Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Examen, ouvert à la presse, et vote sur la proposition de résolution européenne visant à condamner la politique de ségrégation imposée aux femmes afghanes par le régime des Talibans et à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux atteintes à leurs droits fondamentaux (n° 1572) (Mme Caroline Yadan, rapporteure)              2

– Information relative à la commission.......................19

 


Mardi
8 juillet 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 81

session ordinaire 2024-2025

Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président


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La commission des affaires étrangères procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur la proposition de résolution européenne n° 1572.

La séance est ouverte à 16 h 35.

Présidence de M. Bruno Fuchs, président.

M. le président Bruno Fuchs. Le bureau de notre commission s’est saisi, la semaine passée, de la proposition de résolution européenne (PPRE) de Mme Caroline Yadan et des membres du groupe Ensemble pour la République, adoptée par la commission des affaires européennes le 12 juin dernier et visant à condamner la politique de ségrégation imposée aux femmes afghanes par le régime des talibans et à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux atteintes à leurs droits fondamentaux.

Conformément aux principes retenus en pareilles circonstances par le bureau de la commission, je propose que Mme Caroline Yadan soit désignée rapporteure sur ce texte. Je constate qu’il n’y a pas d’objection à cet égard.

En application de l’article 151-6 du règlement de l’Assemblée nationale, toute commission permanente compétente au fond sur une proposition de résolution européenne dispose d’un délai d’un mois à compter de son renvoi à l’issue de l’examen par la commission des affaires européennes pour, le cas échéant, l’examiner à son tour et adopter un texte, éventuellement après l’avoir amendé. En l’occurrence, une trentaine d’amendements et de sous-amendements ont été déposés.

Pour mémoire, le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, après la prise de Kaboul, le 15 août 2021, a entraîné une régression brutale des droits des femmes et des filles afghanes. En l’espace de quelques semaines, celles-ci ont été quasiment effacées de la vie publique, se trouvant exclues des écoles, des universités ainsi que de nombreux emplois et privées de leurs libertés de mouvement et d’expression.

Cette proposition de résolution européenne, qui rejoint d’autres initiatives parlementaires similaires, vise à condamner fermement la politique de ségrégation instituée par les talibans et à promouvoir des mesures concrètes afin de mettre un terme aux atteintes aux droits fondamentaux dans le pays.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Cette proposition de résolution n’est ni une déclaration de principe ni une dénonciation symbolique. Elle ne cherche pas à redéfinir l’ordre du monde. Elle propose simplement et concrètement que nous prenions notre part de responsabilité face à une réalité que plus personne ne peut ignorer : en Afghanistan, le régime au pouvoir efface les femmes. Cela se passe sous nos yeux, dans une indifférence grandissante.

Depuis août 2021, les talibans ont entrepris une politique systématique d’exclusion des femmes de toutes les sphères de participation sociale. Loin de n’être qu’un ensemble de mesures isolées, il s’agit d’un dispositif structuré qui repose sur l’intimidation, l’interdiction, l’humiliation et la punition. Les femmes sont exclues de l’enseignement secondaire et supérieur et des emplois publics. Il leur est interdit de travailler dans les organisations non gouvernementales (ONG). Elles sont empêchées d’accéder aux soins dans de nombreuses zones du pays. Elles ne peuvent voyager seules ni sortir sans porter le voile intégral et être accompagnées d’un chaperon masculin. Ces atteintes ne se limitent pas aux libertés : elles touchent directement à la dignité, à l’existence même. Ce n’est pas seulement une politique de contrôle mais une entreprise d’effacement. Il s’agit de faire disparaître les femmes de l’espace public mais aussi du récit national. Les privations sont multiples, matérielles comme symboliques. Ce que l’on tente de tuer en Afghanistan, c’est la parole, la présence, la transmission féminines.

Nous ne découvrons pas cette situation. Depuis deux ans, la communauté internationale manifeste son indignation. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Union européenne et nombre d’États membres, dont la France, ont dénoncé la régression imposée aux Afghanes. À juste titre, le régime a été qualifié d’« apartheid de genre ». La Cour pénale internationale (CPI) a émis aujourd’hui même des mandats d’arrêt contre des dirigeants talibans pour leur persécution des femmes, qualifiée de crime contre l’humanité.

Hélas, ces déclarations n’ébranlent pas le pouvoir taliban, pas plus qu’elles ne soulagent celles qui, chaque jour, sont empêchées de vivre librement. Au contraire, la politique du régime se durcit. C’est pourquoi cette proposition de résolution cherche à aller au-delà, à tracer des orientations précises et à mobiliser les leviers concrets à la disposition de la France et de ses partenaires. Le texte ne prétend évidemment pas résoudre le problème afghan à lui seul et ne nie pas la complexité diplomatique, régionale et sécuritaire de la situation. Son seul objet est d’aider celles qui vivent désormais dans un silence et un enfermement imposés. Il se veut réaliste dans ses moyens comme dans ses finalités. Il s’agit non pas de reconstruire un État mais de soutenir celles qui résistent encore et d’éviter que l’effacement ne soit complet et irréversible.

Enrichie de plusieurs amendements et adoptée en commission des affaires européennes, la proposition de résolution articule cette ambition autour de quatre priorités claires.

Premièrement, elle appelle l’Union européenne à qualifier politiquement le régime taliban pour ce qu’il est. Le reconnaître comme une organisation terroriste, ce que certains pays ont déjà fait, n’est pas une mesure symbolique mais un outil juridique qui permettrait de renforcer la traçabilité des financements, de cibler les soutiens actifs du régime et de refuser clairement toute forme de soutien implicite. La négociation n’exclut pas la fermeté et aucune normalisation ne saurait s’envisager en l’absence de garanties minimales sur les droits fondamentaux.

Deuxièmement, le texte affirme que justice doit être rendue. Il soutient les procédures en cours devant la Cour pénale internationale, qui enquête notamment sur des faits de persécution systématique contre les femmes. Longues et complexes, ces enquêtes n’en demeurent pas moins essentielles en ce qu’elles documentent, donnent la parole aux victimes et tracent une ligne de responsabilité. À l’effacement, il faut opposer la mémoire et le droit.

Troisièmement, la proposition de résolution insiste en faveur de la protection des Afghanes les plus exposées. Il ne s’agit pas ici d’ouvrir un droit d’asile généralisé mais de prioriser l’accueil des femmes menacées. Je pense aux militantes, aux avocates, aux étudiantes, aux magistrates, aux journalistes : celles qui ont été les visages du progrès afghan entre 2001 et 2021 et qui sont désormais les premières visées. La France a un rôle à jouer mais ne peut agir seule, raison pour laquelle les amendements adoptés en commission des affaires européennes soulignent la nécessité d’un effort partagé. Le texte appelle donc les États-Unis, l’Iran et le Pakistan à cesser les expulsions d’Afghanes vers leur pays d’origine. Nous savons que, dans ces pays, elles sont des milliers à vivre dans l’angoisse d’être renvoyées en un lieu où leur vie est en danger. Le message est simple : la solidarité ne s’arrête pas à nos frontières.

Quatrièmement, la proposition de résolution européenne met l’accent sur les formes d’aide qui, dès à présent, peuvent être déployées ou renforcées. L’aide humanitaire reste un levier vital mais elle est entravée. Depuis qu’il est interdit aux femmes de travailler pour une ONG ou une agence de l’ONU, l’aide n’atteint plus correctement les bénéficiaires féminines. Il faut donc trouver de nouvelles voies, en travaillant depuis les pays voisins, en soutenant les réseaux de la diaspora, en renforçant les programmes informels d’éducation, de santé et de soutien psychologique. C’est possible et cela se fait déjà à petite échelle ; il faut soutenir, amplifier et sécuriser ces initiatives.

Le texte mentionne en outre les plateformes éducatives à distance et les médias en exil, qui permettent de maintenir un lien d’espoir avec celles restées au pays ; Radio Begum, fondée à Paris par des journalistes afghanes réfugiées, en est une illustration vivante. Ce type d’initiatives mérite un soutien actif, y compris grâce aux instruments déjà existants de notre diplomatie culturelle, de l’aide au développement ou de l’Union européenne.

J’y insiste : ce texte n’est ni idéologique ni technocratique. Il regarde la situation telle qu’elle est et réfléchit à ce qu’il est possible de faire maintenant pour que celles qui vivent sous la domination talibane ne se sentent pas abandonnées. Il ne prétend pas que cela sera suffisant mais affirme que cela compte. À l’indignation doit succéder l’engagement. À la parole doit succéder l’action. Et à la résignation il faut préférer la cohérence. Puisque nous affirmons que les droits des femmes sont universels, nous devons agir là où ils sont niés de la façon la plus brutale.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes, en commençant par M. Jean-Paul Lecoq qui, le 10 février dernier, a déposé une proposition de résolution sur le même sujet.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Je vous remercie pour vos mots, madame la rapporteure.

Comme nous l’évoquions dans notre proposition de résolution, élaborée en parallèle du colloque organisé en décembre 2024 par Marie-George Buffet sur la situation des femmes en Afghanistan, la reprise du pouvoir par la force par les talibans a exacerbé la crise dans ce pays, marqué par l’aggravation de la situation économique, sociale et humanitaire, de l’insécurité alimentaire, ainsi que par les violations massives des droits humains. Notre texte avait été rédigé avec des organisations internationales, des associations, des élus locaux, des syndicats, des réfugiées afghanes, des sportives.

Cette situation plus qu’alarmante nous oblige moralement à agir. Agir pour la population afghane, c’est principalement agir pour les filles et les femmes mais aussi pour l’ensemble de la population. Il faut agir aujourd’hui pour répondre à l’urgence mais aussi pour préparer l’avenir.

Bien que le statut de réfugié soit accordé automatiquement aux filles et aux femmes afghanes en raison de leur genre, elles ne peuvent en faire la demande qu’une fois sur le territoire français. Or de nombreuses Afghanes et de nombreux Afghans ont fui leur pays en se réfugiant dans un État voisin. Ils font face à des situations très précaires sur les plans économique, sécuritaire et légal et attendent des mois pour obtenir parfois une réponse de la part de notre gouvernement. Pour que leurs dossiers soient traités plus rapidement, car il y va de leur sécurité, il nous faudra être vigilants, lors de l’examen du budget pour 2026, afin que les crédits alloués au ministère chargé des affaires étrangères, notamment aux services consulaires, soient rehaussés.

Le groupe GDR votera cette proposition de résolution européenne. Nous nous interrogeons néanmoins sur l’inscription des talibans sur la liste des organisations terroristes. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement visant à supprimer cette recommandation du texte. En effet, alors que notre diplomatie affirme ne jamais discuter ni négocier avec des terroristes, cette disposition n’aurait de sens que si nous n’envisageons aucune relation avec les talibans à l’avenir. Mais, dans l’éventualité où nous aurions besoin ou envie de faire bouger les choses sur place, peut-être faudrait-il ne pas faire ce choix, sans leur reconnaître, pour autant, une quelconque légitimité ? Ce n’est là qu’une question.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je vous remercie pour vos observations. Je vois que nous sommes en phase.

L’inscription des talibans sur la liste des organisations terroristes est au cœur de cette proposition de résolution européenne. Au-delà du symbole, elle aurait des conséquences concrètes : elle permettrait de déclencher un ensemble de sanctions ciblées, telles que le gel des avoirs, l’interdiction d’entrer sur le territoire européen ou des sanctions économiques visant directement les dirigeants et responsables du régime, ainsi que leur circuit de financement. Cet élément me semble donc très important, étant rappelé que la France ne reconnaît pas la légitimité du régime en place depuis août 2021.

M. Michel Guiniot (RN). Le texte, que nous étudions dans des circonstances hâtives alors qu’il n’est pas inscrit à l’ordre du jour de la séance publique, vise à condamner les politiques menées par le gouvernement des talibans à l’encontre des femmes et des libertés individuelles. Tout le monde s’accorde sur le fait que l’application stricte de la charia nuit gravement aux pratiques démocratiques, aux libertés individuelles, à l’organisation de la société dans son ensemble et particulièrement aux femmes. Il s’agit là d’apporter le plein soutien de l’Assemblée nationale à ces femmes qui luttent pour leur liberté et qui subissent le joug des islamistes les plus durs.

Les multiples guerres, internationales et civiles, qui ont eu lieu en Afghanistan depuis la fin des années 1970 ont mis au pouvoir les talibans qui, désormais, représentent le pays à l’étranger et administrent la société. Cependant, l’application stricte des lois islamiques n’apparaît manifestement pas compatible avec la vie d’une société, au point que le pays connaît une crise humanitaire majeure et que les États du monde entier, dont la France, se mobilisent afin de l’aider à la surmonter et de soutenir son développement.

S’il est souhaitable de montrer notre soutien à celles qui souffrent et vivent dans la terreur sous le régime des mollahs, il est également nécessaire de dénoncer les dérives islamistes qui ont conduit à chasser les étudiantes des universités et interdit à la majorité des femmes de travailler, d’aller dans l’espace public sans tuteur ou de détenir un téléphone portable, sans compter l’obligation qui pèse sur elles de se voiler en signe de soumission à Dieu. Je le répète, nous devons prendre conscience des dérives de l’idéologie islamiste dans ces pays pour s’en prémunir sur notre territoire.

De plus, il n’est pas concevable que la France accueille 28 millions de femmes afghanes car elles subissent une oppression terrible dans une société opposée à la vision que nous prônons.

Aussi, le Rassemblement national est pleinement en phase avec l’esprit de la proposition de résolution européenne, qui est de soutenir les Afghanes et de condamner les pratiques des talibans, mais ne saurait être en accord avec tous les points techniques du texte. Nous y reviendrons lors de la discussion des amendements.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je note votre plein soutien et vous en remercie au nom des femmes – j’en ai auditionné plusieurs – qui subissent le joug des talibans et leurs dérives islamistes. Cependant, je regrette votre « mais » car, je l’expliciterai lors de l’examen de vos amendements, ce ne sont pas 28 millions de femmes qui seront accueillies en France ; vous n’avez pas à avoir peur. La proposition de résolution européenne affirme simplement que, en tant que pays d’accueil, nous devons être particulièrement indulgents à leur égard.

Mme Constance Le Grip (EPR). Je tiens d’abord à vous remercier, madame la rapporteure, pour cette initiative et le travail important que vous avez déjà accompli. Vous l’avez dit, les Afghanes sont les premières et principales victimes du retour des talibans au pouvoir, le 15 août 2021, et de l’instauration de l’émirat islamique d’Afghanistan. Elles sont la cible d’une politique d’exclusion, d’invisibilisation, d’effacement systématique et méthodique. Les fillettes n’ont plus accès à l’éducation au-delà de 12 ans. Les femmes n’ont plus accès à l’emploi, à la culture, aux soins, sauf dans des conditions extrêmement restrictives. Elles sont invisibilisées non seulement dans l’espace public mais aussi au sein du huis clos de leur maison. On construit des maisons sans fenêtres, les femmes ne pouvant plus être vues en train de lire, de réciter des poèmes ou de chanter.

Toutes ces restrictions et violations absolument intolérables de leurs libertés, tant publiques que privées, et de leurs droits fondamentaux ne sauraient nous laisser indifférents. C’est pourquoi, à vos côtés, madame la rapporteure, nous souhaitons nous élever avec beaucoup de force contre ce régime théocratique qui applique la charia d’une manière très organisée. Comme nous l’avons fait en commission des affaires européennes, nous soutiendrons votre proposition de résolution et ses préconisations, à commencer par celle visant à inscrire le mouvement islamique des talibans sur la liste des organisations terroristes. Nous lançons cet appel tant aux autorités nationales qu’européennes.

Enfin, le sens du texte et de notre travail est de dire aux Afghanes qui nous entendent qu’elles ne sont pas seules et que nous réaffirmons solennellement et définitivement notre soutien et notre solidarité. Nous sommes à leurs côtés.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie pour ce témoignage, auquel nous souscrivons tous.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Vous avez absolument raison, chère collègue : solidarité et soutien ne sont pas de vains mots. Les femmes que j’ai auditionnées et avec lesquelles je suis en contact savent que ce texte ne va pas tout changer. Mais parler de leur situation, affirmer que la représentation nationale est à leurs côtés et leur reconnaître le statut de victimes de l’oppression talibane ne sont pas des choses inutiles.

M. Alain David (SOC). Depuis août 2021 et le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, c’est une chape de plomb qui s’est abattue sur la population, plus particulièrement sur les femmes. En l’espace de quelques mois, les Afghanes ont été effacées de la vie publique. Elles n’ont plus le droit de travailler, de circuler librement, de se réunir, de faire du sport, d’avoir une autonomie financière. L’éducation des filles a également été attaquée : elles n’ont plus le droit d’aller à l’école après 12 ans. Plusieurs millions de jeunes filles sont ainsi privées d’éducation et de perspectives. Pour survivre, les Afghanes fuient vers l’Iran ou le Pakistan mais, là encore, les portes se ferment, puisque le Pakistan procède actuellement à des renvois de réfugiés afghans.

Face à cette tragédie, la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu, en octobre dernier, que les Afghanes constituaient un groupe social pouvant prétendre au statut de réfugié sur la seule base de leur sexe et de leur nationalité. C’est une avancée majeure qui oblige notre pays à ouvrir des voies d’accès sûres et légales.

Alors que la France s’apprête à accueillir pendant l’été la quatrième conférence consacrée aux politiques étrangères féministes, les visas qui permettraient aux Afghanes de rejoindre la France depuis un pays voisin du leur ne sont délivrés qu’au compte-gouttes : 1 000 à ce jour.

Le groupe Socialistes et apparentés estime que les autorités françaises ne sont pas à la hauteur de l’enjeu de protéger la vie des femmes afghanes. Il est urgent que notre pays facilite la délivrance de visas. Nous demandons au gouvernement non seulement de poursuivre sa politique d’accueil des Afghanes mais également de l’intensifier pour offrir refuge et protection à ces personnes persécutées uniquement parce qu’elles sont des femmes.

Compte tenu de ces éléments et même si cette proposition de résolution européenne n’est que purement symbolique, nous la voterons avec enthousiasme et détermination.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je suis entièrement d’accord avec l’ensemble de vos propos. À cet égard, il ne vous aura pas échappé que le texte encourage notre gouvernement à accueillir des Afghanes ; j’y reviendrai.

Mme Maud Petit (Dem). Madame la rapporteure, merci pour les femmes afghanes.

Interdiction d’étudier, obligation de porter le voile intégral hors du domicile, intensification des mariages forcés et précoces, interdiction d’utiliser les transports publics sans l’accompagnement d’un tuteur masculin, exclusion de la majorité des emplois, interdiction de chanter et de lire à haute voix en public, enfermement et suppression des fenêtres donnant sur la rue… Depuis la prise de Kaboul, le 15 août 2021, les talibans ont édicté des règles et interdictions dont le but est de confiner les femmes à leur domicile et de les rendre invisibles au sein de la société afghane.

L’Afghanistan est ainsi devenu le seul pays au monde où les filles n’ont pas le droit d’aller à l’école au-delà de 12 ans ni d’étudier à l’université. Les femmes, elles, ont été progressivement exclues du travail et de la vie publique. Effacer leurs visages et maintenant leur voix : l’objectif des talibans est bien d’étouffer les femmes.

Face à cette situation insupportable et intolérable, la communauté internationale se montre quasiment unanime pour dénoncer la politique des talibans. Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté plusieurs résolutions qualifiant de systématiques les violations des droits des femmes et des filles. Le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a dénoncé un apartheid de genre. La France, quant à elle, a été l’un des pays européens les plus fermes à l’égard du régime de Kaboul, auquel elle refuse toute reconnaissance internationale.

Cependant, les sanctions internationales, telles que la suspension de l’aide au développement, n’ont que des effets limités. Cette proposition de résolution européenne est donc la bienvenue, en ce qu’elle propose l’adoption de mesures fortes et ciblées pour défendre les droits fondamentaux des Afghanes. Elles s’articulent autour de quatre leviers : la désignation du régime taliban comme organisation terroriste ; le recours à la justice pénale internationale ; l’organisation d’une priorité d’accueil pour les femmes afghanes en danger ; le renforcement d’une aide humanitaire spécifiquement destinées aux femmes et aux filles.

Le groupe Les Démocrates salue le combat des Afghanes pour leur liberté et de tous ceux qui les rejoignent. Nous les assurons de tout notre soutien et voterons ce texte.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je me félicite que nous soyons sur la même longueur d’onde. La situation des Afghanes nous touche en tant que femmes mais heurte aussi notre universalité, indépendamment de notre sexe.

M. Bertrand Bouyx (HOR). Depuis le retour des talibans au pouvoir, le sort des femmes et des filles afghanes s’est dramatiquement détérioré. Leur effacement de l’espace public n’est plus une crainte mais une réalité brutale, méthodique et systématique. Interdiction d’étudier, de travailler, d’accéder aux soins dans des conditions dignes, de s’exprimer, d’exister en tant que citoyennes et de circuler librement : c’est un apartheid de genre qui s’installe sous nos yeux, dans une indifférence insupportable.

Le groupe Horizons & indépendants estime que la proposition de résolution européenne est plus que bienvenue : elle est nécessaire. Elle réaffirme notre attachement aux droits fondamentaux, notre solidarité envers les Afghanes et notre refus de normaliser ce régime de ségrégation.

Cependant, ce texte ne peut être que symbolique et doit permettre d’activer des leviers concrets. L’Union européenne doit renforcer ses dispositifs d’accueil pour les réfugiées afghanes, conditionner toute aide humanitaire au respect minimal des droits humains, soutenir les acteurs de terrain, notamment les ONG, qui travaillent depuis l’extérieur pour maintenir un lien avec la société civile afghane. Il nous revient aussi de maintenir la pression diplomatique, d’interpeller sans relâche les institutions internationales, de dénoncer la stratégie d’effacement systématique qui n’a d’autre but que l’installation d’une domination totale et sans le moindre contre-pouvoir dans un pays où les femmes paient le prix fort.

Les Afghanes demandent notre soutien, notre relais, notre voix ; leur combat est aussi le nôtre. Au-delà du signal politique fort que cette proposition de résolution européenne envoie, notre groupe souhaite savoir quels moyens concrets vous préconisez d’utiliser pour que les recommandations qui figurent dans le texte aient des effets tangibles, notamment à l’échelle européenne.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Face à la politique d’apartheid de genre qui est menée dans une indifférence quasi généralisée – certains à l’Assemblée nationale semblent choisir les droits humains qu’ils défendent –, quatre leviers sont à notre disposition pour garantir une action efficace, au-delà du symbole. Je les ai déjà mentionnés : la reconnaissance des talibans comme une organisation terroriste ; l’aboutissement des procédures devant la CPI – la Cour a émis ce jour des mandats d’arrêt contre deux dirigeants  ; la facilitation du droit d’asile ; l’aide humanitaire et le soutien aux médias en exil ainsi qu’à l’opposition.

M. le président Bruno Fuchs. Je passe à présent la parole à celles et ceux de nos collègues qui souhaitent s’exprimer et intervenir à titre individuel.

M. Stéphane Hablot (SOC). La situation des femmes afghanes – déshumanisées, bafouées, enfermées – est horrifiante. Pourtant leur détresse, aussi violente soit-elle, devient progressivement inaudible. La République française, si fière de ses droits fondamentaux, peut-elle rester immobile alors que le pire s’installe ? Il faut combattre les talibans. Nous soutenons à 100 % votre proposition de résolution.

Madame la rapporteure, vous faites référence à la CPI, qui émet des mandats d’arrêt contre les talibans. Je vous le demande sans esprit polémique : pourquoi n’accordez-vous pas le même crédit à cette Cour lorsqu’elle condamne des exactions dans d’autres pays ? Y aurait-il deux poids, deux mesures ?

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je regrette votre intervention polémique, cher collègue. Il n’y a jamais eu deux poids, deux mesures. Simplement, je respecte le droit.

Puisque vous faites allusion – disons les choses – aux mandats d’arrêt émis par la CPI contre des dirigeants israéliens, la décision – je vous invite à la lire comme je l’ai fait – ne mentionne à aucun moment un risque de génocide ou un génocide. Par ailleurs, ces mandats d’arrêt viennent d’être annulés par la Cour. Je vous engage donc à être précis lorsque vous m’adressez des critiques, au demeurant infondées puisque je suis une femme de droit et que je m’y tiens systématiquement.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à l’examen du texte de la proposition de résolution européenne et des amendements qui ont été déposés.

*

Texte de la proposition de résolution européenne

Amendement AE24 de M. Michel Guiniot

Mme Sylvie Josserand (RN). Cet amendement vise à préciser le contexte dans lequel s’inscrit la proposition de résolution. Il replace l’engagement européen en faveur de l’Afghanistan et de sa population dans une perspective historique en rappelant que, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), près de 8 milliards d’euros ont été versés au pays depuis l’an 2000 au titre de l’aide publique au développement.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je ne comprends pas cet amendement ni les suivants poursuivant un but similaire puisqu’ils n’ont pas de lien avec l’objet du texte ni avec son orientation politique. Je doute de sa valeur ajoutée et je m’interroge sur vos intentions : vous semblez suggérer, à tort, que les femmes afghanes bénéficieraient déjà d’une aide suffisante. Un tel ajout risque de brouiller le message politique de l’alinéa 26, qui encourage à maintenir l’aide humanitaire en faveur des populations afghanes, en portant une attention particulière aux femmes et aux filles.

Le texte rappelle clairement l’impératif de solidarité internationale face à une situation d’urgence. Il serait contre-productif d’y introduire une dimension budgétaire. Avis défavorable.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Cet amendement semble vouloir démontrer que l’aide au développement ne sert à rien – c’est ainsi que je l’ai compris – puisque les talibans reviennent toujours. Or l’aide au développement est utile aux populations. Nous combattons le pouvoir taliban, pas les Afghans ni a fortiori les Afghanes. Au contraire, nous voulons les protéger.

Madame la rapporteure, votre réponse ne me suffit pas. Si nous voulons aider le peuple afghan à se séparer de ses dirigeants, le fait qu’ils soient placés sur la liste des organisations considérées comme terroristes par le Conseil de l’Union européenne est problématique. Je comprends votre volonté d’isoler les dirigeants – la France a, à juste titre, refusé de reconnaître le régime – mais comment faire, dès lors, pour aider demain les Afghans ? Nous savons que les interventions militaires sont vouées à l’échec ; les expériences russe et américaine l’ont démontré. Des années de guerre n’ont pas fait évoluer la situation d’un iota. Il faut donc trouver d’autres moyens, et cela suppose de faire de la dentelle.

Mme Sylvie Josserand (RN). Cet amendement vise à ajouter un considérant à votre proposition de résolution qui en comporte déjà un certain nombre. Comment envisager l’avenir si on ne rappelle pas le passé, dont ces 8 milliards d’euros sont un élément important ?

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE22 de M. Michel Guiniot

Mme Sylvie Josserand (RN). Dans la même logique que le précédent, cet amendement vise à rappeler que l’Union européenne a promis 1,2 milliard d’euros pour la période 2021-2025 lors de la conférence 2020 sur l’Afghanistan organisée par les Nations unies et baptisée « Paix, prospérité et autonomie ».

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Même avis que précédemment. Vous rappelez un engagement européen connu. Je ne vois pas l’utilité d’un tel ajout, qui s’apparente à un détournement du débat pour remettre en cause l’aide au développement.

Monsieur Lecoq, au-delà de sa portée symbolique, à laquelle l’opposition afghane est attachée, la classification des talibans parmi les organisations terroristes emporte des conséquences importantes pour les dirigeants : des sanctions financières peuvent être prononcées contre eux ; les financements peuvent être tracés ; leurs soutiens ciblés. Autrement dit, on peut les atteindre directement au portefeuille.

M. Pierre Pribetich (SOC). Monsieur le président, d’importants votes s’annoncent dans l’hémicycle et je sollicite une suspension de séance pour nous permettre d’y prendre part.

M. le président Bruno Fuchs. Je fais droit à votre demande.

La réunion est suspendue de 17 h 20 à 17 h50.

M. le président Bruno Fuchs. Avant de poursuivre les échanges de fond, la commission doit formellement se prononcer sur l’amendement AE22.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE21 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Il s’agit de mettre en avant le fait que la France a versé plus de 1,5 milliard d’euros au titre de l’aide publique au développement depuis l’année 2000. Cette somme considérable, prélevée sur les deniers publics, était destinée à aider la population afghane à supporter le régime des talibans ainsi qu’à apporter un soutien aux femmes soumises, contre leur gré, à la charia et aux déviances islamistes. Or les fonds sont soit mal dirigés, soit mal utilisés.

Selon Fondapol et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), en 2007, soit six ans après l’intervention des États-Unis en Afghanistan, quatorze ans après la prise du pouvoir par les talibans et vingt-huit ans après la prise des armes par les rebelles moudjahidines contre les communistes, près de 1 600 Afghans vivaient sur le territoire français. Quinze ans et plus de 1 milliard d’euros plus tard, la situation n’est pas stabilisée, les islamistes se sont importés chez nous et les Afghans sont devenus la première population demandeuse d’asile.

Il apparaît donc important de le rappeler : malgré les milliards que nous dépensons, aucune amélioration n’est notable, malheureusement pour les habitants de ce pays.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Même avis que précédemment.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE20 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à souligner le versement par la France, entre 2018 et 2023, de plus de 100 millions d’euros au titre de l’aide publique au développement. Cette somme devait permettre aux femmes afghanes de se libérer du joug islamiste et à la population d’envisager une reconstruction, voire, dans le meilleur des cas, un développement de leur pays. Or rien de tout cela n’est advenu et la situation se dégrade considérablement. L’Europe semble unanime pour apporter un soutien aux populations victimes du régime taliban.

Je le répète, les financements sont soit mal dirigés, soit mal utilisés. Après vingt-huit ans de conflit, les Afghans étaient 1 600 à chercher l’asile en France. Aujourd’hui, ils sont 100 000, dont près des trois-quarts sont arrivés après 2016. Les Afghans sont plus nombreux à demander l’asile que les Syriens ou les Ukrainiens alors que les conflits qui les ont poussés hors de leur pays sont plus récents.

Malgré les centaines de millions d’euros que nous avons dépensés entre 2018 et 2021, aucune amélioration n’est notable pour le peuple afghan, notamment pour les femmes.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Amendement AE23 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). En 2023, la France a versé plus de 22 millions d’euros au titre de l’aide publique au développement. Elle a enregistré 13 000 demandes d’asile de la part d’Afghans, pour lesquels le taux de protection s’établit à 70 %, contre 63 % pour la moyenne européenne et 40 % en Suède.

L’aide est soit mal dirigée, soit mal utilisée. Les Afghans, à qui nous versons des milliards depuis l’année 2000, cherchent, toujours et encore, à fuir le régime islamiste imposé par les talibans, sans pour autant en abandonner les préceptes. Selon une étude de 2013, 99 % des Afghans arrivant en France sont favorables à l’instauration de la charia et 40 % des Afghans interrogés par l’OFII ont déclaré ne jamais avoir été scolarisés. L’intégration de ces immigrés dans notre société est donc particulièrement difficile.

Malgré les dizaines de millions d’euros que nous avons dépensés en 2023, aucune amélioration n’est notable pour le peuple afghan, notamment pour les femmes.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Amendement AE1 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Cet amendement vise à compléter la proposition de résolution européenne en invitant le gouvernement à proposer l’extension de la convention internationale de 1973 sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid à l’apartheid de genre. La politique d’apartheid de genre que mènent certains États est inédite. Il est souhaitable que la convention de 1973 couvre cette nouvelle forme.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je partage l’objectif de rendre visible la persécution systématique et organisée des femmes en Afghanistan. La notion d’apartheid de genre figure dans mon rapport sur la proposition de résolution européenne, notamment lorsque je cite les propos du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.

Néanmoins, votre amendement soulève des questions diplomatiques et juridiques complexes qui dépassent l’objet de la résolution. Je crains qu’il ne vienne brouiller le message, qui est clair, bref, ciblé et porteur de recommandations d’application immédiate. En outre, on pourrait nous reprocher un terme qui, à ce jour, n’est pas juridiquement défini.

Pour préserver la cohérence et la rigueur juridique du texte, j’émets un avis défavorable.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Mon groupe voit dans cette résolution un outil politique et non juridique. C’est le rôle de notre Assemblée d’émettre des messages politiques. Celui invitant le gouvernement à interpeller les Nations unies a du sens à nos yeux. Il n’est pas question, à ce stade, de discussions juridiques ni de tenir la plume, comme la France le fait souvent. Cet appel politique vise à enrichir la résolution afin que l’action de la France soit à la fois localisée et multilatérale.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. L’une n’exclut pas l’autre. La notion d’apartheid de genre figure déjà dans la proposition de résolution européenne. Votre amendement est donc satisfait.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE16 de M. Michel Guiniot

M. Nicolas Dragon (RN). L’alinéa que nous proposons de supprimer invite le gouvernement des États-Unis d’Amérique à maintenir des dispositifs de protection pour les femmes afghanes. Cette formulation semble inappropriée eu égard à notre cadre constitutionnel.

En vertu du premier alinéa de l’article 88-4 de la Constitution, le gouvernement soumet à l’Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l’Union européenne, les projets d’actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d’actes de l’Union européenne. C’est donc bien au gouvernement français qu’il appartient d’interagir avec les instances européennes, et non à celui des États-Unis d’Amérique. L’Assemblée nationale n’a pas à inviter le gouvernement des États-Unis dans une résolution européenne, au risque d’affaiblir la portée contraignante de notre constitution.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Votre remarque est pertinente. L’alinéa 21 – comme l’alinéa 27 – interpelle directement des gouvernements non européens, ce qui n’est pas conforme au cadre juridique d’une résolution européenne. Pour parfaire la rédaction et éviter toute ambiguïté, j’ai proposé au président de la commission de déposer deux amendements que nous allons examiner juste après. Je vous invite donc à retirer le vôtre.

M. Nicolas Dragon (RN). À la lumière des explications de la rapporteure, nous retirons l’amendement.

L’amendement est retiré.

Amendement AE27 de M. Bruno Fuchs et sous-amendement AE32 de M. Michel Guiniot, soumis à une discussion commune avec l’amendement AE17 de M. Michel Guiniot

M. le président Bruno Fuchs. J’ai déposé cet amendement à la demande de la rapporteure, qui ne pouvait matériellement pas le faire, faute d’avoir été officiellement désignée avant le début de l’examen du texte.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Cet amendement, rédactionnel, vise à insérer, après le mot : « Invite », les mots : « les institutions européennes, et en particulier la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à encourager ».

M. Nicolas Dragon (RN). Puisque vous en partagez l’esprit, pourquoi ne votez-vous pas l’amendement poursuivant un objet similaire du Rassemblement national ? Avez-vous peur de reconnaître que, même sur le plan technique, nous avons raison ?

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je ne suis pas à ce point dogmatique. Vous avez raison : une précision rédactionnelle était indispensable. Le président de la commission et moi avons fait le nécessaire. Je suis donc favorable à la rédaction de l’amendement AE27.

Pour le reste, une résolution européenne exprime la position de l’Assemblée nationale à l’intention des institutions de l’Union. Votre sous-amendement sort de ce périmètre.

De plus, une position européenne unifiée donnera au message une plus grande portée. Ajouter une adresse au gouvernement affaiblirait la lisibilité du texte ; demander une démarche bilatérale supplémentaire nuirait à la cohérence de l’ensemble.

Enfin, puisque la France invite les institutions européennes à adopter une position, elle ne pourra que s’y conformer elle-même. Les précisions que vous proposez d’ajouter sont donc superfétatoires.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de retirer votre sous-amendement.

M. Nicolas Dragon (RN). Sur le plan constitutionnel, il serait plus cohérent de demander au gouvernement d’inviter formellement le gouvernement des États-Unis à coopérer pour mettre en œuvre les dispositifs évoqués, dans la mesure où il s’agit d’un partenaire extérieur à l’Union européenne.

L’article 88-4 de la Constitution, qui fonde l’association du Parlement aux affaires européennes et formalise le rôle du gouvernement dans la transmission des textes européens, nous impose un cadre. L’article 151-5 du règlement de l’Assemblée nationale confirme que c’est la commission des affaires européennes qui suit les travaux concernés, dans le cadre d’un dialogue formel entre les institutions.

L’amendement AE17 vise à faire respecter les compétences de l’Assemblée nationale et à inciter le gouvernement français à prendre une initiative diplomatique.

La commission adopte successivement le sous-amendement AE32 et l’amendement AE27 sous-amendé.

En conséquence, l’amendement AE17 tombe.

Amendement AE11 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Je ne perdrai pas de temps à défendre cet amendement ni les suivants puisque la rapporteure a déjà arrêté ses réponses. Même l’amendement AE1, qui ne gênait personne et ne dévalorisait pas le texte, a reçu un avis défavorable.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je le redis, votre amendement est sans objet : la France n’a pas reconnu le régime des talibans comme gouvernement légitime de l’Afghanistan. À mon avis, ce n’est pas près de changer.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE13 de M. Jean-Paul Lecoq

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je partage l’intention de M. Lecoq. Son amendement vise ici à réaffirmer une position de principe sur un régime qui viole systématiquement les droits humains, notamment ceux des femmes et des filles, en invitant la France à condamner les reconnaissances des pays tiers. L’actualité lui donne un relief particulier : en acceptant les lettres de créance de l’ambassadeur des talibans, le 3 juillet, la Russie a officiellement reconnu leur gouvernement. D’autres pays entretiennent des relations diplomatiques pragmatiques avec le régime, sans toutefois le reconnaître. Il est donc essentiel de faire passer un message fort au seul pays à l’avoir reconnu car le processus est peut-être en cours ailleurs.

Pour ces raisons, j’émets un avis favorable sur cet amendement.

Mme Constance Le Grip (EPR). Nous voterons cet amendement. Il faut dire clairement que la reconnaissance du gouvernement des talibans est inacceptable. Kaboul a souligné tout de suite la décision de la Fédération de Russie, disant que c’était une très bonne chose. La République populaire de Chine l’a également saluée sans tarder.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Une nouvelle fois, la Fédération de Russie, par l’intermédiaire de son président Vladimir Poutine, révèle toute sa dimension terroriste ; je n’ai pas peur d’employer ce mot. Nous voterons également cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette successivement les amendements AE12, AE9 et AE8 de M. Jean-Paul Lecoq.

Amendement AE25 de M. Kévin Pfeffer

Mme Sylvie Josserand (RN). Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 25 qui invite le gouvernement à poursuivre sa politique d’accueil des femmes afghanes, ce qui est totalement irréaliste. Soutenir ces femmes et dénoncer les exactions du régime des mollahs ne permet pas à la France d’accueillir sans limite toutes les Afghanes qui voudraient l’être. Dans une publication de juin, l’Office français de l’immigration et de l’intégration explique que, après les Ukrainiens, les Afghans sont les demandeurs d’asile les plus nombreux. Il précise que le phénomène est « massif, récent, inattendu par son ampleur ».

Madame la rapporteure, vous avez indiqué qu’il n’était pas question d’accueillir 28 millions d’Afghanes en France mais, si toutes demandent l’accueil, l’alinéa 25 permettra de le leur accorder. Irréaliste, il affaiblit l’autorité de la PPRE et le crédit de notre Assemblée.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Le régime des mollahs est celui de l’Iran. Même si son idéologie est proche de celle des talibans, ce n’est pas la même chose. Attention aux approximations.

Par ailleurs, votre raisonnement est erroné, voire contradictoire. Vous dénoncez à juste titre les dérives d’un régime totalitaire islamiste, plus particulièrement ce qu’il fait subir aux femmes, pour mieux refuser toute solidarité avec ces dernières en disant qu’il n’est pas question de les laisser venir. Or votre opposition est sans fondement : ces femmes fuient la terreur islamiste qu’imposent les talibans et celles qui arrivent à nos frontières partagent largement nos valeurs et notre attachement profond à la République. Pour avoir rencontré certaines d’entre elles, je peux en témoigner.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AE26 de M. Sébastien Chenu et AE10 de M. Jean-Paul Lecoq soumis à une discussion commune

Mme Sylvie Josserand (RN). L’amendement AE26, de repli, vise à inviter le gouvernement non plus à « poursuivre sa politique d’accueil des femmes afghanes » mais à leur « manifester un soutien », ce qui sera plus approprié et réaliste. La rédaction actuelle crée une ambiguïté sur l’engagement de la France en matière d’accueil.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette successivement les amendements.

Amendement AE5 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Trop de femmes afghanes sont bloquées derrière la frontière de l’Afghanistan, notamment au Pakistan. Pour elles, le chemin qui mène à la demande d’asile en France est impossible à parcourir. Marie-George Buffet vous dirait que c’est le cas même pour celles qui appartiennent à des équipes sportives. On ne peut pas publier que nous sommes prêts à accueillir les femmes afghanes quand leur chemin est semé de tant d’embûches. Les délais sont longs. Dans les pays où elles attendent la réponse de la France, elles vivent dans la précarité, parfois exploitées. C’est la double peine : elles sont sorties d’Afghanistan pour trouver la paix mais leur vie est infernale. Si nous voulons sauver les femmes afghanes, il faut nous en donner les moyens.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Le dispositif de votre amendement concerne non seulement les femmes mais aussi les journalistes, les militants, les activistes et les familles des personnels et des auxiliaires de l’armée française. Or le texte est consacré aux violations des droits fondamentaux des femmes afghanes : adopter votre amendement élargirait considérablement son périmètre, ce que je ne souhaite pas.

Par ailleurs, des voies d’accès prioritaires existent déjà pour les Afghanes les plus menacées, notamment avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement AE3 de M. Jean-Paul Lecoq.

Amendement AE6 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Vous venez de voter contre un amendement visant à inviter le gouvernement à reconnaître systématiquement le statut de réfugié aux femmes et aux filles afghanes qui le demandent, alors que c’est l’exacte position de la France et que nous souhaitions l’inscrire dans la résolution européenne. C’est ballot !

Mme Caroline Yadan, rapporteure. L’amendement AE3 était satisfait.

L’amendement AE6, qui concerne les études, est également satisfait. Le ministère chargé de l’enseignement supérieur et Campus France ont déjà déployé des programmes spécifiques pour accueillir des étudiants afghans, en proposant notamment des bourses, des aides à la reprise d’études et un accompagnement social.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE2 de M. Jean-Paul Lecoq et sous-amendement AE29 de Mme Caroline Yadan

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Mon sous-amendement vise à adapter la rédaction de l’alinéa proposé dans l’amendement AE2 pour qu’il « Invite le gouvernement à faciliter le traitement des demandes de visa des femmes et filles afghanes en vue d’une demande d’asile, ainsi que celui de leur demande d’asile une fois sur le territoire ». Avec cette rédaction, il sera ainsi plus restrictif et conforme au droit en vigueur.

Mme Maud Petit (Dem). Qu’entendez-vous par « dans un délai raisonnable » ? Dans certaines préfectures, un tel délai est très difficile à définir.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Justement, le sous-amendement supprime cette expression qui n’est pas assez précise et ne veut pas dire grand-chose.

La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette successivement les amendements AE7 et AE4 de M. Jean-Paul Lecoq.

Amendement AE14 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Lorsque nous ne soutenons pas le gouvernement d’un pays, il faut néanmoins prendre en compte sa population. L’amendement AE8, déjà, tendait à le souligner. Celui-ci vise à inviter le gouvernement français à maintenir et à renforcer l’aide et l’action humanitaire auprès de la population afghane. Cela entre dans le cadre des dérogations que la Commission européenne prévoit. Évidemment, il faut veiller à ce que ces aides ne reviennent pas, par la bande, aux talibans et à les suspendre au moindre doute. D’ailleurs, les ONG qui mènent les actions humanitaires sont contrôlées.

Il s’agit donc d’affirmer que nous allons dans le même sens que la Commission européenne. On a le droit d’avoir un avis en France et s’il correspond en plus à celui de la Commission européenne, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. Tel qu’il est rédigé, l’alinéa 26 satisfait votre demande : il prévoit que la France, aux côtés de l’Union européenne, maintienne et renforce l’aide humanitaire. Nous n’avons pas besoin d’alourdir le texte par une rédaction sans plus-value juridique ni politique, d’autant que la caractérisation des principes de l’aide humanitaire est toujours susceptible d’évoluer. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE19 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement est purement technique. Je suis content de voir que le président de la commission a identifié le même problème que moi. Lors de l’examen préalable du texte par la commission des affaires européennes, madame la rapporteure, vous avez fait adopter l’amendement n° 6, afin d’affirmer la nécessité de protéger les Afghanes. Je vous rejoins : nous ne devons pas laisser réduire au silence ou condamner à mort celles et ceux qui défendent la liberté et l’égalité, sans leur tendre la main.

Toutefois, en vertu de l’article 88-4 de la Constitution, les résolutions européennes ne peuvent concerner que les projets d’actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d’actes de l’Union européenne. En application de l’article 151-1-1 du règlement de l’Assemblée nationale, les propositions de résolution européenne doivent relever d’un domaine couvert par l’activité de l’Union. Sauf erreur de ma part, tel n’est pas le cas des politiques des gouvernements de l’Iran et du Pakistan. L’Assemblée nationale n’a pas à encourager des gouvernements étrangers.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. La question du périmètre juridique que vous soulevez est pertinente. L’amendement AE28 tend à y répondre en modifiant la rédaction de l’alinéa 27. Je vous propose de retirer votre amendement à son profit.

L’amendement est retiré.

Amendement AE28 de M. Bruno Fuchs et sous-amendement AE31 de M. Michel Guiniot, amendement AE18 de M. Michel Guiniot soumis à une discussion commune

M. Michel Guiniot (RN). J’imagine la réaction du gouvernement français si la Verkhovna Rada ou le Bundestag se mêlaient de sa façon de gérer le pays. C’est une question de souveraineté et de séparation des pouvoirs autant que de respect et de diplomatie.

Le sous-amendement vise ici à inscrire l’alinéa 27 dans la continuité des alinéas 22 à 26 : l’Assemblée nationale interpelle aussi bien le gouvernement de la République française que les institutions européennes. Comme le Rassemblement national, elle s’oppose à toutes les persécutions et ne peut qu’inviter le gouvernement à agir à leur encontre.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. J’émets un avis défavorable sur le sous-amendement.

La commission adopte successivement le sous-amendement AE31 et l’amendement AE28 sous-amendé.

En conséquence, l’amendement AE18 tombe.

Amendement AE15 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). L’alinéa 27 cite des pays qui expulsent des femmes afghanes. L’Allemagne ayant annoncé qu’elle ferait de même, ce qui a provoqué l’indignation de l’ONU le 4 juillet, nous vous proposons de mettre à jour la proposition de résolution européenne.

Mme Caroline Yadan, rapporteure. C’est tout à fait inapproprié. Il y a une différence fondamentale entre la politique de l’Allemagne et celle du Pakistan, par exemple. Ce dernier a procédé à des expulsions de masse, systématiques, fondées sur la nationalité. En revanche, l’Allemagne, qui fait partie de l’Union européenne – je ne vous l’apprends pas –, a reconduit à la frontière un nombre limité de personnes condamnées à l’issue de procédures équitables. Ce n’est pas parce qu’on a la nationalité afghane que l’on ne peut pas être condamné. C’est ce que nous faisons qui compte, non ce que nous sommes. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

La commission adopte le texte de la proposition de résolution européenne modifié.

L’ensemble de la proposition de résolution est ainsi adopté.

 

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Information relative à la commission

En ouverture de sa réunion, la commission désigne :

        Mme Caroline Yadan, rapporteure de la proposition de résolution européenne visant à condamner la politique de ségrégation imposée aux femmes afghanes par le régime des Talibans et à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux atteintes à leurs droits fondamentaux (n° 1572).

 

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La séance est levée à 18 h 30.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Bertrand Bouyx, M. Alain David, M. Nicolas Dragon, M. Bruno Fuchs, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Emmanuelle Hoffman, Mme Sylvie Josserand, Mme Amélia Lakrafi, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Mazaury, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, Mme Natalia Pouzyreff, M. Pierre Pribetich, Mme Marie-Ange Rousselot

 

Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Eléonore Caroit, M. Olivier Faure, M. Perceval Gaillard, Mme Brigitte Klinkert, Mme Marine Le Pen, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa