Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics sur le plan d’action pour améliorer le suivi et la transparence des prévisions de finances publiques 2
– Présence en réunion...........................27
Mardi
15 avril 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 101
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
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M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ainsi que Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, pour nous présenter le plan d’action pour améliorer le suivi et la transparence des prévisions de finances publiques.
Cette audition s’inscrit dans la continuité de nos travaux conduits pour « étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 », pour lesquels notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête pour une durée de six mois. Ils se sont conclus le mercredi 9 avril dernier par l’adoption du rapport de MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre qui a été publié, comme c’est l’usage en matière de rapports de commissions d'enquête, ce matin.
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je ne reviendrai pas sur le moment d’une gravité particulière que nous traversons du fait de la multiplication de crises interconnectées : tensions géopolitiques ; conflits qui se prolongent et se traduisent par d’incroyables difficultés imposées aux peuples et des conséquences sur le plan économique ; dérèglements climatiques ; transformation de nos sociétés sous la double transition numérique et écologique. Tout cela a des répercussions sur notre croissance et rend notre trajectoire budgétaire plus difficile. La période exige donc lucidité et responsabilité : l’Europe et la France doivent renforcer leur souveraineté.
La souveraineté de notre pays passe aussi et d’abord par des finances publiques maîtrisées et assainies. Or, le niveau de nos déficits est tel qu’il restreint notre capacité d’action et compromet nos marges de manœuvre, pourtant indispensables à l’investissement dans nos priorités stratégiques. La réduction de notre déficit n’est ni un impératif comptable, ni un diktat venu d’on ne sait où : c’est une nécessité et une urgence stratégiques pour protéger notre souveraineté. Elle conditionne la pérennité du financement de notre modèle social, l’accélération de la transition écologique, le renforcement de notre tissu industriel et l’investissement dans notre défense nationale.
Restaurer des finances publiques solides revient à garantir notre capacité à décider en toute autonomie, à l’abri des pressions des marchés financiers et de toute contrainte extérieure. Je salue à cet égard le rapport de votre commission exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête, qui a mené des travaux considérables et propose un diagnostic détaillé, s’appuyant notamment sur les travaux des administrations, dont celles de nos ministères, que je remercie pour leur contribution à cet effort. Nous partageons de nombreux éléments de diagnostic et la plupart de vos recommandations. Nous avons d’ailleurs construit en ce sens un plan d’action ambitieux pour renforcer la gouvernance de nos finances publiques. Nous ne nous limitons pas à une réforme technique – la ministre des comptes publics exposera plus en détail le contenu de notre action – mais proposons un nouveau paradigme dans le pilotage des finances publiques, dont la mise en application a déjà commencé.
Ce plan repose sur trois piliers. Il s’agit tout d’abord de mieux gérer l’incertitude – croissante – et le risque budgétaire. Nous devons intégrer plus de transparence dans la gestion des aléas de prévisions. À cette fin, une méthode de quantification de l’incertitude inhérente à la prévision de déficit public a été publiée, en mars 2025, dans le document de travail de la direction générale du Trésor sur les prévisions de finances publiques ; elle sera appliquée dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Nous renforcerons également l’information aux parlementaires par les ministres concernés et les représentants des administrations publiques, avec une fréquence accrue. Ainsi, s’est tenue ce matin la première réunion du comité d’alerte des finances publiques sur le budget 2025.
Ensuite, il nous faut renforcer la transparence et la redevabilité de nos prévisions. Nous avons saisi le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) sur les prévisions macroéconomiques et de finances publiques, lors de leur actualisation pour le rapport d’avancement annuel du plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT). Si nous ne souhaitons pas externaliser nos prévisions à une institution indépendante pour ne pas ajouter une lourdeur inutile, nous soumettrons nos prévisions à un cercle de prévisionnistes, composé d’experts indépendants et d’institutions reconnues, afin de débattre des hypothèses qui seront présentées. Nous publierons également en données ouvertes – ou open data – davantage de données sur nos finances publiques et nos perspectives.
Enfin, et cela fait partie de nos préoccupations quotidiennes, il importe d’améliorer nos outils de prévision et de capacité d’anticipation.
La situation inédite que notre pays traverse fait de nos finances publiques un enjeu particulier. Le cœur de ma mission est de rétablir la confiance : celle en la parole budgétaire de l’État, celle dans un dialogue étroit et fécond avec le Parlement. Vous pouvez compter sur notre responsabilité, notre transparence et notre sens du dialogue.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Je tiens, pour commencer, à saluer la qualité du travail effectué par votre commission exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête : son rapport, très documenté, constitue en effet une synthèse de l’ensemble des travaux menés en France et dans l’Union européenne sur le sujet des écarts de prévision et de pilotage en 2024, enrichie par de très nombreuses auditions. Les propositions formulées rejoignent pleinement la volonté du gouvernement d’aller vers une plus grande de transparence et une meilleure réactivité, afin de respecter au mieux les grands équilibres budgétaires. Si ceux-ci sont issus, en 2025, d’un compromis parlementaire, ils devraient reprendre un cours normal par la suite.
Je tiens, en préambule, à souligner que les administrations que nous avons l’honneur de diriger à Bercy sont engagées et ont toute notre confiance. Depuis notre arrivée, elles ont mené un travail approfondi d’analyse, de retour d’expérience et d’autocritique. Elles ont publié, en toute transparence et avec beaucoup de pédagogie, le contenu des modèles.
J’en viens aux constats. Selon vous, un écart de prévision est susceptible de provenir d’un biais dans le modèle, ou d’une variance ou d’une volatilité liées aux variables économiques. Vous démontrez, comme le fait la Cour des comptes, qu’il n’y a pas de biais systématique dans les prévisions macroéconomiques et fiscales du gouvernement. Cela signifie que les mécanismes de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) et le contrôle exercé par le HCFP empêchent l’apparition d’un biais systématique. Vous établissez également que les écarts récents s’expliquent surtout par la forte volatilité entourant les prévisions et les agrégats macroéconomiques. Ainsi, concernant les écarts de 2023, l’Inspection générale des finances (IGF) avait estimé que 80 % d’entre eux étaient dus à la volatilité des variables macroéconomiques. Ce constat n’est pas propre à la France : il ressort aussi de votre rapport qu’en raison de la très forte désinflation qui a touché toute l’Europe en 2024, d’autres pays – le Royaume-Uni, l’Allemagne – ont été marqués par une conjoncture macroéconomique déréglée, avec des prévisions de finances publiques pour 2023 et 2024 assez différentes de la réalité.
Si nous partageons vos constats, ces explications rationnelles et factuelles ne sauraient nous conduire à l’inaction. Nous devons pleinement tirer les leçons de ces écarts, pour que les Français et les Françaises aient non seulement confiance dans les prévisions, mais surtout dans notre capacité à piloter et à redresser nos finances publiques. Tel est le sens du plan d’action que nous avons présenté le 3 mars. Il comporte trois enjeux : transparence, réactivité et amélioration continue.
La transparence est essentielle. À cet égard, nous avons respecté les conditions qui ont permis le compromis en début d’année 2025 : rendre compte de manière régulière et complète de l’intégralité des données dont nous disposons – de notre tableau de bord mensuel, maintenant bien établi. Nous avons partagé l’ensemble des données connues– les reports, la mise en réserve, la dynamique de dépenses observée et de recettes – avec les parlementaires, les élus locaux, les acteurs de la sécurité sociale et les partenaires sociaux. Ces comités permettent un partage renforcé d’informations et aussi de questions entre le gouvernement, le Parlement, le HCFP, les responsables de la dépense publique et les parlementaires.
Le rapport a donné lieu à beaucoup d’échanges sur la nature des notes, notamment celles internes aux administrations, qui font état de variance, volatilité ou écart, ainsi que sur leur transmission à la commission des finances et au HCFP. Cette attente est pleinement légitime. Toutefois, au-delà des chiffres, nous vous devons la transparence sur les conséquences que nous en tirons et sur les décisions. Le fameux comply or explain, que vous appelez de vos vœux, semble être la bonne méthode. Il s’agit pour nous de rendre compte régulièrement de ce que nous constatons, d’expliquer en toute transparence les conclusions que nous en tirons.
Vous souhaitez également que la transparence soit faite sur l’évolution spontanée de nos dépenses et recettes. Alors que chaque direction, chaque administration en charge des dépenses publiques dispose en effet du référentiel propre, nous travaillons sur un tendanciel commun, qui nous donnerait le même point de repère. C’est une priorité pour nous permettre de réellement mesurer les efforts et les mesures prises.
J’évoquerai en deuxième lieu la façon dont nous utilisons les prévisions. En présence de volatilité, nous devons mieux anticiper et caractériser les aléas, mais surtout décider à partir d’un pilotage infra-annuel et d’échéances régulières, afin d’en évaluer le potentiel risque et de prendre des mesures correctives de modération de la dépense. Ainsi, nous prévoyons un effort supplémentaire de réduction de la dépense publique en 2025, à hauteur de 5 milliards d’euros, en raison du ralentissement économique et des aléas à venir sur certaines dépenses.
Vous proposez également de donner au gouvernement davantage de marges d’action pour baisser la dépense en cas de diminution des recettes. J’y suis favorable, si cela s’accompagne d’une meilleure évaluation des dépenses – revues de dépenses, travaux parlementaires d’évaluation et de contrôle, Printemps de l’évaluation. La volonté d’une meilleure régulation infra-annuelle ne saurait en effet justifier des coups de rabot uniformes et plus fréquents. Deuxième condition, il faut disposer de davantage de leviers de pilotage, au-delà de l’État, qui réalise, en 2025, près des trois quarts des efforts d’économies. Nous avons à cet égard lancé un travail inter-administrations afin de mieux piloter les dépenses sociales et hospitalières au cours de l’année. En outre, nous avons constitué, cette année, une réserve inédite de précaution à hauteur de 1,1 milliard d’euros, sur les dépenses de maladie, soit 0,4 % des dépenses sociales ; ce premier pas a été salué par le comité d’alerte de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam).
J’évoquerai pour terminer l’amélioration des modèles. Ce point est essentiel notamment pour répondre à la demande du comité scientifique réuni par nos prédécesseurs. Cela suppose un club de prévisionnistes, qui leur permettra d’échapper à la solitude, pour reprendre le mot de Jean-Luc Tavernier, et de confronter leurs pratiques et leurs réflexions. Nous publierons l’ensemble des prévisions passées, dans un format utilisable par le monde de la recherche et des autres acteurs publics. Nous menons également un travail approfondi pour mieux comprendre comment évoluent les recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) et de la TVA : une mission spécifique est notamment conduite sur les remboursements de crédits de TVA, très volatiles et difficiles à prévoir en 2023 et 2024. Enfin, nous devons mieux exploiter les données en temps réel des remontées comptables, notamment celles des comptes des collectivités et des hôpitaux, tenus par la direction générale des finances publiques (DGFIP). Nous menons ce travail avec Catherine Vautrin et François Rebsamen.
Pour conclure, vous pouvez constater que nous sommes en train de mettre en œuvre le plan ambitieux que nous avons proposé début mars et qui me semble en phase avec vos propositions. Il ne réussira que s’il est porté au plus haut niveau. Pour gagner en visibilité et examiner les éléments techniques susceptibles d’avoir des conséquences politiques, nous réunissons désormais chaque mois l’ensemble des administrations concernées – direction générale des collectivités locales (DGCL), direction de la sécurité sociale (DSS)…
Il n’y a pas de déficit caché et le débat ne saurait porter uniquement sur les écarts de prévisions. Nous devons aux Français un pilotage des finances publiques à la hauteur de leurs engagements – les impôts qu’ils paient. Pour préserver le consentement à l’impôt, les prévisions doivent être compréhensibles et lisibles, les dépenses réduites. Il nous faut améliorer l’efficience de l’action publique, et la capacité de contrôle et d’évaluation du Parlement prévue par la Constitution.
M. le président Éric Coquerel. Je rends à mon tour hommage à l’enquête de notre commission, qui a duré six mois, avec vingt-sept auditions et plus de 750 documents consultés ; nous avons entendu, de manière inédite, un ensemble de témoins politiques et administratifs, des services, des économistes, des institutions. Néanmoins, à l’issue de ces travaux, le positionnement de chacun – dont je fais partie – reste le même qu’au départ : certains imputent la responsabilité de l’écart de prévisions aux modèles et aux services, quand d’autres pensent qu’il s’agit avant tout d’une dissimulation. Je considère pour ma part que la question est avant tout politique : les recettes attendues, résultant d’une politique de l’offre, ont été surestimées.
Par ailleurs, même après avoir été alertés par leurs services sur les moins-values de recettes en 2023, vos prédécesseurs ont maintenu une illusion sur la réussite de la politique économique, pour faire adopter le PLF pour 2024, pourtant déjà caduc, comme le montre la note de Bruno Le Maire à Élisabeth Borne le 13 décembre 2023. Cette note indique juste avant deux adoptions par 49.3 qu’en raison d’une perspective de recettes minorées de plusieurs milliards d’euros, une annulation de crédits ultérieure serait nécessaire dès janvier 2024, à hauteur de 10 milliards d’euros – nous n’en aurons évidemment connaissance que plus tard.
Si vos prédécesseurs avaient mieux diagnostiqué les effets de leur politique de l’offre et rendu publics les éléments d’information dont ils disposaient, la prévision de déficit pour 2024 aurait été moins optimiste et l’écart à la prévision moindre. Lors de la première réunion du comité d’alerte ce matin, j’ai d’ailleurs observé que ce défaut avait tendance à persister : le ministre Rebsamen a remercié les collectivités territoriales pour leur effort considérable lors du deuxième semestre 2024, alors que figurait dans le tableau le chiffre prévisionnel improbable de 16 milliards d’euros de déficit des collectivités.
On ne saurait imputer les écarts à des erreurs de l’administration pour écarter toute responsabilité des autorités politiques. À cet égard, deux tableaux du rapport de la commission, en pages 158 et 160, sont très parlants : ils comparent d’une part les prévisions venant des différents services, et, d’autre part, les annonces du gouvernement au même moment, qui sont très éloignées de ces prévisions. Je rappelle aussi que, selon l’IGF, en 2023, près de 80 % de l’écart aux prévisions s’explique par des facteurs extérieurs à l’exercice de prévision de recettes.
Je reprendrai enfin les propos tenus par M. Jérôme Fournel – un personnage clef – lors de son audition : « Il faut reconnaître une tendance collective à s’autopersuader que les recettes supplémentaires constatées en 2021 et en 2022 relevaient d’une dynamique, et que le même phénomène allait se produire en 2023 ». Je partage donc votre avis, monsieur Lombard, quant à l’absence d’intérêt à recommander l’externalisation des prévisions : mieux vaut celles contrôlées par le politique et par l’exécutif. Je suis toutefois convaincu, comme le préconisent les deux rapporteurs de l’enquête de la commission des finances, de la nécessité de diversifier les ressources et de les mettre à disposition de l’Assemblée.
Je considère donc que les écarts relèvent plutôt de l’aveuglement collectif créé par une vision nuisible de la politique économique. L’enjeu est désormais d’éviter qu’un phénomène similaire se reproduise dès 2025. J’ai à cet égard dressé une liste de recommandations. La première d’entre elles consiste à cesser de plaider l’urgence de la baisse des dépenses publiques, alors que, depuis 2017, le problème est celui d’un manque de recettes.
La deuxième porte sur les modifications apportées au budget en cours d’année. La veille d’un recours au 49.3, Bruno Le Maire a fait une note à la Première ministre ; pourtant, elle n’a pas évoqué dans son discours la moindre réserve sur le budget qui était présenté, alors qu’elle disposait d’éléments qui montraient que ce budget était déjà caduc. Ensuite, 10 milliards d’euros ont été annulés et d’autres crédits gelés, sans qu’un projet de loi de finances rectificative (PLFR) soit présenté. Ces situations constituent à mon sens un grave problème. Pour cette année, le gouvernement prévoit d’annuler 3 milliards d’euros de crédits très prochainement, 8 milliards d’euros sont déjà gelés et un surgel va peut-être être annoncé : je suis très réticent à l’égard de ces procédés qui permettent d’éviter un PLFR. À la fin de l’année, le budget exécuté n’a plus aucun rapport avec le budget voté – sans que l’Assemblée nationale ait pu en débattre. J’aimerais vous entendre sur ce point. J’ai proposé, dans ma contribution au rapport de la commission exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête, de limiter à 0,5 % des crédits ouverts, contre 1,5 % actuellement, le montant qui peut être annulé par décret et de rendre nécessaire l’avis conforme des commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat pour procéder autrement que par un PLFR. Cela me semblerait à la fois démocratique et efficace.
Mme la ministre disait ce matin qu’il était assez nouveau que le budget soit établi par le Parlement. Ce n’est pas aujourd’hui que nous réglerons cette question, bien sûr, mais il me semble qu’un budget adopté par 49.3 n’a pas vraiment été fait par le Parlement… Je serais pour ma part favorable – c’est une proposition dont j’ai bien conscience qu’elle est un peu provocatrice – à la suppression de la possibilité de faire adopter un buget par 49.3 : l’Assemblée pourrait ainsi voter un budget qui correspondrait à la majorité. Ce serait, là aussi, plus efficace et plus démocratique.
Enfin, je dois vous dire que j’ai été surpris par ce qui s’est passé ce matin. La réunion de ce « comité d’alerte » a porté sur l’exécution du budget 2025. Vous avez présenté des chiffres plus exacts, et qui doivent s’affiner au fur et à mesure : je vous en sais gré, c’est un progrès par rapport à 2024. Syndicats, collectivités, parlementaires, nous avons ensuite réagi. Mais François Bayrou n’assistait pas à cette réunion. En revanche, il a donné ensuite une conférence de presse au cours de laquelle il a fait des annonces sur le budget pour 2026 et les années suivantes, avec des slides qui n’étaient pas du tout ceux que nous avions vus le matin. J’ai eu l’impression que nous étions là pour faire de la figuration – rejoint en cela par le patron du Medef, ce qui n’est pas courant. J’appelle votre attention sur le fait qu’il ne faudrait pas que le comité d’alerte tourne à l’exercice de communication creuse, et que vous présentiez à l’automne le budget que vous pensiez présenter dès le départ. J’ai peur que ce soit le chemin que nous prenions.
M. Éric Lombard, ministre. Ce matin, nous avons lancé un processus – je remercie celles et ceux d’entre vous qui ont participé à cette réunion, qui visait à partager de façon transparente les données dont nous disposons. Nous nous engageons, je vous le confirme, à tenir de telles réunions à intervalle régulier. L’objectif du Premier ministre était de vous présenter, ainsi qu’aux Françaises et aux Français, l’impératif de maîtrise de nos finances publiques. Il n’a pas présenté de mesures concernant la loi de finances pour 2026, à une exception près que vous connaissez : il a rappelé les chiffres relatifs à la trajectoire des finances publiques, dont nous reparlerons demain. Il s’agit donc bien pour nous de lancer un processus de concertation pour aboutir à un projet de budget dont j’espère vigoureusement qu’il sera voté par le Parlement – mais la Constitution étant ce qu’elle est, et si d’aventure aucune majorité ne se dégageait, alors peut-être…
Les questions budgétaires sont en effet politiques. Je ne mets pas en cause, cela ne vous surprendra pas, la politique suivie ces dernières années. La politique de l’offre a permis de ramener le taux de chômage à son plus bas historique, alors qu’on avait même entendu qu’on « avait tout essayé ». Elle a aussi renforcé l’attractivité de notre pays pour les investisseurs et permis d’entamer – processus long et difficile – la réindustrialisation de notre pays. Je ne fais donc pas le lien entre elle et les difficultés budgétaires que nous rencontrons.
Ces difficultés naissent d’un décalage entre les recettes prévues et les recettes perçues. Là encore, je ne mets en cause ni les équipes de Bercy, qui sont extraordinairement compétentes et engagées, ni nos prédécesseurs : la plupart des pays d’Europe ont connu des décalages de ce type. À la suite de la crise du covid et de la crise énergétique, qui s’est traduite par une forte augmentation de l’inflation, certains indicateurs n’ont plus fonctionné de la même façon. Nous espérons les avoir remis d’équerre. Nous allons vérifier tous les mois qu’il en est ainsi.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Le gouvernement doit être responsable des prévisions, mais il me semble utile d’impliquer une plus grande diversité d’acteurs afin d’enrichir nos modèles et de corriger les aléas ou les biais. Le club des prévisionnistes que nous souhaitons réunir pourrait rendre compte régulièrement de ses travaux à votre commission. Les administrateurs de cette commission pourraient très bien y participer si vous le souhaitez, monsieur le président, du moment que ce sont des gens dont c’est le métier. Faire preuve de transparence sur le retour d’expérience de l’année n – 1 et sur ce que ces prévisionnistes envisagent pour l’année n + 1 me semble un exercice démocratique.
S’agissant des décrets d’annulation, des gels et des surgels, je note que vous souhaitez une limitation à 0,5 % des crédits ouverts, et que Mathieu Lefèvre propose de monter à 3 %. Cette diversité parlementaire me laisse penser qu’à 1,5 %, nous avons atteint une forme d’équilibre.
Aujourd’hui, aux termes de la loi organique relative aux lois de finances, nous pouvons modifier par décret d’avance 8 milliards d’euros de dépenses et annuler 12 milliards d’euros.
En 2025, nous avons un aléa de croissance, puisque nous avons ramené la prévision de 0,9 % à 0,7 %, et un risque de dépassement de certaines dépenses, notamment dans les champs de la défense, des outre-mer et peut-être du travail, en raison de la moindre dynamique de l’emploi. De l’autre côté, nous avons un moindre déficit par rapport à l’attendu, puisqu’il s’élève à 5,8 % au lieu de 6 %.
Si nous prenons des mesures de refroidissement pour 5 milliards d’euros – annulations à hauteur de 3 milliards d’euros, gels supplémentaires de 2 milliards d’euros –, nous revenons à un déficit de 5,4 %. La réserve de précaution était de 8,7 milliards d’euros. En annulant 3 milliards d’euros, nous descendons à 5,7 milliards d’euros. Comme nous reprenons aussi des mesures de gel pour 2 milliards d’euros, nous remontons à 7,7 milliards d’euros. Autrement dit, nous pourrons à nouveau annuler des crédits si la conjoncture l’impose.
Comme je vous l’ai indiqué dans mes différents courriers, notamment sur la mise en réserve, monsieur le président, monsieur le rapporteur général, nous respectons donc parfaitement les prescriptions de la Lolf.
Quant aux chiffres que nous vous avons donnés ce matin, et que nous envisageons de vous transmettre à un rythme à peu près trimestriel, nous devons rester lucides. Les données en temps réel pourraient laisser penser que tout va bien, que nous sommes exactement là où nous voudrions. Le sérieux commande de regarder aussi ce qui est programmé, ainsi que les risques. Il faut être réactif sans surinterpréter les données en temps réel – les dépenses peuvent être inférieures aux prévisions sans qu’il faille y voir le début d’une cagnotte, elles peuvent être supérieures aux prévisions mais se corriger par la suite. C’est tout l’intérêt de faire preuve de transparence sur les chiffres, mais aussi de confronter nos points de vue, afin que les décisions prises soient adaptées. C’est l’équilibre que nous recherchons.
M. le président Éric Coquerel. Une position de gouvernement équilibrée parce qu’il est entre Mathieu Lefèvre et moi, c’est un peu osé, je dois dire.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Il y a de bonnes choses dans votre plan d’action, qui recoupe d’ailleurs certaines des propositions de la commission exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête et des miennes.
Vous proposez notamment la création d’un cercle des prévisionnistes de finances publiques. Ces échanges pourront-ils vous amener à modifier les hypothèses envisagées ? Autrement dit, s’agira-t-il d’un simple exercice de transparence ou bien d’un travail d’élaboration en commun de certaines hypothèses ?
Les résultats des travaux du cercle des prévisionnistes seront-ils publics, ou au moins communiqués aux commissions des finances ?
Au-delà, le monopole – récent – de la direction générale du Trésor en matière de prévisions de recettes comme de dépenses des trois blocs des administrations publiques ne constitue-t-il pas un handicap ?
M. Éric Lombard, ministre. La fixation d’une trajectoire de croissance est déjà le résultat d’un dialogue nourri avec différentes parties prenantes : Bercy bien sûr, le premier ministre, le HCFP, la Banque de France, le Fonds monétaire international (FMI)… Votre présentation laissait entendre que notre avis serait fixé au départ. Ce n’est pas le cas. Il se forme dans le dialogue. C’est ce qui nous a permis d’arriver à une proposition de 0,9 % au mois de janvier, alors que le projet de loi de finances était construit sur la base de 1,1 %, et qui nous a conduits à ramener ce chiffre à 0,7 % – nous y reviendrons demain. Le dialogue avec les prévisionnistes nous permettra de construire notre avis. Je vous rejoins sur le fait que la décision est politique : le gouvernement assume sa proposition.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Il y a, je crois, une confusion dans votre propos entre les prévisions de recettes et de dépenses, d’une part, et le taux de croissance du PIB en volume. Or l’élasticité globale n’est pas stable du tout : elle va de 0,4 % à 1,6 %. L’arbitrage des ministres successifs sur le taux de croissance s’est presque toujours rapproché de ce qu’on leur proposait. Le problème réside dans la prévision des recettes. Les dépenses, elles, sont tenues – en tout cas celles de l’État, puisque ce n’est guère le cas de celles des collectivités territoriales ou des dépenses sociales.
Vous proposez de lancer une concertation auprès des grandes entreprises soumises au cinquième acompte de l’impôt sur les sociétés (IS) afin d’améliorer la prévisibilité du bénéfice fiscal de l’année en cours. Pour ma part, j’ai proposé d’aller plus loin en exploitant les résultats trimestriels nationaux des grandes entreprises, en leur demandant comment évolue leur assiette fiscale française, mais aussi leurs anticipations s’agissant de l’évolution de leurs bénéfices en cours d’année, afin d’affiner et de calibrer les prévisions de recettes de l’IS. Avez-vous réfléchi à la mise en place d’un tel système ?
Envisagez-vous de continuer de recourir à l’excédent brut d’exploitation (EBE) des entreprises pour estimer leur bénéfice fiscal, alors que ces deux variables ne sont que faiblement corrélées, comme je l’ai montré dans ma contribution aux travaux de notre commission exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous réfléchissons en effet aux meilleurs moyens de disposer, en amont de la clôture des comptes, de données sur les orientations du bénéfice fiscal. Nous menons des analyses sectorielles du bénéfice fiscal en cours d’année, afin d’éviter que des effets localisés ne biaisent les prévisions. Nous pourrions également mener une analyse des comptes semestriels publiés par les principales entreprises à l’été. Enfin, nous réfléchissons à un échantillonnage de certaines grandes entreprises, ce qui pourrait nous amener à leur demander une déclaration. Mais nous ne sommes pas sûrs que cela améliorerait énormément notre prévision macroéconomique.
Nous travaillons avec la DGFIP pour mieux comprendre les ressorts de la partie française des bénéfices : c’est bien là, vous le relevez très justement, ce qui nous intéresse. Nous l’avons bien vu en 2023 et 2024, une partie de nos difficultés venaient de l’évolution, du fait notamment de l’inflation, de la répartition des bénéfices dans le monde.
L’EBE est un indicateur imparfait, mais il est assez bien corrélé au bénéfice fiscal : c’est l’indicateur qui dépend le plus des variables macroéconomiques, notamment l’évolution de la production et de la masse salariale.
Certaines entreprises sont prêtes à échanger avec la DGFIP sur des données non confidentielles pour aider celle-ci à mieux comprendre comment la conjoncture se reflète dans les bénéfices des entreprises.
Ce travail sur les prévisions est en cours. Nous pourrons vous le présenter plus précisément dans les mois à venir.
Je souligne que quelques entreprises ont elles-mêmes connu des divergences importantes, ce qui s’est traduit dans nos données macroéconomiques, du fait de la présence dans notre pays de certains très grands leaders mondiaux.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Votre plan d’action prévoit la mise en place d’une mission d’audit pour mieux comprendre le comportement des entreprises dans le dépôt des demandes de remboursement de TVA. Quels acteurs avez-vous associés à cet audit ? Publierez-vous, par exemple dans l’annexe Voies et moyens du projet de loi de finances, une présentation justifiée de la dynamique des crédits de TVA retenue pour calculer le produit de cet impôt ?
Plus largement, allez-vous renoncer à utiliser le dérivé du modèle Mésange, modèle keynésien très ancien, calé sur un passé révolu, qui nous amenés, en 2023, 2024 et 2025, à nous tromper complètement sur le partage entre épargne et consommation ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. La DGFIP lance cette semaine une mission d’audit interne pour mieux comprendre les mécanismes de la TVA, là encore grâce à une enquête auprès des entreprises qui ont fait des dégrèvements inattendus.
Je ne suis pas sûre que nous soyons prêts à dire que le modèle Mésange est à l’origine de nos problèmes. Mais nous menons un travail de mise à jour des modèles, car nous constatons des déformations dans l’économie.
Je signale que nous nous interrogeons sur la submersion de l’Europe par de petits colis, venus d’Asie, qui contiennent notamment des biens de consommation grand public, du textile, des objets de décoration ou d’aménagement : il y en avait 400 millions l’an dernier, il y en a 800 millions aujourd’hui. Or les plateformes sous-déclarent systématiquement la valeur des colis, ce qui les exempte de droits de douane et diminue la TVA prélevée. Une réflexion est en cours au niveau français, avec les douanes, comme au niveau européen. Nos modèles ont du mal à expliquer une partie de la perte de TVA en Europe : cela pourrait s’expliquer par une distorsion de la consommation par ce biais. Les montants et les volumes ne sont absolument plus anecdotiques.
La DGFIP pourra vous rendre compte de sa mission d’audit.
M. Charles de Courson, rapporteur général. L’impôt sur le revenu (IR) n’est pas évoqué dans votre plan d’action.
Ses recettes ont atteint 88 milliards d’euros en 2024, soit 5,4 milliards d’euros de moins que la prévision inscrite dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2024. Or, dans la LFI pour 2025, les prévisions de recettes sont fixées à 94,5 milliards d’euros, soit 1 milliard de plus que les prévisions bien trop optimistes de la LFI pour 2024 ! Et ce montant n’a pas été réajusté, à la différence de celui de la TVA. Quels facteurs pourraient expliquer une hausse des recettes d’IR de 6,5 milliards d’euros en 2025 par rapport à 2024 ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En 2024, nous avons constaté une forte décorrélation entre l’évolution d’une part de la masse salariale et d’autre part de l’inflation. Le barème étant revalorisé, et la masse salariale ayant moins progressé, nous avons prélevé moins d’IR. C’est un phénomène qui se corrige assez mécaniquement. Nous pourrons vous donner toutes les informations techniques de prévision, mais il nous semble que le décalage entre le barème revalorisé et la moindre revalorisation de la masse salariale devrait être corrigé en 2025. Nos hypothèses ne sont d’ailleurs à ce jour pas contestées par le Haut Conseil des finances publiques.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Votre plan d’action propose certaines mesures visant à améliorer la prévision des impôts d’État. Cependant, les années 2023 et 2024 se sont également caractérisées par des écarts entre les prévisions et l’exécution de la fiscalité locale. J’ai proposé, s’agissant des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), de s’appuyer sur les données des chambres départementales des notaires afin de fiabiliser les prévisions. Avez-vous entamé une réflexion sur les prévisions des impôts locaux ? J’ai cru comprendre que oui, puisque le dossier que vous nous avez remis ce matin évoque les prévisions mensuelles des chambres des notaires.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il faut distinguer les prévisions du suivi de l’exécution. Les données des notaires permettent de constater une réalité. Les outils ne sont pas les mêmes selon que l’on s’intéresse à l’année en cours ou que l’on essaye de prévoir ce qui se passera l’année prochaine. Ce sont deux choses complémentaires.
Nous pourrons vous expliquer comment nous construisons les prévisions de recettes de DMTO et de DMTG – les droits de mutation à titre gratuit étant évidemment moins intéressants.
M. Charles de Courson, rapporteur général. La prévision d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales inscrite dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 est caduque. Avez-vous prévu de retenir de nouvelles valeurs pour les prévisions qui devront figurer dans les prochains textes financiers ? Envisagez-vous une concertation avec les représentants des trois blocs de collectivités territoriales, afin d’arrêter de vous fonder sur des hypothèses de croissance des dépenses de fonctionnement des collectivités locales parfaitement irréalistes, et non discutées avec qui que ce soit ?
M. Éric Lombard, ministre. Sont considérées comme des dépenses publiques à la fois les dépenses de fonctionnement des collectivités locales – dont on sait que le budget doit être à l’équilibre – et les dépenses d’investissement, celles-ci pouvant être financées par l’emprunt ou par des liquidités déposées à la DGFIP. Cela entraîne une certaine volatilité.
Cela a été évoqué ce matin lors du comité d’alerte par le représentant d’une des associations de collectivités locales : nous souhaitons travailler avec celles-ci sur une contractualisation. Partageant avec l’État et le Parlement la préoccupation de tenir les dépenses publiques, les collectivités intégreraient cette nouvelle contrainte dans leur trajectoire, en sus de leurs contraintes propres. Si nous voulons que l’effort soit équitablement partagé entre les collectivités locales, la sécurité sociale et l’État, chacun doit participer. Nous allons donc lancer un dialogue avec les collectivités locales, sous l’autorité naturellement de M. François Rebsamen.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous complétez ainsi votre plan d’action, en quelque sorte.
Dernière question : que pensez-vous de la proposition émise par la majorité des personnes auditionnées dans le cadre de l’enquête, qui est de renforcer les prérogatives du HCFP, notamment en instaurant un mécanisme de type comply or explain ? Il imposerait au Gouvernement de rectifier les prévisions jugées optimistes ou pessimistes par le HCFP, ou, à défaut, de justifier les raisons du maintien de celles-ci. Votre plan d’action ne semble guère renforcer réellement le rôle du HCFP.
M. Éric Lombard, ministre. Nous ne souhaitons pas déléguer la construction des perspectives de croissance et des prévisions de recettes, qui est au cœur des prérogatives de l’État, à un organisme tiers.
En revanche, il serait sain et nécessaire d’améliorer notre dialogue avec le Haut Conseil, au cas où il exprimerait des doutes ou aurait des questions où nous poser.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous ne répondez pas tout à fait à ma question. En 2024, la loi de finances initiale prévoyait une croissance de 1,4 %, jugée très optimiste par le Haut Conseil. Mais vous n’avez pas eu à justifier le maintien de cette prévision.
Le rapport de la commission des finances exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête propose précisément d’imposer au Gouvernement de rectifier les prévisions jugées trop optimistes – ou trop pessimistes – par le HCFP ou, à défaut, d’expliquer pourquoi il ne les modifie pas. Le plan d’action ne reprend pas cette recommandation.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Certes. Mais depuis le 23 décembre, nous avons revu notre pratique. Nous avons ainsi saisi le HCFP sur le rapport annuel d’avancement du plan budgétaire et structurel à moyen terme alors que cette saisine n’est pas obligatoire précisément parce que nous souhaitons soumettre notre action au contrôle des vigies des finances publiques, la Cour des comptes et le Haut Conseil. Nous avons déjà revu deux fois les prévisions de croissance. Nous fournissons au Haut Conseil l’ensemble des données pour qu’il juge de la pertinence des prévisions, afin d’entretenir une relation de confiance avec le Parlement et les Français. Dans son dernier avis, le Haut Conseil demande à analyser plus fréquemment la soutenabilité de la dette. Cela me semble en effet très important.
Dans un monde très instable, au vu de la configuration politique et de la complexité des finances publiques, il est en effectivement nécessaire d’instaurer un mécanisme de type comply and explain – notre action gouvernementale s’inscrit déjà dans cette logique. Sa mise en œuvre pourrait se traduire par des auditions parlementaires au cours desquelles la commission des finances pourrait réclamer des explications au gouvernement, dans l’hypothèse où il ne réviserait pas ses prévisions considérées trop optimistes par le HCFP. Une telle procédure éviterait d’entrer dans une démarche trop bureaucratique.
M. le président Éric Coquerel. Qui vivra verra. Eu égard au retard pris l’an dernier sur l’ensemble des travaux budgétaires, nous n’avons pas eu le temps d’accomplir ce travail.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Je salue le maintien du cap pour 2025, grâce à la publication du décret d’annulation de crédits, et pour 2026, alors que de nombreux protagonistes politiques vous enjoignaient à faire preuve de relâchement. Le groupe EPR vous soutiendra ; il ne sera pas de ceux qui vous proposeront de réduire les déficits tout en dépensant plus ou en économisant moins.
Je me réjouis que les recommandations formulées dans le plan d’action soient essentiellement techniques ; elles démontrent que le dérapage était essentiellement technique, monsieur le président. Cela n’empêche pas des réponses de nature politique différentes : vous préconisez d’augmenter les recettes, tandis que nous préconisons de diminuer les dépenses. Vos propositions sont de nature à conforter la thèse que nous défendions, avec Éric Ciotti, avant qu’il n’en tire des conclusions différentes de son côté.
Monsieur le ministre, vous avez utilisé deux arguments différents sur l’externalisation : d’une part, vous ne souhaitez pas vous dessaisir de cette prérogative, ce qui est évidemment un argument louable, et, d’autre part elle vous paraît difficile à mettre en œuvre sur le plan opérationnel. Qu’en est-il réellement ? Je rejoins Charles de Courson : si dans le cadre d’un mécanisme de type comply and explain, au besoin en renforçant les missions du Haut Conseil, le gouvernement n’est pas contraint de revoir ses prévisions, alors le dialogue entre le gouvernement et le Parlement ne sera pas fructueux.
Par ailleurs, je tiens à saluer la transparence dont fait preuve le gouvernement. La transmission d’un nombre aussi important de données aux parlementaires est inédite ; nous devrions tous la saluer.
Je rejoins la préconisation du rapporteur général sur l’IS. Vous proposez de lancer une concertation auprès des entreprises lors du versement du cinquième acompte de l’impôt sur les sociétés. N’est-ce pas un peu tardif ? Ne faudrait-il pas plutôt privilégier la méthode qui consiste à conduire une étude rétrospective fondée sur un échantillon d’entreprises ?
S’agissant des autres propositions que nous formulons dans le rapport, que pensez-vous de la création d’une loi de redressement des finances publiques, qui suppose l’instauration d’une nouvelle catégorie de lois de finances en loi organique, qui n’aurait pour seul objectif que d’améliorer la trajectoire des finances publiques ?
Par ailleurs, le gouvernement a des marges de manœuvre assez fortes sur le budget de l’État en cours d’année, mais n’en a quasiment aucune en ce qui concerne le budget des collectivités locales ou les dépenses sociales. Le plan d’action ne prévoit aucune mesure de nature à y remédier.
Enfin, que pensez-vous de la fusion de la direction du budget et de la direction de la sécurité sociale en une direction des comptes publics, proposition qui m’est chère ? Pensez-vous qu’à terme, un texte financier unique devra être créé pour améliorer le pilotage des finances publiques tout au long de l’année ?
M. Éric Lombard, ministre. L’externalisation rendrait difficile, sur le plan opérationnel, le pilotage du budget de l’État qui nécessite de réunir régulièrement les acteurs chargés de son élaboration et de son suivi. Je ne souhaite donc pas que nous nous dessaisissions de cette prérogative, a fortiori alors que nous avons décidé de réunir tous les mois les directions de l’administration centrale. Je rappelle que, lors du lancement de ce plan, nous avons réuni l’ensemble des secrétaires généraux de l’ensemble des ministères, ce qui est inédit. Nous devons disposer des outils pour améliorer ce pilotage, très serré.
S’agissant de nos marges de manœuvre, alors que nous devons impérativement poursuivre l’effort de réduction des déficits et qu’au sein de la dépense publique, les dépenses de l’État sont minoritaires, nous devons en effet trouver les voies et moyens de contrôler plus étroitement la dépense sociale et les dépenses des collectivités locales.
Faut-il pour autant fusionner la direction du budget et la direction de la sécurité sociale ainsi que les deux textes ? Je n’y suis pas spontanément favorable. Dans la période de redressement budgétaire que nous traversons, modifier l’organisation serait compliquée et ne permettrait pas forcément de remédier aux dysfonctionnements. En revanche, il convient de revoir la manière dont les acteurs travaillent ensemble. Avec Amélie de Montchalin, nous veillons à la qualité du dialogue au quotidien entre l’ensemble des directions de Bercy, qui sont animées par des personnes incroyablement compétentes : elles doivent toutes être informées lorsqu’un incident survient. Il existe de nombreux capteurs à Bercy et de nombreuses directions sont en relation avec les entreprises, les ménages, la sécurité sociale.
Par ailleurs, il est pertinent de maintenir deux textes différents sur deux sujets aussi importants. Alors que la priorité est de redresser les finances publiques, il ne serait pas opportun de mener de grandes réformes structurelles et d’ouvrir de tels chantiers.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. S’agissant de la nature de l’erreur – politique ou technique – relative à l’écart, je crois qu’il y a surtout un problème de méthode. En conjuguant transparence et réactivité, nous serons en mesure de rectifier certains biais des modèles lorsqu’une tendance se dégage, et de faire face à des situations volatiles. L’aspect technique doit faire l’objet d’une plus grande attention et le politique doit réagir de manière plus régulière. Ces deux critères nous donneront les moyens collectivement, en tant que nation, de faire face à d’autres périodes très volatiles, dans lesquelles, au-delà des modèles, la prise de décision n’est pas adaptée à un monde qui change aussi vite.
Sur l’IS, certains considèrent qu’il ne faudrait pas tenir compte du cinquième acompte. Certes, cela permettrait de constituer des cagnottes quasiment chaque année. Mais ce n’est pas une bonne méthode. Il est nécessaire d’améliorer sa prévisibilité au regard des aléas et du risque. Des échanges ont commencé entre la DGFIP et les entreprises en vue d’établir des échantillons. Beaucoup d’entre elles nous disent qu’au mois d’août, le bénéfice fiscal français est difficile à estimer en raison de la complexité de l’assiette. Si elles peuvent nous communiquer des données, nous ne leur imposerons pas de remplir des prédéclarations exhaustives qui n’amélioreront pas la prévision. 2025 sera une année test.
L’idée d’instaurer une loi de finances de redressement des comptes publics, qui permettrait, en cours d’année, de s’assurer qu’aucune mesure fiscale ou dépense de nature infra-annuelle ne peut être introduite dans le texte et contrevenir à l’objectif de redressement, est intéressante. Cela nécessiterait cependant de réformer la Lolf, ce qui implique d’avoir une majorité. Il existe donc une contrainte politique.
Enfin, s’agissant de la sécurité sociale et des collectivités territoriales, nous mènerons, avec Catherine Vautrin et François Rebsamen, trois actions qui nous permettront d’y voir plus clair.
Tout d’abord, puisque c’est la DGFIP qui tient les comptes des collectivités et des hôpitaux en temps réel, nous allons ouvrir un chantier pour améliorer l’exploitation de leurs données comptables afin de disposer d’une vision actualisée des dépenses effectives. L’utilisation de l’intelligence artificielle pourrait nous aider à dégager des tendances car ces données sont très fragmentées.
Ensuite, nous allons ajuster le calendrier de financement des établissements de santé sur le calendrier annuel. Le système actuel est en effet un peu baroque et complexe à piloter puisque la tarification hospitalière est actualisée au mois de mars. Avec Catherine Vautrin, nous avons pris l’engagement que les tarifs de 2026 soient applicables au 1ᵉʳ janvier 2026 et que l’année 2025 se termine au 31 décembre 2025.
Enfin, le Premier ministre transmettra des instructions et des recommandations aux directeurs des agences régionales de santé afin d’améliorer la gestion des dépenses hospitalières, notamment dans le cadre d’une contractualisation avec des établissements en difficulté dans les prochaines semaines.
Ces trois éléments sont de nature à améliorer le pilotage des dépenses sociales tout en respectant le cadre de gouvernance de la sécurité sociale, qui est un cadre paritaire ne relevant pas de la seule tutelle du ministère chargé de la santé. Il participe de la force du modèle français que nous ne devons pas remettre en cause. Nous devons plutôt prévoir des leviers de pilotage.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Si des erreurs techniques ont été commises, quelles sanctions disciplinaires seront prises à l’encontre des responsables de ces erreurs ?
M. Éric Lombard, ministre. Il est hors de question de sanctionner qui que ce soit vu qu’aucune erreur professionnelle n’a été commise.
Le covid, la crise énergétique, puis l’inflation qu’ont connue tous les pays européens ont entraîné des erreurs légitimes de pilotage, qui peuvent être commises dans le cadre du financement de grandes masses, et dont la responsabilité est partagée, puisque plusieurs gouvernements ont assumé ces écarts et ont réagi – la commission pouvant avoir des avis divers sur cette réactivité. Seule une sanction politique pourrait, éventuellement, être envisagée mais c’est un autre débat.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Dans un monde où un honnête homme est licencié pour avoir donné des sandwichs à un SDF, les responsables d’une erreur de quelque 40 à 60 milliards d’euros – et qui ne sont pas payés au Smic – ne seront donc pas sanctionnés.
Non, tous les pays européens n’ont pas connu de dérapage. Dans nombre d’entre eux, il n’y a pas eu d’erreur. Et, en tout état de cause, jamais d’une telle ampleur. Pourtant, la conclusion que tire Bercy du rapport d’information du Sénat et du rapport de notre commission est bien celle-ci : « Circulez, il n’y a rien à voir ! Personne n’est responsable de rien, personne n’est sanctionné, personne n’est changé de poste. On continue comme avant. »
Soit des erreurs techniques ont été commises par des fonctionnaires qui ont failli à leur mission. Ce que je ne crois pas ; pour moi, cela relève d’un maquillage des comptes de grande ampleur. Soit, le gouvernement a failli. Mais il ne peut s’agir d’erreurs techniques assumées par un gouvernement qui n’est plus en fonction. Je ne comprends pas et il n’y a pas grand monde qui comprendra non plus à l’extérieur de l’Assemblée.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En 2024, l’Office for Budget Responsibility du Royaume-Uni, dont chacun reconnaît la qualité et l’indépendance, a dû revoir en cours d’année la prévision de déficit, qui est passée de 3,1 % en mars à 4,5 % en octobre, soit une révision de 1,4 point, ce qui représente exactement le même écart que nous avons connu en France entre la prévision de 4,4 % et la réalisation à 5,8 %. Cela montre bien que les modèles en eux-mêmes n’ont pas de biais. Cela rejoint d’ailleurs les conclusions de votre commission et de la Cour des comptes.
Mais votre rapport souligne également la fragilité des modèles dans des environnements volatils. Or, en 2024, l’inflation a été très volatile. En début d’année, elle s’établissait à 3,1 % alors que les administrations prévoyaient qu’elle s’élèverait à 2,7 %. En fin d’année, elle était en moyenne de 2 %, soit 0,7 point de moins. Le dernier point connu d’inflation était de 1,3 %. Cette désinflation très rapide – nous sommes passés de 3 % en janvier à 1,3 % en fin d’année – qu’a connue aussi le Royaume-Uni, a conduit ce pays et la France à réviser de 1,4 point leur déficit. Cet écart est lié, non pas à une erreur de prévision, mais à l’utilisation de modèles, très bons lorsque la situation est stable, mais pas adaptés en période de grande volatilité. Nous devons donc les améliorer.
L’année 2023, marquée par une importante inflation, a été une année très volatile, tout comme 2024, qui a connu une forte désinflation. Cela étant acté, soit nous virons tous les prévisionnistes – c’est votre solution –, mais cela ne résoudra rien ; soit, forts du constat de la fragilité des modèles en période de volatilité, nous allions la transparence technique aux décisions réactives du pouvoir politique qui en est responsable. C’est précisément ce que nous avons fait ce matin, en annonçant 5 milliards d’euros d’économies. En procédant ainsi, nous ne tombons pas dans la facilité consistant à trouver un coupable à Bercy, nous essayons plutôt d’adopter une approche logique et séquencée.
Votre rapport a également décrit la situation en Allemagne, qui a effectué la même correction en milieu d’année. Il se trouve qu’en France, en milieu d’année, un fait politique a eu pour conséquence de limiter la compétence du gouvernement à la gestion des affaires courantes. Il n’en demeure pas moins que l’écart entre le déficit prévisionnel et exécuté au Royaume-Uni, en France et en Allemagne est du même ordre. Mieux vaut s’intéresser à l’économie plutôt qu’à chercher des coupables.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). En effet, nous ne serons pas d’accord. Vous me faites penser à ces médecins qui, pendant des millénaires, ont expliqué aux malades qu’ils n’étaient utiles que lorsqu’ils étaient en pleine santé. Il en va de même des modèles qui ne fonctionnent que lorsque tout va bien et qu’on n’a pas besoin d’eux. C’est tout aussi utile. Je vois bien où on pourrait faire des économies, au-delà même d’ailleurs de Bercy…
Pour finir, j’en viens à la sortie de l’application des taux bas liés au quantitative easing, politique non orthodoxe et exceptionnelle, qui, par définition, aura un terme. Lors de nos nombreuses auditions de fonctionnaires et de responsables politiques, à chaque fois que nous avons évoqué la question, soit nous n’avons pas eu de réponse, soit on nous a expliqué qu’il n’y avait pas de plan. En dehors de la politique menée par France Trésor, rien n’est donc prévu par anticipation sur les conséquences de la variation des taux. Bercy en a-t-il tenu compte ? Vous me répondrez que lorsque tout va bien, aucun plan n’est nécessaire. En l’occurrence, cette politique se veut exceptionnelle et donc limitée dans le temps. Mais même dans ce cas, le modèle n’a pas prévu sa propre obsolescence.
M. Éric Lombard, ministre. Chaque soir, le ministre chargé de l’économie et des finances, vérifie le niveau des taux à long terme auxquels la nation emprunte pour sa dette, qui atteint aujourd’hui 3 300 milliards d’euros et pour laquelle nous avons d’importants enjeuxd’émission. Dans la littérature économique, les prévisions et les réflexions sur les évolutions du taux d’intérêt sont un des sujets sur lesquels le plus de pages sont écrites. Il fait l’objet non seulement d’une réflexion permanente, mais aussi d’anticipation et de prévision. Nous vous avons d’ailleurs indiqué le coût de la dette de l’État cette année et précisé qu’il dépasserait les 100 milliards d’euros dans les trois ou quatre ans à venir. Comme nos prédécesseurs l’avaient fait avant nous.
Tout le monde savait que ces taux bas, dont le niveau résultait d’une série de facteurs, finiraient par remonter, se traduisant alors par un renchérissement du stock de dette. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, mes prédécesseurs voulaient aussi réduire les déficits. Vous ne pouvez donc nous faire ce procès, d’autant que la trajectoire est plus favorable que celle qui était prévue, malgré les soubresauts liés à la fois à la politique américaine et à l’évolution de la politique allemande. Alors que nous avions prévu que les taux à long terme seraient autour de 3,6 %, hier, les taux à dix ans s’élevaient en effet à 3,24 %. Croyez-moi, ce sujet est scruté quotidiennement.
Nous sommes de nouveau dans une année marquée par de grands bouleversements économiques, notamment en raison de la politique américaine, et nous gérons 1 700 milliards d’euros de dépenses publiques ainsi que des recettes. Si ces bouleversements entraînaient des écarts entre les prévisions et l’exécution, lesquels seraient importants vu les montants en cause, au bout du compte, c’est nous qui en serions responsables et c’est devant vous que nous nous en expliquerions, comme nos prédécesseurs l’ont fait. Du reste, c’est entièrement normal ; c’est la beauté de la République. En revanche, chercher à sanctionner des fonctionnaires ne fait absolument pas partie des solutions envisagées pour régler le problème.
M. le président Éric Coquerel. Le fait de trouver un consensus entre des personnes qui n’ont pas le même point de vue neutralise la diversité des opinions.
Je ne suis pas d’accord : à la lecture du rapport, on ne peut en tirer la conclusion que les erreurs sont uniquement techniques, c’est plus complexe. Je vous renvoie aux tableaux des pages 158 et 160 qui le démontrent. Du reste, les erreurs politiques ont été sanctionnées par le corps électoral à deux reprises.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. J’ai sous les yeux un tableau de septembre 2022 qui était annexé au budget pour 2023, qui prévoit que le taux obligataire à dix ans, après avoir été de 0 % en 2021, serait de 1,5 % en 2022 et de 2,6 % en 2023. Ce taux n’a cependant pas connu une telle hausse. Cela étant, personne au sein de nos administrations n’a pensé que les taux resteraient éternellement négatifs.
Lorsque nous travaillons, nous installons des cales de prudence. Dans le budget pour 2025, la projection de taux à dix ans s’établissait à 3,6 % ; il s’élève aujourd’hui à environ 3,3 %. Chaque soir, nous nous couchons en regardant les taux, les spreads, les évolutions des marchés et leur volatilité.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Vous nous avez dit que votre objectif était la transparence. Je vais donc vous parler franchement : j’ai un peu l’impression qu’on nous prend pour des abrutis. Vous venez en effet de nous expliquer que les erreurs de prévision en 2024 étaient d’ordre technique. Le seul problème, c’est qu’une situation similaire se reproduit en 2025. Nous avons donc le sentiment que la pratique budgétaire consiste à empiler les couches d’austérité les unes sur les autres.
Que s’est-il passé en 2024 ? Dès le 27 septembre 2023, M. Moscovici a lancé des alertes sur le ralentissement de la croissance et le caractère trop optimiste des prévisions de croissance. Le 7 décembre 2023 et le 16 février 2024, le Trésor a émis une alerte sur le fait que les objectifs ne seraient pas tenus. Rien n’a bougé, rien n’a été expliqué publiquement. On nous a dit que, à ce moment-là, les alertes n’étaient pas suffisamment sérieuses, puis qu’il s’agissait en fait d’erreurs de prévision. Conclusion : 10 milliards de crédits ont été supprimés en cours d’année sans aucun contrôle démocratique. Soit. Le problème c’est que le budget pour 2025 a été construit sur la base d’une prévision de croissance de 1,1 %, maintenue jusqu’à la commission mixte paritaire, alors que, dès octobre 2024, l’OFCE s’alertait des conséquences d’un budget austéritaire sur la croissance, soulignant qu’elle risquait d’être moitié moindre que prévu. Depuis, le taux de croissance a dû être revu à 0,9 % puis 0,7 % et l’OFCE table désormais sur 0,6 %. Or le gouvernement réagit de la même manière que l’année précédente : après les 10 milliards de crédits annulés en 2024, vous évoquez une nouvelle annulation de 5 milliards qui, cumulés avec les sommes gelées, porte le total à 10 milliards.
Avez-vous réfléchi au coût de l’austérité imposée et à son impact sur la croissance et les recettes de l’État ? Pourquoi, conformément à l’une des recommandations du rapport ayant recueilli la quasi-unanimité des groupes, ne pas déposer un projet de loi de finances rectificative en cas de dérapage budgétaire ? Ce serait une façon d’assurer une véritable démocratie parlementaire.
M. Éric Lombard, ministre. Vous ne serez pas surpris si je vous dis que je ne partage pas votre analyse. Au mois de décembre 2024, lorsque le nouveau gouvernement a repris le projet de loi de finances, alors examiné au Sénat, nous avons intégré la nouvelle prévision à 0,9 % – sur laquelle s’est fondé le texte de la CMP – et pris en compte son impact sur les recettes. En ce mois d’avril, compte tenu des troubles économiques considérables, nous avons estimé raisonnable de revoir la prévision à 0,7 %, soit 0,2 point de moins. Cet ajustement n’est pas massif : il relève d’une régulation habituelle, reposant notamment sur les marges de manœuvre que nous avons dégagées. Ce cadrage correspondant à l’épure budgétaire, il n’est pas nécessaire de passer par un PLFR, ce qu’a confirmé le Premier ministre. Rien ne garantit toutefois que l’année à venir sera un long fleuve tranquille, compte tenu de l’évolution possible de certains conflits, qu’ils soient commerciaux ou militaires.
Nous avons bien l’intention de tenir la dépense publique – qui n’a rien d’austéritaire puisqu’elle atteint 57 % du PIB, record absolu en Europe – et de vous retrouver l’année prochaine avec un budget exécuté conformément à nos prévisions.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Madame la ministre, monsieur le ministre, je vous salue à nouveau après la réunion du comité d’alerte du budget de ce matin, auquel j’aurais aimé participer autrement qu’en visio depuis le train intercités Paris-Clermont-Ferrand. C’est l’occasion pour moi de souligner qu’il ne faudrait pas que la situation budgétaire serve encore de prétexte pour justifier les sous-investissements relatifs à deux lignes intercités parmi les plus délaissées de notre territoire, la ligne Clermont-Paris et la ligne Polt (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse).
Les problèmes techniques liés aux modèles ne sont que l’arbre qui cache la forêt. C’est passer à côté du vrai problème que de ne pas se livrer à une analyse des politiques économiques mises en œuvre. Pour des raisons politiques, vos prédécesseurs ont préféré tenir secret le niveau de notre déficit à l’approche des élections européennes et législatives. Pouvez-vous nous assurer qu’avec les prochaines élections, municipales et présidentielles, nous échapperons à un bis repetita, quoi qu’il arrive ?
M. Éric Lombard, ministre. N’étant pas d’accord avec la prémisse, je ne peux partager votre conclusion, d’autant que les élections municipales et présidentielles sont encore loin. Soyez assurée que nous ferons preuve de la plus totale transparence en maintenant un contact régulier avec le Parlement, conformément à notre engagement et notre devoir.
S’agissant de la ligne Clermont-Paris, je partage votre impatience. Espérons que la grande entreprise publique concernée, bénéficiaire et indépendante dans sa gestion et ses plans d’investissement, fera rapidement les investissements nécessaires.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Hier, le ministre des transports a annoncé via SNCF Réseau 3 milliards d’euros d’investissements sur les lignes Polt et Paris-Clermont. Nous ne sommes donc pas en train de rogner sur ces dépenses d’infrastructures. Pour préserver nos capacités d’investissement, nous nous sommes fixé une boussole : faire porter la majorité des efforts de l’État sur les dépenses de fonctionnement. Les dérives qu’elles connaissent ne doivent pas grever notre capacité à préparer l’avenir. Pour illustrer notre cap, je soulignerai que les 54 milliards d’euros du plan d’investissement France 2030 sont maintenus à l’euro près.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Comment vos modèles de prévision prennent-ils en compte les coupes annoncées de 40 milliards d’euros ? Compte tenu de l’ampleur de l’effet d’entraînement de l’investissement public sur la croissance, vous attendez-vous à un ralentissement économique ?
M. Éric Lombard, ministre. Nous sommes sur un chemin de crête. Nous devons réduire les déficits, car leur simple stabilisation se traduirait par une hausse des taux d’intérêt de la dette, et pour ce faire, réduire la dépense publique mais dans des proportions telles que l’impact sur la croissance soit le plus limité possible. Nous avons donc choisi de réduire celle-ci légèrement – le Premier ministre a annoncé ce matin un effort de 6 % sur cinq ans – et de privilégier les dépenses d’investissement. Nous prêterons, en outre, une attention extrême à l’efficacité des politiques publiques afin que les Français constatent une amélioration du fonctionnement des services publics, dont ils ont tendance à être moins satisfaits malgré le haut niveau de dépenses publiques.
M. Corentin Le Fur (DR). Même si je doute, comme certains de mes collègues, que l’erreur en matière de prévisions de recettes soit uniquement de nature technique, je vous remercie pour ce plan d’action – le fait qu’il ait été élaboré à la suite des travaux de notre commission montre d’ailleurs tout l’intérêt de la mission de contrôle que nous exerçons. Il faut absolument éviter qu’un tel dérapage ne se reproduise pour rétablir la confiance dans la parole de l’État et préserver le civisme fiscal.
La principale mesure annoncée est la création d’un cercle des prévisionnistes. Comment seront choisis ses membres et comment vous assurerez-vous que les services de l’État, la direction générale du Trésor en particulier, entretiendront un véritable dialogue avec eux, y compris en prenant en compte les doutes ou les opinions divergentes exprimés par certains ?
Se pose en outre la question de fond de l’envolée des dépenses qui rend impératif de réduire celles des agences, des opérateurs de l’État et de l’administration centrale. Il importe en effet d’anticiper une baisse des recettes fiscales, qui pourraient ne pas atteindre le niveau prévu dans le dernier budget. Comment envisagez-vous de procéder à un nécessaire ajustement tout en faisant de l’objectif de désendettement, que nous partageons, une priorité de l’État ? Qu’en est-il des dépenses sociales, qui ne figurent pas dans votre plan d’action ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Avec Catherine Vautrin et le Premier ministre, nous prévoyons de créer, au sein des dépenses d’assurance maladie, 1,1 milliard d’euros de réserve de précaution. Cette somme peut paraître faible, au regard des 285 milliards d’euros qu’atteint l’Ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie), mais ce mécanisme de régulation devrait nous permettre de faire face aux aléas que constituerait la survenue d’une épidémie ou d’une crise sanitaire. Il faut savoir que la sphère sociale dispose d’outils de pilotage infra-annuel des dépenses moins nombreux et variés, moins fins et sophistiqués que l’État, ce qui tient beaucoup aux particularités de sa gouvernance – quatre caisses, quatre conseils d’administration et une gestion paritaire. En matière budgétaire, si on n’a pas d’outils de pilotage pour exécuter le budget selon la trajectoire retenue, on a beau mettre des chiffres intéressants, on est pris au dépourvu en cas de volatilité économique.
L’audition de demain sera l’occasion de revenir sur la fin de gestion 2024 et la trajectoire 2025-2026 mais je peux d’ores et déjà vous indiquer que pour bâtir le prochain budget, nous avons choisi de recaler le rythme de la dépense sur le rythme de la croissance économique. Il convient d’éviter de générer mécaniquement des déficits par un décalage entre évolution des dépenses et évolution de la croissance, donc des recettes.
M. Éric Lombard, ministre. Quant au cercle des prévisionnistes, son comité scientifique comprendra des économistes, des spécialistes des valeurs du Trésor, de l’OCDE, du FMI. La direction générale du Trésor en assurera le secrétariat et sa cheffe économiste la présidence. La liste sera communiquée lors de sa première réunion, prévue le 20 mai prochain à Bercy.
M. le président Éric Coquerel. Comptera-t-il des représentants d’institutions comme l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Le cercle comprendra des membres appartenant à l’Institut des politiques publiques (IPP), à l’OFCE, à la Banque de France, à l’Insee, à l’OCDE, à l’institut Rexecode, le secrétaire général de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) ainsi qu’un représentant du secrétariat permanent du HCFP. Il aura pour modèle l’Observatoire français des comptes nationaux (OFCN), chargé de produire des prévisions macroéconomiques – de manière discrète, compte tenu du caractère sensible de ces informations pour les marchés. Cet alliage de représentants de la recherche académique, d’instituts de recherche publics et parapublics, d’institutions internationales et de la Cour des comptes rassemblera ce que notre pays fait de meilleur en matière de prévisions.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Votre plan ne dit rien des responsabilités en cause dans les écarts observés en 2023 et 2024, manière discrète d’occulter votre faute politique majeure qui consiste à continuer de vous inscrire dans le cadre d’une politique de l’offre. Madame la ministre, vous précisez que le projet de budget pour 2025 s’inscrit dans les strictes limites posées par la Lolf, et j’ai envie de vous répondre assez abruptement : encore heureux ! Pourquoi ne jamais ouvrir la voie du compromis à travers un PLFR ? Il s’agit d’un enjeu démocratique majeur. Je rappelle à cet égard que les Écologistes ont déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à supprimer le 49.3.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous nous conformons pleinement à la Lolf et aux limites qu’elle pose en matière d’annulation de crédits, qu’il s’agisse de décrets d’avance ou d’annulation. Avec 3 milliards d’euros au titre des annulations et 2 milliards d’euros au titre des gels supplémentaires, nous nous situons largement en dessous des plafonds autorisés, de 8 milliards d’euros et de 12 milliards d’euros respectivement, et il n’est pas question évidemment de nous en éloigner.
S’agissant de l’enjeu démocratique, je crois que notre présence devant vous est la meilleure réponse. Ne pas respecter la démocratie serait de nous soustraire au contrôle et à nos obligations en matière de transparence. L’ensemble des décisions de gestion, comme les reports ou les mises en réserve, feront l’objet d’une communication en temps réel au rapporteur général et au président de votre commission, comme cela a d’ailleurs été le cas pour la gestion des services votés dont nous les avons informés tous les quinze jours. Nous nous tenons devant vous et nous nous y tiendrons aussi souvent que vous le souhaiterez pour que nous expliquions, détaillions, précisions les choses. La meilleure manière de pratiquer la démocratie, y compris sur des sujets qualifiés parfois de techniques mais qui sont au cœur de pacte républicain, consiste à nous soumettre de manière pleine et entière au contrôle et à l’évaluation du Parlement. Je le fais d’autant plus volontiers qu’ayant eu l’honneur d’être moi-même membre de cette commission, j’ai défendu ardemment ses pouvoirs.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Madame la ministre, les prérogatives du Parlement ne se limitent pas au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques. Voter la loi est l’une de ses prérogatives constitutionnelles essentielles. En pratiquant gels et mises en réserve, vous le privez de ce rôle premier de se prononcer sur les dépenses.
Votre plan d’action évoque une co-construction du redressement budgétaire avec les collectivités. Cela signifie-t-il qu’une contractualisation contraignante sera rétablie ? Dans ce cadre, envisagez-vous de compenser les pertes durables de recettes fiscales entraînées par vos choix fiscaux unilatéraux – taxe d’habitation, CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) – qu’ont dû subir les collectivités auxquelles vous avez imposé dans le même temps un effort supplémentaire de maîtrise de la dépense ?
M. Éric Lombard, ministre. Nous avons déjà fourni des premiers éléments de réponse sur les dépenses des collectivités locales et les évoquerons plus largement demain.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Nous confirmez-vous inscrire dans la loi de finances le principe d’une réaffectation automatique de tout surplus budgétaire à la réduction du déficit, ce qui reviendrait à interdire systématiquement toute réallocation vers des priorités sociales ou écologiques, même urgentes ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il s’agit d’une recommandation de la commission exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête.
M. le président Éric Coquerel. Cette proposition des rapporteurs n’a pas été retenue par la commission mais vous n’avez sans doute pas pris connaissance de la version définitive du rapport… La question de Mme Arrighi a son importance : comptez-vous reprendre cette proposition ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il n’est pas nécessaire d’avoir recours à une loi pour que le gouvernement détermine la manière dont il entend affecter d’éventuels surplus de recettes, sous le contrôle du Parlement.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Voter sur l’éventuelle réaffectation des surplus de recettes est en effet l’une des prérogatives du Parlement.
M. le président Éric Coquerel. C’est la raison pour laquelle la commission n’a pas retenu cette proposition. J’ajoute que j’ai protesté publiquement contre le fait que des versions non définitives du rapport ont été transmises à la presse.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Le groupe Les Démocrates se réjouit que nous puissions échanger dès aujourd’hui avec le gouvernement sur les mesures à mettre en œuvre pour garantir plus de transparence et assurer la sincérité des prévisions, conditions indispensables pour établir la confiance et la qualité du débat. Parmi les voies d’amélioration qu’a permis de dégager le travail de notre commission, j’en citerai trois : la nécessité de réformer en profondeur les outils et méthodes de prévision afin de mieux prendre en compte l’incertitude ; la co-construction des prévisions avec une pluralité d’acteurs aux méthodes et points de vue différents ; l’association plus étroite du Parlement au suivi de l’exécution budgétaire et à la préparation des lois de finances.
Dans le plan que vous avez dévoilé au début du mois de mars, nous retrouvons plusieurs propositions plutôt techniques qui vont dans ce sens. Quel rôle comptez-vous assigner au cercle des prévisionnistes : espace de co-construction des prévisions par l’intelligence collective ou simple organe consultatif ? En cas d’écarts forts entre les prévisions établies par le cercle et la direction générale du Trésor, prévoyez-vous des procédures spécifiques ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Le cercle des prévisionnistes viendra compléter les outils de prévisions macroéconomiques dont nous disposons déjà. Alliant recherche académique, secteur privé et instituts publics et parapublics, il échangera autour d’hypothèses macroéconomiques – masse salariale, recettes fiscales – et du comportement des acteurs – sur les enjeux liés au remboursement des crédits de TVA notamment – afin d’améliorer par l’intelligence collective la fiabilité des prévisions et enrichir l’expertise de nos ministères. Il se réunira deux fois par an, la première pour examiner ce qui relève de l’année n - 1, la deuxième étant consacrée à l’année n + 1. Cette année, au mois de mai, il se penchera sur les écarts de prévisions de l’année précédente puis, au mois de juillet, examinera les perspectives pour l’année à venir, en prêtant à chaque fois attention au calibrage des modèles.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Les travaux de notre commission ont révélé la difficulté à comprendre le rôle joué par le politique dans la construction des prévisions. Envisagez-vous des mesures de clarification afin de sortir d’une forme de confusion des pouvoirs au sein de l’exécutif ?
M. Éric Lombard, ministre. Définir des prévisions économiques relève d’une responsabilité politique. Il s’agit de faire une synthèse des éléments fournis par les techniciens et économistes, en tout premier lieu ceux des directions de Bercy, et d’en déduire la trajectoire la plus réaliste pour conduire le budget de la nation, en y intégrant éventuellement des éléments volontaristes. Nous soumettrons dorénavant cet exercice de prévision à la revue du cercle des prévisionnistes et à un dialogue avec le Haut Comité des finances publiques, en toute transparence, devant les Françaises et les Français, qu’il s’agisse des hypothèses initiales ou des révisions auxquelles nous procédons à mesure de l’exécution du budget. Nous sommes là au cœur du débat démocratique et depuis que Mme la ministre et moi-même avons été nommés, il me semble que nous avons fait preuve de transparence sur les différentes prévisions – de la révision à 0,9 % par rapport au 1,1 % du projet de loi de finances initial à celle à 0,7 % que nous venons d’annoncer.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Ma dernière question portera sur l’utilisation par les gouvernements du levier de la mise en réserve de crédits pour prévenir une dégradation de l’équilibre budgétaire. Ce procédé nous semble manquer de transparence et d’efficacité. Le fait que le volume de mise en réserve ne soit pas modulé par programme, en fonction des risques susceptibles d’affecter l’exécution budgétaire, comme le souligne la Cour des comptes, nuit, à notre sens, à l’efficacité du mécanisme. Dans les travaux menés par vos administrations, avez-vous identifié des voies permettant de réduire le caractère uniforme du mécanisme de mise en réserve et d’en améliorer la transparence ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. La mise en réserve, enjeu très important, fait l’objet d’une circulaire spécifique. En ce domaine, pour guider notre action, nous nous appuyons moins sur les programmes eux-mêmes que sur le type de dépenses. Nous distinguons les dépenses dites rigides – masse salariale, prestations – des dépenses dites pilotables avec des taux respectifs de mise en réserve de 0,5 % et de 5,5 %. Faire varier les mises en réserve selon les ministères et non selon les dépenses présente l’inconvénient d’un fort manque de prévisibilité d’une année sur l’autre et d’une rigidité accrue des dialogues de gestion. Ajoutons que pour gérer les aléas, nous disposons d’outils supplémentaires : les surgels et les crédits de la dotation pour dépenses accidentelles, d’un montant de 400 millions d’euros en autorisations d’engagement.
Cette année, la mise en réserve a été pilotée de manière interministérielle. Certains ministères ayant de très gros budgets, par exemple celui l’éducation nationale, sont confrontés à assez peu d’aléas quand d’autres parmi les plus petits, comme le ministère des outre-mer dont le budget est vingt fois moindre, en connaissent de multiples et de grande ampleur. Nous nous sommes donc détachés de la taille initiale des budgets de chaque ministère pour remonter les mises en réserve au niveau interministériel et décider des gels et des dégels au plus près des aléas.
Tout ce que nous faisons respecte l’esprit et la lettre de la Lolf : nous pilotons au plus fin tout en vous rendant compte de nos décisions en détail car, ainsi que le disait Mme la députée Arrighi, la prérogative du Parlement est de voter la loi.
M. François Jolivet (HOR). Vous connaissez l’attachement du groupe Horizons à l’idée de remettre nos comptes en ordre, condition indispensable à l’exercice de notre souveraineté dans quelque domaine que ce soit. Notre groupe a d’ailleurs déposé deux textes en ce sens : un projet de loi constitutionnelle visant à instituer la règle d’or ; un projet de loi modifiant la Lolf, obligeant le gouvernement à déposer un PLFR à partir d’un certain montant d’annulations et de gels de crédits. Qu’arriverait-il si nous atteignions le plafond de 20 milliards d’euros, somme des deux chiffres que vous avez cités, madame la ministre ? Pas grand-chose, sinon l’affichage d’un déficit supérieur aux prévisions.
Que vous vouliez renforcer l’acte de prévision est compréhensible, monsieur le ministre, puisqu’il s’agit d’un outil de l’exécutif. Mais nous assistons depuis sept ou huit ans à une inquiétante fuite des cerveaux à la direction générale du Trésor, les personnes qui partent étant celles qui ont bâti les modèles lorsqu’elles appartenaient à la direction de la prévision. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur la nécessité de recréer cette direction spécialisée dans la connaissance des écosystèmes économiques.
Prenons la crise de l’immobilier, par exemple, qui va se traduire par 150 000 logements en moins en termes de nouvelles constructions et par une perte de 3 milliards d’euros de recettes de TVA pour l’État. Quand les taux se sont envolés, tout le monde a compris que l’industrie de la construction allait s’arrêter. C’est désormais l’industrie manufacturière des matériaux qui est en train de s’arrêter. Personne n’a su tirer les conséquences de la crise au bon moment. En réalité, il ne s’agit pas tant de tenir les dépenses que de savoir lesquelles sont efficaces : celles qui rapportent plus qu’elles ne coûtent. À cet aune, certaines dépenses sont parfois trop tenues. Les députés de tous bords ont alerté sur les conséquences de la crise dans ce secteur. On dit maintenant que la baisse des recettes de TVA pourrait être de 7 ou 8 milliards d’euros. On en prend acte, c’est tout. En revanche, on a tenu le budget. Trois ans plus tard, on revoit les conditions du prêt à taux zéro (PTZ) et des donations, mais le mal est durable et le secteur ne va pas repartir aussi vite que l’on pourrait le croire.
Seriez-vous favorables à une modification de la Lolf qui obligerait le gouvernement, lorsqu’il n’a plus d’instrument à sa main, à déposer un PLFR ?
Enfin, que pourrions-nous faire pour vous aider ?
M. Éric Lombard, ministre. Concernant l’acte de prévision et la direction générale du Trésor, je tiens à dire avec force, puisque j’ai le plaisir et l’honneur de diriger cette maison depuis trois mois et demi, que la qualité des agents est exceptionnelle. Depuis trois mois et demi, nous avons piloté les conséquences d’une loi de finances qui n’est pas arrivée dans les délais habituels, et nous avons dû à plusieurs reprises mesurer les effets de décisions de l’administration américaine sur les finances mondiales, les finances publiques et la croissance en France et en Europe. À chaque fois, ces analyses ont été effectuées dans les vingt-quatre heures. Solides et argumentées, elles nous ont permis de dialoguer avec nos interlocuteurs. Les agents suivent un certain nombre de politiques publiques avec beaucoup d’efficacité et de talent. Je n’ai pas constaté de fuite des cerveaux : des personnes arrivent et d’autres partent, comme cela a toujours été le cas dans cette direction générale que j’ai le plaisir de pratiquer depuis de nombreuses années. Soyez rassuré sur la qualité des agents de cette direction comme des autres directions générales de Bercy. Quant à la direction de la prévision, elle a disparu de l’organigramme mais pas ses fonctions : différentes directions de Bercy produisent les prévisions qui nous alimentent, ce qui nous permet d’être raisonnablement assurés, en l’état actuel de nos connaissances, de ce que nous prévoyons.
Qu’en est-il de la dépense intelligente ? De notre point de vue, l’intelligence est nécessairement collective. C’est pour cela que nous souhaitons travailler dès à présent à l’élaboration du budget pour 2026, afin de recueillir les avis des uns et des autres. Nous avons souvent parlé ensemble du logement, et nous partageons d’ailleurs quelques visions communes sur ce secteur très important pour l’économie française – pour ma part, j’ai un penchant particulier pour le logement social. C’est vrai que nous pouvons faire des dépenses intelligentes et efficaces dans ce secteur qui n’a d’ailleurs pas été oublié dans le PLF pour 2025. Il n’y a pas de dépenses inefficaces, mais il s’agit de doser. Nous pourrons continuer à progresser lors de l’élaboration du PLF pour 2026.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Si une opportunité politique se présentait concernant une révision consensuelle de la Lolf, je trouverais intéressant que nous puissions nous doter d’outils de gestion infra-annuels, et nous contraindre à ne pas aggraver le déficit lors de l’examen de textes à venir. Ce serait une très forte restriction au droit d’amendement, allant au-delà de l’application de l’article 40 de la Constitution, mais cela nous permettrait de faire en cours d’année des choses plus substantielles et structurelles que ce que nous nous autorisons habituellement à faire.
Que pourriez-vous faire pour nous aider ? Les parlementaires ont un grand rôle à jouer dans la bonne pilotabilité des dépenses. Les rapporteurs spéciaux travaillent déjà sur l’évaluation de l’année n ‑ 1dans le cadre du Printemps de l’évaluation. Si nous avons progressé en matière d’évaluation, il nous reste beaucoup à faire en termes d’exécution – le suivi de l’année n. Plusieurs facteurs contribuent à rendre l’exercice difficile, notamment la rigidification de la dépense publique. La Cour des comptes note que le périmètre réellement pilotable se réduit, une fois que l’on a exclu les prestations, les lois de programmation et les contrats pluriannuels. En outre, les mécanismes d’intervention de l’État sont assez faiblement pilotables en cours d’année – le choix se réduit le plus souvent à la fermeture éventuelle de tel ou tel guichet. Pour le soutien au logement, par exemple, le taux d’avance peut être ramené de 40 % à 30 % si la conjoncture se dégrade. Ce sont souvent des mesures législatives lourdes à manier qui nous conduisent à nous contraindre. Par le biais de leurs rapports spéciaux et de leurs propositions, les députés pourraient nous aider à garder de la pilotabilité infra-annuelle, à ne pas sur-rigidifier l’ensemble des dépenses. Cela nous permettrait de disposer de leviers supplémentaires et de développer une culture d’exécution plus fine. Après avoir gagné la bataille de l’évaluation, nous pourrions alors gagner celle du suivi infra-annuel. Tout cela est un peu nouveau : en des temps peut-être plus normaux, il n’y avait qu’un rendez-vous en juillet où l’on parlait de l’année en cours. Quand les temps sont moins normaux, cette nouvelle culture est un vrai progrès.
M. Éric Lombard, ministre. Nous allons travailler à ce PLF pour 2026 dans le dialogue avec l’ensemble des parties prenantes et avant tout avec les parlementaires. Nombre d’entre vous estiment qu’un accord en commission mixte paritaire (CMP) n’est pas quelque chose de totalement satisfaisant sur le plan démocratique, même quand il est majoritaire – ce qui n’arrive pas toujours – et même s’il respecte la Constitution. Pour paraphraser un grand Américain, je dirais que nous pouvons faire un rêve : avoir une loi de finances qui soit adoptée par une majorité parce que nous aurons trouvé le bon point d’équilibre répondant aux nécessités de notre pays. Cela me semble assez ambitieux, mais voilà ce je souhaite à la France.
M. le président Éric Coquerel. Chiche !
M. Nicolas Ray (DR). Nous saluons les mesures que vous annoncez pour mieux piloter nos finances publiques, mieux prévoir, revoir nos modèles et sortir du monopole de prévision actuel, ce qui est en phase avec les propositions de notre commission. Ce matin, lors du comité d’alerte, vous avez indiqué que les recettes pour 2025 étaient en ligne avec les prévisions, mais que les dépenses dérapaient de 5 milliards d’euros. Comment expliquez-vous cette accélération des dépenses ? Quelles politiques et missions seront les plus touchées par la correction de 5 milliards d’euros que vous envisagez – et que nous approuvons.
L’an dernier, nous avions voté des recettes qui devaient être exceptionnelles et temporaires, mais qui risquent de devenir durables, si l’on en juge par les déclarations de certains ministres. Quelle est la position du gouvernement concernant la pérennisation de toutes ces taxes qui avaient été présentées comme temporaires ?
Ce matin, le Premier ministre a constaté que nous ne produisions pas assez et que le volume de travail était insuffisant en France, constat que nous partageons depuis longtemps. Pour améliorer la production, il faut renforcer la compétitivité de nos entreprises. Vendredi, nous avons adopté certaines mesures du projet de loi de simplification de la vie économique. Pour notre part, nous regrettons que de nombreux amendements, qui auraient permis de simplifier et aussi de faire des économies, aient été déclarés irrecevables. Avez-vous estimé l’effet des mesures adoptées sur la productivité ?
Enfin, où en est la rationalisation des opérateurs de l’État, dont les dépenses avaient augmenté de 30 milliards d’euros en huit ans et dont les effectifs avaient progressé de 28 000 en cinq ans ?
M. Éric Lombard, ministre. Pour important qu’il soit, le texte de simplification de la vie économique, qui poursuit son parcours, ne va pas révolutionner mais accompagner la productivité en France. La Commission européenne a d’ailleurs elle-même un agenda en matière de simplification.
Pour soutenir la compétitivité de notre pays, élément essentiel dans la concurrence internationale, nous menons une politique de réduction des déficits et de maintien – voire de baisse – de la dépense publique, afin de ne pas augmenter les impôts et les charges qui pèsent sur les entreprises. Cette politique est critiquée et contestée, ce qui fait partie du dialogue démocratique. Elle me paraît néanmoins essentielle pour nous permettre de regagner des parts de marché, de réindustrialiser le pays et de faire venir les investisseurs – rappelons que le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle (SAIA) a permis de récolter 109 milliards d’euros de promesses d’investissements. Cela est aussi important que les lois de simplification, même si la simplification doit être une préoccupation permanente.
Un travail est en cours concernant les opérateurs de l’État, afin de réduire leur coût d’intervention dès la loi de finances pour 2025. Dans le cadre de la revue de leurs missions et aussi des débats sur le texte de simplification de la vie économique, la question d’éventuels rapprochements entre opérateurs a été soulevée. Le travail sera poursuivi l’année prochaine.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Pourriez-vous préciser votre question concernant les recettes exceptionnelles, monsieur le député ?
M. Nicolas Ray (DR). Je parlais des taxes adoptées dans le cadre du PLF pour 2025, notamment la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et celle sur les bénéfices des entreprises, qui pourraient être prolongées si j’ai bien compris certaines déclarations.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Pour 2025, ces deux contributions exceptionnelles – nouvelles et donc plus difficiles à prévoir – sont soumises à des aléas. Nous avons donc fait preuve de prudence concernant les prévisions qui ont été examinées par le HCFP. Quoi qu’il en soit, nous avons pris l’engagement ferme qu’elles resteraient exceptionnelles. Le Premier ministre a encore répété ce matin qu’il n’y aura pas de surtaxe à l’impôt sur les sociétés pour 2026. S’agissant de la contribution différentielle sur les hauts revenus, nous avons indiqué à plusieurs reprises que l’objectif n’était pas de la maintenir, mais de trouver un mécanisme pérenne, efficace et bien ciblé permettant de lutter contre toute forme de suroptimisation et de contournement abusif de l’impôt, en particulier quand cela se fait par le biais de holdings. Nous voulons un dispositif bien calibré, qui permette de tenir cet objectif sans empêcher l’investissement dans les entreprises et les start-up, le maintien d’un capitalisme familial stable et de long terme et la transmission des entreprises, et sans pénaliser l’outil professionnel. Le Premier ministre a pris un engagement par écrit en ce sens, qui vous sera présenté en temps voulu.
M. le président Éric Coquerel. C’est une bonne transition puisque nous reparlerons de tout cela demain. Merci à tous.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 15 avril 2025 à 15 heures
Présents. – Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Marina Ferrari, M. Emmanuel Fouquart, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Corentin Le Fur, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jean-Paul Mattei, Mme Sophie Mette, Mme Christine Pirès Beaune, M. Nicolas Ray, M. Nicolas Sansu, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, M. Mickaël Bouloux, M. Thomas Cazenave, M. Thierry Liger, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou