Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) 2
– Présences en réunion...........................27
Mardi
17 décembre 2024
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 067
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
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La Commission auditionne Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58 1100 du 17 novembre 1958)
M. le président Éric Coquerel. Je vous rappelle que nous sommes réunis pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 et que notre commission s’est vue octroyer à ce titre les prérogatives d’une commission d’enquête. Cette audition obéit au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Madame Cécile Raquin, vous êtes directrice générale des collectivités locales. Je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Cécile Raquin prête serment.)
Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales. Afin de vous apporter des réponses circonstanciées, je vous propose, en propos liminaire, de rappeler le rôle de la direction générale des collectivités locales (DGCL) et les relations qu'entretiennent mes services avec les autres services de l'État et les collectivités territoriales.
La DGCL a la charge du suivi et du versement des concours de l'État, qui représentent environ 55 milliards d’euros, en particulier des dotations de fonctionnement et d'investissement. La principale dotation est la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui représente 27 milliards. Je citerai également des mécanismes de soutien à l’investissement : suivi du fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) et répartition aux préfectures de dotations comme la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) ou la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID).
La DGCL est également responsable de programmes budgétaires : le programme 147, Politique de la ville ; le programme 112, Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire ; le programme 119, Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements ; et le programme 122, Concours spécifiques et administration. Nous assurons à ce titre la budgétisation, la répartition et la délégation des dotations ainsi que le suivi de leur niveau d'exécution.
La direction générale est aussi chargée des questions relatives à la fiscalité locale. Mes services entretiennent des relations étroites et régulières avec les services de la direction de la législation fiscale (DLF) et avec la direction générale des finances publiques (DGFIP) pour tout ce qui concerne le recouvrement. En ce qui concerne la fiscalité locale, nous intervenons pour tous les impôts relevant du code général des collectivités territoriales alors que la DLF est compétente pour ceux relevant du code général des impôts. Dans la pratique, nous travaillons en étroit partenariat, en échangeant toutes nos analyses. Lorsque nous chiffrons des mesures fiscales, nous le faisons toujours avec la contre-expertise des services de Bercy.
Au-delà de ces missions, la DGCL intervient dans la préparation des projets de loi de finances pour les mesures fiscales et financières qui intéressent les collectivités locales, dans le cadre général du pilotage par la direction du budget et la direction de la législation fiscale. Une autre mission importante de la DGCL est l’appui aux préfectures dans leur mission de conseil aux collectivités et de contrôle budgétaire.
S'agissant des questions relatives à l'exécution des dépenses locales et à leur circuit financier, nous travaillons en étroite collaboration avec la DGFIP qui anime le réseau de proximité des directions départementales des finances publiques (DDFIP). Mes services sont donc quotidiennement amenés à connaître de situations particulières des collectivités, qui touchent à une très grande variété de thématiques financières – comptabilité, emprunts, impôts locaux, montages financiers d'opérations ou difficultés de fonctionnement de certaines collectivités. Sur tous ces sujets, nous sommes en position d'appui et de conseil aux services de l'État dans leur relation avec les collectivités territoriales.
Je rappelle – c’est important – que la DGCL n'exerce aucun contrôle direct et n'a pas vocation à exercer une surveillance permanente et individuelle de chacun des budgets locaux. En revanche, nous pouvons être amenés à connaître de situations individuelles quand nous sommes saisis par des préfectures ou directement par des collectivités. À la différence de la DGFIP et de son réseau de comptables publics dont c'est le cœur de métier, la DGCL n'a donc pas accès à l'état en flux des comptes locaux.
Notre travail d'analyse repose d'abord sur l'accès aux comptes des derniers exercices clos, ce qui signifie que, au moment où je vous parle, tous nos travaux d'analyse ont été effectués sur les comptes de gestion 2023. Nous nous appuyons également, au cours de l'année, sur le document de synthèse nationale produit mensuellement par la DGFIP, la situation périodique des opérations comptables des collectivités territoriales (Spocc). C'est sur cette base que nous produisons des analyses nationales ou des analyses sur des situations individuelles, qui fournissent aux ministres chargés des collectivités locales un panorama de l'orientation générale des finances des collectivités et permettent d’expertiser des situations particulières.
Nous produisons tout au long de l'année des études publiées sous forme de bulletins d'information statistique et réalisées par le département des études et statistiques locales de la DGCL, qui a le statut de service statistique ministériel. Dans un souci de transparence, nous publions au fur et à mesure en accès libre, sur un site commun avec la DGFIP, ces études et toutes leurs données sous-jacentes.
Nos analyses rétrospectives permettent d'identifier des tendances, sous réserve des nécessaires précautions méthodologiques. Nous réalisons également des analyses prospectives fondées sur les budgets primitifs des collectivités et sur les décisions modificatives qui peuvent intervenir en cours d'année. Là encore, des précautions méthodologiques sont de mise, car ces budgets primitifs reflètent des choix de gestion et de politiques, et sont parfois décorrélés de l'exécution réelle, que ce soit en termes de recettes ou de dépenses. Ces écarts assez importants expliquent pourquoi nous nous fondons sur les comptes pour les analyses factuelles. Nos analyses de tendances sont enrichies de l’analyse des budgets primitifs.
Nous fournissons également des informations au Parlement, qui nous sollicite tout au long de l’année pour des documents ou des auditions, ainsi qu’à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes dans leur mission de contrôle. Nous jouons un rôle dans le dialogue avec les collectivités à travers différentes instances comme le Comité des finances locales (CFL) ou le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) dont nous assurons le secrétariat. Nous participons avec les représentants des collectivités aux travaux de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL). J’ajoute que l'organisation du Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL) relève des services du ministère de l'économie et des finances et que la DGCL en est membre.
En somme, la DGCL a accès aux mêmes données que celles des services des ministères en charge du budget et des comptes publics qui élaborent les lois de programmation des finances publiques et les lois de finances. Ces données financières locales ne sont qu'une variable de l'équation financière de la nation qui sous-tend les lois de finances. La prévision macroéconomique sur laquelle reposent les lois de programmation des finances publiques et les lois de finances de l'année requiert des outils et une expertise qui ne relève pas du champ de compétences de la DGCL et au résultat desquels elle n'a d'ailleurs pas accès. Je souhaite le dire d’emblée : les services de la DGCL n'ont donc été ni associés ni sollicités lors de la détermination de la trajectoire financière des administrations publiques locales et des collectivités territoriales puisque ce travail repose sur les analyses de la direction générale du Trésor.
M. le président Éric Coquerel. Lors de leur audition en septembre dernier, qui était leur dernière en tant que ministres – démissionnaires à l’époque –, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave nous ont présenté une nouvelle dégradation de la prévision du déficit pour 2024, passant de 5,1 % à 5,6 %. Dès l'été, ces ministres avaient pointé du doigt les collectivités locales. Leurs dépenses avaient, selon eux, dérapé ou s'apprêtaient à déraper de 16 milliards et Thomas Cazenave a maintenu cette analyse lors de son audition au Sénat fin novembre. Selon lui, les collectivités n'auraient pas tenu compte de la loi de programmation des finances publiques, qui prévoyait une réduction de leurs dépenses de fonctionnement et un ralentissement de leurs dépenses d'investissement. Pourriez-vous nous expliquer comment les services de Bercy sont parvenus à ce montant ? L'avez-vous confirmé ?
Mme Cécile Raquin. La loi de programmation des finances publiques 2023-2027 a institué deux objectifs. Le premier concerne les administrations publiques locales (Apul) et prévoit une trajectoire de dépenses correspondant à une cible de solde public sur laquelle la France est considérée comme engagée par la Commission européenne. Il faut d’emblée distinguer deux sous-ensembles dans le périmètre des administrations locales, les organismes divers d'administration locale (Odal) et les collectivités locales stricto sensu.
Les organismes divers d’administration locale comprennent notamment les caisses des écoles, les centres communaux d’action sociale (CCAS), les établissements publics d'enseignement, les agences de l'eau, les chambres consulaires, Île-de-France Mobilités (IDFM), les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), la Société du Grand Paris et la Société du canal Seine-Nord Europe. Ces structures représentent un total de 30 milliards en 2022 et leurs dépenses connaissent une forte dynamique du fait de la présence d’IDFM et de la Société du Grand Paris dans ce périmètre.
Les administrations publiques locales comprennent quant à elles les collectivités locales au sens strict, c’est-à-dire les collectivités territoriales, les groupements à fiscalité propre et les syndicats hors service public dont les recettes d'exploitation excèdent 50 % de leurs recettes totales. Ces structures représentent 265 milliards d’euros en 2022.
Le deuxième objectif pour les collectivités et groupements à fiscalité propre est une évolution des dépenses de fonctionnement sur le quinquennat de moins 0,5 % par an en volume, donc hors inflation. L’article 17 de la LPFP prévoit que, pour 2023, les dépenses devaient évoluer au niveau de l'inflation puis en deçà de 0,5 point de ce niveau par an.
Nous avons pu retracer les données qui ont été indiquées par Bercy à deux reprises dans l'année : d’abord en mars, nous avons fourni de premières analyses au moment où Bercy avait évoqué un dérapage de 6 milliards par rapport à cet objectif, puis en septembre, à la suite des déclarations des ministres pendant l'été, qui constataient un déficit des collectivités territoriales de près de 15,5 milliards, après 5,5 milliards en 2023, soit un écart de la prévision de solde des collectivités locales par rapport à la loi de programmation des finances publiques d'environ 7 milliards.
Quand nous avons analysé les données à partir de la Spocc du 31 juillet 2024, à mi-année, et extrapolé ces données sur les budgets annexes des collectivités territoriales en conservant la même tendance, nous avons en effet retrouvé ce déficit de près de 15,5 milliards. Néanmoins, nous avons aussi appelé l'attention, dans nos travaux de septembre, sur d’importantes précautions méthodologiques. D’une part, l’exécution à mi-année ne correspond pas nécessairement à l'exécution finale. De fortes variations peuvent se produire dans la seconde partie de l'année par rapport à la Spocc de l'été. Au reste, on peut aussi trouver de fortes variations entre la Spocc du 31 décembre et l'exécution définitive. C'est ce que nous avons retracé pour les années précédentes. C'est une tendance révélatrice du très fort dynamisme des dépenses de fonctionnement et des dépenses d'investissement, mais nous avons souligné qu'il ne s'agissait que d’une tendance, dont nous avons rappelé qu’elle pouvait s'expliquer en partie par des décisions de l'État – ou en tout cas par des décisions qui s'imposent aux collectivités territoriales – telles que la hausse du point d'indice ou les mesures salariales prises en cours d'année. Nous rappelions enfin que l'État avait soutenu fortement l'investissement public local par des mesures de relance, puis par le fonds Vert et par le maintien à un très haut niveau – 2 milliards – des dotations d'investissement classiques comme la DETR ou la DSIL. Cette forte hausse des dépenses pouvait donc s’expliquer par ce soutien massif, ainsi que par le cycle électoral atypique durant cette période.
M. le président Éric Coquerel. Vous avez donc confirmé ces éléments tout en appelant à la prudence quant aux tendances. Le courrier du 24 septembre que vous avez adressé aux ministres va toutefois plus loin : vous y indiquez qu’il ne s’agit que d’une prévision de Bercy, dont la méthodologie est contestable puisque cette prévision repose sur une extrapolation des données d’exécution à mi-année. Je vous cite : « Les évolutions constatées au 31 juillet constituent des tendances qui comportent un niveau d'imprécision important, tout particulièrement s'agissant des dépenses d'investissement et du niveau de recettes projetées, comme en attestent les notes méthodologiques de la direction générale des finances publiques, qui accompagnent systématiquement ces données mensuelles ». Vous précisez également qu’au regard de la fragilité de la prévision des recettes et des dépenses d'investissement, « il est difficile de tenir les collectivités responsables d'une dégradation générale du solde public au regard de la trajectoire de la LPFP qui n'intègre de surcroît pas de contraintes sur les dépenses d'investissement ». Ne peut-on pas dire, compte tenu de ce que vous écriviez à ce moment-là, que vous trouviez exagérée la tendance affichée ?
Mme Cécile Raquin. On ne peut pas dire qu'elle était exagérée, parce qu'il s'agissait effectivement d'une tendance qu'on retrouve aujourd'hui. Les chiffres de la Spocc du 31 octobre montrent ce même dynamisme des dépenses de fonctionnement et des dépenses d'investissement. Même s’il s’est légèrement atténué, la tendance s'est quand même vérifiée, notamment en raison de l’effet que le cycle électoral atypique a eu sur l'investissement. Il n’y a donc pas de surprise sur la trajectoire qu’on constate aujourd’hui.
En revanche, nous disions effectivement que les précautions méthodologiques étaient de mise par rapport à une exécution en fin d'année, car on constatait sur les cycles précédents des écarts qui pouvaient être importants par rapport à l'exécution à la fois des dépenses d'investissement, des dépenses de fonctionnement et surtout du niveau des recettes. Il est donc difficile de prévoir tel ou tel niveau de solde en fin d’année. Nous rappelions d'ailleurs que toutes les Spocc mentionnent cette réserve méthodologique dès leur première page, en précisant que les données dépendent également du rythme d'encaissement et de transcription des mandatements dans les comptes locaux.
M. le président Éric Coquerel. Quand je vous relis, je n'ai pas l'impression que c'était juste une analyse générale d’ordre méthodologique, puisque vous parlez d'imprécision, de fragilité de prévision des recettes et des dépenses d'investissement. Vous disiez alors précisément que les collectivités ne sont pas responsables de la dégradation générale du solde public et il me semble, à vous entendre aujourd’hui, que vous atténuez ces propos.
La dynamique des dépenses des collectivités était donc plus importante que celle prévue par la LPFP. Quelle en est l’origine ? S'agit-il uniquement du résultat de choix discrétionnaires des collectivités ?
Mme Cécile Raquin. Il est très difficile de faire la part entre ce qui relève de choix purement discrétionnaires des collectivités et ce qui relève de choix qui seraient imposés, parce qu'il y a différentes natures de dépenses dans cette évolution.
Dans le périmètre des dépenses de fonctionnement, il est aisé d’identifier certaines dépenses s’imposant aux budgets locaux, comme les mesures salariales. Elles ont une influence immédiate et non discrétionnaire. Nous avons essayé de les chiffrer – un exercice difficile – et nous avons identifié plusieurs éléments ayant eu un impact : hausse de la valeur du point d'indice, mesures pour les bas salaires, prime de pouvoir d'achat – certes facultative pour les collectivités, mais qu’il leur était difficile de ne pas verser –, revalorisation de la garantie individuelle du pouvoir d’achat (Gipa) et de certaines indemnités locales. Ces dépenses peuvent donc assez facilement être classées dans la rubrique des dépenses non discrétionnaires s'imposant de fait. D’autres dépenses, comme les revalorisations automatiques des prestations sociales prévues par la loi, s'imposent aux budgets locaux.
De nombreuses dépenses locales sont difficiles à classer, y compris celles ayant un caractère obligatoire et qui sont parfois prévues par la loi. En effet, le degré de services que la collectivité souhaite apporter aux citoyens et le niveau des dépenses qu'elle souhaite consacrer à telle ou telle compétence obligatoire varient beaucoup parmi les collectivités en raison des principes de liberté de la gestion locale et de libre administration. Pour de nombreuses compétences, par exemple scolaires ou sociales, on ne peut donc pas définir ce qui relève d’une décision discrétionnaire ou pas.
M. le président Éric Coquerel. J’entends donc que, pour le cas précis de 2024, la réponse est négative puisque ce n’est pas uniquement le résultat de choix discrétionnaires. Vous avez vous-même évoqué des cas où ces choix n’étaient assurément pas discrétionnaires.
Je voudrais maintenant vous interroger sur les recettes des collectivités. Des auditions précédentes ont montré que les recettes de TVA ou de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) se sont révélées inférieures aux prévisions. Alors que leurs dépenses sont de plus en plus contraintes, les collectivités risquent donc de manquer de moyens pour financer leurs charges. Cette situation n'a-t-elle pas été aggravée par les suppressions d'impôts locaux et l'affectation croissante de fractions d'impôts nationaux en compensation, en particulier la TVA, qui sont venues augmenter l'exposition des collectivités aux aléas macroéconomiques ? Qu’en pensez-vous ?
Mme Cécile Raquin. Des impôts locaux ont effectivement été supprimés : taxe d’habitation, dont la suppression a été la plus marquante pour les élus, et cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). L’attribution d’une fraction de TVA aux collectivités territoriales a commencé dès 2016 avec le remplacement de la DGF des régions. Ce mouvement a été poursuivi puisque la TVA est devenue une recette de compensation à la fois d'une partie de la suppression de la taxe d'habitation mais aussi d'une partie de la suppression de la CVAE.
La TVA a le mérite d'évoluer globalement comme le PIB. C’est une recette stable et dynamique dans le temps, même sur une longue période. Son dynamisme est comparable à celui de la CVAE, mais sa stabilité est plus grande. Toutefois, lorsque la croissance est relativement faible, la TVA est peu dynamique. Après les années 2021 et 2022, qui ont connu un fort dynamisme, elle a connu un ralentissement en 2023 qui semble se poursuivre en 2024. Pour cette recette, les collectivités rencontrent une difficulté, non pas de prévisibilité, mais de marge de manœuvre – qui était attendue mais ne s’est pas concrétisée au cours des deux dernières années.
Naturellement, le pouvoir de fixer les taux d’imposition des collectivités ayant été diminué par la suppression de la taxe d'habitation, leur capacité à résister à des chocs conjoncturels grâce à une adaptation par la fiscalité est moindre.
M. le président Éric Coquerel. À force de supprimer les impôts locaux, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 n'ont-ils pas contribué à produire ce besoin de financement des collectivités que les ministres ont mis en avant, notamment pour expliquer le déficit ?
Mme Cécile Raquin. Je ne crois pas, parce que les impôts locaux qui ont été supprimés ont tous été compensés à 100 %. La suppression de la taxe d'habitation a été compensée pour la première fois par un mécanisme de compensation innovant. Il s’agit d’un mécanisme dynamique car le coefficient correcteur permet de tenir compte de l’évolution des bases alors que traditionnellement, les impôts supprimés étaient plutôt compensés par des dotations figées dans le temps.
Cette compensation par la TVA a été un excellent mouvement pour les régions car elle leur a permis d’échanger une recette stable, voire en baisse pendant une période – la DGF – contre une recette dynamique. Les recettes des collectivités ont donc continué à croître, même si, au cours de la dernière année, le dynamisme des recettes a été inférieur à celui des dépenses en raison notamment de la baisse des DMTO à hauteur de 22 % en 2023. On peut penser que cette tendance va se poursuivre, la dernière Spocc laisse d’ailleurs entrevoir une baisse de 17 % en 2024. Cette baisse pèse sur le niveau global des recettes. On observe que ce sont les départements qui subissent le plus l’effet de ciseau entre recettes et dépenses et que ce sont eux dont l’épargne brute diminue le plus.
M. le président Éric Coquerel. Vous confirmez donc que lorsque la TVA est dynamique, tout va bien et que lorsqu’elle diminue, comme on l'a constaté en 2023 et 2024, les choses se compliquent.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous avons assisté dans le débat public sur les déficits à des tentatives de faire porter la responsabilité aux collectivités locales. Trouvez-vous cela injuste ? Y voyez-vous une tentative de diversion ? Les collectivités sont-elles responsables en première ligne ?
Mme Cécile Raquin. Les élus locaux sont sincères lorsqu’ils manifestent leur incompréhension face à la responsabilité qu’on leur impute dans ce débat. La raison est simple : les collectivités sont gérées en vertu d’une double règle d’or : l’une leur imposant un équilibre de la section de fonctionnement et un équilibre de la section d’investissements et l’autre leur interdisant de financer des emprunts arrivés à maturité par des emprunts nouveaux. Face à ces contraintes, les élus gèrent des budgets à l’équilibre et ne raisonnent donc pas en termes de déficit de leurs collectivités.
Toutefois, en comptabilité nationale, il y a bien un déficit des collectivités, qui se définit tout simplement par la différence entre les dépenses totales et les recettes totales, incluant l'investissement. Il existe donc bien un besoin de financement des collectivités. Or, historiquement, elles ont toujours dégagé un excédent de financement. Leur besoin nouveau de financement, qui se traduit par un déficit au sens de la comptabilité nationale, vient accroître le déficit de la nation au sens de Maastricht. La loi de programmation des finances publiques prévoit donc, pour les Apul, un objectif de solde pour s'assurer qu’elles ont toujours une contribution positive au déficit global.
Même si les collectivités gèrent leur budget de fonctionnement en équilibre, avec un niveau de recette qui compense toujours le niveau de dépense, il reste une question, mais elle est de nature politique : quels sont les bons niveaux de recettes et de dépenses pour le pays ? Les dépenses publiques pèsent sur le même contribuable et des choix politiques doivent déterminer la répartition des recettes et des dépenses entre les collectivités et l’État ainsi que le niveau de dépenses.
Les collectivités ne peuvent pas se désintéresser de ce débat sur la contribution au déficit et à la dette publique, pour trois raisons : elles représentent 20 % de la dépense publique, elles représentent une part, certes minime, mais tout de même importante, de la dette publique et le niveau de leurs dépenses et de leurs recettes joue nécessairement sur le niveau auquel l’État peut fixer ses propres dépenses et recettes.
M. le président Éric Coquerel. La Cécile Raquin du 24 septembre était plus cash que celle qui nous parle aujourd’hui. Vous ne disiez pas à l’époque que les collectivités ne peuvent se désintéresser de ce débat ; vous disiez qu’il est difficile de les tenir responsables de la dégradation générale du solde public au regard de la trajectoire de la LPFP qui n’intègre de surcroît pas de contraintes sur les dépenses d’investissement. Avez-vous révisé votre jugement ?
Mme Cécile Raquin. Parler de responsabilité des collectivités comporte un jugement de valeur, or, en tant que directrice d’administration, je ne porte pas de jugement de valeur et ne formule pas d’appréciation politique. Nous nous employons à documenter les faits sur la base de chiffres semblables à ceux de Bercy. Nous nous efforçons d’avoir des chiffres communs avec les services de Bercy. C’est à partir de ces données que nous fournissons des raisonnements et analyses au ministre afin de documenter l’action du gouvernement.
Nous indiquions qu’il était difficile de parler de responsabilité des collectivités sur la base d’un indicateur d’investissement qui ne leur était pas imposé. En effet, la LPFP définit un objectif en matière de dépenses de fonctionnement pour les collectivités stricto sensu et un objectif de solde général pour les Apul. Le très fort dynamisme de l’investissement, dû au décalage du cycle électoral, ne nous semble pas devoir conduire nécessairement à la formulation d’un jugement sur la responsabilité des acteurs.
Toutefois, j’indiquais aussi autre chose : que ces éléments n’excluaient pas que la situation plus générale puisse justifier une contribution des collectivités à l’effort de redressement des comptes publics pour peu qu’elle soit fondée sur une exigence de soutenabilité globale et non pas sur un raisonnement fondé sur la dégradation de leur trajectoire d’investissement.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Pour un gestionnaire de collectivité locale, la notion de déficit est assez théorique puisqu’une collectivité a l’obligation de présenter un budget en équilibre. On peut toutefois recourir à deux variables d’ajustement : le report de l’exercice précédent et l’emprunt. Quelle part attribuez-vous à la baisse des recettes – TVA et DMTO notamment – et à la dynamique des dépenses dans la dégradation du solde des Apul ?
Mme Cécile Raquin. La dégradation des recettes a joué un rôle prépondérant. Le produit des DMTO a accusé une baisse de 22 % en 2023 et devrait connaître une diminution de 17 à 20 % en 2024. Les collectivités ont par ailleurs été affectées par une hausse de la TVA plus faible que prévu en 2023, et il semble que cette tendance se confirme pour 2024. Le bloc communal conserve toutefois des recettes dynamiques et des marges de manœuvre fiscales, même si elles sont concentrées sur la taxe foncière.
Les dépenses de fonctionnement ont été contraintes, notamment pour la strate départementale – qui a connu une très forte dégradation de son épargne brute – mais restent plus dynamiques pour les régions et le bloc communal, notamment au niveau des groupements, comme le montre la dernière Spocc, en date du 31 octobre.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Le niveau des DMTO a connu une évolution très marquée en 2023, qui a été imparfaitement anticipée. Comment votre direction générale établit-elle ses prévisions concernant, notamment, ces taxes ? Que s’est-il passé, en la matière, entre 2023 et 2024 ? Quel est le niveau prévu des DMTO pour 2025 ?
Mme Cécile Raquin. Nous n’établissons pas de prévisions. La DGFIP a une bien meilleure visibilité au fil de l’eau sur les recettes fiscales, dont elle assure l’encaissement, même si – je vous renvoie aux réserves méthodologiques que j’indiquais – elle éprouve des difficultés à prévoir les recettes tout au long de l’année. Les départements nous parlent beaucoup de la difficulté à obtenir des informations sur les encaissements de DMTO réalisés chaque mois par les DDFIP et avoir des prévisions en la matière. On avait anticipé, dès la mi-2022, une baisse du produit de ces taxes, compte tenu de la situation du marché immobilier, de l’inflation – qui a conduit à l’augmentation des taux d’intérêt – et de l’accroissement du coût de la construction. En revanche, l’ampleur de ce mouvement était difficile à prévoir. L’ensemble des départements avaient également prévu cette évolution, comme l’attestent leurs budgets primitifs, qui reposaient sur des prévisions très prudentes. Au-delà de ces grandes tendances, on ne peut donner aux ministres de prévisions plus précises.
Il en est de même s’agissant des dépenses, pour lesquelles nous suivons les Spocc ; nous pouvons dégager des tendances, que nous enrichissons par l’analyse des budgets locaux et des décisions modificatives. Cela étant, nous indiquons toujours aux ministres qu’il ne s’agit que de grandes tendances, qui ne refléteront pas nécessairement l’exécution de fin d’année.
M. Éric Ciotti, rapporteur. La dégradation globale des soldes a des conséquences sur la situation financière de beaucoup de collectivités locales. Comment identifiez-vous et accompagnez-vous les collectivités en difficulté ? Quel est leur nombre ? Comment gérez-vous, en relation avec la DGFIP, les collectivités et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) inscrits au réseau d’alerte des finances publiques ? Quels sont ces critères d’alerte ? Sont-ils purement budgétaires ou s’étendent-ils à d’autres domaines ?
Mme Cécile Raquin. Nous suivons les soldes et les évolutions au niveau national, par strates. Nous essayons de réaliser des analyses différenciées. Il est très difficile, en effet, de raisonner globalement. À l’échelle globale, la situation financière des collectivités est plutôt bonne – meilleure, en tout cas, qu’elle ne l’était avant le covid. En revanche, si l’on examine les strates dans le détail, on constate, par exemple, que l’épargne brute des régions est en train de se réduire légèrement, que celle des départements continue sa baisse – ce qui nous laisse envisager un taux d’épargne brut inférieur à 10 % –, que celle des communes poursuit sa hausse tandis que celle des EPCI demeure stable.
Il faut toutefois entrer plus dans le détail du bloc communal, compte tenu de l’extraordinaire diversité des situations financières des communes. Notre rôle est de regarder les choses précisément, au-delà des chiffres globaux plutôt rassurants, et d’identifier les collectivités qui se trouvent en réelle difficulté.
La tâche est plus aisée pour les départements, puisqu’on peut quasiment analyser chacun de leurs budgets. En lien avec Départements de France, avec qui nous travaillons au quotidien, nous savons qu’une vingtaine – voire une trentaine d’entre eux, cette année – se trouvent en difficulté financière. Nous connaissons ceux qui sont très affectés par la baisse des DMTO, et ceux pour lesquels ces taxes représentent une part assez faible des recettes réelles de fonctionnement.
S’agissant des communes, nous devons réaliser un suivi fin avec les préfectures. Le suivi, à l’échelle du bloc communal, relève d’abord des préfets et des DDFIP, qui nous font part, lorsque cela se justifie, de la situation de telle ou telle collectivité. Nous accordons une attention plus particulière à ces communes et, si cela se révèle nécessaire, soutenons leur budget en fin d’année. Des dispositifs, tels que, notamment, les subventions exceptionnelles, sont destinés à aider les collectivités territoriales en réelle difficulté. Une enveloppe de 10 millions d’euros est ouverte à cette fin en loi de finances, qui nous permet d’alimenter, en fin d’année, les budgets en déséquilibre, que la difficulté en question soit ponctuelle, structurelle ou due à un événement exceptionnel, comme une catastrophe climatique.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous ne m’avez pas répondu sur les critères de l’inscription au réseau d’alerte. Quelle est la marge d’appréciation en la matière ? L’inscription est-elle automatique, en fonction de critères budgétaires, ou relève-t-elle d’une appréciation quelque peu subjective de la tendance suivie, voire de critères plus politiques ?
Mme Cécile Raquin. Le réseau d’alerte ne relève pas de la DGCL. Ce sont les préfets, en lien avec les DDFIP, qui décident de l’inscription des collectivités. Cette décision informelle se traduit par un suivi plus fin, plus régulier de la situation financière locale ; elle sert à prévenir des difficultés plus profondes. Pour que cette décision soit prise, il faut que les services de l’État, à l’échelon local, constatent une dégradation structurelle des conditions financières de la collectivité, des difficultés particulières de gestion ou un événement exceptionnel ayant conduit à la dégradation. Le cas échéant, la collectivité peut faire l’objet de mesures de redressement ou d’aide. Pour notre part, nous n’avons pas à connaître des inscriptions qui sont faites. Nous pouvons être saisis par le préfet, s’il l’estime nécessaire, pour apporter une aide particulière, ou par la collectivité elle-même, lorsqu’elle souhaite obtenir des informations techniques ou la mobilisation de dispositifs d’aide ou de fonds.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous ne connaissez donc pas le nombre des collectivités en difficulté ? C’est un peu étonnant.
Mme Cécile Raquin. Il ne s’agit pas tant, ici, du nombre de collectivités en difficulté que du nombre de celles que les préfets et les DDFIP jugent important de suivre localement.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vos propos m’inspirent deux questions. Premièrement, avez-vous fait des remontées sur la dégradation du besoin de financement en 2023 ? Deuxièmement, vous nous dites que vous n’êtes pas du tout associés aux prévisions établies par la direction générale du Trésor concernant la trajectoire financière et que vous n’avez pas non plus accès aux flux de la DGFIP. Y a-t-il là des vecteurs d’amélioration pour l’avenir ?
Mme Cécile Raquin. Pour 2023, sauf erreur de ma part, nous n’avons pas rédigé de note particulière ni lancé d’alerte sur la dégradation du solde. On n’a pu commencer à tirer le bilan des objectifs fixés aux collectivités par la loi de programmation des finances publiques qu’à partir des comptes exécutés de 2023. Il est donc assez logique que, pour 2023, nous n’ayons pas fait d’analyse au regard de la LPFP. En revanche, comme chaque année, nous avons suivi la situation financière des collectivités au fil de l’eau pour informer les ministres en charge des collectivités locales de l’évolution de la tendance.
Je vous confirme que nous ne sommes pas associés aux prévisions servant à établir la loi de finances ou la LPFP, qui sont réalisées par la direction générale du Trésor. Ce n’est pas illogique dans la mesure où il s’agit de prévisions macroéconomiques, qui nécessitent l’emploi de modèles reposant sur des données générales, telles que l’inflation et la croissance, pour lesquelles nous n’avons pas de compétence. Une voie d’amélioration pour ma direction et, surtout, pour les collectivités locales – qui avait commencé à être suivie, sous l’impulsion des ministres, en 2023 et 2024 – consisterait à mieux expliquer les sous-jacents de la prévision, à partager avec les collectivités locales les motivations de la prévision et à s’accorder avec les représentants des collectivités, dans toute la mesure du possible, sur la bonne trajectoire.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Nous n’avons plus d’instrument de coercition – ou disons de régulation – mais nous avons conservé la même prévision en fonctionnement et en investissement. Cela n’a-t-il pas fait l’objet d’une note à la DGT expliquant que ce n’était pas viable ?
Mme Cécile Raquin. Les compétences en matière de prévision relèvent de la DGT. Le Parlement a fait le choix de supprimer, lors du premier débat sur la LPFP, le mécanisme de contractualisation initialement prévu, qui aurait été assorti, en cas de dépassement du solde, d’un mécanisme de reprise financière. Malgré la suppression de cette incitation au respect de la loi de programmation, cette dernière n’en devait pas moins être appliquée par tous les acteurs. Les collectivités auraient dû respecter la trajectoire. Sur le plan méthodologique, la question est de savoir comment la loi de programmation peut trouver une traduction dans les décisions opérationnelles d’un gestionnaire local, dans le cadre d’une trajectoire donnée – à supposer qu’elle soit bien partagée par tous. À titre d’exemple, si l’on demande à un maire de tenir un objectif d’évolution globale inférieur de 0,5 % à l’inflation, comment cela se traduit-il dans ses décisions de dépenses et d’investissement ? Dans le cadre de l’amélioration du dialogue avec les collectivités locales, la DGCL, comme l’ensemble des administrations ayant à connaître des finances locales, pourraient continuer à travailler sur la traduction de la décision nationale dans l’élaboration des budgets locaux.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. En volume, à combien évaluez-vous la dégradation du besoin de financement des collectivités par rapport aux prévisions, en cumulé, entre 2023 et 2024 ? Pourriez-vous nous donner des éléments d’une série longue sur ce besoin de financement ? Par rapport aux excédents des années précédentes, la situation des années 2023 et 2024 est-elle exceptionnelle ? Un des éléments d’explication qui nous a été fourni lors des auditions est le caractère atypique du cycle. Le retard qu’ont connu les investissements à la suite de la crise du covid a-t-il joué un rôle prépondérant dans la rupture du cycle ?
Mme Cécile Raquin. Sur l’exercice clos 2023, le besoin de financement s’est élevé à 4 milliards d’euros. Si la tendance se poursuit sur la fin de l’année, et sous réserve des précautions méthodologiques que je rappelais, il pourrait atteindre 7 milliards. Les collectivités connaissaient en effet, au cours des années précédentes, un excédent de financement. La situation de 2023 et de 2024 est donc atypique. Le niveau de l’investissement est un facteur d’explication assez prépondérant. Le cycle électoral a été marqué, en son début, par une très forte progression de l’investissement, à un niveau que l’on n’avait pas connu depuis les mandats communaux de la période 2002-2007. Elle a été nourrie par le décalage lié à l’arrêt des investissements en 2020. Ceux-ci ont connu une très forte reprise en 2021 et en 2022. On ne retrouve pas cette linéarité au cours des cycles précédents. Le fort soutien de l’État, par le biais du plan de relance, a fortement stimulé l’investissement local lors de la reprise de cycle, à la sortie du covid. La poursuite de ce soutien par la DSIL, la DETR et le fonds Vert a encouragé les élus à conserver ce niveau. En sortie de crise, en 2022 et en 2023, les collectivités présentaient un niveau d’épargne brute tout à fait satisfaisant qui leur a permis – c’est particulièrement le cas pour le bloc communal – de soutenir un fort niveau d’investissement local sans accroître la dette.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Quel est le rythme des réunions du Haut Conseil des finances publiques locales et quelle est la nature de ses travaux ?
Y a-t-il un effet de base dans les recettes ? Autrement dit, la moindre hausse de TVA et les pertes de DMTO en 2023 ont-elles été constatées en base en 2024 et, le cas échéant, à quel moment ?
Mme Cécile Raquin. Le HCFPL a tenu sa première réunion en septembre 2023 et s’est réuni une deuxième fois en avril 2024. Lors de son installation, le ministre des finances a indiqué qu’il aurait vocation à se réunir environ tous les six mois, pour dialoguer avec les collectivités et travailler en complément du Comité des finances locales, sans s’y substituer.
Effectivement, on constate un effet de tendance sur les DMTO et la TVA, tant en 2023 qu’en 2024.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Philippe Lottiaux (RN). Je vous remercie de ces propos qui relativisent la petite musique selon laquelle les collectivités locales sont responsables de la situation. Les collectivités représentent moins de 6 % de la dette publique. Même avec un besoin de financement que vous estimez potentiellement à 7 milliards cette année, on est très loin des plus de 150 milliards de déficit du budget de l’État. Néanmoins, vous faites état d’un besoin de financement exceptionnel des collectivités. Cela m’amène à vous poser trois questions. Premièrement, la situation qu’elles connaissent n’est-elle pas le fruit des injonctions contradictoires auxquelles elles sont soumises ? D’un côté, on leur impose des dépenses supplémentaires et, de l’autre, on leur demande de moins dépenser ; on les incite à investir tout en leur interdisant d’être en déficit.
Deuxièmement, les régions ne maîtrisent quasiment plus leurs recettes, et les départements et les communes le font de moins en moins. Parallèlement, les collectivités n’ont pas la main sur une grande partie des dépenses. Ce grand écart est-il viable, à terme, ou cela va-t-il continuer à creuser leur besoin de financement ?
Troisièmement, dans ce cycle d’investissement, qui connaîtra logiquement son apogée en 2024 et en 2025, juste avant les élections de 2026, le fait de contraindre les recettes, comme d’aucuns voudraient le faire, ne va-t-il pas conduire à l’effet inverse de celui qui est recherché ? Autrement dit, les collectivités ayant moins de recettes, donc moins d’autofinancement, n’emprunteront-elles pas davantage et ne creuseront-elles pas le déficit au lieu de contribuer à le résorber ?
Mme Cécile Raquin. Les collectivités représentent une part minoritaire de la dette publique, dont le pourcentage par rapport au PIB est stable. Cela étant, elles pèsent sur la dette publique, sur le niveau de déficit au sens maastrichtien et représentent 20 % de la dépense publique. Le niveau de leurs dépenses et de leurs recettes a donc un impact sur le niveau de dépenses et de recettes global. On peut comprendre les élus qui demandent à contribuer à leur juste part, mais il faut prendre en compte le chiffre, très élevé, de 20 % des dépenses publiques, au même titre que la dépense de l’État et de la sécurité sociale.
Il est vrai que les recettes de certaines collectivités sont procycliques. C’est particulièrement le cas des DMTO ; c’est aussi le cas, dans une certaine mesure, de la TVA. Par définition, en période de baisse des recettes, deux mécanismes sont possibles : soit jouer sur d’autres recettes – perçues localement ou issues du soutien de l’État , soit réduire la dépense lorsque le cycle diminue et puiser dans les excédents passés – ce que font nombre de collectivités. Si les collectivités n’ont pas accru substantiellement leur endettement alors que leur épargne brute diminuait fortement, et si elles ont maintenu parallèlement un haut niveau d’investissement, c’est parce qu’elles ont puisé dans leur fonds de roulement. Sur 2024, le fonds de roulement a diminué de 10 milliards, ce qui est tout à fait logique : les collectivités ont puisé dans leurs excédents passés, ce qui est la marque d’une gestion saine. On parle beaucoup de la baisse des DMTO, qui reflète les difficultés du marché immobilier, mais il faut aussi rappeler que trente-cinq départements avaient provisionné, comme la loi les y autorisait, des recettes de DMTO des années précédentes : ces provisions s’élevaient à près de 1 milliard dans les comptes des départements, fin 2023. Les départements qui ont constitué ces provisions ou qui avaient un fonds de roulement ont pu amortir la baisse des DMTO dans le temps.
L’objectif d’une baisse de recettes, en tout cas telle qu’elle était pensée à l’article 64 initial du PLF 2025, tel qu’il avait été présenté, est de parvenir à une baisse de dépenses, à terme, à due concurrence. Pour les collectivités, le temps d’ajustement peut être relativement long – tout dépend des strates, de la rigidité, de la part de la masse salariale au sein de la collectivité : cela réclame une analyse fine. Le mécanisme immédiat, en cas de baisse de recettes, si la dépense ne peut pas s’ajuster automatiquement, est la baisse de l’épargne brute. Cette dernière peut entraîner, à défaut de réserves, une baisse de l’investissement ou un accroissement de l’endettement.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). J’aimerais soulever la question de l’autonomie fiscale des collectivités locales au regard des investissements colossaux dont elles ont besoin, et la France avec elles, compte tenu de l’état des ouvrages d’art, des bâtiments scolaires et de nombreux bâtiments publics en général. Vous semble-t-il réaliste de continuer à les priver de leur autonomie fiscale ? Pensez-vous qu’elles conserveront malgré cela les capacités de s’adapter à ces besoins d’investissement ?
Mme Cécile Raquin. Je répondrai à votre question, qui est de nature politique, d’abord sur le plan du droit. Notre Constitution ne prévoit aucune autonomie fiscale des collectivités locales. Elle consacre le principe d’autonomie financière locale, qui est le corollaire de la libre administration des collectivités territoriales et implique la prévisibilité de leurs recettes. La loi organique du 28 mars 2003 définit les critères de leur ratio d’autonomie financière permettant qu’elles disposent toujours de recettes libres d’emploi.
Sur cette base, deux écoles s’opposent, entre lesquelles il ne m’appartient pas de choisir. Certains considèrent que ce qui importe est la stabilité et la prévisibilité des recettes, ainsi que leur croissance à hauteur de celle du PIB. D’autres considèrent qu’il faut offrir aux collectivités locales un levier fiscal pour qu’elles aient une marge de manœuvre. Pour ma part, je me fonde sur les propos de Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, qui a jugé nécessaire de rouvrir le débat sur le financement des services publics locaux.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Ma question était en effet de nature politique mais visait à obtenir votre avis technique sur la capacité d’adaptation des collectivités locales aux investissements qu’elles ont à faire en l’absence d’autonomie fiscale, dont j’ai pris note qu’elle ne figure pas dans la loi.
Le président du Comité des finances locales, André Laignel, a évalué à 10,1 milliards les coupes budgétaires subies par les collectivités territoriales, en additionnant plusieurs mesures. Confirmez-vous ce chiffre ?
Mme Cécile Raquin. S’agissant des investissements effectués par les collectivités locales, elles ont besoin de recettes dynamiques, stables et prévisibles selon les uns, d’un levier permettant de réagir aux chocs macroéconomiques selon les autres, qui pensent notamment aux communes. Cette alternative, dont les deux branches sont documentées, fonde un débat de nature politique, ouvert parmi les élus. La suppression de la taxe d’habitation a été une réponse à cette interrogation.
S’agissant du montant avancé par le président du CFL, il ne m’appartient pas de le confirmer ou de l’infirmer. Le président Laignel a indiqué que l’effort demandé aux collectivités locales dans le projet de loi de finances pour 2025 est supérieur à 5 milliards, considérant que ce chiffre ne tient pas compte de toutes les mesures impactant leurs finances. Je n’ai pas le détail de son décompte.
M. le président Éric Coquerel. La DGCL n’est-elle pas en mesure d’en faire l’analyse pour confirmer ou infirmer ce chiffre ?
Mme Cécile Raquin. Nous ne connaissons pas les modalités de calcul qu’utilise le président Laignel ni les mesures qu’il a prises en considération. Ce que je peux dire, c’est que le projet de loi de finances pour 2025, à son article 64, prévoit un effort de 5 milliards, et une baisse de 1 milliard sur le fonds Vert.
Mme Estelle Mercier (SOC). « Gestion saine », « dette qui n’a pas évolué depuis trente ans », « équilibre des comptes des collectivités locales » : je vous remercie, madame la directrice générale, de remettre les pendules à l’heure en contredisant les propos accusateurs tenus devant nous par Bruno Le Maire en septembre, faisant porter sur les collectivités locales la responsabilité du dérapage du déficit. Nous savons désormais qu’il s’agit plutôt d’un écart entre la prévision et la réalité budgétaire des collectivités locales, dû à une absence de régulation et de mécanisme de coercition – pour reprendre le mot intéressant de M. Lefèvre.
Ma première question porte sur la méthode. Le programme de stabilité fonde systématiquement ses prévisions sur le taux d’inflation des ménages. Or les dépenses des collectivités territoriales n’ont rien à voir avec celles des ménages et ne suivent pas cette inflation moyenne.
En 2022 et en 2023, elles ont subi des taux d’inflation très élevés, s’agissant notamment de leurs dépenses de fonctionnement. En 2022, l’inflation du panier du maire, dispositifs salariaux compris, était de près de 12 % ; elle était de 15 % s’agissant des marchés, des travaux et des achats de matériels. Ne pouvions-nous pas prévoir, pour 2024, que le montant de leurs dépenses de fonctionnement et d’investissement allait augmenter, non en volume mais en valeur ?
Mme Cécile Raquin. J’ai confirmé, à l’oral et par écrit, les chiffres du ministre de l’économie et des finances. L’extrapolation de la tendance figurant dans la Spocc du 31 juillet fait apparaître un écart de 15,5 milliards avec la prévision de la LPFP 2023 – 2027.
S’agissant du panier du maire, l’Association des maires de France (AMF) considère que l’inflation nationale, sur laquelle est fondée cette prévision, n’est pas applicable telle quelle aux dépenses des collectivités locales, notamment celles des communes, pour lesquelles les conséquences de la hausse des coûts de l’énergie et de l’alimentation sont alourdies. Nous avons pris note de ces observations.
Toutefois, le mode de calcul de l’inflation ne relève pas de la DGCL. Il serait intéressant de faire étudier par l’Insee et par la direction générale du Trésor la possibilité d’analyser plus finement les dépenses des collectivités locales et de produire une contre-expertise des chiffres de l’inflation du panier du maire avancés par l’AMF.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Le chiffre de 15,5 milliards représente-t-il le cumul des écarts de 2023 et de 2024 ou uniquement l’écart de 2024 ? Bruno Le Maire a évoqué un écart de 16 milliards en fin d’année 2024. Par ailleurs, êtes-vous en mesure de chiffrer l’écart à la prévision qui aurait été constaté si l’article 23 de la LPFP 2023-2027 avait été voté ?
Mme Cécile Raquin. Le chiffre de 15,5 milliards représente, par extrapolation, sous toutes les réserves méthodologiques que j’ai rappelées et sur la base de la tendance observée fin juillet 2024, l’écart avec la prévision pour 2024 de la LPFP. Il ne s’agit pas du cumul des chiffres de 2023 et de 2024.
Nous ne sommes pas capables de dire ce qu’il en aurait été en présence d’un mécanisme de sanction ou de reprise financière. Bien entendu, en cas de reprise intégrale, la trajectoire aurait été tenue. Nous ignorons à quel point un tel mécanisme aurait incité les collectivités locales à tenir la trajectoire et dans quelle mesure il aurait prévenu une dégradation de leur situation financière.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Quel est le chiffre cumulé pour 2023 et 2024 ? S’il est de 15,5 milliards pour 2024 sur une dégradation totale de 57 milliards, ce n’est pas négligeable.
Mme Cécile Raquin. Sur la base de la tendance de dépenses, nous avons calculé un déficit de 15,5 milliards en 2024 et de 5,5 milliards en 2023.
Mme Estelle Mercier (SOC). Ma seconde question porte sur la connaissance de la réalité budgétaire des collectivités locales. Dès le mois de mars, leurs budgets sont connus et votés. Ils ne suffisent pourtant pas, dites-vous, à fonder des prévisions fiables. Or le budget d’une collectivité locale, s’agissant notamment des dépenses de fonctionnement, est exécuté pour 95 % à 100 % de ses prévisions. S’il en était ainsi du budget de l’État, la présente commission d’enquête n’aurait pas lieu d’être.
Les budgets des collectivités sont suffisamment fiables pour faire l’objet d’une analyse dès le mois de mars. Des reports d’investissements d’une année à l’autre sont possibles, mais ils s’inscrivent dans le cadre des plans pluriannuels d’investissement (PPI). La prévision est donc possible. Était-il envisageable de procéder à des ajustements en cours d’année pour revoir les prévisions à la hausse ou à la baisse ?
Mme Cécile Raquin. Nous procédons à de telles analyses, fondées sur les comptes de gestion de l’exercice clos de l’année précédente et complétées par une forme d’analyse prospective sur la base des budgets des collectivités dès qu’ils sont disponibles, en mars ou en avril, et tout au long de l’année si nous avons connaissance de décisions modificatives.
Toutefois, les budgets votés par les collectivités, notamment ceux des plus grandes d’entre elles et plutôt en fin d’année, sont réajustés, parfois plusieurs fois par an, par des décisions modificatives. Les dépenses d’investissement et les recettes, dont certaines sont difficiles à prévoir, présentent parfois de fortes variations. Nous sommes donc obligés de faire preuve des mêmes réserves sur le solde des budgets votés que sur l’analyse des comptes tout au long de l’année. Seules les dépenses de fonctionnement présentent une tendance fiable.
M. Thibault Bazin (DR). L’écart entre les prévisions et la réalité résulte en partie de facteurs exogènes, tels que l’évolution des taux et des transactions, qui ont sur les collectivités locales des effets décalés, s’agissant notamment de la fiscalité économique et immobilière.
Quelles sont, dans les prévisions, la part certaine – fondée sur l’extrapolation de l’année n-1 – et la part incertaine – fondée sur une estimation des recettes de l’année ? Dans le cas d’espèce, comment l’écart négatif entre les prévisions de recettes et les recettes effectives a-t-il été anticipé ? Ces questions visent à comprendre comment est prise en compte la part de risque inhérente aux prévisions.
Mme Cécile Raquin. Comme je vous l’ai dit et écrit s’agissant des prévisions de la direction générale du Trésor, nous n’en connaissons ni la méthodologie ni les sous-jacents. Nous ne savons ni comment ni pourquoi tel niveau de recettes des collectivités locales y a été inclus. Comme vous l’a indiqué la directrice générale des finances publiques lors de son audition, ses services transmettent au fur et à mesure de l’année les niveaux d’encaissement des impôts à la direction générale du Trésor, qui les inclut dans son modèle et ajuste ses prévisions.
S’agissant des prévisions effectuées par les collectivités locales pour construire leurs budgets, elles se sont avérées justes sur les DMTO, parce que la tendance du marché leur laissait présager une poursuite en 2024 de la baisse du nombre de transactions constatée l’année dernière. S’agissant de la TVA, la prévision, qui est difficile à établir pour les collectivités locales comme pour l’État, s’est avérée supérieure aux recettes constatées.
M. Thibault Bazin (DR). Le problème pour certaines collectivités locales, notamment les conseils départementaux, a tenu au fait qu’ils ont reçu certaines notifications après avoir pris conscience que leur budget était en deçà de leurs prévisions. Je pense au fonds de compensation de la TVA et aux DMTO. Certaines collectivités locales ont voté des budgets dont la partie recettes ne prévoyait pas une baisse aussi forte et ont connu des difficultés. Quels enseignements en tirer ?
S’agissant de la fiscalité économique et immobilière, l’État a une meilleure visibilité que les collectivités. Quelles recommandations pouvez-vous formuler pour corriger le tir dès l’an prochain ?
Mme Cécile Raquin. Notre analyse des budgets initiaux des conseils départementaux pour 2024 a montré qu’ils avaient une vision globale assez juste de la poursuite de la baisse des DMTO, malgré les différences de situation. Votre question concerne plutôt la DGFIP, qui a la meilleure vision sur les rentrées fiscales au fur et à mesure de l’année.
Nous dialoguons tout au long de l’année avec les collectivités locales pour les informer des tendances que nous percevons, non sans leur faire observer que toutes ne sont pas révélatrices des rentrées fiscales de l’année, compte tenu de décalages parfois importants, par exemple en matière de DMTO, dont certains conseils départementaux inscrivent la recette en toute fin d’année.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Vous dites qu’il ne vous appartient pas de confirmer ou d’infirmer les calculs de M. Laignel, qui s’est exprimé au congrès des maires, sur France 3, sur France Info, sur France Bleu et devant l’AMF au sujet du montant dont il estime que les collectivités locales sont privées. Est-ce à dire qu’aucun ministre ne vous a demandé de valider ou d’infirmer les calculs de M. Laignel ?
Mme Cécile Raquin. Le chiffre annoncé par M. Laignel, nous n’en avons pas le détail. Lorsqu’il l’a annoncé, nous ne connaissions que les économies prévues dans le champ des collectivités locales par le projet de loi de finances pour 2025.
Nous pouvions les chiffrer précisément car elles reposaient sur trois dispositions : la mise en réserve d’une partie des prélèvements sur recettes (PSR) à l’article 64 ; des économies sur le FCTVA ; un écrêtement des recettes de TVA par le biais de la suppression temporaire en 2024 de la prise en compte de leur dynamique. À ces 5 milliards s’ajoutent 1 milliard d’économies sur le fonds Vert et 500 millions de baisses des variables d’ajustement.
Hors du périmètre du projet de loi de finances, la question de la hausse du taux de cotisation à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) s’est posée. Elle aurait pesé sur les budgets des collectivités locales à hauteur de 1 milliard et aurait été lissée sur plusieurs années, avec une hausse de trois points par an.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Un ministre vous a-t-il demandé de confirmer ou d’infirmer les chiffres avancés par M. Laignel ?
Mme Cécile Raquin. Non. Les ministres m’ont demandé de chiffrer les mesures relatives aux collectivités locales figurant dans le projet de loi de finances.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Les rapports mensuels transmis dans le cadre de l’instruction comptable M14 permettent-ils de corriger en temps réel les prévisions sur lesquelles se fondent les budgets des communes ? À défaut, quels ajustements méthodologiques peuvent être envisagés pour améliorer la réactivité face aux évolutions constatées ?
Mme Cécile Raquin. Nous actualisons nos prévisions en temps réel sitôt que la DGFIP nous transmet des données. Nous pouvons être amenés à faire part aux ministres de la tendance des finances locales que nous percevons.
S’agissant de la trajectoire prévue par la LPFP, son actualisation n’était pas prévue et aurait supposé l’adoption d’un autre projet de loi, si telle avait été la volonté du gouvernement. Toutefois, en raison de son caractère pluriannuel et des engagements pris par la France auprès de la Commission européenne qui y figurent, elle n’a pas vocation à être actualisée si rapidement.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Avez-vous analysé l’impact des écarts entre prévision et exécution sur la capacité des collectivités territoriales à maintenir leurs services publics en 2025, notamment dans les secteurs prioritaires que sont l’éducation, le logement et la transition écologique ?
Mme Cécile Raquin. Nous avons donné – c’est notre rôle – notre avis aux ministres sur la soutenabilité des économies susceptibles d’être réalisées sur les budgets locaux. Nous avons porté une appréciation technique sur le rythme et le quantum de ces économies. Les modalités de leur réalisation, si elles avaient été votées par le Parlement, relèvent de la libre administration des collectivités locales.
Au demeurant, le mécanisme d’écrêtement des recettes prévu par le gouvernement les laissait libres d’imputer cette baisse de recettes aux dépenses de fonctionnement ou d’investissement et selon la nature des dépenses. Certaines d’entre elles ont d’ores et déjà engagé des budgets comportant des économies importantes et dont les modalités varient beaucoup selon les choix locaux.
M. Emmanuel Mandon (Dem). En ce qui concerne l’évolution des dépenses des collectivités territoriales, votre démonstration semble convaincante. Vous avez rappelé une conjoncture exceptionnelle faite notamment des suites de la crise du covid, d’une forte incitation de l’État à maintenir un niveau de dépenses dynamique et du cycle électoral.
Le pouvoir de taux des collectivités locales étant désormais limité, tout le monde a bien compris que ces dernières ne sauraient être tenues pour seules responsables de la situation, d’autant qu’elles sont assujetties à une double règle d’or qui leur interdit d’équilibrer par l’emprunt leurs dépenses de fonctionnement. Peut-on dire que la substitution du PSR aux impôts locaux a modifié le rapport des élus locaux à la dépense publique ?
Mme Cécile Raquin. En 2023, les dépenses d’investissement des collectivités locales ont été très dynamiques. Leur hausse a été de 10,9 %, soit davantage que la prévision de la LPFP, qui était comprise entre 8,3 % et 8,7 %. Quant aux dépenses de fonctionnement, leur tendance haussière s’est confirmée à hauteur de 5,9 %.
Je pense que la suppression du pouvoir de taux, essentiellement par le biais de la suppression de la taxe d’habitation, a modifié le rapport des élus locaux à la dépense publique ainsi que leur capacité à se projeter dans l’avenir. J’ai avec eux des échanges nombreux et réguliers : ils ont le sentiment d’avoir perdu la maîtrise de leur budget.
Même si de nombreux outils sont encore à leur disposition, au premier rang desquels la taxe foncière et la taxe d’habitation sur les résidences secondaires dans les zones tendues ainsi que les redevances et les tarifications des services publics locaux, les maires ont désormais une perception modifiée de leur capacité à réagir à un choc externe. L’enjeu, pour eux, est d’avoir des recettes variées, prévisibles, stables et dynamiques.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Il est utile de compléter le point de vue des collectivités locales par celui de la comptabilité nationale, où le champ des dépenses des Apul, qui tient en même temps de la décentralisation et de la logique de l’État unitaire, pèse sur les mêmes contribuables et finance toujours de la dépense publique, sous l’angle de la soutenabilité.
Les collectivités locales sont soumises à des injonctions contradictoires. Par exemple, suivre une trajectoire vertueuse de mise en application de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) suscite des besoins de financement considérables, estimés au bas mot à 12 milliards, et à 21 milliards par l’Inspection générale des finances (IGF). À combien estimez-vous ces besoins de financement ?
Mme Cécile Raquin. Nous n’avons pas chiffré les dépenses d’investissement liées aux besoins de la transition écologique. Le gouvernement a largement repris à son compte les évaluations de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), prévoyant un besoin massif d’investissement, à hauteur de 23 milliards, dans les années à venir. Ce chiffre semble faire consensus.
La question qui se pose est celle du rythme de ces investissements et de leurs modalités de financement, donc celle, récurrente, de la capacité des budgets locaux à dégager de l’épargne pour financer des investissements absolument nécessaires à l’avenir en maîtrisant le niveau d’endettement et sans accroître le déficit de la nation.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Les estimations précédentes, d’environ 5,5 milliards, étaient loin du compte.
S’agissant de la nature des dépenses d’investissement engagées par les collectivités locales, j’aimerais connaître la part relative des dépenses imposées par l’État et de celles qui sont à la main des collectivités. Vous avez dit avoir des difficultés à distinguer les deux. Puis-je vous en demander les raisons méthodologiques ?
Mme Cécile Raquin. Il est vraiment très difficile de distinguer la part d’investissement qui découle de demandes de l’État de celle qui résulte de choix des collectivités locales.
Les investissements locaux relèvent par définition de choix locaux, même si l’État peut jouer un rôle d’incitation par le biais des préfets, dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) et des agences de l’eau, par exemple lorsqu’il est nécessaire de rénover les réseaux. Certaines politiques sont par nature très partenariales, et celles qui supposent des investissements le sont particulièrement.
Pour sa part, la DGCL analyse et rend publics les types d’investissement réalisés par les collectivités avec les dotations qu’elle gère – c’est-à-dire la DETR, la DSIL et la DSID, qui représentent 2 milliards. La direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) réalise le même travail pour le fonds Vert. Nous publions tous les ans des bilans très détaillés qui permettent de savoir quels sont les investissements financés par les communes grâce à ces dotations, qu’il s’agisse d’infrastructures, d’équipements et de travaux de rénovation des écoles ou de rénovation thermique des bâtiments. Les données sur l’intégralité des investissements que nous avons financés sont en libre accès.
M. le président Éric Coquerel. Je suis très heureux que vous ayez cité l’étude réalisée par I4CE. Elle indique que, d’ici à 2030, il faudra que l’État investisse chaque année 50 milliards de plus et les collectivités locales 23 milliards.
Je m’éloigne un peu du champ de cette commission, mais je profite de votre présence pour vous demander si vous avez l’impression qu’on en prend le chemin.
Mme Cécile Raquin. La création du fonds Vert a très clairement permis d’inciter les collectivités locales à orienter davantage leurs investissements vers la transition écologique. Les 2 milliards consacrés par ce fonds à des investissements purement verts se sont ajoutés aux dotations classiques, dont le montant a été maintenu à 2 milliards.
Par ailleurs, nous avons prévu une trajectoire de verdissement pour la DSID, la DETR et le fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT), dont les crédits devront être consacrés à hauteur de 35 % à des investissements verts à partir de 2025.
En matière d’investissement local, les subventions de l’État permettent de financer des actions qui contribuent directement à la transition écologique, mais aussi de s’assurer que soit retenu le meilleur niveau technologique ou la meilleure norme environnementale pour les autres actions. La rénovation d’une école ne constitue pas forcément un investissement vert, mais on peut à cette occasion y intégrer des éléments qui contribuent à la transition écologique, par exemple en végétalisant la cour. Il en est de même pour l’entretien de la voirie. Beaucoup d’investissements ne sont pas verts par nature, mais on peut profiter des travaux pour adopter le meilleur standard environnemental.
M. le président Éric Coquerel. Lors de son audition, M. Laignel a estimé qu’un investissement de 1 milliard par l’État dans le fonds Vert se traduisait par 5 milliards d’investissement par les collectivités locales. Est-ce que vous le confirmez ?
Mme Cécile Raquin. Oui. C’est l’effet de levier qui est attendu du fonds Vert.
M. le président Éric Coquerel. Or on baisse de 1,5 milliard les crédits du fonds Vert, ce qui n’est pas la meilleure idée…
Mme Cécile Raquin. Les collectivités vont devoir présenter un budget vert, avec une nomenclature comptable permettant de mieux identifier les investissements verts et d’avoir un débat démocratique à leur sujet.
M. Pierre Henriet (HOR). Nous sommes tous membres des commissions d’élus de la DETR : depuis plusieurs années, les différentes consignes ministérielles s’entrecroisent, ce qui limite la visibilité pour les préfectures et plus encore pour les donneurs d’ordre que sont les collectivités locales. Cette organisation en silos ne contribue-t-elle pas à rendre plus difficile l’exercice de prévision budgétaire par les collectivités, ces dernières ayant du mal à connaître le montant des dotations dont elles bénéficieront ?
Une étude marquante du CNEN a évalué à 2,5 milliards le coût annuel de l’inflation normative pour les collectivités. N’avons-nous pas là un véritable problème de fond ? Confirmez-vous l’estimation de ce coût, qui n’est pas sans effet sur la dérive budgétaire ?
Mme Cécile Raquin. Nous essayons d’avoir la politique la plus claire possible en matière de DETR et de DSIL, précisément pour que l’État oriente les investissements des collectivités. Le travail interministériel permet d’aboutir à une circulaire du ministre chargé des collectivités locales donnant clairement aux préfets les priorités pour les dotations.
Ces priorités sont définies de manière très large. Pour la DSIL, il s’agit de la rénovation des bâtiments, de leur mise en sécurité et de l’amélioration de l’accessibilité, mais aussi de tous les grands travaux rendus nécessaires par l’accroissement de la population et par la transition écologique. S’agissant de la DETR, les priorités nationales peuvent être complétées par des priorités locales fixées par les commissions d’élus. Ce cadre permet de présenter une vision transversale des priorités de l’État, complétées par celles des élus locaux.
Comme vous le savez, Mme Vautrin avait fait part de sa volonté de poursuivre le rapprochement du fonds Vert, de la DSIL, de la DETR, du FNADT et de la DSID, en harmonisant leurs calendriers et leurs modalités de gestion pour faciliter les demandes de subventions par les élus locaux.
S’agissant du coût des normes, le montant que vous avez cité est bien celui qui figure dans le rapport annuel du CNEN. Cette évaluation repose sur une analyse des surcroîts de charges occasionnés par les projets de textes qu’il a examinés.
Je relève que les projets de textes réglementaires présentés au CNEN sont des décrets d’application des lois. Il n’y a plus de décrets autonomes, car le secrétariat général du gouvernement (SGG) applique une politique stricte consistant à demander au ministère proposant un tel décret de le justifier de manière très précise et de supprimer une autre norme en contrepartie. Cela a vraiment permis de freiner la production de décrets autonomes.
La très grande majorité des textes présentés au CNEN est désormais constituée par des décrets d’application des lois. Cela pose des questions relatives au renvoi à des décrets par les lois, au degré de détail de celles-ci et à la place que l’on souhaite accorder au pouvoir réglementaire local – notamment aux délibérations locales – par rapport au pouvoir réglementaire national.
M. Pierre Henriet (HOR). J’ai assisté récemment à une commission d’élus de la DETR. En 2024, on a demandé aux élus de déposer leurs projets en décembre et la circulaire a été publiée en février. Il y a donc un décalage entre les souhaits des élus et les orientations retenues par la circulaire. J’espère que cela ne sera pas de nouveau le cas en 2025.
S’agissant du poids des normes, certains nouveaux dispositifs semblent n’avoir pour unique objectif que d’alimenter la production administrative. Ainsi, les très beaux programmes que sont Petites Villes de demain et Villages d’avenir, administrés par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), paraissent avoir pour seul effet de contribuer à l’inflation normative sans pour autant créer des investissements concrets.
Mme Cécile Raquin. La DGCL a également pour rôle d’exercer la tutelle de l’ANCT. Petites Villes de demain et Villages d’avenir sont des programmes de développement territorial dont l’objectif est bien de faire naître des projets d’investissement.
Mais dans certains cas, les collectivités ne disposent pas en interne des compétences nécessaires en ingénierie pour élaborer puis conduire les projets. Le programme leur apporte alors une aide, soit en mettant à leur disposition un chef de projet ou en cofinançant son recrutement, soit en fournissant directement un bureau d’études.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Notre commission d’enquête a pour objet d’examiner les écarts entre les prévisions et les réalisations de recettes mais aussi de dépenses. Je vais commencer par ces dernières.
La loi de finances initiale pour 2024 prévoyait une progression de 2 % en valeur des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales. Cette prévision a été réajustée à 1,8 %, sans d’ailleurs que l’on sache pourquoi. On a annoncé successivement que la croissance de ces dépenses atteindrait 7 % en exécution, puis 6 %, puis 5 %. On finira probablement l’exercice avec une hausse de 4,6 %.
On nous avait expliqué en juillet que la dérive des dépenses des collectivités territoriales atteignait 16 milliards, dont 10 milliards pour les dépenses de fonctionnement et 5 à 6 milliards pour les dépenses d’investissement. Ce n’est pas du tout le cas puisque, d’après mes derniers calculs, l’écart par rapport aux prévisions serait compris entre 7 et 8 milliards.
D’où sortaient ces prévisions ? Vous avez indiqué que la direction générale du Trésor ne vous associait nullement à l’élaboration d’une prévision réaliste d’évolution des budgets de fonctionnement.
Quant à la progression des investissements, elle avait été évaluée à 7,8 % en raison du cycle électoral. Or, si le bloc communal est concerné par les élections, ce n’est pas le cas des départements et des régions.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi votre direction générale n’a pas été associée aux prévisions pour 2023 et 2024 ? C’est quand même assez curieux. Qu’en pensez-vous ?
Mme Cécile Raquin. Je vous confirme que je ne suis pas associée à ces prévisions. Comme je l’ai indiqué précédemment, cela peut s’expliquer par le fait que les prévisions réalisées par la direction générale du Trésor ne sont pas de même nature que celles que nous faisons en matière de finances locales. Celles du Trésor reposent sur des modèles et des paramètres macroéconomiques qui ne relèvent pas de la compétence la DGCL, notamment en matière d’inflation et de croissance. Les rôles de deux administrations sont différents.
Les anticipations finalement retenues reposaient sur deux éléments : les prévisions, d’une part, et un choix politique à l’occasion de la LPFP, d’autre part. Ce dernier consistait à demander aux collectivités locales de faire progresser leurs dépenses au même rythme que celui de l’inflation en 2023, puis de les faire évoluer à 0,5 point en deçà de l’inflation lors des années suivantes.
Ce n’était pas seulement une prévision. C’était aussi le choix d’un certain niveau de dépenses des collectivités territoriales. Le projet de LPFP comprenait d’ailleurs un article 23 qui prévoyait un mécanisme de correction destiné à s’assurer que les collectivités territoriales respecteraient l’objectif fixé. Cela montre bien que, pour les concepteurs de la LPFP, cet objectif ne serait pas atteint spontanément et qu’il fallait un dispositif de maîtrise des dépenses de fonctionnement pour y arriver.
S’agissant des dépenses de fonctionnement effectivement constatées, nous confirmons que la dernière Spocc fait état d’une progression de 5,9 % par rapport à la même date en 2023. Cela correspond à ce que l’on pouvait anticiper, mais ce niveau est bien supérieur à celui qui était prévu par la LPFP.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous n’avez pas répondu s’agissant de l’exercice 2023.
Mme Cécile Raquin. Comme je l’ai indiqué dans une réponse précédente, nous n’avons pas produit d’analyse en 2023 car nous ne disposions pas des comptes définitifs permettant d’apprécier l’écart par rapport à la trajectoire fixée par la LPFP. Nous avons commencé nos analyses en 2024 sur la base des comptes clos de 2023.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Comment se fait-il que la chute des recettes issues des DMTO ait été sous-estimée en 2023 et en 2024 ? Avez-vous été associée aux prévisions ?
Mme Cécile Raquin. Non. La DGFIP suit les encaissements des DMTO mois par mois et elle signale si des difficultés sont à prévoir en cours d’année.
Dès la mi-2022, nous avions perçu que la tendance était à la baisse, sans pouvoir évaluer quels seraient les résultats de manière précise. Les signes d’un retournement du marché immobilier apparaissaient tous très clairement. On savait que la hausse des taux d’intérêt aurait nécessairement une influence sur le coût des emprunts pour les ménages, et donc sur le nombre de transactions.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Cependant, les recettes des DMTO ont été évaluées à 18 milliards tant en 2023 qu’en 2024. Avez-vous dit à la direction générale du Trésor qu’il n’était pas possible de maintenir de telles prévisions alors que l’on assistait à une chute du marché immobilier ?
Mme Cécile Raquin. Il est exact que nous n’avons pas eu d’informations sur l’estimation finale du niveau de ces recettes, même si nous voyions quelle était leur tendance. Au bout du compte, les DMTO ont atteint 16 milliards en 2023 et il est plus facile, rétrospectivement, de comprendre pourquoi.
Les Spocc nous sont transmises tous les mois, mais nous n’avons pas la capacité d’expertise ni l’accès au détail des encaissements qui permettraient d’analyser avec plus de précision l’évolution des recettes par rapport à l’année précédente. La DGFIP pourrait vous répondre sur ce point. Nous pouvions seulement parler de tendance.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Trouvez-vous normal que la DGCL ne soit pas du tout associée aux prévisions s’agissant des finances locales ?
Mme Cécile Raquin. Nous y sommes associés car nous participons aux débats interministériels en fournissant nos analyses aux ministres chargés des collectivités territoriales et des finances, ainsi qu’à tous les membres du gouvernement qui le souhaitent. Nous pesons ainsi sur les décisions qui sont prises in fine par les ministres.
Pour autant, comme je l’ai indiqué dans les documents que je vous ai communiqués, il est possible d’améliorer certains points. Si une nouvelle trajectoire d’ajustement des finances publiques était décidée, il serait utile que la DGCL dispose des éléments sous-jacents des prévisions. Cela nous permettrait d’expliquer la méthode retenue aux collectivités et d’aborder le sujet de la bonne gouvernance des finances locales, afin de susciter l’adhésion aux objectifs fixés par une loi de programmation.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous avez évoqué l’article 23 de la LPFP. Pourquoi le dispositif de régulation qu’il prévoyait n’a-t-il pas été mis en œuvre ? Y a-t-il eu des réflexions à ce sujet ?
Mme Cécile Raquin. L’article 23 figurait dans le projet de LPFP, mais il a me semble-t-il été supprimé par la commission des finances du Sénat et n’a pas été rétabli lors de la suite de la discussion du texte. Cet article ne fait donc pas partie de la loi finalement adoptée.
Il avait suscité une très forte opposition des élus locaux, qui y voyaient une résurgence des contrats dits de Cahors, dont l’exécution avait été interrompue au moment de la crise du covid.
M. le président Éric Coquerel. La citation que j’ai faite de votre courrier du 24 septembre est certes suivie par des considérations sur le fait que les collectivités sont en mesure de contribuer à l’effort. Mais vous dites bien également qu’on ne peut pas les tenir responsables d’une dégradation générale du solde public au regard de la trajectoire de la LPFP. Peut-on considérer, oui ou non, que la situation des finances locales a contribué aux écarts de prévisions en matière de recettes et de dépenses des administrations publiques ?
Mme Cécile Raquin. Oui, c’est un fait puisque l’on constate bien un écart en fin d’année par rapport à la trajectoire qui était fixée dans la LPFP. Comme je l’ai indiqué, se pose également la question de l’évolution des recettes et des dépenses des collectivités locales pour contribuer à l’effort de redressement des comptes.
M. le président Éric Coquerel. Le solde des Apul est bien entendu intégré à celui de l’ensemble des administrations publiques. Ma question portait davantage sur la responsabilité en matière d’écarts entre la prévision et l’exécution. On sait que les recettes ont augmenté moins que prévu et les causes des écarts sont documentées. Vous avez indiqué que l’on ne peut pas rendre les collectivités locales responsables de la dégradation générale du solde public par rapport à la trajectoire de la LPFP. Les évolutions à l’origine de l’augmentation du déficit étaient-elles tellement imprévisibles ?
Mme Cécile Raquin. Les recettes ont en effet baissé davantage que ce qui était prévu, notamment s’agissant des DMTO et de la TVA. Ces mouvements n’étaient pas prévisibles par les collectivités locales. En revanche, elles n’ont pas maîtrisé leurs dépenses d’investissement et de fonctionnement, notamment parce que les effets du cycle électoral se sont fait sentir plus tôt et ont été plus importants que prévu. Le rythme de progression des investissements des collectivités locales est ainsi quasiment deux fois supérieur à celui prévu par la LPFP.
Je reconnais avoir du mal à répondre plus précisément à votre question car la notion de responsabilité implique un jugement d’ordre moral ou politique. Or je n’en porte pas.
M. le président Éric Coquerel. Je l’ai bien compris. Cependant, la dégradation aurait-elle dû être anticipée ? Ceux qui ont réalisé les prévisions ne sont-ils pas au fond davantage responsables du déficit constaté que les collectivités locales ?
Mme Cécile Raquin. Cela nous ramène au débat sur l’élaboration des prévisions de recettes. Encore une fois, cela dépasse le domaine de compétence de la DGCL. L’évolution des recettes était, me semble-t-il, largement imprévisible – en tout cas s’agissant des DMTO et de la TVA.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous avez indiqué que l’écart par rapport aux prévisions de solde des Apul atteignait 5,5 milliards en 2023 et 15 milliards en 2024, à comparer avec un écart de prévision de 57 à 60 milliards pour l’ensemble des administrations publiques au cours de ces deux années. Même si vous avez raison de dire que les collectivités locales ne sont pas responsables de cet état de fait, monsieur le président, un tiers de l’écart par rapport aux prévisions est en tout cas lié à leur situation.
Mme Cécile Raquin. On peut en effet traduire les chiffres de cette manière. Savoir quelle est la responsabilité de chacun relève d’un débat d’une autre nature.
M. Joël Bruneau (LIOT). J’ai bien compris qu’il était assez logique que la DGCL ne soit pas associée aux prévisions macroéconomiques établies par la direction générale du Trésor. En revanche, afin de mieux piloter les finances publiques, ne serait-il pas pertinent de prévoir des échanges réguliers entre la DGCL et la direction générale du Trésor sur les conséquences des prévisions de cette dernière concernant les finances des collectivités ?
Ainsi, on pouvait facilement anticiper au début de 2024 que les dépenses du bloc communal allaient augmenter sous l’effet en année pleine de la revalorisation du point d’indice de la fonction publique et de la forte augmentation du coût de l’énergie. À Caen, dont j’ai été maire, ces deux facteurs conduisaient à une augmentation des dépenses de 6 millions pour un budget de fonctionnement de 150 millions.
La hausse des dépenses était d’autant plus probable que la revalorisation forfaitaire des valeurs locatives avait atteint 7,1 % en 2023, contribuant ainsi à la croissance des recettes.
Je m’étonne donc qu’il ait fallu attendre le mois de juillet pour constater l’augmentation des dépenses, sachant en outre que les années 2024 et 2025 sont évidemment caractérisées par d’importantes dépenses d’investissement en raison du cycle électoral – dont l’ampleur est accrue par les retards accumulés en 2020.
Mme Cécile Raquin. Nous sommes ouverts à toute proposition d’amélioration, concernant notamment le dialogue entre administrations de l’État. Sachez toutefois que les échanges sont déjà réguliers voire permanents.
Nous ne sommes pas associés aux prévisions de solde budgétaire inscrites dans les projets de lois de finances. En revanche, nous travaillons quotidiennement avec la direction du budget, la direction de la législation fiscale et la DGFIP pour traduire sur le plan budgétaire les mesures opérationnelles concernant les collectivités. Le partenariat est très étroit : nous nous transmettons nos analyses et nos données, et nous travaillons sur les mêmes chiffres.
La loi de programmation des finances publiques a fixé à la fois des prévisions et une trajectoire de redressement du solde public, présentée devant la Commission européenne. Les collectivités devaient s’associer à cette trajectoire. Toutefois, les sanctions initialement prévues à l’article 23 de ce texte au cas où elles ne le feraient pas ont été supprimées. Dès lors, la trajectoire était-elle d’emblée condamnée à rester lettre morte ? Les avis divergent sur ce point.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). J’éprouve un sentiment très étrange à l’issue de l’audition des hauts fonctionnaires concernés par les prévisions budgétaires des deux derniers exercices et leur dérapage historique.
Lors de la présentation des PLF pour 2023 et 2024, les dépenses ont été minorées. Ainsi, un budget en réalité aberrant apparaissait tenable sur le papier, ce qui arrangeait bien le pouvoir politique. Ensuite, pour justifier ces budgets mensongers, l’administration a plaidé l’erreur technique, s’est excusée, a promis de mieux faire et ainsi de suite. Encore une fois, cela arrange le pouvoir politique.
Plus les auditions progressent, plus je m’interroge sur l’éthique des hauts fonctionnaires. Il ne s’agit pas de les attaquer mais de poser une simple question – qui, pourtant, semble toujours scandaleuse. Un haut fonctionnaire doit à la fois la vérité au contribuable et la loyauté au ministre et au gouvernement, à qui il rend des comptes. À certains moments, cette situation suscite-t-elle des tiraillements ?
Il est difficile de tirer des informations précises de vos réponses et de celles de vos collègues. De deux choses l’une : soit c’est parce que vous êtes incapables de les fournir, au grand dam de ceux qui suivent cette commission d’enquête depuis l’extérieur et dont les commentaires ne sont guère élogieux, soit c’est parce que vous vous trouvez dans une position impossible, qui nécessiterait une clarification des règles déontologiques concernant les relations entre les différents pouvoirs.
Mme Cécile Raquin. Ni l’un ni l’autre. Le rôle du haut fonctionnaire est très clair. Il consiste à conseiller le ministre et à appliquer ses directives en toute loyauté. Dans les notes que j’ai transmises à votre commission d’enquête, j’écris les choses telles que je les pense et telles que mes services les analysent.
Nous essayons d’écrire des notes qui ne sont jamais politiques, mais toujours documentées, factuelles. Nous analysons des chiffres et nous bâtissons des raisonnements que nous expliquons au ministre, puis nous lui proposons des solutions variées. Ensuite, si le ministre nous demande d'approfondir telle ou telle solution, nous le faisons. Dans le débat interministériel, nous faisons valoir la position de la DGCL.
Je prends souvent position de manière claire auprès du ministre, afin de permettre au pouvoir politique de prendre des décisions éclairées. Une fois que la décision est prise, tous les hauts fonctionnaires l’appliquent avec une entière loyauté, en essayant de trouver les solutions techniques les plus pertinentes et les plus faciles à appliquer, par exemple dans les budgets locaux. J’exerce mes fonctions dans un état d’esprit de loyauté totale envers le pouvoir politique, et de vérité totale envers le ministre, dans la confidentialité des échanges avec lui, en amont de la prise de décision.
M. le président Éric Coquerel. Merci.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 17 décembre 2024 à 16 heures
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Benjamin Dirx, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, M. Christian Girard, M. Pierre Henriet, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, M. Jean-Paul Mattei, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, M. Didier Padey, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou
Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, M. Joël Bruneau