Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Communication, ouverte à la presse, sur le déplacement effectué par une délégation de la commission à Nice à l’occasion de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan,
du 8 au 10 juin 2025....................................2
Mercredi
9 juillet 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 83
session ordinaire 2024-2025
Présidence
de Mme Eléonore Caroit,
Vice-présidente
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La commission entend une communication, ouverte à la presse, sur le déplacement effectué par une délégation de la commission à Nice à l’occasion de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, du 8 au 10 juin.
La séance est ouverte à 11 h 10.
Présidence de Mme Eléonore Caroit, vice-présidente.
Mme Eléonore Caroit, présidente. Je me réjouis de présider cette séance consacrée à un sujet qui me tient particulièrement à cœur et que nous abordons régulièrement au sein de cette commission des affaires étrangères : la protection des océans et de la biodiversité marine.
Notre ordre du jour prévoit en effet la présentation d’une communication sur la participation d’une délégation de membres de notre commission à la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, l’UNOC°3, qui s’est tenue à Nice du 9 au 13 juin 2025. Cette conférence, co-organisée par la France et le Costa Rica, avait pour objectif d’accélérer l’action et de mobiliser tous les acteurs pour la conservation et l’utilisation durable de l’océan.
Cet événement a rassemblé des dirigeants du monde entier, des scientifiques, des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) et des acteurs du secteur privé dans ce magnifique espace de la zone verte dénommé La Baleine, afin de débattre des enjeux cruciaux liés à la protection et à l’utilisation durable des océans.
Plusieurs membres de notre commission ont participé à cette conférence : Mmes Alexandra Masson, Pascale Got, Sabrina Sebaihi, Liliana Tanguy, mais également MM. Hervé Berville, Pierre-Yves Cadalen, Jean-Louis Roumégas et notre président Bruno Fuchs. Nous avons assisté à la cérémonie d’ouverture, participé à divers entretiens et réunions et avons eu un échange convivial avec le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
J’ai personnellement lancé le Parlement de la mer et vous invite vivement à le rejoindre si cela n’est pas déjà fait. L’ambition n’est pas de limiter cette initiative à une seule édition mais de pérenniser ce Parlement de la mer lors des prochaines conférences des parties sur l’océan ou « COP océan », comme nous l’espérons prochainement.
Plusieurs personnalités éminentes ont participé à ce sommet, notamment Paul Watson et les ministres français en charge de la transition écologique et des partenariats internationaux. Cet événement a permis de constituer une coalition interparlementaire au sein du Parlement de la mer, regroupant actuellement une centaine de parlementaires issus de vingt pays différents et représentant 1,3 milliard d’habitants. Ces échanges ont initié des discussions substantielles sur plusieurs thématiques, sur lesquelles certains de nos collègues sont déjà fortement impliqués, notamment la question du transport vélique avec M. Jimmy Pahun ou celle de la pollution plastique portée par M. Philippe Bolo.
L’objectif de notre réunion de ce matin est de recueillir les impressions de nos collègues qui se sont rendus à Nice pour cette conférence. Je me réjouis personnellement que la commission des affaires étrangères puisse désormais participer à des conférences onusiennes pendant leur déroulement, ce qui n’était pas systématique auparavant, car il est essentiel d’être au cœur de l’action au moment où celle-ci se déroule. Je suis particulièrement intéressée par les retours de nos collègues sur les différentes séquences auxquelles ils ont participé puisque nos délégations se déplacent habituellement pour des événements tels que les COP sur le climat, mais généralement avec un décalage temporel qui ne nous permet pas de participer aux cérémonies d’ouverture et à d’autres moments clés.
Le One Ocean Summit (OOS) constitue un événement international majeur et notre pays peut s’honorer de l’avoir accueilli. Plusieurs engagements ont été pris et sont en cours de concrétisation, notamment concernant la ratification de l’accord international sur la haute mer, sujet sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
Je vais à présent vous communiquer la présentation préparée par notre collègue Hervé Berville, malheureusement retenu ce matin, concernant le milieu maritime comme porteur de richesses.
Le milieu maritime est particulièrement fragile car convoité et exploité pour ses nombreuses richesses. Selon l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’économie bleue représente 2 600 milliards de dollars de valeur ajoutée brute en 2020. La seule région méditerranéenne, avec ses 46 000 kilomètres de côtes et ses ressources marines uniques, génère une valeur économique annuelle de 450 milliards de dollars. Avec 2,8 % de croissance annuelle moyenne sur ces vingt-cinq dernières années, l’économie bleue progresse plus rapidement que l’économie mondiale. La taille du secteur a ainsi doublé entre 1995 et 2020. Néanmoins, le nombre de personnes qu’elle emploie, évalué à près de 100 millions, demeure relativement stable. Parmi ces travailleurs, 60 millions exercent une activité liée soit à la pêche, soit à l’aquaculture, majoritairement dans les pays en développement. Par ailleurs, plus de 600 millions de personnes dépendent de la production halieutique pour leur subsistance et plus de 3,2 milliards de personnes en tirent près de 20 % de leur apport moyen en protéines animales. La soutenabilité des ressources halieutiques s’avère donc primordiale pour garantir une croissance à long terme.
Toutefois, l’expansion de l’effort de pêche au cours des cinquante dernières années, associée à des pratiques non durables, a provoqué l’effondrement de nombreux stocks de poissons, tels que les petits pélagiques au large des côtes du Sénégal et de la Mauritanie, mettant en péril les moyens de subsistance des communautés qui en dépendent. Aujourd’hui, 35,4 % des stocks de poissons sont biologiquement surexploités, tandis que 57,3 % sont exploités à un niveau durable maximal, proche de la surexploitation. La pêche illicite non déclarée et non réglementée (INN), ou pêche illégale, contribue à la surpêche et constitue une concurrence déloyale pour les pêcheurs respectueux des réglementations.
Pour remédier à cette situation, le fonds mondial pour la nature soutient la création d’aires marines protégées (AMP), définies comme des volumes d’eau de mer où sont déterminés des objectifs spécifiques de conservation des espèces. Les AMP engendrent des bénéfices économiques et environnementaux à double dividende, d’abord en favorisant les services écosystémiques rendus par la préservation de la biodiversité puis en augmentant le rendement des pêches sur le long terme grâce à la reconstitution durable des stocks. En France, le parc naturel marin d’Iroise dans le Finistère, premier parc naturel marin français, créé en 2007 et particulièrement riche en espèces d’algues, a permis l’exploitation durable des ressources par la mise en place de techniques de récolte responsables aboutissant à une labellisation biologique.
Les enjeux stratégiques liés à l’approvisionnement en ressources critiques suscitent également l’intérêt des grandes puissances pour les fonds marins. Les convoitises se portent notamment sur les nodules polymétalliques riches en nickel, cobalt, cuivre et manganèse, qui sont perçus comme une alternative prometteuse pour l’approvisionnement en métaux critiques face à l’augmentation de la demande mondiale liée aux nouvelles technologies, notamment les véhicules électriques, l’armement ou encore les télécommunications. Un rapport du Sénat datant de 2012 estimait que les terres rares présentes au fond du Pacifique pourraient représenter plus de 30 milliards de tonnes, alors que les réserves terrestres actuelles sont évaluées à seulement 110 millions de tonnes. Cette abondance ne justifie cependant pas leur exploitation.
La France s’oppose d’ailleurs fermement à cette exploitation car les grands fonds marins constituent des espaces extrêmement fragiles abritant des écosystèmes riches et uniques, dont l’étude s’avère particulièrement féconde pour la recherche scientifique, notamment autour des ressources hydrothermales. Outre l’intérêt environnemental évident de ces écosystèmes, certaines espèces ont développé des stratégies d’adaptation à des conditions de vie difficiles qui pourraient trouver des applications dans les domaines médical, industriel et cosmétique. Durant la pandémie de coronavirus, 10 % des tests de réaction en chaîne par polymérase (PCR) contenaient ainsi des molécules marines provenant des grands fonds. L’industrie pharmaceutique allemande dispose déjà de nombreux brevets sur ces ressources marines susceptibles d’applications dans l’élaboration de produits anticancéreux, antidouleurs, antibiotiques et antioxydants. Ces ressources apparaissent particulièrement prometteuses, davantage encore que les molécules terrestres.
Actuellement, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), dont le siège se trouve en Jamaïque et qui fut créée en 1994, ne délivre aucun permis d’exploitation commerciale. L’année 2025 pourrait toutefois marquer un tournant décisif et potentiellement préjudiciable, d’une part en raison du changement de gouvernance à la tête de l’AIFM avec la nomination de Leticia Carvalho, océanographe et diplomate brésilienne affichant une sensibilité accrue pour les enjeux environnementaux, au poste de secrétaire générale, et d’autre part parce que les États-Unis ont récemment réaffirmé leur volonté d’initier rapidement l’exploitation commerciale, relançant ainsi le débat sur ce sujet particulièrement controversé.
Deux camps s’affrontent aujourd’hui clairement : d’un côté, des États comme la France appellent à une interdiction complète ou à un moratoire de l’exploitation minière des fonds marins et, de l’autre, plusieurs pays en développement, notamment des petits États insulaires du Pacifique comme Nauru ou Tonga, y voient une opportunité économique et un levier potentiel de développement. La France a d’ailleurs, pendant la conférence de Nice, réuni les pays membres de cette coalition opposée à l’exploitation minière des fonds marins pour réaffirmer leur détermination et exposer les fondements de leur opposition.
Dans le cas français, l’ensemble de ces enjeux revêt une importance particulière, puisqu’avec près de 11 millions de kilomètres carrés d’espace maritime, notre pays dispose du deuxième domaine maritime mondial. À la différence de l’espace maritime américain, qui occupe le premier rang mondial, le domaine français bénéficie d’une présence sur tous les océans, ce qui renforce considérablement son importance stratégique, économique et culturelle. La France partage près de 22 860 kilomètres de frontières marines avec trente États. L’espace maritime français et la zone économique exclusive (ZEE) qui en découle sont très majoritairement portés par les territoires ultramarins, représentant environ 96 % de la ZEE et concentrant près de 80 % de la biodiversité nationale.
Ces chiffres illustrent l’importance cruciale que revêt pour notre pays la protection des océans, aujourd’hui soumis à des pollutions aux conséquences particulièrement inquiétantes.
Mme Alexandra Masson, rapporteure. Nous pouvons tout d’abord nous réjouir d’avoir accueilli cette conférence internationale dans mon département des Alpes-Maritimes. Cet événement a représenté une formidable plus-value pour notre territoire, malgré certaines contraintes pour la population. Avoir pu organiser un événement de cette envergure à Nice représente une véritable fierté.
J’aborderai la question de la pollution plastique, sujet particulièrement critique que j’ai d’ailleurs évoqué lors de ma rencontre avec la ministre de l’écologie du Liban, qui s’apprête à ratifier l’accord sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (Marine Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction ou BBNJ). L’écosystème maritime se trouve aujourd’hui extrêmement menacé par la pollution plastique et nos rencontres avec de nombreux scientifiques lors de l’UNOC confirment la gravité préoccupante de la situation.
La pollution plastique représente actuellement la forme la plus répandue et la plus alarmante de pollution marine à l’échelle mondiale. Chaque année, entre 9 et 14 millions de tonnes de plastique se déversent dans les océans. Cette pollution se manifeste sous forme de déchets appelés macroplastiques, tels que sacs, filets de pêche ou emballages, ingérés par les animaux marins, perturbant ainsi les chaînes alimentaires et, par extension, nos propres organismes. Le problème s’aggrave avec la fragmentation de ces déchets en nanoplastiques, issus notamment des textiles ou des cosmétiques. Ces particules, invisibles à l’œil nu, s’infiltrent dans les organismes vivants et s’y accumulent, provoquant une bioaccumulation.
L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) souligne l’omniprésence désormais constatée des plastiques, depuis la surface des océans jusqu’aux abysses. Cette menace s’avère particulièrement critique en Méditerranée, mer la plus polluée au monde par les plastiques puisqu’environ 570 000 tonnes y sont déversées chaque année, ce qui représente approximativement 7 % de la pollution plastique mondiale des océans. Actuellement, quelque 230 000 tonnes de plastique flottent à sa surface.
La Méditerranée concentre une forte densité de population côtière, un trafic maritime intense et une activité touristique majeure, facteurs qui accentuent sa vulnérabilité. Bien que la partie occidentale de cette mer soit moins polluée grâce à des mesures plus strictes, la situation demeure très préoccupante dans sa partie orientale, comme j’ai pu le constater lors de mon déplacement au Liban, où les déchets plastiques envahissent littéralement les côtes. Sa configuration géographique semi-fermée favorise l’accumulation des déchets plutôt que leur dispersion naturelle, complexifiant leur élimination et aggravant la concentration de matières polluantes.
Ce phénomène trouve une résonance particulière dans les territoires ultramarins où plus de 80 % des déchets marins collectés sont constitués de plastiques. Les effets de ces pollutions s’intensifient par l’insularité, limitant les capacités de gestion des déchets, tandis que les courants marins transportent jusqu’aux côtes les plastiques issus d’autres continents. Ces pollutions menacent directement le riche patrimoine maritime et aquatique de ces espaces – lagons, récifs coralliens, mangroves – abritant souvent des espèces endémiques fragiles pour lesquelles l’ingestion de plastiques s’avère fatale.
Les conséquences de cette pollution ne se limitent pas aux écosystèmes marins, puisque la santé humaine constitue également un enjeu majeur. Une étude publiée en 2019, qui a suscité un important retentissement médiatique, alertait sur le fait que nous ingérons annuellement une quantité de matière plastique équivalente à celle d’une carte de crédit. Ce phénomène ne cesse de s’amplifier et, si les tendances actuelles se maintiennent, les océans pourraient contenir d’ici 2050 davantage de plastique que de poissons en termes de poids. Plus alarmant encore, la masse totale de plastique présente en mer pourrait représenter deux fois celle de l’ensemble des mammifères vivants.
Aux dangers de la pollution plastique s’ajoute une pollution chimique, moins visible mais tout aussi destructrice. Celle-ci provient principalement des rejets agricoles – pesticides et nitrates – mais également des activités industrielles déversant dans les eaux des métaux lourds, hydrocarbures ou résidus médicamenteux. Ces substances atteignent la mer par ruissellement des rivières ou directement à travers les canalisations. Une fois en milieu marin, elles exercent des effets toxiques sur la faune, s’accumulent dans les tissus des poissons et altèrent les fonctions biologiques des organismes marins.
Certains de ces composés agissent comme perturbateurs endocriniens, interférant avec le système hormonal des organismes marins et compromettant leurs fonctions biologiques essentielles telles que la croissance, la reproduction ou le développement. À long terme, ces perturbations engendrent des malformations, une baisse de fertilité, voire la mortalité des espèces, menaçant ainsi l’équilibre des écosystèmes et, par extension, la biodiversité marine dans son ensemble.
Cette pollution affecte particulièrement la biodiversité des territoires d’outre-mer. La moitié des substances chimiques évaluées présente un risque écologique élevé pour des territoires comme la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte ou La Réunion. Les récifs coralliens se trouvent également directement menacés par cette pollution chimique.
Dans ce contexte une conférence comme l’UNOC°3 a suscité de légitimes espoirs, mais nous ne devons pas nous arrêter à ce stade. Le combat contre les microplastiques doit se poursuivre et la prochaine COP sur le climat au Brésil constituera une occasion importante de remettre ces sujets au cœur des discussions internationales.
Mme Eléonore Caroit, présidente. La COP30, qui se tiendra au Brésil en novembre, revêt effectivement une importance particulière puisqu’elle marquera les dix ans des accords de Paris. Son organisation à Belém, en bordure de l’Amazonie, lui confère une symbolique forte et je souhaite que notre commission puisse constituer une délégation pour cet événement.
M. Jean-Louis Roumégas, rapporteur. J’interviens ici en remplacement de Pascale Got, qui ne peut être présente ce matin.
La France dispose du deuxième espace maritime mondial et s’engage depuis longtemps pour la protection des océans. Notre pays a souhaité faire de cette troisième conférence des Nations unies sur l’océan un événement ambitieux et fédérateur, mobilisant l’ensemble des acteurs maritimes autour de la conservation océanique. Cette conférence s’inscrivait dans le prolongement de plusieurs initiatives menées par la France ces dernières années pour développer une véritable diplomatie maritime dynamique, pleinement intégrée à la politique environnementale internationale.
L’organisation du One Ocean Summit à Brest en février 2022 témoignait déjà de cet engagement. La France a également joué un rôle décisif dans l’aboutissement des négociations ayant permis l’élaboration de l’accord BBNJ, texte majeur pour l’avenir des océans. L’Assemblée nationale a œuvré activement en ce sens, d’abord en adoptant, à l’unanimité le 25 novembre 2021, la proposition de résolution 4528 pour la conservation et l’utilisation durable de l’océan présentée par Maina Sage et Jimmy Pahun, puis en adoptant, également à l’unanimité, le projet de loi autorisant la ratification de l’accord sur la haute mer. Notre vice-présidente, Eléonore Caroit, a poursuivi ces efforts, comme certains d’entre vous, pour encourager nos partenaires à ratifier rapidement cet accord et assurer sa mise en œuvre.
Dans ce contexte, les objectifs fixés par la France et le Costa Rica à l’occasion de l’UNOC°3 étaient particulièrement ambitieux : premièrement, accélérer l’action et mobiliser tous les acteurs, notamment les gouvernements, les organisations internationales, la société civile, le secteur privé et les communautés locales ; deuxièmement, mobiliser des sources de financement pour soutenir la conservation et l’utilisation durable des océans, des mers et des ressources marines afin de promouvoir une économie bleue durable ; troisièmement, renforcer et diffuser les connaissances scientifiques marines pour améliorer la prise de décision politique.
L'événement s'est structuré autour de séances plénières et de dialogues interactifs, complétés par des événements parallèles. Les séances plénières ont permis aux États membres d’exprimer leur engagement pour l’océan. Les dialogues interactifs, dénommés Ocean Action Panels, ont favorisé la mobilisation des différents acteurs et le lancement de projets concrets pour la protection de l’océan. En parallèle du volet onusien, plusieurs événements et activités ont été organisés pour sensibiliser et mobiliser le grand public. Des conférences, expositions et projections gratuites se sont ainsi tenues, notamment dans la zone accessible La Baleine, pour découvrir et protéger l’océan en 2025. Par ailleurs, une flotte de bateaux du monde entier – historique, scientifique ou de recherche océanographique –, la « flotte des merveilles de l’océan », a été accueillie dans le port de Nice pour servir de lieu de médiation et de présentation de leurs activités au grand public.
Plus grand sommet jamais organisé sur la question de l’océan en termes de représentation politique à haut niveau et de participation d’acteurs divers, l’UNOC°3 a constitué un succès diplomatique et populaire. La conférence a suscité une mobilisation sans précédent pour la protection des océans, avec 175 États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) représentés, 64 chefs d’État et de gouvernement, 28 responsables d’organisations onusiennes, intergouvernementales et internationales, 115 ministres, 12 000 délégués et près de 130 000 visiteurs venus assister à plus de 1 000 événements.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je tiens à souligner le grand intérêt que représentait pour moi la participation à cette délégation. Cette expérience s’est révélée absolument passionnante et les auditions que nous avons menées au titre de cette délégation étaient particulièrement enrichissantes.
Dans un contexte marqué par une remise en question du multilatéralisme et des préoccupations environnementales, la tenue de l’UNOC°3 a constitué une initiative forte rappelant l’importance de la coopération et de la concertation, ainsi que la place cruciale de la science qui doit demeurer au cœur des décisions internationales.
L’un des événements majeurs de cette troisième conférence des Nations unies a d’ailleurs été l’organisation du One Ocean Science Congress en marge de la session officielle. Placé sous le signe de l’action, sa coprésidence a été assurée par François Houllier, président-directeur général de l’Ifremer, et Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), sous la supervision des présidents de l’UNOC°3, Olivier Poivre d’Arvor et Gina Guillen Grillo. Ce congrès a rassemblé des chercheurs, des représentants d’ONG, des institutions universitaires et des centres de recherche de premier plan, permettant ainsi de consolider une nouvelle forme de gouvernance fondée sur l’interface entre la science et les responsables politiques.
À l’issue de ce congrès, ses membres ont transmis aux décideurs politiques réunis lors de la conférence des recommandations transversales sur le lien entre science et politique afin de les soutenir dans la gestion des défis mondiaux liés à l’océan, ainsi que sur les solutions nécessaires pour y faire face. Un congrès similaire se réunira en 2028 pour évaluer la prise en compte des recommandations faites aux chefs d’État et de gouvernement.
Je rappelle à ce titre que notre Assemblée a voté, le 2 avril dernier, à l’unanimité des suffrages exprimés, une proposition de résolution portant sur la création d’un Institut Océan de l’Université des Nations unies. Cette initiative s’inscrit pleinement dans ce double objectif de défense du multilatéralisme et de la science, et nous espérons sa concrétisation rapide.
L’UNOC°3 s’est conclue par plusieurs résultats et engagements significatifs. L’une de ses principales réussites est sans conteste le soutien croissant apporté à la ratification de l’accord BBNJ sur la biodiversité au-delà des juridictions nationales, qui vise à encadrer l’exploitation et la protection de la haute mer représentant plus de 60 % de l’océan mondial.
Avant la conférence, seuls trente-deux pays avaient déposé leur instrument de ratification alors que soixante ratifications sont nécessaires pour la mise en œuvre de l’accord. La conférence a joué un rôle catalyseur, permettant à de nombreux États de formaliser ou d’annoncer leur intention de ratifier l’accord dans les mois à venir. À la clôture de l’UNOC°3, nous comptabilisons désormais cinquante-et-une ratifications, dont dix-neuf nouvelles officialisées durant ou immédiatement après l’événement. Nous espérons que les ratifications manquantes seront annoncées d’ici la prochaine Assemblée générale des Nations unies, permettant ainsi à cet accord d’entrer en vigueur avant la fin de l’année 2025 ou, au plus tard, en janvier 2026.
Parallèlement, vingt États ayant à la fois ratifié l’accord BBNJ et soutenant le moratoire sur l’exploitation des fonds marins s’apprêtent à constituer un groupe de pionniers dans l’objectif de mobiliser la communauté internationale autour d’une gouvernance ambitieuse de l’océan. Ils prévoient notamment de faire converger les différentes agences spécialisées et organisations affiliées des Nations unies, y compris à l’échelle régionale – comme les organisations régionales de gestion des pêches et les conventions de mer régionales –, vers un objectif de protection maritime renforcée.
La déclaration politique de Nice, adoptée le dernier jour de l’UNOC, réaffirme avec force l’objectif de protéger 30 % des zones marines et côtières d’ici 2030, conformément à l’engagement pris lors de la COP15 de la convention pour la diversité biologique. La France se distingue par sa volonté d’instaurer des aires marines protégées à haut niveau de protection, limitant strictement les activités de pêche à l’usage de quelques types d’engins autorisés, bien que ce sujet demeure controversé.
De même, plus de 800 engagements volontaires ont été pris par des États, des scientifiques, des agences onusiennes et des acteurs de la société civile, reflétant l’ampleur de la crise océanique et la nécessité d’une action urgente. De nouveaux États, tels que la Côte d’Ivoire et la Belgique, se sont engagés à garantir des conditions de travail décentes pour les travailleurs du secteur de la pêche en endossant la convention sur le travail de la pêche, adoptée en 2007 par l’Organisation internationale du travail (OIT), portant ainsi le nombre d’États parties à vingt-quatre. Une campagne internationale de ratification de cette convention a notamment été lancée le 8 juin par le Royaume-Uni, la France et l’OIT.
En matière scientifique et dans le prolongement du sommet sur l’intelligence artificielle organisé par la France en février dernier, la coalition pour une intelligence artificielle écologiquement durable s’est élargie pour inclure un volet consacré à l’océan. Cette initiative réunit des acteurs de premier plan dans les domaines des technologies de l’information et de la communication, de la Bluetech et de la recherche océanographique. L’intelligence artificielle permet de modéliser la pollution plastique marine, d’anticiper l’érosion côtière et d’optimiser les itinéraires maritimes pour réduire les émissions du secteur. Son utilisation doit être intensifiée, tout en veillant à contrôler son empreinte environnementale.
Des engagements financiers significatifs ont également été annoncés dans le cadre du sommet de l’UNOC 3, puisqu’un total de 8,6 milliards d’euros d’investissements a été promis pour les cinq prochaines années par des philanthropes, des investisseurs privés et des banques publiques en soutien à une économie bleue durable. Parallèlement, la Commission européenne s’engage à hauteur de 1 milliard d'euros pour soutenir la conservation des océans, la science et la pêche durable dans le cadre du Pacte européen pour l’océan, présenté le 9 juin dernier par sa présidente. D’autres pays, comme l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande, ont annoncé des engagements financiers complémentaires.
La France a manifesté son soutien à plusieurs initiatives, dont certaines concernent spécifiquement ses territoires insulaires. Elle a ainsi annoncé que Mayotte pourra engager formellement les démarches pour obtenir le classement de sa double barrière de corail, dont le lagon est le deuxième plus grand au monde, au patrimoine mondial naturel de l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Le président de la République a également assisté au sixième sommet Pacifique-France, qui s'est tenu le 10 juin en marge de l’UNOC. Dix chefs d’États et de gouvernements du Pacifique étaient réunis en présence des représentants ministériels de l’ensemble des membres du Forum des îles du Pacifique et des organisations régionales, ainsi que des présidents du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie Française et de l’Assemblée territoriale de Wallis et Futuna. Ce sommet a permis de mettre en valeur l’apport exceptionnel des États insulaires du Pacifique à la préservation de l’océan. Le président de la République a annoncé à cette occasion une contribution de la France de 2 millions d'euros à la Pacific Resilience Facility du Forum des îles du Pacifique dans sa phase de capitalisation.
M. Jean-Louis Roumégas, rapporteur. Je vais à présent m’attarder sur plusieurs déceptions. Nous avons salué l’importance de l’événement mais, face aux attentes initiales, nous constatons des résultats décevants, tant au niveau international que spécifiquement pour la France.
La première déception concerne le manque d’ambition sur la question des pollutions plastiques car, si le constat est largement partagé, les solutions peinent à se concrétiser. Malgré les alertes du milieu associatif et l’engagement affiché des États sur la pollution plastique, ces engagements relèvent pour l’instant essentiellement du symbole. Certes, l’UNOC°3 a concrétisé l’appel d’une coalition de quatre-vingt-seize signataires pour un traité ambitieux contre les plastiques en mer. Cette déclaration commune prend en compte le cycle de vie complet du plastique et exige de réduire sa production, d’encadrer juridiquement sa conception et d’interdire certaines substances chimiques. Cependant, cet appel demeure non contraignant et n’engage en rien ses signataires. Il constitue simplement un moyen de pression pour défendre les positions d’une coalition d’États ambitieux face à ceux qui s’opposent à la réduction de la production plastique et aux autres contraintes mentionnées. Des États tels que l’Arabie saoudite et la Chine, premier producteur mondial de plastique, ne figurent pas, en toute cohérence, parmi les signataires de cet appel, qui n’élargit donc pas le consensus politique existant.
Une partie du monde associatif et scientifique se montre également prudente face aux mesures annoncées concernant les aires marines protégées. En particulier, concernant spécifiquement la France et sa zone métropolitaine, l’engagement de porter à 4 % la part des eaux métropolitaines classées en protection forte d’ici 2026 suscite des réserves. Malgré les préconisations du Fonds mondial pour la nature, qui vise à interdire tout type de pêche intensive au sein des aires marines protégées, la France défend toujours une approche au cas par cas, saluée par le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, en fonction des zones considérées.
Si l’interdiction du chalutage de fond constitue une annonce positive de la part de la France, elle devrait s’étendre à d’autres pratiques préjudiciables, telles que la pêche à la senne, pour garantir une protection effective de la biodiversité. L’association Bloom a également souligné que, sur une grande partie de ces zones, la pêche au chalut est déjà interdite, réduisant de fait les conséquences concrètes d’une telle annonce. Au-delà de ces aires de protection, la France maintient une large activité de pêche artisanale, avec 14 % de ses navires de pêche constitués de chalutiers, ce qui en fait le troisième État le mieux doté en chalutiers dans l’Union européenne.
Un point d’alerte particulièrement préoccupant concerne le manque d’harmonisation, y compris à la seule échelle européenne, des critères de définition des aires marines protégées, au risque de favoriser l’effet d’annonce et l’asymétrie concurrentielle aux dépens d’une protection effective. Je rappelle que les préconisations des scientifiques et la norme internationale visent 30 % d’aires marines protégées, à l’intérieur desquelles 30 % de zones à protection renforcée sont nécessaires. Ces zones à protection renforcée impliquent – selon les critères scientifiques – zéro extraction, tandis que dans les zones simplement protégées, seule une extraction de type durable devrait être autorisée, c’est-à-dire une pêche artisanale. Force est de constater que même les zones fortement protégées à la française dans les eaux métropolitaines n’atteignent pas le niveau des zones simplement protégées selon les préconisations mondiales.
Sur le plan financier, certains pays en développement jugent également décevants les engagements formulés. Les petits États insulaires en développement ont en effet réclamé une formulation plus ferme concernant les pertes et dommages causés par le changement climatique qui dépassent leur capacité d’adaptation, sans obtenir de garantie en ce sens. Enfin, le contexte politique international a pesé sur l’organisation de cette conférence, notamment en raison de l’absence de certains grands pays. Outre l’absence d’une délégation américaine de haut niveau, l’ordonnance signée par le président Trump pour lancer une mission de protection minière dans les grands fonds marins a représenté un véritable point de crispation.
Concernant les perspectives et les prochaines étapes, le défi majeur réside désormais dans la mise en œuvre effective des engagements pris lors de cette conférence, notamment pour atteindre les cibles de l’objectif de développement durable (ODD°14) d’ici cinq ans. Les États, les ONG et le secteur privé joueront tous un rôle crucial dans la poursuite des objectifs de protection des océans. À cet égard, l’initiative de notre vice-présidente de constituer une coalition interparlementaire pour la protection des océans, concrétisée par le Parlement de la mer lors du sommet interparlementaire organisé le 8 juin, revêt une importance capitale. Je suis convaincu que cette démarche prospérera et contribuera à inscrire la dynamique de Nice dans la durée. Les prochaines COP sur le climat et la biodiversité, le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la COP1 de l’océan prévue d’ici 2026, ainsi que la quatrième conférence sur l’océan co-organisée par le Chili et la Corée du Sud en 2028, constitueront des étapes déterminantes sur ce chemin.
Dans cette perspective, nous devrons accorder une attention particulière, après l’échec du précédent cycle de discussions à Busan, aux négociations qui se tiendront du 5 au 14 août 2025 à Genève sur le traité d’interdiction ou de limitation de la production de plastique. Il est fondamental que, sur ce sujet comme sur tous ceux liés à l’océan, la France maintienne une position ambitieuse et responsable, à l’image de son engagement tout au long du sommet de Nice.
Mme Eléonore Caroit, présidente. Vous l’avez compris, cette conférence a été une véritable réussite, non pas uniquement parce qu’elle s’est tenue en France, dans la très belle ville de Nice, mais parce qu’elle a permis d’inscrire la question des océans à l’agenda politique du dialogue international et de la gouvernance mondiale. Longtemps considéré comme un sujet essentiellement technique, l’océan était rarement abordé dans le cadre de nos travaux. Nous prenons désormais conscience qu’il pourrait bien constituer l’enjeu le plus déterminant de notre époque.
Régulateur majeur du climat, l’océan est aujourd’hui gravement menacé mais tous les États ne partagent pas notre approche en matière de protection de la biodiversité marine et de préservation des écosystèmes océaniques. C’est pourquoi je me réjouis que la France ait su porter une parole forte tout au long de ce sommet.
Vous avez d’ailleurs, à l’occasion de cette communication, mis en lumière avec justesse les points de vigilance, les améliorations attendues et les enjeux à poursuivre lors des prochains rendez-vous internationaux. Ces grandes rencontres suscitent souvent une forme de frustration car, malgré les avancées indéniables qu’elles permettent, elles révèlent aussi l’ampleur des défis qu’il nous reste à relever. Ce que je retiens avant tout de ce sommet, c’est sa portée éminemment politique, avec la participation de nombreux chefs d’État et de gouvernement et les engagements qu’ils ont pris. Pour ne citer qu’un seul exemple, l’accélération des signatures et ratifications de l’accord sur la haute mer durant ces trois jours – avec dix-neuf ratifications enregistrées à Nice – illustre parfaitement l’importance d’un momentum politique fort pour faire progresser ces enjeux essentiels.
Je vais à présent donner successivement la parole à celles et ceux des collègues qui souhaitent réagir à la communication qui vient de nous être présentée, avant que les rapporteurs ne répondent puis que nous nous prononcions par un vote sur une publication sous forme de rapport d’information.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Je tiens à remercier nos collègues pour la production de ce rapport. La tenue de l’UNOC à Nice a constitué pour nos groupes parlementaires un motif de fierté considérable car nous faisons de la mer un élément central de notre programme politique, avec plusieurs dizaines de propositions visant à engager la France vers cette nouvelle frontière de l’humanité qui représente, à nos yeux, un bien commun essentiel. Je constate que cet objectif est largement partagé par les intervenants à cette tribune car nous sommes tous convaincus que l’avenir industriel, écologique et économique de notre pays repose également sur sa capacité à se projeter en mer, dans cet immense espace encore largement inexploité mais qu’il convient de protéger.
Nous considérons également que le multilatéralisme constitue l’approche diplomatique à privilégier, notamment pour la protection des océans. Les frictions et divergences exprimées, particulièrement concernant la question des dommages et les demandes spécifiques de certains États, compte tenu de leur niveau de développement, sont évidentes. Bien que cette conférence représente un signal positif d’engagement de la communauté internationale, nous estimons illusoire de croire que tous ces progrès s’accompliront dans un consensus absolu. Des dispositions contraignantes et des moyens concrets devront ainsi être mis en place. Par exemple, la définition actuelle des aires marines protégées et les réglementations applicables aux différentes zones maritimes n’offrent pas suffisamment de garanties et nous préconisons une révision et un renforcement effectif de ces protections.
Je saisis cette occasion pour réaffirmer notre soutien à la création de l’Institut Océan de l’Université des Nations unies en France, initiative déjà validée par l’ONU et soutenue unanimement au sein de l’Assemblée nationale ainsi que par les collectivités territoriales. La concrétisation de ce projet permettrait de valoriser davantage la question de la protection maritime dans notre pays. Bien que le dossier ait bien avancé, certains aspects diplomatiques restent à consolider et à finaliser.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Je n’avais pas initialement prévu d’évoquer l’Institut Océan de l’Université des Nations unies en France mais nous avons effectivement voté la proposition de résolution présentée par Pierre-Yves Cadalen à l’Assemblée nationale et soutenons fermement cette initiative.
Je souhaite évoquer la pollution plastique et la nécessité d’investir davantage dans les négociations en cours concernant le traité mondial sur le plastique car, malgré l’échec de la conférence de Busan, cet enjeu demeure absolument fondamental pour notre avenir.
Il est par ailleurs urgent d’avancer sur l’élaboration d’une doctrine française en matière d’exploitation des ressources souterraines des océans, particulièrement dans nos départements et territoires d’outre-mer. Cette question se pose avec acuité dans le golfe du Mozambique, notamment autour de Mayotte, ainsi qu’au large de la Guyane. La découverte d’importantes ressources pétrolières au Guyana et au Suriname voisin rend cette réflexion particulièrement pressante pour la Guyane. Il me paraît donc impératif d’anticiper ces situations plutôt que d’attendre d’être confrontés à l’urgence, en préparant dès maintenant une position et une stratégie françaises qui intègrent pleinement ces nouveaux enjeux.
M. Pierre Pribetich (SOC). Je tiens à saluer l’ensemble des rapporteurs pour leur travail remarquable et souhaite me concentrer sur la problématique de la pollution plastique, pour laquelle il est impératif d’abandonner les discours et de passer enfin aux actes. Nous devons mobiliser des moyens concrets, d’autant plus que les solutions techniques existent déjà, à l’image de la pyrolyse des plastiques à 430 degrés, qui permet leur décomposition complète. Des technologies existent aujourd’hui pour collecter les plastiques dans les vortex océaniques, et des procédés enzymatiques permettant leur dégradation ont déjà été mis au point. Face à cette diversité de solutions, il est impératif de doter les scientifiques des moyens nécessaires et d’agir sans délai. À travers la création de l’Institut Océan de l’Université des Nations unies, je formule le vœu que la France assume pleinement un rôle de pionnier. Notre pays dispose d’équipes de recherche d’excellence, capables de concevoir des réponses concrètes à cette crise écologique. Ces solutions doivent désormais franchir l’étape de l’industrialisation, afin d’éradiquer une pollution endémique qui menace de ravager notre planète. Il est temps, plus que jamais, de passer à l’action.
Mme Eléonore Caroit, présidente. Merci pour ce cri du cœur, que je partage.
M. Michel Guiniot (RN). Vous avez évoqué les pollutions plastiques et chimiques mais il en existe une autre particulièrement dévastatrice pour les produits de la mer : celle du mercure, avec une concentration particulièrement inquiétante en Méditerranée. Ayant été personnellement sensibilisé à ces questions, je soutiens toute initiative permettant d’assurer une alimentation sans danger pour les consommateurs de produits de la mer. Pourriez-vous nous indiquer quels objectifs ont été abordés ou, mieux encore, actés afin de réduire cette pollution insidieuse ? Je pense particulièrement aux pollutions gravissimes provoquées par certains pays bordant la Méditerranée, où aucune mesure n’est prise, aggravant quotidiennement la situation.
Par ailleurs, nous avions examiné le 26 mars 2025 un accord sur les privilèges et immunités applicables dans le cadre de l’organisation et de la réception officielle liée à la troisième conférence de l’UNOC. Disposez-vous d'informations concernant une éventuelle mise en œuvre des dispositifs que nous avions votés ?
Mme Liliana Tanguy (EPR). Je souhaite intervenir en tant que députée du Finistère, territoire littoral entièrement cerné par l’océan, où les problématiques évoquées à l’UNOC revêtent une importance capitale. Je me félicite de l’initiative française, qui était absolument nécessaire pour réglementer la haute mer, lutter contre la pollution plastique et encadrer l’exploitation des fonds marins.
Je souhaite cependant revenir sur les aires marines protégées, évoquées par plusieurs d’entre vous. S’il est indispensable de développer ces aires protégées, leur définition mérite une attention particulière et j’appuie ici la position des pêcheurs de Bretagne ainsi que du comité régional et national des pêches. Les aires marines protégées doivent être définies au cas par cas, sur la base de données scientifiques rigoureuses et d’analyses de risque en matière de pêche, car nous ne pouvons partir du postulat que tout type de pêche – notamment la pêche au chalut – doit être systématiquement interdit dans une aire marine protégée. La cohabitation des usages est possible selon les spécificités des zones concernées.
J’attire donc votre attention sur le fait que les pêcheurs dépendent de cette ressource. Il est certes nécessaire de protéger les écosystèmes mais cela doit se faire de manière concertée et rationnelle, en s’appuyant sur des données scientifiques solides et en associant pleinement les professionnels de la pêche.
Mme Alexandra Masson, rapporteure. En réponse à vos interventions, je vais pour ma part me concentrer sur la question du plastique, sujet qui a suscité de nombreuses interrogations.
Le 10 juin 2025, quatre-vingt-quinze pays ont signé l’appel de Nice, étape essentielle pour mettre progressivement fin à la pollution plastique. Cette déclaration commune s’articule autour de cinq points parfaitement clairs : premièrement, l’adoption d’un objectif mondial de réduction de la production et de la consommation des polymères plastiques primaires ; deuxièmement, la mise en place d’une obligation juridiquement contraignante pour éliminer progressivement les produits plastiques les plus problématiques et les substances chimiques les plus préoccupantes : troisièmement, l’amélioration, par une obligation contraignante, de la conception des produits plastiques pour garantir un impact environnemental minimal ; quatrièmement, la création d’un mécanisme financier à la hauteur de l’ambition du traité, soutenant sa mise en œuvre efficace ; cinquièmement, l’engagement en faveur d’un traité efficace, capable d’évoluer dans le temps et de s’adapter aux nouvelles connaissances scientifiques.
Je rejoins le point soulevé précédemment sur la nécessité de laisser une place importante aux scientifiques pour trouver rapidement des solutions. Il est également essentiel d’impliquer les industriels qui développent des solutions innovantes. De nombreuses propositions ont été présentées et doivent être mises en application, ce qui constitue l’enjeu majeur concernant les plastiques.
Pour répondre à Michel Guiniot, aucun dispositif prévu par le projet de loi voté en commission le 23 mai dernier n’a été activé, pour la raison simple – mais non évidente initialement – que la conférence s’est parfaitement déroulée. La préfecture des Alpes-Maritimes a remarquablement collaboré avec les services locaux, la police nationale, la gendarmerie, les réservistes et les forces frontalières. Tout s’étant bien passé, il n’y a pas eu besoin d’activer les mesures que nous avions votées.
M. Jean-Louis Roumégas, rappporteur. Pour ce qui me concerne, je soulignerai qu’il n’existe pas d’engagement concret au sujet des recherches pétrolières offshore, ce qui pose un véritable problème. Si nous bénéficions actuellement de moratoires en Méditerranée ou au large de la Guyane, des projets inquiétants se profilent du côté des États-Unis, mais également au large du Brésil. Je vous rappelle l’audition, que nous avons tenue ici même, du cacique Tau Metuktire, qui nous a alertés sur le danger des recherches pétrolières au large de l’Amazonie, menaçant non seulement la côte mais l’ensemble de l’écosystème amazonien. Ce sujet reste malheureusement peu abordé en termes d’engagements concrets.
Sur la question des plastiques, restons vigilants concernant les solutions purement techniques. Ce qui a été mis en avant à Nice, c’est avant tout la réduction de la production de plastiques. Nous pouvons certes tenter de recycler les plastiques encore à l’état solide, ces grands morceaux qui constituent le « continent de plastique » mais, pour tous les microplastiques, ces fragments déjà décomposés que nous ingérons à hauteur d’une carte de crédit chaque année, il est déjà trop tard. La seule solution véritablement soutenue par la communauté scientifique est la réduction de la production, plutôt que des stratégies de recyclage, même s’il convient également d’améliorer la qualité des plastiques pour réduire l’impact des adjuvants, eux-mêmes problématiques.
Concernant les AMP, je ne souhaite pas opposer la pêche et la protection. Les observations démontrent que lorsque nous établissons de véritables aires marines intégralement protégées, sans aucune extraction, les zones périphériques voient leur ressource halieutique augmenter significativement, ce qui profite directement aux pêcheurs. C’est l'avenir même de la pêche qui est en jeu. En Méditerranée, certaines petites zones de protection intégrale, sans aucune activité d’extraction, bénéficient non seulement de l’approbation des pêcheurs mais font également l’objet de demandes pour un renforcement de leur surveillance. C’est notamment le cas dans ma circonscription, au large de Palavas, où les pêcheurs eux-mêmes, témoins des effets positifs très concrets de ces aires protégées, sollicitent une vigilance accrue afin d’en préserver les bénéfices.
Quant au concept d’AMP « à la carte » défendu par le lobby français de la pêche, je considère qu’il s’agit d’une vision de court-terme. Nous faisons également face à un problème terminologique car nous ne pouvons qualifier de « zone de production renforcée » un espace qui ne correspond même pas à la définition internationale d’une AMP. Dans ce cas, évitons simplement de le désigner comme AMP car la définition française présente un réel décalage avec les critères internationalement reconnus.
Pour conclure sur la question méditerranéenne, il convient de rappeler que cette mer concentre, de manière amplifiée, l’ensemble des problématiques océaniques. Plusieurs facteurs l’expliquent : une pression démographique particulièrement forte, avec un doublement récent des populations côtières, une fréquentation touristique qui en fait la première destination mondiale et un réchauffement climatique qui y progresse à un rythme deux fois supérieur à la moyenne planétaire. La Méditerranée requiert donc une attention renforcée. S’agissant de la pollution au mercure, évoquée plus tôt, elle résulte principalement des stations d’épuration. Si la rive européenne a accompli des progrès significatifs en la matière, un effort majeur reste indispensable sur la rive Sud pour enrayer durablement ce phénomène.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je souhaite quant à moi partager quelques informations concernant le projet d’Institut Océan de l’Université des Nations unies que nous avons adopté ensemble. Nous avons organisé, au sein du pavillon La Baleine, avec le maire de Brest et en présence des responsables des relations internationales de l’Office français de la biodiversité et du recteur de l’Université des Nations unies, ainsi que plusieurs scientifiques, un événement visant à soutenir ce projet et sa mise en œuvre. Nous poursuivrons ce travail et mettrons en place, vraisemblablement en septembre, une phase préparatoire pour vous présenter des propositions concrètes lors des discussions budgétaires. Ce sujet bénéficie du soutien des Nations unies et de l'Assemblée nationale. En cette année dédiée à la mer, il serait pertinent d’engager les phases de concrétisation de ce projet, qui s’inscrit parfaitement dans le discours et la position internationale de la France.
Concernant la question soulevée par Dominique Voynet sur l’exploitation des hydrocarbures dans les ZEE, nous sommes confrontés à un problème d’ordre constitutionnel et normatif. La loi de 2018 interdisant l’exploitation des hydrocarbures en France se révèle, en réalité, privée d’effectivité réelle puisqu’elle est supplantée par le droit de suite en matière minière, qui prévoit qu’un permis d’exploration préalablement accordé permet ensuite l’exploitation. Cette disposition autorise ainsi l’exploitation en Guyane jusqu’en 2080. Cette situation appelle une modification de la norme constitutionnelle afin de rendre effectivement applicables les politiques de non-exploitation des ressources.
S’agissant de l’effectivité des mesures, je rappelle que les États insulaires du Pacifique ont lancé une initiative particulièrement intéressante visant à établir une coalition pour un moratoire sur l’exploitation des énergies fossiles. Cette coalition a déjà été rejointe par la Colombie, et la France se grandirait à y adhérer également. C’est précisément l’horizon qu’il convient de fixer si nous souhaitons atténuer sérieusement le changement climatique.
Quant aux pollutions plastiques, je partage l’avis selon lequel des solutions doivent être apportées pour en atténuer l’impact. Néanmoins, le problème le plus central et complexe réside du côté de la production, point sur lequel nous sommes, je crois, tous d’accord.
Je souhaite également évoquer une audition particulièrement marquante réalisée à Nice : celle de la présidente du cluster maritime, avec qui nous avons eu un échange substantiel sur la question des limites qui, inévitablement, s’imposeront à nous. Les limites à l’exploitation des milieux de vie seront, de toute façon, dictées par les milieux de vie eux-mêmes, et nous commençons déjà à observer ce phénomène en ce début de siècle, avec la multiplication d’événements catastrophiques qui s’amplifieront encore au cours des prochaines décennies. Ces événements affecteront la production et les acteurs économiques du capitalisme, eux-mêmes, sont parfaitement conscients du problème que posent les limites physiques à la production. Il s’agit de l’enjeu politique majeur de notre siècle.
Concernant les aires marines protégées, si nous convenons collectivement qu’il faut les adapter aux spécificités des milieux concernés, cela ne doit pas servir de prétexte à un allègement excessif et désordonné des protections. Les experts de Sea Shepherd ont notamment souligné, lors de leur audition, l’importance d’examiner ce qui se passe dans toute la colonne d’eau car l’interdiction exclusive du chalutage risque d’intensifier l’exploitation. Ces questions doivent être abordées avec précision mais nous restons attachés à l’idée, confirmée par les scientifiques du CNRS lors d’auditions préalables au sommet de Nice, qu’il est préférable de compter un pourcentage moins élevé d’aires marines protégées mais véritablement protectrices. Cette approche présente l’avantage de produire davantage de ressources, y compris pour les pêcheurs.
Mme Eléonore Caroit, présidente. Je tiens à remercier tous les collègues qui nous ont accompagnés à Nice pour leur implication dans ce déplacement, ainsi que pour le travail préparatoire réalisé en amont.
Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information qui lui a été présenté sous la forme d’une communication des participants à ce déplacement.
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La séance est levée à 12 h 10.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Jérôme Buisson, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, M. Alain David, M. Bruno Fuchs, M. Michel Guiniot, Mme Sylvie Josserand, Mme Brigitte Klinkert, M. Xavier Lacombe, M. Arnaud Le Gall, Mme Alexandra Masson, M. Frédéric Petit, M. Pierre Pribetich, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Liliana Tanguy, Mme Dominique Voynet
Excusés. - M. Hervé Berville, M. Éric Ciotti, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, Mme Pascale Got, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Mazaury, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa