Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à exclure les heures supplémentaires du calcul du revenu fiscal de référence (n° 753) (M. Corentin Le Fur, rapporteur) 2
– Audition de M. Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet de Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) 2
– Présences en réunion...........................23
Jeudi
6 février 2025
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 080
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. François Jolivet,
Vice-Président
— 1 —
La Commission procède à l’examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à exclure les heures supplémentaires du calcul du revenu fiscal de référence (n° 753) (M. Corentin Le Fur, rapporteur).
Le tableau ci-après récapitule ses décisions
N° Amdt
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Place
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Auteur
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Groupe
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Position du rapporteur
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2 |
PREMIER |
M. LE COQ Aurélien |
LFI-NFP |
Repoussé |
3 |
PREMIER |
Mme LEPVRAUD Murielle |
LFI-NFP |
Repoussé |
4 |
PREMIER |
M. LE COQ Aurélien |
LFI-NFP |
Repoussé |
Puis la Commission procède à l’audition de M. Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet de Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958).
M. François Jolivet, président. Nous auditionnons aujourd'hui M. Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Borne, alors première ministre. Cette réunion se tient dans le cadre de nos travaux visant à étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024, pour lesquels nous nous sommes vus octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête. Les auditions que nous menons à ce titre, dont le bureau a décidé qu’elles seraient publiques, obéissent au régime des auditions d’une commission d’enquête prévu par l’article 6 de l’ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Avant de vous donner la parole, monsieur Rousseau, je dois vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Aurélien Rousseau prête serment.)
M. Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet de Mme Élisabeth Borne, alors première ministre. J’ai exercé la fonction de directeur de cabinet d’Élisabeth Borne depuis sa nomination comme première ministre, en mai 2022, jusqu’au 17 juillet 2023 ; quelques jours plus tard, j’ai été nommé ministre de la santé et de la prévention.
Le sujet des finances publiques, en particulier des prévisions de recettes, n’était aucunement ignoré. Nous étions toutefois conscients qu’il était difficile d’élaborer des prévisions dans un contexte macroéconomique où des événements exogènes percutaient les modèles avec lesquels la direction générale du Trésor (DGT) fournissait des anticipations de recettes à la direction générale des finances publiques (DGFIP) et à la direction du budget. À titre d’exemple, les recettes fiscales avaient connu un ressaut en partie inexpliqué fin 2022, alors même que nous subissions un important choc d’offre exogène, celui de l’inflation induite par les conflits géopolitiques et leurs conséquences sur l’énergie. Ces tendances conjuguées ont entraîné des difficultés de modélisation. Nous avons tous appris dans nos jeunes années que l’inflation était plutôt favorable aux finances publiques, mais il en va autrement quand elle est due à un choc d’offre négatif. En 2023, particulièrement en fin d’année – je n’étais plus alors aux responsabilités – l’inflation a ralenti plus vite que prévu, d’où une deuxième difficulté. À cela s’est ajouté un ralentissement plus rapide que prévu de la progression des salaires à partir de mi-2023, ce qui a eu des conséquences sur les recettes fiscales, les cotisations sociales, la contribution sociale généralisée (CSG) et l’impôt sur le revenu (IR).
Si vous me permettez un pas de côté vers la sociologie ou la psychologie administrative, je rappellerai qu’un ressaut de recettes fiscales s’était déjà produit en 2022 mais aussi fin 2021 ; cela a incité la DGFIP, un an plus tard, à être prudente dans ses annonces, de peur d’être prise en défaut par l’autorité politique, à laquelle elle aurait recommandé de ralentir tandis que les recettes croissaient. Ce contexte est connu.
En accord avec le président de la République, Élisabeth Borne challengeait les modèles, notamment le modèle de croissance. Votre assemblée étant à l’époque saisie d’un projet de loi de programmation des finances publiques tablant sur une trajectoire de plein emploi, il était essentiel d’évaluer l’impact d’une baisse accentuée du chômage sur la croissance, les recettes fiscales et les cotisations sociales. Le taux chômage se situait alors à 7,2 % ; un recul d’un ou deux points ne devait entraîner qu’un gain marginal en matière de productivité et de salaires, et par conséquent une hausse assez modérée des recettes sociales et fiscales, du fait des exonérations importantes. Les équipes y étaient attentives.
Nous subissions donc au premier semestre 2023 une série de chocs externes qui nous plaçaient en terra incognita, d’autant que nous n’avions pas connu ce niveau de chômage depuis longtemps.
Parallèlement, nous avons souhaité maîtriser le volet des dépenses. La trajectoire des recettes était crédible compte tenu du modèle et des prévisions d’inflation dont nous disposions. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) avait comme d’habitude formulé des réserves ou des critiques, mais pas plus virulentes qu’il ne le fait depuis qu’il existe. Notre choix a été de tenir le plus fermement possible la dépense. La première ministre avait déjà décidé de prendre des mesures d’économies dans chacun des départements ministériels, économies que nous suivions dans le cadre d’un programme de revue des dépenses publiques piloté à Matignon.
En mai 2023, non pas en raison d’une quelconque alerte concernant les recettes, mais pour être certains que nous tenions la dépense de l’État, la première ministre a validé la proposition de Bruno Le Maire de procéder à un surgel – aussi appelé tamponné de gel – de 1 % supplémentaire, s’appliquant uniformément à tous les départements ministériels. Ce surgel a été notifié aux directeurs de cabinet des ministres le 23 ou le 24 mai. Il a certes fait couiner, mais il a été appliqué. Le but était de refroidir la dépense.
Il convient de souligner que la multiplication des lois de programmation rigidifie très fortement les marges de manœuvre de l’exécutif quand il présente un projet de budget. L’exercice est difficile si l’on ne veut pas toucher aux grandes lois de programmation, qu’elles comportent des chiffres précis ou qu’elles fixent des orientations. Quoi qu’il en soit, les revues de dépenses et le surgel ont bien été appliqués à tous les départements ministériels.
À la date où j’ai quitté Matignon, nous n’avions aucune alerte sur des mouvements qui s’éloigneraient de la trajectoire des recettes fiscales, ni pour la TVA, ni pour l’impôt sur le revenu ni pour l’impôt sur les sociétés. Encore une fois, dans un contexte d’incertitude, nous essayions de refroidir les dépenses. Je précise que lorsqu’Élisabeth Borne avait lancé des revues de dépenses, l’objectif était d’accompagner l’effort d’économie de 5 % demandé aux ministères, effort confirmé dans des lettres de cadrage – avec la difficulté liée aux lois de programmation que j’ai évoquée.
Dans mes fonctions suivantes, en tant que ministre de la santé et de la prévention, chargé du suivi du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et de son exécution, j’ai pris la responsabilité, devant votre assemblée, d’appliquer des mesures de ralentissement de la dépense. Certaines ont fait un peu de bruit, comme le doublement des franchises pour les médicaments et les consultations médicales, mesure impopulaire mais qui donnait une impulsion nette. Par ailleurs, la lettre de cadrage que j’ai adressée au directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) dans le cadre des négociations conventionnelles avec les médecins prévoyait une très forte maîtrise de la dépense. Cela n’a pas eu d’impact au cours de mon passage au ministère en 2023. Il n’en reste pas moins que la dynamique des dépenses de sécurité sociale était un sujet très présent. Durant les mois où j’ai été ministre – j’ai quitté le gouvernement le 19 décembre –, je n’ai jamais eu d’alerte et n’ai assisté à aucune réunion où le tocsin ait été sonné concernant un ralentissement des recettes. Nous avions des débats habituels sur l’exécution du budget et la fin de l’exercice.
M. François Jolivet, président. Je m’interroge sur le fonctionnement des dispositifs d’alerte. Alors que la vision macroéconomique vous faisait prendre conscience qu’une difficulté allait se présenter, vous n’avez pas reçu d’alerte concernant les recettes. Comment s’organisait la remontée d’information entre les ministères et les services de la première ministre ?
M. Aurélien Rousseau. La remontée d’information était de plusieurs natures, formelle et informelle. Comme tous les ministres, le ministre des finances écrivait régulièrement à la première ministre pour lui faire part de sujets d’alerte. Les notes que Bruno Le Maire et Thomas Cazenave nous adressaient concernaient essentiellement, voire exclusivement, la maîtrise de la dépense publique – c’est d’ailleurs Bruno Le Maire qui a proposé un surgel. En parallèle, les conseillers sectoriels de Matignon, notamment le pôle finances publiques, étaient en lien plusieurs fois par jour avec leurs collègues des ministères. En tant que directeur de cabinet, je rencontrais tous les quinze jours le directeur de cabinet de Bercy pour passer en revue les dossiers. Au premier semestre 2023, l’essentiel était de savoir comment refroidir les dépenses dans les secteurs couverts par une loi de programmation. L’un des sujets importants, dont la presse s’est d’ailleurs fait l’écho, touchait aux engagements qui seraient pris dans le cadre de la loi de programmation militaire ; j’essayais, sous l’autorité d’Élisabeth Borne, de lisser ou d’abaisser le niveau des marches annuelles.
Aux dispositifs que je viens de décrire s’ajoutaient des canaux informels par lesquels remontaient les alertes les plus préoccupantes. Du fait de nos parcours professionnels respectifs, il est rare qu’une alerte importante qui frappe une administration ne nous parvienne pas. Au cours du premier semestre 2023, jusqu’à mon départ de Matignon, tout comme dans les échanges que j’ai eus à l’automne 2023 avec Élisabeth Borne – en particulier sur les mesures de compensation de l’inflation que je jugeais nécessaires pour le secteur hospitalier – jamais un problème de décrochage des recettes n’a été évoqué. Les recettes de TVA ont même semblé connaître une légère hausse avant de baisser fortement, comme l’ont montré vos auditions. Cela tient au fait que la croissance est tirée par le commerce extérieur, et produit donc moins de TVA.
Les remontées d’information étaient donc à la fois très formalisées et informelles et reposaient sur une série de capteurs – le rôle du directeur de cabinet de Matignon étant d’en avoir un nombre suffisant pour ne pas passer à côté d’une information sensible. Avec le recul, je ne crois pas que nous ayons manqué une quelconque information transmise au premier semestre concernant le ralentissement des recettes.
M. Éric Ciotti, rapporteur. J’aimerais vous interroger sur le rôle des différents acteurs – le ministre de l’économie, la première ministre et son cabinet, le président de la République et le secrétaire général de l’Élysée – dans la fabrication du budget. Comment le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 a-t-il été préparé ? Si Matignon est le lieu naturel des arbitrages, ceux-ci se sont-ils parfois aussi déroulés à l’Élysée, sous quelle autorité, avec quels acteurs et à quel rythme ? Au cours de l’année 2023, alors que certaines notes – notamment celle que le ministre de l’économie a transmise à la presse – alertaient sur la situation, y a-t-il eu des réunions d’arbitrage, sous quelle autorité ?
M. Aurélien Rousseau. Le mécanisme est celui de l’entonnoir. Bercy fait la première mise de jeu pour proposer un budget qui tienne, avec les données macroéconomiques qui ont été présentées ou sur lesquelles nous nous entendons. L’objectif fixé par le président de la République durant sa campagne était de ramener le déficit public à 3 % du PIB fin 2027 et de renverser la tendance de la dette dès 2026. Sur la base de cette proposition initiale, le ministre de l’économie et la première ministre définissent un premier volume budgétaire, que la direction du budget présente aux directeurs de cabinet et d’administration centrale des ministères. Il y a normalement une présomption quasiment irréfragable – mais pas totalement – que si Bercy et le ministère topent dans cette première salve, les volumes sont confirmés. En l’occurrence, peu de ministères topent avec Bercy. Deux possibilités se présentent alors. Soit une réunion bilatérale est organisée entre le ministre de Bercy et chacun des ministres concernés pour traiter de certains gros volumes, soit Bercy considère que cela dépasse son autorisation de découvert, si je puis m’exprimer ainsi, et le sujet remonte à Matignon.
Le nombre d’arbitrages et de sujets clos entre Bercy et les ministères est à l’époque très réduit – c’est d’ailleurs une tendance structurelle. Quelques semaines après l’installation d’Élisabeth Borne, une série d’arbitrages incombent donc à Matignon. Pour rappeler le contexte, nous avons présenté un projet de loi de finances rectificative en juillet, et de nombreuses questions, y compris constitutionnelles, se posent sur la portée normative de certains textes. Nous devons par ailleurs préparer le budget pour le transmettre au Parlement en septembre. Il y a donc de nombreux dossiers sur la table. Certains sont traités par des échanges entre cabinets, avec deux types de réponses : soit une réponse relativement détaillée – arbitrant par exemple le nombre de créations ou de suppressions de postes dans l’éducation nationale –, soit un raisonnement plus rustique par enveloppe, pour les ministères où l’exercice est plus difficile – dans le champ du travail, par exemple.
Près de 90 % de ces arbitrages sont pris à Matignon. En juillet et août 2022, nous avons de longues séances de travail avec la première ministre pour arbitrer le plus finement possible et engager une discussion politique avec les ministres, qui seront au banc pour défendre leur budget devant les parlementaires. Une petite dizaine de sujets – montant global des crédits de l’apprentissage, grands volumes en matière de logement… – font ensuite l’objet d’une réunion entre la première ministre, le ministre des finances et le président de la République. De mémoire, il n’y a pas de situation où un ordre descendant vient de l’Élysée. Les discussions ont lieu jusqu’au bout. Matignon a d’ailleurs un poids d’autant plus fort que nous savons que la première ministre devra engager la responsabilité de son gouvernement sur le budget : elle doit être totalement à l’aise avec ce qui sera présenté. Nous avons par exemple des discussions avec le président de la République – dont certaines sont relayées au Parlement – au sujet de la taxe d’habitation ou de l’étalement de la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dans un format très encadré ; ce ne sont pas des réunions nocturnes et secrètes. En définitive, il reste deux ou trois sujets sur lesquels le président de la République et la première ministre, souvent accompagnés du secrétaire général de l’Élysée et du directeur de cabinet, tranchent.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Au-delà des réunions formelles entre la première ministre et le président de la République, aviez-vous des échanges avec le secrétaire général de l’Élysée – et si oui, à quel rythme –, que ce soit au sujet de la préparation du PLF pour 2023, de son exécution ou encore de certaines alertes ou notes venant du ministère de l’économie ?
M. Aurélien Rousseau. Alexis Kohler et moi avions en effet des discussions très régulières : nos fonctions voulaient que nous essayions de clore les dossiers qui pouvaient relever de notre arbitrage. Dans certains cas, nous demandions au directeur de cabinet concerné de venir plancher avec nous sur les effets possibles des décisions. Je l’ai dit, nous avons par exemple longuement débattu de l’apprentissage, y compris avec la première ministre. Il fallait évaluer l’effet d’aubaine pour les grands groupes qui emploient dans ce cadre de la main‑d’œuvre très qualifiée, entraînant des dépenses élevées pour l’État. Élisabeth Borne, qui avait défendu cette politique lorsqu’elle était ministre du travail, était soucieuse de ne pas envoyer un signal négatif. Elle soulignait par ailleurs, à juste titre, que le dispositif permettait de rendre employables – pardonnez-moi le terme – des personnes que les entreprises n’auraient peut-être pas pris le risque d’accueillir en apprentissage, malgré un bac + 5, notamment à cause des discriminations que l’on connaît – elle avait vu, en tant que ministre du travail, beaucoup de beaux exemples d’émancipation. Nous avons également essayé de détourer une série d’aides accordées dans des secteurs où la superposition des dispositifs entraîne une dépense publique très élevée, comme l’investissement immobilier dans les outre-mer.
Dans mon souvenir, lors de la phase de stabilisation du budget pour 2023, nous avons, comme il convient de le faire, établi une cartographie des risques liés à l’examen parlementaire, puisque certains députés et sénateurs sont très engagés dans des domaines spécifiques. Néanmoins, au moment d’entrer dans cette séquence, l’Élysée et Matignon étaient parfaitement alignés.
Puisque nous avions décidé de déposer un projet de loi de finances rectificative (PLFR) en juillet, la séquence budgétaire a commencé dès notre arrivée. Nous avons pris l’initiative d’organiser au cours de l’été, pour la première fois, des discussions avec les groupes politiques. Elles n’étaient pas formalisées comme le sont par exemple les entretiens de Bercy ; il s’agissait d’expliquer où nous en étions et quels étaient les principaux enjeux. Du reste, la première ministre s’en était aussi entretenue avec les présidents des groupes et des partis.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Vos réunions avec le secrétaire général de l’Élysée, et parfois un directeur de cabinet, sont-elles conclusives ? Qui prend les décisions finales ?
M. Aurélien Rousseau. Sur quelques rares questions, le président ou la première ministre avait une position ferme. Dans ce cas, Alexis Kohler et moi-même constations que nous ne prendrions pas de décision à notre niveau : il fallait que les deux têtes de l’exécutif s’en parlent. Pour les autres, la discussion permettait de trouver un point d’atterrissage. En cas de désaccord marqué, si le secrétaire général défendait une vision qui ne me paraissait pas en accord avec les intentions de la première ministre, la question était renvoyée à son dialogue avec le président.
Il n’en irait peut-être pas de même pour des questions relatives à la défense ou à la diplomatie mais, dans le cadre de la préparation budgétaire, l’Élysée est souvent demandeur d’éléments : la force de frappe du cabinet du premier ministre est bien supérieure, dans la mesure où son lien avec les administrations lui confère une connaissance technocratique – ce n’est pas un gros mot – de la dépense et de la manière dont elle est constituée.
Pour certains chantiers, des réunions plus larges étaient indispensables. Le pacte enseignant, par exemple, était au nombre des dossiers financiers majeurs. Il fallait déterminer, par exemple, dans quelle mesure l’intéressement mobiliserait les enseignants. Il est impossible de faire un choix budgétaire de cette nature sans le ministère concerné ; il fallait non seulement que le directeur de cabinet du ministère de l’éducation nationale soit présent, mais aussi le directeur général des ressources humaines (DGRH). Il arrive que les prévisions faites dans le cadre de l’exercice d’ouverture de crédits soient finalement démenties et, dans le cas précis du pacte enseignant, la réalité n’a pas confirmé nos estimations. Cela fait partie des aléas de l’exercice.
En clair, monsieur le rapporteur, en cas de désaccord, la question remontait aux plus hautes autorités politiques.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Il ressort de vos propos que le secrétaire général de l’Élysée joue incontestablement un rôle important dans l’élaboration du budget.
M. Aurélien Rousseau. La préparation du budget pour 2023 s’effectue dans les semaines qui suivent l’élection du président de la république. Selon moi, la fonction du secrétaire général de l’Élysée, et je pense que c’est aussi la conception qu’en a Alexis Kohler, consiste à garantir le respect des engagements pris pendant la campagne électorale, en particulier sur le niveau de la dette et du déficit. La plus grande partie de nos discussions concernaient les éléments macroéconomiques – c’est également vrai des autorités au-dessus de nous. Avec Bercy, nous travaillions collectivement à écrire une copie ; le secrétaire général vérifiait que nous ne rations pas la cible fixée et que l’architecture budgétaire n’allait pas nous conduire à prendre des libertés avec tel ou tel des engagements du président de la République. La majorité était relative mais, on le voit d’autant mieux aujourd’hui, c’était une majorité : le rôle de l’Élysée était de s’assurer du cadrage. Au reste, Alexis Kohler a été formé au Trésor : ses compétences et son appétence – si je puis m’exprimer ainsi – l’y portent. Quand le président avait l’occasion de discuter avec les ministres, il revenait aux engagements pris pendant la campagne électorale. Toutefois, si l’Élysée est capable de forer une question particulière, le conseiller budgétaire n’est pas partagé, il relève des services de la première ministre. Matignon formule l’analyse et les propositions ; l’Élysée est un immense bureau de synthèse qui vérifie l’altitude et la destination.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Le secrétaire général de l’Élysée était-il secondé d’un conseiller spécifiquement chargé des questions budgétaires ?
M. Aurélien Rousseau. Le budget entrait dans le champ du pôle économie mais il n’y avait pas de conseiller spécifiquement affecté. Les questions budgétaires n’étaient pas traitées à l’Élysée. Encore une fois, le président de la République défendait une position ferme : la politique économique devait servir de moteur au budget. La politique en faveur de la croissance et des entreprises, dont on peut débattre, devait dégager des ressources, charge ensuite à Matignon de proposer comment répartir ces dernières.
Fin 2022, le bilan de l’exécution est meilleur que prévu, grâce au rebond des recettes fiscales – je ne parle ici que du budget de l’État, sans tenir compte des collectivités territoriales ni de la sécurité sociale. Les rapports entre le politique et l’administration souffrent toujours du syndrome de Pierre et le loup : quand on a alerté quelqu’un sur un risque qui n’a pas eu de suites, il est plus difficile de le mettre en garde la fois suivante.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Le HCFP avait qualifié d’optimistes les prévisions de croissance pour 2023 ; il avait également relevé des hypothèses fragiles. Le président du Haut Conseil a décodé pour nous le langage qu’ils utilisent : il s’agit d’un niveau d’alerte élevé – le plus haut étant le terme « insincérité », qui entraînerait la censure du Conseil constitutionnel et n’a jamais été employé. Quel sort Matignon a-t-il réservé à cette mise en garde ?
M. Aurélien Rousseau. Le président du Haut Conseil est évidemment mieux placé que moi pour effectuer cet exercice de décodage sémantique auquel je ne me suis pas livré. Toutefois, j’ai longtemps occupé les fonctions de directeur et de directeur-adjoint de cabinet : je crois avoir toujours entendu qualifier la croissance d’optimiste. Élisabeth Borne le dirait mieux que moi mais nous débattions surtout de savoir pourquoi les mesures visant à atteindre le plein emploi, comme celles relatives aux exonérations de charges pour les salaires proches du smic, ne favoriseraient pas davantage la croissance. C’est plutôt sur ce terrain que la direction générale du Trésor a été sollicitée. J’ai déjà expliqué pour quelles raisons elle incitait à adopter une approche plus prudente : le plein emploi, c’est-à-dire un taux de chômage de 5 % environ – pardon pour cette facilité de langage –, si nous parvenions à l’atteindre, n’emporterait pas d’autres conséquences.
Je n’ai pas non plus rapporté l’avis du HCFP aux exercices précédents. Nous savons néanmoins que la situation est tendue, donc nous faisons en sorte de maîtriser au mieux l’exécution de la dépense. Bien que celle de 2022 ne soit pas mauvaise, la première ministre donne l’instruction pour 2023, notamment dans les lettres de cadrage qu’elle envoie au début de l’année, de réaliser 5 % d’économies. Je pense donc que nous avons décrypté et entendu l’avis du Haut Conseil ; j’ajoute, même si je n’étais plus alors à Matignon, que la dépense publique a effectivement baissé en 2023 – l’exercice de maîtrise a porté ses fruits.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Je vous demandais quelle réaction avait suscitée l’avis du HCFP. La presse en a fait état, une seconde alerte a été donnée dans les notes que Bruno Le Maire, alors ministre de l’économie et des finances, a transmises à la fin de 2022 et au début de 2023.
Le 26 octobre 2022, l’une de ces notes estime que le ministère du travail et l’opérateur France Compétences consentent des dépenses excessives et des efforts insuffisants. En novembre 2022, une deuxième souligne les risques majeurs que l’évolution des prix du gaz et de l’électricité fait peser sur la trajectoire budgétaire si le bouclier tarifaire est maintenu. En décembre 2022, une troisième évoque le très haut volume d’émission de dette à venir ; elle propose des pistes d’économie et une méthode pour recadrer les ministères. En mai 2023, une quatrième concerne la mise en œuvre des économies demandées au ministère du travail.
Comment ces notes ont-elles été reçues ? Quelles suites leur ont été réservées ? Estimez-vous qu’il s’agit d’une façon rétroactive de se dédouaner d’une mauvaise situation en donnant le mistigri à la première ministre ?
M. Aurélien Rousseau. Je ne me permettrais pas d’impliquer le mistigri dans cette audition. Dépersonnalisons l’exercice : il est habituel, sinon systématique, que le ministre chargé des finances envoie des notes au premier ministre pour souligner la nécessité de maîtriser les dépenses. Celles que vous avez citées évoquent les dépenses, jamais les recettes.
Les questions majeures concernent le ministère du travail, en particulier l’apprentissage et l’investissement dans France Travail. Il s’agit d’estimer le rendement en matière de réduction du chômage et de croissance, donc de recettes fiscales et sociales. De mémoire, sans avoir relu ces notes, elles ne vont pas jusqu’à tirer les conséquences relatives aux recettes fiscales et sociales. Il est vrai néanmoins que le PLF pour 2023 contraint la nation à consentir un effort substantiel ; des questions se posent. Mais dans le même temps, le gouvernement défend la réforme de l’assurance chômage en intégrant le principe de contracyclicité de l’indemnisation et la bagatelle qu’on a appelée la réforme des retraites. L’alerte a donc conduit la première ministre à s’engager pleinement dans des réformes lourdes et structurelles.
Pour moi, l’aléa majeur survenu dans l’exécution du budget de 2023, c’est le coût des boucliers tarifaires. Suivant le cours de l’électricité et du gaz, il pouvait atteindre des dizaines de milliards. Le sujet est d’une complexité inouïe : Élisabeth Borne et moi avons passé des centaines d’heures à essayer de comprendre la constitution du prix et sur quels éléments il fallait intervenir – plusieurs modèles existaient, notamment le modèle ibérique. Dans le même temps, l’inflation étant très forte, le pouvoir d’achat des Français nous préoccupait grandement. Les séances au Parlement nous faisaient penser qu’il fallait absolument maintenir cette protection – peu de propositions de réduire ou de supprimer les boucliers ont été examinées. Par ailleurs, nous ne maîtrisions pas le niveau de l’inflation. Il s’agissait non d’une inflation à l’ancienne, conséquence d’un usage massif de la planche à billets ou d’une politique de relance, mais d’une inflation liée à la vitesse de rétroaction sur l’économie française d’un choc exogène sur le prix de l’énergie et de certains produits de base. Ces éléments affectaient donc à la fois les dépenses et les recettes.
Le débat politique avec Bruno Le Maire sur les économies demandées au ministère du travail et sur l’opportunité de continuer à compter sur le modèle France Travail pour poursuivre la baisse du chômage a été tranché par les autorités. Je ne serais pas capable de retracer précisément la chronique des événements liés aux prix du gaz et de l’électricité mais je peux dire que Bruno Le Maire lui-même a parfois été amené à annoncer rapidement des mesures de soutien aux ménages : il fallait décider si nous laissions les Français seuls face à une inflation insurmontable, en sachant que des dispositifs d’aide seraient compliqués à débrancher le jour venu. Sur le moment, il a été jugé que le pouvoir d’achat des Français ne supporterait pas sans aide ces hausses de prix ; à la sortie de la discussion parlementaire, les mesures avaient même été élargies, aux pellets de bois par exemple.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. J’ai deux questions macroéconomiques à vous poser. Selon vous, la dégradation des recettes qui nous occupe s’explique-t-elle par la politique économique menée depuis 2017, en particulier par les baisses d’impôt sur le capital ? Diriez-vous qu’à une baisse de recettes, il a fallu répondre par une réduction des dépenses ?
M. Aurélien Rousseau. Avant de répondre, je précise que je ne suis pas macroéconomiste et que je ne ferai ici que formuler une opinion.
Pour le dire à grands traits, les différents dispositifs instaurés depuis 2017, qui se sont inscrits dans la continuité de mesures prises précédemment comme le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ou la loi El Khomri, ont réduit le chômage et enclenché le cercle vertueux que permet la politique de l’offre. À cet égard, mon sentiment est que les acteurs économiques, à commencer par les entreprises, ont fait de ces dépenses publiques des données de base pour la prévision de leur rentabilité. Dès lors, l’État et les autorités politiques ont été coincés : toute mesure de dégrafage de ces aides et exonérations serait perçue comme un signal de désamour.
La question de fond est donc selon moi la suivante : une politique de l’offre d’une telle ampleur peut-elle perdurer pendant dix ans ou n’aurait-elle pas dû être pensée comme une politique de relance, par définition ponctuelle ?
La politique de l’offre menée par le président de la République a permis une réduction très significative du chômage, ce qui est un acquis de la plus haute importance. Mais une fois atteint un certain niveau, cette orientation produit des gains décroissants pour les finances publiques et sociales ; peut-être l’avons-nous trop peu vu.
De plus, l’évolution de la productivité n’a pas été conforme à ce qui est attendu d’une telle politique économique. Nous l’avons tous constaté, le rapport au travail s’est indéniablement modifié – phénomène qui ne saurait être entièrement imputé au covid et au désir de travailler de chez soi.
Je crois donc que le rapport entre le coût de la politique de l’offre et ses gains macroéconomiques aurait dû être réévalué, ce qui, d’ailleurs, n’aurait pas nécessité de considérer ce choix comme une erreur depuis le départ. Je répète que cette politique était nécessaire et qu’obtenir un taux de chômage de 7 % constitue un progrès social. Cependant, nous sommes arrivés au terme de ce modèle, qui en vient à coûter très cher, pour des gains de plus en plus faibles, ce qui ne manque pas de réduire aussi son acceptation par nos concitoyens.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Le 11 juillet 2023, six jours avant que vous ne quittiez vos fonctions de directeur de cabinet de la première ministre, la direction générale du Trésor émet une note dans laquelle la prévision de déficit est dégradée à 5,2 % du PIB. En avez-vous eu connaissance ?
Plus largement, au dernier semestre 2023, le HCFP estime que les prévisions de recettes issues de la masse salariale sont un peu optimistes. Au titre de vos fonctions de ministre chargé des comptes sociaux, êtes-vous d’accord avec cette analyse ?
Enfin, de manière plus prospective, comment pourrions-nous améliorer le pilotage de la masse salariale ? Nous avons vu qu’il n’y a pas de prévisions infra-annuelles et que les prévisions sont élaborées conjointement par la direction de la sécurité sociale et la direction générale du trésor.
M. Aurélien Rousseau. Au moment de mon départ de Matignon, je n’ai pas connaissance de cette note de la direction générale du Trésor, et je n’ai pas cherché à la consulter a posteriori en vue de cette audition. Plus généralement, ni comme directeur de cabinet, ni comme ministre, je n’ai reçu la moindre alerte au sujet d’une dégradation de la trajectoire de recettes. Je ne sais donc pas sur quels éléments – l’anticipation d’une baisse des recettes issues de la croissance ou d’une simple dérive des dépenses – cette note se fonde.
S’agissant de la masse salariale hospitalière, je tiens d’abord à dire que, paradoxalement, le combat de tout ministre de la santé est de recruter et de fidéliser les personnels pour la maîtriser, car c’est l’intérim qui fait exploser les dépenses.
Quant aux recettes issues des cotisations sociales, pendant la période durant laquelle j’étais ministre, je n’ai pas reçu d’alerte de la part du directeur de la sécurité sociale au sujet d’un potentiel décrochage. La stabilisation des chiffres par la direction du budget, la DGFIP et la DSS intervient à la fin du mois de décembre, ce qui correspond au moment où j’ai quitté mes fonctions. Ce n’est que le mois suivant, à l’occasion d’une conversation informelle, que le directeur de la sécurité sociale, Franck Von Lennep, évoque avec moi l’impact d’une baisse de la masse salariale sur les recettes.
J’en profite pour dire que, selon moi, le lien entre la direction du budget, la DSS, la DGFIP et la DGT devrait être quelque peu repensé. Des gens de très haut niveau travaillent au sein de ces directions et je pense que les administrations qui reçoivent les modèles de la DG Trésor gagneraient à les challenger davantage. De la même manière, le pilote des comptes sociaux que j’étais aurait en effet préféré – c’est un autre paradoxe – que Bercy exerce sa cotutelle sur la DSS d’une manière plus poussée.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. En 2024, le besoin de financement des collectivités territoriales s’est avéré plus important que prévu. Vous étiez directeur de cabinet de la première ministre lorsque, en 2022, le mécanisme de limitation des dépenses de fonctionnement a été abandonné. Avez-vous envisagé de réactiver un tel dispositif pour les exercices 2023 ou 2024 ? Et pensez-vous que l’absence de contrainte a eu une incidence sur l’évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités en 2024 ?
M. Aurélien Rousseau. L’éventuelle prolongation du mécanisme dit de Cahors a suscité un débat nourri mais, pour le dire très librement, il m’est avant tout apparu comme un débat de postures.
Les collectivités ont jugé ce dispositif infantilisant et si je ne suis pas le mieux placé pour en juger, il ne s’agissait pas selon moi de la martingale pour la maîtrise des dépenses. Je ne nie pas son impact sur les finances publiques locales, mais sa portée était surtout celle d’un rappel au règlement.
Nous avons donc basculé vers un autre dispositif, élaboré au mot près par Bercy et Christophe Béchu, alors ministre chargé des relations avec les collectivités territoriales. À cet égard, l’opposition de Bercy à l’abandon du mécanisme de Cahors m’a semblé n’être que de principe. En effet, la possibilité de déclencher un contrôle ou un processus de maîtrise de la dépense était tout aussi opérationnelle.
J’ajoute, et ce n’est pas vulgaire de le reconnaître, que le contexte politique demandait une telle décision. De nombreux amendements, déposés par différents groupes, y compris de la majorité, avaient été défendus au Sénat en ce sens. Élaborer un dispositif qui recueillait l’accord des grandes associations de collectivités était donc de nature à apaiser le débat. Nous l’avons d’ailleurs constaté cette année encore lors de l’examen du budget : la défense des collectivités est tout à fait transpartisane. En cherchant à préserver le mécanisme de Cahors, nous aurions peut-être été contraints d’aller encore plus loin dans son évolution. Nous avons évité ce risque.
J’y insiste : le dispositif était d’autant plus vexatoire pour les collectivités qu’elles n’avaient pas toujours pour interlocuteurs des services de l’État adéquats ou suffisamment outillés pour analyser leurs hypothèses économiques.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Le syndrome de Pierre et le loup que vous avez évoqué me semble pertinent. Selon vous, les bonnes nouvelles relatives aux recettes que nous avons eues en 2021 et 2022 ont-elles conduit les administrations centrales à sous-estimer le risque pesant sur les recettes et les dépenses pour les exercices ultérieurs ?
M. Aurélien Rousseau. Pour moi, il n’y a pas eu de sous-estimation du risque. Les administrations ont cherché à vérifier leurs hypothèses et à comprendre la situation avant d’alerter.
Comme je le disais, au second semestre 2023, la croissance a été davantage issue du commerce extérieur, si bien que nous avons assisté à des ressauts de TVA. Face à de tels mouvements, il y a eu de l’incompréhension.
Pour avoir été à la tête d’une administration, j’ai été confronté à l’alternative entre faire remonter immédiatement un élément troublant à l’autorité politique sans l’avoir véritablement compris, et le faire seulement après en avoir pris la mesure. En l’espèce, c’est cette deuxième option qui a été préférée. Les administrations n’ont en rien sous-estimé le risque : elles ont pris le temps de le comprendre, craignant sans doute qu’il se révèle infondé. En effet, plusieurs facteurs pouvaient expliquer ces à-coups : la baisse des recettes pouvait être due à un simple retard dans la perception de la TVA ou à des opérations de trésorerie des entreprises. Voilà mon hypothèse, étant rappelé qu’à l’automne 2023, je n’étais plus à Matignon.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Afin de rester aussi rationnel que possible, mes questions se fonderont sur les rapports de la Cour des comptes relatifs à la gestion et à l’exécution du budget pour 2023. En effet, je ne comprends pas pourquoi les informations très claires qu’ils contiennent semblent n’intéresser personne dans cette commission, hormis les membres du Rassemblement national.
D’après la Cour, les « dépenses du budget général [sont restées] à un niveau élevé malgré le reflux des dispositifs d’urgence et de relance ». De fait, entre 2015 et 2019, les dépenses annuelles ont été comprises entre 310 et 350 milliards d’euros, tandis qu’entre 2021 et 2023 – je ne mentionne évidemment pas l’année du covid –, elles ont été comprises entre 430 et 460 milliards, s’installant donc à un niveau élevé.
Une telle évolution ne saurait s’expliquer par la progression de tel ou tel programme spécifique, comme celui relatif à l’apprentissage, et je précise que la Cour des comptes met à part des dispositifs comme celui du bouclier tarifaire. Elle indique que, structurellement, les dépenses ordinaires de l’État sont passées en moyenne de 320 à 440 milliards, sans que nous ne soyons redescendus depuis.
M. Aurélien Rousseau. Les rapports de la Cour des comptes sont toujours instructifs et ne sont pas lus que par le Rassemblement national. Par ailleurs, je crois que vous avez donné la réponse dans votre question et comme celle-ci dépasse la période pendant laquelle j’étais directeur de cabinet à Matignon, je me permettrai également d’élargir ma réponse.
La taxe sur l’électricité que souhaitait instaurer le gouvernement de Michel Barnier n’était pas absurde intellectuellement. Dans la mesure où la puissance publique a protégé les consommateurs contre une augmentation massive du prix de l’électricité pendant la crise, ces derniers, qui bénéficient désormais d’un tarif beaucoup plus bas étant donné que la production de l’énergie est maintenant beaucoup moins onéreuse, pourraient fournir une contribution. Or je n’ai pas le sentiment que cette mesure ait suscité l’acclamation de l’Assemblée – pas plus que la mienne, du reste.
Je prends cet exemple pour dire que le dégrafage de dispositifs d’urgence et de protection est très difficile. J’ai le souvenir de discussions avec la première ministre et le président de la République à ce sujet. Le ministre des finances lui-même l’avait dit publiquement et à juste titre : l’effort consenti par la nation sur l’électricité ne pouvait pas être totalement à sens unique. Cela étant, cette idée a été jugée insoutenable par une majorité des membres de l’Assemblée nationale.
Voilà la réponse à votre question, étant entendu que le bouclier tarifaire n’est pas seul en cause. Il y a eu, au cours des années que vous avez mentionnées, une succession d’urgences, qui tendent à perdurer, et donc une multiplication des dispositifs pour y répondre.
À cet égard, nous gagnerions à avoir collectivement une vision pluriannuelle des dépenses, chose que nous avons essayé de construire au ministère de la santé. Par exemple, pendant le covid, les laboratoires de biologie médicale ont fourni des efforts énormes, mais ont dégagé des marges et des profits encore plus importants. Dès lors que le profit devient une rente, il ne me semble pas anormal d’intervenir. Seulement, de telles décisions sont difficiles à prendre. Les mêmes qui nous invitent à être vertueux en matière de dépenses nous écrivent ensuite pour dire que nous étranglons le laboratoire de leur commune.
Il n’existe pas de prophète dans ce domaine et je mesure mieux, dans mon rôle de député, combien il peut être délicat de dire à nos compatriotes que nous pourrions récupérer des ressources fiscales en revenant sur les mécanismes de protection dont ils ont bénéficié lorsque leur facture d’électricité risquait d’augmenter de 100 %. Cette idée s’est avérée inaudible et je ne crois pas qu’elle ait été soutenue sur vos bancs, alors qu’elle aurait permis une réduction structurelle de la dépense de l’État.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je rappelle que nous avons soutenu les mesures que vous avez prises au sujet des laboratoires pour limiter les dépenses.
Quoi qu’il en soit, je n’ai pas compris votre réponse. Ma question portait sur les dépenses structurelles, que la Cour des comptes distingue clairement des dépenses ponctuelles. En 2023, ces dépenses exceptionnelles ont diminué de 28 milliards d’euros. Cependant, elles ont été compensées par de nouvelles mesures ponctuelles de l’ordre de 15 milliards, ainsi que par une progression de 14,5 milliards des dépenses courantes – pareilles évolutions ayant également eu lieu lors des années précédentes.
Je suppose qu’à votre arrivée à Matignon, on vous a fait un topo sur la structure des dépenses de l’État. En tout état de cause, si les membres du RN ne sont évidemment pas les seuls à lire les rapports de la Cour des comptes, ils sont les seuls à s’y intéresser.
Parce que ça les arrange, la gauche et le centre n’ont de cesse de répéter que nous avons un problème de recettes, mais cela n’a pas été prouvé. Pour ma part, j’estime que nous avons un problème de dépenses. Tous les rapports de la Cour des comptes parus entre 2017 et 2023 l’affirment et je suis prêt à les distribuer in extenso à tous les membres de cette commission : chaque année, y compris en 2023 lorsque vous étiez en fonction, il n’y a aucune réforme structurelle. Vous me répondrez peut-être qu’il y a eu la réforme des retraites, mais, le cas échéant, je serais heureux que vous disiez sous serment qu’elle a permis des économies structurelles l’année de son adoption, car elle a plutôt généré des dépenses. Vous n’avez pris aucune mesure structurelle !
Je le répète : nous sommes passés en moyenne de 320 milliards d’euros de dépenses avant le covid à 440 milliards après. La Cour des comptes reconnaît qu’il y a eu des mesures exceptionnelles, mais vous ne parlez jamais de l’évolution des dépenses courantes. Vous me répondez en évoquant les laboratoires, mais c’est incompréhensible !
M. Aurélien Rousseau. Qu’il y ait une inertie de la dépense publique, cela ne fait aucun doute. Cela étant, les dépenses de l’État ont bien diminué en 2023 par rapport à 2022 ; c’est un fait.
Parmi les mesures structurelles que nous avons prises figure la réforme de l’assurance chômage dans sa version contracyclique. Elle relevait du pouvoir réglementaire, mais je me rappelle qu’elle n’avait pas été accueillie avec des jets de pétales de rose dans l’hémicycle. Quant à la réforme des retraites, elle a bien eu un impact l’année de son adoption, sinon le Conseil constitutionnel aurait censuré le choix d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) comme véhicule législatif.
Il y a donc bien eu des mesures visant à réduire la dépense structurelle, même si des choix politiques – qui peuvent être contestés – ont également été faits. Il faut souvent faire des investissements pour, ensuite, obtenir des économies. Je pense à la création de France Travail, que nous évoquions tout à l’heure.
Dans le PLFSS pour 2024, je prends la responsabilité de doubler les franchises médicales sur les médicaments et les visites médicales : c’est une mesure structurelle de ralentissement des dépenses d’assurance maladie. Au même moment, j’ouvre un débat devant l’Assemblée nationale sur la trajectoire des indemnités journalières que j’estime intenable pour l’assurance maladie – mes propos ont d’ailleurs été déformés. Ces chantiers sont ouverts.
S’agissant du transport sanitaire, nous verrons bien, le moment venu, qui assumera de contribuer à la baisse de cette dépense structurelle d’assurance maladie qui ne cesse d’augmenter. Mais je le répète : ce ne sont pas les dépenses de l’État qui ont fait déraper la dépense publique en 2023.
Peut-on davantage baisser les dépenses de l’État ? Beaucoup invoquent cette idée, comme s’il s’agissait d’une pensée magique. Or je constate que c’est très difficile ; ça l’est d’autant plus que le budget de l’État se rigidifie en raison des lois de programmation qui s’appliquent dans de très nombreux secteurs. Le périmètre des économies qu’on peut prévoir sans contrevenir aux lois de programmation est plus restreint qu’auparavant.
Des mesures ont été prises ; elles ont porté leurs fruits et ont fait l’objet d’un suivi très précis, parfois dur – je pense au surgel de 1 % des crédits annoncé le 24 mai 2023, qui n’a pas précisément recueilli le soutien des ministères, ni celui de l’opinion.
M. Jérôme Legavre (LFI-NFP). Vous avez été aux premières loges lorsque les principales mesures ont été prises durant la période qui intéresse la commission d’enquête. On pourrait également remonter aux années précédentes, lorsque vous avez joué un rôle dans le cadre de l’élaboration de la loi El Khomri, de la réforme contre les droits des assurés sociaux en matière de chômage et de sécurité sociale et de la réforme des retraites dont vous avez été l’un des artisans, toute une série de mesures prises au nom du retour au plein emploi et de l’amélioration de la compétitivité des entreprises. Force est de constater qu’aucun des objectifs proclamés n’a été atteint ; il suffit de relever l’explosion du nombre de défaillances d’entreprises et l’augmentation du nombre de chômeurs.
Le choc fiscal mis en œuvre depuis 2017 a privé les finances publiques de 60 à 70 milliards d’euros par an. Les exonérations de cotisations sociales privent la sécurité sociale d’environ 86 milliards d’euros chaque année. La Cour des comptes a évalué à 260 milliards d’euros le soutien financier total apporté aux entreprises entre 2020 et 2022. Il faut y ajouter les dégrèvements et les remboursements qui absorbent une énorme partie du produit de la TVA.
En tant que directeur de cabinet de la première ministre en 2023, pouvez-vous nous indiquer à quel moment et sous quelle forme ces mesures, qui constituaient une impasse, ont été remises en question, débattues et tranchées ? Comment pouviez-vous penser que l’effondrement organisé des recettes n’aurait pas de conséquence ?
M. Aurélien Rousseau. Je rappelle que je suis convoqué en ma qualité de directeur de cabinet de la première ministre du mois de mai 2022 au mois de juillet 2023.
Les personnes qui se considèrent a posteriori comme des Jean Moulin me laissent pantois. Je n’étais pas Jean Moulin ; je n’ai pas été torturé et j’étais loyal aux autorités que je conseillais et avec lesquelles je dialoguais. Mais au bout du compte, c’est l’autorité politique qui tranche. Lorsque j’ai eu des désaccords en tant qu’autorité politique, j’en ai tiré les conséquences.
Aucun des objectifs fixés n’a été atteint, dites-vous : pourtant, la baisse de 12 à 7,2 % du taux de chômage est un progrès, et elle ne s’explique pas seulement par les « jobs pourris » ou la précarité. J’assume de le dire : cette politique était utile – sans doute aurais-je eu un avis différent il y a quelques années. Que mes filles de 15 et de 19 ans ne se posent pas la question de savoir si elles seront au chômage – contrairement à moi au même âge – est un progrès.
La politique d’exonération de cotisations sociales, et donc de perte de recettes fiscales, ne peut pas être durable car son efficacité marginale est décroissante. Elle coûte beaucoup trop cher par rapport à ce qu’elle rapporte. Je n’avais pas le même point de vue lorsque François Hollande a lancé le CICE mais depuis, je pense – et je l’assume – que les entreprises se sont remises à créer des emplois dans un contexte fiscal plus favorable et qu’il aurait fallu dégrafer une partie de ces mesures plus tôt.
Les promoteurs de la politique d’exonération de cotisations sociales considèrent que toute mesure qui va à son encontre conduira de fait à une destruction d’emplois et à de la délocalisation – nous en avons débattu avec Mathieu Lefèvre en séance. Pour ma part, si je ne peux apporter une réponse macroéconomique, je peux donner une réponse politique : nous pouvons dégager une marge fiscale en supprimant une partie de ces exonérations.
Le débat a eu lieu à l’Assemblée nationale. À la suite de la publication du rapport de Marc Ferracci et de Jérôme Guedj sur le contrôle de l’efficacité des exonérations de cotisations sociales, le bandeau famille a été en partie supprimé afin de dégager des recettes. Lors des discussions sur le PLFSS pour 2025, nous avons débattu de la suppression du bandeau famille qui s’applique sur les salaires jusqu’à 2,5 Smic. J’ai soutenu cette mesure en tant que député.
Entre 2022 et 2023, le président de la République et la première ministre ont discuté du maintien des dépenses fiscales créées pour favoriser la baisse du chômage qui ont perdu en efficacité. Dans ce contexte, il est possible de sevrer les entreprises, à condition de fixer des échéances claires, transparentes et prévisibles.
Ce débat n’est pas médiocre et j’admets que vous contestiez certains points. Au bout du compte, j’y insiste, la baisse du chômage est un progrès.
Je reviens sur les deux points que vous avez évoqués de manière un peu piquante. Le principe de contracyclicité de l’indemnisation du chômage, en vertu duquel lorsque le chômage augmente, la durée d’indemnisation ou son montant augmente également, ne me choque pas. Je n’étais pas député à l’époque, mais je me suis opposé à la nouvelle réduction de l’indemnisation du chômage, prévue en 2024, alors même que le nombre de défaillances d’entreprises augmentait. Néanmoins, le principe de contracyclicité n’était pas remis en cause, notamment dans le cadre du dialogue avec les partenaires sociaux, comme la CFDT.
Enfin, je suis convaincu qu’une réforme des retraites est nécessaire car je crois profondément en notre système assurantiel. Je prends évidemment ma part de responsabilité dans l’échec à trouver un accord avec une partie des partenaires sociaux – étant entendu qu’un accord avec tous était impossible. La loi « travail » était soutenue par tous les syndicats réformistes, notamment le premier d’entre eux, la CFDT. Les conditions dans lesquelles ce texte réformant les retraites a été considéré comme adopté, selon les termes de la Constitution, ont fortement compliqué son acceptabilité démocratique. De là où j’étais, je n’en ai pas suffisamment mesuré l’impact social.
Dès lors, le fait de confier aux partenaires sociaux la négociation sur ce sujet me semble être une issue satisfaisante. Il faut avancer. J’espère que les partenaires sociaux trouveront un point d’accord, que le Medef jouera le jeu ou, sinon, que le Parlement se ressaisira du sujet. Je ne crois pas à la main invisible – qu’elle soit du capitalisme ou du socialisme – capable de régler tous les problèmes.
M. Jérôme Legavre (LFI-NFP). Permettez-moi de ne pas partager du tout votre optimisme s’agissant de votre bilan en matière de baisse du chômage. Si vous faisiez part de vos constats aux centaines de milliers de salariés qui perdent leur emploi en ce moment même, je doute qu’ils apprécieraient.
Je n’ai pas compris votre réponse concernant l’effondrement des finances publiques qui, de toute évidence, ne pouvait que résulter de celui des recettes.
Un mot sur la réforme des retraites. À l’époque, la première ministre avait justifié sa nécessité par l’objectif, d’une part, de garantir l’équilibre du système en 2030 et, d’autre part, de ramener le déficit sous les 3 % en 2027. Le problème, c’est que ces justifications étaient non seulement arbitraires, mais également fondées sur des prévisions et documents erronés – pour ne pas dire mensongers –, notamment quant aux 17 milliards d’économies vantées. Selon le COR (Conseil d’orientation des retraites), cette réforme rapportera 5 milliards d’euros par an avant, à long terme, d’engendrer des surcoûts.
La population subit cette contre-réforme, qui est rejetée par l’immense majorité et qui a fait contre elle l’unanimité des organisations syndicales. Du reste, je n’attends rien du saint conclave lancé par le premier ministre dont il ne sortira rien. Il n’a d’ailleurs pas pour objectif de négocier quoi que ce soit mais uniquement d’accorder un sursis supplémentaire au gouvernement.
Puisque vous avez préparé cette réforme, les différences importantes dans les calculs et dans les prévisions ont-elles joué sur le fameux dérapage du déficit en 2023 et en 2024 ? Quel regard portez-vous sur cette réforme qui est toujours massivement rejetée ?
M. Aurélien Rousseau. Je ne vous ai pas attendu pour parler avec des salariés. Je suis autant préoccupé que vous par les défaillances des petites et des grandes entreprises. Je n’ai pas de leçon à recevoir de votre part en la matière.
Par ailleurs, vous évoquez « l’effondrement des finances publiques » : c’est un peu court. Les finances publiques englobent les recettes et les dépenses. Vous faites plutôt référence à un effondrement des recettes. Dans quel but crée-t-on des dépenses ? Les dérapages constatés entre les prévisions et les résultats de l’exercice 2023 ne résultent pas d’une erreur d’appréciation sur les baisses de charges qui étaient documentées – mais je ne suis pas en mesure de détailler ce point car je n’étais pas aux responsabilités à l’époque. On peut certes contester ces éléments structurels, mais le budget n’a pas été construit en se fondant sur le produit des allègements de charges. Les travaux de votre commission ont pour objet de comprendre les facteurs qui expliquent les écarts entre les prévisions, y compris celles présentées au Parlement, et la réalisation. La question à se poser est celle des conséquences, sur le niveau des recettes fiscales et sociales, de la création des dépenses fiscales.
En 2023, cet écart ne pouvait être dû à la réforme des retraites, qui comporte des mesures positives. Du reste, la proposition de loi visant à abroger cette réforme supprimait le report de l’âge légal de la retraite mais conservait ces mesures positives, qui étaient précisément financées par le report de l’âge légal. Comme toute réforme paramétrique, cette réforme présentait des défauts structurels. La réforme de la retraite à points n’a pas été menée à son terme – je n’étais alors pas aux responsabilités, je ne l’ai pas défendue.
Dans sa saisine du Conseil constitutionnel, votre groupe a évoqué des mensonges – vous êtes totalement libre de vos propos mais ce mot vous appartient. Les analyses qui fondent cette réforme n’étaient pas mensongères, il s’agissait d’études variées proposées par d’autres structures que le COR qui, du reste, semble aujourd’hui remettre en cause ses analyses antérieures. En tout état de cause, le Conseil constitutionnel, qui a examiné en détail ces saisines roboratives, a écarté ces éléments.
Comme je suis un peu rustique, je me demande comment le système de retraite pourrait aller mieux au fur et à mesure des années, compte tenu de l’allongement de la durée de vie, donc du versement des pensions de retraite. Je comprends qu’il y ait un débat sur le montant du déficit et sur la date à laquelle le système sera dans l’impasse.
Le point de départ de cette réforme, ainsi que des réformes précédentes, notamment de la réforme Touraine, est que nous vivons plus longtemps, ce dont je me réjouis, en espérant que nous vivrons plus longtemps en bonne santé – mais c’est un autre sujet.
Mme Marina Ferrari (Dem). Je vais m’en tenir à l’objet de votre convocation, à savoir essayer de comprendre, grâce à votre expertise, l’écart entre les prévisions de recettes et leur réalisation.
Dans votre propos liminaire, vous avez indiqué qu’au mois de mai 2023, un surgel de 1 % avait été décidé à la suite d’une alerte sur les dépenses. Puis des lettres de cadrage ont été adressées aux différents ministères pour leur demander de fournir un effort de 5 %. Vous avez déclaré ne pas avoir été informé de la note du 11 juillet 2023 de la direction générale du Trésor qui alertait sur une prévision aggravée du déficit public. Quelle était la fréquence de vos échanges avec Bercy ou les différents services ? Je m’étonne que vous n’ayez pas eu connaissance de cette note, alors que dans votre propos liminaire, vous avez indiqué que vous échangiez tous les quinze jours environ. Faut-il y voir un dysfonctionnement structurel dans la mécanique administrative ou politique ?
Vous êtes nommé ministre de la santé le 20 juillet 2023, soit peu de temps après la publication de cette note. Par la suite, dans le cadre de vos échanges au niveau interministériel, une nouvelle alerte a-t-elle été donnée ? Si oui, comment s’est-elle manifestée ?
Vous avez déclaré avoir souhaité un challenge plus fort de la part de Bercy. Qu’attendiez-vous exactement et comment cela aurait-il pu se matérialiser ?
Vous ne pourrez peut-être pas répondre à mes questions suivantes car elles portent sur des sujets qui ne relèvent pas de votre champ de compétences. On a constaté un écart entre les prévisions de recettes de TVA et leur réalisation, car la croissance a été dynamique en matière de commerce extérieur mais moins soutenue s’agissant de la consommation intérieure. De même, les prévisions en matière d’impôt sur les sociétés et de remboursement de l’impôt sur le revenu ont été mauvaises. Vous avez dit qu’il fallait avoir la volonté de comprendre et de faire remonter l’alerte. Quels seraient les dispositifs à mettre en œuvre ? Quels dysfonctionnements avez-vous identifié ?
M. Aurélien Rousseau. Au début de l’année 2023, la première ministre demande aux ministères de réduire leurs dépenses de 5 %. Au mois de mai 2023, le surgel est décidé. C’est une mesure ordinaire en cours d’exercice, qui vise à maîtriser la dépense publique. Dans ce cas précis, elle n’a pas été prise à la suite d’une alerte. Il existe des aléas importants qui peuvent affecter les dépenses, tels que les mesures exceptionnelles prises en matière de gaz et d’électricité. On a donc intérêt à refroidir les dépenses.
Quant aux échanges, ils étaient quotidiens. En outre, tous les quinze jours, nous échangions deux heures dans un cadre formel. Chaque semaine, lors des réunions des directeurs de cabinet, je rencontrais Bertrand Dumont, le directeur de cabinet de Bruno Le Maire, ainsi que Damien Ientile, celui de Thomas Cazenave – j’avais souhaité sa présence alors même que le budget relève d’un ministère délégué. Si une alerte avait été lancée, ils m’en auraient directement informé. Je ne me souviens pas que la direction générale du Trésor ait adressé une note à Matignon au mois de juillet 2023 ; de manière générale, elle adresse les notes à son ministère de tutelle. En tout état de cause, à cette date, le ministre chargé des comptes publics n’avait pas fait immédiatement remonter les informations relatives au déficit.
Globalement, c’est à partir de cette période qu’on commence à travailler sur l’atterrissage de l’année en cours – il est en effet très difficile de le faire avant le milieu ou la fin du mois d’août, comme cela se fait dans une entreprise. Je crois comprendre que la saisine formelle de Matignon par le ministre se fait beaucoup plus tard – ne l’ayant pas vue, je parle à l’aveugle. Est-ce qu’elle évoque une analyse macro conduisant à penser que la croissance va se réduire ? Je ne crois pas qu’elle puisse, à cette date, évoquer des éléments microfondés sur les recettes fiscales. La suite, à l’automne, ne nous démentira pas, comme le démontrent les différentes notes citées par Éric Ciotti, qui portent sur l’exécution et sur la crainte que, d’étape en étape, Matignon soit plus laxiste que Bercy, l’Élysée soit plus laxiste que Matignon, et ainsi de suite. Les messages étaient très clairs et la décision de surgel a été prise par la première ministre.
J’en viens à l’évolution du travail et de la productivité, y compris dans les catégories socioprofessionnelles très élevées – sujet qui fait l’objet de nombreuses recherches en sciences sociales. Faut-il tenir compte dans les modèles de croissance de ce nouveau rapport au travail ? Nous avons tous en tête l’exemple du jeune médecin qui, après onze années d’études très difficiles, pendant lesquelles la nation l’a largement employé comme interne, fait un calcul absolument rationnel d’homo economicus : en province, il peut gagner 4 000 euros en travaillant jusqu’au jeudi soir et les 1 500 euros supplémentaires qu’il gagnerait s’il travaillait le vendredi et le samedi matin ne lui semblent pas intéressants. On entend de plus en plus ce genre d’histoires et cela ne concerne pas que les professionnels de santé. Ayant tous été biberonnés à l’idée que le travail était synonyme d’émancipation, nous avons sous-estimé l’ampleur de la transformation du rapport au travail de nos concitoyens et, d’une certaine manière, du contrat social.
Par ailleurs, cet épisode montre que les déterminants qui font bouger les recettes fiscales et sociales sont beaucoup plus nombreux que par le passé. Nous devons reprendre leur cartographie en base zéro, si je puis dire, non seulement pour les recettes mais également pour les dépenses. C’est un chantier majeur. Les formules qui traduisent la croissance en recettes sont déjà fort complexes mais elles doivent être encore complexifiées.
De même, nous sommes très faibles pour mesurer ce que l’investissement dans la prévention peut faire gagner en soins dans vingt ou trente ans. Or c’est nécessaire pour garantir la soutenabilité du système. L’Ondam d’aujourd’hui finance des vaccins contre le papillomavirus qui permettront d’éviter des cancers dans trente ans. Il y a donc un sujet global de restructuration des éléments sur lesquels se fondent la prévision et la modélisation. S’agissant des finances sociales, la prévention est un enjeu majeur. L’Ondam est un outil puissant mais ne permet pas suffisamment de mesurer l’intérêt des dépenses en la matière. L’assurance maladie évolue à vive allure vers la prévention : c’est cela qui, à long terme, la préservera du risque qu’elle est en train de prendre en pleine figure puisqu’elle socialise plus de 85 % de la dépense de santé, contre 73 % il y a quinze ans.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Vous êtes arrivé au cabinet de la première ministre en juillet 2022, au moment où la Banque centrale européenne a décidé de sortir progressivement de l’assouplissement quantitatif et de sa politique de taux bas. La remontée très rapide et systématique des taux d’intérêt a entraîné un renchérissement de la dette. La Cour des comptes l’avait annoncé et l’a analysé a posteriori. Depuis le début des travaux de cette commission d’enquête, j’essaie désespérément de savoir si l’État l’avait anticipé, sans obtenir la moindre réponse alors qu’il s’agit d’un sujet très important. En 2012, avant que la BCE ne change de politique, on savait déjà que la charge d’intérêts deviendrait tendanciellement le premier budget de l’État – elle si elle ne le devient pas c’est uniquement parce que la BCE change ses taux, sinon elle l’aurait été depuis 2014 environ. C’est donc un cadeau que la BCE a fait aux pays européens, en particulier à la France.
Je n’ai pas obtenu de réponse à ma question sur l’existence ou non d’un plan de sortie de cette politique exceptionnelle, dont chacun savait qu’elle ne pouvait durer indéfiniment. J’en viens donc à considérer que l’État n’avait prévu aucun plan de sortie de ces taux bas et aucune économie structurelle correspondant aux dizaines de milliards d’euros de dépense qu’engendrerait, au bout de deux ou trois ans, le retour à des taux normaux.
Ma question est donc simple : les services de l’État vous ont-ils présenté un scénario quand vous êtes arrivé à Matignon ? L’État avait-il prévu la fin d’une politique exceptionnelle ou avait-on considéré que l’exception était devenue la règle ?
M. Aurélien Rousseau. Depuis de nombreuses années, notamment depuis la création de l’euro, le niveau d’inflation était très faible en Europe. Les taux de la BCE n’étaient donc pas un cadeau. Une banque centrale en fait d’ailleurs rarement : son rôle, comme le disait Paul Volcker, consiste à enlever le punch quand la soirée commence à s’échauffer. Ce n’est pas ce qui s’est passé. C’est la vision classique d’une banque centrale dans un monde sujet à des accélérations économiques.
Si nous avions fait de cette politique exceptionnelle la norme, nous aurions emprunté à taux variable dans tous les cas, ce que l’État n’a jamais fait. Même si le volume des emprunts à taux variable a eu un impact, il est marginal par rapport au niveau d’emprunt à taux fixe. Cela différencie l’État de certaines collectivités territoriales qui ont pris plus de risques que lui.
Quand je suis arrivé à Matignon, j’ai reçu le patron de l’Agence France Trésor qui a évoqué le risque lié à la partie de la dette à taux variable, sachant que, simultanément, l’inflation explosait. L’impact réel est donc difficile à estimer. Si nous avions été « drogués » aux taux bas, nous aurions systématiquement basculé dans des emprunts à taux variable, plus attractifs en matière d’endettement. Or la France a continué à emprunter à taux fixe. Il n’y a donc pas eu d’erreur : nous savions que l’inflation pouvait surgir et que la BCE pouvait décider de modifier les taux. Par ailleurs, le niveau de notre endettement est très lié au spread, c’est-à-dire à l’écart avec nos voisins et concurrents commerciaux. Nous avons donc mené une politique prévoyante en la matière, ne faisant pas dépendre la charge de la dette uniquement de notre performance macroéconomique.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Ma question ne portait pas sur ce qu’est une banque centrale mais sur l’existence ou non d’un plan de l’État concernant la politique exceptionnelle de taux bas. Avant que celle-ci ne soit appliquée, la charge de la dette est le deuxième budget de l’État. À cause de cette politique de taux, elle devient le troisième ou le quatrième budget de l’État. Si les taux redeviennent normaux – sans même parler de taux élevés –, elle redevient structurellement le premier budget de l’État – tous les rapports le confirment.
Je ne veux pas savoir si vous avez reçu le directeur de l’Agence France Trésor – celui-ci, sauf erreur, applique une politique : il ne la conçoit pas. Ma demande s’adresse à l’ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Borne : l’État a-t-il une politique sur cette politique ? Cette question n’a rien d’anecdotique : il s’agit du deuxième budget de l’État, qui deviendra le premier structurellement. Vous avez dit que vous n’aviez pas choisi de recourir aux taux variables mais ce n’est pas vous qui décidez. Bruno Le Maire a déjà répondu à cette question : cela repose essentiellement sur des deals avec les sociétés d’assurance et le secteur financier français. Or celui-ci est incapable d’absorber 300 milliards de bons du Trésor indexés sur l’inflation, puisque c’est de cela qu’il s’agit. Vous estimez peut-être que c’est vrai mais je vous invite à pas le dire sous serment parce que c’est faux.
Ma question est donc de savoir si, oui ou non, l’État a un plan. Les services de Bercy ont-ils une doctrine concernant la Banque centrale européenne ou considère-t-on, comme Thomas Cazenave me l’a laissé entendre à plusieurs reprises lors des dialogues de Bercy, que tout ce qui relève de la BCE est une sorte de trou noir et qu’on n’en parle pas au sein de l’État ?
M. Aurélien Rousseau. Je ferai tout d’abord une parenthèse : vous ne cessez de faire les questions et les réponses, tout en me rappelant que je suis sous serment. J’ai participé à d’autres commissions d’enquête parlementaires et j’ai prêté serment avant de commencer ; il n’est donc pas utile de me le rappeler régulièrement, même si c’est le principe de la vaccination – je me réjouis de constater que vous le soutenez.
Je ne suis pas en mesure de répondre sur le quotidien des relations entre la BCE et Bercy mais je crois avoir répondu à votre question : la France emprunte très majoritairement à taux fixe et n’est pas dépendante d’un rehaussement des taux qui serait décidé par la BCE. Existe-t-il un document portant la mention « plan » ? Je n’en sais rien, je ne crois pas, mais si la France avait mené une autre politique, celle de l’addiction aux taux que vous appelez exceptionnels – même s’ils ont tout de même duré un certain temps –, elle aurait mis sur le marché bien plus qu’elle ne l’a fait – peut-être pas 300 milliards, comme vous l’affirmez, mais vous êtes sans doute meilleur spécialiste que moi, je le dis sans malice. D’autres acteurs ont fait plus et se sont retrouvés plus en difficulté que nous. Le plan est toujours la première victime de la guerre. Les faits sont là : nous avons emprunté pour l’essentiel à taux fixe.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Dernière question concernant la non-maîtrise des dépenses, la Cour des comptes relève que les reports de crédits, entre 2010 et 2019, ont oscillé entre 0,8 et 1,4 milliard par an. En 2020, ils se sont établis à 30 milliards, dont 29 milliards dus au covid. Plus intéressant, les reports de crédits hors relance, hors urgence et hors mesures exceptionnelles liées au covid passent structurellement, en trois ans, de 0,8 à 8 milliards ; ils ont donc été multipliés par dix. La tendance se poursuit les années suivantes : 4 milliards en 2021, 8,5 milliards en 2022 et 8 milliards en 2023. Comment expliquez-vous ce qui apparaît comme de la cavalerie budgétaire ? Je rappelle que cela a valu à la présidente du Brésil d’être destituée.
M. Aurélien Rousseau. La prémisse de votre question est fausse : il n’y a pas de non‑maîtrise des dépenses. Si tel avait été le cas, la dépense en 2023 n’aurait pas été inférieure à celle de 2022. L’autorisation de report de crédits est une pratique qui, indéniablement, n’est pas vertueuse. Elle est la contrepartie de la pratique guère plus vertueuse des gels auxquels les administrations sont habituées : elles n’engagent pas tous leurs crédits dans la crainte d’un gel et, si tel n’est pas le cas, elles reportent. Je suis convaincu que ce sujet ne se situe pas sur le terrain de la cavalerie mais sur celui de la prévision d’atterrissage : il faut donner de la visibilité aux administrations afin qu’elles sachent si elles disposeront ou non de la totalité de leurs crédits, pour qu’elles les engagent vraiment. Si on leur annonce seulement le 1er décembre qu’elles ne subiront pas de surgel, il est trop tard pour engager les crédits, raison pour laquelle on les autorise à les reporter. Je ne prétends pas définir là de la saine gestion. Il faut que l’autorisation de dépenses donnée par le Parlement soit respectée. C’est le pilotage infra-annuel de la dépense qui provoque ces à-coups. Meilleure est la prévision, plus on fera baisser les reports de crédits qui sont, vous avez raison de le dire, une échappatoire à l’autorisation parlementaire de la dépense.
M. François Jolivet, président. Quand vous êtes nommé directeur de cabinet de la première ministre, vous découvrez des chefs de pôle qui sont des conseillers communs avec l’Élysée. Comment les encadre-t-on ? Ils défendent en effet les intérêts du gouvernement et du président de République, ce qui peut constituer un gain de temps. On peut envisager cette question de manières très différentes.
Lorsque vous êtes nommé, en 2022, vous estimez qu’il faut refroidir les dépenses. Puis, au fil des mois, vous constatez qu’il y a peut-être un petit problème avec les recettes, ce qui se confirme en 2023. Puis, lors du vote de la loi de finances pour 2024, beaucoup savent que les hypothèses ne sont pas les bonnes et qu’il faudra sans doute un PLFR. Chacun comprend que le fameux principe selon lequel la croissance des recettes fiscales et sociales est proportionnelle à l’augmentation du produit intérieur brut s’effondre parce qu’on découvre une nouvelle manière de calculer le modèle de ressources. Toutefois, on n’est pas encore capable de l’appliquer en 2023 et pendant la préparation du PLF pour 2024. Puis, quand vous étiez ministre de la santé, vous supervisiez la direction de la sécurité sociale, qui gère plus de recettes et de dépenses que Bercy mais avec beaucoup moins d’agents. Vous avez donc participé à la préparation de deux budgets. Au vu de votre expérience, quelles seraient vos recommandations pour remédier aux problèmes que vous avez rencontrés ?
M. Aurélien Rousseau. Les chefs de pôle ne sont pas des conseillers partagés : il y a, au sein des pôles, des conseillers qui sont eux-mêmes partagés. Mon expérience dans ces deux fonctions m’incite à penser que c’est assez vertueux, notamment parce que l’exercice oblige à débattre. Même dans les secteurs où il n’y avait pas de conseillers partagés, la plupart des réunions entre la première ministre et le président de la République étaient préparées sur la base de notes conjointes signées par les chefs de pôle de l’Élysée et de Matignon et exposant les éventuels désaccords entre eux. Cela évitait de les découvrir au cours de la réunion ; de plus, même quand il n’y avait pas de notes communes, les notes étaient transmises pour qu’on ne découvre rien à la dernière minute.
Je n’ai pas dit qu’il y avait eu une première alerte sur les recettes en 2022 : l’exécution 2022 est plutôt meilleure que prévu mais Bercy avait été un peu pusillanime. En fait, on tombe un peu plus haut – tant mieux ! Jusqu’à mon départ de Matignon, nous n’avons aucune interrogation sur la prévision de recettes. Notre préoccupation, avec Élisabeth Borne, est de savoir si on sait vraiment modéliser en termes macro notre trajectoire vers le plein emploi.
L’alerte formelle est arrivée en décembre – j’en ai parlé avec mon successeur, Jean-Denis Combrexelle. Il y a sans doute eu auparavant des signaux indiquant que quelque chose se passait mais les chiffres n’ont été connus qu’au moment du troisième tiers de l’impôt et des résultats de l’IS ; ils ont été actés par le projet de loi de fin de gestion pour 2023. Voilà tout ce que je peux dire sur le sujet. Le débat évoqué par Éric Coquerel – est-ce qu’on ne travaille que sur les dépenses ou est-ce qu’on aurait dû activer un levier recettes ? – est plus politique ; il a été tranché par le budget, d’une certaine manière.
Je tiens à dire que nos administrations sont exceptionnelles, et je le dis d’autant plus sereinement que l’année qu’elles viennent de vivre, du point de vue du pilotage, a été particulièrement dure. Contrairement à la petite musique que l’on entend, une administration aime être dirigée par les autorités politiques, parce qu’il n’y a rien de pire que l’absence ou l’instabilité des orientations politiques. Encore une fois, je considère qu’elles ont accompli un travail exceptionnel et je salue en particulier la direction de la sécurité sociale.
L’appropriation politique collective des enjeux des finances sociales est encore insuffisante. Le temps passé sur le PLFSS et sur ses impacts à long terme est inversement proportionnel à ce qu’ils représentent, d’autant que ce budget nécessite de faire des choix qui demandent un portage politique. Ma conviction est que le PLFSS est insuffisamment politisé, au sens le plus noble du terme, car les autorités n’ont pas la culture des finances sociales.
Nous devrions davantage travailler en commun. Lorsque j’étais ministre, je réunissais chaque semaine mes directeurs d’administration centrale, mais jamais, dans ce cadre, avec le directeur général du Trésor. De même, nous aurions sans doute dû rencontrer des parlementaires, au-delà de la commission des comptes de la sécurité sociale, dans laquelle siègent des parlementaires et que coprésident le ministre des comptes publics et le ministre de la santé, cette grand-messe à Bercy n’étant pas de nature à permettre réellement un regard croisé et à affiner les prévisions.
M. François Jolivet, président. Je vous remercie.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du jeudi 6 février 2025 à 10 heures
Présents. - M. Éric Ciotti, Mme Marina Ferrari, M. François Jolivet, M. Mathieu Lefèvre, M. Corentin Le Fur, M. Jérôme Legavre, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Mickaël Bouloux, M. Thomas Cazenave, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Jean-Paul Mattei, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou