Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Présentation d’une contribution de M. Charles de Courson, rapporteur général, sur l’évaluation des recettes fiscales en 2023, 2024 et 2025 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) 2
– Information relative à la commission................20
– Présence en réunion...........................21
Mercredi
26 mars 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 095
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
M. Éric Coquerel, président. Chers collègues, cette réunion, décidée par le bureau, est consacrée à la contribution du rapporteur général de la commission des finances aux travaux de notre commission d’enquête. Elle porte sur l’évaluation des recettes fiscales en 2023, 2024 et 2025.
Avant de commencer, je voudrais vous faire part de deux réactions.
La première est suscitée par la conférence de presse donnée hier par l’un des deux rapporteurs de notre enquête, Mathieu Lefèvre, sur l’état d’avancement des travaux. Si j’en crois la dépêche de l’Agence France-Presse qui en rendait compte, elle portait à la fois sur certaines de ses analyses dans le cadre de l’enquête que nous menons actuellement et sur des recommandations ; c’est un vrai problème, comme je l’ai dit lorsque j’ai été interrogé publiquement, et lors de la réunion, hier, de notre bureau. Il est effectivement prévu par le règlement, pas simplement par l’usage, qu’il ne puisse y avoir de communication, a fortiori d’un seul des deux rapporteurs – il n’y a qu’un rapport, même si nous avons deux rapporteurs – avant la présentation de ce rapport à la commission d’enquête et son adoption ; en effet, le travail de la commission d’enquête est collectif. L’article 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale dispose expressément que, si la commission n’a pas déposé son rapport, son président remet au président de l’Assemblée nationale les documents en sa possession et que ceux-ci ne peuvent donner lieu à aucune publication ni aucun débat. Les dispositions du IV de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 septembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires vont dans le même sens.
En l’occurrence, il est évident que cette conférence de presse déroge au caractère collectif du travail d’une commission d’enquête – en plus, sans prévenir le président, même si j’ai eu Mathieu Lefèvre hier au téléphone pour lui dire que je n’étais pas en accord avec cette démarche, ni l’autre rapporteur. Pourquoi donc ? Je ne sais pas. Ce que je constate simplement, c’est que nous avons les uns et les autres, nous le savons, des analyses différentes sur les raisons des écarts ; l’idée du rapporteur était manifestement de montrer que ces écarts procédaient surtout de raisons techniques et étaient évidemment le fait des services de Bercy – d’où la proposition d’une externalisation de la prévision. Le rapporteur Mathieu Lefèvre est évidemment tout à fait libre de proposer une telle analyse, une telle recommandation, mais cela aurait dû prendre place dans le rapport, que ce soit dans le texte assumé par les deux rapporteurs ou, si nécessaire, dans une contribution spécifique.
Ce qui est fait est fait, mais je suis assez surpris du procédé. Chacun connaît pourtant les règles qui président aux travaux des commissions d’enquête, et ce n’est pas simplement exprimer une réaction personnelle et politique que de dire qu’une telle manière de faire sape la légitimité du travail de commission d’enquête, pourtant empreint d’une certaine solennité – comme vous le savez, non seulement les personnes convoquées s’expriment sous serment mais si elles refusent de déférer à la convocation qu’elles reçoivent, elles s’exposent à des poursuites. Ce n’est pas une simple mission d’information.
Ma deuxième réaction concerne le rapporteur général. Celui-ci a mené son propre travail sur l’évaluation des recettes fiscales, et, même si c’était un peu « en parallèle », cela fait pleinement partie du travail que nous menons en tant que commission d’enquête.
Au cours d’une réunion du bureau, la question de savoir quand ses conclusions devaient être rendues publiques a été clairement abordée. Le fond de l’affaire est qu’il ne saurait évidemment y avoir deux rapports concurrents sur le même sujet, celui de la commission d’enquête et un autre qui serait publié avant celle-ci, lequel, c’est normal, prévaut.
Le rapporteur général nous a convaincus : ses propres travaux pouvaient contribuer à ceux des deux rapporteurs, notamment parce qu’il avait procédé à des contrôles sur pièces. Il a donc été décidé que sa contribution serait présentée avant les conclusions des rapporteurs, mais à huis clos. Cela signifie que cette contribution ne peut être rendue publique.
Or le rapporteur général Charles de Courson a prévu de tenir une conférence de presse dès l’issue de notre réunion. Je lui ai dit mon désaccord, y compris lors de la réunion du bureau, et j’espère que cette conférence de presse ne se tiendra pas ; ce serait encore une manière de préempter le travail collectif de la commission d’enquête et aussi, malgré tout, de donner une version des raisons de ces écarts entre les prévisions de recettes fiscales et les recettes effectives. J’aimerais que cette conférence de presse n’ait pas lieu.
M. Charles Sitzenstuhl. Monsieur le président, je suis très étonné par l’organisation de cette réunion et par le fait qu’elle se tienne à huis clos. Je me dois donc de vous poser la question même si je l’ai déjà posée avant aux services : y aura-t-il bien un compte rendu écrit de cette réunion et à quel moment sera-t-il publié, le cas échéant ?
M. Éric Coquerel, président. Le compte rendu sera publié en annexe des travaux de la commission d’enquête, une fois le rapport de cette enquête examiné et la publication dudit rapport autorisée.
M. Charles Sitzenstuhl. Merci, monsieur le président, pour cette confirmation.
Autre remarque, j’ai trouvé extrêmement infantilisant qu’on nous donne des documents à l’entrée de la salle en nous disant qu’il faudrait les rendre à la sortie. Nous sommes tout de même des députés et des commissaires aux finances.
M. Éric Coquerel, président. Je comprends mais c’est une procédure normale pour une commission d’enquête. De même, une fois le rapport rédigé, vous aurez la possibilité d’aller le consulter sur table ; c’est le même principe. Et je répète que le huis clos a été décidé par le bureau. Il s’agissait d’éviter toute communication publique préalable à celle de la commission d’enquête elle-même, tout en permettant un exposé et des échanges qui peuvent être utiles. C’est une décision collective.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Monsieur le président, je veux aussi faire part de mon étonnement. Tout d’abord, en ce qui concerne la conférence de presse et la publication du rapport, hier, par le rapporteur Mathieu Lefèvre.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Je n’ai rien publié.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous avons reçu dans la nuit, de la part des administrateurs chargés de la rédaction du rapport, des éléments, et une partie d’entre eux, sous le regard du rapporteur, a été publiée. Je m’en étonne profondément sur la forme. Au cours de mon déjà long parcours de parlementaire, j’ai été président ou rapporteur de trois commissions d’enquête, dont deux sur le terrorisme. Il est arrivé que des rapports soient évoqués le jour même de leur publication, mais les rapports en question étaient déjà rédigés.
Je trouve la méthode contraire à tous nos usages parlementaires, et je veux la condamner. Je veux dire aussi, sur le fond, que ce qui a été dit ou divulgué n’engage que Mathieu Lefèvre à titre personnel. Ainsi que nous aurons l’occasion d’en débattre, je ne partage absolument pas les positions dont il fait état, qui sont en fait celles de l’exécutif et correspondent à ce qui nous a été dit à maintes reprises dans l’enceinte même de nos réunions. Nous aurons l’occasion d’en débattre sur le fond.
Quant à cette réunion, j’hésite à rester, monsieur le président. Moi aussi, j’ai été choqué qu’on nous donne un document à rendre à l’issue de la réunion. En tant que rapporteur, je ne vois pas ce que nous faisons ici si c’est pour que les documents qui nous sont présentés ne nous soient pas remis ni ne soient versés aux travaux de la commission d’enquête. Je ne vois absolument pas l’intérêt d’écouter pendant une heure un soliloque qui ne contribuerait pas aux travaux de la commission.
M. Éric Coquerel, président. Les deux rapporteurs de la commission d’enquête conservent l’exemplaire de la contribution qui leur a été remis.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Alors je reste avec plaisir ! (Sourires.)
M. Éric Coquerel, président. Les deux rapporteurs font le rapport de la commission d’enquête, celui-ci sera présenté sur table et les commissaires pourront le consulter, mais pas l’emporter. Aujourd’hui, le principe est le même, quoiqu’il s’agisse d’un autre document, un peu particulier, et c’est la décision du bureau. Personne ne pouvait empêcher Charles de Courson de faire son propre travail. À partir du moment où celui-ci est une contribution à la commission d’enquête, bien évidemment, nous nous trouvons conduits à organiser ainsi cette communication.
Il aurait certes également été possible de lui demander de ne présenter ses conclusions qu’après l’examen de celles de la commission d’enquête, mais nous avons estimé que ses travaux pouvaient précisément être utiles à la commission d’enquête. Nous avons donc tranché avec pragmatisme. Cependant, si jamais la conférence de presse qu’il a prévue se tient effectivement ‑ ce que je ne souhaite pas ‑ , je regretterai ce choix, je le dis très clairement.
Mme Christine Arrighi. Qui va donc communiquer sur la contribution écrite du rapporteur général, que nous n’avons pas eue ?
M. Éric Coquerel, président. J’ai l’impression que je n’ai pas été clair…
Mme Christine Arrighi. Si, monsieur le président, mais j’interroge plutôt ceux qui se sont déjà exprimés préalablement à cette réunion ou qui comptent peut-être le faire une fois qu’elle sera terminée…
M. Éric Coquerel, président. Théoriquement, personne ne devrait communiquer sur cette contribution à la commission d’enquête avant le jour où le rapport d’enquête sera adopté. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à Charles de Courson de reporter la conférence de presse qu’il a prévu de tenir tout à l’heure et au cours de laquelle pourraient être rendus publics, au minimum, des éléments de sa contribution. Je lui ai même envoyé une lettre en ce sens, mais je n’ai pas le moyen de l’empêcher de la tenir.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Sur le fond, mes chers collègues, depuis des mois, j’essaie de comprendre les incroyables écarts entre la prévision de recettes et la réalisation.
Mme Marina Ferrari et plusieurs membres du groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire. Nous aussi !
M. Charles de Courson, rapporteur général. J’ai participé à la commission d’enquête, comme chacun des membres, et je n’étais absolument pas satisfait des réponses qui ont été données. Fort de mes prérogatives de rapporteur général, j’ai décidé d’aller voir sur place ceux qui font la prévision, c’est-à-dire la direction générale du Trésor. J’ai donc appelé le directeur du Trésor pour lui annoncer ma venue, tel jour à telle heure, en lui indiquant que je voulais rencontrer les chefs de bureau et la cheffe économiste pour qu’ils m’expliquent comment ils ont pu faire de telles erreurs.
Le jour dit, ils m’ont donné un certain nombre de documents qu’ils avaient préparés. Je les ai examinés et je leur ai envoyé un questionnaire. Certaines des réponses qu’ils m’ont envoyées étaient suffisamment claires et ne nécessitaient pas de commentaires, d’autres ne l’étaient pas. J’ai envoyé un deuxième questionnaire en laissant toujours un bon mois de délai de réponse. J’ai reçu les réponses à ce deuxième questionnaire, et les administrateurs ont également eu quelques échanges pour préciser certains points.
C’est sur cette base que j’ai fait ce travail, indépendamment du cadre de la commission d’enquête, car c’est une vieille préoccupation pour moi : essayer de comprendre avant de juger. J’ai été tout à fait transparent : j’en ai parlé au président et au bureau. J’ai indiqué que mon travail était prêt depuis quinze jours, et, d’ailleurs, avez-vous constaté des fuites ? Les seuls qui ont mon texte sont le président et, depuis quelques minutes, les deux rapporteurs, et personne d’autre.
Quelques graphiques accompagneront ma présentation orale, puisque vous n’avez pas le texte de ma contribution entre les mains.
Le huis clos ayant été décidé par le bureau de notre commission, tous les journalistes me posent la question : pourquoi un huis clos ? Il est effectivement publiquement connu que nous tenons une réunion à huis clos, et ils nous interrogent donc sur le contenu de ce rapport. Et vous verrez, chers collègues, qu’ils ne manqueront pas de vous interroger sitôt cette réunion terminée.
M. Charles Sitzenstuhl. Il fallait une réunion qui ne soit pas à huis clos alors…
M. Charles de Courson, rapporteur général. Mais c’est évident ! Ce n’est pas moi qui ai décidé ce huis clos, c’est le bureau de la commission. Et, comme je ne veux pas que mon travail soit détourné, j’irai expliquer, mais seulement après cette réunion de notre commission, ce qu’il contient et ce que j’ai découvert.
Mme Mathilde Feld. En toute logique, personne ne répondra aux questions des journalistes si nous décidons de ne pas le faire.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ma chère collègue, je siège depuis trente-deux ans dans cette maison… Je peux vous dire que dès qu’il y a une réunion il y a des fuites. Je ne veux pas qu’on raconte n’importe quoi sur mon travail, et je ne peux pas répondre à des journalistes qu’il n’existe pas.
Il n’y a rien à cacher sur son contenu : vous allez le voir dans mon exposé…
M. Aurélien Le Coq. Ce n’est pas le sujet.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Et vous n’êtes d’ailleurs pas obligés de partager les analyses que vous allez trouver dans cet exposé. C’est une contribution. J’ai souhaité faire une conférence de presse ensuite pour éviter que le contenu de ma contribution ne soit rapporté et déformé. Je souligne que je ne la tiens pas avant la réunion, et que je ne suis pas l’un des rapporteurs de cette enquête. Ma réponse est-elle claire ?
Mme Christine Arrighi. C’est clair de votre point de vue, oui.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous voyez bien que c’est intenable autrement. Je vous propose maintenant d’entrer dans le vif du sujet.
M. Éric Coquerel, président. Monsieur le rapporteur général, je vais quand même vous répondre avec toute l’amitié et tout le respect que j’ai pour vous : il est connu depuis jeudi dernier que cette commission se réunit aujourd’hui à huis clos, et je n’ai reçu d’appels de la presse que depuis que la conférence de presse est annoncée. Je n’en avais pas reçu auparavant. Je n’avais pas eu de questions sur ce qui allait se passer.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Chers collègues, l’information est publique, chacun sait que nous nous réunissons à huis clos.
M. Aurélien Le Coq. Oui, depuis une semaine.
M. Éric Coquerel, président. Précisément, c’est bien ce que j’explique : l’information est publique, mais je n’ai pas reçu d’appels de journalistes voulant à tout prix savoir ce qui allait se dire au cours de cette réunion à huis clos.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Eh bien, moi, je peux vous dire que j’en ai eus !
M. Éric Coquerel, président. C’est normal puisque vous êtes l’auteur de cette contribution. Il est évident que, si nous avons décidé le huis clos, c’est – et vous le savez – à la fois pour profiter de votre contribution aux travaux de l’enquête et pour que ce document ne soit pas connu avant les conclusions de celle-ci, pour qu’il ne brûle pas – pour le dire vite – la politesse au travail collectif !
Mme Marina Ferrari. Voilà !
M. Éric Coquerel, président. Organiser une conférence de presse est contradictoire avec la décision que nous avons prise de tenir cette réunion à huis clos. J’ai compris que vous allez maintenir votre conférence de presse, cher collègue, mais je le regrette vraiment car cela revient à communiquer exactement sur le sujet de l’enquête. D’autres contributions, telles celles de Charles Sitzenstuhl, des différents groupes, du président de la commission, seront apportées au rapport d’enquête… Nous pourrions tous les diffuser avant la publication du rapport lui-même. Pourtant, nous voyons bien que nous saperions la légitimité de notre travail collectif. Votre explication n’est donc pas tenable, et je tiens à vous redire mon désaccord.
M. Aurélien Le Coq. La situation budgétaire, tout le monde l’a dit, était grave. La commission des finances a donc décidé de se doter des pouvoirs d’une commission d’enquête. C’est un acte important, un signal politique fort : la commission des finances prend ses responsabilités, elle va aller chercher les informations et essayer d’établir les faits. Nous y avons tous travaillé longuement, nous avons notamment procédé à des auditions de responsables d’administrations, de responsables politiques de premier plan, d’anciens Premiers ministres. L’enjeu est de parvenir à une conclusion qui soit tout aussi forte, nonobstant la diversité des conclusions et des appréciations, une conclusion à la hauteur de la situation.
Vous dites, monsieur le rapporteur général, qu’il n’y a eu aucune fuite à propos de votre travail, mais comme vous allez tout rendre public dans une heure, cela revient au même. Cela prive de sa solennité le rapport de la commission des finances constituée en commission d’enquête. Si chacun décide de faire son rapport dans son coin, c’est une forme de bataille politique et il n’y a plus d’instance de contrôle légitime. Vous avez effectivement en tant que rapporteur général, des pouvoirs d’investigation, que vous avez le droit d’exercer, mais, si je ne me trompe, le président de la commission des finances a également un certain nombre de prérogatives. On aurait également pu imaginer qu’il fasse ses propres investigations, qu’il écrive son propre rapport et fasse sa propre conférence de presse ! Si nous faisions tous ainsi, l’exercice par la commission de ses pouvoirs de contrôle s’en trouverait considérablement affaibli.
Mme Marina Ferrari. J’approuve les propos tenus par mes collègues.
Je m’étonne, cher collègue, de la tenue de cette conférence de presse à l’issue du temps que nous allons vous consacrer. Certes, je ne suis pas rapporteur général du budget, je n’ai pas effectué trente-deux ans de mandat. Mais nous avons décidé de nous constituer en commission d’enquête et je trouve déplorable que chacun y aille de son rapport. Je le dis comme je le pense : c’est une instrumentalisation médiatique de nos travaux au profit d’une personne. C’est regrettable et, à titre personnel, je condamne les communications dont nos travaux sont l’objet, quels que soient les auteurs de celles-ci.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ma chère collègue, je le répète pour la troisième fois : à partir du moment où le bureau m’a demandé de venir présenter ce travail, le huis clos est intenable. Le bureau l’a pourtant décidé. Si j’annule la conférence de presse, vous serez tous interrogés, et moi aussi. Que répondrai-je ? « Rien à déclarer » ? Cela revient à critiquer notre collègue Jean-René Cazeneuve parce qu’il vient de publier un document sur les collectivités locales. Il est tout à fait libre de le faire !
Mme Marina Ferrari. Cela n’a rien à voir, ce n’est pas dans le cadre d’une commission d’enquête…
M. Charles de Courson, rapporteur général. D’ailleurs, je ne partage pas du tout l’analyse de mon prédécesseur, notamment sur le diagnostic d’un dérapage.
M. Jean-René Cazeneuve. Je ne parle absolument pas de dérapage, je donne le chiffre du déficit des collectivités locales.
Je trouve très bien, monsieur le rapporteur général, que vous apportiez une contribution aux travaux de la commission d’enquête et que vous fassiez des rapports, en vous appuyant sur votre équipe d’administrateurs, mais je ne comprends pas que vous n’ayez pas tout simplement livré cette contribution aux rapporteurs.
Deux choses me gênent. D’abord, en tant que rapporteur général, vous avez de très nombreuses occasions de vous exprimer – c’est le moins que l’on puisse dire, et, ayant moi-même été rapporteur général, je suis bien placé pour l’affirmer. Au cours des réunions de la commission d’enquête, vous êtes beaucoup intervenu. Ce n’est pas le cas d’un député « de base », dont les prises de parole sont très encadrées.
Par ailleurs, vous pouvez vous appuyer sur l’expertise reconnue de votre équipe d’administrateurs, MM. Ciotti et Lefèvre auraient été ravis que vos conclusions nourrissent leur propre réflexion.
Je suis donc moi aussi assez surpris : votre démarche correspond à une marque de défiance vis-à-vis des rapporteurs. Pendant le printemps de l’évaluation, quand les rapporteurs spéciaux feront des rapports d’évaluation, en ferez-vous également, sur les mêmes sujets, avant, pendant et après ? Il faut faire confiance aux rapporteurs, monsieur le rapporteur général.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Mon cher collègue, je viens de remettre ma communication aux rapporteurs de la commission d’enquête, vous ne pouvez donc pas dire ce que vous venez de dire.
Je vous propose d’en venir maintenant au fond, c’est plus intéressant que ces questions de forme – de toute façon, à partir du moment où le huis clos était décidé, vous étiez sûrs du résultat.
M. Éric Coquerel, président. Non, cher collègue, on ne peut pas dire que c’est à cause du huis clos qu’il y a une conférence de presse après…
M. Charles de Courson, rapporteur général. Décider d’un huis clos signifie que l’on a des choses à dissimuler.
Mme Mathilde Feld. Nous pourrions peut-être tous sortir… Ainsi, votre travail ne serait déformé en aucune façon, monsieur le rapporteur général, et vous n’auriez plus besoin de faire de conférence de presse. Je ne vois pas trop ce que nous faisons là, en fait.
M. Éric Coquerel, président. Je rappelle en tout cas très clairement que le document qui figurera comme contribution du rapporteur général dans le rapport d’enquête ne peut pas être diffusé.
Monsieur le rapporteur général, vous avez la parole pour nous présenter vos analyses.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, chers collègues, parallèlement aux auditions menées par cette commission d’enquête depuis le mois de décembre dernier, j’ai mené un travail d’investigation sur les causes des écarts entre les prévisions de recettes fiscales et les montants effectivement perçus. Ce travail a été rendu possible par les pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place que la loi organique relative aux lois de finances donne au rapporteur général.
Le 9 décembre 2024, je me suis donc déplacé à la direction générale du Trésor – j’y suis resté cinq heures – pour demander aux chefs de plusieurs de ses services, ainsi qu’à sa cheffe économiste, des précisions sur leurs méthodes de prévision impôt par impôt. J’ai complété ce contrôle par l’envoi de deux questionnaires, dont j’ai reçu les réponses respectivement les 29 janvier et 10 mars derniers.
Au terme de ce travail, et conformément à la décision de notre bureau, je vous présente aujourd’hui quelques pistes de réflexion pour améliorer la fiabilité des prévisions des recettes fiscales concernant toutes les administrations publiques – sociales, locales et d’État. Ces propositions prendront la forme d’une contribution, qui sera annexée au rapport de la commission d’enquête.
J’aimerais donc appeler votre attention sur sept points : les hypothèses de croissance, les prévisions fiscales des trois grands impôts – impôt sur le revenu (IR), impôt sur les sociétés (IS), taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – et les prévisions en matière d’accises sur le tabac, de finances locales et, enfin, de finances sociales.
Premier point, la qualité des prévisions macroéconomiques pâtit d’hypothèses excessivement volontaristes.
Ainsi, si la croissance brute du produit intérieur brut (PIB) en 2023, s’élevant à 0,9 %, s’est révélée proche de l’estimation initiale du Gouvernement, qui était de 1 %, c’est au prix d’erreurs de grande ampleur sur ses composantes, qui se sont finalement à peu près compensées entre elles… mais ne sont pas sans incidences sur les recettes fiscales. C’est en fait le commerce extérieur qui a largement contribué à la croissance, à hauteur des deux tiers en 2023, soit 0,6 point, la croissance étant alors de 0,9 %, et de plus des deux tiers en 2024, soit 0,9 point, la croissance étant de 1,1 %. La prévision macroéconomique a souffert d’une surestimation des postes de demande intérieure, lors du dépôt du projet de loi de finances pour 2023, puis pour 2024 et pour 2025, comme le montrent les tableaux qui figurent dans ma contribution.
L’insuffisante prise en compte de l’atonie de la demande intérieure par les scénarios macroéconomiques sous-jacents aux textes financiers obère la qualité des prévisions de finances publiques, puisque les mêmes recettes fiscales ne peuvent être attendues d’une activité portée par le commerce extérieur, notamment en matière de TVA. Il conviendrait certainement de prendre acte d’un changement structurel des comportements d’épargne et de cesser d’espérer le retour du taux d’épargne à une moyenne de long terme comprise entre 14,5 et 15 % que nous n’avons jamais retrouvée depuis le début de la pandémie de covid-19. Entre 2012 et 2019, le taux d’épargne des ménages français était assez stable, de 14,5 % environ, puis il a bondi pendant la crise du covid, ce qui est logique, mais les modèles économétriques, calés sur le passé, prévoyaient un retour à la situation antérieure. Or, lors de la sortie de la crise sanitaire, le taux d’épargne a plutôt suivi une tendance haussière, qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la France. Bien que les ménages français épargnent plus que la moyenne européenne, la même tendance a été observée dans les autres pays de la zone euro. La propension à épargner, qui est calculée tous les deux mois, n’a pas baissé.
C’est la critique que je formule sur les prévisions de recettes de TVA, sur laquelle je reviendrai tout à l’heure : les erreurs s’expliquent, en 2023 et 2024, mais aussi 2025, par l’hypothèse que le taux d’épargne des ménages allait diminuer pour revenir à 14,5 %, voire que les ménages allaient puiser dans l’épargne accumulée. Or ce n’est pas ce qui s’est passé. Les modèles économétriques, lorsqu’ils sont ainsi calés sur le passé, ne peuvent que vous induire en erreur sur le futur.
Le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) n’a d’ailleurs pas hésité à évoquer devant nous, au mois de janvier dernier, à propos du scénario sous-jacent au projet de loi de finances pour 2024, un « optimisme exagéré du Gouvernement pour la totalité des postes de demande », non sans rappeler que « la prévision de l’évolution de ces agrégats est cruciale pour prévoir les rentrées fiscales ».
Hélas, en 2024 et en 2025, nos prévisionnistes ne pourront même pas se consoler en songeant que, leurs différentes erreurs se compensant, le niveau global de la croissance est plus ou moins conforme à leurs souhaits initiaux. En 2024, la croissance aura été inférieure de 0,3 point à la prévision initiale, et, pour l’année 2025, la prévision du projet de loi de finances a déjà été abaissée de 0,2 point, passant de 1,1 % à 0,9 %, cependant que la Banque de France a déjà abaissé sa propre prévision à 0,7 %.
Je recommande par conséquent d’ouvrir largement l’exercice de la prévision macroéconomique à des chercheurs extérieurs à la direction générale du Trésor, de le soumettre au débat académique et d’y associer systématiquement le HCFP. Il s’agirait soit de l’associer en amont de la construction du scénario, soit de mettre en place un mécanisme du type comply or explain : soit le Gouvernement rectifierait les hypothèses jugées optimistes par le HCFP, soit il aurait l’obligation d’en justifier le maintien. Une autre voie – j’ai cru comprendre que ce pourrait être celle prônée par l’un de nos rapporteurs, Mathieu Lefèvre – pourrait être de confier au HCFP le soin d’évaluer les recettes.
Deuxième point, les sous-jacents macroéconomiques permettant de calculer les recettes de l’impôt sur le revenu (IR) doivent être revus. L’IR a fait l’objet d’une surévaluation de ses prévisions de recettes de 2,1 milliards d’euros en 2023 et de 6 milliards d’euros en 2024. Pour 2023, la prévision actualisée du projet de loi de finances (PLF) pour 2024 faisait état de recettes d’IR de 90,7 milliards d’euros, alors que l’exécution ne s’est élevée qu’à 88,6 milliards d’euros. Cet écart est encore plus marqué pour 2024, les estimations entre le PLF pour 2024 et celui pour 2025 passant de 94,1 à 88,1 milliards d’euros.
Cette différence résulte principalement d’une révision des sous-jacents macroéconomiques utilisés pour calculer l’évolution des revenus composant l’assiette de l’IR. Ainsi, en 2023 et 2024, l’évolution de la croissance de la masse salariale a fait l’objet d’une vision optimiste, tout comme les revenus réels et les plus-values immobilières, qui ont été surévalués. En 2024, ces effets sont aggravés par la reprise en base des écarts constatés en 2023. S’observe ainsi une tendance à proposer des prévisions pour l’année n sur le fondement de celles de l’année n-1 alors que le calcul des recettes perçues n’est pas encore définitif. Ce phénomène risque de se reproduire en 2025, puisque le Gouvernement attend des recettes de 94,5 milliards d’euros d’IR en 2025, soit plus de 6 milliards d’euros de plus que les recettes collectées en 2024…
Pour y remédier, il convient de revoir les hypothèses macroéconomiques sous-jacentes utilisées, afin qu’elles soient plus fiables. Ainsi, s’agissant des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), il faut trouver une méthode qui ne repose pas exclusivement sur l’excédent brut d’exploitation (EBE). De même, pour les bénéfices non commerciaux (BNC), l’indice des prix à la consommation portant sur le secteur de la santé ne doit pas être le seul sous-jacent utilisé. Pour les bénéfices agricoles, le seul indicateur retenu aujourd’hui est le PIB en valeur ; Bercy pourrait s’appuyer davantage sur les indicateurs dont dispose le ministère de l’agriculture. Enfin, afin que l’évolution de la masse salariale puisse être ajustée plus rapidement, le ministère des finances pourrait s’appuyer davantage sur les remontées de recettes de cotisations sociales perçues par les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) chaque mois.
Troisième point, la méthode d’évaluation de l’impôt sur les sociétés doit définitivement s’émanciper du seul suivi de l’EBE, au regard des erreurs massives de prévisions en 2023, et surtout en 2024. Les recettes d’IS ont en effet été de 4,5 milliards d’euros inférieures à la prévision en 2023, et de 14,5 milliards inférieures en 2024. C’est considérable.
Actuellement, les prévisions de recettes fiscales pour cet impôt reposent sur l’EBE. Or cette méthode présente des limites notables : j’ai beaucoup interrogé la direction générale du Trésor sur ce sujet. L’EBE est un indicateur qui n’est pas inutile, mais il est trop éloigné du bénéfice fiscal (BFI). L’EBE ne tient en effet pas compte du résultat financier et du résultat exceptionnel des entreprises, ni des déductions et réintégrations fiscales diverses qu’elles peuvent pratiquer.
Je l’ai d’ailleurs démontré sur le plan empirique en comparant, dans un graphique, l’évolution de l’EBE et du BFI depuis 15 ans : il est clair que le BFI est bien plus volatil que l’EBE et qu’il est difficile de se reposer seulement sur ce dernier pour réaliser des prévisions. L’erreur de prévision du produit de l’IS en 2024 s’explique notamment par le fait que la hausse de l’EBE en 2023 ne s’est pas matérialisée par une augmentation du bénéfice fiscal à due concurrence. Il m’a notamment été expliqué qu’EDF, qui a pourtant connu un regain d’activité important en 2023, avait accumulé de fortes capacités de reports de déficits, ce qui a permis à cette entreprise de ne pas être beaucoup imposée en 2024. C’est bien la preuve que l’EBE n’est pas un indicateur pertinent de l’évolution du BFI. J’observe que les recettes d’IS prévues par la loi de finances initiale (LFI) pour 2025 pour l’exercice 2025 semblent plus réalistes, en étant fixées à 53 milliards d’euros – compte non tenu des 8 milliards d’euros que devrait rapporter la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises –, soit 19 milliards de moins que la prévision du PLF 2024 pour les recettes de 2024, qui s’élevait à 72 milliards d’euros.
Quatrième point, le modèle économétrique d’évaluation des recettes de TVA doit être considérablement corrigé, notamment en prenant mieux en compte les remboursements. En effet, l’erreur de prévision des recettes de TVA nette a représenté 7 milliards d’euros en 2023 – la prévision était de 212 milliards d’euros, pour une exécution de 205 milliards d’euros – et 11,3 milliards d’euros en 2024, soit un écart de 5,2 %. Je rappelle que le produit de la TVA est partagé en trois – une partie revient à l’État, une partie aux collectivités territoriales et une partie à la sécurité sociale, tandis que 4 milliards d’euros sont fléchés vers l’audiovisuel public – et qu’il s’élève à un peu plus de 200 milliards d’euros.
Aux termes du PLF pour 2025 présenté en Conseil des ministres à l’automne, les prévisions de recettes nettes pour l’État pour l’année 2025 augmentaient de 10 milliards d’euros par rapport à 2024. Cette hausse représentait la totalité de la croissance prévue de la TVA puisque la part revenant aux collectivités territoriales, de 52,7 milliards d’euros, et celle revenant à la sécurité sociale, de 57,5 milliards d’euros, avaient été gelées. J’avais fait observer qu’une augmentation de cette ampleur, c’est-à-dire de plus de 5 %, était impossible. Heureusement, la modification de l’article d’équilibre avant l’adoption de la loi de finances prévoit une hausse moitié moindre par rapport aux recettes de 2024, à 4,8 milliards d’euros, soit environ 2,2 %, ce qui est peut-être encore optimiste.
Ces erreurs considérables découlent principalement d’une surestimation du regain de la consommation des ménages, alors qu’en réalité le taux d’épargne s’est maintenu à un niveau élevé, proche de 18 %, au cours des dernières années.
Je propose de mieux tenir compte des remontées mensuelles des recettes de TVA. En effet, en 2023 et en 2024, la baisse des recettes par rapport à l’année précédente a pu être observée dès les mois de mai et de juin. Il faudrait opérer un réajustement rapide des prévisions lorsqu’on observe un décrochage des recettes par rapport à celles-ci.
De plus, je propose d’améliorer le modèle Opale s’agissant en particulier des déterminants de la consommation et de l’épargne. Ce modèle est celui qui a été utilisé pour prévoir l’évolution de la consommation, alors qu’il est inadapté. Il s’agit d’un modèle keynésien, dérivé du modèle Mésange, qui ne fonctionne plus, puisque les propensions à épargner et à consommer ont changé depuis trois ans maintenant.
Je propose aussi de mieux identifier le stock de crédits de TVA et son évolution. Une mission d’audit a d’ailleurs été lancée par Bercy sur ce dernier sujet en mars dernier.
Enfin, la prévision de TVA gagnerait à être plus ouverte, en tenant compte des prévisions de la grande distribution et en associant les prévisionnistes d’autres administrations et du secteur privé à la construction des agrégats. En effet, on obtiendra une meilleure appréciation de l’évolution de la consommation en s’appuyant sur les réseaux de distribution. Certes, les parts de marché des réseaux de distribution ne sont pas stables mais on peut reconstituer leurs parts respectives. Lorsqu’on les interroge, ils indiquent leurs prévisions d’évolution de la consommation ; si on leur présente une prévision, issue d’un modèle, excessive, ils peuvent dire qu’elle n’est pas réaliste.
Cinquième point, la prévision des recettes de l’accise sur le tabac doit véritablement tenir compte du marché parallèle, dont la part s’accroît constamment.
La prévalence tabagique se maintient à un niveau presque stable depuis 2020. Le taux de prévalence français est d’ailleurs le plus élevé d’Europe. Cependant, les recettes de l’accise stagnent ou diminuent, alors que ses taux s’alourdissent. Ces erreurs de prévision résultent donc, tout simplement, de la croissance, année après année, de la consommation sur le marché dit parallèle, dont la part est aujourd’hui estimée à 37 à 38 %. La découverte d’usines clandestines de cigarettes, comme l’indique le dernier rapport de la direction générale des douanes et droits indirects, rend bien compte de ce phénomène. Je recommande donc de modifier la politique menée par l’État sur le tabac, afin de renforcer tant ses objectifs en termes de santé publique que de recettes fiscales. Croire que les recettes d’accise augmentent lorsque l’on rehausse le prix du tabac est une erreur : c’est l’inverse qui se produit, la substitution du marché parallèle se traduisant par une baisse des recettes. Je rappelle que le marché parallèle est, pour une part, tout à fait légal, et qu’on a relevé le plafonnement pour les personnes qui achètent leur tabac en Belgique ou en Espagne, par exemple, pour leur consommation personnelle. Lorsque le paquet de cigarettes est à 13 euros en France et 3,50 euros en Andorre, il ne faut pas s’étonner que le marché parallèle, dont une partie est illégale, se développe. Puisque nous sommes en train d’examiner une loi sur le narcotrafic, nous pourrions nous intéresser aussi au trafic de tabac, qui explose.
Sixième point, les prévisions associées aux collectivités territoriales doivent non plus être incantatoires mais, au contraire, reposer sur des éléments fiables.
Les gouvernements successifs ont fixé des objectifs pour les dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales (APUL) sans concertation avec les élus locaux et sans aucun mécanisme permettant de rendre crédible cet effet d’annonce. La trajectoire des dépenses locales prévue par la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027 apparaît ainsi complètement irréaliste, en prévoyant une hausse des dépenses réelles de fonctionnement limitée à 2 % en 2024, hors dépenses non pilotables, pour aboutir à un solde excédentaire des APUL de 0,4 % en 2027.
Par ailleurs, l’État a critiqué en 2024 un prétendu dérapage qui naît simplement de la distorsion entre la réalité économique et le fantasme politique. Le Gouvernement était ainsi venu nous expliquer ici, en commission des finances, que les dépenses des collectivités locales connaîtraient une augmentation de 16 milliards d’euros en 2024 ; or les remontées de fin décembre annoncent finalement 6 milliards d’euros.
Pour établir sa prévision d’un dérapage de 16 milliards d’euros, le Gouvernement s’est en effet appuyé sur les remontées comptables de juillet 2024 : 7 % de hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales contre 1,8 % aux termes du Programme de stabilité du mois d’avril 2024 (PSTAB) et 14,9 % d’augmentation des dépenses d’investissement contre 7,5 % dans le PLF pour 2024 et 7,8 % dans le PSTAB.
Les remontées de la fin du mois de décembre montrent finalement des dépenses d’investissement plus basses que celles anticipées en juillet mais proches de celles du PLF pour 2024 en progression de 8 %. En ce qui concerne les dépenses de fonctionnement, on observe également une nette baisse par rapport aux remontées de juillet puisqu’elles progressent de 4,8 %.
Un écart subsiste toutefois entre les remontées de fin décembre en matière de dépenses de fonctionnement, prévoyant une hausse de 4,8 %, et celles du PSTAB, prévoyant une hausse de 1,8 %, mais est-ce que cette prévision d’une hausse de 1,8 % était raisonnable ? Absolument pas. Elle ne couvrait même pas les décisions imposées par l’État comme la hausse du point d’indice des fonctionnaires ou d’autres réévaluations de dépenses obligatoires.
Ainsi, si les prévisions initiales figurant dans le PLF pour 2024 ou dans le PSTAB avaient été réalistes, le dérapage final serait plutôt de l’ordre de 3 ou 4 milliards d’euros, c’est-à-dire quatre fois moins que ce qui avait été annoncé par le Gouvernement.
Concernant les recettes de la fiscalité locale, il est nécessaire d’améliorer la prévision des recettes de taxe foncière ainsi que celle des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
Pour les DMTO, l’écart de prévision est considérable puisque le PLF pour 2024 a établi, pour l’année 2024, des prévisions de recettes de DMTO quasi identiques à celles de 2023 alors que toutes les remontées mensuelles montraient que le marché immobilier s’effondrait. Ainsi, en 2023, les recettes de DMTO devaient s’élever à 18,8 milliards d’euros et se sont finalement établies à 16,9 milliards, soit un écart de plus de 10 %. En 2024, les recettes de DMTO étaient estimées initialement à 18 milliards d’euros et elles ont atteint finalement 14,8 milliards, soit un écart de 18 %. Ces écarts sont incompréhensibles quand on sait que les conseils départementaux connaissent mensuellement, avec un décalage d’un mois, leurs recettes de DMTO.
Un autre écart important concerne la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), alors qu’il n’est pas difficile d’en prévoir les recettes. Trois facteurs concourent à son évolution : l’indice de revalorisation des valeurs locatives, égal chaque année au niveau de l’inflation, l’augmentation physique des bases, qui est de l’ordre de 1 %, et l’évolution des taux. Il est donc simple d’obtenir des prévisions proches des réalisations.
À l’image de la TFPB, d’autres ressources fiscales ont fait l’objet de prévisions sous-estimant leur rendement. Il en est ainsi de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) qui n’est d’ailleurs plus considérée comme un prélèvement obligatoire.
Au total, les sous-estimations de plusieurs recettes de fiscalité locale compensent à peu près l’importante surestimation des recettes de DMTO. Il s’agit d’une compensation globale à l’échelle de l’ensemble des collectivités territoriales mais les départements, principaux bénéficiaires des DMTO, ne connaissent pas cette compensation des prévisions. En ce qui concerne les DMTO, Bercy pourrait s’appuyer sur les données des chambres départementales des notaires pour estimer ces recettes que les départements avaient, eux, vu baisser dès le début de l’année 2023. Enfin, les pouvoirs de contrôle budgétaire de notre commission pourraient être sensiblement améliorés si elle était destinataire, chaque mois, de même que la commission des finances du Sénat, d’une communication mensuelle sur les remontées des dépenses de fonctionnement et d’investissement des collectivités territoriales et des organismes divers d’administration locale (ODAL).
Septième et dernier point, la prévision de recettes des ASSO est à parfaire.
La surévaluation des recettes de sécurité sociale de plus de 1 % en 2023 et 2024 – une différence de 6,6 milliards d’euros en 2023 et de 7,6 milliards en 2024 – s’explique principalement par la moindre croissance de la masse salariale, à l’image des recettes d’IR. Il est toutefois notable de constater que les prévisions de la direction générale du Trésor et de la direction de la sécurité sociale font l’objet d’écarts importants. Il pourrait ainsi être adéquat que la direction générale du Trésor, qui dispose d’un champ d’information plus large, puisse communiquer à la direction de la sécurité sociale des évolutions de sous-jacents macroéconomiques similaires afin que les prévisions de recettes des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) puissent être mises à jour plus rapidement.
Les trois composantes des recettes de la sécurité sociale sont les cotisations, les prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement et les prélèvements sur les revenus du capital. Les écarts à la prévision les plus importants concernent les cotisations. En 2023 et 2024, ces écarts sont respectivement de 4,8 milliards d’euros et de 4,9 milliards d’euros. Les écarts sont similaires, en proportion, sur les prélèvements sociaux, car l’assiette est la même. L’écart est plus significatif en matière de prélèvement sur les revenus du capital, car c’est peut-être ce qui est le plus difficile à prévoir.
Mes chers collègues, les prévisions fiscales se sont révélées très surévaluées ces deux dernières années, entraînant des écarts injustifiables et une gestion budgétaire imparfaite. En effet, quelle est la seule option des ministres chargés du budget dans une telle configuration ? Réduire la dépense, à coups de gels, de décrets d’annulation ou de reports.
Ce décalage a des conséquences sur la crédibilité de nos finances publiques et la confiance des citoyens. Il nuit à la qualité de nos débats et instaure un soupçon d’insincérité à l’égard des hypothèses utilisées par le Gouvernement. Permettez-moi au passage de vous dire ce que je pense de l’affirmation – des ministres, ou de Mathieu Lefèvre – selon laquelle il s’agirait d’une faute des services. Je suis républicain ; quand un ministre a des collaborateurs ou des services qui font des erreurs, il les assume. À défaut, on accrédite toutes les thèses complotistes sur l’État profond et l’idée de ministres qui ne seraient que des marionnettes.
Il est grand temps de corriger cette situation. Cela nécessite de rendre la méthode de prévision plus pragmatique et de renforcer la transparence vis-à-vis du Parlement. Une participation plus active du HCFP permettrait de réduire les biais optimistes qui ont été observés, car, oui, contrairement à ce que certains ont prétendu, le HCFP, son président nous l’a rappelé, avait bel et bien tiré la sonnette d’alarme en 2023 et 2024.
Ensuite, une réflexion sur les sous-jacents économiques utilisés pour calculer les recettes de chaque impôt est indispensable.
Enfin, il faudra utiliser des données plus diversifiées et, si besoin, externes – il appartiendra aux ministres d’arbitrer, mais il n’y aura pas de monopole de la prévision.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Merci, monsieur le rapporteur général, pour cette contribution précise et détaillée. Je n’ai pas de questions, et lirai évidemment avec grande attention votre contribution.
M. Charles Sitzenstuhl. Merci, monsieur le rapporteur général, pour cet intéressant travail qui confirme des choses que nous avons déjà entendues au cours de certaines auditions.
Quelles conclusions opérationnelles tirez-vous de ces analyses ? Parvenir à de telles conclusions est un objectif de la commission d’enquête. Avez-vous demandé aux agents de la direction générale du Trésor comment ils comptaient ne plus répéter ces erreurs ? Ont-ils mis en place de nouvelles procédures internes ? Et comment eux-mêmes, concrètement, expliquent-ils les erreurs ou les manquements que vous avez soulignés ?
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ma contribution comporte quatorze recommandations, et j’avais à peine finalisé le texte, il y a une quinzaine de jours, que la direction générale du Trésor a publié un « document de travail », dont je vous conseille la lecture, intitulé Comment sont réalisées les prévisions de finances publiques et quelles sont les incertitudes qui les entourent ? Ils retiennent une ou deux, peut-être trois, de mes quatorze recommandations.
Quelles sont celles-ci ? Premièrement, se pose un problème systémique : le monopole des prévisions, je l’ai toujours pensé, est très dangereux. Il est nécessaire de confronter des opinions, si possible différentes ; or, en France, s’agissant des organismes de prévision, la direction générale du Trésor a intégré il y a déjà des années la direction de la prévision, qui n’était pas toujours d’accord avec elle ; maintenant la direction générale du trésor dispose en quelque sorte d’un monopole en termes de prévisions. Des institutions comme l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) font aussi des prévisions mais souvent, en fait, c’est à partir des mêmes sources, soit les éléments fournis par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Ce qui est intéressant, c’est que des prévisionnistes s’appuient sur d’autres sources d’information, issues par exemple des entreprises, sur la base d’études qualitatives. Ces entreprises pourraient dire qu’elles ne font pas du tout la même analyse de la situation que le gouvernement sur tel ou tel point. Bien sûr, ayant le monopole de ces prévisions, la direction générale du Trésor ne sera pas celle qui fera cette proposition.
Un deuxième point a été soulevé hier lors de la conférence de presse de Mathieu Lefèvre, si j’en crois les journaux. Y a-t-il d’autres modèles de prévision dans les grandes démocraties occidentales ? Deux voies sont possibles. L’une serait de confier au HCFP, pour prendre l’exemple français, le soin de faire les prévisions – c’est ce que proposerait Mathieu Lefèvre –, mais on peut se demander si le HCFP aurait les moyens de le faire, compte tenu de ses effectifs notamment. Je ne vois pas comment le HCFP pourrait s’acquitter de cette tâche. Une solution intermédiaire, au moins dans un premier temps, serait qu’un échange puisse se nouer entre le HCFP et le Gouvernement sur telle ou telle prévision de recette, par exemple la recette de l’impôt sur les sociétés, lorsque le HCFP n’est pas d’accord avec la prévision gouvernementale. Ce schéma a été retenu par certains pays.
En tout cas, aujourd’hui, nous connaissons un vrai problème d’absence de diversité de prévisions. Certes, le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Commission européenne effectuent des prévisions, mais sur la base de quelles données ? Nous en revenons toujours au problème des sources d’information. Cela mériterait un long débat en commission des finances, et cela pourrait faire l’objet d’une proposition dans le cadre de notre commission d’enquête.
Je propose donc d’ouvrir l’exercice de la prévision macroéconomique à des chercheurs extérieurs à la direction générale du Trésor, de soumettre chaque année les hypothèses et les méthodes à un large débat académique – c’est un peu la même idée – et d’associer le HCFP à la prévision macroéconomique, soit en l’impliquant dans l’élaboration des hypothèses retenues par le gouvernement, par exemple pour la production et la validation de certaines, soit en instaurant un mécanisme de type comply or explain, qui imposerait au gouvernement de rectifier les prévisions jugées trop optimistes ou trop pessimistes par le HCFP, ou, à défaut, d’expliquer pourquoi il ne les modifie pas. Cela améliorerait peut-être le débat démocratique.
Une troisième recommandation est de modifier les sous-jacents macroéconomiques utilisés pour calculer les prévisions des BIC, des BNC et des bénéfices agricoles.
Une quatrième est de s’appuyer sur les recettes de cotisations sociales collectées chaque mois par les URSSAF afin de calculer l’évolution de la masse salariale. C’est quand même là qu’il y a le moins d’erreurs, puisque nous avons des remontées mensuelles avec un décalage d’un mois. À mon avis, on ferait moins d’erreurs en se rapprochant de ceux qui collectent les cotisations.
Une cinquième recommandation est d’adapter la méthode de prévision du produit de l’impôt sur les sociétés, en collectant les résultats trimestriels nationaux des grandes entreprises et leurs anticipations s’agissant de l’évolution de leurs bénéfices. En matière de prévision d’IS, il est nécessaire d’abandonner l’EBE, qui constitue un repère trompeur. Il serait préférable de demander à toutes les sociétés qui présentent leurs comptes par trimestre d’isoler l’assiette fiscale française au sein de leurs résultats mondiaux. Certains groupes internationaux ne réalisent parfois que 20 % de leur activité en France. Il ne serait tout de même pas compliqué d’interroger les quarante entreprises qui composent l’indice CAC40 sur leurs prévisions de bénéfice fiscal. Il me semble également souhaitable d’abandonner les systèmes des acomptes dans les prévisions. Pour le dernier acompte, les grandes entreprises doivent faire une prévision, en risquant une pénalité si elles se trompent de plus de 5 % ou 10 % ; c’est un système un peu étrange. Pour les petites et moyennes entreprises, il serait également possible d’obtenir des résultats en recourant à un échantillon. De cette façon, les énormes erreurs faites en 2023 et surtout en 2024 n’auraient pas été commises.
Sixième recommandation, il faut tenir compte, dès leur réception, des remontées mensuelles de recettes de TVA dans l’élaboration des prévisions annuelles. La direction générale du Trésor estime que ses prévisions de recettes de TVA n’étaient pas exactes en raison d’une mauvaise anticipation des demandes de remboursement ; elle fait l’hypothèse que lorsque les taux d’intérêt étaient très faibles, les gens tardaient à demander le remboursement de la TVA, et elle s’efforce d’approfondir cette thèse. Pour ma part, je pense que celle-ci est complètement fausse ; de toute façon, c’est la TVA nette part État qui nous intéresse à titre principal.
Ma septième recommandation est d’anticiper les conséquences sur les recettes fiscales, en particulier les recettes de TVA, des changements structurels de comportement des acteurs économiques en modifiant les paramètres du modèle Opale – ou d’abandonner totalement celui-ci, au profit d’autres modèles sur la propension à consommer. Cela engendrerait moins d’erreurs que ces modèles calés sur une situation qui n’est plus du tout d’actualité.
Ma huitième recommandation est d’assurer un suivi régulier du stock de créances de TVA.
Ma neuvième recommandation est de mieux associer les acteurs de la grande et de la moyenne distribution à l’élaboration des prévisions de consommation des ménages et de TVA. Cela me paraît une voie intéressante, et, d’après ce que m’a dit la direction générale du Trésor, celle-ci serait aussi intéressée par cette approche complémentaire. Il ne faut pas être monomaniaque, il faut avoir plusieurs sources.
Ma dixième recommandation est d’associer les prévisionnistes des secteurs public et privé aux prévisions relatives aux agrégats macroéconomiques et aux recettes fiscales, en particulier de TVA – c’est toujours un peu la même idée.
M. Nicolas Ray. Pourquoi, monsieur le rapporteur général, n’avez-vous pas fait une contribution au moment de la restitution du rapport comme le feront les groupes ? Cela aurait évité cette polémique…
Et, monsieur le président, pourquoi avoir autorisé cette réunion ? Je comprends que M. de Courson veuille tenir une conférence de presse puisque des fuites sont inévitables.
M. Éric Coquerel, président. Je le dis encore une fois : depuis que je sais qu’une conférence de presse est prévue, je regrette que le bureau ait pris la décision de tenir cette réunion. J’ai peut-être été trop naïf, mais, oui, je le regrette, et nous n’allons pas relancer le débat. J’ai accepté la tenue de cette réunion parce que j’ai pensé que chacun allait jouer le jeu ; ce n’est pas le cas. Voilà, j’ai péché par naïveté, je veux bien l’admettre.
M. Nicolas Ray. Sur le fond, monsieur le rapporteur général, je suis tout à fait d’accord avec toutes vos observations. Évidemment, certains sous-jacents sont complètement inadaptés, mais peut-être restons-nous un peu au milieu du gué. Par exemple, en matière d’IS, vous recommandez de fonder les prévisions sur le bénéfice fiscal, mais comment prévoir celui-ci ? Il est encore plus difficile à prévoir ! Les entreprises elles-mêmes ne peuvent pas anticiper très précisément leur bénéfice fiscal.
Je suis tout à fait d’accord pour associer davantage le HCFP à l’établissement des prévisions, mais qu’en sera-t-il si le Gouvernement maintient des prévisions très éloignées des recommandations du HCFP ?
Dernière question, en matière de prévision, ne faut-il pas faire preuve de pessimisme ? C’est ce que font les collectivités territoriales quand il s’agit de prévoir leurs recettes. Ce n’est jamais le cas de l’État, quel que soit le gouvernement. Peut-être qu’un peu de pessimisme en matière de recettes ferait du bien à notre solde public.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Il est tout à fait possible de prévoir le bénéfice fiscal, cher collègue, les entreprises le font : les entreprises cotées doivent trimestriellement indiquer quel bénéfice elles anticipent. C’est le bénéfice mondial, mais elles pourraient communiquer le bénéfice en France. En interrogeant les 50 ou 100 plus grandes entreprises, nous parviendrions à une prévision beaucoup plus fiable. Et, pour les entreprises de moindre taille, nous pourrions recourir à un échantillon représentatif. Cette méthode serait beaucoup plus efficace qu’une prévision fondée sur l’EBE des sociétés non financières et l’EBE des sociétés financières.
Quant à votre deuxième interrogation, si le Gouvernement campe sur sa prévision initiale, et bien le Parlement peut intervenir ! Celui-ci peut s’opposer, ou amender les prévisions de recettes.
Quant à l’opportunité de prévisions pessimistes, comme vous, je préfère avoir de bonnes plutôt que de mauvaises nouvelles. Le problème, dans une situation de déficit structurel, est que l’on va craindre d’affoler les marchés. Il est possible de faire comme vous le dites dans une collectivité locale dont la section de fonctionnement du budget est excédentaire.
M. Éric Coquerel, président. Je me permets de rappeler que, si je me suis attribué le péché de naïveté, la décision du bureau a été prise à l’unanimité, ce qui inclut le représentant du groupe Droite républicaine.
M. Emmanuel Mandon. Nous nous trouvons placés face à plusieurs écueils qui rendent notre situation plutôt inconfortable. Autant je comprends l’intérêt de la démarche de notre rapporteur général, qui peut user de ses prérogatives particulières, autant je ne comprends pas, finalement, comment il peut verser sa contribution à nos travaux – il me semble qu’il y a un problème de temporalité. J’aurais préféré une audition en bonne et due forme, sans préconisations de sa part.
C’est après y avoir réfléchi que je dis cela. Effectivement, je m’interrogeais, lorsque la question a été évoquée lors de la réunion du bureau, et je n’avais, moi non plus, pas réfléchi aux incidences et aux conséquences de cette démarche, qui pose des problèmes de confidentialité alors qu’en fait, dans ces travaux, nous n’avons rien à cacher. C’est plutôt la collégialité de notre travail d’enquête qui nous oblige tous à une forme de responsabilité.
Sur le fond, ces analyses posent la question des prérogatives du Parlement. Moi qui suis parlementariste, je vis très mal, disons-le clairement, la Cinquième République.
M. Charles Sitzenstuhl. C’était pire au début.
M. Emmanuel Mandon. Je ne sais pas, cher collègue.
M. Jérôme Legavre. Oui, moi non plus.
M. Emmanuel Mandon. C’est un débat de fond. Il y a la pratique, les usages et les textes.
J’aurais préféré, monsieur le rapporteur général, que nous nous en tenions à une présentation de vos constats, extrêmement intéressants. Vous nous avez éclairés et nous avez permis d’aller un peu plus loin, même si certains éléments recoupent des informations que nous avions déjà. Les choses me paraissent beaucoup plus claires, je tiens donc à vous remercier.
Ensuite, la communication aux journalistes « à côté » de notre réunion me dérange. Nous devons apprendre à gérer notre temps, et à identifier ce qui est véritablement urgent - en l’occurrence, à mes yeux, tel n’était pas le cas. La dictature de l’ultra-communication ne nous fait pas beaucoup avancer, malheureusement, et vous le savez.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Sur le fond, dans le cadre d’une commission d’enquête, on ne découvre souvent la vérité que lors des contrôles sur pièces et sur place ; il faut dire les choses telles qu’elles sont.
Pour ma part, je ne savais pas comment les prévisions étaient faites, et je n’arrivais pas à comprendre comment de telles erreurs avaient pu être commises. J’espère que la synthèse que je vous ai présentée de mon travail vous apporte des réponses sur un plan technique.
Pour ma part, je n’ai pas abordé le problème de l’action des ministres et de leur éventuelle intervention ; c’est aussi l’objet de la commission d’enquête. Je pense que les rapporteurs auront des choses à dire sur ce sujet, mais ce n’était pas le mien. Je voulais comprendre le rôle de chacun. Vous avez peut-être noté ma réaction quand un ancien ministre chargé du budget, M. Thomas Cazenave, est venu nous expliquer qu’il n’y était pour rien ; je lui ai demandé quel était son rôle, s’il n’avait aucune responsabilité en la matière. Mathieu Lefèvre défendait lors de sa conférence de presse la même thèse que M. Cazenave, faisant peser toute la responsabilité des erreurs de prévisions sur les services... Mais dans une démocratie, ce sont les ministres qui sont responsables !
M. Jean-Pierre Bataille. Pour ma part, je vous dirai que s’il faut trente-deux ans de mandat pour comprendre le formalisme de la commission des finances, je n’y parviendrai malheureusement pas.
M. Éric Coquerel, président. Ce n’est pas le formalisme, ce sont les règles, cher collègue.
M. Jean-Pierre Bataille. Je disais cela pour détendre l’atmosphère.
Je ne retrouve pas de parallélisme entre les prévisions de recettes d’IR, d’IS, de TVA pour 2023 et 2024 et les prévisions pour 2025. S’agissant de l’IR, il manque entre la prévision et l’exécuté 2,1 milliards d’euros en 2023 et 6 milliards d’euros en 2024. Pourtant, la prévision pour 2025 est rehaussée par rapport à la prévision pour 2024 ! Cela montre que les erreurs des années précédentes ne servent pas de leçon pour la prévision de l’année 2025.
Pour la TVA, après un écart de 3,7 milliards d’euros en 2023 et de 11,3 milliards en 2024, la prévision pour 2025 se situe entre les prévisions respectives des deux années précédentes.
Pour l’IS, en revanche, après un décrochage de 4,5 milliards d’euros en 2023 et de 14,5 milliards en 2024, la prévision pour 2025 est inférieure à celle de 2023. C’est le seul impôt pour lequel le Gouvernement semble avoir revu sa copie en tirant les leçons des exécutions antérieures.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Commençons par la TVA. Le projet de loi de finances déposé au mois d’octobre, prévoyait une hausse de 10 milliards d’euros de son produit, ce qui était impossible, puisque cela signifiait une augmentation de 5 % de la consommation. Finalement, le Gouvernement a corrigé sa prévision en amendant l’article d’équilibre et l’état A annexé en février, ce qui a conduit à une révision à la baisse de 5 milliards d’euros de la prévision initiale.
Sur l’IS, passer d’une prévision de 72 milliards d’euros, dans la loi de finances initiale pour 2024, à 53 milliards d’euros dans la loi de finances pour 2025 est effectivement une évolution considérable ; toutefois, les recettes perçues en 2023 et en 2024 étaient de l’ordre de de 56 ou 57 milliards d’euros, et les bénéfices – en France – des entreprises sont attendus en baisse en 2025. Une prévision de 53 milliards d’euros, soit une baisse d’environ 4 milliards d’euros par rapport à 2024 correspond à une chute de 7 ou 8 %, ce qui me paraît réaliste, parce que les charges des entreprises se sont alourdies.
Pour l’IR, les prévisions me paraissent encore un peu imprudentes ; la hausse attendue de 6 milliards d’euros, soit des recettes passant de 88,1 milliards d’euros à 94,5 milliards d’euros, me paraît excessive.
Pour résumer, nous aurons peut-être de bonnes surprises sur l’IS en 2025. Le réajustement de la prévision de hausse, passée de 10 milliards d’euros à 5 milliards d’euros, est le moins qu’on pouvait attendre pour la TVA, mais le résultat sera peut-être encore inférieur de 1 ou 1,5 milliard d’euros. Enfin, nous risquons de constater des moins-values sur l’impôt sur le revenu – une hausse de 2 ou 3 milliards d’euros serait déjà une bonne nouvelle ; en revanche, une hausse de 6 milliards d’euros me paraît tout à fait illusoire.
M. Éric Coquerel, président. Je vous remercie, monsieur le rapporteur général.
Le projet de rapport des rapporteurs Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, ainsi que la communication écrite du rapporteur général détaillant ce qui nous a été présenté aujourd’hui, seront consultables pendant les jours qui précéderont l’examen par la commission du projet de rapport, comme il est d’usage. Un message vous sera envoyé pour vous indiquer le lieu, les jours et les horaires de ces consultations – ce devrait être entre le vendredi 4 avril et le mercredi 9 avril.
C’est ce mercredi 9 avril que le rapport sera présenté à la commission d’enquête, à huis clos.
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Information relative à la commission
La commission a désigné M. Anthony Boulogne rapporteur spécial des crédits de la mission Enseignement scolaire
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 26 mars 2025 à 16 heures 30
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Jean-Pierre Bataille, M. Karim Ben Cheikh, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Mathilde Feld, Mme Marina Ferrari, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Jérôme Legavre, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, M. Kévin Mauvieux, M. Nicolas Ray, M. Charles Sitzenstuhl
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Carlos Martens Bilongo, M. Mickaël Bouloux, Mme Karine Lebon, M. Jean-Paul Mattei, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Emmanuel Tjibaou, M. Gérault Verny