Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Examen, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi autorisant la ratification de plusieurs conventions-cadres relatives aux bureaux à contrôles nationaux juxtaposés, aux contrôles en cours de route et aux gares communes ou d’échange (n° 847) (Mme Brigitte Klinkert, rapporteure)              2


Mercredi
2 juillet 2025

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 80

session ordinaire 2024-2025

Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président


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La commission des affaires étrangères procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur le projet de loi n° 847.

La séance est ouverte à 15 h 35.

Présidence de M. Bruno Fuchs, président.

M. le président Bruno Fuchs. Notre ordre du jour appelle l’examen du projet de loi n° 847, autorisant la ratification de plusieurs conventions‑cadres relatives aux bureaux à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ), aux contrôles en cours de route et aux gares communes ou d’échange.

Six conventions-cadres conclues pour la plupart dans les années 1960 avec, respectivement, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et l’Espagne fixent le cadre général de création et de fonctionnement des BCNJ et des contrôles en cours de route à leur frontière avec la France.

Ces conventions, si surprenant que cela puisse paraître, n’ont pas été ratifiées à ce jour et le projet de loi vise à y remédier.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Ce projet de loi vise à autoriser la ratification de six conventions-cadres relatives aux BCNJ, aux contrôles en cours de route et aux gares communes ou d’échange. Ces conventions-cadres ont été conclues entre 1958 et 1965 avec six États voisins de la France – l’Allemagne, la Suisse, la Belgique, le Luxembourg, l’Italie et l’Espagne – et constituent le fondement de plusieurs dizaines d’accords bilatéraux visant à créer des BCNJ, que l’on peut définir comme des structures situées dans des espaces routiers, ferroviaires, aéroportuaires ou fluviaux dans lesquels s’effectuent des contrôles douaniers et policiers en coopération avec les autorités des pays limitrophes.

Les BCNJ sont un outil méconnu de la coopération douanière et policière aux frontières intérieures de l’espace Schengen. J’ai auditionné la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) du ministère de l’économie et des finances et la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) du ministère de l’intérieur : toutes deux ont rappelé l’intérêt et l’importance de ces lieux pour que leurs agents fassent leur travail dans de bonnes conditions et pour coopérer avec les douanes et les polices des pays frontaliers.

En effet, les BCNJ permettent la réalisation de contrôles des personnes et des marchandises lors du franchissement de la frontière au sein d’infrastructures communes aux deux États voisins. Ces contrôles sont conjointement réalisés par des agents des services de la douane et de la police des deux États concernés. Ils s’inscrivent dans le respect du droit européen, notamment du code frontières Schengen et du code des douanes de l’Union.

Le code des frontières Schengen garantit la libre circulation, acquis majeur de l’Union européenne que nous, élus des départements frontaliers, connaissons bien. Il permet également aux autorités nationales de mettre en œuvre des contrôles aux frontières de façon aléatoire avec des objectifs strictement définis tels que la lutte contre la criminalité et la préservation de l’environnement. Créés dans le cadre de la coopération européenne, les BCNJ sont à ce jour au nombre de 137. Leur liste figure dans le projet de rapport qui vous a été communiqué.

Ces conventions et accords bilatéraux sont des outils qui favorisent l’efficacité des contrôles douaniers et policiers, grâce à la mutualisation d’infrastructures et de moyens matériels destinés à centraliser des opérations dans des zones topographiques complexes, telles que la zone montagneuse du tunnel routier du Fréjus. S’agissant du contrôle des personnes, conformément à la récente jurisprudence du Conseil d’État, les décisions de refus d’admission prononcées depuis les BCNJ situés à l’étranger sont exécutoires d’office. Les BCNJ sont donc un atout, en raison de leur nature binationale, pour appliquer les refus d’admission sans la contrainte imposée par la directive « retour » de 2008 de retenir les personnes pour vérification du droit de séjour.

Par ailleurs, les BCNJ sont des plateformes physiques qui renforcent naturellement la coordination des contrôles frontaliers, ce qui stimule la coopération bilatérale. Le travail mené conjointement par nos services et leurs homologues étrangers suppose un échange de renseignements et d’informations pour cibler les contrôles douaniers et policiers compte tenu des analyses de risques préalablement établies, afin d’en assurer l’efficacité opérationnelle.

Toutefois, il existe une difficulté : les BCNJ sont diversement investis par nos voisins et par nous-mêmes. Or, si les effectifs sont déséquilibrés au sein d’un BCNJ entre deux États partenaires, la réussite des missions qui lui sont dévolues est fragilisée. Il s’agit d’une condition indispensable pour garantir une participation bilatérale véritablement efficace.

Les ministères auditionnés ont indiqué que cette difficulté a été constatée par exemple à la frontière franco-andorrane. Cela ne concerne donc pas les BCNJ créés sur le fondement des six conventions-cadres dont ce projet de loi autorise la ratification. Néanmoins, les services de douane et de police aux frontières sont pleinement conscients des enjeux opérationnels entourant cette question.

En tout état de cause, l’utilité des BCNJ ne souffre d’aucune ambiguïté. C’est à la lumière de ce constat que j’en viens à la nécessité purement formelle et juridique de faire ratifier ces conventions-cadres par le Parlement.

Le texte que je vous présente répond à deux impératifs de sécurité juridique.

Tout d’abord, ces conventions contiennent un ensemble harmonisé de stipulations relatives à la définition des zones de contrôle, aux modalités des opérations qui y sont réalisées et aux prérogatives et obligations dévolues aux agents qui y travaillent. Ces stipulations relèvent du champ de l’article 53 de la Constitution, ce qui impose l’intervention du Parlement afin de ratifier ces accords. Cela n’ayant pas été fait depuis les années 1960, le risque existe que, à l’occasion d’un contentieux devant la juridiction administrative, le juge vérifie la validité de l’accord et invalide les procédures menées. Concrètement, cela signifie que les contrôles opérés par les BCNJ pourraient être remis en cause, ce que nous voulons éviter afin de donner à notre police et à nos agents de douane la possibilité de mener leur mission sans risque juridique.

Le second intérêt juridique est la simplicité. La ratification des six conventions-cadres vaut ratification des accords bilatéraux conclus sur leur fondement, ce qui évite de les ratifier un à un et permet de les modifier sans nouvelle validation au cas par cas. Ce texte permet donc de sécuriser juridiquement les accords sur lesquels reposent les BCNJ, qui représentent des outils de coopération particulièrement utiles et efficaces, dans le respect de nos engagements bilatéraux et communautaires.

En conséquence, je propose leur ratification par notre commission puis par notre Assemblée et prie notre commission de bien vouloir adopter le projet de loi.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). L’enjeu de ratifier ces conventions-cadres, s’agissant de sujets mal connus mais pas secondaires pour autant, ne m’échappe pas. Il s’agit de sujets à forte coloration régalienne : nous parlons là de la possibilité, pour des forces de l’ordre de pays étrangers, fussent-ils amis, d’intervenir sur notre territoire, et vice versa. Je comprends parfaitement qu’il soit nécessaire de régulariser la situation a posteriori.

Toutefois, cela dure depuis soixante ans. Nous qui demandons que le Parlement soit respecté, notamment sur les sujets régaliens, nous ne pouvons pas accepter de découvrir que, pendant des décennies, des conventions n’ont pas été soumises au Parlement alors qu’elles devaient l’être. Nous nous abstiendrons donc.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Je comprends tout à fait votre position. Il s’agit justement, en adoptant ce texte, de rendre tout son rôle au Parlement pour faire en sorte de sécuriser la situation.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Deux générations d’agents ont été privées de sécurité juridique !

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Je le constate comme vous, cher collègue.

Mme Marie-Ange Rousselot (EPR). Ce texte vise principalement à régulariser a posteriori plusieurs conventions-cadres conclues entre la France et les pays frontaliers.

Le besoin de coopération transfrontalière quotidienne avec la Suisse, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l’Italie et l’Espagne a conduit à conclure des accords bilatéraux permettant la création et le fonctionnement de plus de 130 BCNJ à nos frontières, notamment dans les gares, les aéroports et les postes-frontières routiers.

Il s’agit désormais de donner une base légale homogène à ces dispositifs stratégiques, tout en rappelant leur objectif, simple mais essentiel, qui consiste à regrouper dans un même lieu les services douaniers, de police et parfois sanitaires de deux États. Ces zones de contrôle communes permettent d’assurer un passage rapide et sécurisé pour les personnes et les marchandises, mais aussi de faciliter l’échange d’informations tout en respectant le séquençage nécessaire à la bonne tenue des opérations, conformément à la législation de chaque État.

Ces conventions-cadres permettent des mesures de simplification et d’efficience dans des zones où la coopération peut et doit être quotidienne et sans entrave, en particulier s’agissant de la sécurité, domaine dans lequel les BCNJ ont démontré toute leur utilité, notamment pour lutter contre le trafic de stupéfiants, la contrebande, le terrorisme ou la criminalité financière.

Ce projet de loi permet à la représentation nationale de ratifier ces conventions-cadres. Par-delà cet aspect formel, le texte instaure surtout un cadre juridique clair et stable pour tous les accords existants mais aussi futurs, en permettant si nécessaire la création, l’adaptation et la modernisation des dispositifs.

Sa ratification illustre une fois encore la capacité de la France à travailler main dans la main avec ses partenaires, qu’ils soient ou non membres de l’Union européenne, pour bâtir un espace commun fondé sur la fluidité, la cohérence, la confiance mutuelle et la sécurité partagée, conditions essentielles de l’attractivité.

Le groupe Ensemble pour la République soutient pleinement ce texte et salue l’engagement du gouvernement dans cette démarche. Je tiens également à remercier la rapporteure pour son travail rigoureux. En votant pour ce projet, nous affirmons une vision résolument pro-européenne et pragmatique.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Je vous remercie de soutenir ce texte. Il est en effet important de sécuriser les dispositifs mis en place avec nos voisins.

M. Stéphane Hablot (SOC). Situés dans les régions frontalières, les BCNJ permettent de cibler les contrôles policiers et douaniers. Comme l’a indiqué la rapporteure, on compte 137 BCNJ entre la France et les six pays frontaliers. Rien n’est à bâtir, tout est à simplifier. Il s’agit de donner les moyens d’agir à ceux qui sont chargés des contrôles, sans faire face à un risque juridique.

Le groupe Socialistes et apparentés votera évidemment en faveur de ce texte car il faut être pragmatiques. En 2024, les saisies de drogue ont augmenté de 70 % et le blanchiment d’argent s’étend aussi. Voter pour ce projet de loi, c’est rendre hommage à tous les agents qui luttent contre ces crimes et délits et les aider à mieux travailler. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Deux générations d’agents ont certes pu agir sans que ces conventions-cadres soient ratifiées mais le contexte juridique actuel nous impose désormais de le faire.

Je remercie infiniment Mme Klinkert de son travail considérable, précieux et respectueux des agents.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Comme l’a dit Mme Rousselot, la coopération avec les pays limitrophes est très forte. Ce travail en commun permet d’augmenter l’efficacité des contrôles douaniers et policiers grâce à la mutualisation des infrastructures, mais aussi des moyens matériels et humains. Je vous remercie pour votre soutien.

Mme Maud Petit (Dem). Votre exposé m’a fait découvrir un dispositif plutôt méconnu mais absolument utile et nécessaire.

Il nous est demandé de ratifier plusieurs conventions-cadres relatives aux BCNJ, aux contrôles en cours de route et aux gares communes ou d’échange. Cette ratification concerne six conventions-cadres sur les huit qui existent actuellement. Ces six conventions ont été conclues entre la France et respectivement l’Allemagne, la Suisse, la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et l’Espagne. Le texte qui nous est soumis s’appliquera de manière rétroactive. Il s’agit du projet de loi de ratification le plus volumineux que cette commission ait eu à examiner.

À l’heure où l’on assiste à une explosion du narcotrafic, la sécurité et les contrôles à nos frontières constituent un enjeu primordial. En 2023, la DGDDI avait saisi sur le territoire national plus de 92 tonnes de produits stupéfiants, 521 tonnes de tabac de contrebande et 20 millions d’articles de contrefaçon. Le bilan annuel de la douane pour 2023 indiquait également que pas moins de 163 millions d’euros d’avoirs criminels avaient été identifiés ou saisis dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Pour réaliser ces contrôles et effectuer ces saisies, la DGDDI s’est appuyée sur les 137 BCNJ créés par la France et ses voisins. Ces bureaux sont des plateformes routières ou ferroviaires positionnées sur les frontières de la France hexagonale. Ils regroupent, sur un site unique et dans des installations communes, les administrations des États signataires concernées par la réalisation des contrôles des personnes et des marchandises lors du franchissement de la frontière. Ils constituent des points stratégiques, qui permettent aux États signataires de réaliser des contrôles sur le territoire d’un État partenaire tout en appliquant leur propre réglementation relative au franchissement de la frontière. Ils permettent donc de mieux combattre les différents types de trafics et la criminalité organisée transfrontalière.

Le groupe Les Démocrates soutient ce texte. Il est totalement favorable à tout ce qui permet de lutter plus efficacement contre les trafics, d’assurer la sécurité juridique de ces bureaux et d’offrir un cadre juridique sûr aux agents qui interviennent quotidiennement, et qui peuvent éventuellement faire usage de la force dans les zones prévues par les arrangements.

Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Je vous remercie de votre soutien. Les chiffres que vous avez cités soulignent l’utilité et l’importance des BCNJ, qui permettent de protéger nos concitoyens, de traquer la fraude et de lutter contre les trafics. Ils sont également un instrument d’échange d’informations et de renseignements permettant de mieux cibler les contrôles sur les marchandises et les personnes. Au nom de notre commission, je remercie les policiers et les douaniers de leur travail.

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Article 1er (autorisation de la ratification de la convention-cadre entre la République française et la République fédérale d’Allemagne, signée à Paris le 18 avril 1958)

La commission adopte l’article 1er non modifié.

Article 2 (autorisation de la ratification de la convention-cadre entre la République française et la Confédération suisse, signée à Berne le 28 septembre 1960)

La commission adopte l’article 2 non modifié.

Article 3 (autorisation de la ratification de la convention-cadre entre la République française et le Royaume de Belgique, signée à Bruxelles le 30 mars 1962)

La commission adopte l’article 3 non modifié.

Article 4 (autorisation de la ratification de la convention-cadre entre la République française et la République italienne, signée à Rome le 11 octobre 1963)

La commission adopte l’article 4 non modifié.

Article 5 (autorisation de la ratification de la convention-cadre entre la République française et le Grand-Duché de Luxembourg, signée à Luxembourg le 21 mai 1964)

La commission adopte l’article 5 non modifié.

Article 6 (autorisation de la ratification de la convention-cadre entre la République française et le Royaume d’Espagne, signée à Madrid le 7 juillet 1965)

La commission adopte l’article 6 non modifié.

Puis, la commission adopte l’ensemble du projet de loi non modifié.

 

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La séance est levée à 15 h 55.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Stéphane Hablot, Mme Brigitte Klinkert, M. Arnaud Le Gall, Mme Maud Petit, Mme Marie-Ange Rousselot

Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Farida Amrani, M. Bertrand Bouyx, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, Mme Christelle D’Intorni, Mme Christine Engrand, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, Mme Marine Hamelet, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Mazaury, Mme Mathilde Panot, M. Frédéric Petit, M. Jean-François Portarrieu, M. Pierre Pribetich, M. Davy Rimane, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa