Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques sur l’avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de finances pour 2025 et au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 et sur l’avis du Haut Conseil relatif au plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2028 2
– Information relative à la commission................25
– présences en réunion...........................26
Jeudi
10 octobre 2024
Séance de 18 heures
Compte rendu n° 012
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel, Président
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La commission entend M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques sur l’avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de finances pour 2025 et au projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. le président Éric Coquerel. Nous recevons M. Pierre Moscovici, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), afin qu’il nous présente les avis rendus par ce dernier d’une part sur le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, d’autre part sur le projet de plan budgétaire et structurel national à moyen terme (PSMT).
Dans son avis sur le PLF et le PLFSS, le Haut Conseil souligne que la programmation des finances publiques résultant de la loi promulguée l’an dernier est déjà dépassée du fait de la forte dégradation de la situation, et que c’est la trajectoire du PSMT qui devient la référence la plus pertinente, à respecter absolument.
L’avis rendu sur le PSMT constitue, lui, une nouveauté : c’est la première fois que la France doit, conformément à la réforme de la gouvernance économique européenne d’avril 2024, transmettre un plan de ce type aux institutions européennes. On peut se réjouir que le Gouvernement ait décidé d’en saisir le Haut Conseil alors même que les textes ne l’imposaient pas formellement. On peut en revanche s’inquiéter de ce que le Haut Conseil juge que les informations qui lui ont été transmises sont « insuffisantes pour lui permettre d’apprécier le réalisme de la trajectoire pluriannuelle inscrite dans ce PSMT ». Ce caractère lacunaire est probablement lié aux délais dont le Gouvernement a disposé pour l’établir.
Mes chers collègues, j’ai essayé de faire en sorte que les documents relatifs au PLF pour 2025 nous soient adressés directement. Charles de Courson et moi-même avons décliné l’invitation qui nous a été faite d’assister à la conférence de presse organisée aujourd'hui à quinze heures, estimant que ce n’était pas dans ce contexte que les représentants de la commission des finances devaient prendre connaissance du projet de budget. Mais nous vous transmettons tout ce que nous recevons.
M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. Je me réjouis de venir devant vous pour vous présenter les principales conclusions des deux avis que nous avons remis au Gouvernement.
Conformément à la loi organique du 28 décembre 2021, le Haut Conseil a été saisi des prévisions macroéconomiques de l’exécutif et a porté une appréciation sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du PLF et du PLFSS. Le Gouvernement a par ailleurs décidé de le saisir du PSMT, le plan budgétaire pluriannuel qu’il devra présenter à la Commission à l’automne en vertu de la nouvelle gouvernance économique européenne. Le HCFP se félicite de cette décision, à laquelle le Gouvernement n’était pas tenu pendant les premières années d’existence de cette nouvelle gouvernance. Comme je l’avais signifié par écrit au Premier ministre, il aurait semblé regrettable de priver le Parlement d’un avis dont il disposait auparavant s’agissant du programme de stabilité, que le PSMT remplace. Toutefois, sans doute en raison des délais impartis, les informations transmises par le Gouvernement restent effectivement très insuffisantes pour permettre au HCFP de juger du réalisme de la trajectoire proposée. S’il faut se réjouir de cette première, nous devrons donc faire mieux à l’avenir.
J’ai eu l'occasion de le dire à de multiples reprises : 2024 est une année noire pour les finances publiques. Alors que l’objectif de déficit public inscrit dans la loi de finances pour 2024 était fixé à 128 milliards d’euros, soit 4,4 % du PIB, il a déjà été relevé à 5,1 % en avril et est désormais prévu à 6,1 %, soit près de 180 milliards d’euros. L’écart entre ce que vous avez voté il y a moins d’un an et ce qui devrait être réalisé atteint donc 1,7 point de PIB, soit 52 milliards, ce qui est à la fois absolument considérable et totalement inédit, d’autant que nous ne sommes pas en période de crise. C’est plus qu’inhabituel et, en vérité, assez inquiétant : en fin d’année, et en l’absence de mesure de frein nouvelle, notre déficit sera plus de deux fois supérieur à la limite de 3 points de PIB prévue par le pacte de stabilité et de croissance. Ce dérapage majeur, qui entraîne également une dégradation de nos conditions de financement, doit s’arrêter là.
Dans ce contexte, le Haut Conseil souligne la nécessité de retenir des hypothèses prudentes en matière de recettes et de ralentissement des dépenses lorsqu’aucun dispositif robuste n’est prévu pour les appuyer. Alors que nos choix nationaux à court et moyen terme sont scrutés par les marchés et la Commission européenne, son rôle de vigie des finances publiques est plus que jamais crucial. L’année 2024 a en outre été marquée par l’ouverture, en juillet, d’une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la France, dont nous devons tenir le plus grand compte.
Concrètement, cette procédure nous impose de transmettre une trajectoire crédible de désendettement, fondée sur un budget cohérent, dans le cadre du PSMT. Ce dernier nous paraît plus réaliste que les trajectoires précédemment présentées. Je suis venu deux fois devant vous, depuis l’automne dernier, pour évoquer respectivement la loi de programmation des finances publiques (LPFP) et le programme de stabilité. J’ai successivement expliqué que les trajectoires proposées n’étaient pas crédibles, puis qu’elles étaient caduques, et enfin qu’elles n’étaient pas cohérentes. Ce n’est pas du tout le cas cette année : un effort de réalisme a été fait, le PSMT prévoyant désormais de ramener le déficit public sous la barre des 3 points de PIB en 2029 et non plus en 2027, échéance qui apparaissait déjà intenable au printemps. Il était crucial de tenir un discours de vérité aux Français et à nos partenaires européens.
Le scénario proposé suppose, pour être conforme aux règles de gouvernance européenne, que la période d’ajustement budgétaire de la France soit prolongée, raison pour laquelle le PSMT court sur sept ans, jusqu’en 2031.
Il est tout aussi crucial que les nouvelles prévisions soient tenues : il ne suffit pas de gagner du temps, il faut aussi être crédible. Nous ne pouvons plus nous permettre de définir des trajectoires pluriannuelles qui deviennent caduques avant même de commencer. Il y va non seulement de notre crédibilité, mais aussi et surtout de notre capacité à reprendre le contrôle de nos finances publiques. Les objectifs du PLF et du PLFSS pour 2025, examinés comme d’habitude dans des délais très brefs par le Haut Conseil, constituent la première brique de cette nouvelle trajectoire. La réduction du déficit structurel de 1,2 point de PIB en 2025, si elle reflète une inflexion réelle et bienvenue, supposera de franchir une marche très haute et requerra un ajustement budgétaire massif. La réussite est donc sujette à de nombreuses incertitudes. Or toute déviation en 2025 aurait des conséquences sur la crédibilité de l’ensemble de la trajectoire. Si nous jugeons positivement cet objectif ambitieux, nous insistons donc sur la nécessité de le respecter. Les changements répétés de chiffres et les cibles sans cesse mouvantes font très mal à notre pays. Un objectif a été fixé. Tenons-le.
J’en viens aux trois principaux messages que le Haut Conseil entend faire passer.
S'agissant d'abord des prévisions macroéconomiques du Gouvernement, si le scénario présenté pour 2024 semble désormais réaliste, celui pour 2025 paraît encore un peu fragile. Le scénario de moyen terme retenu dans le PSMT, quoiqu’encore un peu optimiste, est plus raisonnable que les précédentes programmations pluriannuelles, qui sont maintenant clairement dépassées. Dans le contexte actuel, il n’est évidemment pas question d'adopter rapidement une nouvelle LPFP, mais pour ce qui est de l’actuelle, je vous le dis : oubliez-la. C’est la trajectoire définie dans le PSMT qui constitue la nouvelle référence.
Pour ce qui est ensuite des prévisions de recettes et de dépenses, les informations communiquées au Haut Conseil sont, malgré ses demandes, insuffisantes pour apprécier totalement la capacité du Gouvernement à atteindre ses ambitieux objectifs de hausse des prélèvements obligatoires et de freinage de la dépense en 2025. Pour les années suivantes, ces informations sont même totalement inexistantes. Le HCFP est pourtant une institution indispensable à l’information du Parlement et des citoyens, dont le rôle est consacré par la loi organique de 2021. Pour travailler sérieusement, il doit pouvoir accéder à l’ensemble des informations et documents qu’il juge nécessaires. Je déplore que ce ne soit pas systématiquement le cas, surtout dans la situation actuelle des finances publiques, qui appelle la plus entière transparence du Gouvernement envers nous, c'est-à-dire envers vous.
Enfin, le Haut Conseil salue l’inflexion que constitue l’objectif d’un déficit ramené à 5 points de PIB en 2025, même si le risque est assez élevé de ne pas l’atteindre. La trajectoire du PSMT présente aussi un caractère plus réaliste, notamment grâce au report de deux ans de l’objectif de retour du déficit sous les 3 points de PIB. Repasser sous la barre des 3 % dès 2027 en partant de si haut eût été économiquement dommageable et socialement préjudiciable – sans parler de l’acceptabilité politique des mesures qui auraient été nécessaires, dont vous êtes juges. Ce réalisme retrouvé contraste avec la trajectoire initiale du programme de stabilité.
Avant d’entrer davantage dans le détail, il convient de présenter rapidement le contexte économique international.
L’économie mondiale, après avoir dû surmonter successivement une pandémie, un choc énergétique et des tensions géopolitiques majeures, continue à faire preuve de résilience. La croissance mondiale devrait ainsi conserver, en 2025, le rythme d’environ 3 % enregistré ces deux dernières années. Un rééquilibrage devrait toutefois s’opérer entre la croissance des économies américaine et chinoise, qui se modérerait après avoir été plutôt dynamique, et celle de la zone euro, qui commencerait à se redresser après avoir quelque peu langui.
Aux États-Unis, les indicateurs font état d’un atterrissage en douceur de l’économie : la consommation des ménages devrait ralentir et la décision d'assouplissement de la politique monétaire prise par la Réserve fédérale en septembre devrait contribuer à soutenir l’activité. En parallèle, la croissance de l’économie chinoise se révèle décevante et devrait continuer à fléchir en 2025. La banque centrale chinoise a certes annoncé de nouvelles mesures de soutien à l’activité en septembre, mais leur efficacité demeure assez incertaine.
Dans la zone euro, en revanche, la croissance a redémarré en début d’année 2024, tirée principalement par le commerce extérieur, tandis que la demande intérieure continuait à pâtir de la chute de l’investissement. Ce changement dans la composition de la croissance, qui a affecté les rentrées de TVA, donc les recettes fiscales, explique sans doute en partie le dérapage observé en France. La conjoncture est cependant très contrastée d’un pays à l’autre : en une sorte de revanche de l’histoire, l’activité semble très bien orientée dans les pays du Sud, en particulier en Espagne ou au Portugal, alors que l’économie allemande, qui fut longtemps le moteur de l’Europe, fonctionne toujours au ralenti et connaît une nouvelle récession en 2024. Son évolution dans les années à venir est d’ailleurs une source de préoccupation, y compris pour nous, l’Allemagne étant un partenaire commercial majeur et notre premier fournisseur.
En 2025, la zone euro devrait néanmoins bénéficier de la baisse de l’inflation et de marchés du travail toujours tendus, qui devraient entraîner des hausses de salaires réels et des gains de pouvoir d’achat, alimentant un rebond bienvenu de la consommation des ménages. Enfin, l’activité devrait bénéficier d’une politique monétaire plus accommodante, la Banque centrale européenne ayant amorcé au printemps un cycle de baisse des taux qui s’est déjà traduit par une diminution de 50 points de base du taux d’intérêt de la facilité de dépôt. Cet assouplissement devrait se poursuivre.
Les incertitudes sur la conjoncture internationale demeurent malgré tout fortes : aux tensions géopolitiques s’ajoute le flou sur la politique économique qu’appliqueront les États-Unis après l’élection de novembre, avec notamment le risque d’un retour à un protectionnisme plus ou moins fort selon le candidat qui sera élu et d’une poursuite du démantèlement du système commercial multilatéral. Parallèlement, les incertitudes sur l’Allemagne demeurent et une désinflation plus rapide que prévu aux États-Unis et en zone euro n’est pas à exclure.
J’en viens aux observations du Haut Conseil sur les prévisions macroéconomiques du Gouvernement pour les années à venir. Dans le contexte international que je viens d’évoquer, nous estimons, je l’ai dit, que le scénario prévu pour 2024 est dans l’ensemble réaliste, tandis que celui pour 2025 présente des fragilités.
Le Gouvernement prévoit désormais une croissance du PIB de 1,1 % en 2024, comparable à la prévision du consensus des économistes. L’activité a progressé modérément au premier semestre 2024, tirée essentiellement par le commerce extérieur et la demande publique, la consommation des ménages étant demeurée atone. À la mi-année, l’acquis de croissance atteignait 0,9 point, si bien que la prévision de 1,1 % de croissance annuelle semble tout à fait atteignable.
Pour 2025 en revanche, nous qualifions l’objectif d’« un peu élevé ». Autrement dit, il n’est pas inatteignable, mais il y a des risques qu’il ne soit pas atteint. Le Gouvernement anticipe une stabilisation du rythme de croissance à 1,1 % du PIB en moyenne annuelle. Cette prévision est conforme au consensus des économistes, mais elle s’en éloigne si l’on tient compte de l'orientation restrictive du scénario de finances publiques qui y est associé. En effet, ce scénario intègre un ajustement budgétaire structurel de 1,2 point de PIB, un niveau très inhabituel et supérieur à celui retenu par les institutions auditionnées. En appliquant le multiplicateur budgétaire de 0,5 retenu par le Gouvernement, cela suppose que la croissance spontanée – c'est-à-dire hors effet récessif des mesures qui vous seront soumises – s’établisse à 1,7 % pour que l’objectif gouvernemental soit atteint. Or aucun des indicateurs dont nous disposons ne laisse présager une telle accélération.
Nous craignons donc que le Gouvernement ne tienne pas suffisamment compte des effets récessifs de l’ajustement prévu : s’il prévoit bien un recul de la consommation et de l’investissement des administrations publiques en 2025, il retient en revanche des hypothèses optimistes sur l’évolution de la demande privée et du commerce extérieur. Si certaines semblent justifiées – la dynamique récente des permis de construire et des mises en chantier, première conséquence positive de la baisse du coût du crédit immobilier, peut laisser envisager une stabilisation de l’investissement des ménages en 2025 –, d’autres sont plus volontaristes. Le Gouvernement table par exemple, au motif d’une baisse de l’inflation perçue par les ménages, sur un repli très fort de leur taux d’épargne, qui serait favorable aux dépenses de consommation. Les enquêtes suggèrent toutefois que la part des ménages estimant opportun d’épargner a atteint son plus haut niveau historique en septembre. Le recul de l'épargne, attendu de longue date, s’il n'est pas impossible, ne semble donc pas écrit dans les astres.
La prévision d’inflation pour 2025 s’établit quant à elle à 1,8 %, ce qui paraît un peu élevé au vu de l’ampleur du mouvement de désinflation observé depuis le début de l’année. Le chiffre de 2,1 % retenu pour 2024 semble en revanche tout à fait plausible. Enfin, le HCFP juge que la prévision de croissance de la masse salariale dans les branches marchandes non agricoles, établie à 2,8 %, est un peu optimiste, les prévisions de croissance de l’emploi et du salaire moyen par tête semblant toutes deux un peu élevées.
Le Haut Conseil a également examiné le scénario macroéconomique sous-jacent au PSMT, dans la limite des informations assez maigres qu’il a reçues – le Gouvernement n’a notamment pas pu détailler la composition de la croissance au-delà de 2025. Cette remarque n’est pas une critique, mais un constat. Je ne blâme pas le Gouvernement, qui a joué le jeu. Seulement, lorsqu’il communiquera le document le 31 octobre à la Commission européenne, il devra être beaucoup plus précis.
La principale donnée macroéconomique sur laquelle le HCFP est en mesure de se prononcer, qui fonde la trajectoire prévue par le Gouvernement et aura l'impact le plus important sur les demandes formulées par la Commission européenne, est l’estimation du PIB potentiel, c'est-à-dire la croissance que connaîtrait l’économie en l’absence de choc conjoncturel. Elle a été revue à la baisse, étant désormais estimée à 1,2 % entre 2024 et 2028 – au lieu de 1,35 % – puis à 1 % les années suivantes. Nous disions depuis longtemps que le gouvernement précédent surestimait la croissance potentielle : la prévision actuelle, quoiqu’encore un peu élevée, semble revenir à un réalisme bienvenu. Quant au scénario de croissance effective, il paraît plutôt optimiste lui aussi.
J’en viens aux prévisions de finances publiques pour 2025. Le Gouvernement prévoit un déficit public effectif de 6,1 % du PIB en 2024 et de 5 % en 2025.
En 2024, le déficit public dépasserait donc l’objectif initial de 1,7 point. Bien qu’il subsiste un niveau d’incertitude non négligeable d’ici à la fin de cette année, ces prévisions apparaissent malheureusement assez réalistes. La Cour des comptes reviendra devant vous en mai pour vous présenter son rapport sur l’exécution du budget 2024. Il faudra faire l’autopsie de ce dérapage : l’écart est tellement considérable que nous avons besoin de comprendre, non pour critiquer, mais pour éviter que cela ne se reproduise.
En 2025 donc, le déficit serait ramené à 5 points de PIB grâce à un ajustement budgétaire massif de 1,1 point de PIB, qui marquerait une inflexion de tendance importante et souhaitable après deux années très sombres, et même assez graves, pour les finances publiques. Le déficit public resterait néanmoins nettement supérieur au niveau envisagé dans le programme de stabilité, à savoir 4,1 points de PIB.
Le HCFP souligne un facteur de risque supplémentaire et inédit : le chiffre présenté dans l’article liminaire du PLF n’est pas de 5 points de PIB, mais de 5,2. Pour fonder sa prévision à 5 %, le Gouvernement prend en compte des mesures qui ne sont pas encore intégrées au texte et qui devront l’être par amendement au cours du débat parlementaire. J’insiste : le point de départ de la discussion budgétaire sera un déficit de 5,2 %, et le ramener à 5 % dépendra de l'adoption de tels amendements par le Parlement.
Cette prévision de déficit pour 2025 semble fragile, en raison de l’optimisme du scénario macroéconomique déjà évoqué, mais aussi de l’ampleur des mesures à prendre. Le fait qu’elles ne soient pas toutes documentées à ce stade – sans doute le seront-elles davantage à l’issue du Conseil des ministres de ce jour – empêche d’apprécier pleinement la plausibilité de la trajectoire présentée.
Les recettes, tout d’abord, ont été révisées à la baisse en 2024 de plus de 14 milliards d’euros par rapport aux prévisions initiales, en raison de la faiblesse des rentrées fiscales – notamment de l’impôt sur le revenu et de la TVA. En 2025, les prélèvements obligatoires devraient s’établir à 1 311 milliards, en hausse de 4,9 %. Leur croissance spontanée atteindrait 2,5 % et resterait donc moins rapide que celle du PIB en valeur, pour la troisième année consécutive. Toutefois, cette prévision paraît un peu haute au vu des prévisions de croissance et d’inflation retenues dans le scénario macroéconomique du Gouvernement. Celui-ci prévoit également 30 milliards d’euros de recettes supplémentaires grâce à des mesures nouvelles de prélèvements obligatoires. Du fait d’une information lacunaire, le Haut Conseil n’est malheureusement pas en mesure d’apprécier le réalisme de ce montant. Par exemple, les détails de la baisse des allégements généraux de cotisations ou du mécanisme d'imposition minimale pour les particuliers prévus dans le PLF n’étaient pas documentés lorsque nous avons été consultés.
Pour ce qui est des dépenses publiques, comme je l’ai déjà regretté devant vous, l’objectif affiché pour 2024 ne sera pas atteint, faute de mesures de frein efficaces au second semestre. Cette année sera donc bien une année noire pour les finances publiques. Hors dépenses exceptionnelles et charge de la dette, les dépenses déflatées augmenteraient de 2,6 % en volume, contre 0,5 % observés en 2023 – ce qui montre que le « quoi qu’il en coûte » n’a, en réalité, jamais pris fin. Il en résulterait une dégradation de 20,4 milliards d’euros par rapport aux prévisions du programme de stabilité, due pour moitié à la dynamique des dépenses des collectivités territoriales, en fonctionnement comme en investissement, et pour moitié aux dépenses de l’État. Les dépenses des administrations sociales sont quant à elles restées plutôt proches des prévisions initiales. Au total, les dépenses publiques hors crédits d’impôt atteindraient 56,8 points de PIB, soit 3 points de plus qu’observé en 2019, avant la crise sanitaire. On retrouve ici l’effet de cliquet qu’on observe classiquement en France après une crise. Ce ratio est par ailleurs supérieur de 9 points à la moyenne de la zone euro.
Nous n’avons donc pas d’autre choix que d’engager une baisse de notre endettement et de notre déficit, principalement en réalisant des économies. Pour ce faire, il est indispensable que les mesures prévues par le Gouvernement soient documentées et effectivement appliquées.
Les modalités de cette modération des dépenses restent à ce jour peu définies, quel que soit le champ des administrations concernées. Tel est le cas pour les 20 milliards d’économies en dépenses de l’État et des 4,9 milliards d’effort portant sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). Tel est aussi le cas des mécanismes de résilience qui permettraient, selon le PLF, de contenir la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités locales à 0,2 point en volume par rapport à 2024.
Si ces économies étaient toutes réalisées, la hausse des dépenses en volume hors dépenses exceptionnelles et hors charge de la dette serait contenue à 0,2 point, après la forte progression de 2024, et ramenée à un niveau inférieur à 2023. Le poids des dépenses publiques diminuerait alors pour atteindre 56,3 points de PIB, ce qui resterait supérieur de 2,5 points au niveau d’avant la crise sanitaire. J’observe en passant que l’on entend parler d’austérité, mais que lorsqu’on a des dépenses publiques représentant 56,3 points de PIB, on peut s’autoriser à estimer que l’on est encore assez bien charpenté de ce point de vue.
La cible de dépenses pour 2025 est très ambitieuse. L’atteindre suppose la mise en œuvre rapide de mesures d’économies, ce qui, soyons lucides, sera difficile. Si les modalités de ces mesures ne sont pas clarifiées dans les meilleurs délais, il existe un risque de trancher dans les dépenses publiques brutalement, de façon non ciblée et peu intelligente.
À ce propos, je tiens à rappeler un point de vigilance majeur pour nous : pour être socialement acceptables, pour être durables du point de vue des finances publiques et pour ne pas porter atteinte à la croissance ni à notre modèle social, les diminutions de dépenses publiques doivent être fondées sur un unique prisme, qui est l’évaluation préalable de leur qualité – ce avec quoi l’urgence ne fait pas bon ménage.
J’en viens à l’analyse du Haut Conseil sur le solde structurel présenté par le Gouvernement. Il s’élève à 4,5 points de PIB en 2025, après 5,7 en 2024, soit un ajustement structurel de 1,2 point. Cet ajustement serait conforme aux exigences de la procédure pour déficit excessif, qui prévoit une amélioration du solde structurel d’au moins 0,5 point de PIB par an. Mais y parvenir supposerait en réalité de réaliser un effort structurel plus élevé, de 1,4 point de PIB au total, soit 42 milliards, pour compenser l’impact négatif de la croissance spontanée des prélèvements obligatoires, inférieure à celle du PIB.
Pour nous, cet effort reposerait à 70 % sur des hausses de prélèvements obligatoires, de 30 milliards, et à 30 % sur la réduction des dépenses, de 12 milliards – autrement dit, 1 point de PIB d’un côté et 0,4 point de l’autre. Pour répondre d’emblée au commentaire selon lequel ces proportions sont inverses de celles retenues par le Gouvernement, je tiens à dire, sans jouer sur les mots, qu’il s’agit d’une différence et non d’un différend.
Le Gouvernement se fonde sur un raisonnement tendanciel. Il estime que l’effort de consolidation budgétaire de 60 milliards, se décomposant en 40 milliards de réductions de dépenses et 20 milliards de hausses des prélèvements obligatoires, représente des économies en dépenses par rapport à une évolution tendancielle de 2,8 %, qui est énorme et qui, en tout état de cause, paraît nettement supérieure à la croissance potentielle et à la croissance effective.
En d’autres termes, il postule que nous aurions dû assister à la poursuite de l’évolution catastrophique de 2023 et de 2024. Nous ne sommes pas en mesure de l’apprécier ; cette dérive a quelque chose de conventionnel. En raison de ce choix méthodologique, l’effort en dépenses affiché par le Gouvernement est de 1,3 point de PIB, mais il ne réduirait le poids des dépenses dans le PIB que de 0,4 point de PIB en structurel.
Par ailleurs, la classification des mesures fiscales en dépenses diffère entre le Gouvernement et le HCFP. Les 20 milliards de prélèvements obligatoires ne tiennent pas compte selon nous – en vérité, cela n’est pas contesté : vous pourrez poser la question au ministre, je me suis entretenu avec les membres de son cabinet – de certaines mesures fiscales prévues pour 2025, telles qu’une partie de l’augmentation de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité et la réduction des exonérations de cotisations à la charge de l’employeur. Affichées comme des réductions de dépenses, ces mesures sont clairement des prélèvements.
En réalité, si vous raisonnez en structurel, cela donne 30 milliards de hausses des prélèvements et 12 milliards d’économies en dépenses ; si vous raisonnez en tendanciel, vous êtes plus proches d’une répartition 50-50 – près de 30 milliards de hausses des prélèvements et 30 milliards d’économies, mais dont 20 reposent sur la prolongation d’une tendance qui n’est pas la bonne.
J’en arrive à l’évolution de la dette publique prévue par le projet de loi de finances pour 2025. Le ratio de dette publique recommencerait à croître en 2024 et en 2025, si fortement qu’il retrouverait en 2025 le point haut atteint en 2020 lors de la crise sanitaire, soit près de 115 points de PIB. La charge de la dette progresserait fortement ; elle atteindrait 2,3 points de PIB en 2025, soit près de 70 milliards d’euros courants, contre 53 milliards en 2023 et à peu près 25 avant la crise sanitaire.
Vous savez comme moi que chaque euro dépensé dans le remboursement de la dette est un euro perdu pour les services publics ou pour les politiques publiques que vous défendez les uns et les autres, fût-ce de façon contradictoire. Le remboursement de la dette deviendrait le premier budget de l’État devant l’éducation nationale. Convenons tous que c’est un gâchis ! Soyons conscients que nos concitoyens, désormais, ne considèrent plus la question comme anecdotique, mais essentielle. Ils sont très conscients qu’un État endetté est un État impuissant.
Je finis avec les observations du Haut Conseil sur les prévisions de finances publiques du PSMT. Nous nous félicitons que le Gouvernement nous ait saisis alors qu’il n’était pas tenu de le faire, mais nous n’avons pas pu porter une appréciation fondée sur le réalisme de la trajectoire des finances publiques au-delà de 2025. Nous nous contentons donc d’indiquer que le décalage de la date de retour du déficit sous le seuil de 3 points de PIB nous paraît pertinent.
Dans cette nouvelle trajectoire, le ratio de dette publique connaîtrait une hausse continue jusqu’en 2027 et ne commencerait à baisser qu’en 2028, ce qui signifie que la charge de la dette des administrations continuera à progresser pour atteindre 2,8 points de PIB en 2027, soit une charge annuelle de l’ordre de 90 à 100 milliards. Dans l’ensemble, nous considérons que la nouvelle trajectoire du PSMT est fondée sur des projections plus raisonnables que les précédentes. Elle doit d’autant plus être respectée.
Mesdames et messieurs les députés, je m’exprime devant vous avec une forme de gravité. Il est indispensable, je dirais même vital que la France reprenne le contrôle de ses finances publiques. Nous sommes désormais le troisième pays le plus endetté de la zone euro, derrière la Grèce et l’Italie. En volume, nous sommes le premier. Cette situation n’est pas à la hauteur de notre pays.
La charge de la dette ne cesse de s’alourdir. Nous avons l’ardente obligation de réduire notre déficit public et de replacer la dette sur une trajectoire descendante. Le Haut Conseil, plus que jamais, appelle à la plus grande vigilance sur la soutenabilité à moyen terme des finances publiques. Pour moi, ce prisme devrait irriguer tous les débats relatifs au projet de loi de finances pour 2025.
Pour être pérenne, cette recherche de soutenabilité doit être acceptable socialement et soutenable économiquement. Ce n’est pas une politique d’austérité qui doit être menée, mais une politique de maîtrise des dépenses et d’amélioration de leur efficience ainsi que de leur qualité. À cet effet, il faut suivre une démarche réfléchie et raisonnée, afin que les efforts à venir soient durables et vertueux. Sinon, l’impuissance nous guette.
M. le président Éric Coquerel. Une réflexion préalable : vous avez dit qu’en raison de la parcimonie avec laquelle le Gouvernement vous a communiqué des informations, vous avez eu du mal à apprécier le niveau des recettes et des dépenses, mais que nous sommes dans un moment exceptionnel et que sa responsabilité n’est que partielle. Il n’en reste pas moins qu’un problème démocratique se pose. Ce n’est pas la première fois, mais le contexte le rend plus grave. Comment le résoudre impérativement pour les prochains projets de loi de finances ?
J’en viens à des questions plus précises. La prévision de déficit pour 2024 était de 4,4 points de PIB dans le projet de loi de finances pour 2024 et de 5,1 dans le programme de stabilité 2024-2027. Elle est désormais de 6,1 points, soit un écart de 1,7 point de PIB par rapport à la prévision initiale et une dégradation de 0,6 point par rapport à 2023. Cette variabilité des estimations, apparue en 2023, est préoccupante. Certains parlent d’insincérité, d’autres de cécité, d’autres encore de problèmes techniques. Comment l’expliquez-vous ? Vous pose-t-elle problème ?
Il me semble que nous devons tous au moins être d’accord sur la gravité de la chose. Je suis certain que les taux d’intérêt appliqués à notre dette n’augmentent pas seulement à cause de la hausse des déficits, mais aussi en raison de la perte de crédibilité de la France. Celle-ci repose sur la capacité de l’appareil d’État à donner des informations justes et crédibles, sur lesquelles les marchés peuvent se fonder au moment où ils prêtent. S’il y a une brèche dans notre crédibilité, c’est très inquiétant.
À ce sujet, j’annonce que je proposerai dans les semaines à venir, comme j’en ai la possibilité, que la commission des finances soit dotée des prérogatives d’une commission d’enquête afin d’étudier les causes de la variabilité des prévisions fiscales et budgétaires et l’évolution des déficits publics ces dernières années. Nous ne pouvons plus accepter cette situation.
Vous avez expliqué que les 60 milliards d’économies du Gouvernement s’entendent par comparaison à une évolution tendancielle dont vous contestez d’ailleurs le montant, et vous estimez que l’effort de baisse des dépenses, affiché à 42 milliards, serait plutôt de 12 milliards et que la hausse des prélèvements serait bien plus importante qu’annoncé.
L’évolution tendancielle du budget est un critère peu utilisé jusqu’à présent. N’est-il pourtant pas le meilleur, dans la mesure où il permet de comparer le budget au précédent à l’aune non seulement de l’inflation mais aussi de la capacité à répondre aux besoins des Français, en tenant notamment compte de l’augmentation et du vieillissement de la population ?
En tout état de cause, vous considérez que l’effort structurel de 1,2 point de PIB est d’une ampleur inédite, de sorte que, même sans tenir compte de l’évolution tendancielle, il s’agit de facto, compte tenu de l’inflation, d’une baisse. Êtes-vous inquiet des répercussions que cela peut avoir, notamment sur les ministères les plus fortement touchés ?
Par ailleurs, vous précisez dans votre avis que ces mesures auront sur l’activité un effet récessif éventuel. Avez-vous tenu compte des conséquences plus larges et des effets négatifs durables sur le cadre économique et l’activité des prochaines années qu’aura une telle politique ? Menez-vous une réflexion à ce sujet ?
Votre document évoque une éventuelle surestimation des dépenses mais ne dit rien d’une éventuelle surestimation des recettes. Si je m’interroge sur ce point, c’est parce qu’on nous a parlé l’an dernier d’une taxation des énergéticiens censée rapporter 12 milliards et qu’elle n’a rapporté que quelques centaines de millions. Avez-vous perçu pareil risque dans les documents qui vous ont été transmis ?
Je constate d’ores et déjà que le report d’une année de la réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est présenté comme une hausse de recette, ce qui est pour le moins discutable. J’ai aussi des doutes sur le versement par EDF d’un dividende de 2 milliards.
Quant à la charge de la dette dans son ensemble, je vous accorde qu’elle n’est pas anecdotique mais, sans vouloir rouvrir un débat que nous avons souvent, je rappelle qu’il ne s’agit pas d’argent jeté par la fenêtre. Je persiste à penser que la question à se poser est de savoir ce que l’on fait de la dette. Si les 62 milliards de recettes en moins que vous avez vous-même évoqués lors de vos dernières auditions desservent l’État, l’affaiblissent et augmentent les déficits, alors il s’agit de mauvaise dette.
M. Pierre Moscovici. S’agissant des informations qui nous ont été transmises, je fais largement la part des circonstances : une dissolution ; un gouvernement longtemps cantonné à la gestion des affaires courantes ; un Premier ministre nommé plus tardivement que prévu, d’un mois ; un gouvernement nommé encore un peu plus tard, quinze jours après. Le budget a bel et bien été élaboré dans des conditions particulières, et très rapidement.
Toutefois, je ne peux pas m’en satisfaire entièrement. Je l’ai dit au ministre de l’économie et des finances, certaines informations que nous avions demandées ne nous ont pas été transmises. À l’avenir, il faudra que les droits que la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques accorde au HCFP en matière d’accès aux informations budgétaires soient respectés par le Gouvernement. Ce n’est pas plus compliqué que cela.
Sur la variabilité des prévisions, je partage totalement votre sentiment. L’une des raisons pour lesquelles on doute de la France est que les chiffres varient sans cesse. Si l’on se fixe une cible, il faut la respecter et se donner les moyens de l’atteindre. Il faudra y veiller lorsque le PSMT aura été complété : la Commission européenne – je le sais d’expérience – jugera la trajectoire proposée, mais aussi les mesures mises en face pour la suivre.
S’agissant des 60 milliards d’économies, je n’ai pas contesté l’estimation de 2,8 % d’évolution tendancielle, j’ai dit que nous ne sommes pas en mesure de l’apprécier : elle est en partie conventionnelle. Le Gouvernement considère, par exemple dans une note du Trésor qui a été diffusée, que si nous n’avions rien fait, le déficit se serait élevé à 6,8 % ou à 7 % et que la pente catastrophique des précédentes années se serait prolongée. Mais pas forcément. L’évolution tendancielle est bien plus élevée que les prévisions de croissance potentielle et effective, ce qui suppose en effet que les choses ont continué à se dégrader. Mais certains éléments vont dans un sens, d’autres dans l’autre sens. C’est pourquoi j’ai dit qu’il s’agit non d’un différend mais d’une différence.
Le Haut Conseil n’en doit pas moins réfléchir en structurel. Et quelle que soit l’approche retenue, la proportion des recettes et des dépenses est respectivement de 70 % et 30 %, et non l’inverse. Par ailleurs, nonobstant les différences de classification que j’ai évoquées, que vous avez confirmées pour ce qui vous concerne et que votre commission aura à examiner en détail, il apparaît que même en tendanciel, la répartition n’est pas de deux tiers-un tiers mais plutôt de 50-50, avec 30 milliards de chaque côté.
S’agissant des effets négatifs sur la croissance, nous ne les estimons pas. Il faut tenir compte de l’effet multiplicateur. Si l’on retient un effet de freinage à 1,2 et un multiplicateur à 0,5, comme cela est parfois évoqué, nous obtenons quelque 0,6 point de croissance.
S’agissant de la surestimation, nous n’utilisons pas ce mot. Nous disons que les prévisions de recettes et de dépenses sont élevées.
S’agissant de la dette, nous avons une divergence d’appréciation que je suis obligé de confirmer. Vous n’avez peut-être pas tort de tenir compte de ce à quoi sert cet argent, mais je n’ai pas tort non plus de constater que, lorsque nous remboursons 70 milliards par an au lieu de 53 ou même 25 auparavant, et que nous nous dirigeons vers les 90, notre marge de manœuvre pour définir des programmes d’action intelligents et des investissements pour l’avenir se trouve considérablement réduite. Ce sera encore plus le cas si nous ne faisons pas l’effort de réduire la dette et si nous observons par ailleurs un renchérissement de son coût – je rappelle que nous émettons quelque 315 milliards d’euros sur les marchés financiers.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Monsieur le président du Haut Conseil, merci pour vos deux avis. J’ai sept questions à vous poser.
D’abord, la prévision de croissance du Gouvernement pour 2025 vous paraît un peu élevée, notamment en raison de l’effet récessif des mesures de hausse des prélèvements obligatoires et de baisse des dépenses publiques, dont vous déplorez par ailleurs le caractère peu documenté. Vous serait-il possible de quantifier, au moins sous la forme d’un ordre de grandeur, ce possible effet récessif ?
L’une des conditions de la prévision de croissance de 1,1 % du Gouvernement est une reprise de la consommation des ménages. Cela suppose un certain reflux de leur taux d’épargne, qui atteint 18,1 % du revenu disponible, bien au-dessus de sa moyenne de long terme de 15 %. D’après les prévisions gouvernementales, il ne diminuerait que de 0,5 point en 2025. Compte tenu de ce phénomène d’épargne durablement élevée, la prévision de croissance n’est-elle pas non seulement un peu élevée, mais d’une grande fragilité ?
Le taux de marge des entreprises perdrait 2 points entre 2023 et 2025, tombant de 32,7 à 30,7 %. Leur taux d’épargne serait également réduit, toujours d’après les prévisions gouvernementales, de 4 points – passant de 21,7 % en 2023 à 17,1 % en 2025. Dès lors, n’est-il pas hasardeux d’envisager même une timide reprise de l’investissement ?
Concernant les dépenses des administrations publiques, la tendance d’augmentation fléchirait fortement par rapport à 2024, avec une hausse de 2,1 % en valeur et de seulement 0,4 % en volume. Vous indiquez dans votre avis que cette cible d’évolution des dépenses est « particulièrement ambitieuse ». Quel crédit accordez-vous aux prévisions d’économies sur le budget de l’État, d’un montant de 20,3 milliards pour 2025, sachant que leur détail ne vous a pas été précisé par le Gouvernement ?
S’agissant du champ des administrations de sécurité sociale, l’augmentation de l’Ondam serait contenue à 2,8 % par rapport à 2024. Cela suppose des économies importantes, de l’ordre de 3,8 milliards. Quelles seraient les conséquences de cet effort sur les hôpitaux publics et sur les cliniques, alors même que le déficit de fonctionnement devrait atteindre plus de 2 milliards pour les seuls hôpitaux publics ?
D’après les prévisions, le niveau d’endettement public devrait croître fortement en 2024 et en 2025, respectivement de 3 et de 1,2 point de PIB. La tendance haussière se poursuivrait jusqu’en 2027 pour atteindre 116,5 % du PIB. La prévision de hausse de la charge de la dette, que le Gouvernement a fixée à 2,8 points de PIB en 2027 et 3,5 en 2031, après 1,9 point en 2023, s’appuie sur une hypothèse de hausse des taux longs d’intérêt de 3 % en 2023 à 3,8 % à l’horizon 2027. Cette estimation vous paraît-elle réaliste ? Avez-vous pu accéder aux hypothèses économiques sous-tendant ces prévisions ?
Enfin, vous relevez que la prévision d’une baisse de 0,9 % en volume des dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales, soit 0,9 % d’augmentation en valeur, est particulièrement fragile. Pouvez-vous préciser pourquoi ?
M. Pierre Moscovici. Plusieurs réponses sont déjà contenues dans vos questions.
S’agissant de l’effet récessif, il serait, sur la base du multiplicateur retenu par le Gouvernement, de quelque 0,5 ou 0,6 point, ce qui suppose une croissance spontanée de 1,7 %. Ce n’est pas ce que disent les chiffres. Cela ne signifie pas qu’il est impossible d’atteindre 1,1 % de croissance, mais qu’il faudrait pour cela que la croissance spontanée soit plus forte et que l’effet récessif soit moindre ; disons que ce n’est pas l’hypothèse de base. Dès lors, les estimations sur la reprise de l’investissement et de la consommation et sur la décrue de l’épargne nous paraissent un peu élevées.
En ce qui concerne les économies des administrations d’État, nous n’avons pas eu d’informations sur leur répartition. Il est donc difficile d’en apprécier complètement le réalisme.
Concernant le champ des administrations de sécurité sociale, le chiffre annoncé suppose selon nous des économies en dépenses de 4,9 milliards par rapport à l’évolution tendancielle, estimée à 4,7 %, notamment grâce à des mesures qui ne sont pas spécifiées sur le champ des établissements et des professionnels en ville, et grâce à un transfert de la charge vers les assurés et les mutuelles.
Il n’y aura pas forcément d’impact sur les hôpitaux. Économiser 4,9 milliards sur l’Ondam n’est pas hors de portée. Il faudra simplement que vous posiez au Gouvernement les questions qui conviennent pour savoir ce qu’il envisage exactement.
Pour ce qui est de l’évaluation nouvelle en prélèvements obligatoires, il est possible qu’elle soit un peu élevée. Nous n’avons pas eu d’informations suffisantes sur toutes les mesures.
Il est possible d’évaluer le montant de la surtaxe sur les grandes entreprises, sur la base du précédent de 2017, lorsqu’une surtaxe équivalente avait rapporté 5 milliards. Compte tenu de la hausse du bénéfice des entreprises constatée depuis lors, le montant de 8 milliards ne nous paraît pas non crédible. De même, la hausse de 4 points des cotisations vieillesse de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) est aisée à évaluer et devrait bel et bien rapporter 1,3 milliards.
En revanche, nous ne pouvons pas évaluer d’autres mesures importantes telles que la refonte des allégements généraux et la taxe sur les très hauts revenus faute d’informations suffisantes sur les mécanismes envisagés.
S’agissant des hypothèses de taux d’intérêt, le Gouvernement n’a fourni aucune explication précise, ni beaucoup d’informations. Elles sont peut-être élevées mais il est difficile pour nous d’être plus précis. En tout état de cause, elles reposent sur un chemin qui demandera à être confirmé et dont la première étape, en 2025, reste à dessiner.
S’agissant des collectivités locales, les mécanismes de résilience ne sont pas spécifiés. Ils devront par définition être prévus. Je fais simplement observer, comme nous l’avons fait l’an dernier aussi bien lors de l’examen du PLF que de la loi de programmation des finances publiques et du programme de stabilité, que le volume de dépenses des collectivités locales était censé diminuer et qu’on constate au contraire une forte hausse. Si nous ne sommes pas capables de définir de façon précise des mesures de résilience, alors ces chiffres sont eux aussi conventionnels et ne se réaliseront pas.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Michel Castellani (LIOT). L’objectif du PSMT est d’obtenir un fléchissement de la dette et un déficit maîtrisé, ce qui n’est pas facile, surtout avec une croissance de 1,1 %, qui limite fortement les marges de manœuvre. Compte tenu du relèvement prévu des prélèvements obligatoires, la croissance sera au rendez-vous si et seulement si l’efficacité dynamique de la dépense publique augmente. Or je suis obligé de constater que, depuis sept ans que je siège dans cette commission, le PIB de la France a augmenté globalement de 480 milliards et son endettement public de 1 000 milliards. Il y a un problème !
Pour obtenir une trajectoire vertueuse, il faudra jouer sur de nombreux paramètres, au premier rang desquels l’amélioration du solde des échanges, qui pour l’heure joue dans un sens récessif, le maintien des taux d’intérêt à bas niveau, qui peut poser problème, le soutien à la demande des ménages, en espérant qu’ils puiseront dans leur épargne, et le maintien à un haut niveau de l’investissement des entreprises, ce qui suppose une conjoncture porteuse et un climat de confiance, les deux étant liés. Voilà pour le court terme. S’agissant du moyen terme, je m’en tiens à l’avis du HCFP et préfère ne pas m’aventurer dans l’analyse, tant les variables et les effets multiplicateurs sont nombreux.
Que vous inspire le fait que la croissance de la dette soit deux fois supérieure à celle du PIB ?
M. Pierre Moscovici. Ce que cela m’inspire, je ne cesse de le dire depuis que je suis à la Cour des comptes, et même bien avant : lorsque la dette augmente, on glisse petit à petit dans l’impuissance. À force de limiter ses marges de manœuvre, on se retrouve complètement paralysé.
Par ailleurs, il en résulte une perte de crédibilité aux yeux de nos partenaires européens comme des marchés, ce qui finit par créer un effet tout à fait désagréable. Nous nous trouvons désormais, à certaines échéances, au-dessus de l’Espagne, de la Grèce ou du Portugal. Nous n’en étions pas là il y a quelques années. Ce regard plutôt négatif jeté sur notre pays ne me réjouit pas.
Être troisième sur le podium de la dette et premier en volume, avec une tendance qui s’écarte complètement de celle des autres, me paraît de très mauvais augure. Nous ne pouvons pas l’accepter. C’est pourquoi le PLF doit marquer une inflexion nette, afin de réduire significativement les déficits pour progressivement maîtriser la dette.
M. Matthias Renault (RN). Votre avis est assez édifiant. Il prend complètement à revers la communication du Gouvernement.
Selon ce dernier, le budget présente un effort de 60 milliards, dont 20 d’impôts et 40 d’économies. Pour vous, les proportions sont inverses : l’effort porte à 70 % sur des augmentations d’impôts et à 30 % sur des économies.
Côté impôts supplémentaires, dans le PLF que nous venons de recevoir, beaucoup relèvent de la fiscalité verte et de la fiscalité énergétique – hausse de la taxe sur l’électricité, hausse du malus écologique, hausse de la TVA sur l’installation de chaudières à gaz et autres verdissements de la fiscalité.
Côté dépenses, c’est le grand flou : 15 milliards sont présentés comme des économies sur le budget de l’État alors qu’il s’agit d’une reconduction du budget 2024. Au total, nous constatons bel et bien une augmentation des dépenses publiques de 2,1 % en valeur.
J’ai trois questions précises.
S’agissant de l’enveloppe prévue par les lettres plafonds, on nous a dit tout l’été que la reconduction du budget 2024 présentait une économie relative de 10 milliards en tenant compte de l’inflation. Désormais, il s’agirait de 15 milliards. Quel est l’avis du Haut Conseil : 10 milliards, 15 milliards ou pas d’économies du tout ?
S’agissant de la charge de la dette, vous l’estimez à 69 milliards en 2025, ce qui est énorme et traduit une très forte augmentation, de 9 milliards. Elle a plus que doublé en cinq ans. Ces 69 milliards ont-ils été calculés sur l’hypothèse d’une stabilité des taux d’intérêt en 2025 ?
Avez-vous calculé ce que coûterait, toutes choses égales par ailleurs, une hausse de 100 points de base des taux d’intérêt de la dette française en 2025 ?
M. Pierre Moscovici. Le HCFP ne se positionne pas par rapport à la communication du Gouvernement, ne serait-ce que parce que celui-ci raisonne en tendanciel quand notre approche est structurelle. Se pose la question de la classification entre les recettes et les dépenses : nous maintenons notre estimation selon laquelle les prélèvements augmenteront de 30 milliards, car certaines économies en dépenses sont plutôt selon nous des hausses de prélèvements obligatoires. Nous reclassons certaines opérations du Gouvernement, celui-ci n’ayant d’ailleurs pas beaucoup contesté nos modifications – il s’expliquera peut-être devant vous sur ses choix de répartition.
Le montant de 15 milliards correspond au 0,2 point de PIB qui sépare le déficit indiqué dans l’article liminaire du PLF – soit 5,2 % – du solde sur lequel le HCFP a dû se prononcer – 5 %. Vous en débattrez lors de l’examen des amendements.
Le calcul sur les 100 points de base est possible mais théorique. Nous ne sommes pas dans cette situation et nous ne devons pas y arriver : pour ce faire, il faut adopter une loi de finances pour 2025 rigoureuse.
M. Éric Woerth (EPR). On trouve des éléments positifs et des interrogations dans les deux avis du Haut Conseil. Avoir anticipé la demande européenne avec un avis sur le PSMT est une initiative heureuse, même si les réformes sur lequel il repose ne sont pas clairement documentées.
Vous avez eu raison de qualifier 2024 d’année noire : l’ampleur de l’écart entre la prévision budgétaire et la réalisation effective a causé un choc, et exige d’évaluer nos modèles de prévisions de recettes.
L’année 2025 doit être celle du sursaut. Comme vous le dites, l’effort nécessaire pour un pilotage raisonnable de nos finances publiques est important – 1,25 point d’inflexion structurelle représente une très haute marche – mais vous estimez réalistes les prévisions macroéconomiques – PIB potentiel, inflation et masse salariale. Quant à l’écart de 0,2 point de PIB en matière de déficit, entre 5 % et 5,2 %, il est effectivement original, mais il donne toute son utilité à la discussion parlementaire.
Du point de vue structurel, vous considérez que l’effort porte à 70 % sur les prélèvements obligatoires et à 30 % sur les dépenses quand le Gouvernement présente les choses différemment, dans une perspective tendancielle. Ces deux approches différentes vous semblent-elles conciliables ?
Enfin, le niveau de croissance de l’Ondam, fixé à 2,8 %, vous paraît-il crédible ?
M. Pierre Moscovici. C’est vrai, il y a des éléments positifs comme des interrogations. Je suis en effet content que l’on nous ait demandé de nous prononcer sur le PSMT ; il conviendra de reproduire cet exercice. Le décalage de deux ans est tout à fait justifié, et l’estimation de la croissance potentielle est beaucoup plus raisonnable. Il y a donc une réelle amélioration de la qualité de la trajectoire, même si nous ne pouvons pas entrer dans le détail car les informations restent lacunaires.
Le raisonnement en tendanciel du Gouvernement n’est pas faux, il est défendable. Celui du Haut Conseil porte, de manière logique, sur l’évolution structurelle. Les deux approches sont complémentaires – mais, dans les deux, il vous faudra clarifier la classification des mesures d’économies entre les prélèvements obligatoires et les dépenses. Aux yeux du HCFP, la hausse des prélèvements atteint 30 milliards. On peut être en désaccord avec cette estimation, mais si on la suit, la répartition ne serait de toute façon pas de deux tiers-un tiers, même avec une approche tendancielle.
Il est sans doute nécessaire de revenir à des croissances plus limitées de l’Ondam, mais il faudra que le Gouvernement vous explique, ce qu’il n’a pas fait jusqu’à présent, comment il compte parvenir à cet objectif. Reprendre la maîtrise des dépenses d’assurance maladie sans pour autant hypothéquer les services hospitaliers est possible et nécessaire, nous l’avons d’ailleurs fait pendant très longtemps. Je remettrai au Premier ministre, lorsque je le rencontrerai, la revue des dépenses que la Cour des comptes a réalisée dans ce domaine.
M. Aurélien Le Coq (LFI). Près de dix jours après la limite fixée par la Constitution, le Gouvernement s’apprête enfin à transmettre le PLF au Parlement. Nous avons des raisons d’être très inquiets.
Le chaos budgétaire dans lequel nous a plongés la Macronie est en immense partie dû à un manque de recettes découlant des cadeaux fiscaux offerts par dizaines de milliards aux plus riches du pays. Pour rétablir la situation, la solution semble évidente : les ultra-riches doivent partager et contribuer davantage aux recettes publiques. Pourtant, le gouvernement Barnier a décidé de répartir les 60 milliards d’effort en deux tiers de coupes budgétaires et un tiers d’augmentation des recettes : la hausse des prélèvements obligatoires sera donc particulièrement faible par rapport aux cadeaux offerts aux plus riches depuis sept ans.
La saignée que s’apprête à faire le Gouvernement nous alerte : l’austérité réduit les investissements publics, donc la croissance, donc les recettes. Anne-Laure Delatte estime que la cure d’austérité pourrait nous coûter entre 0,6 et 1 point de PIB en 2025, quand l’Observatoire français des conjonctures économiques évalue l’impact d’une réduction des dépenses de 20 milliards à une diminution de 0,6 point de la croissance. Il ne suffit pas de prévoir des recettes, encore faut-il les percevoir.
Nous avons eu des gouvernements de menteurs qui présentaient des budgets insincères, reposant sur des prévisions de croissance et de recettes systématiquement surévaluées, et qui cachaient le plus longtemps possible à la représentation nationale les conséquences budgétaires de leur politique. Si les recettes se révélaient cette année de nouveau bien moindres que prévu, nous aurions droit à une nouvelle saignée austéritaire de Macron en 2025 ; ce scénario s’est produit en 2024, avec 18 milliards de coupes budgétaires en cours d’année.
Les prévisions de recettes du Gouvernement vous semblent-elles réellement sincères et réalistes ? Et en est-il de même pour la prévision de la croissance, au vu du montant très important des coupes budgétaires prévues ?
M. Pierre Moscovici. Comme je l’ai expliqué, nous n’avons relevé aucun problème d’insincérité et nous soulignons une inflexion bienvenue ; cette question aurait pu se poser d’autres années, mais pas celle-ci. Quant aux prévisions macroéconomiques et de finances publiques, elles sont réalistes pour 2024 et un peu fragiles pour 2025. Il y a en effet des questions à trancher : vous avez du travail devant vous ! Parmi elles figure le partage entre la hausse de la fiscalité et les économies de dépenses.
M. Jacques Oberti (SOC). Permettez-nous d’être particulièrement surpris de vous entendre dire que, comme nous, le Haut Conseil n’a pas reçu suffisamment d’informations pour porter une appréciation exhaustive sur le PLF pour 2025. C’est par l’avis du HCFP que nous, parlementaires, apprenons que la situation des finances publiques est encore pire que ce qui était annoncé. L’autopsie de l’année budgétaire 2024 sera nécessaire.
Juste avant l’été, la France a essuyé une baisse de sa notation par une agence financière, mais le ministre de l’économie et des finances d’alors nous a dit que ce n’était pas grave. Pas grave que le déficit atteigne 6,1 % du PIB en 2024 quand il était prévu à 4,3 % ? Pas grave qu’à 1,1 %, la croissance du PIB ne représente que les deux tiers de ce que le Gouvernement prévoyait encore un an auparavant ? Quel échec économique ! Pour 2025, les prévisions s’établissent à 5 % au lieu de 3,5 % pour le déficit, et 1 % au lieu de 1,7 % pour la croissance. Oui, quel échec !
C’est un enfer qui est annoncé à nos concitoyens. Au moins 100 milliards d’économies à réaliser en trois ans – sans doute bien plus, car la facture augmente chaque semaine – et cela sans empêcher le taux d’endettement d’atteindre 115 % – et encore les experts du HCFP jugent-ils cette trajectoire « fragile » ! Voilà ce que produisent sept années de politique macroniste de suppressions d’impôt à tout va : des caisses vides et une absence de croissance. Si seulement les gouvernements avaient écouté les mises en garde que nous leur avons adressées pendant sept ans !
Le PLF vise à dégager 60 milliards par des mesures d’austérité ; or les baisses d’impôt consenties chaque année aux grandes entreprises et aux contribuables les plus fortunés représentent 62 milliards. Ce n’est pas un hasard : les Français vont payer pour les plus riches.
Pour atteindre ces 60 milliards, un effort magistral est demandé aux collectivités territoriales et à leurs regroupements. Que pense le président du Haut Conseil des finances publiques de la recommandation de la Cour des comptes de supprimer 100 000 postes dans la fonction publique territoriale ?
M. Pierre Moscovici. Je ne commenterai pas votre discours de politique générale. Par définition, le président du Haut Conseil ne pense rien des positions du Premier président de la Cour des comptes. Mais en changeant un instant de casquette, je peux vous dire que la Cour des comptes n’a pas recommandé de supprimer un seul poste dans les collectivités locales ; elle a simplement indiqué que si les collectivités ne remplaçaient pas tous les départs en retraite sur les six prochaines années, on pourrait aboutir à 100 000 emplois de moins. Les travaux de la Cour des comptes sont parfois déformés, et c’est ennuyeux. J’ai été élu local, je me suis entretenu avec des représentants d’associations d’élus locaux et des directeurs généraux de collectivités et je leur ai dit que, contrairement à ce que l’on entendait parfois, nous ne recommandions pas de supprimer certaines allocations ni de laisser des gens sur le bord du chemin !
Mme Véronique Louwagie (DR). Je me félicite que vous qualifiiez le scénario présenté, révisé à la baisse par rapport aux évaluations précédentes, de raisonnable, même si vous le jugez également optimiste. Vous estimez réalistes les hypothèses pour 2024, tout en qualifiant celles de 2025 de fragiles. Il n’y a, en tout cas, pas de surestimation, pour reprendre votre terme. Je regrette que votre analyse ait été entravée par un manque d’informations. Nous avons bien conscience que le chemin est étroit et que tout écart en 2025 pourrait compromettre le passage en dessous de 3 % du déficit prévu en 2029.
Vous faites état d’une augmentation des dépenses de 35,5 milliards sur un total de 1 693 milliards. C’est 12 milliards de moins que l’augmentation initialement prévue, qui était de 47,5 milliards. La Droite républicaine est très attentive aux dépenses et milite pour leur réduction afin de parvenir à un niveau de déficit acceptable. Pensez-vous qu’il serait possible de consentir un effort encore supérieur à ces 12 milliards ?
Comment avez-vous mesuré l’impact des gels de dépenses prévus en 2024 ? Le montant des crédits gelés devait s’établir à 16,5 milliards, à ajouter aux 10 milliards provenant des décrets d’annulation. L’ancien ministre Thomas Cazenave nous avait indiqué que la moitié pourrait être dégelée : quelle a été votre analyse des chiffres de 2024 ?
Vous avez évoqué une hausse de 1,3 milliard de la taxe abondant la CNRACL, qui serait à la charge des collectivités : ce montant s’ajoute-t-il à l’effort de 5 milliards déjà demandé, ce qui aboutirait à une somme totale de 6,3 milliards ?
M. Pierre Moscovici. Le Haut Conseil donne des avis d’experts, dans un domaine à mon sens quelque peu trop restreint. Nous nous prononçons sur le caractère réaliste des prévisions des données macroéconomiques, des recettes et des dépenses, nous n’avons pas à dire si des mesures pourraient ou devraient être plus ou moins différentes.
Compte tenu du niveau élevé des prélèvements obligatoires, l’effet structurel est relativement faible, d’où notre choix de décomposer l’effort entre 0,4 % pour les dépenses et 1 % pour les prélèvements. Cela signifie que les années suivantes, il ne sera pas possible de reproduire des efforts fiscaux de cette nature. Quand j’étais ministre des finances, j’avais malheureusement augmenté très fortement les impôts une année, avant de parler de ras-le-bol fiscal l’année suivante car une telle politique ne peut être conduite qu’un an, pas deux. Je ne me prononce donc pas sur les choix pour 2025, mais je crois profondément que l’essentiel de l’effort devra porter sur les dépenses les années suivantes. Ce sera à vous d’apprécier la bonne répartition entre les recettes et les dépenses.
Les gels de dépenses sont en partie compensés par les reports de 2023, lesquels représentent environ 10 milliards. Cela dit, nous ne connaissons que la prévision de déficit du Gouvernement pour la fin de l’année, à 6,1 %. C’est à lui qu’il faut demander le niveau de départ – 6,2 % ou 6,3 % – ainsi que les mesures qui sont annulées ou non.
Quant à l’effort des collectivités territoriales, vous avez donné les bons chiffres.
Mme Eva Sas (EcoS). On ne pourra pas vous reprocher de ne pas avoir tiré la sonnette d’alarme ! Vous dites depuis plusieurs années qu’il est déraisonnable – on aurait pu dire irresponsable – de procéder à des baisses d’impôt non financées. Loin de vous écouter, les gouvernements successifs ont organisé, depuis 2018, un véritable désarmement fiscal de la France : ainsi, les recettes fiscales de l’État ont plongé de 62 milliards. Les grandes entreprises et les plus riches en ont largement profité, sans aucune contrepartie. Le résultat est un déficit galopant, inédit depuis la seconde guerre mondiale, et des services publics à l’agonie.
Voilà donc que le déficit pour 2024 devrait excéder 6 % du PIB et que le Gouvernement annonce un effort budgétaire colossal en 2025. Que l’on retienne le chiffre de 1,4 ou celui de 2 points de PIB, soit 42 milliards ou 60, l’effort budgétaire voulu par le Gouvernement est d’une grande brutalité ou, si je reprends vos mots, d’une « ampleur inhabituelle ». Certes, la France se trouve en situation de déficit excessif, mais la Commission européenne ne nous impose en rien d’aller aussi loin : elle exige simplement un ajustement budgétaire minimal de 0,5 % de PIB par an, soit environ 14 milliards. Pourquoi l’ajustement budgétaire doit-il être aussi brutal ? Quelles en seront les conséquences sur l’activité, les services publics et la protection sociale des Français ?
Nous proposons d’augmenter les impôts des contribuables les plus aisés et des grandes entreprises : partagez-vous notre approche ? Un tel ciblage minimiserait l’impact récessif de l’ajustement budgétaire.
Les conséquences économiques du dérèglement climatique, estimées à au moins 0,1 point de croissance chaque année, ont-elles été prises en compte dans les hypothèses sous-jacentes du projet de loi de finances ?
M. Pierre Moscovici. Je ne répondrai qu’à votre première question, les deux dernières relevant du débat parlementaire et de vos échanges avec le Gouvernement.
Les règles européennes imposent en effet un effort minimum de 0,5 point de PIB, mais la France est en procédure de déficit excessif et pâtit d’une dette trop lourde : il faut absolument diminuer notre taux d’endettement. Dès lors que le Gouvernement prolonge la trajectoire de deux ans pour atteindre un déficit de 3 %, en 2029, il est impératif d’être à 5 % en 2025 et donc de consentir un effort massif cette année. Sinon, les 3 % ne seront pas atteints avant 2031. Or plus l’échéance est repoussée, plus la crédibilité de la France est entamée. Il importe donc que la première marche soit élevée. L’effort est très dur, mais totalement justifié.
Mme Sophie Mette (Dem). À la lecture de votre avis relatif au PLF pour 2025, un élément fondamental apparaît, la résilience de notre économie. La croissance est robuste en 2024 et le restera en 2025, tandis que le niveau d’inflation est désormais maîtrisé. Nous devrons nous appuyer sur ces fondamentaux pour réussir à redresser nos finances publiques. Vous jugez toutefois la prévision de croissance du Gouvernement un peu optimiste compte tenu des mesures d’effort en dépenses et en recettes.
Vous indiquez également que les informations fournies par le Gouvernement ne sont pas suffisantes pour évaluer le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses sur lesquelles reposent les textes financiers pour l’année 2025. Des éléments nouveaux, de nature à éclairer davantage votre évaluation, vous sont-ils parvenus ces derniers jours, voire ces dernières heures ?
Vous vous prononcez également sur l’économie allemande : notre plus proche partenaire européen traverse une période difficile, ce qui, compte tenu de son poids dans la zone euro, ne peut qu’affecter l’activité économique de notre pays. Vous indiquez que les perspectives pour 2025 sont très incertaines. Quels éléments fondent votre analyse, alors que le gouvernement allemand table sur une croissance de 1,1 % l’année prochaine ?
Enfin, je tiens à saluer le fait que le Gouvernement ait saisi le Haut Conseil sur les prévisions et hypothèses macroéconomiques du PSMT, alors qu’il n’était pas tenu de la faire. Cela nous a permis de constater que le Gouvernement a revu à la baisse sa prévision de croissance potentielle, notamment à cause du ralentissement de la population active. Partagez-vous cette analyse ? D’autres facteurs propres à l’économie française sont-ils responsables de cet essoufflement de la croissance potentielle ?
M. Pierre Moscovici. La résilience de l’économie française est incontestable, mais les décisions prises n’ont pas transformé notre pays en champion toutes catégories puisque la croissance potentielle a été ramenée à 1,2 %, puis 1 %. Compte tenu des évolutions démographiques que vous avez évoquées, cette prévision est réaliste et nous saluons le fait que le Gouvernement retienne désormais une estimation plus raisonnable de la croissance potentielle. Il faut tout faire pour alimenter la croissance et ne rien faire qui puisse l’endommager, mais n’attendons pas de la croissance qu’elle puisse seule résorber les déficits : cela relève de la pensée magique et plus personne ne doit commettre cette erreur.
Nous ne possédons aucun élément nouveau ; nous avons déposé notre avis avant-hier soir, tard, au Conseil d'État, puis nous l’avons diffusé hier soir. Les membres du Gouvernement vous apporteront des éléments plus précis. Le processus n’est pas illogique, même si nous aurions préféré bénéficier de davantage d’informations. J’ajoute que j’ai demandé au Gouvernement des éléments qu’il ne m’a pas transmis, ce qui est une erreur. Nous ne disposions pas des données que vous avez finalement obtenues, difficilement, monsieur le président. Le Gouvernement gagnerait à être transparent à l’endroit du Parlement et du Haut Conseil, cela ne lui serait pas préjudiciable. Nous avons le droit d’obtenir les éléments nécessaires à notre travail et je reviendrai systématiquement à la charge si ceux-ci venaient à nous manquer.
L’économie allemande devrait se contracter de 0,2 % en 2024, si bien que l’acquis de croissance sera extrêmement faible en 2025. L’ensemble des hypothèses du gouvernement allemand semblent bien optimistes. Notre prudence est aussi alimentée par le fait que c’est la troisième année de suite que nos voisins annoncent la reprise.
M. le président Éric Coquerel. Être informé par la presse constitue un problème.
M. Pierre Moscovici. Absolument. La réponse du ministre à mon courrier n’était pas satisfaisante : je le lui ai dit et il en a convenu. J’ai bon espoir que cela ne se reproduise pas. Nous en apprenons davantage à la lecture de certains journaux qu’avec ce que nous transmet le Gouvernement ! Qu’il en soit ainsi pour des institutions dont l’existence est prévue par la Constitution pour le Parlement et par une loi organique pour le Haut Conseil, c’est absolument anormal.
M. François Jolivet (HOR). Le groupe Horizons & indépendants est particulièrement attaché au rétablissement des comptes publics car vivre à crédit sur le dos de nos enfants et de nos petits-enfants n’est pas une bonne solution. Vos deux avis donnent un peu le vertige. Nous observons, en 2023 et en 2024, une décorrélation entre la croissance du PIB et la progression des recettes alors que depuis toujours, dans notre pays, la prévision du montant des recettes est assise sur celle de la croissance. Tout le monde s’inquiète de ce changement, à Bercy comme parmi les économistes ; ils y travaillent et l’on entend parler de nouveaux calculs de l’élasticité de la croissance, comme si la France était devenue, du jour au lendemain, un pays qui exporte beaucoup hors de l’Union européenne parce qu’elle n’aurait pas de TVA. Si les recettes avaient évolué comme le PIB en 2023, l’objectif de déficit aurait été atteint ; en 2024, il aurait de toute façon été trop élevé, mais tout de même moins important. Vous reconnaissez que le Gouvernement entreprend des efforts. Notre modèle de prévision des recettes ne souffre-t-il pas d’une maladie systémique ?
M. Pierre Moscovici. Nos avis ne contiennent aucun jugement de valeur : ils soulignent les décisions positives et mettent en lumière les éléments d’incertitude, voire de risque. Dans une situation telle que la nôtre, il est opportun d’élaborer des hypothèses prudentes pour éviter d’avoir à constater ex post, comme ce fut le cas ces dernières années, des évolutions très négatives. Le pire est de donner l’impression d’être incapable de donner de bons chiffres.
J’ignore si votre commission se transformera en commission d’enquête, mais il y a lieu de conduire une autopsie de l’année budgétaire 2024. Plusieurs facteurs ont joué : certaines prévisions ont sans doute péché par optimisme, les dépenses n’ont cessé de croître, et l’évaluation des recettes s’est révélée totalement irréaliste. Nous avons des raisons de penser que la situation sera meilleure l’année prochaine, mais sera-t-elle bonne ? Nous sommes capables d’identifier les mécanismes à l’œuvre, mais pas d’en estimer la pondération et l’impact. Il est essentiel de comprendre ce qui s’est précisément passé pour pouvoir faire la distinction entre ce qui peut se reproduire et ce qui n’est que l’affaire d’une année – ou de deux, en l’occurrence.
Le HCFP ne s’est pas penché sur la question et ne dispose pas des éléments pour le faire, mais la Cour des comptes publiera en mai son rapport annuel sur l’exécution du budget de l’État, dans lequel figurera forcément une analyse du dérapage de 2024. Mais peut-être serait-il utile de ne pas attendre le mois de mai pour étudier le sujet.
M. le président Éric Coquerel. Je compte bien que la commission et l’Assemblée suivront ma recommandation en la matière.
M. Nicolas Sansu (GDR). Même s’il vous a manqué des éléments pour préparer ces deux avis, ceux-ci sont éclairants. Ils montrent la conséquence du désarmement fiscal organisé à partir de 2017.
L’écart entre la prévision actuelle de déficit, solide, et celle, initiale, du PLF pour 2024 – avant les ajustements apportés par le programme de stabilité – est de 1,7 point de PIB. N’oublions pas qu’il aurait même pu s’approcher de 2 points si des crédits n'avaient pas été gelés ou annulés entretemps, et atteindre ainsi près de 60 milliards d’euros. C’est un problème qu’il faudra étudier.
Vous nous avez demandé d’oublier la LPFP : cela tombe bien, nous ne l’avons jamais votée !
Quels seraient les effets récessifs, inévitables, d’une baisse trop importante des dépenses publiques ?
Pensez-vous qu’il soit possible de contenir l’évolution de l’Ondam à 2,8 %, eu égard au vieillissement de la population et aux attentes des Français en matière de santé et d’accès aux soins ?
Le Gouvernement prévoit de collecter 8 milliards grâce à la surtaxe d’impôt sur les sociétés. Cet objectif vous semble-t-il atteignable, dans le cadre fixé par l’article 11 du projet de loi de finances ?
La baisse prévue du montant du fonds de compensation pour la TVA et du fonds Vert n’affectera-t-elle pas trop l’investissement public, local ou non ?
Notre société est, de plus en plus, une société de rentiers et d’héritiers. N’est-ce pas un problème à prendre en compte pour élaborer un budget juste et fiscalement tenable ?
M. Pierre Moscovici. J’ai déjà indiqué quel multiplicateur nous utilisons pour estimer l’effet récessif des mesures prévues.
L’objectif de contenir l’évolution de l’Ondam à 2,8 % me semble atteignable, mais c’est au Gouvernement qu’il faudra demander comment il compte s’y prendre, et il faudra étudier les impacts des mesures envisagées.
Oui, l'objectif d’économies sur le budget des collectivités locales me semble crédible, de même que les 8 milliards de l’impôt sur les sociétés et la hausse du taux de cotisation à la CNRACL. Vous devrez demander au Gouvernement comment il évalue l’impact de ces mesures sur l’investissement.
Quant à mon opinion sur la société d’héritiers, j’aurais pu la donner quand j’étais des vôtres mais, hélas, pas en tant que président du HCFP.
M. Gérault Verny (UDR). Soyons francs, ce PSMT prévoit des trajectoires qui frôlent l’irresponsabilité, en repoussant encore et encore l’heure de vérité. En 2027, le déficit public avoisinerait 4 % et la dette publique exploserait. Elle atteindrait 116,5 % du PIB, soit un niveau supérieur à celui enregistré pendant la crise sanitaire, lors du fameux « quoi qu’il en coûte ». Le Gouvernement présente la croissance future comme un remède miracle. Pour notre part, nous constatons seulement une croissance de la dette, des déficits et de l’irresponsabilité.
Seule certitude à la lecture de votre avis, les taux d’intérêt alourdiront la charge de la dette : ils représenteront jusqu’à 3,5 % du PIB en 2031. Et la situation pourrait encore se détériorer ! Si nous continuons à dépenser sans compter, la seule priorité sera de rembourser les intérêts d’une dette abyssale, obérant ainsi l’avenir de nos enfants, de nos familles, de nos entreprises. Le seul recul constaté est celui du courage, alors qu’il serait indispensable de fournir des efforts dès maintenant.
Pensez-vous réellement que le niveau de la dette puisse baisser à partir de 2028, comme le prévoit le PSMT ? Ne serions-nous pas une nouvelle fois en train de sous-estimer le risque que la dette devienne ingérable, faute de marges de manœuvre en cas de choc conjoncturel ?
Croyez-vous que l’inflation atteindra bien 1,8 % l’an prochain ? Je rappelle qu’avec un taux inférieur, mécaniquement, le PIB et les rentrées fiscales seraient moindres qu’escompté.
M. Pierre Moscovici. Selon nous, la prévision d’inflation est un peu trop élevée, de l’ordre de quelques dixièmes. Quant à la trajectoire prévue dans le PSMT, elle me paraît plus raisonnable que celles de la LPFP et du programme de stabilité, qui sont dépassées. C’est jouable, si tout va bien, mais il faut que les engagements pris soient documentés, puis tenus. La première marche, celle d’un déficit à 5 points, devra absolument être gravie.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Nicolas Ray (DR). Revenons sur votre différence d’appréciation avec le Gouvernement concernant la part respective des dépenses et des recettes dans la réduction des déficits. J’ai compris que le Gouvernement, contrairement à vous, calculait à partir de la hausse tendancielle des dépenses, mais le taux qu’il retient, de 2,8 %, vous paraît-il pertinent ?
Pour notre part, nous souhaiterions que l’effort porte davantage sur les dépenses que sur le levier fiscal. Pensez-vous que des économies d’effet rapide ou immédiat – c’est ce que M. Barnier attend de nous – soient possibles sur les dépenses de fonctionnement de l’État ou ses opérateurs ? Si oui, connaissant le caractère incompressible, rigide, de certaines dépenses de l’État, pouvez-vous nous donner des pistes précises ?
M. Pierre Moscovici. La différence de calcul avec le Gouvernement n’est pas un différend. Vous demanderez au ministre comment il est parvenu au taux de 2,8 %. Son choix de calculer en tendanciel se défend, même si cela revient ici à considérer, comme le font les notes du Trésor, que les années 2023 et 2024 constituent la nouvelle norme. Or pourquoi se fonder sur une catastrophe pour justifier les économies ? Pour notre part, nous sommes obligés d’adopter une approche structurelle ; mais, en l’occurrence, elle nous paraît plus adaptée.
La Cour des comptes, dans ses rapports, étudie les politiques publiques et souligne les économies possibles. Je pense aux revues des dépenses que nous remettrons prochainement sur les collectivités locales, la sécurité sociale, ou les dispositifs de sortie de crise. D’autres revues des dépenses ont été produites par les inspections générales, celle des finances, notamment. Oui, il doit être possible de trouver des économies de fonctionnement. Il vous revient d’en débattre avec le Gouvernement.
M. Emeric Salmon (RN). Quelque 40 % des médicaments commercialisés dans l’Union européenne sont importés, et 60 % à 80 % des principes actifs sont produits en Chine et en Inde, ce qui explique la pénurie de médicaments. La trajectoire budgétaire annoncée empêchera-t-elle les actions fortes nécessaires pour y remédier, ou d’autres politiques de santé importantes pour nos concitoyens ?
M. Pierre Moscovici. Je n’ai pas la réponse à cette question.
Mme Véronique Louwagie (DR). Je n’ai pas bien compris votre réponse de tout à l’heure. La hausse de 4 % du taux de cotisation à la CNRACL représente 1,3 milliard d’euros. Cette somme s’ajoute-t-elle aux 5 milliards d’euros d’économies demandées aux collectivités locales, ou y est-elle incluse ?
M. Pierre Moscovici. Je crois qu’il faut l’ajouter – votre raisonnement me semble juste ; mais je ne suis pas certain des chiffres. Il faut demander au Gouvernement.
M. Christian Baptiste (SOC). Le Haut Conseil des finances publiques révèle une situation alarmante. Le Gouvernement, par son manque délibéré de transparence, n’a pas permis une évaluation complète du PSMT. C’est un affront aux principes fondamentaux de rigueur et de sincérité budgétaire que votre institution incarne.
En pleine crise de finances publiques, l’exécutif a ainsi choisi l’opacité, cherchant manifestement à se soustraire au contrôle et à la vérité sur ses engagements budgétaires. Cette stratégie, qui s’apparente à un sabotage des mécanismes de contrôle démocratique, révèle un mépris scandaleux envers votre institution et la représentation nationale. Le refus de fournir des données précises et fiables traduit-il la volonté de masquer les incohérences de la politique budgétaire actuelle ? Si c’est le cas, cela porterait gravement atteinte à la crédibilité des engagements financiers de la France, au niveau national et international.
Cela crée également une situation intenable pour le Haut Conseil : comment évaluer la trajectoire financière de la France lorsque le gouvernement se dérobe à ses devoirs les plus élémentaires de transparence ?
M. Pierre Moscovici. Je suis beaucoup moins sévère que vous. Même si nous constatons que, faute des informations nécessaires, nous ne pouvons évaluer pleinement la trajectoire prévue, nous discernons des éléments positifs et des circonstances atténuantes.
Le Gouvernement nous a saisis alors que ce n’était pas obligatoire. Je prends cela comme une main tendue, en insistant pour que nous obtenions les informations la prochaine fois. Par ailleurs, parmi les rares éléments qui nous ont été transmis, il faut tout de même mentionner l’étalement du retour du déficit à 3 % et une estimation plus raisonnable de la croissance potentielle. Cette estimation demeure un peu élevée, mais est tout de même plus conforme que les précédentes aux recommandations que le Haut Conseil formulait depuis plusieurs années.
Au chapitre des circonstances atténuantes, j’observe que, alors qu’un nouveau gouvernement était annoncé pour le 15 août, le Premier ministre n’a été nommé que le 15 septembre, et le gouvernement le 25 septembre. C’est selon moi le manque de temps plutôt que la volonté de se dérober qui explique la situation. Sinon, le Gouvernement ne nous aurait pas saisis. Je comprends que la situation politique est extrêmement particulière et je suis plus indulgent que vous, peut-être moins suspicieux également.
En revanche, le Gouvernement, qui a décalé l’envoi à la Commission européenne du PSMT au 31 octobre, devra veiller à ce qu’il soit complet et extrêmement documenté, car la Commission ne pourra se contenter de l’ébauche que nous avons reçue.
Enfin, un rendez-vous a été pris : nous reviendrons annuellement vous parler du PSMT. L’an prochain, les circonstances seront différentes et nous ne serons pas aussi indulgents.
M. le président Éric Coquerel. Depuis tout à l’heure, nous additionnons des recettes fiscales et des mesures d’économie pour calculer leur part respective dans l’effort à fournir. Mais n’oublions pas une autre distinction : pour moi, une moindre dépense fiscale ou sociale n’est pas une recette. Nous reviendrons à ce débat, qui n’est pas nouveau.
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Informations relatives à la commission
La commission a désigné M. Matthias Renault, rapporteur de la proposition de loi visant à exonérer de l’impôt sur le revenu les médecins et infirmières en cumul emploi-retraite (n° 263).
La commission a décidé de demander à la Cour des comptes, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, la réalisation des enquêtes suivantes :
– le régime des plus-values immobilières des entreprises et des particuliers ;
– le modèle économique d’EDF ;
– les agences de programme ;
– les amendes forfaitaires délictuelles ;
– la prestation de compensation du handicap.
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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du jeudi 10 octobre 2024 à 18 heures
Présents. - M. David Amiel, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Karim Ben Cheikh, M. Jean-Didier Berger, M. Michel Castellani, M. Eddy Casterman, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. David Guiraud, M. Philippe Juvin, M. Tristan Lahais, Mme Constance Le Grip, M. Aurélien Le Coq, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-Paul Mattei, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, Mme Christine Pirès Beaune, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, M. Emeric Salmon, Mme Eva Sas, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Jean-Noël Barrot, M. Mickaël Bouloux, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Marina Ferrari, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou
Assistaient également à la réunion. - M. Mathieu Lefèvre, M. Nicolas Sansu