Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

  Audition de M. François Sauvadet, président de Départements de France, de M. Jean-Léonce Dupont, vice-président délégué, de M. Jean-Luc Chenut, président du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine et de M. Nicolas Fricoteaux, président du conseil départemental de l’Aisne, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958)              2

  Présence en réunion...........................38


Mercredi
12 mars 2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 090

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La Commission procède à l’audition de M. François Sauvadet, président de Départements de France, de M. Jean-Léonce Dupont, vice-président délégué, de M. Jean-Luc Chenut, président du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine et de M. Nicolas Fricoteaux, président du conseil départemental de l’Aisne, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 581100 du 17 novembre 1958)

M. le président Éric Coquerel. Cette réunion obéit au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance  58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Cet article impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. François Sauvadet, Jean-Léonce Dupont, Jean-Luc Chenut et Nicolas Fricoteaux prêtent successivement serment.)

M. François Sauvadet, président de Départements de France. Nous vous remercions de nous entendre, ce qui nous offre l’occasion de rétablir certaines vérités. Pour Départements de France, être convoqué par la présente commission d’enquête est important.

La première vérité que nous tenons à rétablir est contraire à une petite musique que, dans tous les départements, nous trouvons insupportable : les collectivités, notamment les départements, seraient responsables du déficit de notre pays. Lorsque l’on parle de collectivités, il faut être clair sur un point : les situations sont très différentes selon que l’on est maire, président d’intercommunalité – vous avez ainsi auditionné hier André Laignel, premier vice-président délégué de l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité (AMF) –, président de département ou président de région.

En ce qui nous concerne, nous n’avons plus aucune marge de manœuvre fiscale depuis le transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties aux communes. Je vais vous faire une confidence : je n’ai jamais demandé au nom de Départements de France la suppression de la taxe d’habitation, compensée par ce transfert qui nous prive de marges de manœuvre fiscale.

On nous a vendu, en compensation, une part de la TVA en nous disant que cette ressource progresserait grâce à la tonicité de la consommation dans notre pays. Il s’agit – je pèse mes mots devant une commission d’enquête – d’une forme de mensonge d’État. En outre, la part de TVA affectée aux collectivités est gelée, de même que la dotation globale de fonctionnement (DGF), alors que l’une et l’autre représentent ensemble 40 % du panier de ressources des départements. Par ailleurs, la chute du marché immobilier – qui n’est pas sans rappeler les conséquences de la crise des subprimes en 2009, certes d’une violence inouïe – induit une chute considérable des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), en dépit du léger frémissement actuel.

Cette chute de nos ressources est concomitante, ce qui est inédit dans l’histoire des départements, d’une explosion des dépenses sociales. Sur ce point aussi, j’aimerais que les choses soient claires : la plupart de nos dépenses sociales nous sont imposées par l’État, souvent sans discussion préalable. Les chiffres sont très simples – je mesure la portée des propos que je tiens devant une commission d’enquête et j’ai trop de respect pour le Parlement pour ne pas vous dire la vérité des chiffres : en deux ans, l’État nous a imposé 3 milliards d’euros de dépenses pérennes supplémentaires.

Nous avons eu la revalorisation du RSA, qui n’est pas finie. Hier soir, nous avons reçu un petit message sur nos portables nous indiquant, en guise de concertation – maintenant que c’est décidé, on en reparlera –, que le RSA sera revalorisé de 1,7 % au 1er avril prochain, ce qui représente environ 170 millions d’euros de dépenses supplémentaires à notre charge.

Nous avons eu les revalorisations dans le domaine médico-social consécutives à l’extension du Ségur, aux personnels administratifs par exemple, que nous ne souhaitions pas mais qui a été décidée par arrêté au dernier moment par une ministre en suspens. Cela représente aussi 170 millions d’euros, que les trois quarts des départements n’ont pas payés – je l’assume – dans l’attente d’une compensation financière.

Nous avons eu tout le train des augmentations du point d’indice.

S’agissant des pompiers, nous avons dû faire face à l’aggravation de la situation liée au changement climatique. La contribution communale étant plafonnée au niveau de l’inflation, l’essentiel de l’effort supplémentaire est consenti par les départements. Je ne discute pas la légitimité de la prime de feu, mais comment faisons-nous ?

Je pourrais aussi vous parler de l’affluence de mineurs non accompagnés (MNA) et de la question de la protection de l’enfance – j’ai récemment été auditionné par la commission d’enquête portant sur ce sujet. Le système est à bout.

Tandis que nos dépenses pérennes augmentaient de 3 milliards d’euros, nos recettes diminuaient de 8 milliards. Je tiens les chiffres à votre disposition. La baisse des DMTO a été chiffrée à 5,5 milliards. Nous avons subi des non-indexations, sur lesquelles je ne reviens pas. S’agissant du foncier bâti, qui a donc été transféré, la seule augmentation des bases nous aurait permis de bénéficier de 1,5 milliard d’euros, que nous n’avons pas eu. Et la tonicité des recettes de TVA promise en compensation par le gouvernement n’a pas été au rendez-vous.

Je n’ai qu’une question à poser. Je l’ai adressée au gouvernement, qui n’a pas répondu. Je la pose aussi à l’Assemblée nationale et au Sénat, ainsi qu’à tous nos interlocuteurs. Dans ce contexte, comment faisons-nous ?

On nous a dit que ce n’était pas grave si le RSA augmentait un peu, puisque le nombre de bénéficiaires allait diminuer. Or il est en train de remonter, d’autant que l’assurance chômage a été réformée. J’ai demandé des indicateurs très précis sur les transferts qui en résultent dans une période non pas de crise économique mais de tensions dans l’ensemble de nos territoires. Il faut regarder le phénomène d’accélération qui va se produire s’agissant du nombre de bénéficiaires du RSA, dans le cadre d’un travail sur la maîtrise de la donnée.

Les dépenses sociales représentent environ 70 % de nos budgets, contre 57 % il y a dix ans.

Le ministre des collectivités territoriales a répondu, devant la commission du développement durable, que nous allions bénéficier d’une hausse des droits de mutation. J’assume d’avoir demandé une telle évolution, même si elle a fait l’objet d’un débat, qui est légitime – certains pensent qu’il pourrait en résulter une aggravation de la crise de l’immobilier. Je rappelle que les primo-accédants ne seront pas concernés par la mesure et que l’augmentation de 0,5 point des DMTO représente, d’après les estimations, entre 500 et 600 millions d’euros supplémentaires dans l’hypothèse d’une stabilisation du marché. C’est une petite bouffée d’oxygène mais cela ne réglera pas le problème, puisque nous assumons, tout en étant privés de 8 milliards d’euros, 3 milliards de dépenses supplémentaires, que nous ne pilotons pas mais dont nous assurons la répartition, ce qui est légitime compte tenu de la bonne connaissance que nous avons, grâce à nos assistants sociaux, de la réalité sociale du pays.

S’agissant du gel des recettes de TVA, j’ai entendu le ministre dire que ce n’était pas grave, puisque l’augmentation était prévisionnelle, donc putative. Il faudrait demander au président de l’AMF s’il ne serait pas grave que l’État capte l’effet, pour les communes, de la hausse des bases de la taxe sur le foncier bâti. Il faut quand même, à un moment, veiller au sérieux des propos que l’on tient ! Pour nous, en tout cas, la tonicité de la ressource n’est pas au rendez-vous.

J’ai une profonde interrogation sur nos choix de société. On ne peut pas continuer ainsi. M. Moscovici a récemment déclaré qu’il fallait réduire les recettes pour réduire les dépenses. On a déjà essayé dans le domaine médical et on a vu les résultats : moins de médecins et maintenant des déserts médicaux ! Voilà bien une logique qui fera avancer le pays !

On a gelé 40 % de nos ressources, nos recettes de DMTO ont baissé, mais le train de la dépense ne s’arrête pas. Pour cette année, 1 milliard d’euros de dépenses supplémentaires nous a déjà été annoncé, dont 127 millions en raison de l’augmentation de 1,7 % du RSA au 1er avril – 170 millions en année pleine –, dont nous avons été informés par un message sur nos portables et que les départements devront absorber seuls.

On nous annonce aussi une convention collective unique, sans nous avoir associés aux discussions, en dépit des engagements pris par M. Castex, à l’époque, puisque nous sommes financeurs. On a estimé que réunir autour de la table les employeurs et les salariés du champ social suffisait. Drôle de façon de faire de la concertation ! Je ne discute pas le principe de la revalorisation du travail de nuit et le week-end, mais comment la finance-t-on ? Il est question de 350 millions d’euros.

Par ailleurs, je rappelle que l’extension du Ségur, que l’on nous a imposée au détour d’un arrêté d’un gouvernement post-mortem et post-dissolution, coûte 170 millions d’euros. Quant à l’augmentation du taux de cotisation à la CNRACL (Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales), elle représente 300 millions d’euros. Je le dis très simplement devant la représentation nationale : on ne peut pas continuer comme cela.

J’entends dire que les départements de France seront appelés à faire un effort supplémentaire de résorption du déficit public, mais il faudra nous expliquer ce que nous ne ferons plus. Je rappelle, même si vous le savez tous, puisque vous êtes des praticiens de terrain, que le département n’est pas que la collectivité chargée du social. Nous assumons cette responsabilité en proximité, et continuer à le faire a un sens. Mais si les dépenses sociales passent de 70 à 74 % de nos budgets alors que la ressource reste flat (plate), que ferons-nous des ponts ? Vous avez vu les reportages à ce sujet. Nous gérons 385 000 kilomètres de voirie.

S’agissant des pompiers, un Beauvau de la sécurité civile est en cours, mais on ne traite pas le problème du financement. La part des communes est plafonnée et l’État ne met pas au pot, ou très peu, tout en nous demandant de faire un effort face aux conséquences du changement climatique, comme les feux de forêt et les inondations.

Quant aux aides aux communes, certains départements les ont déjà arrêtées. Si vous avez aimé la crise des gilets jaunes, attendez que les communes se rendent compte que les départements, qui sont leurs partenaires, ne vont plus les aider alors qu’on affiche des ambitions dans divers domaines tels que le patrimoine.

On ne pourra pas dire qu’on découvre le problème. Je suis président de Départements de France depuis un peu plus de trois ans, et j’ai siégé de nombreuses années au Parlement. J’ai saisi les parlementaires, les rapporteurs généraux et les gouvernements successifs – il faut dire qu’avec quelque six ministres de la santé en deux ans, il est un peu compliqué d’entretenir un dialogue suivi avec l’État sur les réponses à apporter à des problèmes récurrents. Nous sommes dans une situation infernale.

J’en viens à la question des critères objectivés. Il existe, vous le savez, un fonds de sauvegarde pour les départements les plus en difficulté, qui est alimenté par une fraction de TVA mise en réserve. Nous avions obtenu du gouvernement Borne un abondement pour les quatorze départements identifiés comme étant en difficulté. À cet égard, je remercie l’Assemblée nationale pour l’amendement visant à faire face à l’augmentation du nombre de départements en difficulté. Même s’il n’a pas été retenu par la CMP (commission mixte paritaire), il a été le signal d’une prise de conscience.

À critères constants, nous sommes passés de quatorze à vingt-neuf départements en difficulté à la fin de l’année 2024. Je le dis solennellement devant cette commission d’enquête : les deux tiers des départements français auront un taux d’épargne brute inférieur à 7 % d’ici à la fin de l’année sous le simple effet des mesures annoncées. Je n’invente pas ce chiffre pour des raisons de commodité – je suis au contraire pleinement conscient de la difficulté dans laquelle est placé le pays et du fait que nous avons tous la responsabilité de trouver des solutions. Le chiffre figure à la page 99 d’un rapport de la Cour des comptes publié en juillet dernier : elle estime qu’on est dans une situation de grande fragilité en dessous de 7 % d’épargne brute.

J’ai transmis à chacun des groupes de l’Assemblée et à votre commission des estimations concernant la situation des départements. Quand j’ai présenté les chiffres au gouvernement, j’ai dit que si Bercy les contestait, il faudrait au moins se mettre d’accord sur un diagnostic au sujet de l’évolution des dépenses et des recettes, avant de regarder ce qu’il faut continuer de faire ou au contraire arrêter. Je n’ai pas réussi à obtenir les chiffres. Il a fallu que nous engagions un travail, au sein de Départements de France, pour nous doter d’instruments en matière de données face à l’évolution extrêmement rapide de la situation. Quand vous êtes une commune, vous fixez un taux et, compte tenu de la base, vous avez une recette assurée. De notre côté, c’est au mois le mois pour les recettes de DMTO, ce qui nous place dans des situations infernales.

Certains départements s’étaient désendettés, comme celui de la Marne. Il avait un taux de taxe sur le foncier bâti très bas et le périmètre est resté identique lorsqu’elle a été compensée par des recettes de TVA. Il en résulte une aplasie, qui s’est accompagnée d’une explosion des dépenses. Des départements dont la santé financière était présumée bonne se retrouvent dès lors dans une situation de grande fragilité, au point de ne plus pouvoir s’endetter, en l’absence de marge brute, ni continuer à entretenir les routes et disposer d’un budget contracyclique.

J’en viens au sujet de la donnée. Tout le monde peut avoir un sentiment sur tout. Le meilleur moyen d’en sortir, ou à tout le moins de fonder ce sentiment, c’est d’objectiver la donnée. Or, sur ce point, nous avons un problème. Je dénonce – et je pèse mes mots – l’imprévisibilité, voire l’opacité dont fait preuve l’État au sujet des données, y compris celles relevant de nos compétences propres. Il existe un grave problème en matière de prévision, mais aussi de transmission des données, sur lequel j’appelle l’attention de l’Assemblée nationale et de votre commission. Je sais, monsieur le président, monsieur le rapporteur général, le combat que vous avez mené en la matière.

Prenons l’exemple du Dilico (dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités locales). M. Rebsamen a laissé entendre que nous n’avions pas transmis les données à l’ensemble des présidents de département, comme si nous étions responsables de la non-diffusion de l’information. Il m’a dit ensuite qu’il avait été taquin. Compte tenu de la situation du pays, je ne cherche pas à l’être. Il faut être sérieux. Dès que Départements de France a pris connaissance de ces éléments, il y a quelques jours, je le déclare devant cette commission d’enquête, ils ont été transmis à l’ensemble de nos membres qui sont en train de préparer les budgets. Par ailleurs, nous venons seulement d’être informés de l’atterrissage concernant la TVA au titre de 2024, alors qu’en dépendent les montants versés en 2025 et que cette ressource représente 28 % de nos recettes.

Lorsque le Haut Conseil des finances publiques locales s’est réuni le 9 avril 2024 – Jean-Léonce Dupont pourra en témoigner –, le premier président de la Cour des comptes a évoqué la situation très favorable des départements en s’appuyant sur les chiffres de 2022, alors que nous avions perdu 3 milliards d’euros de DMTO en 2023. Imaginez l’incompréhension des présidents de département. On leur dit que leurs collectivités se portent bien quand leurs ressources s’effondrent.

Nous sommes en train de nous doter d’un outil de maîtrise de la donnée, dans le cadre d’un partenariat avec l’ensemble des départements, pour objectiver les situations et leur évolution mensuelle. Le RSA, l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) et la PCH (prestation de compensation du handicap) sont versés chaque mois, et nous recevons les DMTO tous les mois. La situation est dramatique, car nous ne maîtrisons plus la dépense, qui nous est imposée. Chacun doit avoir bien conscience des conséquences des décisions prises. La maîtrise de la donnée est très importante pour éviter de se réveiller demain dans une situation encore pire.

Nous avons toujours dit que nous étions prêts à consentir un effort pour rétablir les finances publiques de l’État ; mais dans le contexte actuel, l’effort qui nous a été demandé n’est ni juste ni proportionné. Le gel de la fraction de TVA est catastrophique pour nous. Sur 1 milliard d’euros, selon nos estimations, 700 millions seront à notre charge. On ne peut pas dire que c’est banal ou qu’il s’agit d’argent virtuel, comme l’a prétendu le gouvernement.

Je souhaite que, pour le prochain budget, la situation des départements soit objectivée et qu’on arrête de parler des collectivités en général – les situations sont différentes. Nous avons demandé au gouvernement de prendre l’engagement de prévoir dans le prochain PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) un partage, à parts égales, de la charge des AIS (allocations individuelles de solidarité). Je peux déjà vous annoncer une explosion de la dépense au titre de la PCH avec la prise en compte de davantage de maladies, comme celle de Charcot, et la suppression de la limite d’âge. À l’heure actuelle, les dépenses liées aux AIS ne sont compensées qu’à hauteur de 40 % – et même seulement 36 %, à peu près, pour la PCH. Nous devons faire face ensemble au choc social et à la montée des précarités dans le contexte économique actuel.

Par ailleurs, il faut travailler dès maintenant – c’est une supplique – à l’instauration d’une ressource pérenne qui permettrait d’assurer au moins les dépenses de prestations sociales. La CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) a récupéré 2,5 milliards d’euros l’an dernier ; on nous a dit royalement qu’on nous accorderait une aide de 200 millions. Plusieurs groupes politiques de l’Assemblée ont fait une proposition, qui figure aussi dans le rapport d’Éric Woerth sur la décentralisation : il s’agirait de départementaliser une part de la CSG (contribution sociale généralisée) pour tenir compte de la situation singulière de certains départements, confrontés à des afflux de population et à des fragilités sociales. Cela pourrait constituer une ressource proportionnée et stable.

Nous sommes face à un mur – je ne sais pas comment le dire autrement – mais j’ai l’impression que l’administration continue de fonctionner comme si tel n’était pas le cas. Il n’y a pas de concertation réelle, mais seulement une apparence de concertation. On nous informe des décisions tout en insistant sur le fait qu’on nous en parle – encore heureux ! Il existe un vrai problème de fonctionnement dans ce pays. Il faut qu’on redéfinisse et qu’on maîtrise le périmètre de l’action sociale.

Je pense au vieillissement. Rien n’est plus sûr que la démographie : nous savons tous qu’il y aura un afflux de personnes atteignant l’âge de 80 ans, au moins, dans nos départements. Comment ferons-nous ? La ministre m’a dit que nous devrions être contents d’obtenir 200 millions d’euros pour combler les déficits dans les Ehpad : divisez donc cette somme par le nombre de départements ! Dans le mien, l’aide à domicile est passée à 100 millions d’euros, sur un total de 600 millions. Je vais arrêter de financer les déficits des Ehpad : je ne peux plus payer, voilà la réalité. On pourra toujours dire que nous affabulons ou que nous défendons notre boutique ; je pense, pour ma part, qu’il faut redéfinir ce que nous voulons pour notre pays.

On finance des émissions qui mettent en cause notre action en matière d’aide sociale à l’enfance alors que nous prenons en charge, à la place de l’État, des multiréitérants et des jeunes délinquants que des juges confient à nos établissements parce qu’il n’y a pas de place du côté de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse). Par ailleurs, environ 28 % des jeunes qui nous sont confiés présentent des problèmes psychiatriques lourds. Mais on nous pointe du doigt ? L’État dit qu’il ferait mieux que nous ? Chiche ! Qui peut penser que le rétablissement des Ddass (directions départementales des affaires sanitaires et sociales) d’autrefois, pour traiter les situations de la même façon dans la Creuse et en Seine-Saint-Denis, serait une bonne solution ?

Je lance un appel, qui est aussi un cri du cœur : il faut mettre à plat les données et les objectiver. J’ai dit devant mes collègues que je ne participerai, personnellement, à aucun comité des financeurs tant que les données n’auront pas été stabilisées. Il est insupportable d’avoir à en débattre et de recevoir des informations au compte-gouttes, selon le bon vouloir de l’État, sans que celui-ci nous dise, ni ne mesure, les conséquences financières de ses décisions. Cela nous oblige à nous doter de notre propre outil. Vous conviendrez que nous vivons dans un monde bizarre !

Je souhaite simplement qu’on poursuive le travail ensemble. Nous ne gagnerons pas la bataille si nous ne nous entendons pas sur un état des lieux, sur ce qu’on continue à faire et ce qu’on arrête et, surtout, sur la manière de financer. Cette manière de se défausser politiquement en nous reprochant une dépense que l’on a soi-même provoquée tout en nous disant qu’il faut la maîtriser est insupportable. C’est un dévoiement de l’action politique et publique, du moins telle que je la conçois.

J’ai peut-être été un peu sévère ; vous mettrez cela sur le compte de ma passion pour nos territoires et de la défense de nos départements. Quoi qu’il en soit, nous devons avoir ensemble, parlementaires et présidents de département, une vision de la France.

M. Jean-Léonce Dupont, vice-président délégué de Départements de France. Je ne peux que confirmer les propos du président Sauvadet.

Je commence par l’absence totale de transparence et de conditions de travail sereines entre Bercy et Départements de France. Nous assistons à un simulacre de concertation. Lorsque vous êtes invité avec d’autres représentants de collectivités à un grand meeting à Bercy, vous ne recevez aucun document en amont. On projette quelques transparents sur un grand écran et on ne vous remet aucun document écrit. Puis on vous demande si vous voulez faire une remarque ou poser une question ; si vous en posez une, il n’en est absolument pas tenu compte – en l’occurrence, il s’agissait notamment de la prévision, par le ministère, de l’évolution des droits de mutation. Après la forte augmentation qu’ils avaient connue, le ministère anticipait, avec un très grand talent, une baisse de 6 % en 2023. Nous étions alors dans la première partie de l’année et la baisse atteignait déjà 15 %. Nous avons donc demandé à partir de quel modèle cette hypothèse avait été construite ; naturellement, on ne nous a pas répondu et nous avons constaté, une fois la réunion terminée, que le chiffre était maintenu. Si je voulais être très dur, j’inciterais votre commission d’enquête à demander les prévisions concernant l’évolution à trois ans des finances des collectivités territoriales qui ont été présentées ce jour-là par le ministère. On nous annonçait un état de Nirvana financier, alors qu’en réalité nous étions déjà au pied du mur. On est au-delà de l’imprévoyance – j’hésite entre incompétence et volonté de tronquer la vérité.

Lors de la suppression de la part de la taxe sur le foncier bâti que percevaient les départements, Bercy a fait une simulation nous démontrant que l’évolution sur trois ans de la TVA était plus dynamique – vous connaissez le talent de Bercy pour trouver la période de référence qui lui convient. Départements de France avait fait une simulation sur dix ans qui démontrait que la taxe sur le foncier bâti, impôt de stock, évoluait de manière plus dynamique que la TVA, impôt de flux. Naturellement, la décision de remplacer la taxe sur le foncier bâti par une fraction de la TVA a été prise. Et, deux ans plus tard, on nous a annoncé que nous ne bénéficierions pas de la dynamique éventuelle de cette dernière. Il y a eu, à mes yeux, un mensonge d’État.

J’en viens à la préparation du lancement du Haut Conseil des finances publiques locales. Nous étions tous très attachés à sa création car nous sentions bien à quel point un tel Haut Conseil était nécessaire – le Comité des finances locales n’aurait probablement pas pu faire le même travail grâce à un renforcement de ses moyens…

La présentation qui nous a été faite était, selon l’interprétation du ministère, une concertation. Le ministre de l’époque a invité les grandes associations représentatives des collectivités territoriales. Il a commencé son discours en nous disant toute sa confiance dans les collectivités locales – nous avons un peu l’habitude de ce genre de propos et nous espérons plutôt des preuves. Il nous a ensuite demandé de valider les chiffres qui nous avaient été présentés et de nous engager formellement à désendetter les collectivités locales. Enfin, il nous a dit que le ministère avait commencé à réfléchir à un système d’assurance-réassurance qui permettrait aux collectivités locales, quand elles auraient des excédents de recettes, d’anticiper.

J’ai modestement pris la parole pour répondre au ministre que j’étais très sensible à son message de confiance mais que j’attendais quelques preuves. Nous ne validerions pas les chiffres puisque nous savions déjà qu’ils étaient faux et que les simulations étaient totalement erronées. Quant à l’idée de s’engager à se désendetter, j’ai dit au ministre qu’il ne lui avait pas échappé que la strate départementale, qui avait bénéficié de ressources tout à fait convenables pendant deux ans, s’était désendettée. L’inflation était alors assez forte : la différence entre l’État central et nous était que nous nous désendettions lorsque nous avions quelques ressources supplémentaires, alors qu’il continuait à s’endetter quand il avait, avec l’inflation, des recettes plus élevées. Non seulement nous n’allions pas prendre l’engagement de nous désendetter, mais nous nous engagerions au contraire à nous endetter pour faire face à deux phénomènes : le changement climatique – qui impose des investissements – et le mur du vieillissement.

Dans les cinq à dix ans qui viennent, le baby-boom de l’après-guerre va, en effet, se transformer en papy-boom de l’état de dépendance. Un département modeste comme le mien compte 500 bénéficiaires supplémentaires de l’APA en 2025. Il faut le financer, dans le contexte décrit par le président Sauvadet. Comment fait-on ?

L’idée d’un système de réassurance était pour moi un clin d’œil merveilleux, car je m’étais battu pendant près de quatre ans avec Bercy pour faire comprendre qu’il serait pertinent de nous autoriser à mettre en réserve les excédents obtenus lorsque les recettes sont portées par un cycle dynamique, afin de pouvoir faire face ensuite aux creux et de garantir la pérennité des investissements. Quatre ans de combat et un lobbying forcené pour finir par entendre le ministre dire que ce système pourrait être généralisé ! Je lui ai répondu que nous n’étions naturellement pas opposés au principe ; mais, comme il n’avait parlé que de nos recettes, j’ai fait valoir que, Bercy étant totalement objectif, le ministère devrait aussi prendre en compte l’évolution de nos dépenses, en particulier les augmentations décidées par l’État.

Telle fut la teneur de nos échanges à l’occasion de ce que l’on a présenté comme une coconstruction, ou du moins une consultation. Il me semble que les collectivités locales procèdent différemment lorsqu’elles consultent. Nous prévenons, nous faisons parvenir les informations, nous nous mettons d’accord sur les données et ensuite nous commençons à discuter vraiment.

J’insiste sur ce point car nous assistons à quelque chose de terrible. Comme l’a dit le président Sauvadet, nous sommes vraiment au pied du mur. La situation a un côté un peu désespérant. Nous avons connu de nombreuses difficultés dans le passé, mais les départements ont su les surmonter grâce à leur agilité et à leur volonté. Cela fait penser que, lorsque nous dénonçons un problème, nous aurions en fait la capacité de le surmonter. Sauf que là nous sommes au bout du système.

Que signifie la stagnation, voire la diminution de nos recettes ? Dans mon département, la baisse des DMTO représente 50 millions d’euros de moins sur un budget de 800 millions. À cela s’ajoute l’obligation de reverser une partie des recettes de TVA qui nous sont attribuées : l’État nous les verse par douzièmes en fonction des prévisions, irréalistes, qui figurent dans la loi de finances. En 2024, j’ai ainsi dû reverser 10 millions d’euros perçus.

Dans le même temps, les charges évoluent. J’ai évoqué les effets du vieillissement, mais chaque président de conseil départemental peut aussi vous dire que, depuis la crise de la covid, nous constatons une augmentation exponentielle des signalements d’informations préoccupantes concernant des enfants, qui sont confiés ensuite à nos services. Nombre de ces enfants relèvent de la pédopsychiatrie lourde et doivent suivre un process de soins. Ils sont confiés à nos équipes, qui ne sont pas formées pour cela. Dans un certain nombre de départements, on trouve des cas dans lesquels le simple coût de sauvegarde est compris entre 100 000 et 150 000 euros par enfant, car nous sommes obligés de prévoir l’équivalent de trois postes à temps plein pour s’occuper de la surveillance, alors que cela ne relève normalement pas de notre compétence.

Et pourtant, nous faisons l’objet de leçons de morale et de jugements péremptoires aux termes desquels nous dépenserions trop. Je vous assure que c’est insupportable et que cela peut même accélérer la détérioration de notre situation. Le découragement incite quelques collègues totalement désabusés à se dire que ce n’est plus la peine d’essayer quoi que ce soit, qu’il faut au contraire laisser les choses se dégrader pour qu’on s’aperçoive au ministère de l’économie et des finances que l’évolution fatale décrite depuis des années est en train d’arriver. C’est terrible pour les élus, car nous essayons d’être responsables. Pour vous donner un exemple, notre épargne nette a baissé de 63 % entre 2022 et 2023, puis de 95 % entre 2023 et 2024 : l’accélération du rythme est extraordinaire.

Si nous ne trouvons pas une solution d’ici au budget 2027 pour assurer, dans le champ de la solidarité, un financement pérenne, des départements seront en état de cessation de paiement. Certains pourraient même l’être déjà : après avoir absorbé toutes les réserves accumulées les années précédentes, ils ont mis en place un chevauchement des dépenses d’un exercice sur l’autre – certaines dépenses intervenues en 2024 sont en réalité payées grâce au budget de 2025 –, ce qui s’appelle de la cavalerie. Ce phénomène s’amplifiera évidemment cette année dans le contexte que nous avons décrit, puis trouvera un point d’orgue en 2026. Il sera impossible d’aller plus loin en 2027 et nous connaîtrons alors des situations inédites dans lesquelles des collectivités en état de cessation de paiement seront placées sous tutelle, sachant que l’autorité de tutelle n’aura aucun moyen de redresser les choses puisqu’il n’existe plus aucun levier fiscal. Voilà ce qui nous attend, au plus tard dans deux ans. Vous comprendrez notre découragement.

M. Jean-Luc Chenut, président du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine. Pour avoir participé à ses côtés aux réunions du Haut Conseil des finances publiques locales et du Comité des finances locales, je partage en tout point ce qui a été dit par Jean-Léonce Dupont.

En octobre, on nous a montré en tout et pour tout trois diapositives à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances, alors que le soir même une carte qui n’avait pas été portée à notre connaissance était diffusée lors du journal télévisé de France 2 : elle montrait les départements éligibles à telle ou telle disposition du texte.

Pour souligner la gravité de la situation, on se réfère parfois à la crise de 2008-2009, mais celle que nous connaissons actuellement est beaucoup plus aiguë.

À l’époque, les DMTO représentaient moins de 10 % des recettes des départements ; en 2022, c’était plutôt autour de 20 à 22 %. En 2009, un département pouvait voter les taux de quatre impositions : taxe professionnelle, taxe d’habitation, taxe foncière sur les propriétés bâties et taxe foncière sur les propriétés non bâties, ce qui représentait en moyenne entre 45 et 50 % des recettes réelles de fonctionnement d’une collectivité ; en 2022, nous n’avons plus aucun pouvoir de taux.

En deux ans, 98,3 % de l’épargne nette des départements se sont évaporés. Selon les données de la direction générale de la comptabilité publique, cette épargne s’élevait à 8,3 milliards d’euros en 2022 ; au 31 décembre dernier, il n’en restait que 147 millions pour 102 départements. Dans le même temps, l’épargne nette des communes a augmenté de 8,3 % et celle des intercommunalités de 16 %, tandis que celle des régions a baissé de 44 %. Quand il y a 147 millions d’euros d’épargne nette pour 102 départements, cela signifie que la situation financière d’un grand nombre d’entre eux est négative, puisque certains départements ont quand même une épargne nette de 20 ou 30 millions. Une telle situation est totalement inédite.

Le reste à charge, qui correspond à la différence entre ce que nous recevons et ce que nous versons au titre de l’APA, de la PCH et du RSA, est globalement de plus de 12 milliards d’euros. Dans un département comme l’Ille-et-Vilaine, cela représente 140 millions, soit 15 % du budget. Celui-ci sera récessif : nous allons réduire nos investissements de 30 à 35 %, ce qui signifiera 40 millions d’euros de commande publique en moins. Nous ferons également 30 millions d’économies en matière de fonctionnement, dans tous les secteurs, y compris la culture, l’éducation populaire et le sport, ce qui implique des emplois en moins. C’est impératif pour maintenir un tout petit équilibre budgétaire dans le contexte actuel. La filière du BTP (bâtiment et travaux publics) va être très durement touchée par ces choix, que feront de très nombreux départements.

On nous parle de sincérité budgétaire, mais on oublie que nous pouvions auparavant nous appuyer sur des bases garanties. Nous avions parfois un petit bonus de 1 ou 2 % en fin d’année grâce à ce qu’on appelait des rôles supplémentaires. Désormais, rien n’est acquis. Les DMTO sont extrêmement volatils, et les pertes s’élèvent à 5,5 milliards en deux ans. On nous notifie des recettes de TVA en début d’année, mais elles sont réduites en cours d’exercice, pour 15 millions d’euros dans le département de l’Ille-et-Vilaine. Par ailleurs, deux mesures de ponction figurent dans la loi de finances : le gel des fractions de TVA qui nous sont affectées et le dispositif de lissage conjoncturel, dont le joli nom ne peut masquer qu’il s’agit d’un prélèvement de 220 millions – montant supérieur aux 147 millions d’épargne nette qui nous restent.

S’agissant des estimations des DMTO, nous sommes bien obligés de nous en remettre aux hypothèses retenues par ceux qui analysent la conjoncture économique, mais sans avoir aucune garantie. Nous avons constaté lors des deux dernières années combien les évolutions pouvaient être brutales, les départements ayant tous perdu entre 30 et 35 %. L’exercice est donc d’une très grande difficulté.

Le vieillissement de la population entraîne chaque année une augmentation de 3 ou 4 % du nombre de bénéficiaires de l’APA. L’élargissement de la PCH a conduit à une augmentation de 10 % dès la première année, sans aucune mesure de compensation. Le Ségur de la santé a fait l’objet d’un arrêté publié au mois de juin, avec effet rétroactif au 1er janvier, sans le moindre euro de compensation. Enfin, le nombre de jeunes confiés aux départements a augmenté de 50 à 60 % en dix ans. Nous avons une obligation de résultat et nous sommes pointés du doigt lorsque nous n’arrivons pas à suivre la cadence des mesures de placement.

M. Nicolas Fricoteaux, président du conseil départemental de l’Aisne. Jean-Léonce Dupont a estimé que d’ici à 2027 beaucoup de départements feraient face à un mur pour se financer. En réalité, certains sont déjà dans cette situation – et le département de l’Aisne en fait partie.

Le financement des départements est particulièrement injuste et inéquitable. Ceux qui en ont le plus souffert sont ceux qui se trouvent devant le mur budgétaire dès cette année. Certains ont peut-être encore un peu de marge, mais ils finiront par arriver à la même situation.

Le département de l’Aisne cumule les fragilités, avec un taux de pauvreté excessivement élevé, un taux de chômage de pratiquement 11 %, très au-dessus de la moyenne nationale, et des mesures de protection de l’enfance qui sont supérieures de 50 % à ce que l’on constate partout ailleurs en moyenne.

Nous avons aussi des problèmes liés à l’autonomie en raison du vieillissement de la population. L’Aisne est un département majoritairement rural, qui compte le plus de communes en France – 800 –, juste après le Pas-de-Calais. Tout cela nécessite d’irriguer le territoire grâce à une longue voirie – la douzième ou la treizième dans notre pays – et d’aider de nombreuses communes.

Comme le financement des politiques sociales n’était pas à la hauteur des coûts, nous avons dû progressivement nous endetter davantage que d’autres départements afin de pouvoir investir. Nous avons aussi dû augmenter la fiscalité puisqu’il fallait bien faire face à l’explosion des dépenses sociales.

Tout cela s’est sédimenté et s’est ajouté aux difficultés de financement. Notre épargne nette était tout juste à l’équilibre, voire négative. Depuis deux ou trois ans, elle est négative, avec une capacité de désendettement comprise entre vingt et trente ans, selon que l’évolution des recettes de DMTO est plus ou moins favorable.

L’an dernier, nous avons voté un budget en déséquilibre de 22,5 millions d’euros afin d’alerter l’État. Cette somme correspondait à ce qu’il nous manquait pour équilibrer le budget lorsque nous l’avons construit en avril. Il faut une réforme structurelle du financement des départements et nous espérions qu’elle pourrait aboutir rapidement ou du moins être lancée.

Nous avons bien sûr entendu les propositions d’Éric Woerth, qui allaient pour certaines dans le bon sens et nous donnaient l’espoir d’avoir un financement adapté aux politiques qu’on nous demande de mener à la place de l’État – parce que tout le sujet est là. En l’absence de décisions faisant suite à ces propositions, nous n’avons pas eu le fonds d’aide que nous espérions. Nous avons donc dû reporter des dépenses et arrêter certaines politiques. Nous avons utilisé les excédents qui nous restaient, soit 15,5 millions d’euros.

En 2025, nous n’avons plus d’excédents et nous allons finir l’année avec 1 million d’euros – autant dire rien. Et encore : si l’on joue sur les restes à réaliser, nous arrivons à – 1 million. Nous devrions en réalité être à zéro. Il nous manque déjà 15 millions.

La loi de finances conduit à une baisse de 5,6 millions de nos recettes issues de la TVA par rapport à la dynamique espérée. Les départements les plus pauvres sont les plus touchés par l’absence de dynamisme de la TVA, car ce sont eux qui avaient la fiscalité la plus élevée. Ceux dont la fiscalité était peu élevée ont globalement un peu moins de TVA, alors que nous en recevons beaucoup pour compenser la perte de notre importante fiscalité sur le foncier bâti. À cela s’ajoutent les évolutions concernant le fonds de sauvegarde – nous perdons à ce titre autour de 6,7 millions d’euros – et la péréquation. Nous démarrons l’année avec 18 millions en moins, tant du fait de l’absence de décisions que de certaines décisions prises, comme celle concernant la CNRACL.

Je suis en train de réfléchir à un budget qui reporte l’effort de fin d’année sur 2026. Je ne sais pas comment faire autrement. Je discute avec les collaborateurs de l’Élysée et du premier ministre ainsi qu’avec la préfète, mais en fait on n’a pas de solution, et ils ne sont pas près de m’en donner. Nous arrêtons donc beaucoup de politiques de soutien dans un territoire qui en a pourtant besoin. Les territoires où il faudrait le plus de moyens en matière d’action publique sont en réalité ceux qui en ont le moins. On le constate chez nous : il y aura de moins en moins d’action publique pour soutenir des associations qui agissent sur le terrain et des communes, pour qu’elles rendent des services d’une manière à peu près équitable partout. Nous serons de moins en moins attractifs et nous aurons de moins en moins de recettes de DMTO. Nous allons augmenter leur taux, mais cela représente à peine 2 millions d’euros de recettes supplémentaires, alors que l’absence de dynamique en matière de TVA conduit à une baisse de 6 millions. La difficulté n’est pas pour 2027 ; elle est déjà là en 2025.

Il nous faut absolument des prévisions de recettes stables et connues à l’avance. Mais il faut aussi que les dépenses obligatoires soient mieux financées par la solidarité nationale. L’augmentation des cotisations employeurs à la CNRACL fait peut-être partie des questions dont nous devons encore discuter au sein de Départements de France. Plus globalement, le problème concerne moins la compensation que le reste à charge, c’est-à-dire le coût final pour la collectivité. Si le taux de compensation est de 50 % pour tous les départements, cela ne veut pas dire que le reste à charge est égal. Certains départements connaissent, par exemple, peu de problèmes en matière d’autonomie. Il faut regarder la question à travers le prisme du reste à charge, par rapport aux recettes dont on dispose, plutôt qu’à travers le prisme de la compensation. Si on ne prend pas en compte les différences de contexte social, d’un département à l’autre, on n’arrivera jamais à rendre équitable le financement.

Ce sont des sujets essentiels et il faut travailler très vite à une réforme. Il faut aussi donner des réponses immédiates aux départements qui ne bénéficient pas de l’aide d’un fonds de soutien, car ils voient encore reculer le moment où ils percevront des recettes nécessaires pour financer les dépenses. Cela va encore accentuer la difficulté en 2026 et 2027.

M. le président Éric Coquerel. Merci pour ces interventions longues mais précieuses. Votre audition répond bien à ceux qui doutent de l’utilité de cette commission d’enquête. Celle-ci a pour objet non seulement de savoir ce qui s’est passé, mais aussi de comprendre comment les choses pourraient encore s’aggraver si rien n’est fait. Comme vos opinions politiques sont différentes, votre description de la situation peut difficilement être contredite – c’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle certains groupes ne sont plus présents dans cette salle.

J’ai bien compris votre cri du cœur et le fait que nous étions face à un mur. J’espère que des journalistes nous écoutent, car tout cela me semble utile.

En septembre dernier, les ministres nous ont annoncé un « dérapage » de 16 milliards d’euros des dépenses locales, ce qui leur a permis de dénoncer la responsabilité des collectivités dans la dégradation du déficit public. Mais, comme nous l’avons vu, ce montant était erroné.

Quant à l’absence de respect de la trajectoire des finances locales, les auditions ont montré qu’il s’explique très largement par l’irréalisme des hypothèses du gouvernement. La diminution annoncée de 0,5 % en volume des dépenses de fonctionnement était incompatible avec les nouvelles dépenses des collectivités décidées par le gouvernement – le président Sauvadet l’a bien expliqué. C’était également incompatible avec des enjeux qui ont été sciemment ignorés, comme la nécessité d’investir pour la bifurcation écologique.

Pouvons-nous conclure que la prévision de baisse des dépenses locales était un moyen de présenter une trajectoire des finances publiques qui s’améliorait sans remettre en cause la politique économique et fiscale menée depuis 2017 ?

M. Jean-Léonce Dupont. Vous évoquez un « dérapage » des finances locales et son effet sur le déficit public. Or je rappelle que le déficit public en question est celui de l’État et que le budget des collectivités est obligatoirement équilibré. Les dépenses des collectivités ont tout au plus pu augmenter davantage que selon la trajectoire prévue.

M. le président Éric Coquerel. Vous avez bien compris que je n’endossais pas le terme « dérapage ».

M. Jean-Léonce Dupont. Tout à fait. Et ce n’est pas la gestion des collectivités locales qui a entraîné une augmentation du déficit public de l’État.

L’objectif de 0,5 % correspond à des demandes extérieures, qui relèvent peut-être d’un niveau supranational. Cet objectif n’avait aucun sens et nous avons expliqué qu’il n’était pas tenable. En effet, entre 60 et 70 % du budget de fonctionnement des départements est consacré à des dépenses non pilotables. Par exemple, nous ne décidons pas du montant des allocations individuelles de solidarité, ni du nombre de leurs bénéficiaires.

Pour combler le puits sans fonds du déficit de l’État, le même effort est demandé aux régions, aux départements et aux grandes collectivités locales. Ce n’est pourtant pas la même chose de subir un prélèvement de 2 % quand on pilote l’intégralité des dépenses de fonctionnement et quand, comme c’est le cas des départements, on n’en pilote que 30 %. Ne pas prendre en compte l’effet pour les départements des politiques de solidarité est une ineptie ou une malhonnêteté intellectuelle.

En outre, l’objectif de réduction des dépenses de 0,5 % ne tient pas compte de l’évolution de la démographie. Dans un département comme le mien, comment faire quand on a 500 bénéficiaires supplémentaires de l’allocation personnalisée d’autonomie par an ? Un tel objectif n’a aucun sens. Ces exigences sont hors de la réalité.

M. François Sauvadet. Effectivement, les trajectoires demandées sont insensées. Elles devraient être déterminées par strate de collectivité.

Nous avons obtenu un retraitement des dépenses concernant les AIS (allocations individuelles de solidarité) et l’ASE (aide sociale à l’enfance). Si on retire ces prestations, nous avons respecté la trajectoire de 0,5 %.

J’aurais également souhaité que le montant du financement des Sdis (services départementaux d’incendie et de secours) soit retraité, notamment après la décision de revaloriser la prime de feu. Ce sont les départements qui ont fourni tous les efforts supplémentaires, puisque la contribution des communes au financement des Sdis ne peut croître plus vite que l’inflation.

Après que le chef de l’État nous a reçus à l’Élysée, la création d’un fonds pour l’achat de camions de pompiers a été annoncée dans le cadre des premiers travaux du Beauvau de la sécurité civile, face aux risques accrus d’incendie et d’inondation. Finalement, nous avons dû doubler ou tripler la mise de l’État. Or quel retraitement est prévu ?

Je suis prêt à travailler avec la commission des finances pour objectiver les données mois par mois. Nos dépenses, comme nos recettes – qui sont fragiles –, évoluent très rapidement, d’un mois sur l’autre. Un pilotage très fin est donc nécessaire. Or l’État refuse de prendre en compte le caractère particulier de notre situation et il charge la barque. Je le dis très simplement : il faut arrêter car elle coule.

M. le président Éric Coquerel. Comment expliquez-vous l’irréalisme des prévisions ? Est-ce un problème technique, d’incompétence, de modèles, ou une volonté d’améliorer la trajectoire pour les années à venir ?

M. François Sauvadet. Il y a un problème en ce qui concerne la mise à disposition des données, notamment pour les AIS. Nous nous battons depuis un an et demi sur cette question. Rendez-vous compte : alors que nous abordions l’examen du projet de loi de finances, j’ai été obligé d’étudier moi-même tous les comptes départementaux pour démontrer à l’État, qui ne voulait pas nous fournir la donnée, que dans 40 ou 50 % des départements, la marge brute s’établissait à un niveau identifié comme préoccupant, ou dangereux.

Par ailleurs, je l’ai dit tout à l’heure, on a utilisé 2022 comme année de référence pour évaluer le produit des DMTO en 2024 et servir de base pour 2025. Nous avons un problème d’objectivation des données, alors que le montant de nos dépenses et de nos recettes évolue très vite, notamment en raison des décisions qui sont prises.

Ce sont mes collègues qui en décideront, mais je n’ai pas l’intention de participer au comité des financeurs de l’action sociale qui doit se tenir prochainement si les données dans ce secteur n’ont pas été stabilisées au préalable.

M. le président Éric Coquerel. Pour 2023 et 2024, les prévisions de recettes ont été surestimées par Bercy. Ainsi, celles pour l’impôt sur les sociétés en 2023 sont passées de 55 milliards d’euros en loi de finances initiale à 67 milliards d’euros dans le programme de stabilité présenté en avril 2023. L’exécution – 57 milliards d’euros de recettes – s’est finalement avérée légèrement supérieure à la prévision initiale, mais reste éloignée de celles qui ont suivi, notamment celle de 61 milliards dans le PLFG (projet de loi de finances de fin de gestion) pour 2023.

Les droits de mutation à titre onéreux, qui constituent une recette importante pour les départements, sont aussi concernés par cet excès d’optimisme. Lors de l’élaboration de la prévision, avez-vous été consultés ? Départements de France a-t-elle alerté les ministres en cours d’année que les prévisions n’étaient pas en phase avec la crise immobilière ? Si oui, quand ?

M. Jean-Luc Chenut. Nous suivons ces chiffres mois par mois. Dès la fin de l’année 2022, nous avons constaté un tassement très net et même dans certains cas un début de décroissance des DMTO, après une période de croissance forte. La plupart des départements, dès leur budget pour 2023, ont donc prévu des abattements allant de 5 à 10 %. Nous n’imaginions pas une diminution de 3,7 milliards du montant.

Nous avons un peu de mal à penser qu’il s’agit d’un problème de compétence. Tous les éléments ont été expertisés. La Cour des comptes, dans ses rapports annuels de 2023 et 2024 sur les finances publiques locales, a évoqué la singularité de la situation des départements.

Concernant la régulation des dépenses de fonctionnement, chacun connaît la spécificité structurelle du budget des départements. C’est le seul échelon où, en moyenne, 80 % des dépenses sont dites de fonctionnement – ce qui comprend des prestations et des allocations. Par contraste, une métropole peut consacrer 50 % de ses dépenses aux investissements, pour les transports en commun par exemple. Nous sommes cadrés pour la totalité des dépenses, même si nous n’en définissons ni le périmètre, ni les critères, ni les montants.

M. Jean-Léonce Dupont. Dès le second semestre 2022, nous savions que la courbe des recettes des DMTO s’inversait. Au cours de la réunion que j’évoquais tout à l’heure, au premier semestre 2023, les services de Bercy évoquaient une baisse de ces recettes de 6 %. Nous avons indiqué qu’elle serait au moins de 15 %, mais il n’en a absolument pas été tenu compte. La baisse a finalement été encore plus marquée.

Concernant la TVA, lorsque la loi de finances pour 2024 a été votée, j’ai discuté avec des responsables budgétaires du département de l’opportunité de retenir le taux de croissance inscrit dans la loi de finances, car certains d’entre nous étaient convaincus que ce chiffre ne serait pas atteint. Au bout du compte, nous l’avons retenu. Puis, comme nous avons terminé l’année 2024 avec une progression de 0,8 %, nous avons dû reverser l’excédent perçu dans le cadre des douzièmes.

M. François Sauvadet. Cela fait deux ans et demi qu’en tant que président de Départements de France, j’alerte chacun des membres des gouvernements successifs. Encore hier, alors que la ministre des sports évoquait les piscines itinérantes prévues dans le cadre du plan Aisance aquatique, j’ai indiqué que les départements ne pourraient plus répondre aux appels à projets. Même si je partage les objectifs de solidarité et de cohésion nationale, je ne participe plus à aucun appel à projets en tant que président de département, car cela engagerait des dépenses supplémentaires.

M. Jean-Luc Chenut. Certains dispositifs sont très pernicieux. Lors de l’annonce de la création du Dilico, nous avons d’abord pensé que ce dispositif reposerait sur une réfaction de ressources. Finalement, ce ne sera pas le cas. L’État affichera des concours financiers stables, mais nous obligera à payer un mandat en fin d’année. Celui-ci sera de 7,5 millions d’euros pour l’Ille-et-Vilaine, ce qui représente 0,7 % de croissance des dépenses réelles du département. Ainsi, non seulement nous serons taxés, mais on pourra dire que nous avons laissé le montant des dépenses réelles de fonctionnement déraper. C’est pernicieux : lorsqu’on fera des analyses globales, ces sommes seront considérées comme des détails, elles se perdront dans la masse. Les 220 millions d’euros du Dilico compteront comme des dépenses des départements.

M. François Sauvadet. Et cela concernera 50 % d’entre eux.

M. le président Éric Coquerel. Vous avez évoqué la diminution de l’épargne brute des départements, liée notamment au remplacement des impôts locaux par la TVA dans les recettes, et la nécessité de solutions financières pérennes, comme celles proposées par M. Woerth. Le problème n’est-il pas dû avant tout à la suppression d’impôts locaux ?

M. Nicolas Fricoteaux. Le problème est que la fiscalité locale, notamment dans les départements les plus pauvres, a servi à financer une solidarité qui relevait du niveau national. Les départements qui devaient accompagner le plus dans ce domaine ont nécessairement actionné le levier fiscal – l’Aisne a dû le faire, par exemple. Ils sont devenus moins attractifs puisqu’ils pouvaient moins investir dans les infrastructures, en raison de la part des dépenses sociales, et parce qu’ils avaient des taux de fiscalité élevés, donc répulsifs. Il y a eu moins d’implantations d’entreprises car le foncier bâti était plus cher.

Recourir à la fiscalité locale ne pose pas de problème dès lors qu’elle finance du volontarisme et qu’elle permet de mener des politiques sociales différenciées dans les départements, par exemple pour aider davantage dans le cadre de l’APA. On peut tout à fait mobiliser la fiscalité locale, mais il faudrait d’abord qu’un socle national soit assuré dans tous les territoires, de façon équitable, en matière de solidarité.

M. François Sauvadet. Nous n’avons jamais demandé la suppression du levier fiscal que nous avions avec la taxe sur le foncier bâti. Dès l’annonce de son transfert, à la suite de la suppression de la taxe d’habitation, nous avons fait part de notre profonde inquiétude : tout disparaissait en matière de levier fiscal. J’ai été élu président de conseil départemental en 2008 : je me souviens encore du choc qu’a constitué la crise des subprimes, alors que nous n’avions pas de prise sur les dépenses.

Nous subissons les conséquences de décisions auxquelles nous n’avons pas été associés. C’est paradoxal : on nous reproche une dépense décidée pour l’essentiel par l’État ! L’inquiétant est que le film continue : l’État nous demande un effort de 1 milliard d’euros cette année. Il faut arrêter de charger la barque en matière de dépenses et réexaminer toutes les politiques sociales pour voir comment on pourra les financer dans la durée.

Nous sommes pieds et poings liés face à l’État. Il gèle les montants de nos dotations, mais fait chauffer le moteur de la dépense. Ainsi, nous avons la tête dans le four et les pieds dans le frigo : la température moyenne est normale, mais nous ne sommes pas pour autant en très bonne santé.

M. Jean-Luc Chenut. La suppression de la taxe d’habitation coûte 24 milliards d’euros, en valeur actualisée, aux finances publiques locales. L’État compense cette perte en attribuant une part de la TVA aux collectivités locales, mais c’est autant d’argent dont il se prive pour son budget et cela explique une partie du déficit.

Les départements ont été étonnés d’être pris à témoin dans le débat sur la suppression de la taxe d’habitation, parce qu’ils n’en percevaient pas le produit, contrairement aux communes. Nous ne demandions donc rien.

M. Jean-Léonce Dupont. Je rappelle que nous ne respectons plus la Charte européenne de l’autonomie locale, qui prévoit qu’une partie du financement des collectivités locales doit être constituée de ressources propres. L’État avait mis plus de vingt ans à ratifier cette charte.

Globalement, nous sommes plutôt favorables aux impôts locaux, car ils permettent de maintenir un lien entre les moyens dont les collectivités disposent pour gérer les affaires publiques et les citoyens. Il est évident qu’une vraie difficulté apparaît lorsqu’il n’existe plus aucun lien en la matière.

M. le président Éric Coquerel. Monsieur Sauvadet, vous avez remercié l’Assemblée nationale d’avoir adopté des mesures tenant compte des départements en difficulté lors du débat budgétaire, puis vous avez regretté qu’elles ne figurent pas dans le texte finalement voté. Or le problème est qu’il n’a pas été voté. Autrement, la question aurait peut-être été prise en compte.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous avez dressé à raison un constat très sombre de la situation des départements. Je le sais pour avoir présidé pendant neuf ans un département et pour présider désormais sa commission des finances.

Revenons à l’objet de notre commission d’enquête. Votre signal d’alarme devra être entendu. Vous avez rappelé que les collectivités votent des budgets à l’équilibre. J’ai donc eu du mal à comprendre pourquoi un ancien ministre de l’économie et des finances vous accusait d’une grave dérive financière qui aurait dégradé les comptes publics de la nation.

Conformément aux règles européennes, le besoin de financement des collectivités est enregistré comme un déficit public alors que ce n’en est pas un – il n’est en rien comparable au déficit considérable de l’État, ou à celui, plus modeste mais néanmoins important, des administrations de sécurité sociale. Départements de France et les autres associations de collectivités locales pourraient refuser cette dialectique erronée. Les comptes des collectivités locales sont à l’équilibre, même si leurs besoins de financement peuvent être couverts par de la dette, notamment pour les investissements indispensables dans les infrastructures.

M. Jean-Léonce Dupont. Je ne peux qu’approuver vos propos. La présentation budgétaire sert un message politique totalement faux, selon lequel les collectivités seraient responsables de l’approfondissement du déficit de l’État.

En outre, il faut arrêter de fixer des objectifs inatteignables en connaissance de cause, puis de nous dire qu’il est très mal de ne pas les respecter. Je pense à l’objectif de réduction de 0,5 % des dépenses ou encore à l’obligation de sortir du parc locatif les logements classés F ou G lors de leur dernier diagnostic de performance énergétique.

En tant que président d’un office HLM, j’ai calculé le coût des travaux de remise à niveau nécessaires en multipliant le coût moyen pour un appartement – 20 000 euros – par le nombre de logements. C’est totalement impossible à financer dans les délais impartis et je pense que la conclusion serait la même si le calcul était fait au niveau national. Les services de l’État me demandent où nous en sommes – ils m’indiquent que nous n’atteindrons pas l’objectif a priori. Naturellement, et je l’ai dit dès le départ !

Quelle est la mécanique ? On fixe un objectif inatteignable, on constate qu’il n’est pas atteint et on doit donc trouver un responsable. Bien sûr, c’était extraordinaire politiquement et médiatiquement de fixer l’objectif, même s’il était en fait inatteignable : on allait agir ! Et quand on n’y arrive pas, c’est la faute des autres.

Il faudrait simplement, comme je m’y emploie au niveau local, faire le maximum du possible, y compris en matière d’évolution des dépenses, suivant des faits objectifs et de manière différenciée selon les strates, afin d’obtenir des résultats correspondant aux objectifs et de ne pas induire l’idée que de mauvais gestionnaires seraient aux responsabilités.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Le Haut Conseil des finances publiques locales s’est réuni deux fois, en septembre 2023 et en avril 2024. Quels objectifs ont été fixés lors de ces réunions ? Des mécanismes de maîtrise de la dépense locale vous ont-ils été proposés ? Le cas échéant, pourquoi n’ont-ils pas été instaurés ?

M. Jean-Luc Chenut. Nous ne sommes pas sortis de ces réunions plus éclairés que nous y étions entrés. C’était un tour de table très institutionnel – vous avez vu, monsieur le président, comment cela s’est passé. Chacun a eu un peu de temps pour s’exprimer et je crois que nous avons dressé un état des lieux fondé et argumenté.

Nous avons été un peu déçus. L’assistance n’était guère nombreuse lors de la première réunion. Il s’agissait, selon le ministre, d’un acte de refondation d’une relation partenariale avec les collectivités, ce qui nous semblait plutôt de bon augure. Toutefois, à la sortie de la réunion, nous étions extrêmement perplexes. La perspective d’une nouvelle forme de contractualisation a été évoquée, mais nous avons d’emblée annoncé que nous ne voulions pas des contrats aussi léonins que ceux de Cahors, édictés d’une façon assez unilatérale. Il ne s’est rien passé ensuite.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous avez parlé des nouvelles charges – nombreuses – qui vous ont été imposées. Quelle est votre évaluation du coût global des MNA pour les départements ? Combien en accompagnez-vous ?

M. Jean-Léonce Dupont. La dépense est de l’ordre de 2 milliards d’euros, en incluant les jeunes majeurs – jusqu’à 21 ans.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Qu’en est-il du nombre de MNA que vous accompagnez ?

M. Jean-Léonce Dupont. Ils sont autour de 45 000.

M. François Sauvadet. De manière générale, nous sommes confrontés à une vraie difficulté sociale en matière de prise en charge de l’enfance. L’an dernier, le nombre d’enfants de moins de 3 ans accueillis dans les départements a pratiquement doublé, ce qui est extrêmement préoccupant. Les dépenses consacrées à l’ASE, dans ses différentes composantes, y compris la protection des mineurs non accompagnés, dans les conditions que vous savez, ont dépassé 10 milliards d’euros.

Nous avons eu de nombreux échanges avec le gouvernement et l’État, mais aussi entre nous, pour établir une doctrine de prise en charge des MNA. Nous avons également été en contact étroit avec vous, monsieur le rapporteur, lors de l’afflux de MNA il y a deux ans – votre département était en première ligne, puisque l’essentiel du mouvement migratoire passait par l’Italie. Le rythme s’est ensuite ralenti l’an dernier.

M. Jean-Léonce Dupont. La compensation de l’État est de l’ordre de 5 % pour les dépenses de mise à l’abri et d’évaluation. Nous avons eu des discussions au sujet du coût réel : l’État justifie son approche forfaitaire par des différences en matière de coût et d’évaluation d’un département à l’autre – je n’en dirai pas plus.

M. Jean-Luc Chenut. En Ille-et-Vilaine, les dépenses liées aux mineurs non accompagnés représentent environ 15 % du total des dépenses de protection de l’enfance.

M. Éric Ciotti, rapporteur. On a beaucoup entendu dire – et je regrette, à cet égard, que des membres de notre commission qui ont posé beaucoup de questions sur les collectivités locales soient moins présents aux auditions de leurs deux grandes associations – que ces collectivités avaient une grande part dans l’augmentation de la dérive des finances publiques. Or, comme vous l’avez rappelé, en matière d’épargne brute, les strates communale et intercommunale ne sont pas dans la même situation que les départements. Ma question, peut-être un peu naïve, est donc de savoir comment interpréter la pression mise sur les départements, qui sont clairement le maillon le plus fragile, compte tenu de leurs dépenses, en particulier des dépenses sociales liées à la mission de solidarité qui est en quelque sorte transférée de la nation vers l’échelon local : cela ne recouvre-t-il pas une volonté de supprimer cet échelon en l’asphyxiant complètement ?

Depuis des années, en effet, deux échelons sont à la mode : les régions et les intercommunalités, qui dépensent sans compter – en particulier l’échelon intercommunal et les métropoles –, tandis que les départements sont pressurisés. Vous avez pris des décisions auxquelles, personnellement, je ne souscris pas toujours, notamment pour l’augmentation des droits de mutation, bouée de sauvetage que certains départements vont employer. Les Alpes-Maritimes ne le feront pas, car nous considérons que cette mesure pèsera encore plus sur un secteur de la construction et du logement en quasi-faillite, et qu’elle risque d’entraîner des effets encore plus négatifs sur les recettes globales des DMTO et surtout sur l’apport essentiel – presque 100 milliards d’euros – du secteur de l’immobilier à notre richesse nationale. Par ailleurs, j’ai parfois contesté aussi la péréquation horizontale, qui a opposé les départements entre eux.

Même si cette question sort un peu du champ de la commission d’enquête, quelle réaction envisagez-vous pour mettre fin à ces attaques récurrentes ?

M. François Sauvadet. S’agissant de l’asphyxie, on peut toujours s’interroger, en effet. Certains pensent qu’il y a trop d’échelons et la suppression de l’échelon départemental est pour eux une évidence – je pense à certains membres de la haute technocratie que nous connaissons bien. Cette idée doit être rangée dans les placards, car on a bien vu, depuis les gilets jaunes et les différentes crises qui se sont succédé, que l’échelon du département est redevenu, du moins aux yeux des décideurs publics, celui de la proximité et de l’action.

Je pense toutefois qu’il y a un vrai dysfonctionnement public dans notre pays et qu’on est en train de laisser dériver la dépense. Avec la succession des ministres – six ministres de la santé et pratiquement autant dans le médico-social –, la machine s’est enclenchée et continue de tourner. On ne peut plus affirmer aujourd’hui que personne ne savait : je dis depuis des mois que, pour maîtriser la dépense, il faut d’abord appuyer sur la touche « pause ».

Je viens d’apprendre qu’on va faire sauter le verrou de l’âge pour le versement de la PCH aux personnes atteintes de la maladie de Charcot. C’est légitime, mais qui va payer ? Nous allons voir la PCH exploser. Dans un département comme le mien, qui a un budget de 600 millions d’euros, cette prestation représente 100 millions et je suis certain qu’on va en prendre pour 15 millions dans les mois qui viennent – je vous donne rendez-vous dans un an. La machine est devenue infernale : les décisions se prennent sans que nous en soyons informés, ou alors au dernier moment, et on appelle cela de la concertation ou de la consultation. On ne peut pas continuer comme cela.

Le réveil sera brutal – pour l’instant, ça passe encore. Si vous avez aimé ce qui s’est passé avec la crise des gilets jaunes, vous aller aimer aussi le moment où nous ne pourrons plus financer l’aide aux communes dans l’ensemble du pays ni continuer d’assurer la gestion de nos routes. À ce jour, j’ai réduit de 10 millions d’euros les crédits destinés à l’entretien des routes, et je vais continuer. Vous avez déjà regardé des émissions qui alarment tout le monde en montrant l’état de ponts qu’on n’a pas remplacés, mais vous allez voir ! Cela peut arriver même dans l’Oise – car certains départements sont présumés riches, si l’on écoute le ministre chargé des collectivités. J’ai de l’affection pour lui et du respect pour le gouvernement de la France, mais on ne peut quand même pas laisser dire, à propos de l’augmentation de 0,5 % des droits de mutation à titre onéreux – que j’assume –, qu’il y a encore des départements riches.

Je respecte la position de M. Ciotti, que je serais même tenté de partager. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons dit que nous allions prendre ce qu’on nous donne : nous ne pouvons plus faire face. La question de fond directement posée à tout le monde est de savoir comment nous allons faire dans les temps qui viennent. Personne aujourd’hui ne peut dire : « Je ne savais pas ».

M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le rapporteur, j’ai du mal à penser que vous puissiez être naïf. Je voudrais faire passer un message : cet étranglement financier peut s’assimiler, si la situation perdure, à un assassinat financier. Et le pire, c’est que nous connaissons les assassins.

Cet assassinat financier tient probablement à l’idée qu’ont encore certains que la suppression d’une strate serait la solution. Or si nous supprimons la strate départementale, sachant que le coût du fonctionnement de l’assemblée de cette collectivité, qui comprend notamment les indemnités des élus, est de l’ordre de 0,15 % à 0,20 % du budget départemental, il n’y aura plus d’élus pour gérer efficacement et avec agilité, mais le champ du social demeurera : qui le gérera ? Doit-il remonter au niveau de l’État, dont on connaît les déficits ? Redescendre au niveau d’intercommunalités de 15 000 habitants qui devront alors gérer le handicap et la dépendance ? C’est impensable. La question doit-elle donc remonter à la région, dont on a vu l’efficacité et l’agilité pour gérer, par exemple, certaines problématiques de proximité lors du transfert de la compétence en matière de transport scolaire ? En tout cas, la dépense demeure.

Les routes, comme le souligne M. Sauvadet, seront de moins en moins entretenues et certaines d’entre elles seront barrées parce que des ouvrages d’art deviendront dangereux. Que traduit la volonté de décentraliser quelques centaines de kilomètres de routes nationales ? En réalité, l’État est incapable d’entretenir ce réseau national. Il déclare donc qu’il ouvre un axe supplémentaire de décentralisation. La logique eût voulu, puisque nous entretenons 400 000 kilomètres de routes, que l’on confiât cette responsabilité à la strate départementale, avec les moyens correspondants. Après consultation des départements qui accepteraient cette compétence, on nous a demandé de nous prononcer sans même nous faire connaître les mesures de compensation prévues.

Nous avons répondu, dans un premier temps, que nous ne nous prononcerions pas sans connaître ces mesures. On nous a donc indiqué, dans un deuxième temps, que puisque la France était le pays de l’égalité et de la justice, on procéderait en divisant les investissements par le nombre de kilomètres de routes. Il n’échappera à personne que certains départements, dans des zones de montagne par exemple, comptent des ouvrages d’art plus importants que d’autres, situés en plaine : au nom de l’égalité absolue, les départements de plaine allaient donc recevoir proportionnellement beaucoup plus. Devant cette situation, de nombreux départements qui, dans une logique de compétences, auraient voulu prendre celle-ci, l’ont refusée – moins d’une vingtaine l’ont prise.

Toutefois, l’État ayant la volonté de se décharger, il a sollicité les régions, de telle sorte que certaines d’entre elles, gérant quelques dizaines, voire quelques centaines de kilomètres, ont dû créer des services et toute une ingénierie, alors qu’on se bat pour obtenir des ingénieurs. Et lorsque cela ne marchait pas, et que les régions non plus ne voulaient pas de cette compétence, on s’est tourné vers les métropoles.

Ceux-là mêmes qui vous expliquent qu’il faut simplifier et rendre cohérent le champ des compétences ont, pour des raisons de transferts de charges plutôt que de décentralisation, transféré tantôt à la métropole, tantôt à la région et tantôt au département une compétence que l’État central est dans l’incapacité d’assumer. Voilà notre réalité.

Qui va entretenir les routes ? Qui va assumer le social et les collèges ? Dans mon département, le rapport entre la dotation que j’ai reçue de l’État pour l’investissement dans les collèges et ma dépense réelle est de 1 à 10 – c’est-à-dire que je dépense dix fois ce que l’État a compensé au moment du transfert des collèges. Pensez-vous que, si cette compétence remonte aux régions ou à l’État central, on supprimera la dépense ?

En réalité, supprimer la strate départementale ferait économiser 0,20 %, correspondant aux dépenses de gestion de l’assemblée, et ferait perdre la volonté, le courage et l’agilité des acteurs locaux pour gérer des compétences dont on imagine que la recentralisation se traduirait par un déficit encore plus grand au niveau de l’État central.

M. le président Éric Coquerel. Pour ma part, je suis plutôt de ceux qui ne veulent pas supprimer les communes et les départements. Ce que vous décrivez ressemble à un transfert d’austérité consistant à mettre la poussière sous le tapis.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Vous êtes face à un mur ! Sur de nombreux bancs, nous avons été outrés d’entendre répéter depuis le début des travaux de cette commission d’enquête par les ministres, par la Cour des comptes et par un certain groupe politique que les collectivités étaient en partie responsables du déficit excessif de l’État.

Monsieur Dupont, à l’issue de la réunion où vous avez contesté les chiffres qui vous étaient présentés, avez-vous fait remonter votre désaccord jusqu’au gouvernement afin de signaler que les départements connaîtraient un dérapage conséquent ?

M. Jean-Léonce Dupont. Je vous invite à vous faire communiquer les tableaux qui nous ont été présentés lors de cette réunion ; selon eux, grosso modo, nous n’aurions pas su quoi faire de nos excédents en 2028 ! Nous n’avons pas fait de remontée directe par la suite, sinon au cours de la réunion préparatoire durant laquelle le ministre nous a demandé de valider les chiffres avant le lancement officiel du Haut Conseil – ce que, bien entendu, pour ce qui concernait les départements, nous n’avons pas fait. Je ne dis pas que nous n’avons pas eu d’échanges, parfois informels, avec certains ministres pour expliquer la situation mais, officiellement, Départements de France n’est pas allé au-delà des discussions qui ont eu lieu durant ces réunions.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Je suis d’accord avec ce que vous avez dit tout à l’heure. Un exemple assez flagrant est le fait que, malgré la création de grandes régions, dont on nous promettait des économies, les dépenses sont toujours là. Le rapport de M. Woerth indiquait qu’un moyen pour les collectivités de faire des économies était de se recentrer sur leurs compétences. Si chaque département l’avait fait, auriez-vous réellement réalisé des économies ?

M. Nicolas Fricoteaux. Il s’agit en fait de clarifier les compétences. Quand l’État n’a pas les moyens d’assumer ses politiques sociales de manière soclée, comment fait-on pour les financer ?

La clarification des compétences au sens où Éric Woerth l’entendait, si mon interprétation est bonne, permet de réduire le champ d’action des collectivités et de mieux répartir les enveloppes dont elles disposent, dès lors que les moyens peuvent manquer pour financer les compétences non obligatoires ou facultatives. C’est à cela que l’on aboutit. Comment trouver des financements pour les politiques obligatoires, notamment sociales, de manière équitable – et non pas égalitaire ? Il s’agissait donc de clarifier pour réduire le champ et répartir les moyens là où il y en avait besoin.

Pour aller plus loin dans la réflexion, au-delà des politiques socles qui doivent être menées partout sur le territoire national, une fiscalité additionnelle pourrait exprimer çà et là un volontarisme politique des départements et les distinguer les uns des autres.

M. Jean-Léonce Dupont. Nous avons tous à l’esprit le fait que, lorsque l’État développe ou essaie de développer ses politiques dans les collectivités, il demande de faire des tours de table et, comme c’est par exemple le cas avec les contrats de plan État-région pour le financement de l’enseignement supérieur, qui n’est pas un champ de compétence des départements, il sollicite naturellement un financement hors champ de compétence.

M. Jean-Luc Chenut. Plutôt que de compétences « facultatives », je préfère parler de compétences « partagées » car, dans certains domaines, comme le sport, la culture ou l’éducation populaire, certaines interventions relèvent de différents niveaux – la commune pour le tourisme, le département pour des comités départementaux ou les régions pour les ligues. Même si l’on décidait de mettre à zéro la totalité de nos actions dans ces domaines, il faut être conscient qu’elles représentent moins de 2 % des budgets. C’était peu visible, mais on est en train de réduire massivement ces ressources et on voit bien désormais le poids que représentait le département dans la vie de toute une chaîne d’acteurs. Cela se traduira donc par de nombreux licenciements.

Une autre compétence facultative, au sens juridique, est l’aide aux communes. On voit bien à l’occasion de très nombreuses inaugurations, notamment dans les communes plutôt rurales et plutôt petites, que l’apport du département est souvent de 30 % à 35 % et que, sans cela, le projet ne se fait pas.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Vous nous avez aussi fait part de l’impossibilité dans laquelle vous vous trouvez de rénover un certain nombre de logements et de la pression de l’État en la matière. Si vous ne rénovez pas ces logements et que les locataires en sortent, avez-vous évalué combien cela vous coûtera ? Non seulement vous n’aurez pas fait les travaux et les logements ne pourront plus être loués, mais vous devrez assurer le relogement de toutes les personnes concernées.

M. Jean-Léonce Dupont. Je ne suis pas allé tout à fait jusqu’au bout de l’explication. On se fixe un objectif inatteignable, on constate qu’on ne l’atteint pas et on trouve des responsables mais, en général, vient aussi un moment où l’on demande une prorogation. Je ne peux certes pas anticiper certaines décisions mais nous sommes face à des évidences très fortes. Chacun voit bien les tensions qui existent dans le domaine du logement, notamment la grande difficulté de la primo-accession et de la sortie du parc locatif. Le cheminement résidentiel est partout remis en question. En outre, l’augmentation des taux d’intérêt n’incitait pas non plus au mouvement. Le cumul de ces facteurs produit des tensions très fortes, à quoi s’ajoute la décision de sortir du parc, pour les raisons indiquées, des logements supplémentaires. Le moment venu – mais toujours au dernier moment et sans anticipation –, on peut donc remettre en cause la date prévue en prolongeant le délai de trois ans, le temps qu’un certain nombre de logements soient réhabilités.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Il est curieux qu’aucun représentant du groupe EPR ne soit présent à cette audition. Lorsque nous avons examiné l’écart de 50 milliards d’euros entre les prévisions et le déficit effectif, le ministre de l’économie, chargé de la réalisation de ce budget – passé sans vote, par recours au 49.3 –, nous a dit que, sur le total, 16 milliards d’euros étaient de la faute des collectivités territoriales. Ainsi, quand vous venez nous présenter ce qui est, selon vous, la vérité des chiffres et des données, les amis et les soutiens de Bruno Le Maire sont absents. Le débat entre vous aurait pourtant pu être intéressant parce qu’il aurait permis de confronter certains éléments.

Je voudrais vous interroger sur l’échange d’informations qui a pu intervenir entre vous et le ministre. Vous avez tous évoqué une opacité ou des mensonges d’État, ainsi que des objectifs sciemment inatteignables, et je souhaiterais donc connaître le degré de précision des informations transmises lors de la préparation du budget 2024, c’est-à-dire fin 2023. Vous dites, par exemple, que les prévisions de DMTO pour 2024 ont été assises sur les chiffres de 2022. Puisque vous soulignez que les DMTO, qui ont baissé de 3 milliards d’euros en 2023, sont suivis mois par mois, vous étiez en mesure d’avoir des chiffres quasi exacts à la fin de l’année 2023 : à qui avez-vous transmis ces chiffres et à quel moment ?

De la même manière, à quel moment et à qui avez-vous explicité le fait que vous jugiez inatteignable l’objectif de baisse de 0,5 % des dépenses ? Vous avez évoqué le Haut Conseil des finances locales qui s’est tenu à l’automne 2023, mais aussi des échanges, même informels, avec des ministres lors de la préparation du budget : à quels ministres avez-vous exprimé ces alertes ? Notre objectif est de comprendre si tous les éléments que vous invoquez, comme la disparition de la fiscalité locale et la montée en charge des dépenses, qui nous semblent évidents, étaient bien à la disposition des ministres, et donc si les décisions prises dès décembre 2023 l’ont été en connaissance de cause, ce qui signifierait qu’il y avait une forme d’insincérité dans le budget, qui allait donc de toute façon au crash.

M. Jean-Luc Chenut. Nous pourrons très certainement vous fournir tous les communiqués émis par Départements de France au fil de ses réunions et de ses déclenchements d’alerte tout au long de l’année 2023. Pour ce qui concerne la préparation du budget 2024, je vous renvoie au rapport de septembre 2023 de la Cour des comptes sur la situation des budgets locaux, qui tirait le signal d’alarme à propos de la situation singulière des départements par rapport aux autres collectivités. Ce rapport était éminemment public et connu des ministères.

M. François Sauvadet. Je confirme ce que vient de dire Jean-Luc Chenut. Pour la préparation budgétaire, tirant les leçons de ce que nous avions connu, nous avons décidé de faire un gros travail de compilation pour obtenir les informations que l’appareil d’État devrait être en mesure de nous fournir. C’est nous-mêmes qui avons mis en place une collecte de data pour essayer d’avoir tous les éléments. Nous avons contribué au travail de la Cour des comptes – j’ai cité la page 99 de son rapport du mois de juillet – qui corroborait déjà notre position à un moment où l’on avait souvent tendance à considérer que nous exagérions et que chacun n’avait qu’un simple sentiment sur la question. Nous avons donc décidé, avec mes collègues, d’objectiver la donnée.

Depuis le travail que nous avons fait à partir du printemps pour donner l’alerte et pour préparer le budget 2025, personne, même la représentation nationale, ne peut dire qu’il n’était pas au courant. Nous avons fait un travail de prospective, et même de rétro-prospective des taux d’épargne brute des départements, pour en montrer la dégradation. Nous avons objectivé les chiffres. J’ai même rencontré le premier ministre de l’époque, à qui j’ai fourni les données dès le mois de septembre, en lui disant que, s’il n’était pas d’accord avec elles, il pouvait les transmettre à Bercy, qui pourrait nous convoquer et nous fournir les éléments permettant de contester nos données. J’ai envoyé les documents à tous les groupes, au président de votre commission et au rapporteur général, avec lequel je me suis entretenu personnellement à plusieurs reprises, tandis que Jean-Léonce Dupont et Jean-Luc Chenut faisaient de même au Sénat. Personne ne peut donc dire qu’il ignorait la situation. Nous avons contribué, par notre travail, à réduire le prélèvement, l’effort qui nous était demandé – qui était initialement de 5 milliards – et nous nous sommes efforcés de donner l’alerte quant à la situation singulière des départements.

Nous sommes, je le répète, solidaires des autres collectivités sur le plan des libertés et de la reconquête d’une autonomie fiscale et financière, mais nous insistons sur le caractère singulier de la situation des départements, compte tenu de leurs compétences et de la structure de leurs dépenses et de leurs recettes. C’est tout ce que j’ai demandé de prendre en compte. Nous avons obtenu une première diminution, puis une seconde, qui a été confirmée après avoir été anticipée par Michel Barnier et son gouvernement. Nous avions obtenu que notre situation singulière soit prise en compte, et le montant de la contribution était pratiquement redescendu de l’ordre d’un milliard d’euros.

J’ai toutefois trouvé profondément injuste et incompréhensible – et je continue à le penser – que le ministre des collectivités territoriales nous dise que l’effort qu’il demandait était soutenable. Les 220 millions d’euros du Dilico étaient répartis entre seulement 50 % des départements, puisque nous avions demandé une exonération pour les cinquante départements en difficulté, mais l’idée selon laquelle il existait encore des départements riches et que l’augmentation de 0,5 % des DMTO réglerait le problème, comme l’a laissé entendre le ministre, ou qu’elle pourrait faire l’objet d’une nouvelle répartition entre nous, c’est-à-dire d’une péréquation horizontale, revenait à oublier que nous avions déjà exploré le chemin de la solidarité horizontale, qui représente, dans le contexte actuel, 1,5 milliard d’euros. Demandez au président des Alpes-Maritimes ! Les Hauts-de-Seine – cela pourra faire sourire certains, mais pas moi – sont proches d’une situation dans laquelle leur marge brute devient négative. Que l’on conteste ces chiffres si l’on veut !

Lorsqu’il faut mettre ainsi des centaines de millions d’euros au pot, pour dégager 1,5 milliard, c’est qu’on est au bout d’un système. Nous avions réussi à obtenir un fonds de sauvegarde, destiné aux quatorze – puis vingt-neuf – départements en difficulté et dont le président du département de l’Aisne a rappelé l’importance. J’ai plaidé pour ce fonds et donné l’alerte, mais on m’a renvoyé dans mes buts. C’est insoutenable. Non seulement on nous demande un effort malgré la gravité de notre situation, qui était déjà reconnue et identifiée auparavant, mais on ne prend même plus des mesures de sauvegarde pour les départements les plus en difficulté. Et on vient nous parler d’effort soutenable ? Que votre commission d’enquête exige donc qu’on lui produise des chiffres attestant que les données que nous fournissons seraient fausses ! La ministre des solidarités a eu ces éléments – je me souviens des entretiens que nous avons eus. Je lui ai remis le document et nous avons regardé l’évolution de la dépense. Sophie Pantel était alors encore présidente de département. Nous avons fait nous-mêmes le travail de collecte de données pour montrer les conséquences financières de la situation.

Je vous le dis solennellement : depuis le mois de septembre, personne dans ce pays ne pouvait ignorer la difficulté singulière devant laquelle sont placés les départements. Je l’affirme sous serment devant la commission d’enquête.

M. le président Éric Coquerel. Je vais envoyer une demande au gouvernement dès ce soir.

M. Jean-Luc Chenut. Malgré la brutalité de ce que nous vivions, nous avons été confrontés, autour de l’année 2023, à un véritable déni de réalité. À l’été 2023, on nous renvoyait à nos comptes administratifs de 2022, souvent votés en mai ou juin, qui étaient les meilleurs de l’histoire des départements. L’épargne nette était en effet à son niveau le plus élevé – 110 millions d’euros pour l’Ille-et-Vilaine en 2022. Nous avons fini l’année 2023 à 2 millions. Le retournement a été brutal, mais nous le signalions depuis le début de l’année 2023 – nous suivions l’évolution des droits de mutation à titre onéreux. Compte tenu des éléments que peut aujourd’hui connaître Bercy, il n’est pas besoin d’attendre le vote des comptes administratifs pour savoir que la tendance n’est pas bonne. On vient ainsi de nous donner, en février, les soldes par catégorie de communes au 31 décembre 2024 : la connaissance de la situation est quasi instantanée. L’évolution a été d’une brutalité inédite, puisque nous sommes passés de la meilleure année à la pire. Nous avions toutefois activé les capteurs et les déclencheurs d’alerte depuis le début de l’année 2023.

M. Jean-Léonce Dupont. Dans nos relations avec l’État, nous avons connu l’approche trumpienne des contrats de Cahors : j’ai décidé que vous deviez faire ceci ou cela et si vous ne le faites pas, vous serez sanctionnés. Pourtant, tout contrat suppose normalement une négociation.

Aujourd’hui, on nous dit qu’on va faire preuve d’une grande souplesse : l’État nous fixe une orientation, qui est une évolution de – 0,5 %. Mais comment y arriver quand vos dépenses non pilotables représentent 70 % de vos dépenses totales et qu’elles sont appelées à augmenter encore ? Si, sur le différentiel, nous sommes parvenus à appliquer cette évolution, nous savions très bien, à la fin de l’année 2023, que l’objectif ne serait pas respecté, d’autant que nous étions confrontés aux difficultés engendrées par l’évolution des DMTO. L’État central en connaît, mois par mois, les chiffres puisque les DMTO sont acquittés avec un décalage d’un mois. Au moment de l’élaboration du budget, leur évolution sur l’année 2023 était donc connue. S’est ajouté à cela le fait qu’était prévue une augmentation des recettes de TVA de 4,8 %, voire de plus de 5 %, alors qu’elle n’a finalement été que de 0,8 %. Après, cela ne dépend plus de nous.

L’augmentation des dépenses locales a alourdi la dépense publique sans pour autant creuser le déficit de l’État. Le problème, c’est que sous couvert des critères européens, on a fait passer dans l’opinion publique l’idée selon laquelle, du fait de cette augmentation de dépenses publiques obligatoires, les collectivités locales étaient responsables de l’accroissement du déficit de l’État, alors que ces deux phénomènes n’ont rien à voir.

Je le répète, le ministère, avant la fin de 2023, connaissait l’évolution des DMTO, au moins jusqu’au mois d’octobre.

Mme Sophie Pantel (SOC). Comme d’autres, je regrette l’absence d’un certain nombre de nos collègues, surtout après ce qui nous a été dit sur les collectivités pendant le débat budgétaire.

Je remercie les représentants de Départements de France pour l’état des lieux très précis qu’ils ont dressé. Ils ont pu réexpliquer le poids des dépenses non choisies, les conséquences des transferts de charges, le rôle que jouent les départements quand ils viennent combler les carences de l’État et la différence essentielle entre la section de fonctionnement et le fonctionnement – il ne faut pas confondre des prestations avec des petits fours et du champagne. Ils ont pu aussi revenir sur les éléments erronés qui ont été indiqués à notre commission, les fameux 16 milliards d’euros d’augmentation du déficit public censés avoir été entraînés par l’augmentation des dépenses des collectivités locales.

Les difficultés des départements sont connues, notamment l’effet ciseaux. Tout le monde en avait été alerté. J’ai moi-même participé à des réunions ministérielles à vos côtés.

Vous avez rappelé l’importance des deux piliers sur lesquels reposent les départements : la solidarité humaine, si importante dans un contexte de crise, et la solidarité territoriale. Le rapport Woerth a évoqué la possibilité de mettre fin aux compétences partagées, termes préférables, en effet, à ceux de « compétences optionnelles », « compétences choisies » ou « compétences non obligatoires ». Pour les départements ruraux et les départements de montagne, ces compétences sont essentielles.

Les CRC (chambres régionales des comptes) en sont à enquêter sur la capacité des départements à absorber les dépenses, compte tenu des pertes de recettes. Quel est votre avis à ce sujet ?

Quelles devraient être selon vous les recettes pérennes de demain ? Ne s’agirait-il pas seulement de quelques pansements de plus ? La solution n’est-elle pas plutôt à rechercher du côté d’une véritable décentralisation ? Les missions très régaliennes seraient laissées à l’État et pour le reste on ferait confiance aux territoires. Cela suppose de les doter d’une réelle capacité financière, notamment en matière fiscale, et de respecter le principe de libre administration des collectivités – M. Dupont a rappelé que la Charte européenne de l’autonomie locale n’était pas respectée.

Que pensez-vous des attaques lancées contre les départements ? Ne manifestent-elles pas une volonté de faire disparaître cet échelon ? Mais je n’insiste pas car M. Ciotti a déjà posé cette question.

La fusion entre les sections « soins » et « dépendance » dans le financement des Ehpad entraînerait, selon certains, de moindres dépenses pour les départements. Certes, ceux dont les dépenses liées à la dépendance se situent en dessous de la moyenne seront sans doute gagnants mais seulement pendant une courte durée. Quelle est votre position sur ce qui est présenté régulièrement par la ministre de la santé comme un acte fort et une solution pour vous ?

M. François Sauvadet. D’après les déclarations du gouvernement, plus particulièrement celles récentes du ministre des collectivités territoriales, il ne faut pas espérer de réforme de la décentralisation avant les prochaines élections présidentielles. La situation politique actuelle ne la rendrait d’ailleurs pas aisée.

S’agissant de la fusion des sections, je comprends bien la commodité d’une telle évolution mais je suis extrêmement réservé à ce sujet. Nous avons exprimé le souhait que l’expérimentation se fasse en miroir, à la fois du côté des ARS (agences régionales de santé) et du côté des départements volontaires. Or le gouvernement comme l’administration ont beaucoup insisté pour que cette fusion ne soit gérée que par les ARS et je vois les conséquences d’un tel choix se profiler. Je crains que la maîtrise budgétaire ne soit utilisée pour fermer des établissements, notamment dans le monde rural. Tout le monde sait ce qu’il y a dans les tuyaux : on se prépare à des fermetures d’établissements ayant moins de 50 lits, au motif que le vieillissement de la population serait une maladie, ce qui reste à expertiser. Certes, des personnes très âgées en perte d’autonomie relèvent du soin, mais il y en a d’autres qui relèvent de l’accompagnement, même dans le grand âge. Nous voyons bien quelle mécanique s’est installée.

J’ai demandé des précisions sur le financement de l’expérimentation qui va être engagée dans vingt-trois départements. L’État a prévu 200 millions d’euros. Faisons un rapide calcul : quand la généralisation aura lieu, après la fin de l’expérimentation, prévue du 1er juillet prochain au 31 décembre 2026, il faudra un investissement cinq fois supérieur, autrement dit d’environ 1 milliard d’euros si nous restons dans le même ordre de grandeur. Très franchement, je n’y crois pas beaucoup. C’est comme pour l’expérimentation de France Travail : au moment de la généralisation, d’un seul coup, tout le monde s’est rendu compte que les moyens de l’établissement public n’étaient pas suffisants, même s’il n’y a pas eu de taille dans les effectifs, et qu’il était nécessaire de mieux cibler les publics.

Au sein de Départements de France, j’ai proposé l’installation d’un comité de suivi de l’expérimentation de fusion des sections, composé des administrations et des départements expérimentateurs et non expérimentateurs. Je considère que nous devons continuer à être très présents dans le domaine médico-social : jamais nos compatriotes n’ont eu autant de mal à accéder aux soins alors que jamais nous n’avons autant dépensé pour la santé. Dans mon département – et c’est la dernière fois que je le fais – j’ai racheté à une commune un Ehpad accueillant quarante-cinq personnes pour éviter sa fermeture et la dissolution de la communauté médicale qui s’est constituée autour de lui, avec encore deux médecins et un kiné. Si nous laissons les clefs de la gestion des Ehpad aux ARS, je crains que cela n’aboutisse à créer de nouveaux déserts médico-sociaux. Tirons les leçons de ce qui s’est passé dans notre pays.

Pour structurer l’offre de solutions à apporter face au vieillissement et à la perte d’autonomie, nous avons besoin d’établissements de proximité. Il nous faut aussi moderniser les métiers de l’accompagnement social. Ce n’est pas qu’une question de salaires. Réfléchissons à une externalisation des services et à une adaptation des temps de travail pour préserver la vie de famille quand il s’agit de s’occuper de personnes qui requièrent une présence vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans ce domaine, une vision territorialisée est préférable à une vision concentrée.

Je respecte bien évidemment mes collègues qui se sont engagés dans cette expérimentation mais il ne faut pas oublier que beaucoup ont fait ce choix pour des raisons financières. Le département de Seine-Saint-Denis s’est lancé dans l’expérimentation concernant le transfert du RSA, mais il n’est plus question de la généraliser car cela engendrerait des coûts que l’État ne pourrait pas supporter.

M. Nicolas Fricoteaux. Toute la question est de savoir si les Ehpad relèvent encore du champ médico-social. Ne les oriente-t-on pas plutôt du côté du sanitaire et de son financement ? Les établissements de proximité évoqués par François Sauvadet s’approchent davantage de résidences autonomie, donc de l’habitat intermédiaire. La fusion « soins » et « dépendance » renvoie plutôt à des soins de suite ou à des soins dans un contexte de forte dépendance.

Par ailleurs, il y a l’État-providence, la solidarité départementale et la solidarité nationale, mais il faut aussi intégrer la part de l’usager dans nos réflexions sur le financement par les départements. L’Aisne vient de donner aux Saad (services d’aide et d’accompagnement à domicile) la possibilité de fixer librement leurs tarifs. Cela n’implique pas que nous ne prenons pas en compte les difficultés de certaines personnes, nous voulons simplement adapter la prise en charge financière aux besoins et aux ressources de chacun. Si nous n’intégrons pas la part de l’usager, nous n’y arriverons jamais, et cela vaut pour tous les domaines. Le RSA rénové est une manière d’y réfléchir.

M. Jean-Léonce Dupont. Les transferts de compétences nouvelles, d’un côté, et les reprises de compétences existantes, de l’autre, m’inquiètent toujours. Si vous connaissez un seul exemple d’opération proposée par le pouvoir central ayant conduit à une amélioration sur le plan financier, j’aimerais vraiment le connaître.

S’agissant de la recentralisation du RSA, je vais vous donner mon interprétation personnelle. Alors que la France connaissait a priori une baisse structurelle du chômage, Bercy a cru faire une bonne opération : on s’est dit qu’il ne serait pas idiot de reprendre la compétence et de récupérer les financements mis en place par les départements, en pensant que le nombre de bénéficiaires du RSA allait diminuer. Or il ne vous a pas échappé que nous assistons plutôt à un retournement : le nombre de chômeurs tend à augmenter. Comme par hasard, le pouvoir central s’est bien gardé de demander la généralisation du dispositif. Autant vous dire que la prudence me semble s’imposer.

Quant aux dépenses, nous n’aurons plus de capacités pour les absorber. J’en reviens à une idée que j’avais évoquée dans une conversation avec Charles de Courson et qui a été en partie reprise dans le rapport Woerth. Si, d’ici à 2027, nous ne fléchons pas une partie des recettes de la CSG vers les collectivités locales, en leur laissant un pouvoir de décision, fût-il encadré, nous ne pourrons pas sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes. Cela supposerait bien sûr un fonds de péréquation. C’est la seule solution envisageable et, je vous le dis, nous avons au maximum deux ans devant nous. Si nous ne le faisons pas pour nos budgets 2027, nous aurons d’énormes difficultés.

M. Philippe Juvin (DR). La situation n’est pas grave, elle est très grave. Je partage votre avis : les collectivités locales ne sont responsables en rien de la situation très dégradée des finances publiques puisque, par principe, elles doivent équilibrer leur budget. Elles sont soumises à une règle d’or dont l’État s’exonère. Les élus locaux sont les exécutants de politiques dont ils ne maîtrisent ni le périmètre, ni les montants, ni les coûts. À cela s’ajoute l’effet du dynamitage de la fiscalité locale. Les dépenses et les recettes n’étant pas pilotées, l’avion a du mal à rester en l’air : le crash est proche. Vous dites que les départements sont exposés à un risque de cessation de paiement et j’en suis tout à fait convaincu. Les Français s’en rendront compte le jour où cela se manifestera par des effets concrets, qu’ils concernent l’entretien des routes et des ponts, la prise en charge de la dépendance, du vieillissement et du handicap ou les collèges.

Que ceux qui doutent des vertus de bonne gestion attachées à la décentralisation se représentent, par exemple, les collèges avant et après. Je me souviens d’établissements très dégradés, qui ont désormais été rénovés. Je m’étonne du fait que depuis dix ans, toutes les lois de décentralisation sont en réalité des lois de recentralisation. Si elles ne recentralisent pas de jure, elles recentralisent de facto avec des effets sur la fiscalité. La solution, c’est de recréer pour chacune des strates administratives une fiscalité locale dont une partie porterait sur les habitants et l’autre sur l’activité économique.

J’entends ce que vous dites au sujet de la CSG mais cela suppose qu’il y ait un pouvoir local de décision, sinon cela n’aurait pas de sens. Le taux est d’un peu moins de 10 %. Quel devrait-il être, toutes choses égales par ailleurs, compte tenu des nécessaires variations liées aux politiques départementales ?

La plupart de vos dépenses sont des dépenses de fonctionnement, bien entendu, mais ce sont des dépenses de fonctionnement contraintes. Qu’en est-il des aides aux communes ? L’État considère parfois qu’on pourrait s’en passer parce qu’il ne connaît pas la réalité des territoires. Quelle est globalement la part de ces aides dans le budget de fonctionnement des départements ?

M. Jean-Léonce Dupont. S’agissant de la variation locale de la CSG, soyons clairs, Bercy est contre. Vous imaginez bien : dès qu’il s’agit de l’autonomie des collectivités, c’est insupportable. Au moment où il rédigeait son rapport, Éric Woerth avait sur ce point des divergences avec Bercy. Nous n’en sommes qu’à discuter d’un éventuel principe. Pour faire des simulations et des évaluations, nous avons demandé des chiffres à Bercy. Nous ne les avons pas. Si vous pouviez nous aider à les obtenir, nous vous en saurions gré.

M. le président Éric Coquerel. Je suis justement en train d’écrire un courrier.

M. Jean-Léonce Dupont. Quant aux aides aux communes, elles s’élèvent à environ 1,4 milliard d’euros, globalement. Pour vous donner une idée, le budget de mon département est d’un peu moins de 900 millions d’euros et je consacre 150 millions sur six ans aux collectivités locales.

M. Nicolas Fricoteaux. Dans le département de l’Aisne, cela représente 2 %, soit 15 millions d’euros, sur un budget total de 750 millions d’euros, dépenses d’investissement et de fonctionnement confondues.

Vous vous demandez quelle part de CSG pourrait compenser les dépenses sociales. Je pose la question autrement : quel serait le reste à charge par habitant pour chacune des collectivités départementales ? C’est toute la différence entre égalité et équité.

Mme Marina Ferrari (Dem). Je vais m’attacher à poser des questions qui nous ramèneront au cœur de la commission d’enquête en vous interrogeant sur les raisons qui, selon vous, ont provoqué le dérapage budgétaire et sur la manière dont vous avez vécu les choses. Vous savez, puisque vous me connaissez, que je ne fais pas partie des responsables politiques qui mettent en cause la responsabilité des collectivités. En revanche, j’estime – et je vous remercie de l’avoir souligné, monsieur le président Sauvadet – que nous avons une responsabilité collective. Une dette, qu’elle soit contractée par une collectivité ou par l’État, reste une dette publique, qui pèse sur les Français.

Comme vous, je suis convaincue que les départements sont plutôt les bons élèves de la classe, si je puis m’exprimer ainsi. Les éléments que vous nous avez fournis le confirment. Le rapport de la Cour des comptes sur la situation des finances publiques de février 2025, qui vous a fait vivement réagir, souligne que les dépenses des collectivités ont connu en 2024 une forte hausse. On peut regretter que ce rapport n’établisse pas de distinctions entre les strates de collectivités et en leur sein, les différences d’un département à un autre, d’une intercommunalité à une autre ou d’une commune à une autre pouvant être importantes. Globalement, les dépenses de fonctionnement ont progressé de plus de 2,6 %. Nous connaissons le contexte : les achats ont été affectés par l’inflation et le point d’indice a été revalorisé. Quel a été, par ailleurs, le rôle de l’évolution de la masse salariale au sein des départements, hors mesures de revalorisation ou mesures techniques comme le GVT (glissement vieillesse technicité) ? Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ? Quelle a été l’évolution des effectifs et des dépenses de masse salariale ? Qu’en est-il de l’absentéisme ? Nous savons qu’il a un coût important au sein des collectivités.

S’agissant du recul des DMTO, nous avons été nombreux, y compris au sein de la commission des finances, à alerter sur le risque qu’il faisait peser sur les départements. Vous avez rappelé que, lors d’une réunion à Bercy au premier semestre 2023, vous aviez déjà signalé un écart très important entre les prévisions du ministère et les vôtres. Que s’est-il passé en 2024 ? Avez-vous réitéré ces alertes auprès des services de l’État ? Les écarts de prévisions sont-ils restés les mêmes ?

Cela me conduit à ma dernière question qui porte sur l’avenir. Il semblerait que nous soyons confrontés à un véritable problème d’écarts de prévisions, dont on ne sait s’il est dû à de l’incompétence, à une volonté de tronquer la vérité ou à de réelles difficultés à établir des prévisions. Vous avez commencé à esquisser des pistes de réflexion en proposant notamment d’objectiver, mois par mois, les données, en lien avec la commission des finances. Avez-vous pensé à d’autres solutions qui nous éviteraient de tomber dans les mêmes écueils ?

M. François Sauvadet. Certes, les dépenses des collectivités locales ont évolué mais je tiens à rappeler devant votre commission d’enquête ce que cela recouvre : pour les prestations – RSA, PCH, APA –, nous avons été confrontés en 2023 à 1 milliard d’euros de dépenses supplémentaires, et en 2024 à 760 millions de plus ; s’agissant du financement de l’ASE, nous avons eu 1,1 milliard d’euros de dépenses supplémentaires en 2023 et 590 millions en 2024 ; pour les Sdis, la hausse a été de 130 millions en 2024. Se sont ajoutés à cela 590 millions au titre de la revalorisation du point d’indice et du GVT. Ce sont autant de mesures dont nous n’avons pas décidé mais que nous devons assumer financièrement. Je le répète : il faut mettre la dépense en mode « pause ».

Nous intervenons dans de nombreux domaines. À moins de nous dire très clairement ce que nous ne ferons plus et de l’assumer, il faut garantir la pérennité de nos actions. L’État ne peut pas nous reprocher des dépenses qu’il a lui-même ordonnées sans garantir pour autant des recettes. Cette situation a suscité en 2023 et 2024 de l’incompréhension parmi les présidents de départements de France hexagonale et d’outre-mer mais je sens qu’à ce sentiment succède maintenant la colère, et je pèse mes mots.

M. Nicolas Fricoteaux. Nous avons augmenté les effectifs de vingt postes, dans mon département, pour l’accompagnement rénové des allocataires du RSA : au-delà des mesures que nous devons appliquer et de la question de la protection de l’enfance, les contractualisations avec l’État ont une incidence.

Lors du transfert des personnels TOS (techniciens, ouvriers et de service), il a fallu titulariser cent personnes, qui avaient des contrats aidés, dans nos cinquante-sept collèges. De nouveaux postes ont donc été créés. Cela remonte à un certain temps, mais c’est un peu dans l’esprit de ce que nous vivons, particulièrement depuis 2023.

M. Jean-Léonce Dupont. Nous ne disposons pas encore des comptes de gestion des départements pour 2024 mais nous estimons que l’augmentation des dépenses serait de l’ordre de 5 %. Pour les personnels, il y aurait plutôt une stagnation. Les augmentations de dépenses seraient liées à 90 % à des mesures imposées par l’État.

J’ai pu exercer l’art de la répétition, qui est, paraît-il, l’art de la pédagogie, à Matignon, auprès de ministres successifs comme auprès de représentants de Bercy et de la DGCL (direction générale des collectivités locales) que nous avons informés des évolutions de nos recettes, notamment des DMTO. Cela n’a pas eu d’effets puisque ces évolutions n’ont pas été prises en compte de manière réaliste.

Ayant été parlementaire dix-neuf ans, j’ai toujours été très sensible à l’article 40, qui rend irrecevable tout amendement créant une dépense non compensée. Je dis que la parole gouvernementale et présidentielle devrait être liée par l’article 40. Dès lors que les départements n’ont plus aucune liberté pour fixer des ressources nouvelles, aucune dépense nouvelle pour la strate départementale ne devrait être décidée si une recette n’a été pas été identifiée auparavant pour la couvrir. C’est une solution que je livre à votre réflexion.

M. le président Éric Coquerel. Les départements ont été appelés, légitimement à mon sens, à participer au financement des mesures du Ségur. Ce que vous dites à ce sujet rejoint ce que nous constatons au niveau national : le Ségur a été décidé sans que des recettes correspondantes soient prévues, point sur lequel Jérôme Guedj insiste souvent.

Mme Marina Ferrari (Dem). Juste une précision : quand je parle de responsabilité collective, je n’exonère pas les parlementaires qui proposent et adoptent des amendements lors de l’examen des textes budgétaires.

M. le président Éric Coquerel. Beaucoup d’amendements ont été supprimés avec le recours au 49.3. La responsabilité première, à mon avis, n’est pas là ; mais cela renvoie à une discussion politique.

Mme Félicie Gérard (HOR). Les départements subissent une chute de ressources, comme les DMTO, et une augmentation des dépenses sociales, particulièrement marquée dans un département comme le mien, le Nord.

Pour rendre plus saines les relations budgétaires avec l’État, est-il nécessaire de clarifier les compétences des départements et d’entamer un recentrage sur les compétences exclusives ? Le poids des dépenses sociales variant d’un département à l’autre, faut-il revoir les mécanismes de péréquation ? Comme le secteur immobilier n’est pas au mieux de sa forme, les rentrées fiscales qui sont assises sur lui deviennent de plus en plus incertaines : n’est-il pas dangereux de conserver une si grande dépendance des recettes des départements aux DMTO ?

M. Jean-Léonce Dupont. Le problème qui se pose n’est pas tant celui de la clarification des compétences – tous les éléments sont connus – que celui de la volonté du pouvoir central d’avoir des collectivités décentralisées autonomes. Je me tiens à votre disposition si vous souhaitez qu’un jour nous abordions ce sujet de façon plus approfondie.

S’agissant des mécanismes de péréquation, vous avez raison, mais c’est très compliqué. C’est un sujet que nous abordons au Comité des finances locales, dont je suis rapporteur : remettre à plat tous ces mécanismes est une très lourde tâche. Ils se contredisent parfois : un département bénéficiaire de tel système peut être appelé à contribuer à un autre. Il va falloir attendre encore quelques années avant que les capacités de l’intelligence artificielle atteignent un niveau suffisant pour trouver la solution. Cela ne veut pas dire que je désespère que notre technocratie y parvienne, mais j’émets quelques réserves.

S’agissant des DMTO, soyons clairs : jamais ils n’ont été prévus pour financer les dépenses sociales. Ils sont destinés à financer des dépenses, qui peuvent suivre des cycles évolutifs, telles que les collèges, les routes et la solidarité territoriale. Chaque collectivité doit avoir la sagesse d’intégrer le caractère fluctuant de cette ressource. On peut se fonder sur les tendances observées, qui sont marquées par des années d’excédents et des années de sous-financement. Si une collectivité assure, de manière prévisionnelle, la gestion de ces fluctuations, elle peut, très honnêtement, avoir de quoi financer les compétences auxquelles je faisais référence. Il existe peut-être quelques exceptions, mais globalement tout département doit y arriver sans aucun problème. Quand on a un peu moins de ressources, on fait, comme tout un chacun, un peu moins de dépenses ou on les étale un peu plus dans le temps.

Le problème, c’est le financement du champ de la solidarité. Je le redis, sans la mise en place, dans les deux ans qui viennent, d’un système reposant sur la CSG, qui est la seule possibilité, nous n’y arriverons pas. J’insiste sur le fait que supprimer les départements n’enlèverait rien au problème du financement des compétences qui leur reviennent actuellement. Arrêtons de laisser supposer que c’est l’existence de cette strate qui crée les difficultés.

Nous demandons des informations financières en vue de faire des simulations. Cela nous permettrait d’échanger avec les services de l’État, en toute franchise et dans le cadre d’une coopération reconstruite, afin d’élaborer des solutions en connaissance de cause, de part et d’autre. Nous comptons sur vous. Vous le voyez, finalement, nous ne désespérons pas.

M. Nicolas Fricoteaux. Les DMTO ne sont pas destinés à financer le social, en effet, mais ils servent de ressources pour l’aménagement du territoire. Or les territoires les moins attractifs ont moins de recettes issues des droits de mutation et donc moins de moyens pour financer l’aménagement du territoire.

M. Jean-Léonce Dupont. Vous avez raison mais, pour être tout à fait exact, il faut aussi prendre en compte les mécanismes de redistribution. Les écarts entre les montants de DMTO par habitant ne sont pas du tout les mêmes après péréquation.

M. Nicolas Fricoteaux. Il faudrait entrer davantage dans les détails.

Je reviens sur la clarification des compétences. La question qui se pose, en réalité, est celle de la capacité à financer ce qui est essentiel. Les Hauts-de-Seine ont participé à hauteur de 90 millions d’euros à l’installation de terrains de hockey sur gazon lors des Jeux olympiques ; tant mieux, mais l’Aisne n’a pas ces 90 millions pour financer la solidarité. Il faut commencer par s’interroger sur ce qu’il est essentiel de financer partout, de manière équitable, et ensuite sur le recours à des financements individualisés pour mener des politiques plus ou moins volontaristes dans les territoires en actionnant le levier fiscal.

M. Charles de Courson, rapporteur général. J’ai cinq questions à vous poser.

Lors de la préparation des projets de loi de finances pour 2023 et pour 2024, avez-vous eu des discussions concernant la fixation d’objectifs de dépenses de fonctionnement et d’investissement ?

M. Jean-Léonce Dupont. Nous n’avions qu’une orientation générale.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Quelles sont vos prévisions pour ce qui est de l’augmentation des dépenses de fonctionnement, d’une part, et des dépenses d’investissement, d’autre part, en 2025 ?

M. François Sauvadet. D’après les indications que nous avons, l’État a déjà programmé pour 2025 1 milliard d’euros de dépenses supplémentaires qu’il va nous imposer, ce que nous dénonçons dans le contexte budgétaire que traverse le pays et qui touche aussi les départements.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Si l’on agrégeait tous les budgets départementaux, quel serait le taux global d’augmentation des dépenses de fonctionnement ? Vous avez évoqué, me semble-t-il, une hausse de 5 %.

M. Jean-Léonce Dupont. Tous les budgets n’ont pas encore été votés.

M. François Sauvadet. Compte tenu des incertitudes dans lesquelles nous étions plongés, la procédure d’élaboration budgétaire est en cours dans certains départements. Nous ferons un point au niveau agrégé. Les choix que nous avons été amenés à faire, pour la plupart d’entre nous, consistent à réduire les dépenses, mais nous devons intégrer les dépenses obligatoires qui nous sont imposées par l’État. Autrement, la tendance qui se dégage est la maîtrise des dépenses.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Envisagez-vous une décélération en 2025 ?

M. François Sauvadet. Il y aura incontestablement une décélération, hors AIS et dépenses obligatoires. La seule augmentation du RSA représente 170 millions d’euros. En revanche, les investissements seront en phase de décélération dans le pays.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Les investissements baisseront-ils partout ? Et dans quelle proportion ? De 5 à 10 % ? De 15 % ?

M. François Sauvadet. Oui, c’est certain, et je pense qu’ils baisseront de l’ordre de 5 ou 10 %.

M. Jean-Léonce Dupont. La baisse devrait s’accentuer en 2026. Mon département, par exemple, a procédé à un désendettement accéléré lors des années antérieures : il a retrouvé une capacité d’endettement relativement importante et constitué des provisions. Le recours à l’emprunt et la mobilisation des provisions permettent très momentanément de maintenir l’investissement, mais cela ne durera pas plus de deux ans. En cas de déséquilibre budgétaire, la première variable d’ajustement est l’investissement, qui s’effondre.

Je ne peux pas vous donner un chiffre, mais une baisse se produira en 2025 et je pense qu’elle va s’accentuer en 2026, d’autant qu’elle sera couplée avec un autre phénomène. Les investissements du bloc communal, que nous finançons, s’infléchissent lors des renouvellements électoraux. On investit plutôt avant et ensuite il faut un peu de temps pour que des projets soient relancés. Par conséquent, on assistera probablement à un tassement de l’aide aux collectivités locales en 2026. Cela va plutôt nous arranger, mais cette évolution contribuera à la baisse des montants d’investissement.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Quelles nouvelles recettes envisagez-vous pour faire face au coût des missions confiées aux départements ? L’idée d’un taux départemental de CSG et d’un fonds de péréquation a été évoquée tout à l’heure. Éric Woerth avait abordé la question, mais seulement sous la forme d’une part de CSG – il m’a dit qu’il n’avait finalement pas proposé un taux en raison des hurlements de Bercy ; je lui ai répondu qu’il avait eu tort. Je crois comprendre qu’une évolution en la matière vous satisferait, mais j’attends d’en savoir plus sur les assiettes de CSG au niveau des départements pour faire des simulations. Existe-t-il d’autres pistes de réflexion ?

M. Jean-Léonce Dupont. J’ai été auditionné au Sénat en compagnie d’Éric Woerth, notamment. Nous étions tous les deux convaincus que la recréation d’un impôt local relevait pratiquement du domaine de l’impossible. Une nouvelle taxe d’habitation qui ne dirait pas son nom paraît totalement irréalisable. On pourrait envisager un élargissement de certaines assiettes de la TSCA (taxe spéciale sur les conventions d’assurance), notamment pour financer les Sdis, mais les montants ne seraient pas du tout les mêmes. On ne serait pas au cœur de la problématique du financement. Recourir à la CSG, comme vous l’évoquez et non de la manière envisagée dans le rapport d’Éric Woerth, serait la seule solution.

M. Nicolas Fricoteaux. On pourrait aussi prendre en compte la part de l’usager, je l’ai dit tout à l’heure, ainsi que la valeur du sauvé en ce qui concerne les Sdis.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Il y a de la marge en matière de tarification, notamment dans les Ehpad – une modification vient d’ailleurs d’être adoptée en ce qui concerne le découplage par rapport à l’aide sociale à l’hébergement.

Ne faudrait-il pas laisser aux départements, dans des conditions qui pourraient être encadrées, la possibilité de fixer le montant des allocations individuelles de solidarité ? Selon qu’on vit à Paris ou dans la Creuse, le RSA ne représente pas la même chose. Il en est de même pour l’APA selon qu’on est dans le Calvados ou dans les Bouches-du-Rhône. À l’heure actuelle, l’application d’un barème national interdit toute modulation.

M. Jean-Léonce Dupont. C’est une très bonne question et je vous remercie de l’avoir posée. Cette idée a déjà été évoquée, assez rarement, mais elle s’est toujours heurtée au principe absolu de l’égalité.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Ce principe s’applique dans des situations identiques.

M. Jean-Léonce Dupont. Absolument. S’il fallait s’engager dans cette voie, tout le talent et toute la pédagogie du rapporteur général seraient nécessaires.

M. Charles de Courson, rapporteur général. On donnerait simplement au conseil départemental la liberté de décider. Il pourrait moduler le montant dans la limite, par exemple, de 10 % ou de 15 %. Qu’en pense Départements de France ?

M. François Sauvadet. Nous n’avons pas pris position sur cette question.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Dernière question : après l’échec du pacte de Cahors, les gouvernements successifs ont étudié différents systèmes de régulation de la dépense publique locale, qui n’ont pas été mis en place. Quelle est votre position sur cette idée des technos, si je puis dire ?

M. Jean-Léonce Dupont. À titre personnel, je ne suis pas choqué par l’idée qu’on nous fasse part d’une orientation qui serait souhaitée. S’il s’agit d’encadrer notre action en fonction d’une orientation qui serait décidée par d’autres, je suis en revanche totalement choqué, en raison de notre conception de l’autonomie des collectivités locales, mais aussi parce que nous savons que, dans le système français, de telles orientations s’appliqueraient de la même manière aux uns et aux autres alors que, comme nous l’avons souligné, les situations sont extrêmement différenciées selon les strates de collectivités et même à l’intérieur des strates.

Les contrats de Cahors encadraient l’évolution de nos dépenses. Dans le département du Calvados, nous avons un laboratoire d’analyses très performant, qui est probablement un des leaders mondiaux dans le domaine équin, par exemple. Pour des raisons de bonne gestion, nous avions décidé une mutualisation avec les départements de l’Eure, de l’Orne et de la Manche. Ce regroupement impliquait que les personnels concernés dans les départements voisins soient intégrés dans le personnel départemental avant d’être réaffectés à l’établissement. Cette opération temporaire nous aurait fait dépasser l’évolution fixée pour notre masse salariale. C’était donc impossible.

Je ne suis pas choqué par une ligne générale dès lors qu’elle est indicative, qu’elle n’est pas identique pour toutes les collectivités et qu’on prend en compte les spécificités. Une collectivité peut par exemple avoir à financer un évènement exceptionnel, comme une commémoration, ce qui conduit lors d’un exercice à des dépenses plus importantes, que l’on ne retrouvera pas dans le département voisin. On ne va quand même pas l’empêcher au motif qu’on sortirait ainsi du cadre. L’idée d’appliquer des règles de façon homogène tant aux différentes strates qu’en leur sein n’a aucun sens de mon point de vue.

M. Eddy Casterman (RN). Merci pour tous ces éléments précieux pour les travaux de notre commission, qui montrent combien le principe de subsidiarité est peu respecté, en particulier en matière fiscale. Appliquer ce principe permettrait pourtant de faire disparaître bien des maux.

Je souhaite poser deux séries de questions au président Fricoteaux, afin d’éclairer le débat en prenant notre département comme illustration.

Comme l’a rappelé le président Sauvadet, nous savons que l’asphyxie financière des départements s’explique principalement par l’embolie de la dépense sociale, que l’État laisse à leur charge sans jamais apporter les compensations suffisantes. Comment établissez-vous les prévisions de dépenses en matière sociale, celles-ci étant par nature non pilotables puisqu’il s’agit de dépenses de guichet ?

Pouvez-vous nous indiquer quelle a été en 2023 et en 2024 l’augmentation en volume des dépenses au titre du RSA, de la prestation de compensation du handicap, de l’allocation personnalisée d’autonomie et de l’aide sociale à l’enfance, s’agissant des MNA en particulier ? Que représentent les dépenses consacrées à ces derniers par rapport au budget de l’aide sociale à l’enfance dans notre département ? L’évolution constatée est-elle conforme aux prévisions ? Comment avez-vous été accompagné par les services de l’État pour construire vos prévisions concernant ces quatre postes de dépenses, y compris pour le budget de 2025 ?

Vous avez indiqué que les dépenses dites sociales représentaient environ 75 % des dépenses du département, lesquelles augmentent d’ailleurs. S’agissant du RSA, j’ai lu dans la presse locale que le renforcement des contrôles décidé par votre exécutif permettait d’espérer une baisse de 500 000 euros sur les 117 millions de dépenses annuelles, soit une économie d’à peine 0,4 %. Quelles sont selon vous les pistes de diminution structurelle des dépenses qui permettraient de pallier les difficultés ?

M. Nicolas Fricoteaux. En 2023, nos dépenses de fonctionnement général ont augmenté de 9 %. Les dépenses sociales ont aussi progressé, en particulier s’agissant de l’autonomie et de la protection de l’enfance, les hausses allant de 7 à 10 %. Nous avons réussi à stabiliser les dépenses liées au RSA, car le nombre d’allocataires s’est sensiblement réduit, ce qui a permis d’absorber les augmentations successives du montant de cette prestation.

Le pilotage est réalisé à partir de l’évaluation des demandes l’année précédente et en début d’année. Cela nous permet de savoir à peu près quels montants doivent être alloués aux différentes dépenses sociales.

En 2023, l’augmentation des dépenses a surtout été due aux décisions concernant les rémunérations des agents et des intervenants, qu’il s’agisse du CTI (complément de traitement indiciaire), du point d’indice ou de la revalorisation des services d’aide à domicile. Les charges ont augmenté dans les mêmes proportions que dans les autres départements, même si je ne peux pas vous donner maintenant des chiffres précis.

M. le président Éric Coquerel. Nous avons un peu dépassé le cadre de la commission d’enquête stricto sensu, mais je considère qu’il importe moins de juger ce qu’il s’est passé que d’éclairer l’avenir. Cette audition était donc utile.

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 12 mars 2025 à 15 heures

 

Présents. - M. Christian Baptiste, M. Laurent Baumel, M. Michel Castellani, M. Eddy Casterman, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marina Ferrari, Mme Félicie Gérard, M. Philippe Juvin, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, M. Charles Sitzenstuhl

Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, M. Thomas Cazenave, M. Jean-Paul Mattei, M. Nicolas Metzdorf, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Emmanuel Tjibaou

Assistaient également à la réunion. - M. Aurélien Le Coq, Mme Claudia Rouaux