Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Examen, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi, autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, signé à Paris le 14 octobre 2022 (n° 1520) (M. Aurélien Taché, rapporteur)              2

– Informations relatives à la commission.....................11


Mardi
17 juin 2025

Séance de 21 heures 30

Compte rendu n° 72

session ordinaire 2024-2025

Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président


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La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur le projet de loi n° 1520.

La séance est ouverte à 21 h 35.

Présidence de M. Bruno Fuchs, président.

M. le président Bruno Fuchs. Depuis son indépendance en 1991, la Macédoine du Nord a entrepris un rapprochement avec l’Union européenne et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). La levée du veto grec, après la signature de l’accord de Prespa en 2018, a permis son adhésion à l’OTAN le 27 mars 2020, ce qui a contribué de façon significative à la stabilisation de cet État. La France n’a cessé d’être aux côtés de ce pays des Balkans occidentaux lors des crises qu’il a affrontées, en contribuant notamment à forger les accords d’Ohrid, pierre angulaire de la réconciliation intercommunautaire depuis les affrontements interethniques de 2001.

La coopération dans le domaine de la défense entre la France et la Macédoine du Nord est pour l’instant régie par un arrangement ministériel signé à Skopje le 22 décembre 1996. Ce cadre s’avère insuffisant pour répondre aux ambitions de développement de la coopération des deux parties. L’accord du 14 octobre 2022 a vocation à le remplacer en étendant le champ de la coopération à la formation, à l’armement et à l’équipement des forces armées.

M. Aurélien Taché, rapporteur. L’accord de coopération dans le domaine de la défense entre la France et la Macédoine du Nord soumis à notre examen a été signé il y a seulement trois ans, le 14 octobre 2022 : saluons tout d’abord cette célérité, qui n’est pas toujours de mise.

Issue de l’éclatement de la Yougoslavie, située au cœur des Balkans occidentaux, la Macédoine du Nord a une surface équivalente à celle de trois ou quatre départements français, pour une population de 2 millions d’habitants. Elle est le deuxième pays le plus pauvre d’Europe après la Moldavie.

La coopération de défense avec la Macédoine du Nord est aujourd’hui régie par un arrangement technique entre ministres signé à Skopje en 1996, de portée infra-réglementaire, prévoyant diverses modalités – visites de délégations, accueil de stagiaires, échanges d’expériences –, qui n’est pas adapté au développement d’une coopération bilatérale de défense dense et pérenne. En particulier, il ne définit pas de cadre juridique protecteur pour les personnels militaires et civils concernés.

Or nos relations de coopération de défense avec la Macédoine du Nord, qui ont des racines anciennes, connaissent une phase ascendante. L’armée macédonienne dispose de 6 000 personnels et d’un budget de 329 millions d’euros en 2025, soit environ 2 % du produit intérieur brut (PIB) macédonien, ce qui représente un effort de défense comparable à celui de la France. La Macédoine du Nord a pour objectif de porter ce budget à 1 milliard d’euros en 2029 et d’en consacrer 30 % à l’intégration de ses forces à l’OTAN, dont elle est devenue le trentième pays membre en mars 2020.

L’accord de coopération qui nous est soumis a été signé en octobre 2022, quelques mois après que Skopje a conclu avec l’industriel français MBDA un contrat d’acquisition du système de défense sol-air Mistral. Cette acquisition représentait l’investissement le plus important du ministère macédonien de la défense en 2022, signe de son intérêt à travailler avec la France et avec son industrie.

Même s’il est peu probable que la France devienne le premier partenaire militaire de la Macédoine du Nord, qui a principalement recours à la coopération américaine mais aussi italienne et turque, notre coopération bilatérale est appelée à s’accroître. Il est donc heureux que nous puissions travailler ensemble en dehors du strict cadre de l’OTAN, où nos armées coopèrent par ailleurs, comme lors de l’exercice Swift Response organisé à Krivolak en 2022 ou des opérations de réassurance de l’OTAN en Lettonie et en Roumanie.

Notre partenaire exprime une attente de coopération forte, ce dont nous pouvons nous féliciter. Le conseil des ministres a délibéré de ce projet de loi le 4 juin dernier ; le lendemain même, Timčo Mucunski, nouveau ministre des affaires étrangères de Macédoine du Nord, s’est déplacé à Paris, où il a rencontré Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, puis le groupe d’amitié France-Balkans occidentaux du Sénat.

L’accord de comporte trois parties.

Les articles 1er à 5 étendent le champ de la coopération à de nombreux domaines : politique de défense et enjeux politico-stratégiques, organisation et fonctionnement des forces armées, armement et équipement, opérations internationales de maintien de la paix et humanitaires, formation.

La politique mémorielle y est mentionnée, fondée sur l’histoire partagée du front d’Orient durant la première guerre mondiale, dont la Macédoine du Nord a été l’un des principaux théâtres d’opérations. En 2018, un espace muséal a été inauguré au sein du cimetière militaire français de Bitola, abritant les sépultures identifiées de 6 000 militaires français et coloniaux ainsi qu’un ossuaire comportant les restes de 7 000 soldats.

Les articles 6 à 11 définissent les garanties applicables aux militaires et civils déployés entre nos deux nations. Ils renvoient à l’accord de statut des forces à l’étranger, dit SOFA OTAN, qui fournit un cadre de travail familier aux deux parties, mais l’accord du 14 octobre 2022 prévoit également des dérogations. Il s’agit en effet d’un accord de coopération et non d’un traité de défense : il ne prévoit donc pas de clause de sécurité ni d’engagement de participation à la moindre opération de l’autre partie qui serait assimilable à une guerre. Nous restons cependant liés à la Macédoine du Nord par les engagements de sécurité réciproques qui résultent de notre participation conjointe à l’OTAN.

Enfin, les articles 12 à 15 définissent les conditions de prise en charge des frais des activités de coopération, les modalités d’échange des informations classifiées et les dispositions finales usuelles.

Au total, cet accord au contenu très classique permet aux deux pays de se reconnaître comme partenaires stratégiques et offre un cadre sécurisé pour nos coopérations à venir.

J’insiste sur le fait que cette coopération ne doit pas seulement viser à aider la Macédoine du Nord à entrer dans le « moule OTAN » mais doit lui offrir plus de souplesse stratégique. Elle pourra favoriser, par exemple, une participation accrue à des opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies (ONU) ou à la politique européenne de sécurité et de défense.

Je recommande aussi que cette coopération comporte un volet linguistique et apporte un plus fort soutien à l’apprentissage du français, pour favoriser une participation régulière d’officiers macédoniens à notre enseignement militaire supérieur et pour entretenir les relations entre les communautés d’officiers ayant partagé des formations communes. N’oublions pas que la Macédoine du Nord est depuis 2006 un membre de plein droit de la francophonie et que nous pouvons compter sur un institut français à Skopje – il vient de fêter son cinquantième anniversaire – ainsi que sur deux alliances françaises à Bitola et Tetovo. Surtout, une coopération même modeste dans le domaine de la défense ne peut pas se concevoir sans une approche d’ensemble, pour favoriser des projets bénéfiques à nos deux peuples.

La Macédoine du Nord est assez exemplaire en tant que démocratie multi-ethnique fonctionnelle dans les Balkans occidentaux, les autres États étant soit mono-ethniques, soit en situation de blocage politique.

Le pays connaît un relatif équilibre politique, avec l’alternance de coalitions rassemblant les partis slavo-macédoniens et albanais, sous l’effet de l’accord-cadre d’Ohrid de 2001 qui a mis fin aux tensions avec la minorité albanaise. La France avait contribué à cet accord avec deux représentants spéciaux de l’Union européenne, François Léotard puis Alain Le Roy et avec une contribution de Robert Badinter aux travaux de révision de la Constitution. Skopje a d’ailleurs cherché à promouvoir un modèle macédonien de coexistence pacifique entre les communautés en lançant, en 2021, l’initiative du Forum de Prespa, une instance d’échange sur les problématiques régionales.

Cependant, on constate aujourd’hui des difficultés politiques liées aux déconvenues subies par le pays sur le plan européen, qui illustrent les limites de nos approches actuelles centrées sur le « tout ou rien » de l’élargissement et de l’absorption dans l’Union européenne. Skopje a en effet obtenu le statut de candidat à l’Union européenne fin 2005, voici bientôt vingt ans, mais son adhésion a été bloquée par des différends identitaires et mémoriels avec ses voisins membres de l’Union, la Grèce et la Bulgarie. Les difficultés avec la Grèce ont été levées en 2018, lorsque Skopje a accepté de modifier la Constitution, le drapeau et le nom du pays, devenu République de Macédoine du Nord, pour mieux se distinguer de la région grecque de Thessalonique.

Depuis, en revanche, des tensions sont apparues avec la Bulgarie sur fond de querelles mémorielles et identitaires, certains courants nationalistes bulgares considérant que les Macédoniens seraient originellement des Bulgares et que l’identité macédonienne aurait été créée de toutes pièces par le maréchal Tito. Ce contentieux s’alimente, en retour, d’une réactivation de la mémoire de la seconde guerre mondiale, la Bulgarie, alliée de l’Allemagne nazie, ayant occupé la Macédoine du Nord afin de l’annexer.

La Bulgarie n’a accepté de lever son veto à l’adhésion de la Macédoine du Nord qu’à la suite d’un compromis assez bancal, négocié en 2022 pendant la présidence française de l’Union européenne, exigeant une nouvelle modification constitutionnelle, cette fois pour reconnaître l’existence d’une minorité bulgare. Cette révision constitutionnelle est actuellement bloquée et la situation a alimenté la dérive nationaliste du parti slavo-macédonien initialement de centre droit, le VMRO, qui a remporté les dernières élections en insistant sur la question de l’honneur national. Nous avons même assisté début 2025 à un très net rapprochement du gouvernement du premier ministre Hristijan Mickoski avec la Hongrie de Viktor Orbán et à des velléités de ralliement à l’Amérique de Donald Trump. Le 24 février 2025, la Macédoine du Nord a même été le seul pays européen à s’abstenir lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies sur la résolution rédigée par l’Ukraine condamnant l’agression militaire de la Russie, alors que tous les pays européens ont voté pour la résolution, même la Serbie.

Ces alertes du début d’année ont cependant été contrebalancées par d’autres signaux, comme la participation de Skopje à une réunion du Core Group sur le tribunal pénal pour les crimes de guerre russes en Ukraine. La perspective d’un ralliement au mouvement MAGA – Make America Great Again – semble donc s’éloigner ; elle était sans doute illusoire. Cela montre toutefois que nous ne pouvons pas nous contenter d’offrir comme seule perspective à ce peuple une adhésion à l’Union européenne, perspective à laquelle, selon les sondages, une majorité des Macédoniens ne croient d’ailleurs plus vraiment. Nous devons agir de façon concrète en activant tous les leviers d’une présence réellement utile, par des coopérations de terrain. À défaut, ce vide sera comblé par d’autres : par les Russes, qui ont des relais en Serbie et au Monténégro ; par les Turcs, qui ont d’importants réseaux d’affaires ; et par les Chinois, qui pourraient faire du pays une plaque tournante de leurs réseaux de distribution au croisement des corridors paneuropéens reliant l’Albanie à la mer Noire ainsi que la Grèce à l’Europe centrale.

Il faudra donc veiller à ne pas affaiblir et même à intensifier nos autres volets de coopération, que ce soit dans le domaine de la justice, pour lutter contre la corruption et les réseaux criminels, ou par le biais des projets de l’Agence française de développement (AFD) dans les secteurs de l’énergie, du développement urbain et de l’agriculture.

Sous ces réserves, je vous invite à voter en faveur de ce projet de loi. La France a joué un rôle important pour la paix et la stabilité des Balkans et nous devons continuer à tenir notre rang – pour peu que cette expression veuille encore dire quelque chose – dans cette région si particulière de l’Europe. Montrons à nos amis macédoniens que nous sommes présents à leurs côtés et que les autres puissances que j’ai évoquées ne sont pas les seules à s’intéresser à leur pays.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.

Mme Marine Hamelet (RN). Le Rassemblement national tient à saluer la perspective d’approbation française de cet accord qui modernise et approfondit nos relations bilatérales avec la Macédoine du Nord dans le domaine de la défense. Nous saluons également le travail de nos diplomates et de nos militaires qui ont fait en sorte que cet accord voie le jour.

Nous réaffirmons cependant sans aucune réserve notre opposition à l’élargissement de l’Union européenne aux pays des Balkans occidentaux, comme à tout autre pays. Le renforcement de nos relations bilatérales est nécessaire dans cette région où la voix de la France reste écoutée. Cet accord est tout aussi nécessaire ; il répond même à une impérieuse nécessité, au regard des appétits stratégiques que suscite cette région et des velléités d’influence qui viennent de l’Est. Nous y voyons la concrétisation de relations bilatérales en matière de défense entre la France et la Macédoine du Nord mais nous rejetons sa dimension d’intégration à l’Union européenne.

Nous sommes opposés à une vision de l’Union européenne qui promet comme seul horizon un élargissement perpétuel sans aucune logique politique ni économique et qui condamne à l’impuissance. Ni l’Union européenne ni la France ne sortiront renforcées de la mise en concurrence avec des États dans lesquels le salaire moyen ne dépasse pas 600 euros mensuels, parmi les plus faibles de toute l’Europe. Vous le notez très justement à la page 6 de votre rapport. En outre, depuis quelques années, les Balkans occidentaux sont devenus une route de prédilection de migration illégale, alors que nous faisons déjà face à une submersion migratoire.

Ceci étant dit, une coopération bilatérale en matière de défense constitue un gage de sécurité, d’échanges d’informations facilités et d’interopérabilité renforcée par des exercices communs. Pour ces raisons et pour elles seules, le groupe Rassemblement national soutiendra le projet de loi autorisant l’approbation de cet accord.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Je ne crois pas que cet accord doive être considéré comme un cheval de Troie en vue de l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’Union européenne. Nous avons toutes les raisons de coopérer avec ce pays en matière de défense.

Mme Constance Le Grip (EPR). Ce projet de loi est important. Depuis son adhésion à l’OTAN en 2020 et son rapprochement progressif avec l’Union européenne, la Macédoine du Nord est devenue un partenaire stratégique pour la France dans les Balkans occidentaux, région absolument essentielle à la stabilité de tout le continent européen, notamment face à l’agresseur russe.

L’accord que nous examinons modernise le cadre bilatéral établi entre nos deux pays depuis trente ans ; il pose les bases d’une coopération militaire structurée, durable, adaptée aux défis sécuritaires contemporains. Il permettra d’approfondir nos échanges dans de nombreux domaines : politique de défense, équipements, formation ou encore exercices conjoints.

Cet accord s’inscrit dans la stratégie française pour les Balkans occidentaux et témoigne de la volonté d’ancrer plus solidement la République de Macédoine du Nord dans les structures euro-atlantiques. Il précise les responsabilités de chacun, protège nos personnels tant militaires que civils, encadre leur statut fiscal et leurs droits en matière de santé, d’indemnisation, etc. C’est un texte équilibré et respectueux des souverainetés. Il n’engendre aucun coût nouveau pour les finances publiques françaises, puisque chaque État prendra en charge ses propres frais.

Dans un contexte géopolitique incertain, dangereux, menaçant – menaces hybrides, ingérences étrangères, instabilité régionale de manière générale –, les appétits et les convoitises de certaines puissances, parfois très agressives – je parle de la fédération de Russie – appellent des réponses concertées et responsables. Cet accord est un instrument concret de coopération et de crédibilité stratégique pour notre pays. Il renforce également notre lien avec un État membre de l’OTAN au cœur des Balkans occidentaux. Pour toutes ces excellentes raisons et pour celles que vous avez exposées, monsieur le rapporteur, le groupe Ensemble pour la République votera en faveur de ce projet de loi.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Nous ne sommes pas hostiles, bien entendu, au renforcement des liens de coopération avec la Macédoine du Nord. Nous nous étonnons cependant que cette relation de coopération prenne d’emblée la forme d’un accord portant sur la défense et les affaires militaires et stratégiques. Il est d’usage de développer d’abord la coopération dans d’autres domaines, scientifiques ou culturels notamment, avant d’en venir à la question si centrale aujourd’hui de la guerre et de la paix. Nous ne méconnaissons pas le rôle historique de la France dans les Balkans et nous attachons à établir et à préserver des relations de coopération intense avec l’ensemble des pays qui les composent. Dans ce cas précis, nous tenons toutefois à préciser qu’un tel accord ne saurait être à nos yeux le prélude à une intégration au sein de l’Union européenne, qui ne serait bénéfique à aucune des parties.

Précisons la nature des dynamiques dans lesquelles cet accord s’inscrit. La Macédoine du Nord a adhéré en 2020 à l’OTAN. En 2022, ce sont des contrats d’armement qui sont venus matérialiser ces relations entre nos deux pays. Si nous sommes favorables au renforcement de nos liens de coopération, nous avons quelques réserves quant à l’inscription ferme de ce partenariat dans la logique stratégique de l’OTAN. Alors que l’escalade guerrière menace de toute évidence l’alliance dirigée par les États-Unis d’Amérique, gouvernés par un courant suprémaciste particulièrement dangereux, nous réaffirmons notre attachement à l’autonomie stratégique, dont cet accord permet de réaffirmer le principe.

En effet, il paraît aujourd’hui évident, même aux plus sceptiques, que la marche à la guerre est un risque considérable et que ni les États-Unis ni l’OTAN ne travaillent à la résolution diplomatique des conflits en cours. Il faudrait pour cela commencer par faire cesser le génocide à Gaza, en prenant les sanctions qui s’imposent contre le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou. Je souligne d’ailleurs que nous sommes particulièrement préoccupés par le revirement brutal de doctrine du gouvernement, qui avalise désormais le principe de la légitime défense préventive, dans les pas des pires néoconservateurs de l’ère Bush junior. Nous nous abstiendrons donc sur ce texte.

M. le président Bruno Fuchs. Il me semble important de souligner que les coopérations avec la Macédoine du Nord sont régulières et nombreuses, en matière éducative ou scolaire. Il y a un institut français, 10 000 jeunes qui apprennent le français, des programmes Erasmus. L’AFD y est également présente.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Je parlais de coopérations dans le cadre d’accords formalisés en l’occurrence.

M. le président Bruno Fuchs. Certes. Je tenais cependant à préciser que nous ne sommes pas seulement liés par des accords de défense mais que nous coopérons déjà dans d’autres domaines.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Je souscris très largement à l’analyse de Pierre-Yves Cadalen. Commencer par un accord plus formel en matière de coopération scientifique et culturelle aurait donné une autre tonalité. L’Agence française de développement intervient effectivement en Macédoine du Nord, pour un montant de quelque 50 millions d’euros. C’est vrai aussi que le pays est membre de l’Organisation internationale de la francophonie. L’ambassadeur, lors de son audition, nous a d’ailleurs appris que le nombre de classes de français semblait destiné à progresser.

Pour être honnête, si je n’avais pas été rapporteur, peut-être aurais-je pu, pour les raisons évoquées par l’orateur du groupe LFI-NFP, m’abstenir également. Néanmoins, mon rôle est de donner une direction. Étant donné que la France doit rester une voix particulière de l’Europe dans cette région et que les questions de défense importent dans un pays qui pourrait se rapprocher du mouvement MAGA ou de la Hongrie de Viktor Orbán, qui lui a accordé environ 1 milliard d’euros de prêt quasiment sans conditions, je pense qu’il est préférable d’autoriser l’approbation de l’accord.

M. le président Bruno Fuchs. Vous êtes un excellent diplomate, monsieur le rapporteur, pour réussir à combiner toutes ces positions !

M. Pierre Pribetich (SOC). Monsieur le rapporteur, comme vous l’avez souligné, la coopération franco-macédonienne dans le domaine de la défense repose actuellement sur un simple arrangement signé à Skopje le 22 décembre 1996. Or celui-ci ne définit pas un cadre juridique suffisant pour répondre solidement aux ambitions de développement de la coopération.

S’agissant de la stratégie française pour les Balkans occidentaux, je rappelle que les négociations ont été lancées à l’initiative de la Macédoine du Nord en 2020. La nécessité géopolitique d’un ancrage des Balkans occidentaux à l’Europe a été renforcée après le début de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine en 2022, d’autant que la région est exposée à de nombreuses influences extérieures. Il n’échappe à personne que la Russie y est très présente par l’intermédiaire de la Serbie et du Monténégro. La Turquie, qui rêve de l’empire ottoman, exerce également une forte influence et espère être puissante en Macédoine du Nord, par l’intermédiaire notamment de l’investissement, des réseaux d’affaires, du financement de cultes ou de dons de matériel d’armement, tels les drones. La Chine y est aussi présente : dans le cadre des nouvelles routes de la soie, elle construit des infrastructures permettant de transporter ses biens vers la Grèce.

L’accord a été signé le 14 octobre 2022. Son entrée en vigueur devrait permettre de renforcer le cadre juridique pour offrir des garanties plus protectrices à l’ensemble des personnels des deux pays. Le groupe Socialistes et apparentés est naturellement favorable à son approbation.

Je rappelle que les conflits mémoriels datent de très longtemps, notamment de la division de la Macédoine en 1913. La partie Nord-Est avait été affectée à la Bulgarie, la partie Sud, autour de Thessalonique, à la Grèce et la Macédoine du Vardar à la Serbie. Les diplomates de l’époque auraient été mieux inspirés de proposer un partage différent mais c’est une autre histoire, bien loin de ce projet de loi… Permettez-moi enfin une pensée pour Alexandre le Grand, il y a quelque 2 300 années.

M. le président Bruno Fuchs. S’agissant des différends avec la Bulgarie, je sais, pour l’avoir rencontré, que le président de l’Assemblée nationale de Macédoine du Nord serait tout à fait disposé à recevoir une délégation de députés français pour échanger et voir dans quelle mesure nous pouvons essayer de trouver des points de passage et d’appui avec nos amis bulgares.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Je profite de votre remarque, monsieur le président, pour saluer votre activisme dans la diplomatie parlementaire avec tous les pays.

J’apprécie, monsieur Pribetich, votre rappel des enjeux mémoriels. Ils sont mentionnés dans cet accord, ce qui n’est pas neutre, quand on sait que, pendant la première guerre mondiale, la Macédoine du Nord a été l’un des pays qui a été le plus frappé et que l’on connaît le nombre de soldats français enterrés là-bas.

M. Frédéric Petit (Dem). La Macédoine du Nord est l’un des pays de ma circonscription et je le connais bien. La première grande coopération franco-macédonienne est plutôt l’ancêtre de l’AFD, puisque c’est la banque qui a lié historiquement la France à cette région, à la fin du XIXᵉ siècle. C’est pour cela que nous avons été alliés, en quelque sorte, sur le front d’Orient. Le musée de Bitola a été inauguré en 2018, à l’occasion de la célébration du centenaire de la fin de la guerre. Ce front a été extrêmement important et demeure présent dans les mémoires, notamment familiales.

Tout ne commence donc pas aujourd’hui par un accord militaire. L’accord signé avec Expertise France a au moins trente-cinq ans : des experts français avaient rejoint sous contrat un shadow cabinet en Macédoine. Du partenariat de cette époque, il reste encore, je crois, trois ou quatre experts, en plus de l’AFD. Il y a aussi des Français sur place qui font un travail extraordinaire. Il y a des expériences de journalisme, de think tanks français assez exemplaires de ce que l’on peut faire en coopération bilatérale. Je suis donc un peu surpris que vous fassiez tout commencer avec le militaire.

Je suis également un peu surpris que vous disiez que la Macédoine du Nord est la seule démocratie de la région. D’autres expériences multi-ethniques voisines fonctionnent aussi : une minorité albanaise est très engagée en politique au Monténégro ; une minorité de musulmans est très intégrée au sandjak de Novi Pazar, en Serbie ; il y a également une minorité hongroise en Serbie. Heureusement que ce n’est pas le seul exemple dans la région.

Enfin, vous n’avez pas cité l’École française internationale de Skopje, une très belle expérience en plein développement.

Le groupe Les Démocrates votera pour ce texte, bien entendu.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Je n’ai aucun doute sur le fait que vous soyez très attentif à ce qui se passe en Macédoine, votre présence ce soir le prouve. Je ne voulais pas dire que c’était la seule démocratie multi-ethnique de la région mais il est vrai que, dans les autres, on observe un peu plus de blocages politiques. Tant mieux si cela fonctionne bien aussi chez les voisins !

Des traités qui formaliseraient notre coopération culturelle et qui engageraient davantage nos deux pays dans des domaines autres que la défense, au-delà de l’excellent travail de nos agences, seraient tout de même bienvenus.

M. Bertrand Bouyx (HOR). La Macédoine du Nord est un partenaire fiable de la France et un allié solide dans la région des Balkans occidentaux. Depuis son indépendance en 1991, elle fait le choix clair de l’ancrage euro-atlantique. Son adhésion à l’OTAN en 2020 a été un tournant décisif pour la stabilité de la région. La France, il faut le rappeler, a joué un rôle clé dans ce cheminement, notamment en soutenant les accords d’Ohrid en 2001. Aujourd’hui, alors que l’Europe est confrontée à de nouvelles menaces, particulièrement depuis l’invasion russe de l’Ukraine, il est essentiel de renforcer nos alliances.

C’est précisément le sens de cet accord de coopération qui permet de moderniser le cadre juridique de notre coopération militaire. Il remplace un arrangement daté et incomplet par un accord intergouvernemental solide et ambitieux. Il couvre un large éventail de domaines : échange de personnels, formation, exercices conjoints, transfert de compétences et coopération en matière d’équipements. Ce n’est pas un accord abstrait. Il s’appuie sur des expériences concrètes : la vente de systèmes sol-air de MBDA à Skopje en 2022 ou l’exercice Swift Response mené conjointement par nos armées la même année.

L’accord prévoit aussi un encadrement juridique clair pour nos militaires, notamment par le biais de la convention de l’OTAN sur le statut des forces, et évite toute double imposition. Il garantit ainsi un partenariat équilibré, respectueux de la souveraineté de chacun.

En renforçant ce lien, nous contribuons à la stabilité des Balkans, à la défense de l’Europe et à la construction d’une véritable Europe de la défense. C’est un partenariat utile, cohérent avec notre stratégie et qui ne représente pas un coût excessif. Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur du projet de loi.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux interventions et questions exprimées à titre individuel.

M. Alain David (SOC). Comme l’a dit Pierre Pribetich, nous soutenons bien sûr ce nouvel accord. Cependant, j’ai quelques interrogations à propos de la victoire électorale, en 2024, du parti national conservateur, qui semble marquer un infléchissement de la politique étrangère de la Macédoine du Nord : rapprochement notable avec la Hongrie et dans une moindre mesure avec la Russie ; durcissement du discours vis-à-vis de la Grèce ; et critiques de plus en plus fréquentes sur les conditions d’adhésion proposées par l’Union européenne et l’OTAN.

Dans un contexte compliqué politiquement, quelles garanties pouvons-nous avoir quant à la viabilité et à la cohérence d’une coopération bilatérale en matière de défense avec la Macédoine du Nord, notamment au sein du cadre euro-atlantique, si, à terme, les orientations stratégiques du gouvernement macédonien s’éloignent petit à petit des positions européennes communes en matière de sécurité ?

M. Aurélien Taché, rapporteur. Vos questions sont parfaitement légitimes ; j’ai du reste eu les mêmes. Lors de son audition, notre ambassadeur nous a plutôt rassurés à cet égard. La proximité du nouveau président du gouvernement avec M. Trump est ainsi toute relative, puisque les contacts n’avaient été pris que quelques jours avant l’audition, soit des mois après l’arrivée du locataire de la Maison Blanche. En réalité, l’ancrage euro-atlantique semble assez solide. Certes, l’idée que les États-Unis d’Amérique ont joué un rôle majeur dans l’arrêt de la guerre des années 1990 est largement partagée en Macédoine du Nord. Certes, le pays s’est abstenu de voter une résolution de l’ONU sur le conflit en Ukraine. Mais la Macédoine du Nord a quand même très envie de se rapprocher de l’Europe.

Je pense que l’on peut conclure des accords comme celui-ci et se rapprocher d’une autre manière que par l’adhésion à l’Union européenne. Il n’en reste pas moins que la coopération avec les États-Unis d’Amérique va de soi pour la plupart des Macédoniens. Alors que M. Orbán regarde la Macédoine du Nord de près, notre accord peut être une manière de dire qu’un autre chemin est possible en matière de coopération.

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Article unique (autorisation de l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, signé à Paris le 14 octobre 2022)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

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Informations relatives à la commission

En clôture de sa réunion, la commission désigne en remplacement d’un rapporteur pour avis précédemment désigné et démissionnaire sur le projet de loi de finances pour 2026 (sous réserve de son dépôt) :

 M. Jean-Paul Lecoq (GDR), rapporteur pour avis sur les crédits de la mission Défense.

 

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La séance est levée à 22 h 15.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Bertrand Bouyx, M. Pierre-Yves Cadalen, M. Alain David, M. Bruno Fuchs, Mme Marine Hamelet, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Pierre Pribetich, M. Aurélien Taché

 

Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, M. Hervé Berville, Mme Eléonore Caroit, M. Nicolas Dragon, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Mazaury, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa

 

Assistait également à la réunion.  Mme Constance Le Grip