Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Audition, à huis clos, de M. Romaric Roignan, directeur de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation aux Proche et
Moyen-Orients.......................................2


Mercredi
25 juin 2025

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 77

session ordinaire 2024-2025

Présidence de
M. Bruno Fuchs,
Président de la commission des affaires étrangères
 


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La commission procède à l’audition, à huis clos, de M. Romaric Roignan, directeur de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation aux Proche et Moyen-Orients.

La séance est ouverte à 11 h 05.

Présidence de M. Bruno Fuchs, président.

M. le président Bruno Fuchs. Notre ordre du jour appelle l’audition de M. Romaric Roignan, directeur de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation aux Proche et Moyen-Orients. Cette audition se déroule sous le régime du huis clos, ce qui nous permettra d’échanger de manière approfondie sur des sujets d’une très grande sensibilité.

Nous avions à l’origine prévu de vous entendre, monsieur le directeur, sur la conférence de haut niveau relative au projet de règlement du conflit israélo-palestinien par la solution à deux États, co-organisée par la France et l’Arabie saoudite, mais l’offensive déclenchée le 13 juin par Israël contre l’Iran a reporté cette échéance.

La France, comme ses principaux partenaires, considère de longue date que l’obtention d’une arme nucléaire par la République islamique d’Iran représente une menace majeure à écarter. Dès 2002, la révélation de l’existence de sites nucléaires iraniens non déclarés a causé des tensions internationales et a conduit, de 2006 à 2010, à plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

Après l’élection du président Hassan Rohani en 2013, et à la faveur d’intenses négociations, un accord visant à limiter le programme nucléaire iranien en échange de la levée des sanctions économiques, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA), a été signé le 14 juillet 2015 à Vienne entre l’Iran, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne. En 2018, le président Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de cet accord, qu’il jugeait trop indulgent envers l’Iran, et a réimposé des sanctions économiques strictes. Les autres signataires ont néanmoins maintenu leurs engagements et, à la faveur de l’alternance à Washington avec l’arrivée du président Joe Biden, ont tenté de ramener les États-Unis sur la voie d’une solution négociée, sans toutefois parvenir à un nouvel accord.

Le retour annoncé du président Trump à la Maison Blanche, début 2025, avait laissé espérer une possible négociation avec Téhéran. Cependant, l’offensive lancée le 13 juin par Israël dans le cadre d’une opération militaire d’envergure dénommée Rising Lion a compromis cette perspective. Cette intervention militaire a été déclenchée alors que le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) venait d’adopter, le 12 juin, une résolution alarmiste. En effet, l’Iran a accumulé plus de 400 kilogrammes d’uranium enrichi à plus de 60 %, ce qui est proche du grade militaire, et annoncé la construction d’une nouvelle installation d’enrichissement.

Cette intervention, bien que préparée sur le plan militaire, semble insuffisamment pensée au prisme de ses conséquences à moyen et long termes, et elle ouvre un vaste champ de questions.

Que reste-t-il du volet militaire du programme nucléaire iranien ? Des interrogations persistent en effet concernant l’état réel de ce programme et ses capacités de reconstruction. Les médias américains les ont d’ailleurs soulevées cette nuit, en contestant la version du président Trump selon laquelle ce programme aurait été intégralement détruit.

Alors que les frappes sur l’Iran ouvrent une nouvelle séquence comportant de nombreuses inconnues, quelle recomposition géopolitique est-il permis d’anticiper aux Proche et Moyen-Orients, avec quels risques de guerre ou d’instabilité ?

Le peuple iranien, après avoir brièvement espéré un changement de régime, se trouve aujourd’hui livré à lui-même, face à des autorités qui se trouvent désormais en situation de huis clos avec leur population, avec tous les risques de répression que cela comporte. Des signes inquiétants en ce sens apparaissent déjà. Mais quelles conséquences peut-on envisager pour le régime iranien lui-même ?

Enfin, une préoccupation particulière concerne nos deux otages français en Iran, Cécile Kohler et Jacques Paris, qui n’ont pas été victimes des attaques récentes mais dont la situation est aujourd’hui encore plus précaire. À titre personnel, je rencontrerai d’ailleurs la mère de Cécile Kohler le 27 juin.

Monsieur le directeur, je vous laisse maintenant la parole pour nous présenter votre analyse et celle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères sur cette situation.

M. Romaric Roignan, directeur de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi au préalable de solliciter votre indulgence, car j’ai pris mes fonctions au ministère récemment.

Les Proche et Moyen-Orients forment une région extrêmement tourmentée. En prenant un peu de recul avant d’aborder l’actualité brûlante, constatons que, au cours des quinze dernières années, cette zone a été traversée par les printemps arabes, qui ont conduit à l’effondrement du régime libyen, à la guerre civile en Syrie, à la déstabilisation de l’Égypte et au changement de pouvoir en Tunisie. Nous avons également assisté à la poursuite des activités déstabilisatrices de l’Iran, à travers le développement de son soutien à différentes milices armées au Yémen et au Liban, ainsi qu’au Hamas dans les territoires palestiniens. En outre, l’Iran a poursuivi son programme nucléaire, momentanément maîtrisé avec le JCPoA en 2015, mais dont les États-Unis se sont retirés, conduisant Téhéran à remettre en cause ses obligations au titre de cet accord.

Enfin, nous avons observé la poursuite des conflits entre Israël et ses voisins palestiniens, libanais et, dans une certaine mesure, syriens. Cette situation s’est considérablement aggravée avec les événements du 7 octobre 2023, qui ont plongé Israël dans l’horreur du terrorisme. En réaction à cette attaque, l’État hébreu a radicalement changé sa manière d’aborder les menaces que font peser les différents acteurs hostiles dans la région, privilégiant désormais le registre militaire, avec des conséquences très lourdes à Gaza, au Liban et en Iran.

Au cours des douze jours de conflit entre l’Iran et Israël, notre priorité a été d’assurer d’abord la sécurité de nos ressortissants, en Israël, où vivent environ 240 000 Français, et en Iran, où leur nombre est estimé autour d’un millier, voire deux, dont beaucoup de binationaux. Nous avons mis en place des dispositifs pour informer nos ressortissants, répondre à leurs préoccupations et les orienter vers des routes terrestres, puisque les espaces aériens étaient fermés, et, depuis vendredi, nous avons affrété des avions. Ce dispositif sera bien évidemment adapté en fonction de la situation et du maintien ou non de la cellule de crise.

Nous veillons également à assurer la sécurité de notre personnel diplomatique et consulaire, avec une attention particulière portée à Téhéran où le dispositif est déjà très réduit et doit être maintenu dans les circonstances actuelles.

Cécile Kohler et Jacques Paris sont toujours détenus dans les prisons iraniennes. Dans les circonstances actuelles, je puis vous assurer que nos autorités, par tous les canaux disponibles, ont fait passer des messages extrêmement insistants auprès des autorités iraniennes pour obtenir leur libération dans les meilleurs délais. En attendant, nous avons obtenu des assurances formelles de la part des autorités iraniennes que nos compatriotes sont vivants et en bonne santé. Nous maintenons également un contact étroit avec les familles.

Depuis ce mardi 24 juin, un cessez-le-feu a été instauré à l’initiative du président américain, qui fait suite à l’implication directe des États-Unis à travers des frappes sur un certain nombre de sites militaires iraniens. La France, extrêmement préoccupée par le risque d’escalade que comportent ces opérations militaires, a salué ce cessez-le-feu. Nous souhaitons qu’il puisse être effectivement mis en œuvre, respecté par l’ensemble des parties, et qu’il débouche désormais sur des négociations permettant de mettre en place un cadre robuste, vérifiable et durable pour le programme nucléaire iranien, afin de s’assurer de sa nature purement civile.

Il importe de rappeler quelles menaces ce programme nucléaire iranien fait peser sur l’ensemble de la région. Se doter de l’arme nucléaire permettrait à l’Iran de poursuivre sans frein son soutien à toutes les milices qui constituent les relais de son influence et de sa capacité de nuisance en Irak, au Liban, au Yémen et dans les territoires palestiniens.

Il existe également des conséquences sur l’intégrité même de l’ensemble du système international de lutte contre la prolifération nucléaire, avec en particulier des risques de prolifération régionale dans une zone qui a connu le plus de conflits inter et intra-étatiques depuis la seconde guerre mondiale. Nous n’avons aucunement envie de voir davantage d’armes nucléaires se répandre dans cette région.

Face à ces menaces, nous avons mis en garde depuis longtemps le régime iranien sur la nécessité de respecter ses obligations au titre du JCPoA et de revenir à la table des négociations engagées avec les États-Unis. Nous étions très lucides sur le risque d’escalade militaire et par conséquent extrêmement pressants vis-à-vis des autorités iraniennes afin que ces négociations puissent être menées de façon rapide et conclusive. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.

Israël a choisi l’option militaire ; nous avons pu faire une première analyse des conséquences avec nos propres moyens et sur la base des informations partagées par les auteurs des frappes. Le programme militaire iranien a sans doute subi un retard de plusieurs mois mais cette action laisse malgré tout énormément de questions ouvertes et ne résout en aucun cas le problème posé par ce programme. Les stocks d’uranium enrichi demeurent
 nous ignorons où ils sont localisés mais avons peu de raisons de penser qu’ils ont été détruits – ce qui laisse entière la possibilité pour l’Iran, à terme, d’enrichir ce stock et de procéder à sa militarisation. Par ailleurs, l’Iran dispose toujours de l’expertise nécessaire pour relancer un programme. Enfin, dans l’immédiat, ces opérations ont encore dégradé la visibilité de l’AIEA sur le programme iranien, ce qui nous laisse dans l’ignorance concernant d’autres composantes potentiellement non identifiées de ce programme et nous prive d’une connaissance précise de l’état effectif des sites. Tous ces éléments renforcent la nécessité de reprendre une négociation pour un accord vérifiable. Cette recherche d’une solution diplomatique mobilise toutes nos énergies.

Cependant s’efforcer de renouer avec la voie diplomatique pour régler la crise iranienne ne doit pas nous faire perdre de vue les autres conflits ou crises qui se déroulent sous nos yeux.

Je pense en premier lieu à la situation à Gaza, les frappes en Iran n’ayant pas fait baisser l’intensité de la crise humanitaire. La France dénonce avec force cette situation et exhorte les autorités israéliennes à autoriser l’accès de l’aide humanitaire des Nations unies et à ne pas s’en remettre uniquement à cette Gaza Humanitarian Foundation qui ne saurait constituer une solution satisfaisante à la situation. Notre priorité consiste également à obtenir un cessez-le-feu à Gaza, la libération de tous les otages, ainsi que la restitution des corps de ceux qui sont malheureusement décédés, et le retour à une solution politique, puisque nous nous trouvons aujourd’hui dans une impasse. La conférence co-organisée par la France et l’Arabie saoudite avait justement pour objectif de redonner à la solution à deux États, qui reste la seule solution viable, une consistance et un horizon à la fois en termes d’actions concrètes à mener et de calendrier.

Je pense également au Liban, où nous déployons des efforts pour stabiliser la situation sur le plan de la sécurité, avec le maintien de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), qui représente un enjeu majeur, le désarmement du Hezbollah, le déploiement des forces armées libanaises sur l’ensemble du territoire et l’affermissement de leur contrôle. Sur le plan économique, nous mobilisons la communauté internationale pour permettre la reconstruction du Liban, dès lors que les réformes économiques et structurelles des autorités, en particulier sur les aspects financiers, seront mises en œuvre.

Nous apportons également notre soutien aux autorités de transition en Syrie qui, en l’absence d’alternative actuelle, constituent notre meilleure chance de défendre la paix civile dans ce pays. Nous veillons au respect d’un certain nombre de principes, en particulier l’inclusivité, une représentation pluraliste de l’ensemble des composantes de la société syrienne, la lutte contre l’impunité, la lutte contre le terrorisme et, nous l’espérons, une ouverture à l’égard d’Israël.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie pour cette première intervention. Nous en venons à présent aux questions des orateurs des groupes politiques.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Depuis plus d’un an, le monde assiste, sidéré, à la dérive guerrière de Benyamin Netanyahou et aux tragédies incessantes qui secouent l’ensemble du Moyen-Orient. Gaza, la Syrie, le Liban, le Yémen, et maintenant l’Iran : chaque jour apporte son lot de bombardements ; chaque jour marque une étape supplémentaire vers l’embrasement général.

Face à ce chaos, l’inconstance de la diplomatie française est frappante et, par conséquent, la voix de notre pays ne compte plus. Comment en sommes-nous arrivés là ? À force de contradictions. Par exemple, quand Israël attaque l’Iran, nous entendons le président de la République soutenir le droit d’Israël à se défendre, légitimant ainsi la notion de « guerre préventive », pourtant contraire au droit international. Puis, quelques jours plus tard, notre président de la République dénonce l’illégalité des frappes en Iran. Où réside la logique ? Plus personne n’y comprend rien. Quant à M. Jean-Noël Barrot, notre ministre des affaires étrangères, il évoque des menaces iraniennes sur l’Europe. Est-ce vraiment sérieux ?

Il importe de poser des principes clairs et de s’y tenir fermement. Le droit international ne peut souffrir aucune dérogation. Il doit s’appliquer à tous les États, à tous les peuples, qu’ils soient nos alliés ou non, qu’ils nous ressemblent ou non. Le « deux poids, deux mesures » ruine la crédibilité de notre diplomatie et notre position internationale.

Pendant ce temps, on continue à mourir à Gaza. Un récent rapport de l’université de Harvard affirme que le nombre de disparus  non pas de morts, mais bien de disparus – serait largement supérieur aux 60 000 morts officiels, puisqu’on ne retrouve aucune trace de 377 000 personnes. L’aide humanitaire se limite à soixante-dix camions, alors que six-cents seraient nécessaires chaque jour. Les Gazaouis meurent de faim ou se font tirer dessus pendant qu’ils cherchent à obtenir de l’aide alimentaire. Les témoignages sont insoutenables.

Nous sommes en droit de demander ce que fait concrètement la France pour Gaza. Quelle ligne rouge Israël devra-t-il encore franchir pour que l’Europe prenne enfin ses responsabilités ? Quelles actions supplémentaires doivent être entreprises pour que l’Union européenne rompe son accord d’association avec Israël et que la France reconnaisse l’État palestinien ? À cet égard, je signale que la proposition de résolution européenne (PPRE) déposée par notre collègue Sabrina Sebaihi, qui réclame la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, sera examinée la semaine prochaine par la commission des affaires européennes de notre Assemblée.

M. Romaric Roignan. Évoquer une inconstance française face aux actions militaires engagées par Israël relève d’une analyse erronée. Chaque situation appelle une réponse à la fois adaptée aux circonstances et guidée par des principes constants. Dans le cas iranien, notre principe directeur est la solidarité avec l’État d’Israël et son peuple, directement menacés par un régime qui appelle régulièrement à sa destruction et qui finance activement des milices hostiles à Israël, les mêmes qui se sont réjouies des attentats du 7 octobre 2023. Le programme nucléaire iranien fait peser une menace considérable sur l’ensemble de la région, particulièrement sur Israël. Aussi nous estimons que la responsabilité première de la situation incombe au régime iranien et à son obstination à poursuivre un programme dépourvu de toute justification civile.

Le président de la République a effectivement reconnu une certaine légitimité à l’intervention américaine, tout en soulignant l’absence d’un cadre juridique adéquat.

Quant à l’affirmation selon laquelle l’Iran ne menacerait pas l’Europe, elle est manifestement inexacte. L’Iran développe un programme balistique incluant des missiles d’une portée de 3 000 kilomètres, capables d’atteindre le territoire européen. Quel objectif poursuivrait l’Iran, sinon faire peser une menace sur l’ensemble de ses voisins ? Je rappelle également que l’Iran conduit, par l’intermédiaire de ses services, des tentatives d’assassinat et de déstabilisation sur le territoire de plusieurs pays européens. Le régime iranien a, en outre, détenu en otage jusqu’à sept ressortissants français. Nous avons réussi à obtenir la libération de cinq d’entre eux, mais deux demeurent incarcérés dans des conditions absolument inacceptables.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Ce n’est pas le sujet !

M. Romaric Roignan. Enfin, par son soutien militaire à la Russie qui agresse l’Ukraine, l’Iran contribue directement à une menace existentielle pour la sécurité européenne. La menace iranienne est donc parfaitement caractérisée.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). On parle ici du respect du droit international.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Vous légitimez une violation du droit international, c’est bien cela ?

M. Romaric Roignan. Nous avons réaffirmé le droit d’Israël à assurer sa sécurité et à vivre libéré de la menace nucléaire iranienne. L’Iran n’ignorait pas qu’Israël était susceptible de recourir à la force et c’est la raison pour laquelle nous avions instamment incité ses autorités à prendre ces avertissements au sérieux et à engager des négociations avec détermination et en toute bonne foi. Malheureusement, ces mises en garde sont restées lettre morte.

La France dénonce avec la plus grande fermeté la situation actuelle à Gaza. Cette fermeté nous a conduits à soutenir la décision prise par la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Kaja Kallas, d’examiner la conformité d’Israël à l’article 2 de l’accord d’association avec l’Union européenne, qui porte précisément sur le respect des droits humains. La conclusion, partagée avant-hier au Conseil des affaires étrangères, établit qu’Israël ne respecte pas cette disposition de l’accord actuellement. Toutefois, dénoncer cet accord requiert une unanimité des pays membres de l’Union européenne, qui n’existe pas aujourd’hui. Le Conseil des affaires étrangères a demandé à Mme Kallas d’élaborer diverses options et d’engager un dialogue avec les autorités israéliennes pour les amener à se conformer à nos attentes, afin qu’une décision puisse être prise lors du prochain Conseil.

Mme Maud Petit (Dem). Depuis plus de trois ans, et au mépris du droit international, l’Iran retient en otage Cécile Kohler et Jacques Paris dans des conditions indignes. Le groupe d’amitié France-Iran a reçu leurs proches il y a quelques mois. Ils nous ont fait part de leurs vives inquiétudes concernant leurs conditions de détention et leur santé mentale. Avec les récentes attaques d’Israël contre l’Iran, et particulièrement depuis qu’un missile israélien a touché la prison d’Evin à Téhéran, ces inquiétudes se sont considérablement intensifiées. Tout en dénonçant cette frappe sur une cible civile, le ministre des affaires étrangères a indiqué que nos deux compatriotes n’avaient pas été affectés par les dommages occasionnés. Une visite consulaire à Cécile Kohler et Jacques Paris est-elle programmée ? Lors d’une interview sur RTL, lundi dernier, Mohammad Amin Nejad, ambassadeur d’Iran en France, a déclaré souhaiter ardemment la libération de nos compatriotes. Quelle crédibilité peut-on accorder à ces propos ?

Ma seconde question porte sur l’annonce par Donald Trump d’un cessez-le-feu bilatéral entre l’Iran et Israël. Ce cessez-le-feu paraît fragile mais force est de constater que la diplomatie américaine se montre particulièrement active pour trouver une issue à ce conflit, tandis que la voix de la France et celle de l’Europe peinent à se faire entendre. Le président de la République a souligné qu’il s’agit d’un moment grave et déterminant pour la paix et la stabilité aux Proche et Moyen-Orients, avec des répercussions identifiées sur notre sécurité collective. Il appelle à éviter une escalade aux conséquences imprévisibles et à reprendre les discussions diplomatiques. Ses intentions sont assurément louables, comme celles d’autres dirigeants européens mais, il faut bien le reconnaître, elles ne sont guère suivies d’effets. En cas de cessez-le-feu durable entre Israël et l’Iran, nous entrerons dans une phase diplomatique intense. Quel rôle et quelle influence pourraient exercer la France et l’Union européenne dans ce processus ?

M. Romaric Roignan. La détention de Cécile Kohler et Jacques Paris constitue pour nous une préoccupation constante et nos efforts ont naturellement redoublé depuis les frappes survenues il y a douze jours. Nous activons l’ensemble des canaux à notre disposition et nous nous adressons, au sein du régime iranien, à tous les interlocuteurs susceptibles de contribuer à une solution.

Au-delà de cette action diplomatique directe, nous menons une action plus large visant à mobiliser l’opinion publique à la faveur d’une présence médiatique régulière et à placer ouvertement le régime iranien face à ses responsabilités. Nous avons constaté que cette stratégie produit des effets tangibles. Nous avons également engagé une action devant la Cour internationale de justice pour accentuer la pression sur le régime. Nous nous efforçons ainsi de mobiliser l’ensemble des registres et des leviers dont nous disposons pour obtenir la libération de Cécile Kohler et Jacques Paris.

Nous avons immédiatement réagi lorsque nous avons pris connaissance des frappes sur la prison d’Evin et nous avons obtenu des assurances formelles de la part des autorités iraniennes quant à la santé de nos compatriotes. Nous avons déposé une demande de visite consulaire dès le 14 juin, qui s’est heurtée à un refus motivé par des considérations de sécurité dans le contexte actuel ([1]). Nous insistons néanmoins avec la plus grande fermeté. J’ai personnellement évoqué ce sujet avec l’ambassadeur d’Iran à Paris à deux reprises et notre chargé d’affaires à Téhéran poursuit cette démarche avec constance.

Le cessez-le-feu entre Israël et l’Iran constitue assurément une évolution positive. Vous comparez, madame Petit, la proactivité américaine à une supposée passivité européenne ; la France s’efforce pourtant d’être active et constructive dans cette situation. Nous avons plaidé de façon extrêmement vigoureuse auprès de l’ensemble des acteurs pour éviter une escalade préjudiciable à tous, en tenant compte de trois risques majeurs.

Premièrement, nous avons pris en considération le risque d’une extension des cibles des frappes visant le programme nucléaire et certains éléments de la chaîne de commandement militaire et scientifique à des objectifs sensiblement plus larges, incluant le changement de régime. À cet égard, soyons parfaitement clairs : nous n’avons aucune sympathie pour le régime iranien, régime criminel à bien des égards et dont nous dénonçons régulièrement les turpitudes. Cependant, un changement de régime imposé de l’extérieur constituerait un saut dans l’inconnu. Nous gardons tous à l’esprit les précédents afghan, irakien, syrien et libyen, qui ont tous entraîné non pas un simple changement de régime mais un effondrement complet des structures étatiques, avec des conséquences absolument tragiques pour les populations concernées pendant plusieurs années et des répercussions régionales et internationales désastreuses. Cette première escalade semble à ce stade conjurée.

Deuxièmement, nous redoutions qu’une frappe mal maîtrisée débouche sur un accident nucléaire. À ce jour, les informations que nous avons recueillies permettent de conclure qu’aucune fuite radioactive significative n’a eu lieu, ce qui est rassurant, et le cessez-le-feu permet d’éteindre ce risque.

Troisièmement, nous avons craint une fuite en avant du régime iranien, qui en représailles aurait pu bloquer le détroit d’Ormuz et activer différents proxys dans la région. Fort heureusement, cette escalade a également été évitée. Nous avons maintenu le contact avec les autorités iraniennes pendant toute la durée des opérations et nous comptons poursuivre ce dialogue afin de veiller à l’émergence d’une solution diplomatique conforme aux intérêts européens.

Mme Laetitia Saint-Paul (HOR). En avril, lors de l’assemblée de l’Union interparlementaire, une position commune favorable à une solution à deux États avait été arrêtée. Cependant, au moment de la ratification, les parlementaires iraniens ont expressément pris la parole pour affirmer leur soutien exclusif à une solution à un seul État, un État palestinien, refusant catégoriquement l’idée même de l’existence et de la légitimité d’Israël.

Rappelons également que les frappes israéliennes constituent une réponse aux attaques qu’Israël a lui-même subies récemment de la part de l’Iran. Aussi, lorsque le monde entier piétine le droit international, je pense que l’on doit s’abstenir de s’envoler vers l’Orient compliqué avec des idées simples.

Monsieur le directeur, quels sont, au sein des pays membres de l’Union européenne, les points de convergences et de divergences ? Par ailleurs, une reprogrammation de la conférence sur la solution à deux États est-elle envisagée ? Enfin, pourriez-vous dresser un état des lieux du chiisme armé dans la région ?

M. Romaric Roignan. Sur le dossier iranien, l’ensemble des États membres de l’Union européenne, ou du moins une très grande majorité d’entre eux, a exprimé sa solidarité avec le droit d’Israël à vivre en sécurité, libéré de cette menace. Des nuances s’expriment néanmoins quant au soutien à apporter aux frappes en Iran. L’Allemagne s’est félicitée qu’Israël fasse « le sale boulot », comme l’a déclaré le chancelier Merz, tandis que d’autres pays se montrent beaucoup plus prudents face aux risques d’escalade et aux menaces que font peser ce type d’opération unilatérale sur la crédibilité du droit international comme outil de résolution des conflits.

L’E3, c’est-à-dire le regroupement informel de la France, l’Allemagne et du Royaume-Uni, s’accorde sur la nécessité de contribuer à trouver une solution diplomatique garantissant les intérêts européens. La France est favorable à ce que l’E3 continue de jouer un rôle proactif, de manière complémentaire avec les initiatives d’autres parties prenantes, à commencer par les Etats-Unis.

La conférence sur la solution à deux États devait se tenir la semaine dernière. Il est légitimement permis de se demander si le calendrier de l’opération Rising Lion n’avait pas un objectif collatéral à l’égard de cette conférence, ou en tout cas de la situation à Gaza, puisque cela a permis de centraliser l’attention et l’énergie de la communauté internationale sur la nécessité de contenir l’escalade en Iran, réduisant ainsi l’attention portée à la résolution du problème à Gaza, qui demeure pourtant tout aussi pressante.

Le président de la République a réaffirmé avec clarté sa détermination à remettre cette conférence à l’ordre du jour. Nous travaillons actuellement sur le calendrier, avec différentes options. Je vous épargne les aspects procéduraux liés aux Nations unies mais nous visons un calendrier rapproché et la tenue de la conférence avant fin septembre. Nous maintenons un contact étroit avec nos partenaires saoudiens qui coprésident cette conférence avec nous.

L’objectif de cette conférence est triple : canaliser les efforts pour rétablir le passage de l’aide humanitaire internationale des Nations unies à Gaza dans l’ampleur et la diversité nécessaires pour répondre aux besoins de la population ; renforcer la pression pour un cessez-le-feu et la libération des otages ; remettre une solution politique à l’ordre du jour. Le président de la République a également réaffirmé la perspective d’une reconnaissance par la France de l’État de Palestine, décision souveraine qui n’est pas directement liée à la conférence mais pour laquelle il a réitéré sa détermination.

Quant à l’état du chiisme armé dans la région, le paysage a considérablement évolué depuis un an. Les Houthis restent très actifs et déterminés à utiliser leurs leviers au gré de leurs intérêts, y compris en perturbant le trafic maritime, et à frapper directement Israël. Le régime houthi demeure une force déstabilisatrice pour l’ensemble de la région et ses partisans sont solidement retranchés dans leurs montagnes, ce qui les rend particulièrement résilients.

Les milices chiites en Irak sont restées quant à elles l’arme au pied et extrêmement prudentes tout au long de cette crise, les autorités irakiennes déployant des efforts considérables pour limiter les risques de dérapage. Nous observons la même attitude au Liban, où le Hezbollah a clairement fait le choix de rester en retrait, probablement pour gagner du temps et tenter de reconstituer ses capacités opérationnelles. Quant au régime iranien, il a subi des dommages et, s’il a démontré sa capacité à riposter, il se retrouve aujourd’hui avec des options limitées face à une attaque israélienne.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Le cessez-le-feu entre l’Iran et Israël, malmené au départ, semble désormais entré en vigueur et respecté. Nous savons néanmoins qu’il demeure impératif de rester particulièrement vigilant sur les relations entre ces deux pays et, de façon plus générale, sur la situation aux Proche et Moyen-Orients.

Même si le président américain considère que l’Europe, et donc la France, ne constituent pas des partenaires nécessaires et crédibles, je crois fermement que notre continent doit maintenir sa présence sur ce dossier. Nous devons demeurer particulièrement vigilants car, pendant des années, le régime iranien a, à plusieurs reprises et de manière très explicite, appelé à l’anéantissement d’Israël et promis de rayer cet État de la carte. À cet égard, il semble légitime de s’interroger sur les capacités actuelles du régime iranien. Où sont passés les 430 kilos d’uranium enrichi ? Que dissimule-t-on sous la montagne de Fordo ? Pourquoi le Parlement iranien, ce matin même, vient-il de rejeter la présence des inspecteurs de l’AIEA ? Je pense que le masque du régime tient à peine en place.

L’Europe possède les capacités d’exercer une influence dans cette région, bien qu’elle ait été délibérément écartée des négociations précédentes, notamment par les États-Unis. Pensez-vous, monsieur le directeur, que nous pouvons encore peser sur la situation ?

Par ailleurs, le conflit entre l’Iran et Israël, comme les différents conflits aux Proche et Moyen-Orients, ne doit pas diminuer l’attention portée à un autre conflit qui nous touche directement : la guerre en Ukraine. À cet égard, il serait opportun de réorienter les volumes d’aide vers l’Europe au fur et à mesure que la situation s’apaise au Moyen-Orient. Dans quelle mesure l’aggravation de la situation au Moyen-Orient risque-t-elle de détourner l’attention et les ressources consacrées au soutien à l’Ukraine ? À l’inverse, de quelle manière une amélioration de la situation pourrait-elle permettre de renforcer notre soutien à l’Ukraine ?

M. Romaric Roignan. L’historique des actions européennes relatives à la question iranienne plaide en faveur de notre crédibilité. Dès la révélation du programme nucléaire iranien, il y a plus de vingt ans, les Européens ont pris l’initiative de proposer des sanctions et des régimes de négociation, tout en restant proches et arrimés aux Américains, malgré de nombreuses péripéties, de manière à rendre nos pressions convergentes et complémentaires. Nous avons connu un succès en 2015 avec la signature du JCPoA, accord dans lequel les Européens, présents dans la négociation, avaient pesé pour renforcer les exigences vis-à-vis des Iraniens.

De même, notre connaissance approfondie des dossiers permet à nos experts de s’appuyer sur des relations de long terme avec l’ensemble des protagonistes de la discussion, y compris en Iran. Cette expertise nous permet de proposer des solutions crédibles et réalistes.

Il existe par ailleurs, à mon sens, un intérêt bien compris tant des Iraniens que des Israéliens de voir l’Europe équilibrer ou compléter des négociations menées exclusivement par les États-Unis qui, dans les circonstances actuelles, suscitent des interrogations. En effet, des doutes subsistent sur la compréhension de l’ensemble des sujets par l’équipe de négociation américaine, qui est très restreinte et ne dispose pas d’expérience sur ce dossier extrêmement technique et complexe. En outre, l’Union européenne est en mesure d’apporter des solutions concrètes, notamment en lien avec l’AIEA. Nous disposons d’un savoir-faire susceptible de constituer un élément important de l’équation. Enfin, nous possédons un levier diplomatique décisif avec le mécanisme dit de snapback, c’est-à-dire de retour au statu quo ante sur les sanctions, que nous pouvons choisir d’activer ou non en fonction de l’attitude iranienne et de l’évolution des négociations. Cela nous confère, dans la discussion, un levier qui peut être mis à profit.

La situation en Iran et dans la région peut-elle détourner l’aide destinée à l’Ukraine ? En réalité, nous ne raisonnons pas en termes de vases communicants entre les crises. Chacune est traitée pour ses enjeux propres et au regard de son impact sur notre sécurité, nos intérêts et nos solidarités avec les États ou les peuples concernés.

En revanche, vous soulevez le problème réel de l’amplitude des moyens que nous pouvons consacrer à la solidarité internationale. Nous avons constaté que ces moyens ont été réduits au cours des dernières années. Nous pouvons certainement faire mieux et les rendre plus efficaces mais il existe aussi un enjeu évident de mise en adéquation entre les objectifs que nous fixons pour la résolution de ces crises et les budgets que nous y consacrons. Je ne crois pas qu’il y ait un arbitrage entre le Moyen-Orient et l’Ukraine, qui sont tous deux hautement prioritaires.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Le conflit entre l’Iran et Israël soulève la question de la bombe atomique dans cette région. Je tiens à rappeler que l’Iran est signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et, à ce titre, a autorisé l’AIEA à inspecter ses sites. C’est précisément parce qu’il a permis ces visites que la communauté internationale dispose aujourd’hui de la cartographie complète des sites nucléaires iraniens, ce qui a d’ailleurs facilité leur ciblage lors des frappes récentes. Israël, quant à lui, possède la bombe atomique et n’est pas signataire du TNP. Il se trouve, à ce titre, en situation d’illégalité, puisque l’arme atomique est considérée comme une arme illégale et que le TNP s’appuie sur un pilier de désarmement global, qui devrait s’activer mais qui, depuis des années, reste complètement bloqué par ceux qui détiennent « légalement » l’arme nucléaire.

Dès lors, parler de « gentils » et de « méchants » à propos du conflit entre Israël et l’Iran me semble quelque peu réducteur. Je rappelle que ce sont les États-Unis, au cours du premier mandat de Donald Trump, qui sont sortis de cet accord, interrompant ainsi les procédures de contrôle que l’Iran avait acceptées.

Je n’éprouve aucune affinité pour le régime iranien et, comme tout le monde, je souhaite sa chute. Cependant, je considère que ce changement doit venir des Iraniens eux-mêmes et de personne d’autre, au nom de la liberté et de l’autodétermination des peuples. Nous devons accompagner les Iraniens dans cette voie mais certainement pas par les armes. J’insiste sur cet aspect car il se rapporte à la question du fondement juridique de ce que l’on nomme, par un oxymore, les « frappes pour la paix ». Un tel concept, à l’image d’autres notions floues que l’on brandit pour justifier des opérations militaires, pose la question fondamentale du rôle et de l’activité de l’Organisation des Nations unies (ONU).

M. Romaric Roignan. L’Iran fait en effet partie des États signataires du TNP, et nous souhaitons naturellement qu’il ne revienne pas sur cet engagement. J’ai évoqué dans mon propos liminaire les risques que fait peser le programme nucléaire iranien, qui ne présente aucune justification civile. Sans entrer dans des considérations excessivement techniques, il convient de rappeler que les programmes nucléaires civils requièrent généralement un enrichissement de l’uranium de l’ordre de 5 à 7 %. Or l’Iran a enrichi des stocks d’uranium à hauteur de 60 %, et a même testé des capacités d’enrichissement supérieures dans certains cas. Nous savons désormais que pour atteindre le seuil de militarisation de ces stocks, soit environ 90 %, il suffirait de faire fonctionner les centrifugeuses pendant quelques jours seulement. En d’autres termes, le programme nucléaire iranien laisse entièrement ouverte la question de son caractère militaire.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Monsieur le directeur, d’où proviennent les informations que vous avancez concernant le pourcentage d’enrichissement du programme nucléaire iranien ? Nous avons entendu Rafael Grossi, le directeur de l’AIEA, se refuser à formuler des conclusions aussi catégoriques.

M. Romaric Roignan. Les rapports de l’AIEA sont parfaitement explicites quant aux violations par l’Iran de ses engagements et nous disposons également de nos propres moyens d’appréciation de la situation. L’incertitude autour du stock d’uranium enrichi rend d’autant plus impératif le retour à une solution diplomatique.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Monsieur le directeur, vous n’apportez pas suffisamment de précisions sur vos sources d’information quant aux quelque 400 kilogrammes d’Uranium enrichi détenus par l’Iran.

M. Romaric Roignan. Nous savons avec certitude que l’Iran a enrichi suffisamment de matières fissiles pour fabriquer des engins militaires et qu’il existe des stocks ; ce fait est documenté par l’AIEA. Et si l’AIEA n’est pas en mesure de prouver formellement le caractère militaire du programme nucléaire iranien, elle constate en revanche qu’il ne présente aucune justification civile. Dès lors, compte tenu des activités régionales et du programme balistique du régime iranien, nous ne pouvons faire abstraction de l’ensemble de ces éléments. La menace est par conséquent parfaitement caractérisée, qui plus est au cœur d’une région qui a connu un grand nombre de conflits. Cette situation impose une responsabilité particulièrement lourde à l’ensemble des acteurs concernés.

Mme Clémentine Autain (EcoS). Et sur Israël ?

M. Romaric Roignan. Israël n’étant pas signataire du TNP, il n’est pas soumis à ces obligations.

M. Michel Guiniot (RN). Monsieur le directeur, les services diplomatiques français suspectent-ils une influence de la Russie dans ce conflit, compte tenu de ses alliances dans la région ? La Russie propose, comme nous l’avons tous constaté, d’assurer un rôle de médiateur, tout en entretenant des relations plus ou moins instables avec les deux États concernés.

Par ailleurs la Chine, premier acheteur d’hydrocarbures iraniens, manifeste-t-elle des intérêts particuliers dans ce conflit ouvert ? De quelle manière le conflit est-il susceptible d’impacter les économies européennes et chinoises ?

Enfin, quelles pourraient être les conséquences de la suspension par l’Iran de sa coopération avec l’AIEA ? Existe-t-il une possibilité d’amener l’Iran à coopérer de nouveau avec l’AIEA ?

M. Romaric Roignan. Jusqu’à présent, la Russie et de la Chine ont fait preuve d’une grande prudence dans leur réaction au conflit entre Israël et l’Iran. Elles ont certes condamné les frappes israéliennes, mais de façon relativement mesurée.

J’observe que c’est précisément après une visite du ministre iranien des affaires étrangères en Russie que les Iraniens ont procédé à une riposte très mesurée en réponse aux frappes américaines, permettant ainsi l’établissement d’un cessez-le-feu. Existe-t-il un lien direct ? Je ne l’affirme pas mais cette coïncidence factuelle mérite d’être relevée. L’Iran fournit à la Russie des armements employés dans le cadre du conflit avec l’Ukraine. De ce point de vue, Moscou n’a aucun intérêt à voir se prolonger les opérations militaires car cela limiterait la capacité de l’Iran à contribuer à son effort de guerre.

Quant aux autorités chinoises, elles ont fait montre de prudence probablement en raison de leurs intérêts énergétiques dans la région.

J’explique également cette prudence par le fait que ces deux pays, la Russie et la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, sont deux États dotés de l’arme nucléaire et signataires du TNP. À ce titre, ces deux pays considèrent avec préoccupation le développement du programme nucléaire iranien et souhaitent préserver leur capacité future à jouer un rôle en évitant de prendre position trop clairement en faveur de l’une ou l’autre partie.

La résolution adoptée par le Parlement iranien ne relève, à ce stade, que du déclaratif puisque, pour l’heure, le pouvoir exécutif ne l’a pas reprise à son compte. En pratique, la coopération avec l’AIEA est déjà interrompue, aucune visite d’inspecteurs n’étant possible sur les sites iraniens dans les circonstances actuelles. Cette situation doit être envisagée comme un levier diplomatique à la disposition des Iraniens, qui pourraient sortir du TNP ou mettre définitivement fin à la coopération avec l’AIEA. Ces deux éléments seraient interprétés comme des signaux extrêmement négatifs. Nous nous efforçons, dans le cadre de la négociation, de garantir que l’Iran demeure dans le TNP et maintienne sa coopération avec l’AIEA.

Mme Brigitte Klinkert (EPR). Depuis l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, le plus grave massacre de Juifs depuis la Shoah avec plus de 1 200 morts, le Proche-Orient connaît une crise multidimensionnelle sans précédent. En riposte, Israël a engagé une guerre de grande ampleur contre le Hamas à Gaza, qui a provoqué plus de 50 000 morts et une catastrophe humanitaire majeure. L’escalade s’est ensuite étendue au Liban, puis à l’Iran avec l’opération Rising Lion, qui a visé les infrastructures militaires et nucléaires iraniennes. Tandis que cette opération bénéficie d’un soutien occidental, la stratégie israélienne à Gaza fait l’objet de critiques croissantes, notamment en raison du nombre élevé de victimes civiles et du blocage de l’aide humanitaire. Dans le même temps, les tensions nucléaires avec l’Iran ravivent la crainte d’un embrasement durable de la région.

La priorité de la France doit être, selon notre groupe, d’éviter cet embrasement et de garantir la stabilité régionale. Notre pays doit prendre des initiatives pour la paix et résolument se ranger du côté du multilatéralisme et des solutions collectives. La solution ne réside pas dans la facilité ou dans l’intervention militaire mais dans une approche diplomatique, robuste et durable, qui suppose la bonne foi de l’ensemble des parties. Nous ne pouvons pas nous ranger inconditionnellement du côté de l’une ou l’autre des parties, quelles que soient nos alliances dans la région, lesquelles demeurent intangibles compte tenu de la nature du régime iranien et de son œuvre de déstabilisation régionale et mondiale.

Monsieur le directeur, j’aimerais connaître l’analyse stratégique du ministère des affaires étrangères concernant l’avenir du régime iranien et la façon dont il pourrait s’effondrer ou réagir dans l’adversité, éventuellement en actionnant le levier du terrorisme international. Comment analysez-vous la reconfiguration du Moyen-Orient que semble souhaiter le gouvernement israélien et quelles pourraient en être les conséquences, notamment concernant les proxys iraniens dans la région ? Enfin, quel est le risque de recrudescence d’un terrorisme qui viendrait frapper le territoire national ou les intérêts français au Moyen-Orient ?

M. Romaric Roignan. Il me semble prématuré de tirer des conclusions définitives sur l’avenir du régime iranien. Les Iraniens ont passé douze jours sous les bombes, entre panique et inquiétude. Pour l’instant, aucune traduction politique évidente de ces événements n’est apparue, ni dans un sens ni dans l’autre. Nous n’avons pas constaté de manifestations massives en soutien du régime, alors même que les autorités iraniennes maîtrisent parfaitement l’art d’organiser de tels événements. À l’inverse, nous n’avons pas observé de mobilisation ou de protestation significative contre le régime, bien que les Iraniens aient démontré leur capacité à se mobiliser pour exprimer leur opposition, parfois au péril de leur vie, comme nous l’avons malheureusement constaté au cours des trois dernières années. Je considère qu’à ce stade la population iranienne demeure dans un état de sidération, mais n’oublions pas que le face à face entre le régime et la population se déroule à huis clos.

Il faut toutefois s’attendre à ce que le régime profite de l’accalmie et du cessez-le-feu pour rétablir son contrôle et identifier d’éventuels opposants. Une chasse aux traîtres et à la cinquième colonne est à redouter, accompagnée d’un mouvement de répression. Néanmoins, la crédibilité du régime, au-delà des fanfaronnades et des rodomontades publiques, a indéniablement subi un coup sévère.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Sur quels fondements affirmez-vous cela ? J’ai pour ma part d’autres remontées.

M. Romaric Roignan. Il reste trop tôt pour tirer des conclusions définitives mais son prestige et sa crédibilité ont logiquement été affectés.

Concernant les proxys, nous constatons qu’ils se sont tenus à l’écart, soit par prudence, soit en vertu d’instructions reçues. Comme il convient de se garder de toute forme d’angélisme ou de naïveté, tenons pour probable qu’ils attendent prudemment que l’orage passe tout en restant prêts à être activés en cas de besoin. Il nous appartient par conséquent de redoubler d’efforts, notamment au Liban où nous œuvrons pour progresser vers un désarmement effectif et progressif du Hezbollah, sans compromettre la paix civile dans le pays. Une situation analogue prévaut en Irak, où nous soutenons activement les autorités irakiennes dans leur effort pour rétablir progressivement leur contrôle et minimiser les risques associés à ces milices armées.

Quant au risque terroriste, il constitue effectivement l’une des voies d’escalade possibles pour l’Iran, qui commettrait toutefois une très grave erreur en l’empruntant. À ce jour, nous ne disposons pas d’indications tangibles suggérant que les autorités iraniennes choisissent cette voie. Leur stratégie semble privilégier pour l’instant le cessez-le-feu et la résolution par voie diplomatique.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Avant d’en venir à mes questions, permettez-moi, monsieur le directeur, de réagir à vos propos. Les associations iraniennes que nous avons rencontrées ces jours derniers nous ont décrit un tableau bien différent du vôtre. Selon leurs témoignages, il n’est plus question pour la population civile iranienne de s’opposer au régime, un sentiment patriotique s’étant naturellement développé face aux attaques extérieures.

Il me faut maintenant vous remercier, monsieur le directeur, pour la franchise de vos propos, que l’on doit peut-être au caractère récent de votre prise de fonction voire, qui sait, à votre expérience dans le secteur privé, vous qui avez passé dix ans chez TotalEnergies. En tout cas, vous venez de nous confirmer que la politique étrangère de la France est alignée sur celle des États-Unis. Vous avez même employé l’expression « proches et arrimés ».

Une note récente du département d’État américain affirme très clairement l’orientation idéologique de la vision américaine, articulée autour du concept de choc des civilisations, évoquant un monde judéo-chrétien qui affronterait d’autres civilisations, notamment musulmanes et chinoises. Je souhaite donc savoir si la France est bien, comme vous l’avez indiqué, proche et arrimée à cette vision du monde.

Vos propos sur les Proche et Moyen-Orients dénotent une rupture totale avec la tradition française de non-alignement et d’indépendance, qui permettait à notre nation de gérer des équilibres subtils dans cette région. Vous insistez sur le péril qu’encourent les intérêts d’Israël, qu’il revient à la France de défendre. Ma question est donc la suivante : si la politique étrangère américaine et les intérêts israéliens forment la boussole de la politique française aux Proche et Moyen-Orients, qu’advient-il des propres intérêts de notre pays ?

Par ailleurs, la France est aujourd’hui, par l’intermédiaire de l’Union européenne, signataire d’accords avec la Turquie, l’Égypte et la Tunisie concernant la gestion migratoire, alors même que ces pays commettent des violations absolues des droits humains. Plusieurs voix s’élèvent au sein de l’Union européenne pour réclamer la rupture de ces accords et la cessation du financement de cette délégation de gestion migratoire qui bafoue les droits fondamentaux. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Enfin, des artistes palestiniens actuellement à Gaza ont obtenu des laissez-passer français mais ne peuvent quitter le territoire en raison du blocus. Quelles mesures la France met-elle en œuvre pour aider l’ensemble des Palestiniens détenteurs de laissez-passer français à sortir de cette situation dramatique ?

M. Romaric Roignan. Votre question, madame Chikirou, me donne l’occasion de préciser certains de mes propos. Depuis la découverte, au début des années 2000, du programme nucléaire clandestin iranien, la France a construit une forte convergence avec le Royaume-Uni et l’Allemagne. En coordination avec les États-Unis, nous avons mené des actions complémentaires pour maîtriser ce programme, conjuguant contraintes et sanctions
 et c’est bien seulement à propos de cet effort de coordination entre Européens et Américains que j’ai employé l’expression « proches et arrimés ». Nous avons appliqué des régimes de sanctions internationales, américaines et européennes, avant de parvenir à un accord satisfaisant à Vienne en 2015. Cette convergence comportait néanmoins des nuances importantes, notamment lorsque la France et les partenaires européens ont insisté pour renforcer certaines dispositions et exigences face à l’Iran, alors que les États-Unis semblaient prêts à signer trop rapidement. Cette approche coordonnée a produit des résultats tangibles. Aujourd’hui encore, nous partageons avec les Américains la conviction qu’il est nécessaire de maîtriser ce programme et de mettre un terme à cette menace.

Nous n’avons jamais varié dans les principes fondamentaux guidant notre action diplomatique. Nous réaffirmons avec force le droit d’Israël à assurer sa sécurité et à vivre libre de toute menace nucléaire et nous exprimons notre solidarité avec le peuple israélien sur ce point précis. En revanche, nous manifestons un désaccord absolu avec les actions, déclarations et initiatives du gouvernement de Benjamin Netanyahou à Gaza. Nous dénonçons fermement la situation humanitaire catastrophique et exigeons l’accès immédiat de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza.

Nous avons déployé un effort diplomatique extrêmement vigoureux pour organiser une conférence avec l’Arabie saoudite qui, bien que reportée, nous a permis de construire des convergences très fortes avec plusieurs pays arabes. Cette initiative vise à relégitimer l’Autorité palestinienne, à lui donner les moyens de se repositionner comme interlocuteur central pour la construction d’un État palestinien, et à clarifier les positions sur le nécessaire désarmement du Hamas. Nous œuvrons également pour le rétablissement de l’aide humanitaire à Gaza, l’obtention d’un cessez-le-feu et la mise en place d’un processus permettant la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël. Notre position demeure donc constante, équilibrée et adaptée aux spécificités du conflit avec l’Iran comme à la situation dans les territoires palestiniens.

Je sollicite votre indulgence sur les questions migratoires, ne disposant pas d’éléments suffisants pour vous apporter des réponses précises.

Enfin, le centre de crise et de soutien a mené plusieurs opérations pour exfiltrer de Gaza des Palestiniens à différents titres, qu’il s’agisse de blessés, de personnes proches de la France ou de personnes relevant de considérations humanitaires. Ces opérations se poursuivent, nous avons procédé à une évacuation il y a quelques semaines et une autre est en préparation.

M. Alain David (SOC). Les frappes d’ampleur décidées par le président Trump sans consultation préalable du Congrès des États-Unis agitent le spectre d’une escalade régionale majeure. L’Irak, la Jordanie et les monarchies du Golfe qui accueillent des bases aériennes américaines sur leur sol, soit environ 42 000 soldats stationnés dans la région, craignent à juste titre la perspective de représailles de Téhéran contre Israël et son allié américain. Très loin de l’avenir de prospérité et de paix prophétisé par le premier ministre israélien au lendemain des frappes, nous pouvons légitimement craindre que l’objectif de Donald Trump d’instaurer la paix par la force demeure illusoire. Il apparaît donc essentiel que les Européens s’unissent pour protéger la voie diplomatique et le droit international, privilégiant ainsi la gestion des conflits par le droit et non par la force. Je pense notamment aux propos inconsidérés du chancelier allemand sur le sale boulot effectué par Israël contre le programme nucléaire iranien.

Les frappes israéliennes et américaines participent indéniablement à l’érosion accélérée d’un ordre international fondé sur des règles. On peut en effet considérer que les Américains fournissent actuellement de nombreux arguments à la Russie pour justifier son attaque contre l’Ukraine, mais aussi, potentiellement, à la Chine dans la perspective d’une action contre Taïwan.

En outre, cette escalade militaire risque de déclencher une guerre régionale aux conséquences encore imprévisibles, sans doute accompagnée d’une recrudescence d’attentats. Comment la France compte-t-elle défendre le droit international face à ce recours désinhibé à la force ? Comment envisage-t-elle d’œuvrer au retour des négociations sur le nucléaire iranien ? Tant que des négociations étaient en cours, nous connaissions l’état d’avancement du programme nucléaire iranien. Désormais confrontés à cette inconnue, nous pouvons craindre toutes les éventualités.

Enfin, pensez-vous que l’initiative franco-saoudienne pour la reconnaissance de l’État palestinien puisse surmonter cette situation critique ?

M. Romaric Roignan. La nécessité d’un retour à la voie de la négociation constitue un objectif que nous assumons pleinement. À cette fin, le ministre des affaires étrangères a été en contact avec son homologue iranien dans le cadre de discussions menées conjointement avec nos partenaires britanniques et allemands. Nous allons certainement prolonger ces échanges et, en concertation avec les Américains, déterminer la voie la plus crédible pour avancer. Notre principe fondamental reste la volonté de relancer une dynamique de négociation. Nous avons élaboré plusieurs éléments constitutifs d’un accord potentiel mais devons encore nous concerter entre partenaires, notamment pour déterminer qui doit exercer le leadership de ces discussions.

Le président de la République a réaffirmé avec force sa détermination à poursuivre le processus menant à la solution à deux États et, dans ce cadre, à avancer vers la reconnaissance d’un État palestinien. Nous travaillons activement avec les Saoudiens sur le calendrier de la conférence qui a dû être reportée. Le président de la République et le prince héritier saoudien sont en contact pour déterminer ensemble la meilleure façon d’avancer. Ces échanges vont se poursuivre et j’espère que nous pourrons formuler des annonces rapidement.

Enfin, nous partageons entièrement votre préoccupation, monsieur David, sur la question plus fondamentale du droit international. Le président de la République a clairement rappelé que si les frappes américaines pouvaient revendiquer une certaine forme de légitimité, elles ne s’inscrivaient dans aucun cadre légal. Pour la France, il demeure essentiel que le droit international prévale dans la résolution des conflits.

Mme Élisabeth de Maistre (DR). Le 22 juin, un attentat attribué à l’État islamique a causé la mort d’une vingtaine de personnes durant un office religieux dans une église de Damas. Monsieur le directeur, vous avez brièvement évoqué la situation en Syrie, notamment la nécessité pour le nouveau pouvoir d’accepter la pluralité de la population et de lutter contre le terrorisme et l’impunité. Quelles actions la France mène-t-elle pour inciter le nouveau gouvernement syrien, lui-même issu d’une mouvance islamiste, à protéger les minorités, particulièrement la minorité chrétienne ? Quels moyens comptez-vous utiliser pour garantir la lutte contre l’impunité et faire valoir nos exigences auprès de ce nouveau régime ?

Par ailleurs, nous avons évoqué les positions et les réactions de la Russie et de la Chine aux frappes contre l’Iran mais pas celles de la Turquie. Pourriez-vous nous apporter des éléments d’appréciation sur ce sujet ?

M. Romaric Roignan. La France condamne bien évidemment l’attentat survenu dimanche dernier à Damas. Cet événement confirme nos craintes d’une résurgence des mouvements terroristes en Syrie et rappelle la priorité absolue de rétablir un État capable d’assurer la paix civile dans le pays.

Notre action sur ce point s’articule autour de plusieurs axes. D’abord, nous dialoguons directement avec le président du régime de transition, Ahmed al-Charaa, lui conférant ainsi une forme de légitimité qui l’aide à asseoir son autorité au niveau national. Nous lui demandons également, avec beaucoup d’insistance, de lutter avec détermination contre l’impunité. Une commission a été mise en place en Syrie à la suite des massacres de mars dernier, dont nous suivons attentivement les travaux et attendons les conclusions avec grand intérêt. La France entend poursuivre son action et sa mobilisation contre Daech et n’exclut pas d’examiner des coopérations plus directes face à ce danger de premier plan. Nous avons directement fait part aux autorités syriennes de toute l’attention que nous portons à ces sujets et de nos attentes très précises.

À l’image de celles de la Chine et de la Russie, la réaction de la Turquie au conflit entre Israël et l’Iran est empreinte de prudence. La Turquie a condamné les opérations israéliennes mais s’est montrée plus nuancée concernant l’intervention américaine. Nous pouvons envisager de travailler avec la Turquie puisque nous partageons des convergences assez fortes sur le souhait de maîtriser le programme nucléaire iranien dans le respect du droit international. Toutefois la tendance du président Erdoğan à utiliser, à des fins de politique intérieure, l’accusation de « deux poids, deux mesures » qu’il formule à l’encontre de l’ensemble des Occidentaux ne facilite pas une collaboration bilatérale.

M. le président Bruno Fuchs. À présent, les collègues souhaitant intervenir et vous interroger à titre individuel vont prendre la parole.

M. Nicolas Dragon (RN). Le 13 juin, lors d’une conférence de presse à l’Élysée, le président de la République a déclaré : « Si Israël devait être attaqué dans le cadre de représailles par l’Iran, la France participerait aux opérations de protection et de défense ». Or, non seulement nous avons constaté qu’il ne s’est rien passé de tel, mais quelques jours plus tard M. Macron soulignait l’absence de légalité de ces frappes, bien que « la France partage l’objectif de ne pas voir l’Iran se doter de l’arme nucléaire ». Ces exemples pourraient être multipliés.

Monsieur le directeur, comment analysez-vous ces déclarations ? Comment le Quai d’Orsay et vous-même parvenez-vous à travailler dans de telles conditions ? Ces déclarations ne rendent-elles pas finalement la France inaudible auprès de ses partenaires ?

M. Frédéric Petit (Dem). L’Iran ne se limite pas à l’Ouest et au Nord-Est ; l’Iran c’est également le Nord et, historiquement, ce pays occupe une place centrale par rapport au grand espace de la Russie et de l’Asie centrale. À cet égard, j’aimerais connaître votre analyse sur les répercussions potentielles de la déstabilisation de l’Iran par Israël sur toute la région de la mer Caspienne et sur les pays d’Asie centrale, où l’influence iranienne demeure considérable, particulièrement au Tadjikistan.

Par ailleurs, l’Iran fonctionnant comme une forme de fédération, existe-t-il des risques liés aux tensions internes ? Au-delà des difficultés sociales, nous savons que le pays connaît des tensions géographiques, notamment dans la région du Sud-Est qui a souvent manifesté des velléités, sinon de sécession, au moins de résistance. Ces tensions se sont-elles accrues à la faveur du conflit avec Israël ?

M. Romaric Roignan. Monsieur Dragon, je ne compte pas m’élever au-dessus de mon rôle de fonctionnaire pour commenter les propos du président de la République. Notre mission consiste à contribuer à la préparation de ses prises de parole, tâche que nous accomplissons avec enthousiasme et dévouement, ainsi qu’avec la gravité qu’exigent souvent les circonstances.

Monsieur Petit, il me semble prématuré de tirer des conclusions sur les répercussions du conflit avec Israël au Nord de l’Iran, dans ce qui constituait autrefois le Khorassan, ou la Bactriane pour remonter plus loin dans l’histoire. Nous n’avons pas encore développé d’analyse particulière sur ce point et n’avons pas observé, tant au Nord qu’au Sud, d’éléments ayant spécifiquement attiré notre attention mais je prends note de votre question, et nous examinerons ce sujet avec une attention accrue à l’avenir.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie, monsieur le directeur, d’avoir répondu à nos questions alors que la situation aux Proche et Moyen-Orients est d’une extrême complexité et que les conséquences du 7 octobre 2023 continuent de remodeler cette région. Vous relèverez, à travers les interventions des membres de la commission, que les questions concernant le rôle de la France, son influence et sa capacité à faire respecter le droit international continueront de se poser dans les semaines à venir.

 

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La séance est levée à 12 h 45.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Guillaume Bigot, M. Jérôme Buisson, Mme Sophia Chikirou, M. Alain David, M. Nicolas Dragon, M. Olivier Faure, M. Bruno Fuchs, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. François Hollande, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Élisabeth de Maistre, M. Laurent Mazaury, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Franck Riester, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Dominique Voynet, M. Lionel Vuibert

Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, M. Hervé Berville, M. Bertrand Bouyx, Mme Eléonore Caroit, Mme Christelle D'Intorni, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, M. Alexis Jolly, Mme Sylvie Josserand, Mme Marine Le Pen, Mme Mathilde Panot, M. Pierre Pribetich, M. Davy Rimane, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez


([1]) Nota bene : une visite consulaire a finalement eu lieu le 1er juillet 2025.