Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Examen du rapport en conclusion des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) (MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, rapporteurs) 2
– Présence en réunion...........................18
Mercredi
9 avril 2025
Séance de 14 heures 30
Compte rendu n° 100
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
M. le président Éric Coquerel. Nous examinons, à huis clos, le projet de rapport de MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, qui conclut les travaux pour lesquels notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête pour une durée de six mois. Cette période s’achève le lundi 21 avril. Le projet de rapport a été ouvert à la consultation des membres de la commission depuis vendredi dernier 4 avril au matin.
J’ai souhaité rédiger une contribution, en ma qualité de président de la commission ; M. le rapporteur général Charles de Courson a fait de même – sa contribution reprend les conclusions qu’il nous a présentées le 26 mars. Chacun des groupes peut encore annexer des contributions écrites, pour peu qu’elles n’excèdent pas une dizaine de pages par groupe et qu’elles soient adressées au secrétariat de la commission d’ici la fin de la semaine.
Afin de dissiper d’emblée toute ambiguïté, je précise que, conformément à l’usage en matière de commissions d’enquête, nous n’allons ni discuter ni voter sur ces différentes annexes au rapport de la commission d’enquête. Notre débat ne porte que sur le projet de rapport stricto sensu.
Nous voterons pour autoriser, ou pas, la publication du projet de rapport. Aux termes de l’article 144‑2 du règlement, si jamais notre commission refusait la publication, l’ensemble des documents relatifs à ce travail serait remis par mes soins à la présidente de l’Assemblée et il ne serait possible ni de les publier ni d’en débattre.
Merci, messieurs les rapporteurs. Je me réjouis du fait que vous ayez réussi à mener un travail commun.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Cette commission d’enquête est le fruit de deux volontés qui se sont rencontrées : celle de mon groupe et celle de la commission des finances elle-même. C’était une commission à trois voix, celles des deux rapporteurs auxquelles j’ajoute la vôtre, monsieur le président. L’exercice n’était pas aisé, mais nous nous sommes efforcés d’établir les faits de façon objective avant de tirer des conclusions, dont vous verrez qu’elles divergent largement.
Nous nous sommes trouvés face à une forme d’irresponsabilité collective, qui est d’abord celle des Gouvernements Borne et Attal. Nous n’avons pas entendu beaucoup de modestie face à l’ampleur considérable du dérapage, qui s’élève à plus de 50 milliards d’euros – rappelons qu’en 2024, le déficit public s’est élevé à 5,8 % du PIB alors que la prévision en loi de finances initiale était de 4,4 %. Dans notre histoire récente, nous n’avions connu de tels écarts que lors de crises exceptionnelles, que ce soit celle de 2009 ou celle du covid.
Les ministres ont refusé d’endosser la responsabilité des prévisions réalisées par leurs administrations. C’est pourtant le rôle même d’un membre de l’exécutif : challenger les prévisions des administrations, arbitrer, mais aussi assumer ces décisions. L’article 20 de la Constitution est clair : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l’administration. »
Les personnes auditionnées par la commission ont été claires sur ce point : M. Emmanuel Moulin, ancien directeur général du Trésor et ancien directeur de cabinet de M. Gabriel Attal, a ainsi affirmé que « les services font des propositions […] et c’est le ministre qui choisit ». De même, M. Jérôme Fournel, ancien directeur de cabinet de M. Bruno Le Maire puis de M. Michel Barnier, a précisé que « les cabinets reconnaissent la compétence technique des administrations, mais celles-ci acceptent de voir leurs choix remis en cause ».
Je voudrais aussi insister sur l’ampleur de la dissimulation que les travaux de notre commission ont fait apparaître. Malgré les alertes des administrations émises dès le 7 décembre 2023 dans une note conjointe du directeur général du trésor et du directeur général du budget, les Gouvernements Borne et Attal ont sciemment refusé de communiquer à la représentation nationale la réalité dramatique de la situation budgétaire.
Le 13 décembre 2023, la Première ministre est informée du fait que « la moins-value de recettes fiscales prévue pour 2023 aura une répercussion sur 2024 ». Pourtant, les parlementaires sont laissés dans l’ignorance. Le 16 février 2024, les ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave connaissent l’ampleur de la dégradation du solde public en 2023, et savent ce qu’il pourrait en être en 2024 : les déficits sont alors évalués à 5,6 % et 5,7 % respectivement. Deux jours plus tard, le ministre de l’économie annonce au « 20 heures » de TF1 maintenir un objectif de déficit de 4,4 %, alors qu’il ne peut ignorer le caractère totalement irréaliste de ce chiffre. Le 6 mars 2024, les mêmes ministres dissimulent devant la commission des finances de l’Assemblée nationale la situation réelle des finances publiques, en indiquant « qu’il est trop tôt pour évaluer les recettes de l’État en 2024 ». Les parlementaires ne connaîtront l’étendue du déficit public de 2023 que le 26 mars 2024, soit plus de trois mois après les premières alertes. L’information du Parlement sur le déficit public de 2024 n’interviendra que le 10 avril 2024, parce qu’il est alors nécessaire de remettre le programme de stabilité 2024-2027 à la Commission européenne. À cette date, l’objectif de déficit public est relevé à 5,1 %, loin des estimations de la direction générale du Trésor de 5,7 % et de l’exécution de 5,8 %.
Je considère que le Gouvernement de l’époque a volontairement dissimulé des informations connues des ministres, partiellement à partir de décembre 2023 et complètement à partir de la mi-février 2024.
Je veux souligner l’inaction des Gouvernements successifs. Au premier semestre 2024, il aurait fallu pour réagir un projet de loi de finances rectificative (PLFR) : son absence montre l’inaction et l’irresponsabilité, grave et coûteuse, du Gouvernement. M. Le Maire a évoqué cette piste dès le mois de février 2024 ; elle a été proposée au Président de la République ; mais elle a été écartée, pour des raisons de calendrier électoral, puisque les élections européennes approchaient. M. Le Maire a clairement indiqué que M. Attal avait rejeté cette option, et j’ai la conviction personnelle qu’un arbitrage a été fait au plus haut sommet de l’État. Je regrette que le refus de se présenter devant nous du secrétaire général de l’Élysée n’ait pas permis à la commission de faire la lumière sur le cheminement complet qui a conduit à cette inaction. On a laissé sciemment la situation se dégrader.
L’irresponsabilité du Gouvernement s’est accentuée avec la dissolution, qui a constitué l’excuse parfaite pour ne pas assumer la paternité de la dégradation des finances publiques, et pour faire porter à une potentielle nouvelle majorité la responsabilité de défendre un projet de loi de finances pour 2025 qui aurait dû comporter des mesures particulièrement impopulaires.
Je souligne aussi le caractère dépassé de la tentative permanente de faire porter la responsabilité de ces dérapages aux collectivités locales. On a essayé de les habiller en bouc émissaire parfait alors qu’elles ont l’obligation légale de voter un budget en équilibre réel.
Au total, le dérapage des finances publiques en 2024 représente près de 50 milliards d’euros, qui sont venus accroître le montant déjà gigantesque de la dette. Au taux actuel des obligations assimilables du Trésor à dix ans, cela représente un coût supérieur à 1 milliard d’euros annuel supplémentaire.
J’éprouve une certaine amertume vis-à-vis des réponses convenues et très largement concertées que nous avons entendues. Elles traduisent, je le redis, une irresponsabilité collective. Celle-ci doit être dénoncée et devra nous servir de leçon pour éviter la réitération de dérives aussi graves.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Je commencerai par vous adresser des remerciements, monsieur le président : le sujet méritait que la commission des finances se constitue en commission d’enquête, et je salue la façon dont vous avez mené ses travaux. Je salue également mon collègue rapporteur : si nos analyses divergent, nous partageons le constat, comme le montre le projet de rapport.
Il y a trois façons de voir les choses : un procès économique de la politique menée par la précédente majorité ; un procès politique en dissimulation, que rien ne corrobore à mon sens dans les auditions que nous avons menées ; une volonté de mettre les choses à plat, à froid, sans illusion rétrospective, avec le souci de trouver des solutions pour l’avenir.
Dans le fond, les premiers perdants de cette situation, ce sont nous, les parlementaires, et à travers nous les Français. Il nous a été difficile de suivre la situation des finances publiques.
Le Gouvernement a vu augmenter des dépenses qu’il ne peut pas piloter en cours d’année – dépenses des administrations de sécurité sociale et des administrations locales. Il a pu agir, en revanche, sur les dépenses de l’État : celles-ci sont d’ailleurs inférieures en valeur en 2024 à ce qu’elles étaient en 2023, pour la première fois depuis onze ans.
Il y a eu un accident en matière de recettes : elles ont été inférieures de 60 milliards d’euros à ce qui était envisagé. J’ai écouté avec attention le rapporteur général, qui est une voix neutre dans cette commission : il nous a dit que les ministres n’avaient pas mis les mains dans le cambouis. Il le déplore, je le constate, mais cela implique que l’erreur de prévision ne peut être imputée au Gouvernement.
Il ne s’agit nullement de mettre en cause les administrations de notre pays, qui mènent un travail remarquable. Mais dans un monde où l’inflation monte à 6 % puis décélère brutalement, dans un monde où les modèles économiques ont été bouleversés par les chocs exogènes, il devenait beaucoup plus difficile d’effectuer des prévisions de recettes. Je pense – cette recommandation n’est pas partagée par mon corapporteur – qu’il faut confier la prévision de recettes à un organisme indépendant, ou à tout le moins s’engager dans la procédure comply or explain : le Gouvernement devrait s’expliquer sur les divergences qu’il aurait avec le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).
Si nous reprenons le fil de ces deux dernières années, on verra que le Gouvernement a engagé la sortie progressive des dispositifs exceptionnels mis en place pour gérer la crise sanitaire et énergétique. Ces mesures ont toutes été contestées par les oppositions ; hier encore, le relèvement de l’accise sur l’électricité constituait pour le Rassemblement national un motif de censure. Sans la dégradation des recettes, elles auraient pourtant permis d’atteindre les 4,4 % de déficit en 2025 et 3 % en 2027.
L’accident en matière de recettes n’est inédit ni dans le temps – nous avons notamment connu la même chose en 2008 –, ni dans l’espace – le Royaume-Uni et l’Allemagne ont aussi vu manquer des points de PIB.
Enfin, la dépense des collectivités locales a effectivement été supérieure en 2023 et 2024 aux prévisions initiales du Gouvernement. Je ne parle pas de dérapage et je ne dis pas que ces dépenses étaient inutiles, mais elles ont bel et bien existé.
Face à cet accident technique, le Gouvernement a pris des mesures qu’aucune des notes que nous avons reçues ne qualifie de tardives. La première alerte consolidée intervient le 7 décembre 2023, au moment où les textes budgétaires sont quasiment terminés, et elle n’est pas conclusive. Les Gouvernements d’Élisabeth Borne et de Gabriel Attal ont pris des mesures pour limiter les dépenses, pour 30 milliards d’euros environ : annulation de crédits ; mises en réserve ; sortie du bouclier tarifaire sur l’énergie ; doublement des franchises médicales. Elles ont toutes été contestées par les oppositions.
Le Gouvernement d’alors et notre majorité ont assumé de faire porter l’effort majoritairement sur les dépenses. C’est là qu’est notre plus grande divergence politique, notamment avec vous, monsieur le président. Nous n’avons en effet pas souhaité augmenter massivement les impôts payés par les Français et par leurs entreprises. Cela n’a pas empêché que soient prises des mesures impopulaires à la veille d’échéances électorales majeures : celles que j’ai citées l’étaient.
Le débat sur la présentation ou non d’un projet de loi de finances rectificative est moins important que ce que certains voudraient croire. Qu’aurait-il permis, sinon une augmentation de la fiscalité ? Il n’aurait pas servi à aller plus loin sur l’effort en dépenses. Hormis l’ancienne majorité, tous les groupes avaient critiqué le décret d’annulation ; il y a fort à parier que le Parlement n’aurait pas souhaité aller plus loin.
Peut-être aurions-nous pu envisager une fiscalité rétroactive en matière de rachat d’actions ou de contribution sur les rentes inframarginales, mais cela n’aurait rapporté qu’environ 3 milliards d’euros.
J’observe que la politique du Gouvernement a fonctionné, puisque la dépense de l’État a été tenue : elle a été exécutée à un niveau inférieur de 7 milliards d’euros à la loi de finances initiale, et le déficit s’est réduit de plus de 10 milliards d’euros en exécution par rapport à la loi de finances initiale. J’observe également qu’après la dissolution, faute de majorité parlementaire, il devenait impossible de maintenir les réformes structurelles prévues. Je regrette que la réforme de l’assurance chômage ait été suspendue : son impact aurait été minime en 2024, mais pas en 2025.
Si le Gouvernement n’avait pas agi, y compris, je le redis, en prenant des mesures impopulaires alors que nous étions à la veille d’élections importantes, le déficit aurait été supérieur de plus de 1 point de PIB à ce qu’il est aujourd’hui.
Nous pourrons détailler tout à l’heure ce qui s’est passé impôt par impôt, car il me semble que c’est l’échelle à laquelle on comprend ce qui s’est passé.
J’en viens aux préconisations. Au-delà de l’externalisation que je citais tout à l’heure, je propose l’instauration d’une loi de finances de redressement des comptes publics, qui n’aurait pour finalité que de procéder au redressement des comptes publics en cas de dérapage majeur. Je propose également que les annulations de crédits par le Gouvernement soient facilitées, le Parlement exerçant en contrepartie un rôle de contrôle accru. Le Gouvernement pourrait ainsi plus rapidement annuler des crédits en cours d’année. Je propose également l’affectation d’éventuels surplus de recettes au désendettement : en 2021 et en 2022, personne n’a demandé de commission d’enquête sur les bonnes nouvelles en matière de finances publiques.
Il me paraît enfin nécessaire de procéder à des ajustements dans la machinerie budgétaire : la fusion, à terme, de la direction du budget et de la direction de la sécurité sociale permettrait ainsi une unification du pilotage des comptes publics. Ce que nous avons observé quant au suivi de la masse salariale plaide en ce sens.
M. le président Éric Coquerel. Nous avons parfois éprouvé une certaine déception vis-à-vis de ces auditions, mais elles ont eu un véritable effet hors de ces murs, et nous pouvons nous en féliciter. Entendre en quelques mois à la fois l’administration, les responsables politiques et des institutions extérieures est assez inédit, et nos travaux ont suscité un véritable intérêt. Or il me semble important de faire la pédagogie de notre travail.
Nous avons abordé ces auditions depuis des perspectives différentes ; j’en vois trois principales, qui ne sont d’ailleurs pas exclusives les uns des autres. Certains considèrent que le problème est avant tout technique et conjoncturel, et qu’il faut réformer la tuyauterie. D’autres mettent l’accent sur la dissimulation d’informations par le Gouvernement. On peut enfin, et c’est mon cas, adopter une analyse politique – ce n’est en rien un procès, monsieur Lefèvre. La note de l’Inspection générale des finances (IGF) indique qu’en 2023, plus de 70 % de l’écart résultait de facteurs externes à l’exercice de prévision des recettes fiscales : si on la suit, on ne peut pas penser que l’écart serait explicable très principalement par les erreurs des prévisions.
C’est donc autre chose qu’il faut interroger. Je crois surtout qu’il y a eu un aveuglement sur les effets de la politique économique menée, notamment en matière de recettes. M. Jérôme Fournel le dit très bien : « [i]l faut reconnaître une tendance collective à s’autopersuader que les recettes supplémentaires constatées en 2021 et en 2022 relevaient d’une dynamique, et que le même phénomène allait se produire en 2023 ». L’interprétation du rebond post-covid comme le résultat d’une politique économique qui baissait les impôts pour produire des recettes a influé sur les prévisions établies tant en 2023 qu’en 2024. La politique de l’offre devait, selon M. Bruno Le Maire, réindustrialiser, faire disparaître le chômage et augmenter le pouvoir d’achat : rien de tout cela ne résiste à l’analyse.
L’audition de M. Gabriel Attal a été symptomatique. Il a dit, ce qui me semble vrai, que le creusement des déficits vient moins de la hausse des dépenses publiques – qui n’augmentent pas depuis 2017 par rapport au PIB – que de la baisse des recettes. Celle-ci s’élève en effet à 3 points de PIB depuis 2017.
Mais sa réaction a consisté à chercher sans relâche les moyens de baisser les dépenses publiques. Cela revient à proposer à un malade qui consulte pour un mal de ventre un traitement pour sa jambe. Par ailleurs, la baisse des dépenses publiques accroît l’effet récessif en matière de croissance.
La deuxième explication tient à la responsabilité des politiques. Selon M. Pierre Moscovici, l’hubris du politique influe sur le travail des services. On ne saurait mieux dire.
Je fais remarquer aux contempteurs des services l’écart considérable entre ce que ceux‑ci produisent et ce que disent les politiques. Les graphiques présentés aux pages 124 et 126 du rapport montrent que les déclarations publiques du Gouvernement ne reflètent absolument pas les notes du Trésor qui font état d’une dégradation du solde public, en 2023 et en 2024.
Ce phénomène est, de mon point de vue, lié à la situation politique particulière et à la difficulté à faire adopter un budget sans majorité. Ces paramètres ont conduit le Gouvernement, d’une part, à retenir l’hypothèse mieux-disante des analyses des services – une note du Trésor indique ainsi que l’on s’est écarté de l’estimation considérée par la DGFIP comme centrale sur la base de l’analyse des données relatives aux acomptes de fin d’année, « on » désignant les politiques – ; d’autre part, à ne pas tirer les conséquences devant l’Assemblée des évolutions dont il commençait à être informé, autrement dit à présenter un budget erroné. Cela pose un problème démocratique. Je fais ici référence à la fameuse note que Mme Élisabeth Borne reçoit de M. Bruno Le Maire le 13 décembre 2023, note reprenant celle du Trésor et dans laquelle sont annoncées des moins-values de recettes qui se chiffrent en milliards et la nécessité d’annuler 10 milliards d’euros de crédits dès le début de l’année 2024. Mme Élisabeth Borne affirme qu’elle ne regarde pas la note ce jour-là – je veux bien la croire, elle le déclare sous serment. Elle engage la responsabilité du Gouvernement le 14 décembre et la motion de censure est discutée le 16 décembre. Dans son discours ce jour-là, on ne trouve nul indice des évolutions qui contredisent le budget en passe d’être adopté. Nous n’avons été informés du décalage qu’à partir du moment où M. le rapporteur généralJean-François Husson, lors d’un contrôle sur place à Bercy, a pris connaissance de la note du Trésor, qui révèle les informations dont le Gouvernement disposait.
Le troisième point que je voulais évoquer est ce que j’appellerai le « mystère des collectivités territoriales ».
À la fin de l’été 2024, pour expliquer le déficit, qui est estimé alors à 6,1 %, le Gouvernement met en avant 16 milliards d’euros de dépenses imputables aux collectivités territoriales. Or la directrice générale des collectivités territoriales (DGCL) nous a dit qu’elle avait souligné les limites de la méthodologie et mis en garde contre toute extrapolation des données à mi-année.
On nous a expliqué que la note de décembre 2023 n’avait pas été rendue publique car elle restait une hypothèse. Dès lors, pourquoi la note de septembre 2024 est-elle présentée comme une vérité pour justifier le déficit, d’autant que sa méthodologie est jugée problématique par la DGCL ? Le déficit sera finalement ramené de 6,1 % à 5,8 % car les 16 milliards n’étaient qu’un prétexte.
Ce procédé m’interroge car il inaugure une phase de dramatisation des déficits annoncés pour justifier des mesures de redressement lors du changement de Gouvernement. Pourtant, MM. Bruno Le Maire et Thomas Cazenave indiquent qu’il était encore possible d’annuler purement et simplement les 16 milliards d’euros de crédits qui avaient été gelés pour ralentir le déficit. M. Michel Barnier a répondu que tout cela était irréaliste. Pourquoi décide-t-on à un moment donné d’aggraver les prévisions ?
En ce qui concerne les recommandations, je demanderai un vote dissocié sur les recommandations nos 22, 23 et 24, qui impliquent toutes une baisse des dépenses publiques.
Pour ma part, je recommande d’en finir avec la politique de l’offre. Ensuite, je défends, de manière un peu provocatrice, je l’admets, l’interdiction du recours au 49.3 sur le budget pour redonner du poids à l’Assemblée nationale. Je suis favorable à un abaissement de 1,5 % à 0,5 % du seuil en deçà duquel les annulations de crédit peuvent être décidées sans PLFR ainsi qu’à un avis conforme des commissions des finances sur les décrets d’annulation. Je suis opposé à l’externalisation des prévisions budgétaires. Le politique doit assumer les prévisions sur lesquelles sont fondés les projets de loi de finances. En revanche, je plaide pour un renforcement des moyens d’expertise. D’autres organismes pourraient être sollicités pour concurrencer les services de Bercy et aider le Parlement à contrôler l’exécution du budget. Enfin, je suis favorable à la transmission aux commissions des finances des notes aux ministres relatives aux prévisions macroéconomiques et aux finances publiques par les services de Bercy.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Les travaux de notre commission devaient à répondre à quatre questions. Le rapport ne le fait que partiellement.
En premier lieu, comment sont élaborées les prévisions de recettes ? Je vous renvoie à ma contribution, qui je l’espère, vous éclairera. Les prévisions techniques montrent, s’agissant de la TVA, une erreur complète d’analyse économique. Certes, le taux de croissance en 2023 et 2024 est assez proche des prévisions. En revanche, la composition de la croissance a été complètement différente, notamment la consommation des ménages. On constate des écarts de 1 % à 2 % entre les prévisions et l’exécution, et cela continue en 2025, si ce n’est que le Gouvernement a déposé un amendement pour réduire de 10 milliards d’euros les recettes de TVA escomptées, ce qui montre, qu’il était parfaitement possible en décembre 2023 d’ajuster les recettes dans l’article d’équilibre.
Ma contribution examine les erreurs tant sur la TVA que sur l’impôt sur les sociétés – le fait de l’indexer sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) est un non-sens économique – ou sur l’impôt sur le revenu – pourquoi ne pas s’appuyer davantage sur les remontées mensuelles des Urssaf ? Je préconise de changer les méthodes de prévision.
En deuxième lieu, qui est responsable du dérapage des recettes et du solde ? Les collectivités locales, non ; je le démontre dans ma contribution. M. Cazenave a prétendu que les collectivités locales étaient à l’origine de 16 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, extrapolant, contre l’avis des services, les chiffres de juillet 2024. Le dérapage, qui sera finalement entre 6 et 7 milliards d’euros, est calculé par rapport à des prévisions complètement farfelues puisque les Gouvernements successifs, quels qu’ils soient, n’ont pas prise sur les dépenses des collectivités locales ; ils peuvent éventuellement réduire leurs recettes dès lors qu’une part croissante d’entre elles provient de dotations de l’État.
Ensuite, la faute a été imputée aux services. En tant qu’ancien magistrat de la Cour des comptes, ayant passé quelques années à la direction du budget et été membre d’un cabinet ministériel, je vous l’assure, on ne peut pas dire une chose pareille !
Un ministre est venu nous expliquer qu’il n’avait pas à mettre les mains dans le cambouis. Mais quand vous êtes ministre, vous êtes responsable de vos services. Vous n’êtes pas obligés de suivre leurs préconisations sinon vous n’êtes qu’un porte-flingue et c’en est fini de la démocratie. Cela accrédite la théorie de l’« État profond » selon laquelle les ministres sont des pantins entre les mains des services – c’est hélas parfois exact. En démocratie, c’est le ministre, voire le Premier ministre qui est responsable du dérapage des recettes.
En troisième lieu, quels sont les outils de régulation ? Un Gouvernement peut présenter un projet de loi de finances rectificative pour augmenter les recettes ou les diminuer selon les situations. Cette option a été écartée. Il s’agissait d’une décision politique. Une loi de finances rectificative aurait obligé à réévaluer les recettes, donc à avouer, avant les élections européennes, l’existence d’un dérapage.
Le Gouvernement a donc joué sur les dépenses. La réduction des dépenses a été de l’ordre de 20 à 25 milliards d’euros pour les dépenses de l’État, mais elle a été marginale pour les dépenses de la sécurité sociale et nulle pour celles des collectivités locales, faute d’outils en la matière. Le rapport aurait pu développer davantage ce constat essentiel selon lequel le principal levier dont on dispose aujourd’hui concerne les dépenses de l’État.
Enfin, y a-t-il eu dissimulation ou plus précisément révélation différée de la vérité sur les comptes de l’État au Parlement ? C’est incontestable.
À partir de novembre 2023, puis tout au long de 2024, toutes les preuves figurent dans le rapport de ce que les services informent les ministres, le Premier ministre et même le Président de la République de la situation. Pourtant la révélation est différée. Mais les faits ont la tête dure.
En ce qui concerne les recommandations, le rôle de la direction générale du Trésor est central. J’ai reçu de l’ancienne directrice du budget, Mme Isabelle Bouillot, une très intéressante lettre dans laquelle elle met en cause le monopole de la direction générale du Trésor. À l’époque où elle exerçait ses fonctions, la direction de la prévision, la direction générale du Trésor, la direction du budget et la direction de la sécurité sociale discutaient des prévisions. Aujourd’hui, la direction générale du Trésor a un monopole et, on le sait, tout monopole est dangereux.
Quelles sont les solutions pour en sortir ? Je ne crois guère à l’externalisation, proposée par notre collègue Lefèvre, parce qu’elle suppose de transférer d’importants moyens et de faire appel à plusieurs prévisionnistes. Je plaide pour une plus grande implication du HCFP par le biais d’un mécanisme comply or explain, qui imposerait au Gouvernement de rectifier ses prévisions jugées trop optimistes par le HCFP ou, à défaut, d’expliquer pourquoi il refuse de le faire.
Il faut mettre fin au monopole du Trésor et reprendre les conférences réunissant la direction du budget, la direction générale du trésor et la direction de la sécurité sociale, qui ont été supprimées à partir de la crise du covid.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. J’entends le procès en dissimulation, mais c’est un faux procès puisqu’aucun document parmi ceux qui nous ont été transmis ne recommande aux ministres de s’exprimer immédiatement sur une dégradation établie et évidente du déficit.
Monsieur le rapporteur général, selon vous, le Gouvernement n’a pas présenté de PLFR pour ne pas avoir à révéler les chiffres des recettes. Mais les chiffres sur le déficit public ont été actualisés, avec le concours de l’Insee, en mars 2024. Si PLFR il devait y avoir, il aurait été ultérieur.
Le débat sur la manière de résoudre la crise ou de ne pas le faire – on aurait pu imaginer de laisser dériver les finances publiques – est légitime. Mais qu’aurait apporté un PLFR ? Il n’aurait manifestement pas permis d’aller plus loin en matière de dépenses. S’agissant des recettes, le Gouvernement et la majorité ont assumé de ne pas faire peser sur les Français ni sur les entreprises l’ajustement budgétaire. C’était un choix politique.
En ce qui concerne les collectivités, je ne qualifie pas les 20 milliards d’euros d’écart à la prévision de dérapage. Je ne dis pas que les collectivités ont fait n’importe quoi qu’elles sont irresponsables. Les chiffres sont les suivants : dans l’écart à la prévision, 60 milliards d’euros de recettes manquent à l’appel et les dépenses des collectivités territoriales ont augmenté de 20 milliards d’euros en cumulé.
Quant au pilotage, monsieur le rapporteur général, vous avez raison, certains ministres ne mettent pas les mains dans le cambouis, vous le déplorez, moi je le constate.
Vos recommandations sont évidemment les bienvenues. Vous soulignez, à juste titre, les problèmes dans la composition de la croissance et la transposition du scénario macroéconomique aux recettes. Vos remarques sur l’EBE ainsi que sur les comportements des ménages et des entreprises figurent dans le rapport. Nous devons, en effet, mieux les appréhender mais ne faisons pas croire aux Français ni à la représentation nationale que les ministres seraient venus dans un bureau de la direction de la législation fiscale pour dire : « je veux tant de recettes pour combler mon déficit public ». Cela ne fonctionne pas comme cela.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Je partage nombre d’analyses du rapporteur général.
Le diagnostic sur le pseudo-dérapage des dépenses des collectivités locales est totalement erroné. Ce dérapage n’a pas été constaté par rapport à un chiffre établi mais par rapport à une prévision totalement irréaliste, voire fantaisiste, qui n’a fait l’objet d’aucune concertation avec les associations représentatives des élus – ni l’AMF, ni l’ADF, ni l’ARF. Ces dernières l’ont toutes souligné, elles ont eu la surprise de découvrir une trajectoire de baisse des dépenses de 0,5 %, qui était totalement irréaliste. Ce dérapage a été inventé.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Claire Marais-Beuil (RN). Je serai très brève.
Pour ce qui est des collectivités locales, ce que vous appelez un dérapage est tout simplement de la bonne gestion. Il ne leur aura été donné aucune consigne. On ne peut pas reprocher à une collectivité d’équilibrer ses recettes et ses dépenses.
J’espère que toutes les recommandations pourront être appliquées car il est à craindre que le scénario que nous avons vécu ne se reproduise compte tenu de la conjoncture économique internationale. Il est indispensable que nous disposions de toutes les données, avec précision et rapidité, pour pouvoir décider de réviser ou non le budget de l’État.
M. David Amiel (EPR). Je tiens à saluer la qualité du travail des rapporteurs et des auditions. Cette commission d’enquête était indispensable, le rapport le montre.
Le premier mérite de ce travail transpartisan est de montrer que le dérapage des finances publiques par rapport aux prévisions a été technique. Le redressement qui s’est ensuivi a quant à lui été politique. Les mesures d’ajustement peuvent prêter à discussion et il est logique, monsieur le président, que vous privilégiez les mesures touchant aux recettes. C’est dans le droit fil du débat de politique économique qui nous oppose régulièrement ici.
Le rapport établit très clairement que les causes du dérapage étaient techniques. Les ministres n’ont pas choisi les paramètres, notamment ceux relatifs à l’élasticité, qui expliquent, pour une large part, l’écart aux prévisions – les auditions en attestent. Le dérapage n’est pas lié à une surestimation des effets de la politique de l’offre puisque, si cela avait été le cas, les prévisions de croissance auraient également été erronées. La question de savoir si la politique de l’offre stimule la croissance ou pas reste posée mais ce n’est pas celle qui nous occupe ici.
Le rapport démontre que le problème tient à l’élasticité à croissance donnée. La composition de la croissance a le paradoxe d’avoir été plutôt défavorable aux finances publiques mais d’être plutôt une bonne nouvelle en elle-même : c’est le commerce extérieur, donc la compétitivité retrouvée qui a tiré la croissance ces derniers mois.
Je suis frappé que les divergences portent plutôt sur le calendrier de la communication. Qu’elle intervienne en décembre ou en février n’aurait rien changé à l’état des finances publiques puisque les mesures de redressement ont été prises par le Gouvernement dès le début de l’année 2024, et elles ont été d’une ampleur conséquente. Le PLFR n’aurait pas apporté de plus-value, si ce n’est des mesures fiscales supplémentaires, que le rapporteur Ciotti n’appelle pas de ses vœux.
Des mesures de redressement supplémentaires auraient pu être prises tout au long de l’année 2024, notamment à l’automne. Dans le débat qui a eu lieu sur le projet de loi de finances pour 2025, nous avons milité pour la mise en œuvre rétroactive de plusieurs mesures fiscales telles que la taxe sur le rachat d’actions ainsi que pour l’adoption de mesures d’économies supplémentaires par voie réglementaire, qui auraient eu des effets dès l’année 2024 et auraient sans doute facilité la marche pour 2025. Le débat se poursuivra certainement dans les prochains mois.
Nous voterons évidemment en faveur de la publication du rapport. Nous approuvons l’immense majorité des recommandations, qui sont logiquement techniques, en écho aux causes identifiées de l’écart de prévision.
La principale leçon est la nécessité d’ouvrir la boîte noire de la prévision, de la confronter à des regards extérieurs parce que personne, ni à la direction générale du Trésor, ni dans les organismes extérieurs, ni au HCFP n’a le monopole de la bonne méthode.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Je serai bref puisqu’il n’est pas utile de reprendre tous les débats qui ont animé la commission d’enquête.
Nous avons été frappés de constater à quel point celles et ceux qui étaient en fonction à ce moment-là ont refusé de prendre acte de leurs responsabilités et ont tenté de s’en défausser, prétextant qu’ils n’étaient pas au courant ou pas suffisamment, que c’était trop tard, ou que la politique du Gouvernement n’avait rien à y voir.
Quoi qu’en dise M. Amiel, quand bien même le problème aurait été technique, rien n’empêchait qu’il fasse l’objet d’un débat démocratique. Un PLFR aurait dû être déposé pour que le Parlement soit saisi de ce sujet d’importance. Nous sommes censés vivre dans une démocratie.
Cela a été dit, le dérapage est lié aux recettes. Vous estimez qu’il est dû à une erreur technique de prévision. Nous considérons que le problème est politique puisque vous refusez de chercher de nouvelles recettes.
Alors que tout le monde s’accorde pour incriminer les recettes, plusieurs recommandations concernent les dépenses, le président Coquerel les a citées : la recommandation n° 24 qui impose aux collectivités territoriales de contribuer au redressement des finances publiques ; la recommandation n° 23 qui préconise de favoriser les mesures de freinage de la dépense ; la recommandation n° 22 qui prescrit d’affecter tout surplus de recettes fiscales à la réduction du déficit et non au financement de nouvelles dépenses. J’ajoute la recommandation n° 25, qui propose de créer un comité d’alerte sur les risques de dépassement des prévisions de dépenses sociales.
Puisque le problème tient aux recettes, on aurait pu imaginer la création d’un comité d’alerte lorsque les dépenses fiscales liées aux crédits d’impôt s’envolent, ce qui nous éviterait les projets de loi de finances de fin de gestion comme celui de l’année dernière, dans lequel l’un des seuls postes qui augmente de manière très importante est celui des remboursements et dégrèvements, qui sont des cadeaux fiscaux faits aux entreprises.
M. Nicolas Ray (DR). Ce travail était important et les recommandations qui en résultent le sont tout autant pour éviter que le scénario que nous avons vécu ne se reproduise.
Oui, le politique ne doit pas se défausser sur les services, sur l’administration. Cela ne correspond pas à l’esprit de nos institutions. Le politique peut corriger les choses, il doit le faire et assumer les décisions, comme le font les élus locaux vis-à-vis de leur administration locale.
En ce qui concerne les causes du dérapage, les dépenses des collectivités locales ont été sous-évaluées par le Gouvernement. Il fallait prendre en compte le fait qu’en milieu de mandat municipal, les dépenses des collectivités allaient inéluctablement augmenter. Les collectivités sont globalement bien gérées, il n’y a pas de dérapage des finances locales compte tenu des règles sévères auxquelles elles sont soumises pour établir leur budget et emprunter.
Les prévisions en matière de recettes en 2023 et 2024 étaient surréalistes. Les hausses espérées pour l’impôt sur les sociétés et la TVA étaient bien trop optimistes. Nous l’avons payé par la suite.
Les efforts en matière de redressement ont été à la fois tardifs et insuffisants pour corriger la trajectoire. Pour résumer, un PLFR aurait été plus utile qu’une dissolution pour redresser les comptes du pays.
Quant aux recommandations, nombre d’entre elles sont intéressantes, notamment pour améliorer nos méthodes de prévision et revoir les sous-jacents. En tant que commissaires aux finances, nous devons pouvoir obtenir des précisions sur les prévisions de croissance et de recettes fiscales. Les informations données par les ministres doivent être beaucoup plus détaillées.
Bien sûr, il faut sortir du monopole de la direction générale du Trésor et confronter ses prévisions avec celles d’autres organismes. Il faut enfin renforcer le pilotage infra-annuel pour pouvoir enrayer des dérapages avant la fin de l’année.
Je note la proposition de M. Mathieu Lefèvre d’une loi de redressement. Mme Amélie de Montchalin l’a dit, ce qui dissuade de présenter un PLFR, c’est la crainte d’entrer dans un nouveau tunnel très long, avec des amendements qui partent dans tous les sens, sur les crédits comme sur les recettes. Un nouvel outil à la main du Parlement pour redresser nos comptes publics pourrait être intéressant.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Notre commission d’enquête a permis de mettre en lumière non seulement des dysfonctionnements techniques et des choix politiques, assumés ou tus, mais aussi l’incapacité structurelle d’intégrer pleinement l’incertitude dans notre fabrique budgétaire.
Les erreurs de prévision ne sont pas toujours des fautes techniques ; elles ne sont pas non plus uniquement la conséquence de modèles imparfaits ou d’une conjoncture volatile. Elles peuvent être également le fruit d’un usage politique de la prévision, c’est-à-dire de la volonté de présenter des trajectoires optimistes au détriment de la sincérité, de la transparence et du débat démocratique.
La sous-estimation chronique de certaines dépenses et les surestimations répétées de certaines recettes – je pense à celles de l’impôt sur les sociétés et, plus encore, aux cadeaux fiscaux dont a pâti le produit de la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité – ne relèvent pas du hasard. Elles soulèvent la question de savoir qui assume la responsabilité politique de ces choix, car ceux-ci ont un coût, lequel pèse sur celles et ceux qui n’ont d’autres richesses que celle de la solidarité nationale et les services publics.
N’oublions pas, en effet, que ces écarts ont des conséquences très concrètes – gel de crédits, dégradation du service public, pression accrue sur les collectivités locales, perte de confiance démocratique – tandis que les décisions fiscales favorables aux grandes entreprises et aux plus riches sont rarement remises en question. Il faut mettre fin à cette asymétrie de la rigueur !
Il ne suffit plus d’ajuster les modèles ; il faut restaurer la sincérité budgétaire, garantir l’information du Parlement et des citoyens, et veiller à ce que la gestion des comptes publics ne sacrifie ni la justice sociale ni les engagements écologiques.
Oui, nos prévisions doivent être améliorées, et elles peuvent l’être grâce à différentes recommandations contenues dans le rapport, qu’il s’agisse du renforcement de la transparence et du dialogue avec le monde universitaire, de l’accroissement du soutien aux instituts de conjoncture, de l’amélioration de la remontée infra-annuelle des données ou de la révision des outils.
Toutefois, l’amélioration technique ne peut se limiter à des ajustements internes. C’est pourquoi le groupe EcoS défend une recommandation complémentaire, à savoir la réalisation par la commission des finances d’un benchmark international des pratiques de prévision. En effet, de nombreux pays – Allemagne, Canada, Pays-Bas – ont opté pour des dispositifs plus transparents ou plus collaboratifs. Le benchmark que nous appelons de nos vœux permettrait de situer objectivement la France dans les standards internationaux, d’identifier des innovations utiles et de nourrir une modernisation concertée de nos méthodes.
L’erreur est inhérente à l’exercice de la prévision. Mais nos auditions ont montré que cette dernière est parfois utilisée comme un moyen de s’assurer un confort politique. Ainsi, une prévision de croissance légèrement surévaluée permet de maintenir artificiellement un solde, quitte à le réviser brutalement une fois les échéances passées. C’est cette culture du volontarisme institutionnalisé que nous devons remettre en question, non pas pour dépolitiser la prévision – ce serait une illusion technocratique –, mais pour mieux la protéger des usages démagogiques et la replacer dans un cadre démocratique et responsable.
Le rapport ouvre une réflexion indispensable sur l’articulation entre expertise, incertitude et responsabilité démocratique. Il nous revient de tirer les leçons des écarts observés ces deux dernières années et de bâtir une culture budgétaire plus humble et, surtout, plus démocratique. Ne soyons pas naïfs s’agissant de la technique et soyons encore plus exigeants quant à la sincérité !
Mme Marina Ferrari (Dem). Notre commission d’enquête nous a permis de « mettre les mains dans le meccano » et d’identifier plusieurs difficultés.
Premièrement, nos processus sont trop rigides : nos modèles de prévision ne sont plus adaptés. Deuxièmement, la temporalité est mauvaise : depuis la crise du covid-19, les réunions mensuelles ne sont plus automatiques alors que l’instabilité actuelle exige que nous suivions au plus près l’activité économique. Enfin, le manque criant de coordination entre les différentes administrations nuit à la pertinence des échanges d’informations.
Aussi est-il nécessaire de supprimer le cloisonnement entre l’administration et l’économie réelle, afin de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre ; entre les dépenses sociales, dont on peine à appréhender l’évolution, et les autres types de dépenses ; enfin, entre le Gouvernement et le Parlement, qui doit exercer davantage son pouvoir de contrôle.
Parmi les pistes intéressantes que trace le rapport, je relève la recommandation de créer un financement socle qui nous permette d’entretenir, à terme, un pôle de recherche.
Il s’agit désormais de se demander comment faire face à l’imprévisibilité, d’autant que les chocs économiques que nous subissons se succèdent toujours plus rapidement et nous obligent à adapter nos modèles afin d’être davantage réactifs. À cet égard, notre rapporteur général a fait plusieurs propositions intéressantes ; je pense notamment à celle qui consiste à associer la grande et la moyenne distributions.
Le groupe Démocrate se prononcera donc en faveur de l’adoption du rapport, y compris de ses recommandations nos 22, 23 et 24.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). La création de cette commission d’enquête était une bonne idée : le Parlement ne doit jamais s’excuser de remplir sa mission constitutionnelle de contrôle du pouvoir exécutif.
Le rapport rétablit les faits – je dirais même : la vérité. Les difficultés que nos finances publiques ont connues en 2023 et en 2024 sont le fait, d’abord, de fortes perturbations macroéconomiques mondiales, ensuite, de problèmes majeurs d’évaluation par l’administration des recettes fiscales liées notamment à l’impôt sur le revenu, à l’impôt sur les sociétés et à la TVA, comme notre rapporteur général – dont on ne peut pas dire qu’il est un franc soutien des majorités qui se sont succédé depuis 2017 – l’a d’ailleurs relevé dans sa contribution.
Le rapport et notre rapporteur général l’attestent, les ministres ne sont, en aucune manière, intervenus dans les évaluations fiscales. Cela contredit donc la fable, colportée par les oppositions, d’un tripatouillage, d’une dissimulation ou d’une insincérité budgétaire. J’ajoute – même si je sais le peu de considération que certains d’entre nous ont pour cette instance – que le Conseil constitutionnel a validé les lois de finances pour 2023 et 2024, lesquelles sont donc exemptes de toute insincérité budgétaire.
Je m’étonne que la tonalité de l’intervention de M. Ciotti ait été différente de celle du rapport. Mais peut-être s’est-il senti obligé d’en rajouter à l’oral, après avoir constaté qu’il n’y avait au fond rien de répréhensible à reprocher à Mme Borne ni à MM. Attal, Le Maire et Cazenave. Ils ont fait leur travail du mieux qu’ils pouvaient, dans un contexte compliqué et sur le fondement de données défectueuses.
En conclusion, je souhaite donc la publication du rapport, qui rétablit les faits.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Je me réjouis d’avoir entendu des interventions très intéressantes. Même si elles ont souvent vocation à affirmer des divergences et à renforcer l’originalité de certaines positions, nous en tirerons globalement des éléments positifs. J’espère que nous profiterons de ces travaux et que se prolongera, d’une manière ou d’une autre, une réflexion transpartisane productive.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Je n’avais pas prévu d’intervenir car, appartenant au même groupe que Charles de Courson, je suis forcément influencé par ses analyses très pertinentes. Mais j’ai été sensible à la diversité des points de vue ; j’apprécie beaucoup ce type d’échanges. Sans doute la vérité se situe-t-elle entre les visions respectives de nos deux rapporteurs.
En tant qu’ardent défenseur des collectivités territoriales, je n’ai guère apprécié le procès d’intention qui leur a été fait. Cependant, il me manque des précisions sur un point. Quelle est la part de l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement liée aux décisions prises dans les lois de finances pour 2023 et 2024 – je pense notamment à l’augmentation du point d’indice ? Si la prévision n’a pas tenu compte, pour la fixation des objectifs de dépenses de fonctionnement des collectivités, de cette charge supplémentaire qui leur a été imposée, on ne peut que juger une telle imprévoyance insupportable.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Madame Marais-Beuil, vous avez indiqué que le prochain budget devrait être modifié en cas de retournement de la conjoncture. C’est bien la preuve que, lorsque de telles modifications résultent d’événements extérieurs, elles sont dénuées d’intention politique.
Monsieur Amiel, je suis en parfait accord avec vous : le plan élaboré par Mme Amélie de Montchalin pour ouvrir la boîte noire des finances publiques contribue parfaitement à l’information du Parlement.
Monsieur Le Coq, il est faux de dire qu’aucune recommandation ne concerne les recettes. En effet, nous proposons que, les bonnes années, les excédents de recettes soient gelés.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Vous nous faites rire !
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous pouvez en rire, mais, en 2021 et 2022, cette mesure aurait peut-être permis d’atténuer la dégradation des déficits publics au cours des années ultérieures.
Monsieur Ray, je vous remercie d’apporter votre soutien à ma proposition d’instaurer une loi de redressement des comptes, laquelle suppose la création d’une nouvelle catégorie de lois de finances, en loi organique. J’ai bon espoir que notre commission la soutiendra.
Madame Arrighi, notre rapport comporte des éléments de comparaison internationale ; ils auraient pu, c’est vrai, être plus fournis. Néanmoins, on peut en conclure que l’externalisation complète de la prévision, comme c’est le cas en Grande-Bretagne, n’exclut pas les erreurs et les fautes. Elle n’est pas un gage de certitude dans un monde aussi volatil que le nôtre.
Madame Ferrari, le décloisonnement me paraît en effet indispensable. Je crois beaucoup en ma proposition de n’avoir qu’une seule direction de pilotage des comptes publics : c’est un outil indispensable au ministre du budget.
Enfin, monsieur Bataille, certaines dépenses sont, c’est vrai, imposées aux collectivités. Toutefois, ces dernières années, toutes les augmentations de dépenses qui ont excédé les prévisions n’étaient pas dues au Gouvernement. Mais peut-être aurions-nous dû aller plus loin dans cet effort de partage.
M. Éric Ciotti, rapporteur. On ne peut pas conclure de ce rapport que nous sommes face à de simples erreurs techniques liées à la dégradation de la conjoncture.
Si M. Sitzenstuhl estime qu’en laissant un tel déficit, les ministres ont fait au mieux, nous n’avons pas la même conception du bien commun et de l’intérêt du pays. Je considère, pour ma part, que ce résultat est très grave et porteur de périls majeurs pour le présent et les générations futures, qui auront à rembourser une dette colossale, qu’il a contribué à accroître de 1 200 milliards d’euros depuis 2017. Il est facile de s’abriter derrière des considérations techniques.
Dès lors que Mathieu Lefèvre et moi ne tirions pas les mêmes conclusions de cette enquête, nous pouvions, soit nous ne pas publier de rapport, soit, et c’est ce que nous avons fait, rédiger deux contributions différentes. En tout cas, je ne partage en rien l’approche de MM. Sitzenstuhl et Amiel. Je comprends qu’ils veuillent minorer les responsabilités des ministres qu’ils soutiennent et dont ils se font en quelque sorte les porte-parole. Mais, d’abord, ce ne sont pas uniquement des problèmes techniques qui sont à l’origine des dérapages constatés. Ensuite, je considère que certains éléments ont été dissimulés au Parlement, notamment à notre commission. Enfin, j’estime que le calendrier politique est à la fois la cause et la conséquence de ces dissimulations, que ce soit pour éviter des décisions douloureuses à la veille des élections européennes ou pour légitimer la dissolution.
M. le président Éric Coquerel. J’en viens à la procédure d’adoption du rapport.
Je vous rappelle que les recommandations figurant dans le rapport d’une commission d’enquête n’engagent pas que le ou les rapporteurs : elles sont formulées au nom de la commission d’enquête.
Je constate qu’il n’y a pas d’autres demandes de vote disjoint que celle que j’ai annoncée sur les propositions de recommandation nos 22, 23 et 24.
Je vais donc mettre aux voix ces propositions de recommandation.
La commission rejette successivement les propositions de recommandation nos 22, 23 et 24.
Puis elle adopte le projet de rapport ainsi modifié et autorise sa publication.
M. le président Éric Coquerel. Vous devez remettre aux agents l’exemplaire du rapport dont vous avez disposé pendant le temps de la réunion. En effet, il convient de respecter un délai de cinq jours francs pendant lesquels l’Assemblée nationale pourrait être saisie par des députés d’une opposition à sa publication, laquelle serait débattue en séance publique, conformément à ce que prévoit l’article 144-2 du règlement de notre assemblée. Ce n’est qu’à l’issue de ce délai, c’est-à-dire le 15 avril, en l’absence d’opposition, que le rapport sera publié et inclura en annexe l’ensemble des contributions qui auront été communiquées au secrétariat de la commission d’ici à la fin de la semaine.
J’appelle votre attention sur le fait que, mardi, nous entendrons le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi que la ministre chargée des comptes publics précisément sur le plan d’action pour améliorer le suivi et la transparence des prévisions de finances publiques. Nous pourrons à cette occasion évoquer le contenu du rapport afin d’avoir une discussion intéressante.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 9 avril 2025 à 14 heures 30
Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Mickaël Bouloux, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Sébastien Delogu, Mme Mathilde Feld, Mme Marina Ferrari, Mme Olga Givernet, M. David Guiraud, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Jérôme Legavre, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Damien Maudet, M. Emmanuel Maurel, Mme Marianne Maximi, Mme Estelle Mercier, M. Jacques Oberti, M. Nicolas Ray, M. Charles Rodwell, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Éric Woerth
Excusés. - Mme Anchya Bamana, M. Karim Ben Cheikh, M. Philippe Juvin, M. Corentin Le Fur, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, M. Emmanuel Tjibaou