile pour connecter l’Hexagone à La Réunion et à Mayotte, que nous avons ainsi pu aider en urgence après le passage des cyclones. C’est la raison pour laquelle nous voterons le texte.

Toutefois, je mets deux questions sur la table. Premièrement, quel est notre but ? Il me semble nécessaire d’ouvrir un débat sur notre présence militaire en Afrique en relation avec les autres puissances, en particulier la Chine, qui rayonne de plus en plus fortement. Dès lors que nous sommes d’accord pour sortir de la Françafrique, il est important de s’interroger sur notre objectif.

Ce mélange de présence militaire et de diplomatie au moment où les moyens diplomatiques sont sabrés m’intrigue énormément. Nous ne pouvons admettre que notre diplomatie se réduise à une présence militaire qui peut susciter un véritable rejet. On ne voit pas la France avec le regard bienveillant que certains décrivaient tout à l’heure. Nous ne sommes pas les bienvenus au prétexte que notre présence serait ancienne. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent sur le terrain. J’attends du gouvernement et de ceux qui signent ces textes des axes stratégiques plus percutants et plus intéressants sur le sens de ce que nous voulons faire.

Cela m’amène au deuxième point, qui a déjà été soulevé. Le régime à Djibouti est autocratique, avec un président en poste depuis 1999. Ce régime est accusé de crimes de guerre, de torture. Quelle sera la parole de la France à cet égard ? La France plaidera-t-elle pour la démocratisation du régime, en particulier le droit de l’opposition à concourir aux élections parlementaires ? Mon vote n’est pas un blanc-seing.

M. Marc de Fleurian, rapporteur. Je ne sais que vous répondre. Alors selon vous, on arrête de faire de la diplomatie et de projeter notre puissance ? On laisse les Chinois et les Américains se partager le monde et on ne fait plus rien, en attendant que ça passe ?

Mme Clémentine Autain (EcoS). Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Marc de Fleurian, rapporteur. Quoi qu’il en soit, le monde viendra à nous. Que proposez-vous, sachant que 70 % des pays ne respectent pas les normes démocratiques ? Voulez-vous qu’on arrête de travailler avec le monde ? Que nous nous enfermions entre nous ?

J’ai l’impression qu’on joue à la dînette, que l’on vit dans le monde des Bisounours. Le monde réel existe et il faut faire au mieux avec ce que l’on a.

Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. La Françafrique n’est plus. La France n’est pas le seul pays militairement présent à Djibouti. Ce nombre est peut-être l’argument le plus fort. Djibouti est un État souverain ayant envie que la France soit présente.

Quant à la feuille de route, l’objectif est de reprendre des relations avec les pays du continent africain. Djibouti jouera un rôle majeur pour renouer des relations de coopération. Nous avons confiance dans son rôle.

Nos projets avec Djibouti sont énormes. Les câbles sous-marins passent là-bas : on assure donc notre souveraineté en matière de télécommunications. Nous allons coopérer autour d’un programme spatial. Nous avons des projets de fond. Ce n’est pas simplement une présence militaire. Le TCMD permet d’évoluer vers une coopération beaucoup plus large, dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la communication et de la recherche.

Mme Louise Morel (Dem). Ce projet de loi est crucial pour notre posture stratégique en Afrique de l’Est et dans l’océan Indien. Situé au débouché du détroit de Bab el-Mandeb, par lequel transitent 12 % du commerce mondial, notamment plus de 6 millions de barils de pétrole par jour, Djibouti a une position géostratégique majeure.

C’est aussi un îlot de stabilité dans une région marquée par les instabilités. Depuis la fin de l’année 2023, la mer Rouge est le théâtre d’attaques répétées des Houthis, qui ont fortement perturbé le trafic maritime, réduit d’environ 40 %. À cela s’ajoute la piraterie, autre facteur de déstabilisation contre laquelle l’Union européenne est engagée depuis 2008 dans le cadre de l’opération Atalante.

La France entretient avec Djibouti une relation de défense privilégiée, de confiance, depuis l’indépendance du pays en 1977. L’accord, signé en 2011 et entré en vigueur en 2014, n’est plus à jour. Or, depuis plusieurs années, Djibouti est devenu un centre d’accueil privilégié des opérations militaires, humanitaires et de renseignement.

Outre la France et les États-Unis, d’autres puissances y sont implantées. C’est à Djibouti que la Chine, en 2017, a créé sa première base militaire à l’étranger. Dans ce contexte, nous saluons le nouveau TCMD, signé à Paris le 24 juillet par les présidents Emmanuel Macron et Ismaïl Omar Guelleh, qui vise à adapter notre partenariat militaire bilatéral.

La ratification de ce traité représente des opportunités pour notre pays. Pour les 1 500 militaires présents sur place, que je salue, il modernise notre partenariat en sécurisant d’un point de vue juridique et opérationnel la présence des forces françaises pour les vingt prochaines années. Il renforce nos capacités d’intervention dans la Corne de l’Afrique. Il instaure un comité militaire de dialogue stratégique renforçant le dialogue entre nos états-majors. Il offre un régime juridique clair et stable à nos militaires. Enfin, il confirme – et c’est là le plus important – le rôle de la France comme garante de la sécurité du territoire de Djibouti en cas d’agression extérieure.

Ratifier ce traité, c’est renforcer notre souveraineté stratégique, protéger nos intérêts sécuritaires et affirmer la voix de la France sur un continent de plus en plus disputé. Le groupe Démocrates votera ce texte.

M. Bertrand Bouyx (HOR). Le groupe Horizons votera lui-aussi ce texte. Je souhaite vous interroger sur les liens que Djibouti entretient avec la gendarmerie nationale par le biais de l’EI3PJ, créée en 2016. C’est une école importante pour les Djiboutiens ainsi que pour toute l’Afrique francophone, qui s’y forme aux bonnes pratiques. Dans un moment où l’Afrique est déstabilisée et où la menace terroriste est présente, quelles sont les perspectives pour cette école ?

Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Ce ne sont plus seulement les forces armées qui sont concernées dans le traité mais aussi les forces de sécurité, dont les forces de sécurité intérieure de Djibouti. Avec Yannick Favennec-Bécot, nous avons pu découvrir sur place la qualité de l’enseignement dispensé par la gendarmerie, qui forme notamment les équipes de l’équivalent djiboutien du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). L’État djiboutien est très demandeur de la compétence française pour accompagner ses forces de sécurité. Il attend particulièrement l’expertise de la France pour faire face à la pression migratoire et lutter contre le terrorisme. Cette base définie par le traité sera amenée à évoluer sur le terrain.

M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). La promotion de la francophonie figure dans le préambule du nouveau TCMD. C’est un enjeu capital pour le rayonnement de la France à Djibouti. Son inscription dans le traité traduit l’attachement réciproque des deux parties à la langue française.

Je rappelle que notre langue est, aux côtés de l’arabe, la langue officielle de Djibouti. Le français reste très présent dans l’administration, l’enseignement, les médias et la vie culturelle. C’est un héritage de la présence française dans le pays. Notre langue est aussi un pilier institutionnel et continue d’être une langue de travail et de transmission des savoirs.

Cependant, l’anglais, porté par la mondialisation, la diplomatie régionale et les partenariats internationaux, gagne du terrain. Dans les universités et les entreprises, l’anglais s’impose peu à peu comme la langue d’opportunité, notamment parmi la jeune génération. Djibouti devient un carrefour linguistique. Le français, l’anglais, l’arabe, le somali, l’afar s’adaptent et se redéfinissent.

Nous devons donc d’urgence nous interroger sur l’avenir de la langue française dans un pays en pleine mutation linguistique. Nos homologues djiboutiens ont beaucoup insisté sur ce point. Ils attendent beaucoup de nous dans ce domaine. Nous devons réfléchir et travailler ensemble sur ce sujet, rapidement et concrètement. La promotion de la francophonie est très importante pour l’avenir de notre relation avec ce beau pays ami qu’est Djibouti.

M. Marc de Fleurian, rapporteur. Un accord-cadre entre les ministères de l’éducation nationale des deux pays a été signé en juin 2023. Il a conduit à la création d’un programme d’échanges entre l’école d’excellence de Djibouti et des classes préparatoires aux grandes écoles en France, à Nancy, Poitiers et Paris. La France participe également à la construction du musée sur l’emplacement de l’ancienne gare de Djibouti. L’Institut français de Djibouti (IFD) joue aussi un rôle essentiel. Nous travaillons avec les Djiboutiens parce que nous avons certes des intérêts communs mais plus encore une façon de penser et d’appréhender le monde en partage que nous donne la pratique du français.

Mme Éléonore Caroit, présidente. Je donne à présent la parole à nos collègues qui souhaitent intervenir à titre individuel.

Mme Christine Engrand (NI). Ce traité, présenté comme une modernisation nécessaire de nos engagements, entérine des obligations lourdes pour notre pays. La contribution forfaitaire annuelle de 85 millions d’euros, exonératoire de toute taxe, interroge sur la soutenabilité budgétaire d’un tel dispositif, d’autant qu’aucun mécanisme sérieux d’évaluation de son efficacité n’est prévu avant la dix-neuvième année d’application du traité. En cas de dérive budgétaire ou de hausse des coûts logistiques, la France pourra-t-elle renégocier les termes financiers ou serons-nous pieds et poings liés pendant vingt ans ?

M. Marc de Fleurian, rapporteur. La contribution a été réévaluée, afin de restaurer une relation paritaire avec nos partenaires. Celle de 30 millions d’euros était insuffisante, presque irrespectueuse. Il faut se demander combien aurait coûté l’opération Sagittaire sans Djibouti – peut-être plus de 85 millions d’euros, sans compter les vies humaines perdues. La sécurisation de la mer Rouge et du détroit de Bab el-Mandeb a une valeur inquantifiable. D’ailleurs, l’augmentation des coûts en Europe est en partie due au fait que 40 % du trafic qui passait par le détroit de Bab el-Mandeb passe désormais par le cap de Bonne-Espérance. Cela a un impact direct sur les ménages français. Ces 85 millions d’euros sont largement rentabilisés, peut-être même dès le premier mois de chaque année de coopération.

M. Jérôme Buisson (RN). Il est rare de voir autant de bases militaires les unes à côté des autres. Quelles sont leurs relations de voisinage ?

M. Marc de Fleurian, rapporteur. Comme pour un bien immobilier, trois choses comptent pour l’implantation d’une base militaire : l’emplacement, l’emplacement, l’emplacement ! Il est donc normal que tout le monde se trouve au même endroit. En l’espèce, ce sont les autres pays qui nous ont rejoints.

Les Djiboutiens refusent fermement que les querelles entre Américains et Chinois, en mer de Chine et en mer du Japon, soient importées sur la façade occidentale de l’océan Indien. À cet égard, la France joue un rôle prédominant, puisque c’est elle qui assure, en soutien des Djiboutiens, la police du ciel, la coordination des opérations militaires aériennes, notamment des missions américaines vers le Yémen, et la police des eaux.

Nous accueillons également sur nos emprises le détachement espagnol participant à l’opération Atalante. C’est la France qui a ce rôle de coordinateur. Si les Djiboutiens ont demandé que toutes les parties tiennent des réunions pour purger les éventuels différends de la vie quotidienne, c’est bien la France qui, dans ce traité, se voit confier, en appui et en faveur des Djiboutiens, un certain nombre de fonctions-clés que nous remplissons en tant que puissance d’équilibre.

Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Il faut noter que les familles des militaires français sont présentes. Leurs enfants sont scolarisés à Djibouti. Nous sommes une nation ouverte non seulement sur Djibouti mais également sur les pays présents militairement.

Il ne faut pas oublier non plus le rôle essentiel que joue l’ambassade de France à Djibouti, en accueillant les autorités étrangères. Les responsables militaires y rencontrent également leurs homologues. Il y a des échanges avec toutes les nations présentes à Djibouti. Nous ne sommes pas enfermés sur nous-mêmes. On vit à Djibouti, on consomme à Djibouti et on rencontre les forces militaires étrangères à Djibouti.

*

Article unique (autorisation de la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris le 24 juillet 2024)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 

***

Informations relatives à la commission

En introduction de sa réunion, la commission désigne :

 Mme Sylvie Josserand et M. Vincent Ledoux, co-rapporteurs d’information sur les réseaux criminels internationaux opérant en France.

 

***

La séance est levée à 11 h 05.

_____

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Clémentine Autain, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, Mme Éléonore Caroit, M. Pierre Cordier, Mme Christine Engrand, M. Olivier Faure, M. Marc de Fleurian, M. Nicolas Forissier, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Marine Hamelet, Mme Sylvie Josserand, M. Bastien Lachaud, M. Xavier Lacombe, Mme Amélia Lakrafi, Mme Constance Le Grip, Mme Élisabeth de Maistre, Mme Louise Morel, M. Kévin Pfeffer, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Liliana Tanguy, M. Vincent Trébuchet, M. Lionel Vuibert

Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, M. Hervé Berville, M. Sébastien Chenu, M. Alain David, M. Marc Fesneau, M. Bruno Fuchs, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, M. Laurent Mazaury, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, M. Aurélien Taché, M. Laurent Wauquiez

Assistaient également à la réunion. - M. Yannick Favennec-Bécot, Mme Anne Le Hénanff