Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation internationale 2


Mercredi
2 juillet 2025

Séance de 8 heures

Compte rendu n° 78

session ordinaire 2024-2025

Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président


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La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation internationale.

La séance est ouverte à 8 h 00.

Présidence de M. Bruno Fuchs, président.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir accepté de venir traiter de la situation internationale à cette heure matinale, pris comme vous l’étiez par un emploi du temps très serré.

Avant de vous laisser la parole, je donnerai quelques éléments d’information sur les activités de la commission. Nous avons en effet récemment reçu une délégation du Conseil de la Choura d’Arabie saoudite, une délégation chinoise et aussi une délégation de parlementaires sénégalais, avec lesquels nous maintenons des contacts réguliers. Je me suis entretenu la semaine dernière avec les parents de Cécile Kohler, retenue – comme Jacques Paris – otage en Iran, et hier avec l’ambassadeur d’Iran, auquel j’ai demandé, comme vous le faites, des contacts plus réguliers entre les otages et leurs familles ainsi que, bien sûr, leur libération le plus rapidement possible. Ma collègue Sabrina Sebaihi et moi-même poursuivons par ailleurs des discussions régulières avec nos homologues de l’Assemblée populaire nationale algérienne.

Voilà qui m’amène à votre audition, après qu’hier déjà, lors des questions au gouvernement, vous avez été interrogé sur le sort des Français retenus à l’étranger et sur la nature de la relation entre la France et l’Algérie à la suite de la condamnation en appel de notre compatriote Boualem Sansal à cinq ans d’emprisonnement.

S’agissant de la situation au Proche et au Moyen-Orient, nous nous réjouissons bien sûr que le cessez-le-feu entre Israël et l’Iran annoncé le 24 juin dernier ait conjuré le risque d’une escalade incontrôlable mais cette évolution ne règle pas, tant s’en faut, les questions essentielles de la stabilité régionale et du mécanisme à bâtir pour éviter tout programme nucléaire de l’Iran. Je sais le Quai d’Orsay mobilisé pour trouver un cadre de discussion intégrant les Européens et je salue le travail exceptionnel des agents de la diplomatie française dans la gestion de la crise et l’évacuation de nos ressortissants. Après les frappes israéliennes et américaines, le risque est grand que le régime de Téhéran refuse de laisser l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) examiner ses activités et inspecter ses installations. Vous qui, le 20 juin dernier, à Genève, avez facilité l’obtention du cessez-le-feu par vos échanges avec vos homologues européens, américain et iranien, pensez-vous que cet objectif puisse être atteint dès cet été ? Par quelle stratégie politique y parvenir ?

Dans tous les cas, la stabilité régionale ne sera durable que si la situation à Gaza et dans les territoires palestiniens s’améliore et s’il existe des perspectives politiques de règlement du conflit. Quelles sont les attentes de la communauté internationale sur la fin des opérations militaires israéliennes à Gaza et en Cisjordanie, la libération des otages du Hamas et la capacité de livrer l’aide humanitaire, en grande partie bloquée ? Il nous intéresserait aussi de vous entendre faire le point sur la conférence de haut niveau en vue de promouvoir la solution à deux États qui devait se tenir à New York à l’initiative de la France et de l’Arabie saoudite. La reconnaissance par la France de l’État de Palestine est-elle toujours une option envisagée ? Si oui, quand ? Quelles conséquences favorables en attendez-vous ?

Sans doute ferez-vous le point sur le sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qui s’est tenu la semaine dernière à La Haye. Compte tenu des incertitudes relatives à certaines prises de position du président Trump, les alliés se sont engagés collectivement à porter leur effort de défense à 5 % de leur produit intérieur brut (PIB). Est-ce là un réel succès à mettre au crédit de notre diplomatie ? Quel bilan tirez-vous de ce sommet auquel vous avez assisté aux côtés du président de la République ? Certains l’ont qualifié d’« humiliation » pour les Européens ; partagez-vous cette opinion ? Quel rôle l’Europe peut-elle jouer dans la géopolitique internationale ?

Nous aimerions également vous entendre faire le point sur l’Ukraine après les conversations qui ont eu lieu entre le président Macron et le président Poutine, d’une part, le président Zelensky, d’autre part. Nous nous entretiendrons d’ailleurs tout à l’heure avec une délégation de la commission des affaires étrangères du Parlement ukrainien.

Enfin, j’aimerais connaître votre vision du rôle de la France dans la francophonie, alors que, à une dizaine de jours de la session de l’Assemblée parlementaire de la francophonie qui aura lieu à Paris, nous avons appris la baisse des crédits affectés à des missions importantes de son budget, notamment 75 % de la contribution française à l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) – mais cette réduction n’est pas la seule. Ces décisions suscitent une profonde inquiétude pour les opérateurs concernés bien sûr, et surtout pour l’influence de la France à l’étranger ainsi que pour leur impact sur le rôle de la France au sein de la francophonie.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Au cours de cette audition, la troisième en trois mois, je vous propose un tour d’horizon de ce que nous avons fait depuis le 20 mai dernier, date de notre dernière rencontre. Je me concentrerai sur les dossiers géographiques qui ont mobilisé l’essentiel de notre énergie, les trois sommets internationaux qui se sont tenus depuis notre précédente audition et les chantiers de transformation qui se poursuivent.

Je commencerai par la guerre entre Israël et l’Iran. Depuis l’attaque lancée le 13 juin par Israël contre les installations nucléaires et balistiques de l’Iran, notre priorité a été d’assurer la sécurité de nos ressortissants sur place. Tous nos moyens ont été mobilisés à cette fin et l’ensemble des services du ministère, dans la région et à Paris, ont accompli un travail remarquable pour accompagner le retour d’Israël et d’Iran de ceux de nos compatriotes qui en avaient fait la demande. Il a été répondu à quelque 12 000 appels téléphoniques depuis le début de la crise. Près d’un millier de nos ressortissants ont bénéficié de l’assistance de nos services pour rentrer en France par des vols affrétés entre Amman et Paris ou grâce à la mobilisation de vols militaires entre Tel Aviv et Chypre, ainsi que d’une aide lors des passages à la frontière, du côté arménien, turc, égyptien ou jordanien. J’ai une pensée particulière pour nos agents en poste à Tel-Aviv, Jérusalem et Téhéran. Ils exercent, dans des conditions éprouvantes et souvent dangereuses, une mission fondamentale au service de nos concitoyens. Certains ont été l’objet, sur les bancs de cette Assemblée, de critiques très injustes que nous ne pouvons tolérer.

Face à cette escalade inquiétante, nous avons contribué à faciliter le cessez-le-feu obtenu le 23 juin en faisant passer des messages par l’entremise de nos homologues américains, israéliens et iraniens. Le 20 juin, je me suis rendu à Genève avec les ministres des affaires étrangères allemand et britannique et la haute représentante de l’Union européenne pour y rencontrer le ministre des affaires étrangères iranien Abbas Araghchi et ouvrir ainsi la voie à des négociations pouvant conduire à un ces0sez-le-feu puis à la paix. Seul un accord diplomatique assorti d’un mécanisme de vérification crédible permettra de contraindre dans la durée le programme nucléaire iranien. C’est pourquoi nous poursuivons nos efforts diplomatiques en élargissant la discussion aux autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies également signataires de l’accord de 2015. Dans ce contexte, le président de la République s’est entretenu hier avec Vladimir Poutine.

Le programme nucléaire iranien est une menace pour Israël. C’est aussi un danger pour la région et pour l’Europe, comme le sont l’appui militaire qu’apporte l’Iran à la Russie en lui fournissant des drones et des missiles, son soutien aux activités terroristes dans la région et la prise en otage de ressortissants européens, dont nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus arbitrairement depuis plus de trois ans dans des conditions assimilables à de la torture. Comme vous, monsieur le président, j’ai une pensée pour eux et pour leurs familles. Le 23 juin, une frappe a visé l’enceinte de la prison d’Evin à Téhéran, où se trouvent nos ressortissants. Cette frappe les a mis en danger : c’est inacceptable. J’ai instantanément demandé de leurs nouvelles à mon homologue iranien et exigé leur libération immédiate. Nous avons reçu l’assurance que Cécile Kohler et Jacques Paris n’ont pas été blessés. J’ai exigé un accès consulaire pour que notre ambassade puisse s’assurer directement de leur état de santé et en rendre compte à leurs familles. Grâce à de très fortes pressions sur les autorités iraniennes, notre chargé d’affaires a pu leur rendre visite hier.

Le deuxième dossier géographique est celui du conflit israélo-palestinien. Vous l’avez rappelé, une conférence sur la mise en œuvre de la solution à deux États, la seule qui puisse garantir aux Israéliens et aux Palestiniens leurs droits et leur sécurité, devait être organisée par la France et l’Arabie saoudite du 17 au 20 juin aux Nations unies. Elle a été reportée en raison de l’escalade des hostilités entre Israël et l’Iran mais une nouvelle date sera bientôt fixée. Nos objectifs n’ont pas varié : lancer une dynamique de reconnaissance collective de la Palestine, travailler à la normalisation des relations entre les pays arabes et musulmans et Israël, au renouvellement de la gouvernance palestinienne et à la prise en compte des besoins de sécurité d’Israël, à commencer par le désarmement du Hamas et son exclusion de la gouvernance future de Gaza.

Nous avons déjà obtenu des avancées significatives. Nous avons réuni à Paris, le 13 juin, une conférence de la société civile pour la solution à deux États avec de nombreux acteurs israéliens et palestiniens. De plus, dans une lettre adressée à la France et à l’Arabie saoudite, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a pris des engagements majeurs en vue de la conférence de New York.

Nous travaillons, dans le cadre de l’Union européenne, pour proposer une contribution à la surveillance et au suivi de la distribution de l’aide humanitaire à Gaza alors que le nouveau système militarisé institué il y a un mois par le gouvernement israélien a tourné au carnage, des centaines de personnes ayant perdu la vie et des milliers d’autres ayant été blessées lors des distributions alimentaires. Tout cela doit cesser.

Nous travaillons aussi pour renforcer la pression sur le gouvernement israélien. L’examen de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël a conclu au non-respect des dispositions relatives aux droits de l’homme figurant dans l’accord. Nous avons confié mandat à la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Kaja Kallas d’obtenir des améliorations tangibles sans lesquelles nous demanderons que des mesures soient prises au Conseil des affaires étrangères du mois de juillet.

Le troisième dossier géographique qui appelle notre attention est celui de la guerre en Ukraine. Étant donné l’absence de volonté de Vladimir Poutine de mettre fin à la guerre, nous restons mobilisés au niveau européen pour accroître la pression sur la Russie et ses partenaires qui participent indirectement à son effort de guerre. Notre diplomatie s’est attachée à ce que le dernier train de sanctions, présenté le 10 juin par la Commission européenne, prévoie des mesures fortes et inédites sur le financement de l’effort de guerre russe, notamment un embargo sur le pétrole raffiné. Ces sanctions sont les plus lourdes prises depuis 2022. Certains de nos partenaires européens sont encore réticents à leur adoption mais nous nous efforçons de surmonter cet obstacle pour clore les négociations rapidement.

Parallèlement, nous renforçons notre soutien à l’Ukraine. La rencontre entre le premier ministre François Bayrou et son homologue ukrainien, Denis Chmyhal, le 3 juin, a renforcé nos liens. Une lettre d’intention a été signée : elle porte sur la coopération bilatérale dans le domaine des minerais critiques et la reconduction du fonds bilatéral pour la reconstruction de l’Ukraine. Sur un autre plan, le tribunal spécial pour le crime d’agression de la Russie contre l’Ukraine, à la création duquel nous avons beaucoup œuvré, a vu le jour le 26 juin. Volodymyr Zelensky s’est rendu à Strasbourg pour la signature formelle de l’accord instituant ce tribunal au Conseil de l’Europe.

Le quatrième dossier important est celui de l’Arménie. Je salue l’importante délégation parlementaire qui m’a accompagné à Erevan, le 26 mai, pour rencontrer les autorités arméniennes et les assurer de notre soutien. Lors de ce déplacement, nous avons rendu hommage à l’amiral Louis Dartige du Fournet : en 1915, alors que faisait rage le génocide perpétré par le régime des Jeunes-Turcs, il a secouru 4 000 femmes, hommes et enfants arméniens qui trouvèrent en France une terre d’accueil. Cette figure historique compte beaucoup dans les relations qu’entretiennent les peuples arménien et français.

Enfin, l’Asie du Sud-Est nous a beaucoup occupés. À la fin du mois de mai, le président de la République a effectué une importante tournée dans la région auprès de nos partenaires stratégiques que sont le Vietnam, l’Indonésie et Singapour. Au cours de ce voyage ont été signés des accords et des contrats aux retombées substantielles pour l’économie française : 26 milliards d’euros en tout, qui concernent la recherche et l’innovation, l’énergie nucléaire, les satellites, la défense, la culture, la sécurité alimentaire. Premier dirigeant européen invité au dialogue de Shangri-La, principal forum géopolitique en Asie, le président de la République a appelé les acteurs de la région à une coalition d’indépendance stratégique entre l’Union européenne et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, l’ASEAN. Le président de l’Indonésie, Prabowo Subianto, sera l’invité d’honneur du président de la République le 14 juillet et un contingent de l’armée indonésienne participera au défilé.

J’en viens aux sommets internationaux, et pour commencer à la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3), que la France a accueillie à Nice du 9 au 13 juin derniers et à laquelle certains d’entre vous avez participé. Nous l’avons coprésidée avec le Costa Rica. Ce fut la plus grande manifestation jamais organisée sur la préservation de l’océan et un grand succès diplomatique et populaire avec plus de 100 000 participants ; la précédente Conférence avait réuni 7 000 personnes à Lisbonne. Des avancées tangibles ont été obtenues sur la lutte contre la pollution plastique, avec le lancement d’un appel – signé par plus de 90 pays – à l’élaboration d’un traité ambitieux et contraignant, sur la biodiversité, 10 % de l’océan étant désormais protégé grâce notamment à la création de la plus grande aire marine protégée en Polynésie française, sur la protection des grands fonds, puisque la coalition contre l’exploitation minière des grands fonds s’est élargie à 37 pays, et avec enfin l’annonce de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2026, de l’accord des Nations unies sur la haute mer, dit « BBNJ » – avoir réuni 55 des 60 ratifications nécessaires est un tour de force pour un traité signé il y a deux ans.

Du sommet de l’OTAN qui s’est tenu à La Haye les 24 et 25 juin derniers, l’histoire retiendra moins les SMS (Short Message Services) envoyés par le secrétaire général de l’Alliance à Donald Trump que le sursaut inédit des Européens face à la menace russe, puisque nous avons collectivement décidé de relever le niveau de notre défense avec l’objectif de consacrer 5 % de notre richesse nationale aux dépenses militaires directes ou indirectes d’ici 2035 pour ne pas apparaître comme des proies face à la menace qui s’est considérablement développée ces dernières années sur le flanc oriental de l’Europe.

Enfin, un troisième « sommet » – même si cette terminologie n’est pas la plus adéquate – a eu lieu à travers le Conseil européen qui s’est réuni il y a quelques jours à Bruxelles, auquel le président de la République a participé. Y ont notamment été évoqués les droits de douane américains. Sur ce sujet, nous voulons un accord commercial rapide avec les États-Unis d’Amérique mais ce doit être un accord équitable, qui ne remette pas en cause notre autonomie décisionnelle et réglementaire. Si les États-Unis continuent de nous imposer des droits de douane de 10 %, nous devrons adopter le principe d’une taxation équilibrant le rapport de forces ; il en va de notre crédibilité. L’Europe ne doit ni ne peut accepter une asymétrie. Nous sommes des partenaires, non des vassaux. « Il n’y a pas de vassalisation heureuse » a déclaré le président de la République italienne, Sergio Mattarella, il y a quelques mois ; pour la France, il ne saurait y avoir de vassalisation tout court.

J’en viens à l’avancement des trois chantiers, déjà évoqués devant vous, de transformation du ministère.

Il s’agit d’abord de développer au Quai d’Orsay, qui porte la voix de la France, une force de frappe informationnelle, alors que l’environnement s’est considérablement durci. Le 16 juin, j’ai réuni tous les conseillers de presse et de communication pour leur dire ma forte ambition à ce sujet et leur présenter les outils que nous avons mis au point pour leur faire gagner en efficacité. Nous avons lancé la réorganisation des services pour développer une capacité de veille et d’alerte, créé dix postes dans les zones à la frontière de la guerre informationnelle, là où la pression de la propagande anti-française est la plus forte, et cinq postes dans des hubs régionaux pour la veille et la stratégie. Notre objectif est que la France soit perçue pour ce qu’elle est : un partenaire privilégié respectant la souveraineté de ses partenaires ainsi que le droit international et privilégiant la coopération pour la résolution des enjeux mondiaux. C’est cette image qui correspond à l’action de la France à l’étranger que nous avons le devoir collectif de projeter dans le monde. Je sais pouvoir compter sur la diplomatie parlementaire pour y parvenir et vous voyez que nous nous dotons d’outils puissants pour contrer les tentatives de ceux qui voudraient renvoyer une autre image de la France.

J’ai aussi lancé il y a quelques mois l’évaluation précise de notre impact pour les Français. Une équipe d’une trentaine de volontaires s’est constituée pour définir des indicateurs que j’ai présentés à la commission des finances de l’Assemblée nationale le 21 mai dernier dans le cadre du printemps de l’évaluation. Ils montrent les réalisations tangibles du ministère, dont je mentionnerai quelques exemples, au service de nos compatriotes. En 2024, 509 000 documents d’identité et actes d’état civil ont été délivrés par le réseau consulaire, ce qui fait du Quai d’Orsay la première mairie de France ; nos agents ont rédigé 30 000 notes diplomatiques, 21 000 entreprises ont été accompagnées à l’export, 122 000 élèves français accueillis dans les établissements de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger et un millier de personnes environ ont été mises en sécurité lors d’opérations d’évacuation ou de rapatriement.

J’ai récemment décidé d’adapter les plans d’action de nos ambassades pour faire mieux ressortir les missions du ministère et l’impact de notre action au service des Français. Je lancerai demain la réserve diplomatique dont la création avait été annoncée par le président de la République lors des états généraux de la diplomatie : elle dotera le ministère d’un vivier de talents qui concourront à nos missions.

Le lien est ainsi fait avec notre troisième chantier : tourner toujours plus le ministère vers les Françaises et les Français. À cette fin, outre que nous avons lancé la réserve diplomatique, nous avons créé il y a quelques jours le label Patrimoine de la diplomatie, visant à situer et mettre en valeur les lieux associés, partout en France, à l’histoire de notre diplomatie. Nous avons choisi une démarche participative en appelant nos compatriotes à se manifester pour proposer des sites remarquables à cette labellisation.

Je vous remercie pour l’alerte relative aux crédits de la francophonie. Vous savez l’exercice demandé par le premier ministre à l’ensemble des ministères cette année, comme ce fut le cas l’année dernière. Je sais être en compagnie de parlementaires convaincus de l’importance vitale des crédits du ministère en charge des affaires étrangères. Alors que s’annonce un effort budgétaire très marqué, j’invite chacun de vous à faire connaître, en fonction de ses priorités, la nécessité de préserver ce ministère, voire davantage : de continuer son réarmement à un moment où nous avons besoin de toujours plus de diplomatie.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Nous défendrons évidemment le budget du ministère des affaires étrangères… quand nous aurons l’occasion de voter un budget, ce qui ne s’est pas produit depuis un long moment.

Cet après-midi, la commission des affaires européennes examinera une proposition de résolution visant à suspendre l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël et à imposer des sanctions en réponse aux graves violations du droit international commises à Gaza et en Cisjordanie. Votre ministère n’a pas participé aux auditions préparatoires à la rédaction de ce texte. Ce refus incompréhensible est un signal inquiétant car nous attendions du gouvernement une réponse claire à ce sujet.

Hier, le groupe d’amitié France-Palestine a entendu Jean-Pierre Filiu, historien et spécialiste du Moyen-Orient. Il a passé un mois à Gaza en immersion avec Médecins sans frontières et nous a livré un constat frappant. La situation à Gaza défie les mots et son témoignage est sans appel : « Rien ne me préparait à ce que j’ai vu : une destruction purement humaine, méthodique et systématique ».

Le bilan est en effet accablant : plus de 51 000 morts, dont 15 000 enfants, entre octobre 2023 et avril 2025 ; 53 otages israéliens, dont un franco-israélien, encore retenus dans la bande de Gaza par le Hamas ; quelque 87 % des bâtiments d’habitation détruits ou endommagés ; un système de santé effondré car seulement 9 hôpitaux sur 36 fonctionnent encore partiellement et des dizaines d’attaques contre les installations médicales ont été rapportées. Chaque jour, des enfants meurent de malnutrition ou d’infection tandis que le blocus persistant empêche l’entrée de toute aide humanitaire. On dénombre déjà plus de 500 morts lors des distributions alimentaires, les Gazaouis tombant victimes des tirs de l’armée israélienne alors qu’ils viennent chercher un peu de nourriture, la famine s’étant installée à Gaza. On assiste à un génocide en direct et à une catastrophe humanitaire sans précédent. Pendant ce temps, les projets législatifs de la Knesset nous inquiètent : elle envisage une nouvelle loi imposant une taxe de 80 % sur les financements publics étrangers destinés à près de cent organisations non gouvernementales (ONG). Une telle mesure supprimerait les voix pacifistes au sein des sociétés israélienne et palestinienne.

Dans ce contexte, soutiendrez-vous officiellement la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël aussi longtemps que les violations systématiques du droit international et humanitaire persisteront ? On ne peut plus se permettre d’attendre pour prendre des sanctions, sauf à voir la disparition totale des Gazaouis, et les propos du gouvernement israélien ne laissent plus de doute quant à sa volonté d’annexer Gaza. Enfin, quelle est la position de la France sur la loi envisagée en Israël qui vise à limiter drastiquement les financements de l’aide à la société civile ? Les ONG doivent avoir la liberté de travailler librement.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous avons fait des démarches au sujet de ce texte qui risque en effet d’entraver la capacité des ONG d’agir au bénéfice de la population civile.

Nous avons soutenu l’initiative prise par les Pays-Bas demandant à l’Union européenne de déterminer si le gouvernement israélien respecte l’article 2 de l’accord d’association Union européenne-Israël. La Commission européenne s’est saisie de la question et nous avons eu des échanges avec la haute représentante sur le constat qu’elle a dressé et les suites à y donner. Il appartient au gouvernement israélien de démontrer sans délai vouloir se mettre en conformité avec l’article 2.

Des décisions immédiates peuvent être prises : le versement des sommes dues à l’Autorité palestinienne ; la réouverture de l’accès de l’aide humanitaire à Gaza pour faire parvenir à la population, qui en a tant besoin, les stocks accumulés aux frontières ; la cessation définitive de tout soutien à la colonisation en Cisjordanie et aux colons extrémistes et violents. Le représentant spécial de l’Union européenne pour le processus de paix au Proche-Orient est actuellement dans la région pour faire passer ces messages.

Les chefs d’État et de gouvernement ont pris acte du constat dressé par la Commission européenne de la violation par Israël de ses obligations. Ils ont appelé les ministres des affaires étrangères à en tirer les conclusions lors du Conseil du 15 juillet prochain et nous multiplions les échanges à ce sujet. Les débats à venir à l’Assemblée nationale nourriront ces réflexions. Je vous prie d’excuser l’absence de participation des services du ministère à vos travaux préparatoires ; à mon avis, elle est due à des questions logistiques plutôt qu’à une volonté politique. Ayant soutenu la démarche de la Commission européenne, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas répondre à vos questions sur ce point.

Mme Maud Petit (Dem). Le 27 juin, les ministres des affaires étrangères de la République démocratique du Congo (RDC) et du Rwanda ont signé à Washington, sous l’égide des États-Unis, un accord historique visant à mettre fin à plus de trente ans de guerre entre les deux pays. Hasard du calendrier, j’organisais le lendemain à l’Assemblée nationale un colloque sur une paix durable en RDC, en présence de l’ambassadeur de ce pays en France. J’ai eu le sentiment que depuis la reprise de l’offensive du M23 (Mouvement du 23 mars), en 2021, la communauté internationale avait gardé le silence sur les atrocités commises. Et pourtant, avec 7 à 8 millions de victimes congolaises, presque autant de personnes déplacées, des violences sexuelles instituées en armes de guerre, des villages incendiés ou rasés, des enfants enrôlés de force, voire pire, ce conflit a provoqué une crise humanitaire sans précédent. Ces crimes devront être punis.

Vous avez salué cet accord, estimant qu’il représente une étape importante vers la paix dans la région des Grands Lacs, mais vous paraît-il assez solide pour qu’une paix durable s’installe ? Qu’est-ce qui pourrait nuire à sa pérennité ? Les États-Unis ont été au centre des pourparlers pendant que la France et l’Union européenne, qui ont assurément été actives, sont demeurées plutôt discrètes ; ces dernières ont-elles été parties prenantes à l’élaboration de l’accord ? Vous avez déclaré que la France accompagnera les pays de la région dans le processus de paix : quelle forme cet accompagnement prendra-t-il ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je vous félicite d’avoir organisé ce colloque portant sur l’une des crises les plus graves de l’époque. Elle a fait des millions de victimes – morts, blessés, personnes déplacées – et continue de provoquer une crise humanitaire extrêmement préoccupante. L’accord de paix conclu le 27 juin à Washington, parce qu’il témoigne de l’implication directe des États-Unis d’Amérique, est une étape importante mais l’accord est fragile car l’offensive du M23 soutenue par le Rwanda semble pouvoir reprendre. L’accord trouvé n’est pas présenté comme l’aboutissement d’un processus de paix, dont nous considérons qu’il doit être aussi pris en charge par les organisations régionales, l’Union africaine, la Communauté d’Afrique de l’Est et la Communauté de développement d’Afrique australe.

L’Europe a joué un rôle important depuis le début de cette crise en multipliant les contacts avec les parties prenantes, en condamnant les violations du droit international et en apportant une aide humanitaire. Le président de la République, qui a multiplié les échanges avec les présidents Tshisekedi et Kagamé et avec tous les chefs d’État et de gouvernement impliqués dans la résolution de cette crise, nous a demandé de définir comment nous pourrions ouvrir un chemin vers une paix durable dans cette région. Cela passerait par la résolution de la crise humanitaire puis par le traitement des causes lointaines de ce conflit, qui touchent aux questions de citoyenneté aussi bien qu’à la coopération économique.

M. Bertrand Bouyx (HOR). L’AIEA a signalé que l’Iran disposerait toujours de la capacité technique d’enrichissement de l’uranium à un niveau proche de celui de l’arme nucléaire. Pire encore, le dialogue entre Téhéran et l’agence semble rompu ; l’Iran menace désormais de suspendre toute coopération avec l’AIEA et certains responsables politiques iraniens vont jusqu’à formuler des menaces inacceptables à l’encontre de son directeur général. Cette situation extrêmement préoccupante participe d’un contexte régional tendu, marqué par les frappes ciblées sur les sites nucléaires iraniens ainsi que par une escalade militaire entre Israël et les États-Unis, d’une part, et l’Iran, d’autre part, cette région profondément instable ayant frôlé l’embrasement.

En 2015, la France a joué un rôle moteur dans la négociation de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, dit « Plan d’action global commun » (JCPoA). Elle a toujours défendu un multilatéralisme exigeant, un cadre de contrôle rigoureux et un dialogue diplomatique. Vous avez récemment rappelé que la France était prête à jouer un rôle central dans la résolution de cette crise. Quelle lecture faites-vous de la situation au Proche-Orient, particulièrement de l’évolution du programme nucléaire iranien dans ce contexte de tension accrue ? Quelles démarches la France entend-elle engager aux côtés de ses partenaires pour éviter une escalade et maintenir un cadre de dialogue avec l’Iran, notamment dans le cadre de l’AIEA ? Quelle est la position du gouvernement français face aux risques de déstabilisation régionale ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Même s’il est difficile d’avoir le bilan exhaustif de ces opérations militaires, les frappes ont certainement endommagé les infrastructures et retardé le programme nucléaire iranien mais elles n’empêchent nullement l’Iran de reconstruire un programme nucléaire qui représente un danger pour Israël, pour la région et pour nous-mêmes. Seule une solution négociée peut écarter durablement le danger que représentent le programme nucléaire, la conception et le développement de missiles, les activités de déstabilisation régionale de l’Iran, et éviter que l’Iran se lance dans une fuite en avant comme pourraient le laisser penser les déclarations annonçant la fin de la coopération avec l’AIEA ou la menace d’une sortie du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

Depuis longtemps, et singulièrement depuis deux semaines, nous sommes mobilisés pour faire valoir et crédibiliser le règlement diplomatique du problème. Nous avons commencé à le faire à Genève, le 20 juin dernier, avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, États avec lesquels nous formons le triangle qui était il y a dix ans en première ligne des efforts de négociation du JCPoA. Au cours de l’escalade militaire, nous avons poursuivi les contacts avec l’AIEA, les États-Unis, Israël et l’Iran. Vous l’avez constaté hier, ces contacts s’élargissent désormais aux autres membres permanents du Conseil de sécurité. Ils sont, d’une certaine manière, les gardiens du TNP et aussi signataires du JCPoA, et nous devons nous accorder avec eux pour parvenir à un règlement ou à un encadrement strict et durable de ces activités iraniennes.

Les négociateurs de l’accord de Vienne ont prévu que chacun des signataires – dont la France fait partie – puisse, si les autorités iraniennes contrevenaient à leurs engagements, réimposer les sanctions levées en contrepartie de l’engagement pris par l’Iran de respecter les obligations relatives à son programme nucléaire. C’est dire que, dans la discussion qui s’ouvre, à laquelle de nombreux partenaires sont prêts à participer – dont bien sûr l’Iran, Israël et les États-Unis –, nous apportons notre expérience, notre compétence et notre constance mais aussi que nous avons un levier : la possibilité d’appliquer à nouveau les embargos levés en 2015.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Le 30 juin, le journaliste Christophe Gleizes a été condamné à sept ans d’emprisonnement pour apologie du terrorisme et possession de publications dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national, après son arrestation en mai 2024 dans le Nord de l’Algérie où il réalisait plusieurs reportages sur le football algérien. Les accusations portées contre lui tiennent à ce qu’il avait eu des contacts en 2015 et 2017 avec le responsable du club de football de Tizi Ouzou, par ailleurs responsable du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, qui ne sera classé « organisation terroriste » par les autorités algériennes qu’en 2021. En réalité, on lui reproche simplement d’avoir fait son travail de journaliste.

Hier, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal – que l’Assemblée nationale avait largement soutenu en adoptant en mai dernier la proposition de résolution européenne de notre collègue Constance Le Grip – a été condamné en appel à cinq ans de prison ferme. Vous l’avez rappelé hier en séance publique, l’emprisonnement de notre compatriote est injustifié. Les négociations menées à son sujet avec l’Algérie ont échoué jusqu’à présent et ces événements ne vont malheureusement pas améliorer des relations diplomatiques déjà particulièrement tendues. Pourtant, les relations entre nos deux pays doivent s’apaiser.

De quels nouveaux leviers disposez-vous pour faire que l’Algérie respecte ses engagements et pour que M. Gleizes et surtout M. Sansal, incarcéré depuis beaucoup plus longtemps, soient libérés ? Des actions urgentes sont nécessaires pour faire cesser cette politique de prise d’otages qui n’est pas sans rappeler celle de l’Iran. Ne nous laissons pas atteindre par une forme de syndrome de Stockholm et reprenons notre indépendance dans nos relations avec l’Algérie.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je l’ai dit hier, en regrettant vivement la condamnation en appel de Boualem Sansal qui confirme la peine prononcée en première instance ainsi que la condamnation en première instance de Christophe Gleizes et en rappelant la mobilisation des services diplomatiques et consulaires aux côtés de nos deux compatriotes : ce sont désormais les autorités algériennes qu’il faut interroger. Elles ont le choix, dont elles doivent se saisir sans délai, de respecter la dignité et l’humanité, notamment en permettant la libération de notre compatriote Boualem Sansal au regard de son état de santé et de son âge.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Vous nous faites parfois le reproche de ne pas tout dire, par exemple lorsque, notre temps de parole étant contraint, nous intervenons sans mentionner les otages, auxquels nous pensons pourtant tout le temps. De même, pour ce qui concerne l’Iran et le JCPoA, il vous faut tout dire et rappeler que ce sont les États-Unis qui ont fait cesser le processus de contrôle. Les Iraniens sont les méchants dans d’autres domaines mais, en l’espèce, ce sont les États-Unis qui ont cassé l’accord et cela doit être dit. J’espère comme vous que cette situation se réglera.

Un mot des prisonniers politiques au Sahara occidental. Je pensais que la France, en vendant son âme au mépris du droit international, aurait pu exiger la libération des prisonniers politiques sahraouis mais ce n’est pas le cas. Je note que vous n’avez pas soutenu plus que cela la Marche pour la liberté conduite par Claude Mangin, élue d’Ivry-sur-Seine, dont le mari, Naâma Asfari, prisonnier politique sahraoui, jugé coupable bien qu’il soit innocent, est incarcéré depuis quinze ans à la prison de Kenitra. Peut-être notre diplomatie pourrait-elle œuvrer à la libération du mari d’une citoyenne française et à celle de ses camarades ?

D’autre part, vous venez de parler d’une « reconnaissance collective » de la Palestine, ce que n’avait pas mentionné le président de la République quand il s’était dit prêt à reconnaître l’État de Palestine : il n’avait pas parlé du nombre de pays qui le feraient simultanément. Cette indication nouvelle, apparue aujourd’hui, complique tout. De quels pays s’agit-il ? Combien devraient-ils être pour que l’on considère la reconnaissance comme collective ? Deux ? Quinze ? Cent ? Alors que de très nombreux pays ont déjà reconnu l’État de Palestine, pourriez-vous préciser votre propos ? S’il s’agit de l’ensemble des pays de l’Union européenne, cela signifie que l’Allemagne devrait en faire partie, alors qu’elle a annoncé qu’elle ne reconnaîtrait pas cet État. Autrement dit, on discourt mais on sait que les mots ne seront pas suivis d’actes.

Enfin, je trouve presque indécent que nous continuions à discuter de Gaza alors que chaque jour des gens y meurent par les armes ou de faim. Nous devrions plutôt montrer nos muscles et agir. Comme je suis normand, je vous propose de faire un débarquement de marchandises apportées par une flottille de marine marchande encadrée par des militaires de tous les pays pour défendre, soutenir et faire survivre les Palestiniens de Gaza.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Lorsque j’ai indiqué la disponibilité de la France et de l’Union européenne à concourir à la sécurité de la distribution alimentaire à Gaza, c’était évidemment pour que d’autres manières de faire se substituent à la solution meurtrière actuelle, afin de mettre un terme au scandale qui se déroule sous nos yeux.

L’accord de Vienne était un excellent accord. Après qu’il a été signé, les quantités d’uranium enrichi, les capacités d’enrichissement d’uranium et tous les indicateurs mesurés par l’AIEA relatifs au programme nucléaire iranien ont baissé jusqu’à ce que, trois ans plus tard, les États-Unis retirent leur signature, limitant ce faisant le caractère incitatif de la levée des sanctions acceptée par les négociateurs. Si nous voulons un aussi bon accord, nous devrons parvenir à réunir autour d’une table les signataires de l’accord de Vienne, les membres permanents du Conseil de sécurité, États-Unis compris, puisqu’ils peuvent jouer un rôle très incitatif selon qu’ils appliquent à nouveau ou qu’ils lèvent les sanctions.

Je prends note de vos remarques sur les prisonniers politiques au Sahara occidental. Nous avons déjà évoqué cette question ensemble et vous savez que nous attendons maintenant du Maroc qu’il détaille son plan d’autonomie, qui a vocation à être discuté dans le cadre des Nations unies.

Nous sommes toujours déterminés à reconnaître l’État de Palestine mais le président de la République veut préserver une solution politique : la solution à deux États, aujourd’hui fragilisée par la colonisation de la Cisjordanie qui menace la continuité territoriale du territoire qu’administrerait l’État de Palestine, par les destructions à Gaza et par une forme de résignation des parties prenantes. Pendant notre préparation déterminée de la conférence de New York, nous nous sommes attachés à convaincre certains partenaires européens ou occidentaux de l’intérêt de prendre cette décision, à convaincre le président de l’Autorité palestinienne – qui a répondu à nos demandes – de prendre des engagements démontrant sa volonté de contribuer à construire cette solution politique, à amener les pays arabes et musulmans, notamment ceux de la région, à prendre eux aussi des engagements concernant la sécurité d’Israël. Une dynamique a été lancée, elle est inarrêtable et je travaille avec mon équipe à trouver au plus vite une date pour que la conférence se tienne et que les décisions soient prises.

M. Kévin Pfeffer (RN). Le Rassemblement national exprime à nouveau son soutien à Boualem Sansal, condamné hier en appel à cinq ans de prison, et demande sa libération.

Le mois dernier, à l’initiative bienvenue de l’Italie, du Danemark et de l’Autriche, neuf pays européens ont signé une lettre ouverte demandant que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) facilite les expulsions de ressortissants étrangers ayant commis des délits et des crimes. La CEDH doit impérativement revoir son interprétation de la convention européenne des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne le contrôle en matière migratoire. Beaucoup trop extensive, elle nuit gravement à la souveraineté des nations européennes et ne protège pas prioritairement les ressortissants européens. Ainsi, en novembre dernier, la Cour a condamné le Danemark pour l’expulsion temporaire d’un trafiquant de drogue irakien ayant purgé sa peine de prison, jugeant que les conditions de son retour au Danemark n’étaient pas assurées et que cela contreviendrait au respect de la vie privée et familiale de cet homme, qui n’a pourtant ni femme ni enfant dans ce pays. En janvier, la Cour a condamné la Grèce pour avoir renvoyé une demandeuse d’asile turque, estimant qu’elle avait été privée de toute possibilité de déposer une demande et lui accordant 20 000 euros d’indemnités.

De telles décisions créent un appel à l’immigration irrégulière et des brèches dans lesquelles les associations immigrationnistes financées par les impôts des Français s’engouffrent pour contester nos politiques et entraver notre action. Face à cela, la montée, partout en Europe, de forces patriotes qui souhaitent protéger nos concitoyens des effets néfastes d’une immigration massive et incontrôlée est salutaire. La France est consciente des interprétations délirantes de la CEDH : n’avez-vous pas vous-même choisi depuis 2023 la désobéissance assumée en maintenant l’expulsion d’islamistes radicaux en dépit des décisions de la Cour condamnant notre pays ? Pourtant, la France ne s’est pas jointe à cet appel et nous avons noté son absence au traditionnel petit-déjeuner consacré à l’immigration avant l’ouverture du Conseil européen du 26 juin. Alors que l’Europe se réveille et entame un tournant attendu par les peuples, pourquoi la France reste-t-elle en retrait des initiatives d’autres pays européens visant à reprendre le contrôle de notre politique migratoire ? Mais peut-être estimez-vous qu’il n’y a aucun problème.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Si ces questions vous préoccupent, légitimement, je vous invite à soutenir l’action internationale de la France lorsque nous prenons contact avec les autorités intérimaires de la Syrie après la chute du régime de Bachar al-Assad, puisque, il y a dix ans, la Syrie a été le premier foyer de départ de demandeurs d’asile et de réfugiés après la répression de la révolution dans le sang. Je n’ai pas entendu beaucoup de soutien de vos rangs lorsque nous sommes allés engager les autorités syriennes à agir, bien au contraire.

De la même manière, pourquoi n’avez-vous pas soutenu le Pacte européen sur la migration et l’asile alors que, tirant justement les leçons de dix ans d’impuissance publique sur ces questions, l’Europe se dotait enfin d’un cadre permettant de traiter ces questions de manière pragmatique ? Parce que ce pacte que vous n’avez pas soutenu ne suffit pas, nous travaillons à réviser la directive relative aux retours des personnes en situation irrégulière et aussi à renforcer le levier européen « visa-réadmission » liant l’octroi de visas à la coopération d’un État tiers en matière de réadmission de ses ressortissants. En effet, chacun l’a constaté, ce levier activé au niveau national ne fonctionne pas parce qu’il existe toujours des voies de contournement.

Mme Amélia Lakrafi (EPR). Mes questions touchent au rôle et à la crédibilité de la France sur la scène internationale. Au Proche-Orient, des voix s’élèvent pour dénoncer la marginalisation croissante des Européens dans une région où les États-Unis ont réaffirmé leur influence – leur toute-puissance –, notamment au côté d’Israël. Pourtant, la France n’a pas ménagé ses efforts, comme en témoigne l’organisation du Forum de Paris sur la paix, centré sur la relance de la solution à deux États, dont je déplore la très faible couverture médiatique. On préfère manifestement médiatiser la guerre plutôt que la volonté de paix même quand des généraux israéliens la demandent.

Ce Forum devait préparer une conférence à l’Organisation des Nations unies (ONU), co-organisée par la France et l’Arabie saoudite, qui aurait pu marquer une étape historique avec la reconnaissance de l’État de Palestine par notre pays et donner un peu d’espoir aux Gazaouis et à tous les Palestiniens. J’ai soutenu cette orientation, en déposant une proposition de résolution en ce sens, mais la conférence a été reportée et je m’interroge : s’agit-il d’un report ou d’un enterrement ? Un renoncement ne porterait-il pas atteinte à notre capacité d’influence et à la crédibilité de notre engagement pour une paix juste et durable dans cette région ?

La francophonie est un autre pilier de notre stratégie d’influence. Or, à quelques jours de la tenue, à Paris, de la 50e session de l’Assemblée parlementaire de la francophonie et une semaine après que j’ai présenté ici même un rapport d’information sur l’avenir de la francophonie, je me dois de relayer l’inquiétude grandissante des opérateurs et partenaires francophones. Les coupes budgétaires, notamment celles qui touchent l’AUF et les programmes structurants tels que le Programme international mobilité employabilité francophone qui facilite les déplacements des étudiants et des chercheurs, contredisent directement les engagements pris lors du sommet de Villers-Cotterêts. Comment comprendre que la France, qui préside encore le sommet de la francophonie et en accueille les principales institutions, se désengage ainsi de ses responsabilités ? Dans un monde où les batailles d’influence sont plus vives que jamais, comment la France peut-elle continuer à faire rayonner ses valeurs et son projet francophone sans moyens à la hauteur de ses ambitions ?

M. le président Bruno Fuchs. Mme la déléguée générale de l’Assemblée parlementaire de la francophonie reprend les interrogations qu’ont suscitées des annonces vraiment très inquiétantes.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je le comprends mais que vous dire ? Le ministère des affaires étrangères, ministère régalien, mérite, dans la période que nous traversons, d’être réarmé. Or, lors des discussions budgétaires, beaucoup plus d’amendements visent des réductions de crédits pour ce ministère que pour d’autres ministères régaliens. Je vous invite instamment à soutenir le budget du Quai d’Orsay car, en en examinant chaque ligne, je constate à quel point, étant donné les efforts que nous avons faits l’année dernière déjà, tout nouvel effort qui nous est demandé nous conduit à des sacrifices.

S’agissant des crédits de la francophonie, nous avons mobilisé l’année dernière 12 millions d’euros en appui du sommet de Villers-Cotterêts. Cet argent est déjà engagé, pour une grande partie au bénéfice de projets mis en œuvre par l’AUF. Nous travaillons en étroite concertation avec le recteur de l’agence pour définir ensemble des pistes de diversification des ressources qui rendront cette organisation plus solide à moyen et long termes. Plus généralement, nous essayons de trouver des solutions mais le contexte est extrêmement contraint. Je vous invite à nous aider à desserrer cette contrainte.

La rencontre des sociétés civiles à laquelle vous avez participé a été un temps majeur de dialogue entre deux peuples que tout oppose aujourd’hui dans la poursuite d’une guerre qui a fait tant de victimes de chaque côté. La capacité des sociétés civiles à montrer le chemin vers une solution politique et vers la paix est essentielle. Nous ne renonçons ni à notre objectif de reconnaissance de l’État de Palestine ni à la tenue de la conférence et nous allons veiller avec le pays coorganisateur à trouver la date la plus proche possible pour sa tenue.

S’agissant de « la marginalisation » ou de « l’affaiblissement » de la France, mieux vaudrait d’abord en finir avec l’autoflagellation. Tout le monde le sait, tout le monde le voit : la France a, la première, mobilisé la communauté internationale pour Gaza le 9 novembre 2023, pour le Liban l’année dernière avec une conférence internationale, pour la Syrie, pour le Soudan. On nous dit : « Tout cela c’est l’humanitaire et l’humanitaire, c’est moins important » ; non, l’action humanitaire est très importante ! Des dizaines de millions de personnes déplacées dans le monde souffrent de sous-alimentation et risquent la famine ; la responsabilité de la France est aussi d’apporter une réponse à cette détresse. Pour autant, notre action ne se limite pas à cela et, au Liban comme pour l’Iran aujourd’hui, la France a, la première, ouvert la voie à des négociations permettant d’entrevoir les conditions d’une paix durable.

Mais il faut aussi admettre qu’une évolution s’est produite depuis que la Charte des Nations unies a été signée il y a quatre-vingts ans : d’autres grandes puissances ont émergé avec lesquelles nous devons composer. Cela ne signifie pas qu’il faille se résigner à l’inaction mais que le poids de la France à l’étranger dépend de sa force intérieure, de notre force militaire pour dissuader les menaces, de notre force économique pour n’avoir pas à dépendre des autres, de notre force morale pour réaffirmer nos valeurs. C’est pourquoi les discussions sur les retraites et les discussions budgétaires participent de la force de notre action internationale ; en réalité, elles la conditionnent.

Mme Amélia Lakrafi (EPR). Couper 70 % du budget de l’AUF, l’en prévenir en juin et lui faire savoir que la mesure est rétroactive, c’est exagéré et si nous devons tous aller voir le premier ministre pour le lui dire, je pense que nous irons. Il est vrai que nous pratiquons l’autoflagellation, ce que je critique souvent, mais je m’interroge sur ce que fait exactement la cellule riposte quand je lis les publications du Niger sur les réseaux sociaux, selon lesquelles « la France finance les islamistes et les djihadistes au Sahel » et autres fariboles, et qu’à aucun moment nous ne réagissons. Il faut enfin taper du poing sur la table et faire que cette riposte fonctionne.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je suis d’accord avec vous : nous ne sommes pas à la bonne échelle, même si nous avons des exemples réussis de ripostes dont la viralité a été supérieure à celle des fausses nouvelles que nos adversaires tentaient de propager. C’est pourquoi je m’emploie à doter le Quai d’Orsay d’une force de frappe informationnelle en mobilisant des outils nouveaux pour permettre à tous les agents du ministère impliqués dans le travail de presse et de communication de se concentrer sur l’affirmation et la riposte, de manière que nos messages soient entendus et que l’image de la France ne soit pas abîmée.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Votre présence donne l’occasion de dresser un bilan lucide de la politique étrangère de notre pays, qui ne tienne ni du simulacre, ni de l’irréalisme politique, ni de la posture. On a vu le président Macron « sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : l’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! », pour reprendre l’expression de Charles de Gaulle. Ensuite, on l’a vu courbant l’échine devant Donald Trump. La diplomatie française ne pèse plus, obéit, suit, échoue aussi.

Vous avez beaucoup voyagé mais les résultats ne sont pas là. Il faut dire que le président Macron qualifie la France de « puissance moyenne ». Eh bien non, elle n’est pas moyenne, elle le devient parce qu’elle est dirigée par des dirigeants moyens, moyennement bons, moyennement mauvais, moyennement engagés, moyennement stratèges, moyennement sincères et souvent moyennement courageux ; on l’a vu à Gaza : alors que les Nations unies, la Cour internationale de justice et les plus grandes ONG dénoncent un génocide en cours, la France officielle s’est alignée sur la rhétorique israélienne. Vous n’avez pas rappelé notre ambassadeur en Israël ; vous avez renoncé à reconnaître l’État de Palestine ; vous vous murez dans le silence face à la famine qui sévit là-bas ; vous êtes incapable d’agir après dix-huit mois et 400 000 disparus à Gaza.

En Syrie, Bachar al-Assad a été remplacé par un ex-djihadiste que vous recevez à l’Élysée, laissant tomber les Kurdes face à l’État islamique. On en est au dix-septième train de sanctions, absolument inefficaces, contre la Russie, qui a fait preuve d’une résilience surprenante, et le président Macron finit, après trois ans, par téléphoner à Poutine pour discuter deux heures avec lui de tout et de rien – beaucoup de rien puisqu’on ne sait pas grand-chose de cet entretien. Avec la Chine, vous affirmez vouloir faire baisser la tension sur la question taïwanaise et pourtant le président Macron, dans son ambiguïté stratégique alignée sur celle des États-Unis d’Amérique, compare Taïwan à l’Ukraine, provoquant l’ire de Pékin. Au Sahara occidental, la France trahit sa position historique en soutenant un plan marocain en violation du droit international ; il en résulte une crise ouverte avec l’Algérie et un discrédit croissant auprès des pays du Sud. En RDC, où une guerre atroce menée par le groupe M23 avec le soutien du Rwanda a tué et déplacé des millions de personnes, un accord de paix vient d’être signé mais on ignore dans quelle mesure la France, dont ma collègue a souligné tout à l’heure la discrétion, a participé aux négociations. Je pourrais poursuivre avec le Soudan, avec l’Iran au sujet duquel la France s’est arrimée aux États-Unis d’Amérique et alignée sur la volonté israélienne de guerre préventive. Je pourrais parler du Mercosur et du renoncement de la France qui a fini par signer l’accord, de l’OTAN, où la France renonce également, de notre commerce extérieur qui s’effondre, de notre souveraineté numérique colonisée.

Considérez-vous que la France comme une entreprise sous-traitante des États-Unis d’Amérique ou avez-vous pour notre pays une ambition un peu plus que moyenne ? La France sera-t-elle indépendante à la mesure de ce que le général de Gaulle avait défini pour elle, ou doit-elle, avec vous, renoncer à être la France ?

M. le président Bruno Fuchs. Merci pour ce « bilan lucide »…

M. Jean-Noël Barrot, ministre. La France sera-t-elle forte et indépendante ? Peut-être, si vous votez le budget à l’automne.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Chiche !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Notre volonté de non-alignement est inchangée mais le monde n’est plus celui qui était né sur les ruines de la seconde guerre mondiale. Des puissances nouvelles ont émergé, le président des États-Unis d’Amérique a sa propre vision des équilibres de la planète et l’on peut avoir le sentiment que nous avons une prise moindre sur le cours des choses que ce n’était le cas par le passé. C’est sans doute vrai, puisque face à nous se dressent de nouvelles grandes puissances.

Devons-nous nous résigner, accepter de peser moins sur le destin du monde, ou pouvons-nous conserver ce qui a fait la force, l’indépendance de la France et sa capacité à peser sur les événements ? Le poids de la France à l’étranger dépend directement de sa force intérieure et de celle de l’Europe et le président de la République a l’ambition, pour la France et pour l’Europe, de nous renforcer, de nous rendre moins dépendants des pays tiers pour pouvoir continuer d’être acteurs du destin du monde.

Par force intérieure, j’entends force militaire, c’est-à-dire la capacité à dissuader les menaces pour n’avoir pas à transiger sur l’essentiel, force économique, pour n’être plus dépendants d’autres régions du monde qui pourraient peser sur nos décisions, force politique aussi, parce que notre unité nous permet également de faire rayonner nos idées et de mieux défendre nos intérêts et nos valeurs à l’échelle internationale. Cette force intérieure ne se décrète pas ni ne tombe du ciel, elle se construit. C’est pourquoi j’ai lié tout à l’heure notre capacité d’action internationale aux débats difficiles sur notre modèle social et sur les finances publiques car nous devons retrouver des marges de manœuvre. Tout cela concourt, directement ou indirectement, au poids que nous pouvons avoir dans cette période de reconfiguration mondiale.

Mme Dieynaba Diop (SOC). Lundi, à Séville, lors de la quatrième conférence internationale sur le financement du développement, le président de la République a rencontré le président de la République du Sénégal. L’échange a porté sur le partenariat renouvelé entre les deux pays, dont je me réjouis qu’ils aient exprimé la volonté d’amplifier leurs liens en matière de développement économique, de culture ou de sécurité.

Mais depuis plusieurs mois, les relations entre la France et plusieurs pays du Sahel se dégradent de manière préoccupante. Ces tensions diplomatiques, que reflètent le départ des forces françaises et les discours hostiles de certains régimes de transition, ont un impact profond sur notre position dans cette région. L’influence de certains acteurs – la Russie notamment par l’intermédiaire du groupe Wagner – et, plus largement, la montée du sentiment anti-français participent à une redéfinition brutale des équilibres régionaux. La réponse de la France ne peut se limiter à un retrait ou à une posture défensive. Notre diplomatie doit impérativement se réinventer en s’appuyant davantage sur les sociétés civiles africaines, la jeunesse et les forces progressistes locales. Elle doit rompre avec une attitude ancienne de domination ou de tutelle et construire des partenariats respectueux des aspirations souveraines de ces peuples.

Quelle est la stratégie de la France pour renouer un dialogue constructif avec ces pays ? Comment notre diplomatie entend-elle restaurer la confiance sans que nous renoncions à nos principes démocratiques, tout en répondant aux défis communs que sont le développement, la sécurité et la lutte contre le terrorisme ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Cultiver le dialogue avec les sociétés civiles est un effort collectif. Certains de vous le font en étant en contact avec les diasporas ou avec des représentants des sociétés civiles de ces pays et j’ai souhaité que nous accentuions nos efforts en ce sens.

Nous avons ainsi organisé à Marseille le Forum Ancrages, consacré aux talents des diasporas africaines dont les diasporas sahéliennes. À l’occasion du salon VivaTech, nous avons pour la première fois reçu une délégation d’entrepreneurs africains au ministère des affaires étrangères. Lors de la Fête de la musique, nous avons ouvert les portes du Quai d’Orsay aux talents des diasporas africaines. J’ai moi-même pris contact, ces dernières semaines, avec les principaux représentants des grandes diasporas africaines, dont les diasporas sahéliennes.

Nous souhaitons nourrir ces liens pour que la relation, aujourd’hui plus difficile, avec les autorités de ces pays soit refondée quand les circonstances le permettront.

Mme Véronique Besse (NI). Depuis des années, la république islamique d’Iran viole le TNP, arme en missiles les islamistes dans tout le Moyen-Orient, bombarde Israël de centaines de missiles et proclame l’ambition d’anéantir l’État hébreu. Face à cette menace, le droit international condamne puis se tait. Ce sont toujours les démocraties qui s’y trouvent enchaînées pendant que les États voyous s’en affranchissent : le droit devient une camisole pour les uns, un chiffon pour les autres.

Dans ce désordre, la France devrait être un repère, une voix ferme, claire et respectée. Mais notre diplomatie se tait, hésite et se dilue. La France n’est plus au centre du jeu mondial. Autrefois incontournable, elle est maintenant contournée, parfois humiliée, ignorée et marginalisée, parce qu’à force de fuir les choix elle fuit ses responsabilités. En invoquant sans relâche la stabilité régionale, la France croit servir la paix mais de quelle stabilité parle-t-on ? Celle d’un régime islamiste théocratique répressif qui rêve d’obtenir l’arme nucléaire ?

Un véritable équilibre repose sur la dissuasion, la fixation de lignes rouges à ne pas franchir et le courage d’agir quand elles le sont. Israël a répondu non par goût de la guerre mais pour empêcher un régime exterminateur de franchir une étape irréversible. Les États-Unis ont assumé ce que la diplomatie ne permettait plus : le rétablissement d’un rapport de forces. La France, elle, reste figée et ce silence n’est pas de la prudence mais de la résignation. Combien de missiles nos alliés devront-ils encore encaisser pour que la France désigne clairement l’ennemi ? Combien de renoncements faudra-t-il encore avant que notre diplomatie retrouve enfin sa voix dans le concert des nations ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je vous suggère de demander à des représentants des autorités israéliennes leur avis sur le rôle de la France, en première ligne pour défendre Israël contre la menace existentielle qu’est le programme nucléaire iranien. Aucun interlocuteur autre que la France n’est aussi respecté par le gouvernement israélien pour ses positions à ce sujet.

Nous ne nous sommes pas levés pour applaudir les frappes, parce qu’elles n’étaient pas conformes au droit international et aussi parce que, si elles ont sans doute endommagé et retardé le programme nucléaire iranien, nous n’avons pas connaissance d’autre moyen dans l’histoire récente que l’accord trouvé il y a dix ans pour obtenir un vrai retour en arrière, une contrainte réelle de la capacité d’enrichissement et des stocks d’uranium enrichi du régime iranien. Notre crédibilité est entière : parce que nous sommes respectés par Israël en raison de notre constance et de notre fermeté à ce sujet et parce que notre position sur le respect du droit international est très nette, nous occupons en quelque sorte une place centrale.

Si, ces derniers jours, les États-Unis ont fait passer des messages à l’Iran et l’Iran aux États-Unis par l’intermédiaire du président de la République et par le mien, c’est sans doute précisément parce que notre position est celle-là et qu’elle n’a jamais varié : respect des engagements pris et du droit international, respect nécessaire et indispensable par l’Iran de ses obligations aux termes du TNP, respect du droit international par les États-Unis et d’autres.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux interventions et questions formulées à titre individuel. Compte tenu du temps qu’il nous reste, nous procéderons en deux groupes de prises de parole, auxquelles le ministre répondra de manière globale à chaque fois.

Mme Christine Engrand (NI). Le cessez-le-feu entre Israël et l’Iran est fragile. Or les conséquences des frappes du mois dernier ont montré qu’un affrontement régional peut provoquer des effets systémiques à l’échelle mondiale, les perturbations dans le détroit d’Ormuz entraînant la hausse du prix du baril de pétrole à plus de 120 dollars et le brouillage massif des systèmes GPS (Global Positioning System) dans cette zone stratégique compromettant jusqu’à 80 % du commerce maritime mondial. Ces attaques hybrides à la croisée du militaire, du numérique et de l’économie, mêlant frappes conventionnelles, cyberattaques et sabotage technologique, préfigurent les guerres à venir. Comment la France entend-elle protéger sa sécurité énergétique et sa souveraineté numérique alors que notre dépendance aux infrastructures mondiales est massive ? Notre pays dispose-t-il d’une doctrine opérationnelle à ce sujet ?

Mme Pascale Got (SOC). À l’occasion de l’UNOC 3, nous avons rencontré le président du Plan bleu, équivalent pour la Méditerranée – depuis 1977 – du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Alors que la mer Méditerranée est confrontée à des défis écologiques, migratoires et sécuritaires majeurs, le Plan bleu est marginalisé faute de moyens et de soutien politique. Or, la Turquie a obtenu l’accord des parties à la convention de Barcelone pour créer un centre régional de coordination et d’action sur le climat, avec un fort potentiel d’attractivité scientifique et diplomatique, alors même que ce pays est un gros pollueur et émetteur de gaz à effet de serre. Comment le gouvernement entend-il restaurer l’influence française dans le cadre du processus de Barcelone, redonner un rôle moteur au Plan bleu et éviter que la Turquie s’impose comme leader régional ?

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Où est le contrat d’objectifs et de moyens liant l’État et l’Agence française de développement (AFD) pour la période 2023-2025 ? Des milliards d’argent public sont en jeu ; nous demandons depuis deux ans la transmission de ce document et il reste introuvable. Depuis deux ans, le gouvernement échappe à ses responsabilités au mépris de l’obligation légale et du principe constitutionnel de contrôle de l’action du gouvernement par le Parlement. Quand je vous ai interrogé à ce sujet en mai dernier, votre réponse, hors sujet, a ignoré ma question. Vous méprisez le contrôle démocratique exercé par le Parlement. Pourtant, les Français ont par exemple le droit de savoir si ce document engage leurs impôts au profit de l’Algérie. La transparence et le contrôle ne sont pas une option mais un devoir. Où est ce document ? Qui est responsable de ce manquement grave aux exigences légales et constitutionnelles ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Madame Engrand, je partage vos préoccupations sur la sécurité énergétique et la résilience de nos infrastructures numériques. Je l’ai dit : notre force intérieure nous permet aussi d’avoir du poids à l’extérieur. Ces nouvelles menaces, qui sont un peu sous le seuil de la militarisation – et donc de la guerre –, seront prises en compte dans la revue nationale stratégique très bientôt présentée, qui dressera la liste des mesures à prendre pour que la France puisse s’en prémunir. Pour ce qui concerne mon ministère, on en revient à mes remarques précédentes sur la lutte contre les attaques informationnelles dont notre pays fait l’objet, notamment en Afrique.

Madame Got, j’ai indiqué que nous avons obtenu lors de l’UNOC 3 le lancement d’un appel signé par plus de 90 pays en faveur d’un traité ambitieux et contraignant sur la lutte contre la pollution plastique, à quelques jours des négociations qui auront lieu à Genève sur le traité contre la pollution au plastique. Ces questions ont été évoquées, même si elles n’étaient pas le point central des discussions, lors de la réunion des chefs d’État et de gouvernement sur la Méditerranée connectée. S’agissant spécifiquement du Plan bleu, je ne peux vous apporter de réponse précise ce matin mais j’y reviendrai très rapidement.

Madame Robert-Dehault, je ne méprise en rien le Parlement. Consultez les archives du Quai d’Orsay : je ne crois pas qu’autant de parlementaires qu’aujourd’hui y aient jamais été reçus dans l’histoire récente. Parlementaire moi-même, je suis très attaché au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques que le Parlement conduit aux termes de l’article 24 de la Constitution. Je souhaite donc que ce contrat d’objectifs et de moyens puisse être publié au plus vite et que la commission d’évaluation de l’aide publique au développement soit enfin installée. Pour cette dernière, cela sera vraisemblablement le cas dès le mois de septembre. J’ai fait appel à des volontaires pour que des hommes et des femmes de bonne volonté de toutes les directions du ministère nous aident à définir les indicateurs nous permettant de vous rendre compte concrètement de notre action.

M’étant posé la même question que vous au sujet de l’aide au développement au bénéfice de l’Algérie, j’ai vérifié ce qu’il en était pour le Quai d’Orsay. J’ai constaté que la part des crédits du programme n° 209 Solidarité avec les pays en développement allant à l’Algérie est résiduelle : de l’ordre d’une demi-poignée de millions pour les années récentes. L’essentiel de cette aide, entendue au sens de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), couvre le montant de bourses qui sont du ressort du ministère de l’éducation nationale.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). La situation au Togo est catastrophique. La jeunesse s’est levée et elle est férocement réprimée. Les manifestations du mois de juin ont entraîné 7 morts, plusieurs centaines de blessés et des personnes ont été torturées. La contestation est pourtant légitime : les manifestants s’élèvent contre la cherté de la vie, la répression et, surtout, les modifications constitutionnelles qui permettent au chef de l’État, Faure Gnassingbé, de rester président à vie. La France ne s’étant toujours pas exprimée, je vous donne, monsieur le ministre, l’occasion de le faire ce matin. Ce silence est d’autant plus grave qu’un partenariat de défense nous lie au Togo. Quel en est le contenu ? Nos militaires forment-ils les tortionnaires qui répriment la jeunesse togolaise ? Comptez-vous suspendre cet accord comme l’Union européenne a suspendu toute coopération sécuritaire avec le Togo ? La France soutiendra-t-elle la création d’une commission d’enquête internationale indépendante sur les crimes commis pendant les trois journées de répression comme le demande la coalition « Touche pas à ma Constitution » ?

M. Stéphane Rambaud (RN). La diplomatie française semble désormais guidée par la peur et l’idéologie : la peur, par exemple, de froisser un régime algérien qui bafoue les droits fondamentaux, comme en témoigne l’infâme condamnation en appel de l’écrivain Boualem Sansal. Le silence de la France est coupable. À l’inverse, vous vous êtes précipité pour défendre Rima Hassan, élue d’extrême gauche qui insulte la France à longueur de déclarations et qui s’est rendue en Israël au mépris de toute retenue diplomatique, avec des relents de complaisance envers le Hamas. Dans le même temps, l’Algérie se permet de mépriser la France tout en profitant de sa générosité. En 2024, 124 000 titres de séjour ont été renouvelés, soit 24 000 de plus en un an. Quand mettrez-vous enfin un terme à cette indignité en affirmant face à Alger une ligne claire : la défense de nos compatriotes, la fin du chantage migratoire et la fermeté républicaine ?

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Benyamin Netanyahou, qui est sous mandat d’arrêt international de la Cour pénale internationale (CPI), se rendra à Washington le 7 juillet prochain pour rencontrer Donald Trump. L’autoriserez-vous, en violation des obligations de la France à l’égard de la CPI, à pénétrer l’espace aérien français comme vous l’avez fait dans la nuit du 6 au 7 avril dernier ? Lorsque je vous ai interrogé une première fois à ce sujet, vous m’avez répondu que M. Netanyahu bénéficie d’une immunité en vertu du droit coutumier international. Je maintiens que c’est faux et je vous repose donc la question : le droit pénal international prévoit-il vraiment une immunité pour les personnes poursuivies par la CPI ?

D’autre part, plusieurs associations dont la Ligue des droits de l’homme ont déposé hier une plainte avec constitution de partie civile pour crimes contre l’humanité et crime de génocide. Cette plainte vise deux soldats franco-israéliens, snipers dans une unité d’élite de l’armée israélienne, accusés de l’exécution sommaire de civils à Gaza et à Khan Younès. Ces deux soldats ne sont que la partie émergée de l’iceberg puisque plus de 4 000 Français ou binationaux participent à l’offensive israélienne à Gaza. Que faites-vous à ce sujet ? Attendez-vous que les associations portent plainte auprès de la justice française ? Faites-vous vous-même des signalements ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Monsieur Taché, nous suivons bien entendu la situation au Togo en lien avec notre ambassade. Nous avons pris acte de la transition constitutionnelle vers la Ve République togolaise, qui s’est achevée le 3 mai 2025. Nous appelons l’ensemble des acteurs politiques à un dialogue transparent, inclusif et apaisé. Nous rappelons notre attachement indéfectible à la liberté de manifestation et à la liberté de la presse que nous défendons partout dans le monde et nous appelons les autorités togolaises à faire toute la lumière sur les allégations de torture.

Monsieur Rambaud, je l’ai dit tout à l’heure, après les décisions injustifiées et incompréhensibles prises par l’autorité judiciaire algérienne de confirmer en appel la peine de cinq ans d’emprisonnement de notre compatriote Boualem Sansal et de condamner notre compatriote Christophe Gleizes à la très lourde peine de sept ans de prison, les autorités algériennes doivent au plus vite faire le choix de la responsabilité, du respect et de l’humanité, s’agissant notamment de notre compatriote Boualem Sansal, au regard du temps qu’il a déjà passé en détention, de son état de santé et de son âge.

Madame Cathala, nous n’avons aucune obligation d’interdire notre espace aérien ni évidemment de procéder à l’interpellation d’un individu sous mandat de la CPI. Cette question est distincte de celle des éventuelles immunités dont nous avons débattu et qui sera tranchée par l’autorité judiciaire le cas échéant. Par ailleurs, nous suivrons les procédures que l’autorité judiciaire française, saisie par des associations, engagera éventuellement au sujet de soldats franco-israéliens, en respectant évidemment son indépendance.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Vous autoriserez donc M. Netanyahou à pénétrer dans notre espace aérien la semaine prochaine, si nécessaire ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous n’avons reçu de demande à ce sujet ni de la Cour pénale internationale ni des autorités israéliennes.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie, monsieur le ministre, et d’être venu tôt ce matin et pour la régularité de nos rencontres. Elles reprendront, je l’espère, en septembre. Dans l’intervalle, soyez assuré de notre soutien à votre mission, notamment pour les questions budgétaires.

 

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La séance est levée à 9 h 40.

 

Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Véronique Besse, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, Mme Sophia Chikirou, Mme Dieynaba Diop, Mme Christine Engrand, M. Philippe Fait, M. Olivier Faure, M. Bruno Fuchs, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Stéphane Hablot, M. François Hollande, Mme Sylvie Josserand, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Mazaury, Mme Maud Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Stéphane Rambaud, M. Franck Riester, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Dominique Voynet

 

Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, M. Hervé Berville, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, Mme Christelle D'Intorni, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, Mme Marine Hamelet, Mme Brigitte Klinkert, Mme Marine Le Pen, Mme Mathilde Panot, M. Frédéric Petit, M. Pierre Pribetich, M. Davy Rimane, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Gabrielle Cathala, M. Aurélien Taché