Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Olivier Garnier, directeur des études économiques à la Banque de France, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) 2
– Présences en réunion...........................16
Mercredi
22 janvier 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 074
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La Commission auditionne M. Olivier Garnier, directeur des études économiques à la Banque de France, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58 1100 du 17 novembre 1958)
M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous sommes réunis pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024. À ce titre, notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête. Cette audition obéit donc au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Le bureau de la commission a décidé que ces auditions seraient publiques. Les deux rapporteurs de l’enquête, MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, ont élaboré un questionnaire écrit qui a été communiqué à la personne auditionnée et qui vous a également été transmis.
Dans un premier temps, après avoir fait prêter serment à la personne auditionnée puis avoir écouté son propos liminaire, moi-même ainsi que les rapporteurs poserons des questions. Après quoi, les commissaires appartenant aux différents groupes pourront également poser les leurs, si possible courtes, l’idée étant de laisser le plus possible la parole aux personnes auditionnées. Le temps imparti à chaque groupe pour l’ensemble de ses orateurs ne devra pas excéder deux minutes. Le président et les rapporteurs pourront, s’ils l’estiment nécessaire, procéder à des relances si des réponses semblent insatisfaisantes.
Je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement audiovisuel sera ensuite disponible à la demande.
Monsieur Olivier Garnier, vous êtes directeur des études économiques à la Banque de France. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Olivier Garnier prête serment.)
M. Olivier Garnier, directeur des études économiques à la Banque de France. Permettez-moi de commencer par rappeler le cadre dans lequel la Banque de France établit ses projections économiques et les difficultés qu’à l’instar de tous les prévisionnistes, nous avons rencontrées au cours des deux dernières années.
La Banque de France établit quatre projections économiques par an, le dernier mois de chaque trimestre. Les projections de décembre 2024, par exemple, portaient sur les années 2025, 2026 et 2027 – un horizon bien plus lointain que celui des projets de loi de finance. Produites dans un cadre européen, ces projections, élaborées en toute indépendance par rapport au gouvernement, sont coordonnées par la Banque centrale européenne (BCE). Elles s’appuient sur des hypothèses communes à l’ensemble des banques centrales nationales, fondées à la fois sur des conventions, s’agissant de paramètres comme le prix du pétrole ou les taux de change – estimés à partir des prix sur les marchés à terme – et sur l’environnement externe – la croissance américaine, par exemple. Les projections suivent un processus itératif : après une première estimation, elles sont ajustées en fonction des projections des autres pays et des rétroactions que celles-ci pourraient avoir sur notre économie. Au-delà des discussions entre banques centrales, ces données font l’objet d’une revue par les pairs : on peut nous demander d’examiner les projections faites par la banque centrale d’un autre pays, et vice-versa. Les prévisions peuvent donc être remises en question par les autres pays.
Le calendrier des projections est déterminé par celui des conseils monétaires des gouverneurs. En effet, nos projections ne peuvent être rendues publiques qu’après la publication par Christine Lagarde de la projection pour l’ensemble de la zone euro, qui intervient généralement le jeudi après-midi. Nous ne pouvons plus, alors, les modifier, même si les paramètres ayant permis de les alimenter ont évolué. Leur confection est donc tenue au secret le plus strict, et nous n’avons aucun contact avec Bercy pendant cette période.
Ce calendrier n’est pas sans générer des difficultés : l’Eurosystème, le système européen des banques centrales nationales, n’autorise à prendre en compte que les mesures déjà adoptées ou annoncées de façon suffisamment précise pour être intégrées au calcul. Or, le conseil des gouverneurs se tenant généralement début septembre, nous sommes contraints d’établir des projections sans connaître le contenu du projet de loi de finances (PLF). Nous rencontrons le même écueil s’agissant de nos prévisions à l’horizon 2027 : nous ne prenons en compte les éléments qui figurent dans le programme de stabilité ou le plan budgétaire et structurel à moyen terme que s’ils sont suffisamment précis et connus.
Notre approche est différente de celle de Bercy. Notre objectif est en effet de prévoir la croissance et l’inflation, et non le solde public : à notre niveau, les finances publiques sont plutôt une variable d’entrée. D’ailleurs, les données que nous publions chaque trimestre ne comportent pas de tableaux spécifiques aux finances publiques ; tout au plus donnons-nous quelques indications, plus ou moins précises selon la période.
Nous avons identifié trois éléments susceptibles d’expliquer les écarts entre nos projections et celles des autres institutions, notamment Bercy. Premièrement, nos hypothèses dépendent largement de conventions liées au contexte international, et sont établies selon un calendrier européen qui ne correspond pas nécessairement à celui du projet de loi de finances, par exemple. Deuxièmement, la Banque de France s’appuie un modèle de projection macroéconométrique propre, le FR-BDF, et des modèles satellites distincts de ceux utilisés par Bercy. Troisièmement, comme le savent tous les prévisionnistes, toute projection fait intervenir des jugements d’experts. Attention, il ne s’agit pas de jugements arbitraires établis au doigt mouillé ; seulement, si les résultats de notre modèle ne sont pas cohérents avec nos observations dans d’autres domaines, nous pouvons être amenés à le retravailler. L’arbitrage des experts pourrait ainsi expliquer les écarts de prévisions.
Permettez-moi de revenir sur nos prévisions pour les années 2023 et 2024 – en me fondant sur celles publiées en décembre, qui intègrent certains éléments budgétaires et, à ce titre, sont les seules comparables à celles retenues par Bercy et au réalisé.
En décembre 2022, nous avions prévu une hausse de 0,3 % du PIB pour 2023. Or la hausse a atteint 1,1 %. Notre prévision était donc nettement plus pessimiste que la réalité, alors que Bercy tablait sur une hausse de 1 % dans le PLF pour 2023. Fait inhabituel, nous avions, à l’époque, proposé une fourchette, tant les incertitudes liées aux prix du gaz étaient fortes – mais nous en restions à 0,8 % pour le haut de la fourchette. Néanmoins, en termes de composition de la croissance, nous avions vu juste : nous avions anticipé une faible demande intérieure privée – c’est-à-dire la consommation et les investissements –, et c’est bien ce qui s’est passé. Ce sont la demande intérieure publique et la contribution du solde extérieur qui ont été bien plus fortes que ce que nous attendions.
En décembre 2023, nous avions prévu une hausse de 0,9 % du PIB, pour un chiffre définitif de 1,1 %. Là encore, notre prévision était inférieure à celle de Bercy, qui avait retenu une hausse 1,4 % dans le PLF pour 2024 avant de la ramener à 1 % au printemps dans le cadre du programme de stabilité. Tout comme Bercy nous avions un peu surestimé la consommation, et ce sont la demande publique et la demande étrangère qui ont tiré la croissance.
Pour ma part, je tire plusieurs conclusions.
Tout d’abord, la crise de covid-19, l’invasion de l’Ukraine – avec toutes les incertitudes liées à l’approvisionnement en énergie – et la crise inflationniste qui a suivi ont forgé un contexte exceptionnel.
Ensuite, mon expérience des prévisions économiques me porte à penser que ce ne sont pas tant les prévisions macroéconomiques qui étaient erronées pour 2023-2024 – nos projections étaient d’ailleurs assez proches de celles de Bercy – que le passage du cadrage macroéconomique aux recettes. Les analystes oublient souvent que, si la prévision de croissance du PIB est incertaine, sa traduction en termes de recettes l’est au moins autant, du fait des nombreux facteurs qui entrent en jeu.
M. le président Éric Coquerel. Vos prévisions de croissance pour les deux exercices passés étaient inférieures de 0,5 point à celles retenues par le gouvernement dans le projet de loi de finances – 0,5 % contre 1 % pour 2023, 0,9 % contre 1,4 % pour 2024. Pour 2023, les prévisions du gouvernement se sont révélées les plus justes, contrairement à 2024. Pourquoi vos prévisions étaient-elles plus pessimistes ?
M. Olivier Garnier. Comme je l’ai expliqué, notre prévision pour 2023 a été globalement correcte s’agissant de la demande intérieure privée ; nous avons seulement sous-estimé la consommation et l’investissement publics et la contribution de la demande extérieure. Je rappelle que nous travaillons sur les hypothèses internationales fournies par l’Eurosystème, qui avaient sous-estimé la croissance extérieure. En 2024, l’écart a été moins marqué. Nous avons surestimé certaines composantes et sous-évalué la demande publique – en particulier celle des collectivités locales, que nous ne suivons pas de près – et la contribution du solde extérieur.
N’oublions pas que des périodes comme celle que nous traversons conduisent inévitablement à une révision des prévisions, parfois importante – cela se vérifie dans tous les pays. Nous le faisons chaque trimestre, mais le cadre budgétaire national, beaucoup plus contraint, n’offre pas cette possibilité. Fin 2022, lorsque nous avons donné une fourchette de croissance du PIB entre – 0,3 % et + 0,8 %, l’incertitude était très forte, notamment s’agissant de l’approvisionnement en gaz : on se demandait si on allait passer l’hiver ! Certains prévoyaient même une récession en Europe, en particulier en France. Les projections économiques sont toujours soumises à une forte incertitude.
M. le président Éric Coquerel. Je suis de ceux qui ne sont pas très étonnés que, dans un contexte de reflux de l’activité au niveau mondial, la dépense publique – notamment celle des collectivités locales – ait soutenu la consommation. On l’avait vu après la crise des subprimes : contrairement à l’Allemagne, la France n’était pas entrée en récession.
Ce qui me surprend, c’est que les prévisions de croissance du gouvernement se soient révélées exactes alors que les éléments qui ont effectivement tiré la croissance ne figuraient pas du tout dans son scénario – les dépenses des collectivités locales, qu’il n’envisageait que comme une aggravation du déficit, mais aussi les exportations nettes d’électricité, et le dynamisme du secteur aéronautique et du tourisme. Comment l’expliquez-vous ?
M. Olivier Garnier. C’est une excellente question. Ce n’est pas complètement le hasard : fort heureusement, en économie, certaines dynamiques se compensent. Par exemple, si la demande intérieure privée est faible, le niveau d’importation l’est aussi et le solde extérieur jouera positivement. Si la demande privée avait explosé, la composition de la croissance aurait été différente.
Je rappelle que l’hiver 2022 a été marqué à la fois par la sortie de la crise du covid-19 et le choc de l’invasion de l’Ukraine, avec toutes ses conséquences en matière d’approvisionnement en gaz. L’éventail des prévisions des économistes était, de fait, très large. À cet égard, l’existence d’écarts ne me semble pas anormale.
M. le président Éric Coquerel. Mais comment ont-ils pu faire des prévisions exactes à partir du mauvais scénario ?
M. Olivier Garnier. Ils avaient tablé sur la consommation des ménages et une baisse plus marquée du taux d’épargne. Il n’était pas aberrant d’imaginer que le surplus d’épargne accumulé par les ménages pendant la période du covid serait consommé. Cela s’est d’ailleurs vérifié aux États-Unis, mais pas en France, ni chez la plupart de nos grands partenaires européens. Ce phénomène était d’autant plus difficile à anticiper que le contexte, je le répète, était inédit : dans ma longue carrière d’économiste, je n’avais jamais vécu un arrêt total de l’économie et une consommation nulle comme nous l’avons vu pendant le covid. Logiquement, la sortie de cette période a été marquée par des incertitudes si fortes que nous en avons été réduits, au vu des multiples scénarios possibles, à nous contenter d’une fourchette d’estimation – c’est tout à fait inhabituel, et même inédit. D’ailleurs, le haut de la fourchette, fixé à 0,8 %, n’était pas si éloigné des prévisions de Bercy, qui étaient de 1 %.
M. le président Éric Coquerel. Comme vous venez de l’expliquer, en 2023, comme en 2024, les prévisions de croissance du gouvernement reposaient sur l’hypothèse d’une consommation portée par la baisse du taux d’épargne.
Pour reprendre les termes du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), je considérais cette hypothèse comme optimiste. En effet, les salaires réels diminuaient, de 1 % en 2022 et de 0,8 % en 2023. En outre, comme vous le souligniez dans votre publication de mars 2023, la progression des revenus avait été largement soutenue par les revenus financiers et la baisse des prélèvements obligatoires, moins directement consommés que les revenus du travail. En septembre 2023, vous notiez encore que le taux d’épargne restait étonnamment élevé, probablement en raison de l’érosion de l’épargne sous l’effet de l’inflation. Le risque que la consommation ne reparte pas était bien identifié : vous souligniez en mars 2024 que le maintien d’un taux d’épargne élevé des ménages était un aléa susceptible de tirer l’activité à la baisse.
Or, alors qu’on ne constate toujours pas de réelle baisse de l’épargne, les mêmes hypothèses fondent à nouveau les budgets pour 2024 et 2025. Peut-on en conclure que c’est parce que le gouvernement a choisi d’exclure cet aléa, pourtant bien identifié, que les prévisions de croissance ont été trop optimistes ?
M. Olivier Garnier. L’évolution du taux d’épargne a surpris tout le monde, moi le premier.
Tout d’abord, comme je l’ai dit, on pouvait légitimement penser que le surplus d’épargne accumulé pendant le covid serait consommé, ou au moins que l’on reviendrait progressivement au niveau d’épargne pré-covid. Il y a bien eu une baisse du taux d’épargne après le covid, et Bercy a tablé sur le fait qu’elle se poursuivrait, mais en 2023 et 2024 le taux d’épargne est reparti à la hausse. Il atteint désormais 18 %, 3,5 points au-dessus de son niveau pré-covid.
Près de la moitié de cette hausse – 1,5 point – s’explique par la composition des revenus : une large part de l’augmentation du pouvoir d’achat pendant cette période a été soutenue par la hausse des taux d’intérêt, entraînant avec elle la rémunération du livret A et les revenus des contrats d’assurance vie.
Ces revenus n’ont pas été consommés, ce qui s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, ils concernent plutôt les ménages aisés, qui ont une propension marginale à consommer plus faible. Surtout, cette augmentation est essentiellement comptable : les intérêts perçus ont effectivement augmenté, mais cela n’a fait que compenser l’érosion du patrimoine sous l’effet de l’inflation – finalement, les revenus réels n’ont pas nécessairement augmenté.
En 2024, la hausse du revenu disponible des ménages a été plus importante que prévu, dépassant 2 % ; en 2025 et 2026, il faut s’attendre à un net ralentissement de cette dynamique. Cela ne pèsera pas nécessairement sur la consommation, puisque ce gain de pouvoir d’achat était automatiquement épargné.
Enfin, reste ce qu’on appelle, faute de mieux, les incertitudes. On voit bien que le contexte international et la situation politique en France peuvent créer une situation d’attentisme, avec toutes les conséquences que l’on sait sur la consommation et l’investissement, et donc sur le taux d’épargne – au moins de manière transitoire. C’est là que les jugements d’experts interviennent – ce qui, je l’ai dit, peut expliquer des différences entre les prévisionnistes.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Existe-t-il une coordination entre la Banque de France et la direction chargée des prévisions au sein de la direction générale du Trésor, ou encore avec le gouvernement ? Le cas échéant, quelle a été la nature et la fréquence de ces échanges au cours de la période qui nous occupe ?
M. Olivier Garnier. Nous établissons nos projections en toute indépendance, dans le cadre de l’Eurosystème ; elles sont d’ailleurs strictement secrètes, ne serait-ce que pour éviter des fuites sur les marchés. Les seuls échanges que nous avons sont avec les autres banques centrales nationales et la BCE. Nous n’avons aucun lien avec Bercy au moment où nous produisons les prévisions – et réciproquement : Bercy n’échange pas avec nous lors de la préparation du projet de loi de finances.
En dehors de ces périodes, il existe des échanges entre techniciens qui peuvent être l’occasion de comparer les projections, comme nous le faisons avec les économistes d’autres institutions comme l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
M. Éric Ciotti, rapporteur. Je comprends cette exigence de secret et d’indépendance, mais vous paraîtrait-il opportun de prévoir des mécanismes permettant des rapprochements entre les deux institutions, malgré leurs évidentes différences statutaires ?
Le Premier président de la Cour des comptes, que nous avons entendu hier, souhaitait accorder davantage d’indépendance à la direction de Bercy chargée des prévisions vis-à-vis du gouvernement. Le système actuel vous semble-t-il satisfaisant ? Le cas échéant, comment la coordination pourrait-elle être améliorée ?
M. Olivier Garnier. La question d’une éventuelle concertation organisée par Bercy n’est pas spécifique à la Banque de France : elle concerne, plus largement, la communauté des experts et des économistes. À une époque, c’était le rôle dévolu à la Commission économique de la nation, qui réunissait les économistes des grandes institutions publiques et privées sous l’égide de Bercy. Une telle instance ne résoudrait pas tout, mais il est toujours utile de pouvoir discuter et confronter ses approches et analyses sur un sujet. C’est une piste de progression.
Au reste, les prévisions en matière économique sont publiques et le HCFP procède naturellement, dans le cadre de son avis, à une comparaison entre celles du gouvernement et le consensus économique. D’ailleurs, je suis systématiquement auditionné en amont de la publication de ce document.
En revanche, il n’existe pas véritablement de communauté d’experts en matière de prévisions fiscales – en particulier parce que peu de gens disposent des compétences et des données pour les établir. Il manque quelque chose qui soit capable de remettre en question les projections du ministère de l’économie et des finances en matière de recettes. Le HCFP doit bien émettre un avis, et pourrait être un bon garde-fou, mais il ne peut s’appuyer sur aucune autre institution nationale. La Banque de France, par exemple, n’a aucune compétence et n’établit pas de prévisions impôt par impôt. Peut-être faudrait-il encourager la recherche dans ce domaine. Ce serait utile.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Le gouvernement n’a-t-il pas fait preuve d’un excès d’optimisme dans ses prévisions pour 2023 et 2024 ?
M. Olivier Garnier. Pour 2023, la prévision macroéconomique du gouvernement a été plus proche du réalisé que la nôtre. Elle ne péchait donc pas par excès d’optimisme. Pour 2024, la prévision initiale était un peu trop élevée, à 1,4 %, mais elle a été corrigée assez rapidement et le taux de croissance s’est finalement fixé entre les deux chiffres.
Des garde-fous existent. Le Haut Conseil des finances publiques apporte une perspective extérieure bienvenue sur les projections du gouvernement. Pour moi, encore une fois, le problème ne réside pas dans les projections macroéconomiques, mais dans leur conversion en projections de recettes.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Pensez-vous que la dernière prévision officielle du déficit des finances publiques pour 2024, de 6,1 % du PIB, reste pertinente ?
M. Olivier Garnier. Je peux seulement juger des chiffres du PIB, à partir de ceux de l’activité et de la consommation. Pour le quatrième trimestre de 2024, l’Insee n’a pas encore publié les comptes mais nos enquêtes mensuelles de conjoncture nous portent à penser que le PIB est resté stable, avec une hausse de l’activité sous-jacente de 0,2 %, par contrecoup des Jeux olympiques. Ces chiffres sont compatibles avec la prévision de 1,1 % de croissance du PIB. Il n’y a pas de mauvaise surprise à attendre en matière macroéconomique en 2024.
En revanche, l’incertitude est forte pour 2025, encore plus probablement que pour les années précédentes, au vu du contexte politique français et de l’environnement international – par exemple l’augmentation des droits de douane aux États-Unis.
M. le président Éric Coquerel. Nous suspendons l’audition pour aller voter en séance publique.
L’audition est suspendue de quinze heures quarante à seize heures.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Selon vous, l’impact des prévisions macroéconomiques sur l’écart entre les recettes prévues et celles constatées est assez faible. Êtes-vous malgré tout capable de le quantifier pour 2023 et 2024 ?
Vous évoquez des difficultés méthodologiques de prévision, liées aux chocs exogènes subis par notre économie et les économies voisines. Selon vous, la crise inflationniste puis la désinflation assez brutale ont-elles perturbé les modèles de prévision ?
M. Olivier Garnier. Je ne dis pas que le cadre macroéconomique n’a pas eu d’impact, mais qu’il a joué dans les proportions habituelles. Au début des années 1990, dans les chocs que nous avons connus, il a pu être la cause d’écarts beaucoup plus importants.
Dans ses notes sur le blog de l’Institut des politiques publiques, Laurent Bach, l’un des rares membres du monde académique à s’être penché sur la question, explique que si les recettes fiscales de la TVA et de l’impôt sur les sociétés (IS) ont été moindres qu’escompté, c’est principalement à cause d’autres facteurs que la macroéconomie – même si celle-ci a eu des effets indirects.
Pour la TVA, un facteur crucial, même s’il est difficile de le quantifier, serait celui des crédits de TVA. Pour l’IS, les taux d’intérêt ont sans doute joué un rôle inhabituel pendant la période : puisqu’ils étaient plus élevés, les entreprises auraient préféré garder leur trésorerie.
Quant à l'inflation, elle a effectivement atteint un niveau inhabituel pendant la période. Cela n’a pas été aussi inhabituel que la pandémie l’a été en son temps, certes, mais nous n’avions pas connu un tel niveau d’inflation depuis les années 1980.
Il est toujours compliqué d’évaluer l’effet de l’inflation sur les finances publiques. Trop souvent, les analystes se contentent de noter que, l’inflation ayant reculé en 2024, le PIB nominal et les recettes ont été plus faibles. Mais le taux d’inflation joue aussi sur les dépenses.
L’effet du taux d’inflation sur la masse salariale n’est pas non plus évident : ce n’est pas parce que le prix de l’énergie a davantage baissé qu’attendu que la masse salariale diminuera dans les mêmes proportions.
Bref, il faut se méfier des explications trop hâtives avec l’inflation. La période a été compliquée par le choc des termes de l’échange – les fortes variations de prix des matières premières importées, qui ont eu des effets sectoriels importants. Par exemple, l’inflation a fait gonfler l’excédent brut d’exploitation (EBE) des entreprises dans certains secteurs mais a eu l’effet inverse dans d’autres, comme celui des services. En outre, des effets de composition de l’IS ont pu perturber les choses.
Autre point technique : les projections de recettes utilisent souvent le calcul du taux d’élasticité par rapport au PIB nominal. Pourtant, le PIB nominal est un objet assez théorique : c’est le prix de la valeur ajoutée, dont le calcul repose sur de nombreuses conventions. Est-ce vraiment le bon déflateur ? Pour évaluer les recettes de la TVA, il faudrait plutôt se baser sur les prix de la consommation, qui sont déterminants.
De fait, pendant la période, les prix du PIB et de la consommation n’ont pas évolué de la même manière. Ces mouvements marqués ont conduit à des réallocations entre secteurs, qui peuvent expliquer une partie des erreurs. En tout cas, ce n’est pas un problème de modèle en tant que tel.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Selon vous, l’externalisation totale des prévisions qui dépendent actuellement du gouvernement constituerait-elle un progrès démocratique ? La publication d’intervalles de confiance pourrait-elle améliorer la prévision, notamment des recettes ? Disposez-vous d’éléments de comparaison avec d’autres systèmes, notamment ceux de nos voisins allemands et britanniques, qui ont également connu des prévisions dégradées ces deux dernières années ?
M. Olivier Garnier. Il ne me revient pas de me prononcer sur l’opportunité d’une externalisation des prévisions. En tant qu’expert, je ne suis pas certain que la question de savoir qui effectue les prévisions macroéconomiques soit la plus importante : ce qu’il faut surtout, c’est qu’elles puissent être discutées, remises en question, et qu’il y ait des garde-fous comme le HCFP. Au Royaume-Uni, les prévisions ont été externalisées auprès d’un organisme indépendant, l’OBR (Office for Budget Responsibility). Je ne suis pas certain qu’elles soient pour autant meilleures.
Et sur quelle base les déclarer meilleures ? Entre les prévisions de la Banque de France et celles de Bercy, je serais bien en peine de dire quelles sont les meilleures. L’important est que le mécanisme et les hypothèses utilisés soient transparents et puissent être discutés.
Le débat sur les intervalles de confiance est récurrent parmi les prévisionnistes, y compris au sein de l’Eurosystème. Pour nos prévisions pour 2023, nous avions proposé une fourchette. Pendant la crise du covid, il nous est également arrivé de proposer un scénario central et un deuxième scénario.
L’avantage des intervalles de confiance est qu’ils permettent de rappeler à la communauté des utilisateurs que toutes les projections sont entourées d’incertitudes. Le scénario présenté est celui qui nous semble le plus probable à un instant T, mais pas le seul. Cela a donc une vertu pédagogique importante.
Mais l’expérience commune montre que, du point de vue de la communication, cela ne fonctionne pas. Pour ses prévisions d’inflation, la Banque d’Angleterre a l’habitude de produire des fan charts – des graphiques indiquant les probabilités avec un dégradé de couleur : personne n’y fait attention, ni les analystes, ni la presse ! Tous ne retiennent que l’hypothèse centrale.
Par ailleurs, dans le contexte budgétaire, la loi de finances doit nécessairement indiquer un chiffre et non une fourchette de possibilités. Selon moi, plutôt qu’une fourchette, il faudrait créer une réserve de précaution, qu’on dépense ou qu’on abonde selon que les rentrées fiscales sont décevantes ou meilleures qu’attendu. Car oui, il arrive d’avoir de bonnes nouvelles, le problème étant qu’actuellement, ce surcroît de recettes est dépensé.
Enfin, s’agissant des comparaisons internationales, il est clair que ce problème de prévision n’est pas spécifique à la France. Nous discutons avec les autres membres de l’Eurosystème, qui sont tous confrontés aux mêmes problèmes – prévisions macroéconomiques et des recettes, chiffrage de la consommation et de l’épargne. L’Allemagne a aussi connu des problèmes s’agissant de la TVA. Nous confrontons nos expériences. Ces problèmes se retrouvent partout, particulièrement dans la période que nous venons de traverser.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Sauf erreur de ma part, la Banque de France n’analyse pas l'effet des variations de taux de la Banque centrale européenne. Seul l’OFCE publie une prévision de croissance qui chiffre explicitement les chocs externes, où sont comptabilisées ces variations. Or leurs effets ne sont pas anecdotiques. En 2023 comme en 2024, elles ont réduit les prévisions de croissance du PIB de 0,6 point. Pour 2025, elles conduisent à les augmenter de 0,4 point. Je n’ai jamais entendu M. Villeroy de Galhau évoquer cet impact.
M. Olivier Garnier. La politique monétaire, en particulier l’étude de l’impact des variations de taux d’intérêt sur l’activité et l’inflation, c’est le cœur de notre métier. Ces informations sont publiées, en France et par la Banque centrale européenne pour la zone euro.
Nous nous penchons dans de nombreuses études sur la politique monétaire et ses effets. Dans les discours du gouverneur de la Banque de France, par exemple, vous entendrez quelle est la contribution de cette politique à la désinflation. Nous estimons que la politique monétaire qui a été menée a permis de réduire d’au moins 2 points l’inflation – et encore, sans prendre en compte ses effets sur les anticipations. L’économiste en chef de la Banque centrale européenne, Philip Lane, fournit également de nombreuses informations en la matière.
Il faut bien distinguer, en matière de taux d’intérêt, ce qui relève des causes endogènes – quand l’activité s’accroît, le taux d’intérêt d’équilibre tend à monter – et ce qui résulte de façon plus discrétionnaire de la politique monétaire, ce qui nécessite des calculs plus compliqués. Mais nous suivons de près ce sujet, qui suscite aussi de nombreuses recherches académiques, car c’est notre cœur de métier.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). C’était bien votre cœur de métier, jusqu’à ce que la compétence en matière de politique monétaire soit confiée à la Banque centrale européenne.
J’ai vu les publications et les discours sur l’effet de la politique de la Banque centrale européenne sur l’inflation, et je n’ai pas été convaincu. Pour moi, l’hyperinflation a été importée. Je ne vois absolument pas le lien entre la politique monétaire et la baisse de l’inflation dans la zone euro, elles sont complètement décorrélées.
La Banque de France n’est-elle pas dans une position difficile ? Elle ne dispose que d’une voix au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE. La politique monétaire qu’elle doit défendre n’est pas celle de la France, mais celle de la zone euro, alors que les économies de la zone euro n’ont jamais convergé et que chaque pays a des intérêts divergents, sans parler du fait que la politique de la BCE est alignée sur celle de la Fed.
Surtout, vous n’avez pas répondu à ma question : la Banque de France a-t-elle produit des analyses concernant l’effet des choix de la BCE sur la croissance ? Pour ma part, je n’en ai pas trouvé. Les seules analyses disponibles sont celles de l’OFCE, qui considère que la politique monétaire menée a réduit la croissance de 1,2 point sur la période 2023-2024.
Vous vous autocongratulez, mais les effets de la politique monétaire sur l’inflation ne sont pas prouvés. D’ailleurs, la Banque de France n’a absolument pas anticipé l’hyperinflation – aucune publication n’alertait sur ce risque, ou alors elle est bien cachée, car je ne l’ai pas trouvée. Lors de ses auditions par la commission des finances, le gouverneur de la Banque de France n’a pas non plus mentionné ce risque – je le sais, car, en bon souverainiste, je l’ai interrogé sur ce point. Je suis d’ailleurs le seul à déplorer que nous ne discutions plus de notre politique monétaire.
M. Olivier Garnier. Nous sortons ici du domaine de cette commission d’enquête. Vous dites que l’inflation est importée et que vous ne voyez pas le lien avec la politique monétaire. Il est vrai que le problème trouve son origine dans un choc des prix importés. Mais l’inflation est le phénomène de contamination des autres prix et des salaires par ce choc, et le rôle de la politique monétaire est de l’éviter. Si la contamination n’a pas eu lieu, c’est justement parce que nous avons mené une politique monétaire volontariste – à la différence de ce qui s’était passé dans les années 1970 à la suite des chocs pétroliers.
Il n’y a pas si longtemps, beaucoup annonçaient que nous ne parviendrions pas à réduire l’inflation, ou alors au prix d’une récession. Or l’inflation est revenue autour de 2 % dans la zone euro, sans récession, même si l’activité est ralentie.
C’est vrai, une politique de resserrement monétaire a un effet restrictif sur l’activité, que nous prenons en compte dans nos projections. De la même manière, nous prévoyons une reprise de l’investissement en 2026-2027, lié à la détente des taux d’intérêt. Nous pourrons vous communiquer de nombreuses études sur l’impact de cette politique sur l’activité et l’inflation. C’est notre cœur de métier.
M. le président Éric Coquerel. Même si la France n’est pas en récession, l’Allemagne, elle, l’est.
M. Olivier Garnier. Certes, mais les raisons sont structurelles et ne tiennent pas à la politique monétaire. Le modèle industriel allemand est remis en cause, du fait de problèmes d’approvisionnement en énergie et de sa dépendance vis-à-vis de la Chine.
M. le président Éric Coquerel. En Allemagne, certains contestent la politique actuelle de réduction excessive des déficits.
M. Olivier Garnier. C’est une question de politique budgétaire. Nous ne nous occupons que de la politique monétaire.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur Tanguy, votre groupe n’est pas le seul à s’intéresser à la politique monétaire. Je fais partie de ceux qui pensent que l’indépendance des banques centrales n’est pas une bonne chose.
M. Jacques Oberti (SOC). Hier, le président du Haut Conseil des finances publiques a indiqué que nous manquions sans doute de contre-expertise dans l’élaboration des prévisions et dans l’analyse ensuite des écarts avec le réalisé. Dans le monde actuel, ces écarts varient beaucoup plus que par le passé. Améliorer les modèles serait donc une bonne chose, d’autant que les outils de modélisation évoluent.
Vous soulignez que l’indépendance des prévisions est essentielle. Vous comparez les diverses prévisions et leur proximité avec les chiffres effectivement constatés, tant en matière de PIB que de recettes fiscales. C’est un travail nécessaire afin d’éviter les errements politiques qui pourraient compromettre notre capacité à maîtriser nos finances.
Vous avez évoqué la Commission économique de la nation, qu’il faudrait peut-être rétablir afin de gagner en transparence sur les différentes prévisions et donc sur le choix politique. Avez-vous d’autres propositions à formuler pour éviter que la situation que nous avons connue en 2023 et 2024 ne se reproduise ?
M. Olivier Garnier. Même si l’expertise des équipes de Bercy ne fait aucun doute, comme dans tout domaine, une contre-expertise est nécessaire. Pour le cadrage macroéconomique, celle-ci existe déjà, avec le Haut Conseil des finances publiques. De nombreuses institutions, comme l’OCDE, la Commission européenne ou le Fonds monétaire international, formulent en outre des prévisions économiques qu’on peut confronter aux analyses de Bercy.
C’est plutôt dans le domaine des prévisions de recettes que nous aurions besoin de contre-expertises. Pour les développer, il faudra remédier à des problèmes complexes d’accès aux données et aux modèles de Bercy. C’est sans doute la principale marge de progrès.
Mme Sophie Mette (Dem). Vous nous confirmez que la Banque de France travaille en toute indépendance, sans coordination avec le gouvernement. Quid de vos relations avec la direction générale du Trésor ?
Par ailleurs, comment construisez-vous vos projections macroéconomiques ? Disposez-vous de modèles prédictifs, à l’instar de la direction générale du Trésor ?
M. Olivier Garnier. Je vous confirme que nous ne nous coordonnons ni avec le gouvernement, ni avec Bercy, y compris la direction générale du Trésor. Les échanges techniques qui ont lieu à tous les niveaux entre nos experts ne portent pas sur le processus d’élaboration de la prévision.
Notre outil principal pour les projections macroéconomiques, le FR-BDF, a été développé au sein de la Banque de France et nous avons rendu publics les documents permettant de comprendre son fonctionnement. Nous utilisons également des modèles satellites pour des questions plus spécifiques, comme l’évolution des prix.
M. Charles de Courson, rapporteur général. La présente commission cherche à comprendre comment l’écart entre les prévisions et les recettes a pu atteindre la somme de 20 milliards en 2023 et le double en 2024.
Il y a d’abord eu une erreur sur la consommation des ménages pour 2023. Votre hypothèse selon laquelle le taux d’épargne allait diminuer et les ménages ponctionner l’épargne constituée, ce qui aurait relancé la consommation, s’est révélée inexacte. Pourquoi avoir maintenu cette hypothèse en 2024 et en 2025 ?
M. Olivier Garnier. Les prévisions de décembre 2022 ont plutôt sous-estimé la consommation : celle-ci a augmenté de 0,9 % en 2023, alors que nous avions prévu 0,3 %. En 2024, en revanche, nous l’avons surestimée.
Pour 2024, nous n’avions pas envisagé de baisse significative du taux d’épargne, mais nous avons été surpris par sa remontée. Celle-ci s’explique notamment par la hausse du pouvoir d’achat lié au revenu disponible, qui devrait atteindre environ 2 %, si l’on en croit nos projections et la note de conjoncture de l’Insee, en attendant les comptes du quatrième trimestre. Le recul et les travaux que nous avons menés nous ont permis de comprendre, comme je l’ai expliqué, que ce chiffre de 2 % était trompeur : cette hausse des revenus financiers n’est pas économique, mais comptable. De la même manière, si le gain de pouvoir d’achat en 2025 redescend à 0,3 ou 0,4 %, comme l’indiquent nos projections, il ne faudra pas en conclure que le pouvoir d’achat a été freiné par la politique budgétaire. Ce sera la conséquence de cet effet comptable des revenus d’intérêts.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous n’avez pas expliqué pourquoi vous aviez maintenu les années suivantes une hypothèse qui s’était révélée erronée.
Vous aviez prévu une hausse de 0,3 %. Quelle était l’estimation du gouvernement ?
M. Olivier Garnier. Je ne peux pas répondre pour le gouvernement, mais il avait prévu une augmentation de 1,4 %.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Et cela a fini à 0,9 %. Et pour 2024 ?
M. Olivier Garnier. Pour 2024, la Banque de France prévoyait une hausse de 1,5 %, contre 1,8 % pour le gouvernement, et elle s’établit à 0,8 %.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Errare humanum est, perseverare diabolicum ! L’hypothèse a été maintenue pour 2025. Quelles prévisions justifient le taux de 0,9 % ?
M. Olivier Garnier. Pour 2025, nous prévoyons que la consommation augmentera de 0,9 % ; dans le projet de loi de finances, le gouvernement de l’époque a estimé que la hausse se montera à 1,3 % – je ne connais pas les nouvelles hypothèses de Bercy.
Vous dites qu’il ne fallait pas reproduire la même erreur, mais le taux d’épargne est très élevé. Ce n’est pas parce qu’il a augmenté qu’il va continuer à le faire : il faut analyser les choses. Nous savons aujourd’hui que l’augmentation du taux d’épargne par rapport à 2019 s’explique pour 1,5 point par l’effet sur les revenus financiers de la hausse des taux d’intérêt. Or les taux se replient : nous estimons que, d’ici à 2027, le taux d’épargne va reperdre 1,5 point, parce que les gains de pouvoir d’achat seront beaucoup plus faibles. L’effet comptable qui a gonflé les chiffres va disparaître avec la baisse des revenus d’intérêts.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Nous essayons d’identifier les erreurs qui se répètent parce qu’elles sont fondées sur la reproduction des mêmes hypothèses. Ici, l’hypothèse n’a pas varié. D’où vient l’idée que le taux d’épargne devrait revenir à 14,5 % ? C’est simplement le niveau qui a été constaté pendant quelques années. Les acteurs économiques peuvent changer, les taux d’épargne n’ont pas de raison de rester stables à long terme. Il n’est pas certain que tout redevienne comme avant.
M. Olivier Garnier. Nous prévoyons encore un taux d’épargne à 16,4 % pour 2027 : ce n’est pas un retour complet, nous retrouverions simplement les niveaux atteints en 2023. Je donnais simplement l’explication d’une partie de la hausse constatée. Nous pensons que cette partie-là va s’effacer. L’autre moitié de l’augmentation reste inexpliquée ; elle est peut-être due aux changements que vous évoquiez. Celle-là, nous ne l’annulons pas dans nos prévisions.
Vous avez raison de souligner qu’il ne faut pas s’obstiner à prévoir un retour à 14 %. À l’inverse, il ne faudrait pas non plus penser que le taux restera éternellement à 18 %. Cela aurait d’autant moins de sens que le facteur de la composition des revenus, qui a récemment soutenu la hausse, devrait à l’avenir favoriser la baisse. Celui-là, nous avons réussi à l’identifier, mais d’autres facteurs interviennent. C’est pourquoi le rôle des jugements d’experts que j’évoquais est essentiel.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ma deuxième question concerne les prévisions des résultats fiscaux des entreprises. Les écarts avec la réalisation sont énormes. Pour 2024, les recettes de l’IS étaient estimées à 72 milliards d’euros et s’établissent en fait à 57 milliards, comme en 2023. Pour 2025, la prévision, plus prudente, se monte à 56 milliards. N’avez-vous pas été troublé de lire dans le PLF pour 2024 une augmentation aussi considérable, alors que vos publications ne révélaient pas de forte hausse de l’assiette des entreprises installées en France et assujetties à l’IS ?
M. Olivier Garnier. Nous parlons depuis tout à l’heure surtout de consommation des ménages. Je précise que, d’après les études, l’essentiel des moindres recettes de TVA ne s’explique pas par la consommation. Une grande partie de la consommation des ménages, telle qu’elle apparaît dans la comptabilité nationale, n’est pas soumise à la TVA, notamment les loyers et certaines dépenses de santé, qui sont de gros morceaux. Les surprises s’expliquent plutôt par les crédits de TVA.
S’agissant de l’IS, le problème ne vient pas tant des prévisions relatives à l’excédent brut d’exploitation des entreprises que du passage au bénéfice fiscal et du comportement des entreprises en matière d’acomptes et de solde, qui a un effet accélérateur. Nous avons connu des périodes de fortes plus-values d’IS, suivies de périodes de moins-values : le mouvement suit bien sûr le cycle économique, mais il est surtout influencé par ce mécanisme d’acomptes et de solde, ainsi que par le passage de l’EBE au bénéfice fiscal.
En effet, on établit les comptes nationaux à partir de l’EBE. Le taux de marge des entreprises s’étant maintenu, il n’y a pas eu de mauvaises surprises dans ce domaine. Il n’en va pas de même du bénéfice fiscal : de nombreuses entreprises, dans certains secteurs, disposaient de bénéfices reportables. Cet aspect a sans doute été mal appréhendé. En outre, pour le calcul de l’IS, ce n’est pas le montant global des déficits qui importe, mais sa distribution entre les entreprises. Si la majeure partie des bénéfices sont détenus par des entreprises qui ont aussi d’importants déficits à reporter, vous aurez peut-être raison sur la masse, mais les recettes de l’IS subiront un effet négatif. Celui-ci est difficile à prévoir. Dans ce domaine, un travail reste à accomplir.
M. Charles de Courson, rapporteur général. La thèse de la variation du comportement des entreprises entre les acomptes, en particulier pour le calcul du quatrième, ne tient pas. En 2023, les recettes atteignaient 57 milliards ; en 2024, à peu près autant ; et pour 2025, on les estime à 56 milliards – ce qui équivaut à 57, en tenant compte du milliard lié aux exonérations de charges. Cela fait trois années de stabilité alors que si la thèse des acomptes était valable, on observerait des variations. Comment des telles prévisions ont-elles pu être établies ? On nous parle de l’EBE, mais ce n’est pas le montant de l’EBE qu’on estime, ce sont les recettes de l’IS.
M. Olivier Garnier. Je sors ici de ma fonction, puisque nous n’élaborons pas de prévisions relatives à l’IS. Vous citez les 72 milliards inscrits au PLF pour 2024, mais c’était avant la prise en compte de la moins-value sur les recettes de 2023 : une grosse partie de la moins-value des recettes de 2024 correspond à la conséquence mécanique de celle de 2023.
M. Charles de Courson, rapporteur général. La Banque de France dispose du fichier. Vous établissez notamment les cotations. Vous êtes donc en mesure de dire que les prévisions ne sont pas réalistes. La direction générale du Trésor fait ses prévisions de son côté : l’étanchéité avec vous est-elle normale ? Vous pourriez leur opposer que vous constatez des résultats stables, donc que les hypothèses d’augmentation des recettes de l’IS sont infondées.
M. Olivier Garnier. Il faut bien avoir en tête que, même à la Banque de France, nous ne disposons pas des comptes de 2024. Jean-Luc Tavernier a dû vous le dire, nous n’aurons pas toutes les liasses fiscales des entreprises avant d’avoir les comptes. Même pour 2023, l’Insee n’a pas encore établi tous les comptes : des révisions sont encore possibles, y compris significatives. Même les informations publiées dans les comptes trimestriels de l’Insee sont des estimations susceptibles d’être largement révisées. Pour 2024, personne à ce jour ne dispose d’une information globale sur les entreprises, pas même la Banque de France.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur Garnier, je vous remercie.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 22 janvier 2025 à 15 heures
Présents. - M. Eddy Casterman, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Christian Girard, M. Mathieu Lefèvre, M. Emmanuel Mandon, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, Mme Félicie Gérard, M. David Guiraud, M. Jean-Paul Mattei, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Alexandre Sabatou, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou