Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

  Audition de M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, sur la conjoncture économique 2

  Présence en réunion...........................25


Mercredi
26 mars 2025

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 094

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La Commission procède à l’audition de M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, sur la conjoncture économique

M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir ce matin le gouverneur de la Banque de France, M. François Villeroy de Galhau, pour évoquer la conjoncture économique. Il y a deux semaines, la Banque de France a publié ses projections macroéconomiques intermédiaires, qui prévoient une croissance française de seulement 0,7 % en 2025, au lieu des 0,9 % initialement prévus. Cette révision s’inscrit dans un contexte mondial particulièrement incertain, avec de nombreux défis à relever pour notre pays.

Monsieur le gouverneur, votre analyse nous intéresse tout particulièrement. Je vous donne donc la parole sans plus tarder.

M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Je vous remercie de me recevoir à nouveau aujourd’hui. La Banque de France est à votre service pour apporter son éclairage, avec une humilité encore plus grande que d’habitude, sur ces temps économiques très incertains que vous avez évoqués. Nous vivons assurément un retournement historique, et notre réponse doit être à la hauteur de l’enjeu.

Mon propos s’articulera autour de deux forces nécessaires pour la France et l’Europe. D’abord, nous devons faire preuve de lucidité : le moment est dangereux, mais la France a des atouts. Ensuite, nous devons être déterminés : il est plus que temps de retrouver la maîtrise de notre destin, y compris économique.

Commençons par la lucidité face à l’imprévisibilité américaine qui marque désormais l’environnement économique international. Par ses décisions et revirements, M. Trump déstabilise le système multilatéral. Ce retournement renforce les risques à long terme, qu’ils soient d’ordre financier - pensons aux cryptoactifs ou à l’intermédiation non bancaire - ou d’ordre climatique. Mais à court terme, ce retournement dessert déjà les États-Unis. En témoigne la dégradation des prévisions de la Réserve fédérale américaine en termes de croissance ( 0,4 point en mars par rapport aux prévisions de décembre, à 1,7 %) et d’inflation (montée à 2,7 % au lieu de 2,5 % pour l’année 2025).

C’est la manifestation d’une stratégie que l’on peut qualifier de perdant-perdant de l’administration Trump. Celle-ci semble en effet se représenter l’économie mondiale comme un jeu à somme nulle, où les gains des uns résultent nécessairement des pertes des autres. C’est une méprise lourde. L’échange des idées, des talents, des biens et services est mutuellement bénéfique. Le protectionnisme pénalise d’abord les pays qui l’initient  nous sommes en train de le voir –, à commencer par leurs propres consommateurs qui doivent payer plus cher leurs achats.

L’imprévisibilité et les tensions commerciales seraient aussi coûteuses pour l’Europe, certes dans une moindre mesure. Nous avons estimé qu’une hausse de 25 points des droits de douane américains, si elle intervenait au deuxième trimestre, aurait un impact inflationniste limité en Europe, mais pourrait diminuer le PIB de la zone euro d’environ 0,3 % en année pleine. L’impact sur l’économie française serait moindre du fait d’une exposition des exportations de biens français au marché américain inférieure à la moyenne européenne.

D’après nos projections, et avant cet effet éventuel, la croissance française est ralentie, mais restera positive en 2025 à 0,7 %. L’inflation demeurerait contenue à 1,3 % en indice harmonisé. Notre prévision demeure donc celle d’une sortie de l’inflation sans récession, avec une reprise progressive du pouvoir d’achat salarial. Le salaire moyen par tête a déjà augmenté plus que l’inflation en 2024.

L’environnement est donc plus dangereux, je tiens à le dire clairement, mais il y a deux éléments plus positifs. Le premier est national. Notre économie, à côté de problèmes évidents sur lesquels je reviendrai, conserve de sérieux atouts que nous avons tendance à sous-estimer. Notre travail, d’abord, qui est le seul pilier durable de notre prospérité : il n’y a jamais eu autant de Français au travail qu’aujourd’hui, plus de 30 millions, et c’est aussi vrai en heures travaillées. Même si nous devons faire mieux, notre pays a créé 2,2 millions d’emplois nets depuis dix ans.

Ensuite, la force de nos entreprises, des TPE-PME jusqu’aux grandes entreprises actives sur la scène internationale, en passant par 400 000 créations de nouvelles entreprises en 2024, soit 30 % de plus qu’il y a dix ans.

Enfin, nous disposons d’une épargne financière abondante des ménages, de 6 300 milliards d’euros, du fait d’un taux d’épargne parmi les plus élevés d’Europe, à 18 %. Il ne s’agit évidemment pas de se contenter de ces atouts, mais désormais de les mobiliser mieux.

Un autre atout tient à notre participation à l’Union européenne. C’est dans ce monde incontestablement plus dur le bon échelon pour répondre aux défis de souveraineté. Ensemble, notre marché unique pèse autant que celui des États-Unis, même s’il est moins attractif. Nous avons conquis notre souveraineté monétaire grâce à l’euro, qui bénéficie d’un soutien historiquement élevé : 81 % des Européens et 76 % des Français y sont favorables.

Je souligne que la victoire de l’Eurosystème contre l’inflation est quasi assurée. Nous avons pu ainsi baisser significativement les taux d’intérêt, et nous avons encore une marge de baisse pragmatique.

Voilà pour la lucidité. Mais nous devons aussi être déterminés. Attendre passivement, assis sur nos quelques atouts, serait le chemin assuré de l’enfoncement. La mauvaise nouvelle du retournement américain ne peut devenir une force motrice pour la France et pour l’Europe qu’à une condition : que nous voulions aujourd’hui retrouver la maîtrise de notre destin économique et budgétaire.

Permettez-moi une métaphore automobile simple. Cela implique un frein et un accélérateur. Pour d’abord reprendre le contrôle de nos finances publiques, nous devons arrêter la croissance en volume de nos dépenses publiques. Plus la France est endettée, plus elle dépend du reste du monde. Notre dette publique est passée de 30 % à 110 % du PIB en 40 ans. Les intérêts dépassent déjà notre budget de défense et bientôt celui de l’éducation nationale, dépense d’avenir par excellence.

La cause de cette maladie française est bien connue. Depuis trop longtemps, nos dépenses publiques croissent plus vite que nos recettes. Au total, et avec le même modèle social européen auquel je crois profondément, notre pays dépense plus de neuf points de PIB de plus que ses voisins, soit un écart d’efficacité atteignant 260 milliards d’euros. Je ne dis pas qu’on peut faire 260 milliards d’euros d’économies d’un claquement de doigts, mais c’est un chiffre important à considérer.

Il faut d’abord tenir le déficit à 5,4 % cette année, ce qui est encore accessible. Au-delà de cette année, le chemin du redressement est difficile, mais possible. Il repose sur ce que j’appelle une triple équivalence en termes d’objectifs chiffrés, et je trouve que c’est une coïncidence dans le cas de la France.

Stabiliser notre dette publique est équivalent à atteindre l’équilibre primaire hors charge d’intérêts, et donc réduire notre déficit total à 3 % en 2029. C’est aussi équivalent à stabiliser nos dépenses publiques totales en volume sur la période 2025-2029 à prélèvements fiscaux inchangés.

À propos de prélèvements fiscaux, j’avais relevé à l’automne dernier que des hausses d’impôts ciblées et justes devaient être envisagées. Les ajustements budgétaires ont été effectués dans le budget 2025, et notre priorité est désormais l’efficacité des dépenses.

J’ai évoqué un effort de stabilisation des dépenses en volume. Il ne s’agit pas d’un recul brutal et aveugle, j’insiste sur ce point, mais cet effort doit être partagé par l’ensemble des administrations publiques. En premier lieu, bien sûr, l’État, dont le budget a commencé à diminuer depuis deux ans, à raison de – 0,4 % par an en volume. Cependant, cela doit aussi inclure les dépenses sociales et locales, qui représentent ensemble 64 % de nos dépenses publiques et qui continuent malheureusement à augmenter d’environ 2 % par an en volume. Un effort pour la défense, bien que légitime, ne peut pas et ne doit pas signifier un retour au « quoi qu’il en coûte ». C’est une raison supplémentaire de viser cette stabilisation globale des dépenses sans plus tarder.

J’ai ensuite parlé d’un accélérateur. Parallèlement à l’arrêt de la croissance de nos dépenses publiques, nous devons viser à accélérer la croissance de notre économie. Deux leviers peuvent être combinés, avec l’objectif de porter le rythme de notre croissance potentielle, la vitesse de croisière de l’économie, d’environ 1 % actuellement, ce qui n’est pas suffisant, à 1,5 % d’ici 2030. Cela me paraît réalisable, d’abord en activant un levier français, consistant à travailler plus collectivement. J’ai souligné que notre travail est la clé décisive de notre prospérité. Malgré de nets progrès en matière d’emploi, nous devons augmenter l’emploi de nos jeunes, notamment les moins qualifiés, et de nos seniors. Nous avons, sur les jeunes comme sur les seniors, un retard de taux d’emploi de plus de 15 points par rapport à l’Allemagne. Nous devons aussi travailler mieux. Notre productivité peut progresser, notamment grâce à la diffusion massive et positive de l’intelligence artificielle.

À côté de ce levier français, le deuxième levier est européen. Les rapports Letta et Draghi l’an dernier, ainsi que la boussole pour la compétitivité de la Commission publiée en février, présentent des diagnostics remarquablement convergents sur les réformes nécessaires, sans coûts budgétaires. Ils se résument à trois impératifs, ou, si l’on préfère, la taille multipliée par le muscle, multipliée par la vitesse. Premièrement, intégrer davantage le marché unique, c’est la taille. Ensuite, investir mieux, c’est notamment le muscle financier de l’union pour l’épargne et l’investissement. Et enfin, innover plus vite, c’est la vitesse. L’Europe a besoin de simplification, moins de bureaucratie, de procédures et de délais. Soyons clairs, cependant, face aux tentations exprimées outre-Atlantique, simplifier ne signifie pas déréglementer.

Permettez-moi de conclure en revenant à ce défi historique qui est le nôtre. Nous sommes un vieux et grand pays qui a surmonté plusieurs crises graves, y compris financières, dans son histoire. Le passé nous apprend les ressorts du sursaut. Pour élever notre niveau de débat et d’action, il faut d’abord en allonger l’horizon de temps, au-delà des fixations successives de l’instant, et il faut aussi en élargir le champ, au-delà de nos querelles franco-françaises. La Banque de France est plus que jamais à la disposition des élus de la nation, au service de l’intérêt national.

Pour le dire d’une phrase, face au renoncement américain, ce peut être notre moment français et européen, si et seulement si nous le voulons.

M. le président Éric Coquerel. Monsieur le gouverneur, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2025, en octobre dernier, la croissance prévisionnelle évaluée à 1,1 % pour 2025 avait été considérée comme un peu élevée par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Lorsque le HCFP a été saisi en janvier 2025 sur les hypothèses macroéconomiques dégradées du gouvernement Bayrou, il a là encore estimé que la nouvelle prévision de 0,9 % était certes atteignable mais optimiste. Un mois après l’adoption du budget, vous présentez une prévision de croissance de 0,7 %, qui donne encore plus de crédit à l’avis du HCFP. Cependant, depuis vos travaux, les incertitudes internationales n’ont fait que croître : incertitudes sur les droits de douane, augmentation des dépenses militaires, attitude des États-Unis, comme vous l’avez mentionné. Ces éléments n’ont pas été pris en compte directement dans vos prévisions, mais depuis d’autres analyses ont-elles été conduites ? Devons-nous nous attendre à une aggravation de l’activité ou au contraire à un sursaut ?

M. François Villeroy de Galhau. Nous sommes effectivement à 0,7 % de prévision de croissance. Dans le passage de 0,9 % à 0,7 %, l’incertitude internationale est déjà prise en compte. Nous avons intégré une part de ce que les économistes appellent le « jugement ». Nous n’intégrons pas tout, je crois que vous l’avez dit justement. Cela va dépendre de ce qui se passe concernant les mesures Trump, et leur imprévisibilité et l’incertitude n’aident pas.

M. le président Éric Coquerel. Je m’interroge effectivement, puisque vos prévisions sont plus optimistes pour 2026 et 2027. Selon vos projections, le PIB progresserait de 1,2 % en 2026 et de 1,3 % en 2027. Qu’est-ce qui justifie cette accélération de l’activité ? La consommation et l’investissement ne risquent-ils pas, au contraire, d’être affectés par le contexte international, y compris pour ces années-là ?

Par ailleurs, les services de Bercy estiment qu’environ 35 milliards d’euros d’économies supplémentaires s’imposeraient en 2026 et 100 milliards d’euros d’économies supplémentaires d’ici 2029 sont nécessaires pour respecter les 3 % de déficit public. Cela ne tient pas compte de l’éventuelle augmentation des dépenses militaires, même si, lors de la réunion de la base industrielle et technologique de la défense la semaine dernière à Bercy, celle-ci n’a été finalement estimée qu’à 2,6 milliards d’euros.

Est-ce que ces mesures ne pourraient pas avoir un effet récessif sur la croissance ? Vous comprendrez que je pense que oui, mais je voudrais avoir votre avis.

Dès lors que le déficit en France est d’abord dû à la baisse des recettes et non pas à l’augmentation des dépenses, ne croyez-vous pas que le levier qui devrait être activé est celui des recettes ?

M. François Villeroy de Galhau. D’abord, concernant la prévision de reprise très progressive, elle se fonde pour nous sur ce que je soulignais à propos du succès de la désinflation et, par conséquent, du retour du pouvoir d’achat salarial. Cela va dépendre du taux d’épargne, j’y reviendrai, mais le pouvoir d’achat salarial est évidemment celui qui est le plus attendu et le plus sensible pour nos concitoyens. Le pouvoir d’achat ne s’est pas si mal défendu en France à travers l’épisode de l’inflation, mais la composante salariale était plutôt négative. Je crois que là, nous avons un élément de reprise de la consommation, sous réserve que ce supplément de pouvoir d’achat ne soit pas massivement épargné, ce qui renvoie à l’incertitude et aussi à la question de la dette. Nous avons d’assez bonnes raisons de penser, sans maîtriser les incertitudes, que cela jouera. Cela fonde d’ailleurs la même prévision de la BCE, au niveau européen, de reprise progressive.

Ensuite, le débat concernant les finances publiques et les effets récessifs de la politique budgétaire est majeur. Je crois que l’inquiétude des Français, qui explique une partie de leur taux d’épargne, est liée à la situation internationale. Il y a aussi le fait que la question de la dette monte très fortement. Aujourd’hui, un programme de redressement budgétaire, qui a un effet keynésien négatif auquel vous faites allusion, est contrebalancé par un effet positif de confiance. Vous pouvez d’ailleurs regarder nos prévisions depuis septembre dernier. À l’époque, nous ne connaissions pas précisément le chiffre du déficit. Cependant, ces chiffres sont peu sensibles à l’effet budgétaire, car l’effet de confiance contrebalance l’effet keynésien.

Concernant l’origine de ce déficit, certaines baisses d’impôts ont pu jouer un rôle. Je souligne que cela justifiait les baisses d’impôts ciblées dont j’ai parlé à l’automne dernier. Le taux de prélèvements obligatoires en 2025 reste inférieur à celui de 2023. Néanmoins, en comparaison avec nos voisins européens, la France a des prélèvements obligatoires nettement plus élevés et des dépenses encore plus importantes. Je pense que nous avons un véritable enjeu d’efficacité des dépenses. J’ai proposé d’y répondre par une stabilisation globale, et non par une réduction brutale et aveugle.

M. le président Éric Coquerel. Le rapport annuel de la Banque de France indique que la désinflation a permis une amélioration du pouvoir d’achat des ménages en 2024, les salaires par tête augmentant plus rapidement que les prix. Pouvons-nous en conclure que le salaire réel est plus élevé qu’avant la crise ? Il me semble qu’il n’a toutefois pas retrouvé son niveau d’avant 2020. En corrigeant le salaire mensuel de base de l’inflation, les données de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) montrent une baisse de près de 3 % entre 2017 et fin 2024. Vous notez également une grande hétérogénéité selon les ménages. Ma question est donc : qui sont les gagnants et les perdants ? Ne peut-on pas conclure à un risque de précarité grandissante ? Je fais notamment référence à l’enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) menée en octobre 2024 qui montrait que sur un panel de 3 000 personnes, 36 % des Français et 43 % des ménages les plus modestes indiquaient avoir tout juste bouclé leur budget, ce qui est beaucoup plus élevé qu’en 2023.

M. François Villeroy de Galhau. Concernant l’évolution précise du salaire réel, je reconnais qu’il existe une difficulté statistique, dont nous ne sommes pas responsables, liée aux différents concepts de salaire : ceux de la Dares, l’inclusion ou non de la prime de partage de la valeur, etc. Les différences liées à la répartition ne sont pas énormes, mais elles semblent jouer légèrement en faveur des salariés les plus proches du Smic. C’est une caractéristique française que je trouve positive : le Smic est protégé de l’inflation. L’augmentation salariale sur les déciles les plus bas, notamment le premier décile, a été plus forte que sur les déciles les plus élevés, mais les différences ne sont pas considérables.

Concernant la question centrale de la précarité pour certains de nos concitoyens, l’enquête du Credoc l’a effectivement mesurée. Nous l’avons également constaté à travers les dossiers de surendettement. Je tiens à souligner que la baisse du surendettement est un succès du législateur : le nombre de dossiers a diminué de 42 % en dix ans, de 2014 à 2024. Cependant, nous avons observé une hausse en 2024. En examinant ces dossiers, nous constatons que les difficultés touchent souvent des personnes en dessous du salariat, voire en dessous de certaines prestations sociales. Ces personnes en situation de grande précarité ont évidemment été les plus durement touchées par l’inflation.

Actuellement, si l’on considère le surendettement comme indicateur, nous observons plutôt une tendance à la décélération de la hausse sur les deux premiers mois de 2025. J’espère que nous nous dirigeons vers une stabilisation à mesure que nous sortons de l’inflation. Mais il est indéniable que cela a particulièrement affecté nos concitoyens sans revenus salariaux ou sociaux.

J’ajoute un point important : la part de la consommation par rapport aux revenus est beaucoup plus élevée chez nos concitoyens les moins favorisés. Comme l’indice des prix à la consommation affecte cette partie, il n’y a pas l’amortisseur de l’épargne pour ces ménages.

M. le président Éric Coquerel. En 2024, la Banque de France a enregistré une perte sans précédent de 17,9 milliards d’euros, en partie couverte par une mobilisation des réserves. L’exercice affiche donc un déficit de 7,7 milliards d’euros. On peut penser que la réponse se trouve dans la politique monétaire des deux dernières décennies. Avec la remontée des taux, la Banque de France a dû verser 19 milliards d’euros aux banques en contrepartie de leurs dépôts, constitués des liquidités mises à leur disposition après les crises de 2008 et du Covid. La quasi-totalité des réserves de la Banque de France a donc été mobilisée pour verser des intérêts à des acteurs financiers privés qui ont réalisé des bénéfices, en partie grâce à elle, et l’État a été privé du versement de son dividende.

Ne pouvons-nous pas regretter la réponse apportée aux crises ? N’aurait-il pas été possible de mieux flécher ces fonds afin de développer l’emploi, les services publics ou d’investir dans la bifurcation écologique, au lieu de favoriser en partie la spéculation et les dividendes du CAC 40 ?

Au regard du contexte international, j’estime assez probable que la Banque centrale soit mise à contribution prochainement. Ne pouvons-nous pas craindre que ces résultats financiers limitent vos marges de manœuvre ?

M. François Villeroy de Galhau. Concernant le résultat de la Banque de France que nous avons effectivement publié la semaine dernière, ce n’était pas une surprise. C’était attendu et c’est la conséquence, comme pour presque toutes les banques centrales du monde, de la lutte active et réussie contre l’inflation. Je précise que ces pertes de 2024 représentent un pic pour la Banque de France. Dès 2025, elles seront sensiblement réduites et nous reviendrons à l’équilibre en un nombre limité d’années. Par ailleurs, cela ne pèse ni sur les contribuables, ni sur le déficit de l’État. Nous l’absorbons au sein d’un bilan très solide, grâce notamment à la réévaluation de l’or.

Quant à savoir si cette politique monétaire a trop favorisé les banques, je tiens à souligner que nous ne conduisons pas la politique monétaire pour faire plaisir aux banques ni pour les pénaliser. Notre boussole est l’inflation. Lorsque nous avions des taux négatifs, en raison d’un risque de déflation et d’une menace sur l’activité, les banques payaient pour déposer de l’argent à la Banque centrale, ce qui était une situation très exceptionnelle. À l’époque, elles protestaient contre ce qu’elles ressentaient comme une taxe. J’ai toujours refusé ce terme de taxe, c’était simplement la politique monétaire.

Aujourd’hui, nous sommes revenus à une situation normale où les liquidités déposées donnent lieu à une rémunération. Nous avons par ailleurs mis à zéro la rémunération des réserves obligatoires. La Banque centrale européenne, parenthèse technique, est l’une des rares à avoir gardé des réserves obligatoires, ce qui est ressenti comme un peu pénalisant par les banques européennes, mais je crois que c’est justifié.

Concernant d’éventuelles contreparties supplémentaires à cette politique de liquidité, je pense qu’il y a eu des contreparties importantes en termes de volume de crédit. Le TLTRO mis en place au moment du Covid, qui consistait effectivement en la mise à disposition de liquidités aux banques, avait pour contrepartie le maintien des volumes de crédits. Je crois que cela a aidé à maintenir un volume de crédits satisfaisant.

Quant au verdissement de la politique monétaire, il emprunte d’autres canaux. Je souligne, et c’est lié à votre question précédente sur les ménages face à l’inflation, que la boussole de la Banque de France est la lutte contre l’inflation. Je crois que c’est notre principale contribution à la cohésion sociale et à la confiance économique.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Monsieur le gouverneur, j’aimerais aborder une question qui revient constamment dans nos débats : le taux d’épargne exceptionnellement élevé qui persiste. Selon votre rapport, nous atteignons 18,4 % de taux d’épargne au dernier trimestre 2024. De nombreux économistes prévoyaient un retour à la consommation des ménages en 2023, puis en 2024 et enfin en 2025. Or, ce phénomène ne s’est pas produit, ni en 2023, ni en 2024. Ne pensez-vous pas que cette tendance va se poursuivre en 2025 ? L’indicateur d’opinion des ménages sur l’opportunité d’épargner a atteint un niveau record de 43 points fin février de cette année. Ne pensez-vous pas que cela constitue un problème majeur ? Comment pouvons-nous mobiliser cette épargne croissante au service des investissements productifs ?

M. François Villeroy de Galhau. Vous avez raison de souligner qu’il s’agit d’une réserve de croissance importante. L’incertitude est effectivement l’une des explications de cette épargne élevée, mais ce n’est pas la seule. Rappelons que pendant la crise du Covid, nous avions une épargne forcée, avec un taux dépassant les 20 %. Le taux normal pré-Covid était d’environ 15 %. Nous sommes donc à mi-chemin.

Concernant l’incertitude, elle persiste effectivement dans l’environnement international. Il nous incombe peut-être de la réduire pour l’environnement européen et français. Cependant, un élément technique nous laisse penser que le taux d’épargne pourrait diminuer : l’évolution du pouvoir d’achat salarial. Auparavant, une part importante du pouvoir d’achat provenait des revenus d’intérêts, naturellement plus épargnés. Le revenu salarial, lui, est généralement plus consommé. C’est ce qui fonde notre prévision, partagée par la Banque centrale européenne, d’une baisse progressive du taux d’épargne, sans pour autant revenir à 15 %, ce qui stimulera la consommation.

Quant à la mobilisation de cette épargne, il ne s’agit évidemment pas de la saisir ou de l’affecter de force. Les Français choisissent librement. Cependant, il serait souhaitable sur le plan économique global - j’ai évoqué l’union pour l’épargne et l’investissement - de viser deux objectifs.

Premièrement, orienter davantage cette épargne vers les fonds propres des entreprises et l’innovation, plutôt que vers les produits de taux. C’est dans l’intérêt des épargnants sur le long terme, car cela rapporte plus et favorise l’innovation.

Deuxièmement, faire en sorte que cette épargne serve davantage aux investissements européens, alors qu’actuellement environ 300 milliards d’euros par an financent des investissements hors d’Europe, notamment aux États-Unis.

Ces objectifs s’inscrivent dans le cadre de l’union pour l’épargne et l’investissement, ainsi que dans les actions menées en France, auxquelles votre commission a largement contribué, pour allonger la durée de l’épargne. Plus l’épargne est longue, plus elle s’investit naturellement en fonds propres.

M. Charles de Courson, rapporteur général.  Dans le projet de loi de finances initiale pour 2025, le taux de croissance du PIB français était prévu à 1,1 %. Le gouvernement a réajusté à 0,9 % juste avant le vote final. Vous-même venez d’estimer une révision à 0,7 %. Ne pensez-vous pas que nous avons un problème dans ce pays ? Ne faudrait-il pas davantage associer les différents établissements et organismes qui font des prévisions, notamment la Banque de France, à l’élaboration des documents financiers, en particulier ceux relatifs aux projets de lois de finances et de lois de financement de la sécurité sociale ?

M. François Villeroy de Galhau. La question que vous soulevez est effectivement d’une grande actualité et fait l’objet de réflexions à Bercy. Je pense que le rôle du Haut Conseil des finances publiques est central en la matière. Vous avez d’ailleurs rappelé certains de ses jugements. Je crois qu’il a déjà contribué à essayer d’obtenir des prévisions les plus crédibles possibles.

Je ne demande pas pour autant que la loi de finances suive systématiquement la prévision de la Banque de France. J’ai parlé d’humilité au début de mon propos, et je crois que cela s’impose aujourd’hui. L’institution ou le prévisionniste qui prétendrait connaître avec certitude la croissance de cette année serait un imposteur. Nous sommes, comme vous l’avez souligné, dans un environnement de grande incertitude.

Nous effectuons notre travail avec indépendance et un maximum de professionnalisme. Je rappelle que l’une de nos principales sources est l’enquête mensuelle de conjoncture, qui implique 8 500 appels de terrain. Nos équipes contactent des entreprises de toute taille, de tout secteur et de tout territoire. C’est l’un des meilleurs thermomètres dont nous disposons. Aujourd’hui, notre meilleure prévision est de 0,7 %. Je souligne néanmoins que l’objectif de 5,4 % reste accessible, car il ne s’agit pas d’une révision très importante.

Il y a d’autres éléments d’incertitude. Nous verrons demain, par exemple, les chiffres de déficit et de dépenses de 2024. J’entends dire que cela pourrait constituer une base de départ un peu plus favorable. Je n’ai pas d’autres chiffres à ce sujet, la Banque de France n’étant pas chargée de l’exécution budgétaire.

En conclusion, oui, prenons en compte des sources diverses et indépendantes. Je crois qu’on ne peut pas confier automatiquement les clés à telle ou telle institution, mais il faut travailler sous le contrôle à la fois de Bercy et du Haut Conseil des finances publiques.

M. Charles de Courson, rapporteur général.  Vous avez annoncé les résultats 2024 de la Banque de France, avec une perte de 7,7 milliards d’euros, qui est en réalité de 17,7 milliards, puisque vous avez repris 10 milliards sur des provisions constituées pour faire face à des situations telles que celle connue en 2024. Vous n’êtes pas un cas isolé. La Bundesbank vient d’annoncer une perte de 19 milliards d’euros. Cependant, certaines banques centrales font figure d’exception. Pourquoi la Bundesbank et la Banque de France enregistrent-elles de telles pertes, alors que d’autres banques centrales n’en ont pas ?

M. François Villeroy de Galhau. Je ne connais pas beaucoup de ces exceptions, monsieur le rapporteur général. La quasi-totalité des banques centrales dans le monde qui ont suivi ce cycle monétaire enregistrent des pertes. C’est le cas de la Banque d’Angleterre, de celle de l’Australie, de celle du Canada, et de manière beaucoup plus massive, de la Réserve fédérale américaine. Il se trouve que le calendrier de publication n’est pas toujours le même, mais c’est une situation très générale. Je note d’ailleurs que dans certains pays comme l’Angleterre, une compensation par le Trésor était prévue. Heureusement, ce n’est pas le cas en France, puisque nous l’absorbons dans un bilan qui est solide.

Vous pensez peut-être à la Banque nationale suisse comme exception. Elle a effectivement un compte de résultats beaucoup plus volatil. J’attire votre attention sur le fait que certaines années passées, elle a subi des pertes extrêmement importantes. La Banque nationale suisse a par ailleurs des investissements en actions que nous n’avons pas et que je ne crois pas souhaitables. Elle est extrêmement sensible aux variations de change. C’est une situation très particulière, mais si vous examinez ses résultats, vous constaterez des hauts et des bas. Sans vouloir créer d’incidents avec nos amis suisses, je dirais que les résultats de la Banque nationale suisse ressemblent à des montagnes helvétiques.

Je tiens à souligner que cela ne doit pas être un sujet d’inquiétude et que cela ne nous empêche pas de mener la politique monétaire nécessaire pour atteindre notre cible d’inflation de 2 %. Le bilan de la Banque de France est solide. J’avais pris l’engagement ici que nous ne ferions pas appel à une recapitalisation et aux contribuables. Je le réaffirme.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Dans le contexte actuel des discussions sur les retraites et de la suppression du régime de la Banque de France, je souhaiterais vous interroger sur le devenir des 14,3 milliards d’euros de réserves de la caisse de réserve des retraites. À qui appartiennent ces fonds ? Sont-ils la propriété de la Banque de France ou des anciens salariés de l’institution ? Quel sera leur usage futur ? Cette question a été soulevée lors des débats sur la loi de financement de la sécurité sociale de l’année dernière, sans obtenir de réponse claire. Le gouvernement s’était alors engagé à apporter des éclaircissements ultérieurement, mais la loi de financement de la sécurité sociale actuelle reste muette sur ce point. En tant que gouverneur de la Banque de France, pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

M. François Villeroy de Galhau. Je peux vous apporter une réponse très claire sur ce point. Ces 14,3 milliards d’euros resteront au sein de la Banque de France. Ils sont destinés à couvrir les futures retraites des employés de la Banque de France relevant du régime spécifique. La loi stipule que tous les salariés titularisés avant le 1er septembre 2023 demeurent dans ce régime spécifique, tandis que ceux recrutés après cette date relèvent du régime général.

La Banque de France a toujours eu pour politique de provisionner dans ses comptes les engagements futurs de retraite. Cette pratique permet d’éviter que le régime de retraite de la Banque de France ne génère de déficit impactant nos comptes ou les finances publiques. Nous conservons donc ces 14 milliards d’euros au sein de la Banque de France pour couvrir ces engagements. Nous ajustons régulièrement ces chiffres en fonction du nombre de salariés concernés et du taux d’actualisation.

Je tiens à souligner que ce régime spécifique n’avait de spécial que le nom. J’ai publiquement exprimé mon désaccord quant à sa suppression, que j’ai jugée injustifiée. En effet, il ne comportait aucun avantage particulier et était totalement aligné sur le régime de la fonction publique. Sa seule spécificité résidait dans cette provision dont vous avez parlé, ce que je considère comme une caractéristique plutôt vertueuse. Néanmoins, nous appliquons bien évidemment la loi de la République, avec la date charnière du 1er septembre 2023 comme je l’ai mentionné.

M. Charles de Courson, rapporteur général. J’aimerais aborder un dernier point concernant la forte augmentation du prix de l’or. Plusieurs facteurs expliquent cette hausse, notamment les incertitudes actuelles, mais aussi la politique d’achat de certaines banques centrales. La Banque de France détient, si je ne me trompe pas, 2 400 tonnes d’or. Considérez-vous ce stock comme excessif ou insuffisant ? Quelle est votre position sur ce sujet ? C’est une question récurrente. Serait-il envisageable de vendre une partie de ce stock d’or pour améliorer la situation des finances publiques françaises, comme l’avait suggéré un ancien Président de la République il y a quelques années ?

M. François Villeroy de Galhau. La question de l’or me semble relativement simple à traiter. Les chiffres sont publics : nous détenons 2 436 tonnes d’or, dont nous assurons la garde pour le compte de tous les Français. Au 3 juin 2024, ces réserves d’or sont valorisées dans nos comptes à 196 milliards d’euros. Cette valorisation a connu une évolution significative, principalement en raison des incertitudes internationales que vous avez évoquées, bien plus que par les achats de certaines banques centrales, qui concernent plutôt des pays émergents ou sous sanctions comme la Russie ou la Chine.

Notre décision de conserver cet or s’est avérée judicieuse, puisqu’elle a entraîné une réévaluation de plusieurs dizaines de milliards d’euros en 2024. Cette réévaluation nous permet d’absorber dans le bilan de la Banque de France les pertes exceptionnelles que j’ai mentionnées précédemment. Alors que nous avons publié une perte de 7,7 milliards d’euros après avoir puisé dans nos réserves, notre situation nette au bilan s’est améliorée de 32 milliards d’euros, ce qui s’explique par la réévaluation de l’or.

Notre politique actuelle est de conserver cet or, sans en acheter ni en vendre davantage. Cette approche me semble la plus sage. Par ailleurs, monsieur le rapporteur général, vous savez pertinemment que la vente de cet actif générerait une plus-value immédiate sans pour autant enrichir la France, puisque nous perdrions l’actif correspondant. Notre bilan total resterait donc inchangé. Je considère que ces réserves d’or constituent un actif de réserve qui renforce indéniablement la confiance dans la signature de la France, et dont la valeur n’a cessé de s’apprécier. Sans vouloir m’en attribuer le mérite, je pense que cette approche prudente s’est révélée payante.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Concernant la politique monétaire et notre comparaison avec le dollar, vous présentez toujours l’euro de manière assez favorable. Cependant, force est de constater que depuis sa création, l’euro est resté stable en tant que monnaie de réserve internationale. On aurait pu espérer, compte tenu des fluctuations du dollar, que l’euro puisse davantage s’imposer. Comment expliquez-vous qu’après vingt ans et beaucoup d’autosatisfaction, l’euro ne soit pas devenu une réserve monétaire internationale plus importante qu’à sa création, n’ayant progressé que de quelques points ?

Deuxièmement, en matière de politique monétaire, de nombreux indicateurs semblent contradictoires. Le taux de change euro-dollar a connu d’importantes variations, mais sur le long terme, l’euro reste globalement plus fort que le dollar. Pourtant, le PIB en valeur absolue et par habitant de la zone euro s’est considérablement affaibli par rapport aux États-Unis. Comment expliquer que l’euro se maintienne à un tel niveau, alors qu’en termes de pouvoir d’achat et de richesse, la situation est bien différente, hormis pour le commerce international ? Cela ne se traduit pas par une amélioration du pouvoir d’achat des habitants de la zone euro.

De plus, il faut aujourd’hui onze fois plus d’euros pour acheter une once d’or. Quel que soit le critère des différentes écoles de politique monétaire, la situation de l’euro semble problématique. En tout cas, pour l’économie de la zone, on ne peut pas dire que ce soit brillant. L’euro est-il trop fort ou trop faible pour la France ? J’aimerais connaître votre avis sur ce point.

Par ailleurs, certains analystes, notamment Patrick Artus, soulignent que la relance allemande est tellement importante qu’elle a provoqué une hausse des taux d’emprunt, en particulier des taux allemands, entraînant dans son sillage toute la zone euro. Quelle est votre analyse de cette situation ?

Le coût de la hausse des taux pour les États européens et l’ensemble de l’économie européenne ne risque-t-il pas d’être supérieur au gain de croissance keynésien attendu de la relance allemande ? Si cette relance entraîne une augmentation du coût de l’endettement pour toutes les économies européennes, cela ne va-t-il pas nous coûter plus cher que l’effet espéré, en particulier pour la France et les pays latins ?

Concernant le bilan, vous avez répondu à Charles de Courson sur vos pertes. Vous affirmez que cela n’a pas d’influence sur les comptes de l’État, mais le dividende et les impôts sur les sociétés payés par la Banque de France oscillaient entre 3 et 5 milliards d’euros en moyenne pendant plus de dix ans. Depuis deux ans, c’est zéro. Cela a donc bien une influence sur les comptes de la nation, qu’il faut compenser ailleurs.

Enfin, il serait intéressant que l’on vous auditionne un jour sur le bilan de la Banque de France, qui présente des variations annuelles considérables, parfois de plus de 80 milliards d’euros sur certains éléments au passif et à l’actif. Monsieur le gouverneur, serait-il possible d’avoir une présentation exhaustive et précise du bilan de la Banque de France ?

M. François Villeroy de Galhau. Concernant le rôle international de l’euro, je rappelle que cela ne faisait pas partie des objectifs initiaux du traité. L’euro représente environ 20 % des actifs mondiaux, loin derrière le dollar certes, mais devant les autres monnaies. Je suis d’accord avec vous sur la nécessité d’accroître le rôle international de l’euro, ce qui pourrait être un élément de consensus. L’euro est aujourd’hui crucial pour assurer notre souveraineté monétaire, un exemple de réussite européenne malgré les débats initiaux.

Quant au PIB par habitant, depuis la création de l’euro en 1999, il a augmenté de 26 % en zone euro, contre 39 % aux États-Unis. Cette différence s’explique principalement par l’innovation, la productivité et la technologie. Nous devrions nous inspirer des meilleures pratiques américaines dans ces domaines, notamment en matière de financement en fonds propres.

La parité relative entre l’euro et le dollar, malgré une croissance moindre en Europe, s’explique par divers facteurs : les perspectives de croissance, la situation des comptes extérieurs et le niveau comparé des taux d’intérêt. Cette situation n’est pas défavorable au pouvoir d’achat des Européens.

La relance allemande est globalement une bonne nouvelle. L’Allemagne avait une situation budgétaire opposée à la nôtre, avec un frein à l’endettement trop restrictif. Cette relance est bienvenue pour l’effort de défense et d’infrastructure en Allemagne, bénéficiant à la croissance allemande et européenne.

Vous avez raison, cela a entraîné une hausse des taux longs européens. Cependant, la baisse que nous avons opérée sur les taux courts est très supérieure à cette hausse. L’amélioration du crédit immobilier en est la preuve : les taux moyens pour les Français sont passés de 4,2 % en janvier 2024 à 3,3 % en janvier 2025. De plus, les taux longs européens restent très inférieurs aux taux longs américains, avec un écart plus important que celui de l’inflation.

Concernant les comptes de la Banque de France, nous avons fait preuve d’une totale transparence. Je vous invite à consulter la présentation de nos comptes et les rapports fournis. Je serai ravi d’en discuter plus longuement ici. Tout est présenté et justifié, et cela a permis de réduire significativement l’inflation en France, qui était la première préoccupation des Français.

M. Daniel Labaronne (EPR). Votre rapport annuel 2024 souligne que la bataille contre l’inflation est en passe d’être gagnée, ce qui redonne de l’oxygène à notre économie. La baisse des taux d’intérêt commence à produire des effets concrets, notamment sur le crédit immobilier, et la progression des salaires devrait continuer à soutenir le pouvoir d’achat.

L’enjeu est désormais d’affermir notre dynamisme économique à l’échelle européenne. Les rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi posent un diagnostic clair : nous devons davantage intégrer le marché unique, mieux investir en utilisant les ressources privées par une union pour l’épargne et l’investissement et lever les freins bureaucratiques qui ralentissent l’innovation. Ces sujets sont au cœur des travaux actuels de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur l’union pour l’épargne et l’investissement.

Une Europe forte passe par une capacité accrue à financer l’économie, et l’innovation monétaire fait partie de cette équation. L’euro numérique que vous préparez pourrait devenir un levier structurant pour faciliter les échanges, sécuriser les transactions et renforcer notre autonomie financière.

Dès lors, monsieur le gouverneur, comment l’euro numérique peut-il, selon vous, s’intégrer dans l’union pour l’épargne et l’investissement pour fluidifier l’investissement transfrontalier et renforcer la souveraineté économique de l’Europe ?

M. François Villeroy de Galhau. L’euro numérique représente un enjeu crucial pour notre souveraineté monétaire. Historiquement, la monnaie a toujours été un partenariat public-privé, avec d’un côté la monnaie de banque centrale sous forme de billets, et de l’autre la monnaie privée des banques commerciales, utilisée pour les comptes, chèques et cartes de crédit. Aujourd’hui, l’usage de la monnaie devient de plus en plus numérique, et il est essentiel que la monnaie de banque centrale s’adapte à cette évolution.

L’élection américaine a changé la donne. L’un des premiers décrets de l’administration Trump vise à interdire la monnaie numérique de banque centrale aux États-Unis tout en promouvant les cryptomonnaies émises par des acteurs américains, notamment les grandes entreprises technologiques. Cette situation pose un défi majeur pour la souveraineté monétaire européenne. Devons-nous accepter que l’évolution technologique nous rende dépendants d’émetteurs de monnaie privés et non européens ?

La réponse européenne appropriée serait de développer un actif numérique émis par la banque centrale, en partenariat avec les banques commerciales. Cela permettrait d’ancrer notre indépendance monétaire et d’éviter une dépendance accrue vis-à-vis d’acteurs privés non européens. Les systèmes de paiement, essentiels au fonctionnement de l’économie, sont déjà largement dominés par un duopole américain. Il est crucial de ne pas aggraver cette dépendance.

Pour réaliser ce projet, un partenariat avec les banques européennes est nécessaire. Bien que certaines banques françaises s’y opposent, il est important de dépasser ces réticences. La banque centrale n’aura pas de comptes directs, cette relation restera du ressort des banques commerciales. Des limites de détention seront mises en place et des protections fortes garantiront la confidentialité des données des citoyens.

Cette stratégie de monnaie numérique et de paiement européenne représenterait une avancée décisive pour notre souveraineté. L’enjeu est devenu encore plus évident depuis le 20 janvier. Une discussion est en cours au niveau européen, car un acte législatif est nécessaire. Nous avons déjà commencé les préparatifs techniques et, si nous obtenons l’autorisation, nous serons prêts à mettre cette monnaie numérique à disposition des citoyens européens d’ici deux à trois ans.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). La situation économique actuelle soulève de sérieuses inquiétudes. Les prévisions de croissance ont été revues à la baisse, passant de 1,1 % à 0,9 %, et pourraient même n’atteindre que 0,7 %. Cette différence pourrait entraîner une perte de recettes pour l’État d’environ 6 milliards d’euros.

Malgré cela, le gouvernement persiste dans sa politique de restrictions budgétaires. Aux 31 milliards d’euros de coupes dans les budgets de l’éducation et de la santé s’ajoutent 9 milliards d’euros de crédits gelés en début d’année. Cette approche austère risque d’entraîner la France dans une spirale récessive. Contrairement à l’Allemagne, qui a opté pour un plan d’investissement de 500 milliards d’euros visant une croissance de 2 %, la France continue de réduire ses dépenses. Quel impact ces coupes budgétaires auront-elles sur la croissance et les prévisions de recettes ?

Concernant la Banque de France, ses effectifs ont été réduits de 25 % ces dernières années, et trois suicides ont eu lieu entre 2023 et 2024. Quelles mesures comptez-vous prendre pour éviter de nouveaux drames ?

M. François Villeroy de Galhau. Je souhaite rappeler que la Banque de France est une institution indépendante depuis la loi du 4 août 1993.

Il est important de noter que la croissance française ne dépend pas actuellement d’une augmentation des dépenses et des déficits. Si tel était le cas, la France et l’Italie seraient depuis quarante ans les champions de la croissance, étant donné notre propension aux dépenses et aux déficits élevés. Cela ne signifie pas qu’il faille négliger les théories keynésiennes. La Banque de France a d’ailleurs travaillé sur ces questions, notamment sur les multiplicateurs économiques. Cependant, la croissance française ne saurait aujourd’hui reposer sur des déficits et des dépenses supplémentaires. J’ai même évoqué l’effet inverse sur la confiance des épargnants et l’incertitude que cela engendre, comme l’a souligné le rapporteur général.

Quant à la Banque de France, nous avons effectivement réduit nos effectifs de 25 %, ce qui représente notre contribution à la maîtrise des dépenses publiques. Je tiens à saluer l’engagement des employés de la Banque de France qui ont permis cette transformation. J’ose espérer que de nombreux représentants de la nation considèrent cet effort comme exemplaire, d’autant plus que nous avons parallèlement étendu nos missions grâce à des gains d’efficacité et d’organisation.

Il est vrai que nous traitons moins de dossiers de surendettement. Cependant, je tiens à souligner que le lien que vous établissez avec les suicides est inapproprié. Ces situations dramatiques méritent le plus grand respect. Toute organisation doit faire face à ce type de risque, d’autant plus lorsqu’elle maintient un pacte social inclusif, y compris pour les personnes plus vulnérables. C’est une fierté pour la Banque de France. Nous avons d’ailleurs lancé un programme de bien-être au travail, mais il serait erroné d’établir un lien direct entre nos efforts d’efficacité et les drames personnels que vous avez mentionnés. Je me dois d’être clair sur ce point.

M. le président Éric Coquerel. Monsieur le gouverneur, permettez-moi de suggérer qu’en 2023, il pourrait y avoir un lien entre le fait que nous ayons évité la récession, avec une croissance de 1 % initialement inattendue, et le niveau de dépense publique. Cela est d’autant plus notable que l’Allemagne est entrée en récession, ce qui explique la remise en question actuelle de la politique qu’elle avait conduite.

M. François Villeroy de Galhau. Je ne me considère pas comme un opposant dogmatique aux théories keynésiennes. Je citerai même un exemple plus frappant que le vôtre : en 2020, j’ai soutenu la politique du « quoi qu’il en coûte ».

Concernant l’Allemagne, elle peut se permettre cette stratégie car elle a reconstitué ses réserves durant les années plus prospères. Si la France avait un taux d’endettement de 62 % comme l’Allemagne, je serais le premier à préconiser un effort massif, peut-être pas dans les infrastructures où nous n’accusons pas de retard, mais dans d’autres domaines. Malheureusement, notre dette s’élève à 112 %, alors qu’il y a 15 ans, nous étions au même niveau que l’Allemagne. Cette différence de stratégie ne nous a pas apporté plus de croissance, mais nous laisse aujourd’hui moins de marge de manœuvre.

M. Laurent Baumel (SOC). Vous avez mentionné le nombre de personnes en emploi comme un atout pour notre pays, le qualifiant de levier français. Il est vrai que pendant des décennies, la question économique centrale était celle du chômage, considéré comme le problème numéro un. Dans les années 80-90, le débat sur la politique monétaire tournait essentiellement autour de son impact sur le chômage. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte où la question du recrutement des collaborateurs par les entreprises devient primordiale, même si le chômage, notamment celui des seniors, reste un enjeu important.

Ma première question est la suivante : quelle évaluation faites-vous, au sein de la Banque de France, des difficultés exprimées par les entreprises pour recruter aujourd’hui ? Ne serait-il pas opportun, dans une perspective historique, de reconsidérer la question du partage de la valeur ajoutée et du caractère potentiellement insuffisant de la rémunération du travail, en particulier pour les bas salaires ?

Ma seconde question concerne le réseau étendu de la Banque de France, qui lui permet d’appréhender les tendances de l’économie territoriale. Êtes-vous en mesure, grâce à ce réseau, de percevoir les impacts potentiels des restrictions affectant les finances des collectivités locales sur l’investissement public local et sur la dynamique de l’économie territoriale ?

M. François Villeroy de Galhau. Vous avez raison de soulever la question du recrutement. Nous l’évaluons chaque mois dans notre enquête de conjoncture. Les difficultés de recrutement ont atteint leur apogée autour de 2022, lors de la reprise post-Covid. Depuis, elles ont régulièrement diminué, mais restent significatives : environ 20 % des entreprises déclarent encore rencontrer des difficultés de recrutement. C’est un paradoxe, malgré nos progrès en matière d’emploi, avec un taux de chômage d’environ 7,5 % et des centaines de milliers de jeunes sans emploi.

Cela s’explique par plusieurs facteurs. Le principal, à mon sens, est l’inadéquation entre les compétences des jeunes sur le marché du travail et les besoins des entreprises. Un effort est nécessaire des deux côtés. La question des rémunérations que vous évoquez peut également jouer un rôle. Cependant, la Banque de France s’est toujours abstenue de faire des recommandations en la matière, notre pays privilégiant une négociation sociale décentralisée au niveau des branches ou des entreprises, ce qui me semble être une bonne approche.

Je partage votre constat sur le paradoxe français : d’un côté, des centaines de milliers de jeunes au chômage et plus de deux millions de chômeurs au total, et de l’autre, 20 % des entreprises confrontées à des difficultés de recrutement. Cette situation doit nous inciter à agir.

Je vous remercie d’avoir souligné l’importance du recul historique, que je préfère effectivement aux polémiques immédiates.

S’agissant de l’investissement des collectivités locales, je dois admettre que je ne dispose pas de chiffres précis. Il serait effectivement souhaitable que nous puissions mieux documenter les finances publiques locales, probablement en collaboration avec la direction générale des finances publiques.

J’ai souhaité souligner, sans vouloir critiquer la gestion des élus locaux dont je connais l’engagement et le dévouement, que sur la période 2023-2025, censée être une période de grande prise de conscience budgétaire, les dépenses locales, tout comme les dépenses sociales, continuent d’augmenter d’environ 2 % par an en volume. Ne devrions-nous pas examiner plus attentivement la répartition entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement, ces dernières étant à privilégier car elles contribuent davantage à la cohésion et à la croissance locale ? En tant que représentant de la Banque de France, je reste modeste sur ce sujet, mais j’espère qu’il existe des données pertinentes. Il me semble nécessaire d’élever le débat et de fournir au public des éléments factuels. L’objectif n’est pas de s’accuser mutuellement, mais de collaborer pour trouver des solutions. Tant que nous nous rejetons la faute les uns sur les autres, nous ne progressons pas.

M. Nicolas Ray (DR). Je tiens à saluer les résultats obtenus grâce à l’euro en termes de maîtrise de l’inflation, malgré les critiques souvent adressées à l’Europe. On imagine en effet la situation du franc avec notre situation budgétaire actuelle. Nous partageons vos propositions d’action concernant la maîtrise des dépenses et la nécessité de renforcer la croissance et l’emploi en France.

Quelle serait selon vous la juste répartition de l’effort de maîtrise des dépenses publiques entre l’État, le secteur social et les collectivités ? Quels sont les secteurs où les marges de manœuvre sont les plus importantes ? Deuxièmement, pensez-vous que la baisse de 0,2 point de la prévision de croissance pourrait remettre en cause l’objectif de déficit de 5,4 % voté lors du projet de loi de finances ? Troisièmement, quelles sont vos préconisations pour augmenter le taux d’emploi ? Enfin, concernant le renforcement nécessaire de nos dépenses de défense, quelles sont vos recommandations ou réactions par rapport au financement et aux outils de financement de cet effort, comme la création d’un livret ?

M. François Villeroy de Galhau. Je vous remercie, monsieur le député, pour vos remarques sur l’euro et la maîtrise de l’inflation. En effet, dans la situation difficile que nous traversons, l’euro nous est très bénéfique. Sans lui, la gestion des tensions sur les différentes monnaies européennes, y compris la nôtre, serait extrêmement complexe.

Pour répondre à vos questions, je commencerai par l’objectif de déficit de 5,4 %. Je pense qu’il est encore atteignable, malgré la révision modérée de la croissance. Cependant, cela ne se fera pas sans effort. J’insiste sur la nécessité d’une volonté forte.

Quant à la répartition de l’effort futur, cette question dépasse largement les compétences de la Banque de France et relève d’un choix démocratique. Je préconise un effort juste et partagé, impliquant un dialogue plutôt que des invectives. Sans donner de chiffres précis, je pense que l’État devrait fournir l’effort le plus important. J’ai mentionné la baisse de 0,4 % en volume des dépenses de l’État depuis deux ans, qui est encore plus significative si l’on exclut l’augmentation de la charge d’intérêt. Il faut poursuivre dans cette direction.

Concernant les dépenses sociales, compte tenu des besoins et du vieillissement de la population, une progression en volume est inévitable, mais elle devrait être plus modérée qu’actuellement. Pour les collectivités locales, une stabilisation en volume serait envisageable, en s’appuyant sur la croissance relativement forte des dernières années. Il faudrait également revoir la répartition entre dépenses de fonctionnement et d’investissement. Je rappelle que nous avons réussi à stabiliser les dépenses locales en volume sur la période 2014-2018.

Concernant l’effort de défense, vous avez mentionné, monsieur le président, le chiffre de 2,6 milliards d’euros...

M. le président Éric Coquerel. En effet, c’est le chiffre avancé dans la loi de programmation militaire (LPM) pour l’instant : 2,6 milliards d’euros d’ici 2030, ce qui porterait le budget à 70 milliards d’euros au lieu de 67,6 milliards. Je précise que ce n’est pas un chiffre définitif, mais c’est celui qui a été proposé.

M. François Villeroy de Galhau. J’avais effectivement à l’esprit la LPM qui prévoit une augmentation de 50 milliards d’euros aujourd’hui à 68 milliards en 2030. Le chiffre que vous venez de citer serait donc en supplément de la LPM. Il ne m’appartient pas de juger de la légitimité de cet effort supplémentaire, ma compétence en la matière étant limitée. Il est important de considérer non seulement le chiffre, mais aussi les besoins réels et notre capacité à les satisfaire.

Je voudrais souligner que le débat public semble parfois confondre deux questions distinctes. La première, abordée la semaine dernière à Bercy, concerne le financement des industriels de la défense. Je tiens à réaffirmer clairement qu’il ne doit pas y avoir d’exclusion bancaire dans ce domaine. La Banque de France n’a jamais préconisé que les banques ne financent pas la défense. Il est nécessaire d’augmenter les fonds propres, et des mesures ont été annoncées en ce sens, avec 1,7 milliard d’euros prévu.

La seconde question, plus complexe, est de savoir qui paiera in fine. La réponse est simple : c’est l’État qui paiera. L’État est le seul acheteur possible pour les dépenses de défense, qu’il s’agisse de missiles ou de la solde des militaires. La question est de savoir comment intégrer cela dans une stratégie pluriannuelle de finances publiques. Sans préjuger de l’ampleur de l’effort, cela me semble être une raison supplémentaire pour commencer dès maintenant cet effort juste et partagé de stabilisation.

M. le président Éric Coquerel. Pour être précis, c’est l’État, mais a également été évoquée la possibilité que d’autres pays achètent notre armement.

M. François Villeroy de Galhau.  En effet, si nous exportons de l’armement vers d’autres pays, c’est positif.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Tout d’abord, je souhaite revenir sur votre dernière remarque en faisant écho aux propos de Monsieur Lecornu sur France Inter, qui justifiait l’investissement dans l’armement par sa rentabilité.

Ensuite, j’ai trois questions à vous poser. Premièrement, concernant les perspectives économiques à moyen terme, vos projections pour 2026 et 2027 indiquent une reprise de la croissance à 1,2 % et 1,3 % respectivement. Quels sont, selon vous, les principaux moteurs de cette reprise anticipée et quelles incertitudes majeures subsistent quant à leur concrétisation ?

Deuxièmement, vous évoquez dans vos projections le risque de nouvelles hausses budgétaires liées à un accroissement des dépenses militaires. Pourriez-vous nous éclairer sur la manière dont ces dépenses pourraient influencer l’inflation et la croissance à moyen terme, et comment la Banque de France envisage de prendre en compte ces éléments dans ses recommandations de politique monétaire ?

Enfin, bien que vos projections ne prennent pas directement en compte le phénomène de dédollarisation, nous observons une tendance marquée, notamment avec la Chine et la Russie qui réduisent leur dépendance au dollar. Dans quelle mesure pensez-vous que cette évolution des systèmes monétaires internationaux pourrait impacter à moyen terme la stabilité financière, la compétitivité des exportations françaises, notamment via l’effet sur les taux de change, ainsi que les dynamiques politiques et commerciales internationales ?

M. François Villeroy de Galhau. Concernant l’impact des dépenses militaires sur la croissance et l’inflation, c’est un sujet largement débattu par les économistes. Prenons l’exemple allemand : l’effet des dépenses d’infrastructures sur la croissance est clairement positif, notamment en levant certains goulets d’étranglement. La France possède un avantage relatif dans ce domaine. L’Allemagne, en investissant dans ses infrastructures, va éliminer des obstacles à sa croissance potentielle.

Les dépenses de défense, en revanche, n’ont pas le même effet. Leur objectif principal est d’éviter une catastrophe, à savoir la perte de notre liberté, de la paix et de nos valeurs. D’un point de vue économique, cela s’apparente aux dépenses contre le changement climatique. L’effet multiplicateur est plus limité, bien que ces investissements soient nécessaires et doivent être maîtrisés.

Cependant, l’expérience américaine montre que des dépenses de défense élevées peuvent avoir des retombées positives sur la recherche et le développement. Internet, par exemple, est né de la défense américaine. La question est de savoir si cela peut nous permettre de progresser dans des domaines comme l’intelligence artificielle.

Il est crucial que cet effort de financement de la défense s’accompagne d’une intégration de l’industrie européenne d’armement. Actuellement, on observe plus de défense en Europe, mais pas nécessairement plus d’Europe de la défense. Cette distinction est importante pour la question de l’inflation. Si la capacité de production s’accroît au même rythme que les financements, nous ne prévoyons pas de menace particulière sur l’inflation. En revanche, la création de nouveaux goulets d’étranglement présenterait un risque.

La nouvelle donne économique est incontestablement dangereuse, particulièrement aux États-Unis en termes d’inflation et de croissance. En Europe, le risque inflationniste est moindre car notre économie est plus éloignée de son plein potentiel. Néanmoins, j’insiste sur l’importance d’une intégration européenne en matière d’armement, ce qui nécessitera de dépasser certains égoïsmes industriels ou nationaux.

Il est vrai que certains grands pays émergents, notamment les Brics, se méfient davantage du dollar. Les récents événements aux États-Unis risquent d’accentuer cette défiance. Cependant, il serait souhaitable d’éviter une fragmentation totale du système monétaire international, qui réduirait le potentiel de croissance mondiale. Une évolution vers un monde monétaire multipolaire, où l’euro aurait son rôle à jouer, me semble préférable, à condition que ce monde soit régulé.

Les risques liés à la dérégulation financière américaine sont sérieux. Pour maintenir un système d’échanges inspirant confiance, caractéristique essentielle de la monnaie, il faut établir des règles communes sur la solidité du système financier. En résumé, nous devrions viser plusieurs monnaies, mais avec des règles communes. C’est actuellement ma principale préoccupation.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Concernant l’impact sur la croissance, vous avez prévu une baisse de 0,2 point par rapport aux prévisions initiales. Pour les années 2026-2027, intégrez-vous les dépenses militaires supplémentaires qui pourraient stimuler la croissance, non seulement pour le marché français, mais aussi européen ?

Ma deuxième question porte sur le rôle de la Banque de France. Je souhaite rebondir sur les propos du rapporteur général concernant le rôle de votre institution dans la fourniture d’indicateurs à Bercy pour l’élaboration des budgets. Vous avez mentionné environ 8 500 contacts réguliers avec des entreprises, ce qui vous permet de suivre de près l’activité économique. Nous avons été surpris, lors de nos travaux d’enquête, de constater une baisse des recettes de TVA et d’IS. Pourquoi n’existe-t-il pas un mécanisme de partage d’informations entre la Banque de France et Bercy ? Votre proximité avec les entreprises vous permet de connaître l’état des carnets de commandes et d’autres indicateurs pertinents. Ne serait-il pas judicieux de mettre en place un tel système, plutôt que de se baser sur des critères parfois étonnants comme l’excédent brut d’exploitation ?

Enfin, pouvez-vous nous dresser un bilan des prêts garantis par l’État (PGE) ? Vous avez évoqué de nombreuses créations d’entreprises, mais nous constatons également beaucoup de défaillances dans divers secteurs. Où en sommes-nous concernant les remboursements des PGE ? Quel est l’état actuel de la situation ? L’idée de transformer ces PGE en fonds propres, souvent évoquée, a-t-elle été explorée pour répondre aux besoins de financement de nos entreprises ?

M. François Villeroy de Galhau. Vos questions sont effectivement importantes. Concernant votre première interrogation, nous n’avons pas intégré l’impact potentiel des dépenses militaires sur la croissance française. De même, nous n’avons pas pris en compte l’effet négatif des mesures protectionnistes, dont j’ai mentionné un ordre de grandeur, ni l’effet positif d’une éventuelle mobilisation européenne. À très court terme, pour l’année prochaine, je pense que cet impact sera relativement limité, mais vous avez raison de souligner que cela pourrait jouer un rôle par la suite.

Concernant les indications fournies à Bercy, je vous remercie pour vos commentaires positifs sur la qualité des prévisions de la Banque de France. Cependant, je tiens à souligner deux limites importantes. Premièrement, nous ne prétendons pas détenir la vérité absolue sur la croissance. Nous effectuons notre travail avec indépendance et crédibilité, mais il serait présomptueux d’affirmer connaître avec précision l’évolution de la croissance pour 2025 et 2026. D’ailleurs, l’année dernière, nous avions fait preuve d’un excès de prudence dans nos prévisions initiales pour 2024, sous-estimant l’impact des Jeux Olympiques et le fort rebond du deuxième trimestre.

La deuxième limite concerne notre capacité à prévoir les recettes fiscales. La Banque de France ne dispose pas, par exemple, d’un simulateur pour l’impôt sur les sociétés. Bien que nous soyons reconnus pour nos prévisions de croissance, nous n’avons pas d’expertise spécifique en matière de recettes fiscales. Il est donc important de s’appuyer sur plusieurs sources indépendantes et transparentes.

Quant au bilan des PGE, je pense qu’ils ont été un succès. Le taux de remboursement dépasse aujourd’hui 70 %, et les estimations de pertes, initialement de l’ordre de 4 à 5 %, n’ont que peu évolué jusqu’à présent. Je souhaite souligner que la grande majorité des PGE sont destinés à être remboursés. Il est crucial de comprendre que leur non-remboursement se traduirait par une augmentation de la dette publique. Fort heureusement, la plupart des entreprises françaises sont en mesure de rembourser leurs PGE.

J’ai toujours été prudent concernant l’idée de transformation systématique des PGE en fonds propres, bien que des restructurations au cas par cas ne soient pas exclues. Nous disposons d’ailleurs d’une procédure conjointe avec la DGFIP et l’État dans chaque département. Je rappelle également l’existence de la médiation du crédit, accessible gratuitement à toutes les entreprises dans vos départements, qui n’est d’ailleurs pas submergée de dossiers actuellement. Nous sommes prêts à traiter les cas de difficultés, mais dans l’ensemble, les PGE représentent une expérience positive qui a contribué à atténuer l’impact économique de la crise du Covid et qui se rembourse actuellement dans les délais prévus.

M. Michel Castellani (LIOT). Concernant les cryptomonnaies, sur lesquelles vous avez exprimé une opinion plutôt réservée, nous savons qu’il existe de nombreux prestataires de services sur actifs numériques, enregistrés auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou agréés. Nous avons vu Meta tenter de lancer sa propre monnaie privée, ce qui a suscité une certaine panique. Par ailleurs, certaines banques centrales ont décidé de créer leur monnaie numérique. Compte tenu de l’instabilité connue des cryptomonnaies et des débats qu’elles suscitent, considérez-vous ces cryptomonnaies comme une menace pour le système monétaire et financier ?

Ma seconde question porte sur un sujet différent. Le Premier président de la Cour des comptes a déclaré qu’un retour au « quoi qu’il en coûte » serait irresponsable et conduirait à la paralysie, puis à l’accident. L’effort budgétaire nécessaire pour la défense est indispensable, mais ne peut se faire au détriment de nos finances publiques. Face à ces affirmations, quel est le point de vue du gouverneur de la Banque de France ?

M. François Villeroy de Galhau. Concernant votre premier point sur les monnaies publiques et la menace des cryptomonnaies, il est important de souligner que les cryptomonnaies ne sont pas considérées comme une monnaie pour deux raisons principales. Premièrement, elles n’ont pas de pouvoir libératoire. Le paiement en cryptomonnaie dépend de l’accord mutuel des parties, ce qui est relativement rare. Deuxièmement, personne n’est responsable de la valeur des cryptomonnaies, contrairement à l’euro dont la valeur est sous la responsabilité partagée du conseil des gouverneurs.

La volatilité des cryptomonnaies est extrême, comme l’ont démontré les récents événements tels que la faillite de FTX. Les cryptomonnaies peuvent être considérées comme un instrument d’investissement, mais uniquement pour des investisseurs avertis, prêts à prendre des risques et informés des dangers. Il est crucial de protéger ces investisseurs et de prévenir l’utilisation des cryptomonnaies pour des transactions illégales. C’est l’objectif de la réglementation Markets in crypto-assets (Mica) adoptée en Europe, que nous avions anticipée en France avec la réglementation des prestataires de services sur actifs numériques (Psan).

Il n’y a pas de menace systémique tant que nous maintenons un système de monnaie publique solide.

Quant au « quoi qu’il en coûte », je partage l’avis du Premier président de la Cour des comptes : cette approche ne devrait pas s’appliquer à la défense. Bien que j’aie parlé d’un « enfoncement » plutôt que d’un « mur » ou d’une « impasse », je suis convaincu que nous ne pouvons pas continuer sur la voie actuelle, car cela affaiblit notre pays et va à l’encontre de l’intérêt national.

M. le président Éric Coquerel. Vous n’avez pas répondu à ma question sur les recettes. Si l’on exclut les dépenses liées au Covid, les dépenses publiques diminuent en pourcentage du PIB depuis 2017. Le problème réside dans le manque de recettes, qui s’élève maintenant à 60 milliards d’euros par an. Même Gabriel Attal, lors d’une récente audition devant notre commission exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête, a reconnu que les dépenses publiques n’augmentaient pas et que la problématique se situait du côté des recettes. Ma question est donc la suivante : ne faudrait-il pas chercher des solutions du côté des recettes ?

M. François Villeroy de Galhau. Il est important de préciser que nous parlons des dépenses de l’État, ce qui est plus qu’une nuance. Je me réjouis de cette concorde transpartisane. Il faut considérer les dépenses publiques dans leur ensemble. J’ai déjà exprimé mon opinion sur certaines baisses d’impôts non financées. Cependant, l’évolution de notre dette publique est un problème de longue date. En 1980, la dette publique représentait 20 % du PIB. Aujourd’hui, elle atteint 112 %. Un jeune qui débute dans la vie active aujourd’hui porte un fardeau presque six fois plus lourd que celui que je portais à mon époque. Nous manquons gravement à notre devoir de solidarité intergénérationnelle.

Bien que les recettes puissent être en cause, la France a structurellement des dépenses publiques beaucoup plus élevées que les autres pays. Je crois profondément au modèle européen, au modèle de service public et au modèle de solidarité, mais nous n’avons pas besoin que cela nous coûte beaucoup plus cher que nos voisins européens. Il serait judicieux d’examiner ce qui est le plus efficace chez les autres.

M. Emmanuel Fouquart (RN). Monsieur le gouverneur, vous n’avez pas répondu à la question de Jean-Philippe Tanguy concernant l’arrêt du reversement à l’État des dividendes, qui représentaient plusieurs milliards chaque année et qui ont cessé depuis deux ans. Quelles seraient les conséquences pour la Banque de France si le déficit actuel devait perdurer ?

M. François Villeroy de Galhau. Vous avez raison de soulever ce point. Depuis 2015, la Banque de France a versé 32 milliards d’euros au budget de l’État, répartis à parts à peu près égales entre l’impôt sur les sociétés et les dividendes. C’est une somme considérable. L’objectif principal de la Banque de France n’est pas de maximiser ses profits, mais de reverser le maximum à l’État tout en assurant sa mission première de stabilisation des prix.

La politique monétaire menée à l’époque, notamment avec les taux négatifs sur les dépôts bancaires, générait des profits exceptionnels. Nous en avons reversé la majeure partie à l’État, le reste étant mis en provisions que nous utilisons. Si l’on considère le bilan global de cette politique monétaire non conventionnelle, il est encore plus favorable pour l’État en raison de la baisse significative des taux d’intérêt sur la dette publique, un effet qui n’est pas inclus dans les 32 milliards d’euros mentionnés.

Concernant votre deuxième question, il n’y a pas de conséquences sur la solidité de la Banque de France, ni sur le déficit ou la dette publique. Bien que nous ayons enregistré une perte de 17 milliards d’euros avant reprise de provisions l’année dernière, les perspectives pour 2025 sont plus favorables. Sans pouvoir donner de chiffres précis, car cela dépend largement de l’évolution des taux d’intérêt, je peux affirmer devant votre commission que les pertes en 2025 devraient être significativement inférieures à celles de 2024. La Banque de France est suffisamment solide pour supporter cette situation sans conséquences pour les Français ni pour la conduite de la politique monétaire.

M. Christian Girard (RN). La politique monétaire menée par la BCE ces derniers mois a cherché à juguler l’inflation par un resserrement rapide des taux. Ce choix était nécessaire, mais il soulève désormais une question d’équilibre. D’un côté, l’inflation semble ralentir, ce qui pourrait justifier une inflexion. De l’autre, la croissance reste fragile et un maintien trop prolongé des taux élevés pourrait pénaliser l’investissement et la dynamique économique, en particulier en France, où les contraintes pesant sur certains secteurs se font déjà sentir. Vous avez récemment évoqué la nécessité d’une approche pragmatique, mais où placer le curseur entre prudence et anticipation ? Pensez-vous que la BCE puisse se retrouver dans une posture de resserrement excessif, par souci de crédibilité, au risque de freiner inutilement l’économie ?

M. François Villeroy de Galhau. Vous avez raison de souligner la nécessité d’un jugement d’ensemble. J’apporte une bonne nouvelle : nous sommes face à des baisses significatives des taux. Après être montés à 4 %, nous avons été les premiers à baisser les taux d’intérêt depuis juin dernier, et nous les avons baissés le plus. Après six baisses, nous sommes aujourd’hui à 2,5 %. En comparaison, la Banque d’Angleterre est encore à 4,5 % et la Réserve fédérale américaine à 4,25 %, alors que les niveaux d’inflation ne sont pas si différents. La Banque centrale européenne s’efforce donc de modérer au maximum le recours à l’arme monétaire.

Pour l’avenir, je parle souvent de pragmatisme agile. Le pragmatisme implique d’agir selon les données observées et prévisionnelles dans un environnement de grande incertitude. L’agilité signifie que nous n’hésitons pas à baisser les taux quand nous le pouvons. J’ai récemment indiqué qu’il y avait encore une marge de baisse des taux, le processus de désinflation paraissant solide en Europe. Le rythme, l’amplitude et le calendrier dépendront des données à venir.

Depuis juin dernier, nous sommes dans une phase de relâchement sensible qui aide l’économie. Nous gardons comme priorité la lutte contre l’inflation, qui est la préoccupation principale de nos concitoyens. Je pense qu’il ne faut pas trop opposer inflation et croissance. La confiance dans une inflation stabilisée autour de 2 % rassure les citoyens sur leur consommation et leur pouvoir d’achat, ainsi que les entreprises sur leurs investissements. Rappelons-nous que lorsque l’inflation était très forte, l’incertitude pénalisait la croissance.

M. le président Éric Coquerel. Monsieur Villeroy de Galhau, vous parlez de taux à deux ans.

M. François Villeroy de Galhau. En effet, je parle des taux courts que nous décidons. Les taux longs sont déterminés par les investisseurs et les marchés. La remontée des taux longs a moins d’effet sur l’économie et est moins forte que la baisse des taux courts. En termes techniques, la courbe des taux s’est « pentifiée » : elle est remontée vers le long terme, mais a baissé davantage vers le court terme. Globalement, c’est bénéfique pour le financement de l’économie, comme le montrent les chiffres du crédit immobilier.

Ce matin, le taux à 10 ans français était à 3,5 %. Pour le crédit immobilier, nous sommes en moyenne à 3,3 %, ce qui est légèrement inférieur à la moyenne historique. Entre 2000 et 2020, avant le Covid, on était autour de 3,5 % - 3,6 %. Je ne peux pas prédire si cela s’arrêtera là. Il faut comprendre que la référence en termes de taux de crédit immobilier ne peut pas être les taux exceptionnellement bas de la période Covid, où l’on trouvait des taux entre 1 % et 1,5 %. Ces taux étaient sans précédent et ne se reverront pas. Nous sommes aujourd’hui à des taux proches de la moyenne historique.

M. le président Éric Coquerel. J’ai une dernière question concernant les effectifs de la Banque de France. Entre 2015 et 2024, vous avez réduit vos effectifs de 28 %, soit une baisse de 3 382 équivalents temps plein. En trente ans, la Banque a perdu plus de la moitié de son personnel. Vous justifiez cela par des gains de productivité, mais quelle est votre analyse sur les conséquences en termes de conditions de travail et de risques psychosociaux ?

M. François Villeroy de Galhau. Nous sommes extrêmement attentifs au pacte social et au respect du dialogue social à la Banque de France. Notre approche consiste à garder tout le monde à bord, ce que beaucoup d’entreprises ne font pas. La réduction des effectifs s’est faite par non-remplacement des départs à la retraite, tout en maintenant un volume de recrutement élevé.

Depuis un an et demi, nous avons lancé le programme « Bien-être au travail » comprenant six actions sur lesquelles nous sommes très mobilisés. Nous rendons compte régulièrement aux personnels et aux élus. Nous menons des enquêtes annuelles avec des baromètres de qualité de vie au travail, qui montrent plutôt une amélioration sur la période récente.

Je suis attaché à ce que le pacte social de la Banque de France reste aussi fort et respectueux des salariés qu’il l’a toujours été. Notre pacte social n’est pas considéré comme l’un des plus inhumains de France. Je n’ai jamais séparé dans mon engagement personnel et professionnel l’attention sociale et l’efficacité du service public que nous devons à nos concitoyens.

Nous sommes particulièrement attentifs aux situations de fragilité. Contrairement à d’autres entreprises, nous gardons tous nos employés, y compris ceux en situation de fragilité. C’est à la fois notre honneur et notre devoir d’être attentifs à ces situations.

Ma conviction profonde est que le service public peut allier solidarité et efficacité. Ne nous renvoyons pas ces deux valeurs à la figure, car nous risquons de perdre sur les deux fronts.

M. Eddy Casterman (RN). Ma question porte sur la détention de la dette publique par les non-résidents. Dans le rapport d’information sur la détention de la dette de l’État par les résidents étrangers, présenté par mon collègue Kévin Mauvieux, il est indiqué que la part des non-résidents est bien supérieure à 53 % si l’on exclut les montants détenus par la Banque de France au titre des opérations de politique monétaire. On atteindrait alors 72 % en 2023, soit le taux le plus élevé des pays de l’OCDE, ce qui soulève une question de souveraineté budgétaire. Votre institution publie régulièrement un état des lieux sur l’émission et la détention des titres de dette française, ainsi qu’une étude dite Protide permettant de mieux appréhender le statut de résident ou non-résident. Ne faudrait-il pas que la Banque de France renforce son travail d’information pour connaître l’origine géographique ou la nationalité des détenteurs de notre dette publique ?

M. François Villeroy de Galhau. Vous avez cité un chiffre en excluant la Banque de France. Je me permets de souligner que la Banque de France est bien une institution résidente. J’espère que nous sommes tous d’accord sur ce point, sinon je devrais changer de métier. Je suis, comme vous, profondément attaché à mon pays, patriote jusqu’au bout des ongles. Donc, un calcul qui considérerait la Banque de France comme apatride, je ne peux que le récuser.

En ce qui concerne votre demande sur les détails par origine, je ne suis pas certain que nous puissions le faire. Je note simplement - sans savoir quelle serait la proportion idéale entre résidents et non-résidents - que le fait de pouvoir bénéficier d’une partie de l’épargne internationale, avec probablement une part européenne significative, nous permet de maintenir les taux longs, évoqués par votre collègue, à un niveau relativement maîtrisé. Je pense qu’il serait dommageable de se priver complètement de l’épargne extérieure. Nous sommes attentifs à ce sujet et nous allons examiner si nous disposons de cette répartition.

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 26 mars 2025 à 11 heures

 

Présents. - M. Franck Allisio, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Jean-Didier Berger, M. Carlos Martens Bilongo, M. Anthony Boulogne, M. Michel Castellani, M. Eddy Casterman, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Benjamin Dirx, Mme Marina Ferrari, M. Emmanuel Fouquart, Mme Anne Genetet, M. Christian Girard, M. David Guiraud, M. Daniel Labaronne, M. Aurélien Le Coq, M. Thierry Liger, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jean-Paul Mattei, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, M. Jimmy Pahun, Mme Christine Pirès Beaune, M. Nicolas Ray, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Jean-Philippe Tanguy

 

Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, M. Mickaël Bouloux, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou, M. Gérault Verny

 

Assistait également à la réunion. - M. David Amiel