Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Commission d’évaluation des politiques publiques relatives à l’exécution budgétaire de la mission Justice : audition de M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la Justice 2
– Présence en réunion...........................27
Mardi
3 juin 2025
Séance de 21 heures
Compte rendu n° 124
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède à l’audition de M. Gérald Darmanin, garde des Sceaux, ministre de la Justice
M. le président Éric Coquerel. L’ordre du jour de notre commission appelle l’examen des politiques publiques relatives à la mission Justice. Nous recevons M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice, à qui je cède la parole pour aborder l’exécution budgétaire de cette mission.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice. Le ministère de la justice gère trois politiques publiques majeures : l’administration pénitentiaire et les services d’insertion et de probation, l’autorité judiciaire, et enfin la protection de l’enfance et de la jeunesse.
La nation a consenti des efforts considérables depuis 2017, qui se traduisent par une augmentation de 45 % des crédits de paiement du ministère de la justice, ce qui fait de lui le ministère ayant connu, en proportion, la plus forte progression. Les emplois autorisés ont également augmenté de 13 %. Ainsi, la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ) est respectée tant du point de vue des emplois autorisés que des crédits, puisque nous atteignons quasiment 100 % d’exécution des crédits. Ayant pris mes fonctions le 24 décembre dernier, je ne saurais m’attribuer le mérite de cette performance, et je tiens à saluer le travail de mes prédécesseurs, MM. Migaud et Dupond-Moretti.
Le ministère a rencontré deux difficultés. La première, relative au recrutement dans l’administration pénitentiaire, a été surmontée grâce à la catégorisation des agents pénitentiaires, qui nous permet désormais de recruter plus de mille agents chaque année. La seconde se rapporte à la gestion des crédits immobiliers, qui ne sont pas toujours entièrement consommés. Nous y reviendrons si vous le souhaitez.
Le ministère de la justice doit faire face à de nombreuses dépenses contraintes, notamment l’aide juridictionnelle, pour laquelle il n’est pas prescripteur puisqu’il s’adapte aux besoins de nos concitoyens. L’aide juridictionnelle a connu une forte augmentation en 2024, avec 100 000 admissions supplémentaires par rapport à l’année précédente. L’administration pénitentiaire a dû quant à elle faire face à des dépenses imprévues consécutives au drame d’Incarville et à la mise en place d’un protocole qui ne figurait pas dans la LOPJ. Enfin, les frais de justice des services judiciaires, couvrant divers aspects tels que le gardiennage des véhicules saisis, les écoutes téléphoniques ou les géolocalisations, s’élèvent à plus de 700 millions d’euros. Il est important de préciser que les prescripteurs de ces dépenses ne sont pas toujours issus du ministère de la justice, mais souvent des services d’enquête, notamment ceux de la police et de la gendarmerie.
Dans un souci de bonne gestion des deniers publics, j’ai adressé le 30 avril aux chefs de juridiction une circulaire de gestion contenant des directives visant à optimiser la gestion des crédits, en leur permettant notamment de réinvestir les économies réalisées.
Par exemple, nous dépensons plus de 60 millions d’euros par an pour le gardiennage des véhicules saisis par les services de police et de gendarmerie. Une meilleure gestion de ces saisies, notamment par la vente ou la confiscation avant jugement, comme le permet la loi Warsmann votée en 2024, pourrait générer des économies substantielles.
Un autre exemple d’optimisation concerne les notifications aux personnes condamnées. Dans le ressort de la cour d’appel de Douai, le tribunal de Cambrai dépense 3 millions d’euros par an pour notifier les jugements aux 30 % de condamnés absents lors de l’audience. Cette procédure peut être améliorée.
La modernisation de nos pratiques doit également permettre des économies, au moment où le tribunal de Paris dépense encore plus de 20 millions d’euros par an pour des envois de documents imprimés. À l’instar de la dématérialisation réussie à la direction générale des finances publiques (DGFIP), il appartient au ministère de la justice d’embrasser la transition numérique.
Concernant les services judiciaires, il est encourageant de constater une diminution des délais de traitement moyen en matière civile, bien que ces délais restent encore trop longs pour nos concitoyens, notamment pour les divorces ou les tutelles. Cette amélioration devrait s’accentuer avec l’arrivée des nouvelles promotions de l’École nationale de la magistrature (ENM) dans les juridictions dès septembre prochain.
En matière pénale, la situation est plus complexe. Le nombre d’affaires a considérablement augmenté, en raison de la hausse de la délinquance, mais aussi de la politique pénale du gouvernement, notamment ses efforts de lutte contre le trafic de stupéfiants. Nous travaillons activement à l’amélioration des délais de traitement des audiences pour répondre aux attentes de nos concitoyens.
Concernant l’administration pénitentiaire et la question de la surpopulation carcérale, je souhaite attirer votre attention sur un point précis : le nombre de prévenus en détention provisoire est resté stable depuis 2017, oscillant autour de 20 000 à 21 000 personnes. En revanche, l’augmentation du nombre de condamnés définitifs est significative. Aussi, la surpopulation carcérale n’est pas imputable à une augmentation des mises en détention provisoire par les enquêteurs ou les procureurs de la République, puisque leur nombre est resté stable depuis plusieurs années. La cause principale réside dans le fait que les magistrats indépendants du siège prononcent des condamnations plus sévères, avec des durées de détention plus importantes.
Cette situation s’explique, à mon sens, par les effets pervers des mesures de régulation carcérale. Depuis vingt ans, les gardes des sceaux successifs ont instauré des dispositifs visant à limiter l’incarcération pour les peines inférieures à un an, puis à deux ans, en favorisant les aménagements obligatoires. Paradoxalement, ces mesures ont conduit les magistrats du siège à prononcer des peines plus lourdes pour s’assurer que les condamnés soient effectivement incarcérés, notamment dans les cas de récidive.
Par ailleurs, la proportion d’étrangers dans les prisons françaises, actuellement de 25 %, contribue à la surpopulation carcérale. En effet, les détenus étrangers bénéficient moins souvent de mesures d’aménagement de peine en raison de leur situation administrative et sociale plus précaire à la sortie. En d’autres termes, un Français condamné à la même peine qu’un étranger sortira en moyenne plus tôt.
Un autre chiffre significatif concerne l’incarcération des auteurs de violences conjugales et sexuelles. Leur proportion est passée de 8 % en 2017 à 19 % aujourd’hui, reflétant une politique pénale plus ferme en la matière, ce qui contribue également à l’augmentation de la population carcérale.
Concernant la protection de la jeunesse et de l’enfance, la crise de l’aide sociale à l’enfance (ASE), mise en lumière par le rapport de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, réclame une coordination accrue entre les ministères de la justice, des affaires sociales et de la santé, la haute-commissaire à l’enfance et les départements. L’efficacité des centres éducatifs fermés et le recrutement au sein de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont des sujets sur lesquels nous devons nous pencher sérieusement.
Je terminerais cette présentation en évoquant différentes démarches entreprises par le ministère de la justice, toutes en lien avec les crédits budgétaires. Nous avons lancé un appel d’offres pour la construction de places de prison selon un nouveau modèle, visant à réduire les coûts de moitié et les délais de construction de sept ans à dix-neuf mois. La première prison de ce type, d’une capacité de 80 places, sera bientôt inaugurée à Troyes, et dix-sept sites sont prévus pour accueillir 3 000 places supplémentaires.
Le 24 juin seront lancés les états généraux de l’insertion et de la probation, qui nous permettront peut-être d’interroger l’échelle et l’application des peines. Il convient de rappeler que plus de 180 000 personnes sont suivies en milieu ouvert, soit deux fois plus qu’en milieu fermé, ce qui souligne l’importance des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip).
Le 30 juin, nous aborderons l’audiencement criminel, notamment la possibilité d’introduire la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, c’est-à-dire le plaider-coupable, une réforme potentiellement révolutionnaire qui pourrait considérablement accélérer les procédures.
En juillet, nous sélectionnerons les porteurs de projets pour les nouvelles prisons non carcérales. Le 7 juillet, une réunion avec les chefs de juridiction et les responsables des budgets opérationnels de programme (BOP) visera à améliorer les saisies et confiscations, un domaine où des progrès significatifs sont nécessaires, puisque seuls 300 millions d’euros de confiscations sont réalisés sur 1,4 milliard d’euros saisis. De même, j’attire l’attention de la commission des finances sur le recouvrement des amendes pénales, actuellement limité à 40 %, que je propose de confier aux commissaires de justice en échange d’un pourcentage sur les sommes récupérées.
Le 15 juillet, nous nous concentrerons sur l’amélioration de l’accès à la justice et sur l’accueil dans les juridictions, notamment concernant le paiement des amendes. Nous devons optimiser le fonctionnement des bureaux d’exécution des peines (BEX) afin qu’ils puissent opérer en dehors des heures de bureau classiques, afin de s’aligner sur les horaires des audiences.
Enfin, j’ai sollicité le premier président de la Cour des comptes pour évaluer le coût réel des procès. L’objectif est d’envisager la possibilité de faire supporter une partie des frais de justice aux condamnés disposant d’une surface financière importante, par exemple dans les affaires de délinquance financière. Cette mesure permettrait de recouvrer une partie des dépenses engagées pour les enquêtes, les écoutes téléphoniques et les autres moyens mis en œuvre par la justice.
M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie pour cette présentation, monsieur le ministre. Nous en venons à présent aux questions du rapporteur spécial pour la mission Justice.
M. Jean-Didier Berger, rapporteur spécial (Justice). Les disparités sont notables en matière d’exécution des crédits. Si certains crédits sont très bien exécutés, d’autres le sont moins. En ce qui concerne les crédits de paiement, le taux d’exécution atteint en 2024, de 97 %, est très satisfaisant. En revanche, en ce qui concerne les autorisations d’engagement, ce taux n’atteint que 90 %. Deux programmes en particulier tirent ce taux vers le bas : le programme 107 – Administration pénitentiaire, et le programme 310 – Conduite et pilotage de la justice.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué le plan « 15 000 places de prison », dont la réalisation semble difficile. Quelles mesures envisagez-vous pour accélérer sa mise en œuvre ? De quelle manière le législateur peut-il vous aider davantage sur ce sujet ?
Le programme 310, notamment dans son volet numérique, semble lui aussi peiner à améliorer le fonctionnement du service public de la justice. Les différentes briques de logiciels pénalisent l’administration efficace de la justice. Certains choix n’ont peut-être pas été opportuns, avec par exemple le recours, d’un côté, au logiciel Parcours, dédié au suivi des mineurs, et de l’autre, des logiciels spécifiques aux majeurs. Envisagez-vous des alternatives à ce découpage en silo ?
La surpopulation carcérale demeure un problème majeur, avec un taux d’occupation des prisons de 133,7 % au 1er mai 2025. Quelles solutions la France peut-elle mettre en œuvre pour résoudre durablement cette situation ?
L’exécution des autorisations d’engagement sur l’informatique ministérielle n’atteint que 84 %. Comment comptez-vous faire en sorte que les autorisations d’engagement votées soient bel et bien consommées en matière de transition numérique ?
J’aimerais également aborder la question des frais de justice, qui ont doublé en cinq ans, atteignant 700 millions d’euros en 2024. Comment maîtriser ces dépenses ? Il ne s’agit pas de remettre en cause l’indépendance de la justice ou la liberté des magistrats et des enquêteurs, mais nous ne pouvons pas laisser ces dépenses croître de manière exponentielle. Vous avez, je crois, lancé une mission d’inspection sur ce sujet. Pouvez-vous nous en communiquer les premiers résultats et les préconisations ?
Enfin, j’aimerais connaître votre avis concernant les centres éducatifs fermés, sujet sur lequel je dois prochainement présenter un rapport d’évaluation. Initialement favorable à ces centres, mon opinion a évolué au fil de mes recherches. Après un quart de siècle d’existence, nous manquons toujours d’indicateurs fiables pour évaluer leur efficacité. Nous continuons pourtant à construire des CEF sans savoir si ces établissements fonctionnent de manière efficace. Les rares indications dont nous disposons suggèrent une efficacité limitée, en dépit de coûts élevés : 100 millions d’euros sont dépensés pour 1 500 jeunes, soit environ 70 000 euros par jeune. Ne faut-il pas reconsidérer cette approche ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le rapporteur, vous avez parfaitement raison de souligner les difficultés rencontrées par la mise en œuvre du plan « 15 000 places de prison ». À ce jour, 5 000 places de prison ont été construites, 5 000 sont en cours de construction ou en attente, et 5 000 n’étaient pas du tout prévues lorsque j’ai pris mes fonctions.
Outre la complexité inhérente à la construction de prisons, plusieurs facteurs concourent à la difficulté de la mise en œuvre du plan : les lenteurs du ministère de la justice et de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij), la collaboration parfois difficile avec les élus locaux et certaines erreurs commises, à Fleury-Mérogis par exemple. L’erreur fondamentale a été de construire systématiquement le même type de prison partout : des maisons d’arrêt de 400 à 500 places, coûtant entre 300 et 400 millions d’euros, sans tenir compte de la diversité des détenus.
J’ai donc décidé de rompre avec ce modèle. Désormais, nous catégorisons les détenus selon leur degré de dangerosité, à l’image de ce qui est pratiqué en Allemagne et en Angleterre. Cette approche permet de construire des prisons plus adaptées, de taille plus humaine, voire thématiques, comme pour les violences conjugales ou les délits routiers. Nous distinguons ainsi les détenus qui doivent être totalement privés de contact avec l’extérieur, d’où la création de prisons de haute sécurité comme celles de Vendin-le-Vieil ou Condé-sur-Sarthe, et une partie du centre pénitentiaire de Saint-Laurent-du-Maroni, de ceux pour lesquels la communication avec l’extérieur ne pose pas de problème de sécurité majeur, comme les auteurs de délits routiers.
Repenser le modèle carcéral actuel devait aller de pair avec la construction de nouveaux centres pénitentiaires dont le coût par place passe de 400 000 à 200 000 euros, et dont le délai de livraison est divisé par trois. Les prisons modulaires en béton, conformes aux normes de sécurité, mais dépourvues d’éléments superflus tels que les miradors ou les systèmes anti-drones, nous offrent les moyens de relever ce défi. Toutefois, cette approche nécessite des arbitrages tranchés. Par exemple, l’installation de brouilleurs de téléphones portables dans toutes les prisons françaises coûterait 500 millions d’euros, un investissement difficilement justifiable et peu pertinent. En effet, il est absurde d’appliquer le même niveau de sécurité à un dangereux narcotrafiquant et à une personne incarcérée pour conduite en état d’ivresse.
En redéfinissant ainsi notre approche, nous parviendrons à atteindre notre objectif de 15 000 places, probablement d’ici 2028, sans solliciter de fonds supplémentaires auprès du ministère de l’économie et des finances. À cette fin, nous utiliserons le domaine pénitentiaire existant, évitant ainsi de dépendre des collectivités locales pour l’acquisition de terrains. Nous disposons de dix-sept sites appartenant au ministère de la justice où nous pourrons lancer les constructions en simplifiant considérablement les procédures. Par ailleurs, nous opterons pour des établissements à taille humaine. Au lieu de construire quatre ou cinq prisons de 400 à 500 places, nous construirons dix-sept centres pénitentiaires de 80 à 120 places selon les thématiques retenues.
Vous m’avez demandé, monsieur le rapporteur, comment le Parlement pouvait concourir à ce projet. Je suis ouvert à la proposition formulée par Laurent Wauquiez d’une loi spéciale, similaire à celles adoptées pour Notre-Dame de Paris ou Mayotte, bien qu’il me semble que le recours systématique à des lois d’exception souligne un problème plus général de normes dans notre pays. Je reste néanmoins disposé à collaborer avec le Parlement pour identifier des moyens d’accélérer globalement la construction de ces sites. Actuellement, certains projets de prisons, malgré un consensus général, se heurtent à des recours incessants ainsi qu’à des décisions administratives bloquantes.
Vous avez soulevé la question du numérique, qui est à l’évidence un sujet déterminant. Le ministère de la justice gère actuellement 250 applications numériques pour seulement 90 000 employés, un ratio disproportionné comparé au ministère de l’intérieur qui, avec 600 000 personnes, n’en utilise qu’une cinquantaine. Cette fragmentation reflète une gestion historiquement instable des crédits numériques. Cette année, nous maintenons ces crédits, malgré des conditions difficiles pour les magistrats et les greffiers.
Nous progressons significativement sur la procédure pénale numérique (PPN). D’ici fin 2025, l’ensemble des procédures pénales seront numérisées dans tous les tribunaux de France, une avancée notable déjà perceptible dans les juridictions. Cependant, des défis persistent dans le domaine civil, notamment avec le système Portalis et ses applications connexes. De manière générale, nos outils informatiques sont largement dépassés. Je pense en particulier à l’application de gestion des tutelles, qui est totalement obsolète.
Fort de mon expérience au ministère de l’intérieur, où j’ai supervisé des projets numériques majeurs tels que la dématérialisation des procédures d’identité et du permis de conduire, je sais qu’un suivi personnel et une gestion de projet rigoureuse sont essentiels. Nous devons également nous préparer à l’intégration de l’intelligence artificielle, un domaine dans lequel nous accusons un certain retard. Alors que certains cabinets d’avocats utilisent déjà l’IA pour contester des procédures, nos tribunaux peinent encore à disposer d’applications de base fonctionnelles. Nous devons donc mener de front ces deux révolutions technologiques. Je dirige personnellement les comités de pilotage numérique, et nous y consacrons des ressources considérables.
Concernant les frais de justice, j’ai adressé, ainsi que je l’ai mentionné, une circulaire aux magistrats et greffiers visant à améliorer leur gestion, notamment sur des aspects tels que le gardiennage des véhicules saisis. Il convient de trouver un équilibre entre la liberté des enquêteurs de choisir leurs techniques et la nécessité de maîtriser les coûts. Les chefs de juridiction doivent être conscients des contraintes budgétaires et évaluer la pertinence des dépenses. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à la Cour des comptes d’estimer le coût global d’un procès.
Il importe de souligner que plus de la moitié des frais de la justice, bien qu’imputés au budget du ministère de la justice, ne sont pas prescrits par ses agents. Ce sont souvent les services d’enquête de la police et de la gendarmerie qui demandent des analyses ADN ou des écoutes téléphoniques. Une collaboration étroite avec le ministère de l’intérieur est donc nécessaire. À cet égard, le rapport commandé à l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale de la justice devrait nous fournir des pistes d’amélioration qui nous permettront, je l’espère, de reprendre la maîtrise des frais de justice.
Dès mon arrivée au ministère, j’ai commandé un rapport sur l’efficacité des centres éducatifs fermés, qui révèle qu’environ 900 mineurs sont placés dans ces centres, alors que 122 000 sont poursuivis dans des affaires pénales. Bien que la comparaison puisse sembler simpliste, elle souligne le coût élevé de ce dispositif qui ne concerne qu’un nombre restreint de jeunes.
En outre, nous ignorons dans quelle mesure ces jeunes qui, souvent, passent de la détention aux centres éducatifs fermés, sont susceptibles de récidiver. À cet égard, le ministère de la justice souffre d’un manque flagrant de capacité d’évaluation de ses politiques publiques. Il n’est pas doté, contrairement à d’autres ministères, d’un service de statistiques indépendant, ni d’un comité scientifique universitaire permettant de valider ses travaux. Cette lacune nous empêche d’obtenir des données précises sur de nombreux aspects de notre action, comme le taux de reconnaissance de culpabilité dans les procès criminels ou la durée moyenne des procédures pénales. Néanmoins, nous savons que le taux de récidive à la sortie de l’administration pénitentiaire pour mineurs oscille entre 60 et 70 %.
Le rapport indique par ailleurs que la gestion des centres éducatifs fermés par le secteur associatif semble plus efficace que celle assurée directement par l’État, bien qu’il existe des contre-exemples dans les deux cas.
Compte tenu de ces éléments, je poursuivrai certes le plan de création de centres éducatifs fermés initié par mon prédécesseur, puisque des terrains ont déjà été acquis et du personnel recruté. Mais il est légitime de s’interroger sur l’allocation optimale de ces ressources pour accompagner ces mineurs en situation de dérive parfois extrêmement violente.
Nous explorons actuellement, en collaboration avec le ministère de l’éducation nationale, des alternatives comme le placement extérieur, qui semble une piste prometteuse, notamment dans des internats de lycées publics sous-exploités, ce qui permettrait de placer davantage de jeunes dans un cadre éducatif structuré. D’autres dispositifs pourraient être étendus, à l’image des Établissements pour l’insertion dans l’emploi (Epide) ou le régiment du service militaire adapté en outre-mer. Nous réfléchissons également à un encadrement combinant aspects militaires et éducatifs, en lien avec le service national universel.
Je reste ouvert à toute réflexion sur ce sujet et suis prêt à partager l’ensemble des rapports que nous avons commandés parce que, comme vous, nous nous interrogeons sur l’efficacité de ces politiques publiques.
M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie pour vos réponses détaillées, et je souhaite à présent aborder deux points essentiels.
Je salue d’abord le fait que le budget du ministère de la justice ait été relativement épargné par les restrictions budgétaires, avec une augmentation de 1,3 % en 2025, en tenant compte de l’inflation. Cependant, des baisses préoccupantes sont constatées dans certains domaines qui, peut-être, ne correspondent pas aux orientations de la politique menée, et qui induisent des disparités. Ainsi, les crédits de paiement du programme 166, Justice judiciaire, diminuent de 1,2 %, ceux de la protection judiciaire de la jeunesse de 1,8 %, et ceux du programme 310, Conduite et pilotage de la politique de justice, de 4,4 %.
Par ailleurs, et toujours en tenant compte de l’inflation, l’augmentation de 160 millions d’euros de crédits de paiement en 2025 ne compense pas entièrement les 330 millions d’euros annulés en février 2024. Ces annulations ont eu un impact significatif sur l’organisation de la justice, comme l’a souligné le rapporteur spécial. Par conséquent, l’exécution budgétaire s’est révélée légèrement inférieure à celle de 2023, avec des baisses notables pour la protection judiciaire de la jeunesse (- 3,3 %) et l’accès aux droits et à la justice (- 1,6 %).
Face à ces constats, je m’interroge sur la capacité à maintenir la trajectoire prévue par la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice. Le plan de recrutement de 10 000 agents sur cinq ans, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers, est-il toujours réalisable ? Je note que la loi de finances pour 2025 ne prévoit que 125 recrutements de magistrats et 145 de greffiers, ce qui est en deçà des objectifs fixés. De plus, malgré l’augmentation du plafond d’emplois, celui-ci reste sous-exécuté de 1 572 équivalents temps plein (ETP) en 2024.
Ma seconde question porte sur la politique carcérale et la surpopulation. La situation dans les prisons françaises est critique, avec un taux d’occupation atteignant 160 % dans les maisons d’arrêt. La France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, et la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté ne cesse d’alerter sur des conditions d’incarcération jugées inhumaines.
Je vous rappelle qu’à votre suggestion de rétablir les frais d’incarcération, l’un de vos prédécesseurs, M. Éric Dupond-Moretti, s’était demandé ce qu’on allait faire payer aux détenus : « Les rats ? Les matelas qui sont au sol ? ». Face à cette situation critique, quelles solutions concrètes proposez-vous pour réduire efficacement la surpopulation carcérale et améliorer les conditions de détention ?
La situation dans les prisons se répercute sur les conditions de travail du personnel pénitentiaire, déjà difficiles et aggravées par un manque d’effectifs récurrent. J’ai récemment constaté ce problème à la prison de Lannemezan, où il manquait vingt ETP, soit de manière structurelle, soit en raison d’absences non remplacées.
Face à cette situation, la seule mesure que vous proposez semble être l’ouverture de nouvelles prisons. En 2007, le président de la République avait annoncé la construction de 15 000 places. Depuis, près de 2,3 milliards d’euros de crédits de paiement ont été ouverts en loi de finances, dont 414 millions d’euros pour 2025. Plus de 6 000 places ont été créées. Pourtant, le taux d’occupation ne cesse d’augmenter. Il me semble dès lors impératif de remettre en question cette course effrénée à la construction de nouvelles places de prison.
Cette politique du tout-carcéral, qui s’intensifie avec la proposition de suppression de certains sursis et aménagements de peine, me paraît particulièrement problématique. Je tiens d’ailleurs à souligner que les aménagements de peine concernent souvent des peines légères, et que, vous le savez, les conditions les plus déplorables se rencontrent dans les maisons d’arrêt, plus encore que dans la plupart des établissements pour longues peines. La situation à la maison d’arrêt de Villepinte, par exemple, est absolument dramatique.
En outre, toutes les études le démontrent : en France, non seulement ces maisons d’arrêt sont criminogènes, mais elles engendrent également un taux de récidive élevé. L’Allemagne a opté pour une approche différente en transformant de manière quasi systématique les peines légères en liberté conditionnelle, ce qui a permis de libérer plus d’un lit sur cinq dans les établissements. La réinsertion y est favorisée, notamment par une obligation de travailler : 77 % des détenus ont une activité en Allemagne, contre environ 30 % en France. Le bilan allemand en termes de délinquance, de récidive et de réinsertion n’est pourtant pas, à ma connaissance, inférieur à celui de la France.
À moins de considérer que la population délinquante française présente des particularités justifiant un traitement différent, il est permis de s’interroger : ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu’il serait judicieux de s’inspirer de nos voisins sur cette question du tout-pénitentiaire ? Ne devrions-nous pas reconsidérer notre politique d’emprisonnement systématique, y compris pour des peines auparavant considérées comme légères et naturellement sujettes à des aménagements ou à des alternatives ? Je rappelle que le budget consacré aux aménagements de peines est dix fois inférieur à celui dédié à la construction de places de prison et à la sécurisation.
Enfin, je ne reviendrai pas sur les centres d’éducation fermés, dont l’efficacité, ainsi que l’a souligné le rapporteur spécial, n’est pas démontrée. Mais ne pensez-vous pas que d’autres types de placements devraient être privilégiés ? Tous ces éléments ne vous conduisent-ils pas à remettre en cause la politique menée en France ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je vous confirme, monsieur le président, que la LOPJ est exécutée à l’ETP près. Lors du débat parlementaire, comme vous le savez, il était prévu que les effectifs augmentent plutôt en fin de LOPJ qu’au début. Actuellement, la première promotion importante de l’ENM, recrutée il y a plus de deux ans, intègre les juridictions. La deuxième promotion est en cours de recrutement, et ce processus se poursuivra jusqu’en 2028, les crédits budgétaires pour le recrutement étant prévus en 2027, avec un délai nécessaire pour la formation. Par ailleurs, nous avons créé cent-cinquante postes de magistrats supplémentaires, dont cinquante juges pour enfants, qui n’étaient pas prévus. En d’autres termes, le ministère a atteint les objectifs fixés quant au nombre d’ETP de magistrats.
Si les engagements budgétaires relatifs à l’administration pénitentiaire sont tenus, en revanche les objectifs ne sont pas atteints en termes d’effectifs. La raison principale se rapporte au manque de candidats aux concours. À ceux de l’administration pénitentiaire étaient préférés les concours de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, offrant de meilleures perspectives en termes de rémunération. Depuis, sous l’impulsion de M. Éric Dupond-Moretti, la catégorie des agents pénitentiaires a été revalorisée, ce qui a rendu le métier plus attractif, et naturellement entraîné une augmentation des dépenses de personnel du ministère de la justice. Cette année, nous avons presque doublé le nombre de postes ouverts au concours, dans le but de recruter mille agents pénitentiaires, et ce sera le cas chaque année. Il ne s’agit donc pas d’un problème de crédits budgétaires gelés ou supprimés, mais plutôt d’une difficulté antérieure de recrutement que nous sommes en train de résoudre.
Concernant la PJJ, je rappelle qu’environ 500 millions d’euros de crédits avaient été annulés sous le mandat de M. Éric Dupond-Moretti. Depuis, ces crédits ont été presque entièrement rétablis, y compris pour les effectifs de la PJJ. Le ministère n’a donc pas connu de baisse de crédits ni d’effectifs, et a même augmenté son budget au-delà de l’inflation, ce qui n’est pas commun au regard de la situation d’autres ministères.
Toutefois, la PJJ connaît certaines difficultés relatives au recours croissant aux contractuels plutôt qu’aux agents titulaires, bien que nous ayons créé 87 ETP en 2024, légèrement en deçà de l’objectif fixé à 92 ETP. Il nous appartient, par conséquent, de rendre le métier d’agent de la protection de l’enfance et de la jeunesse plus attractif.
Quant au modèle carcéral, je ne partage pas entièrement votre critique, mais je vous concède volontiers que le modèle allemand est très intéressant, justement parce qu’il catégorise les détenus. En Allemagne, les prisons sont organisées selon la dangerosité des détenus et non selon leur statut judiciaire. Ce système décentralisé, géré par les Länder, comprend des établissements à taille humaine et des prisons de haute sécurité, avec une modulation des régimes de détention. Et leur taux d’occupation atteint, me semble-t-il, environ 80 %.
En France, nous constatons un déséquilibre flagrant entre, d’un côté, des maisons d’arrêt affichant des taux d’occupation allant de 110 % à plus de 200 %, particulièrement en outre-mer, et de l’autre, des centres de détention et prisons pour peine qui ne sont occupés qu’à 70 ou 80 %. Cette disparité s’explique par notre approche basée sur le statut judiciaire plutôt que sur la dangerosité des détenus.
Prenons l’exemple des places en semi-liberté : à l’exception de l’Île-de-France, qui présente des spécificités liées au marché du travail, nous disposons de 1 500 places occupées seulement à 70 %. Il est donc impératif non seulement de créer de nouvelles places, mais aussi d’optimiser l’utilisation de celles qui existent.
Le modèle allemand se distingue également par la simplicité de son système de peines. En France, on dénombre 235 peines possibles. En Allemagne, seules trois peines sont applicables : le jour-amende, allant de 1 à 300 000 euros par jour sur une période maximale de 365 jours, le non-paiement de cette amende entraînant une incarcération à raison d’un jour de prison pour deux jours d’amende non payés ; la peine de probation, gérée directement par l’administration pénitentiaire et les services de réinsertion, sans l’intervention d’un juge d’application des peines ; et enfin l’emprisonnement ferme.
Les taux de récidive sont relativement homogènes dans les pays européens, variant entre 60 et 70 %. Notre modèle actuel, où le taux de récidive s’élève à 70 %, n’est à l’évidence pas satisfaisant. La surpopulation carcérale contribue indéniablement à ce problème, affectant non seulement la dignité des détenus, mais aussi la sécurité du personnel pénitentiaire.
Je l’affirme à nouveau, je suis favorable à la réintroduction de la participation financière des détenus. En excluant les indigents, qui représentent environ 30 % de la population carcérale, et en ne considérant que les prisonniers définitivement condamnés, cette mesure pourrait rapporter entre 10 et 12 millions d’euros. Il est légitime de demander une contribution, même modeste, aux détenus ayant les moyens financiers de la payer, comme certains narcotrafiquants ou certains escrocs condamnés la suite de poursuites engagées par le parquet national financier. Je rappelle que la participation financière des détenus, au moins symbolique, existait jusqu’en 2003, et que le gouvernement Jospin n’y avait trouvé rien à redire. Cette pratique existe d’ailleurs dans plusieurs pays européens et ne me semble pas inhumaine.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux questions du rapporteur général.
M. Charles de Courson, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur trois aspects de la gestion de votre ministère.
Ma première question porte sur la gestion immobilière, particulièrement celle des prisons. Nous sommes confrontés à une surpopulation carcérale d’environ 30 %, avec 62 000 places opérationnelles pour plus de 80 000 détenus. Cette situation perdure malgré les nombreuses mesures prises pour limiter les incarcérations. 656 millions d’euros de crédits d’investissement, principalement destinés aux projets immobiliers, ont été annulés fin 2024. Comment expliquez-vous que nous n’arrivions pas à consommer efficacement les crédits votés pour accélérer l’augmentation de la capacité carcérale ? Sur l’objectif de 15 000 nouvelles places, nous en sommes à peine à 6 000.
Ensuite, nous constatons en matière de gestion du personnel des sous-effectifs importants dans diverses catégories. Ce problème ne semble pas relever d’un problème budgétaire, mais plutôt lié à des difficultés de recrutement et d’affectation. Pouvez-vous nous éclairer sur les raisons de ces sous-effectifs persistants ?
Enfin, je m’interroge sur la gestion informatique du ministère, en particulier depuis qu’une visite au tribunal de Chalon-sur-Saône m’a permis de constater la vétusté des systèmes informatiques, un problème souligné par le président du tribunal lui-même. Comment expliquez-vous cet état de fait ? Existe-t-il un plan concret de modernisation informatique, et disposez-vous des spécialistes nécessaires pour mener à bien cette évolution cruciale des moyens informatiques dans les juridictions ?
M. Gérald Darmanin, ministre. La problématique relative à la non-consommation des crédits alloués à l’immobilier n’est pas nouvelle. Lorsque j’étais ministre de l’action et des comptes publics, j’ai annulé chaque année 200 millions d’euros de crédits alloués par le Parlement au ministère de la justice, qui ne parvenait pas à les dépenser. Cette situation, en réalité, perdure depuis près d’une décennie.
Notre défi majeur réside dans notre approche standardisée de la construction carcérale en France. Nous concevons invariablement des établissements surdimensionnés, véritables mastodontes dont l’édification s’étale sur sept ans, dans l’hypothèse optimale où nous disposons des terrains et ne rencontrons aucun recours. Le coût par place s’élève à 400 000 euros, sans compter les difficultés considérables d’acceptation locale.
Permettez-moi d’apporter une précision concernant le plan de 15 000 places de prison. En réalité, nous avons créé 5 000 places nettes. Bien que 8 500 places aient été construites, nous avons simultanément supprimé 3 500 places jugées indignes et procédé à la fermeture de certains établissements obsolètes. Actuellement, 5 000 places sont opérationnelles, 5 000 autres sont en cours de construction, et les 5 000 restantes, initialement non prévues, font l’objet d’une approche novatrice que j’ai commencée.
Cette révolution immobilière se concrétise par le lancement d’appels d’offres pour la construction de prisons modulaires. Il ne s’agit pas de structures précaires de type Algeco, mais d’unités en béton fabriquées en usine. Cette méthode présente l’avantage de s’affranchir des aléas météorologiques, principale cause de retard dans la construction carcérale française. Ces établissements, conçus à taille humaine, évitent les dispositifs de sécurité superflus tels que les miradors, inadaptés pour certaines catégories de détenus.
La construction de ces prisons modulaires est prévue sur dix-sept sites appartenant à l’administration pénitentiaire, contournant ainsi l’épineux problème de l’acquisition de terrains. Cette stratégie nous permettra de créer les 5 000 places manquantes d’ici fin 2027. Les appels d’offres sont en cours, et je suis en mesure d’annoncer l’ouverture de la première unité, une structure de 80 places à Troyes, dès octobre 2026. Cette approche nous permet de réduire par trois le temps de construction habituel, s’alignant ainsi sur les pratiques efficaces d’autres pays européens, notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni.
J’admets que notre ministère a longtemps privilégié des projets pharaoniques, oscillant entre 400 et 600 millions d’euros par établissement, au détriment de l’efficacité et de la rapidité de construction. Cette approche doit évoluer.
Concernant les effectifs, nous sommes confrontés à un double défi. D’une part, nous peinons à recruter malgré les budgets alloués, notamment dans l’administration pénitentiaire. D’autre part, s’agissant des magistrats, nous nous heurtons à une contrainte statutaire. Contrairement aux forces de l’ordre ou aux militaires, les magistrats ne peuvent être affectés d’office, le pouvoir de nomination étant en quelque sorte partagé entre le ministère et le Conseil supérieur de la magistrature. Cette situation engendre des disparités territoriales criantes, comme l’illustre l’exemple de Cayenne, où les postes de procureur de la République et de président de tribunal sont restés vacants pendant huit mois, malgré les propositions de mon prédécesseur.
Cette problématique soulève la question fondamentale du statut de la fonction publique et de notre capacité à répondre aux besoins du service public en contraignant, si nécessaire, les agents à accepter certaines affectations. Cette réflexion s’étend au-delà de la justice, touchant également d’autres secteurs comme la santé en outre-mer.
Pour pallier ces difficultés, nous avons mis en place des incitations financières, notamment en Seine-Saint-Denis, avec un succès relatif. Nous recourons également à des brigades mobiles de magistrats, bien que cette solution manque de continuité. Il importe de comprendre que ces sous-effectifs ne résultent pas d’un manque de moyens budgétaires, mais de contraintes liées aux ressources humaines et au statut des agents.
Enfin, je partage pleinement votre constat sur le retard considérable que le ministère a pris en matière de transformation numérique. La prolifération d’outils résulte d’un manque de coordination et d’une tendance à l’autonomie excessive. À titre d’exemple, la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation développent chacune leur propre logiciel d’intelligence artificielle. Cette fragmentation nuit à l’efficacité globale de notre système judiciaire et nécessite une refonte en profondeur de notre approche numérique.
Il ne s’agit pas simplement de numériser les documents imprimés, il s’agit bien plutôt de repenser entièrement le processus et de créer une nouvelle architecture numérique depuis la base. C’est l’approche que nous avons adoptée pour le prélèvement à la source, avec, je crois pouvoir l’affirmer avec le recul, un certain succès. Nous avons appliqué la même méthode pour la plainte numérique, qui fonctionne très efficacement.
Le ministère de la justice a, me semble-t-il, commis l’erreur de ne pas maintenir des crédits constants tout au long de l’année. Vous constaterez que, depuis onze ans, tous les crédits du numérique ont été annulés en cours de gestion, au moins pour un tiers, souvent pour deux tiers. Ce n’est pas le cas cette année : si vous examinez les annulations de crédits effectuées par le premier ministre, vous verrez que notre ministère n’a pas été affecté, en particulier concernant le numérique, ce qui est plutôt rassurant. Cela nous permettra de déployer l’application pour la PPN d’ici la fin de l’année, et le système Portalis, dédié aux procédures civiles numériques, fin 2026.
Le deuxième enjeu concerne la direction des projets numériques, qui est effectivement un métier à part entière. Lorsque j’ai lancé le prélèvement à la source, notre première action a été de confier l’ingénierie informatique à des professionnels du domaine, en collaboration avec des experts fiscaux. Cependant, ce n’est pas l’expert fiscal qui pilotait le projet informatique. C’est l’une des difficultés de notre ministère, que l’on retrouve également à la police nationale. D’ailleurs, la police nationale a récemment ouvert quatre postes de polytechniciens pour devenir commissaires, une pratique que les gendarmes appliquaient déjà avec succès. Pourquoi les gendarmes sont-ils plus efficaces sur le plan numérique ? Parce qu’ils intègrent des ingénieurs au sein de la gendarmerie nationale. Nous devons comprendre que les magistrats ne peuvent pas tout gérer : la justice, l’immobilier, le numérique. Nous avons besoin d’expertise externe. Ce n’est pas encore le cas, mais nous y travaillons.
Le troisième et dernier point, que vous avez raison de soulever, est la nécessité de rationaliser nos outils informatiques, ce que nous n’avons absolument pas fait jusqu’à présent. C’est d’autant plus préoccupant que l’intelligence artificielle et la révolution numérique touchent déjà les cabinets d’avocats, alors que nous sommes en retard. Nous devons donc mener de front la révolution de l’IA tout en répondant aux besoins immédiats, ce qui est extrêmement complexe dans un ministère. Cette difficulté est accentuée par le fait que certains considèrent l’organisation interne comme partie intégrante de l’indépendance judiciaire.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Anthony Boulogne (RN). L’aide juridictionnelle, qui permet la prise en charge par l’État des frais liés à une procédure judiciaire nécessitant la présence d’un avocat, assure la rétribution des avocats pour les personnes aux revenus modestes. Sans remettre en cause son principe, il convient d’interroger la bonne allocation de l’argent public, puisque son coût ne cesse d’augmenter pour les finances publiques.
Dans un rapport d’octobre 2023, la Cour des comptes a mis en lumière la croissance exponentielle des dépenses d’aide juridictionnelle. Elles sont passées de 342 millions d’euros en 2017 à 630 millions d’euros en 2022. Pour 2024, les documents budgétaires prévoient 657 millions d’euros. Cette hausse s’explique par plusieurs facteurs, dont l’extension du périmètre couvert et la modification des critères d’éligibilité, notamment en faveur de tous les étrangers résidant en France.
À ce titre, la décision du 28 mai 2024 du Conseil constitutionnel mérite d’être commentée. Saisi de trois questions prioritaires de constitutionnalité par la Cour de cassation, le Conseil, invoquant le principe d’égalité devant la justice, a censuré les dispositions législatives qui excluaient les personnes en situation irrégulière du bénéfice de l’aide juridictionnelle.
La Cour des comptes a également souligné dans son rapport que le ministère de la justice ne s’est pas doté d’indicateurs fiables et pertinents lui permettant de piloter efficacement les dépenses de ce dispositif. Il est donc fort probable que l’extension de l’aide juridictionnelle aux personnes en situation irrégulière engendrera des coûts supplémentaires.
Monsieur le ministre, ma question est simple : disposez-vous d’une estimation du coût supplémentaire engendré par cette extension de l’aide juridictionnelle aux étrangers en situation irrégulière ? Votre ministère a-t-il anticipé les conséquences financières de cette décision ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je tiens tout d’abord à souligner mon profond attachement à l’aide juridictionnelle, qui est la condition sine qua non de l’accès au droit et à la justice pour tous. Cela me permet également de saluer le travail remarquable accompli par les avocats, quels que soient les circonstances et le statut des personnes qu’ils défendent.
Je ne partage pas votre analyse quant à une prétendue explosion des coûts de l’aide juridictionnelle. En examinant les crédits votés par le Parlement lors des lois de règlement et des lois de finances, on ne constate pas de différence significative. En 2023, ces coûts s’élevaient à 638 millions d’euros ; en 2024, ils sont passés à 657 millions ; et pour 2025, nous prévoyons 700 millions d’euros. Vous avez d’ailleurs pu constater que les seules suppressions de crédits ont concerné l’aide juridictionnelle, ce qui indique que nous avions sans doute été trop prudents dans nos estimations. Nous verrons bien l’exécution finale, mais l’augmentation se limite à quelques millions d’euros.
Le nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle entre 2023 et 2024 est remarquablement stable, oscillant entre 1,1 et 1,2 million sur ces deux années. Même concernant les unités de valeur, on ne peut pas parler d’explosion. Cette situation était caractéristique du début du quinquennat précédent, mais ce n’est plus le cas ces trois dernières années, précisément grâce aux outils de pilotage mis en place par mes prédécesseurs à la suite des recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport.
Votre propos, monsieur Boulogne, soulève deux autres questions pertinentes. Premièrement, devons-nous continuer à augmenter l’aide juridictionnelle telle que nous la concevons aujourd’hui, en accordant davantage de moyens aux avocats ? Faut-il élever le nombre d’actes d’avocats rémunérés sur la base des unités de valeur ? Vous n’êtes pas sans savoir que les avocats réclament une revalorisation du montant de l’unité de valeur, car une partie d’entre eux dépend largement de l’aide juridictionnelle et accomplit un indispensable travail de soutien aux plus démunis dans leur accès à la justice.
Deuxièmement, comment affecter le produit du droit de timbre ? Il serait, à mon sens, inapproprié qu’il soit reversé au budget général de l’État comme votre groupe politique le proposait dans un amendement finalement supprimé en commission mixte paritaire. L’affecter plutôt aux unités de valeur permettrait d’améliorer la situation des victimes et d’augmenter les moyens des avocats.
Enfin, il convient de considérer attentivement les observations de la Cour des comptes. Une part importante de l’aide juridictionnelle accordée aux personnes en situation irrégulière concerne les procédures devant les juridictions administratives, qui ne relèvent pas du ministère de la Justice, mais des services du premier ministre.
M. David Amiel (EPR). Monsieur le ministre, vous avez obtenu une augmentation substantielle du budget du ministère de la justice dans un contexte économique difficile. Je retiens de votre présentation la volonté affichée d’optimiser l’utilisation de ces ressources supplémentaires, notamment dans le domaine de la construction de places de prison.
J’aimerais d’abord revenir sur le budget du numérique. Au-delà des relations entre le ministère de la justice et les justiciables, un important chantier interne au ministère est à conduire dans le but de réduire les tâches à faible valeur ajoutée. Il concerne les applicatifs, vous l’avez mentionné, mais aussi le matériel informatique, parfois insuffisant dans certains tribunaux. Ces investissements devraient contribuer à réaliser des économies budgétaires. Quelle est votre projection concernant le budget d’investissement en matière numérique et son impact en termes d’économies ?
Ensuite, je souhaite aborder l’indemnisation des victimes. En comparaison avec certains pays nordiques, le système français apparaît moins généreux et suscite parfois du ressentiment chez nos concitoyens. En effet, l’indemnisation dépend souvent davantage du statut de l’auteur, en particulier de sa solvabilité, que du préjudice subi par la victime. Cela contribue à une perte de confiance envers nos institutions. Le ministère envisage-t-il des pistes d’amélioration dans ce domaine ? Faut-il, par exemple, diversifier les sources de financement du fonds de garantie des victimes, éventuellement en instaurant un prélèvement sur les plus fortes indemnisations pour soutenir les victimes les plus modestes ? Ou encore, envisager une intermédiation, comme cela a été fait pour les pensions alimentaires ? Ces réflexions à moyen terme me semblent essentielles, car elles touchent à des préoccupations majeures de nos concitoyens.
M. Gérald Darmanin, ministre. En matière de transformation numérique du ministère, notre priorité actuelle est de sécuriser les 475 millions d’euros de crédits inscrits en loi de finances initiale pour le numérique jusqu’à la fin de l’année. Cela représenterait déjà un changement significatif par rapport aux années précédentes, où nous avons parfois subi des amputations d’un tiers, voire plus, de ces crédits en cours d’année. Ces lignes budgétaires, comme les crédits immobiliers, sont malheureusement faciles à annuler dans un ministère où la masse salariale est prépondérante.
Pour l’avenir, je ne demande pas nécessairement plus de moyens, mais plutôt la reconduction de ces 475 millions l’année prochaine, sans annulation en cours d’exercice. Cela nous permettrait de mener à bien les projets que j’ai évoqués, notamment le portail civil, la PPN et l’amélioration du matériel informatique. Une certaine déconcentration des décisions pourrait également être bénéfique. J’ai récemment échangé avec des directeurs de greffe qui m’expliquaient que les demandes de matériel informatique devaient parfois remonter à Paris, alors que leurs chefs de juridiction pourraient gérer ces achats localement avec les crédits disponibles.
Toutefois, l’enjeu principal reste l’amélioration de la relation avec l’usager. Actuellement, le justiciable manque cruellement d’informations sur l’avancement de ses procédures, qu’il s’agisse du traitement d’un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, du suivi d’une plainte, ou du paiement des amendes. Nous envisageons la mise en place d’un système permettant de suivre ces procédures, à l’instar des applications de suivi des lettres recommandées ou des dossiers fiscaux. L’objectif est de permettre à chacun de connaître l’état d’avancement de son dossier judiciaire, comme c’est déjà le cas pour la justice administrative avec le système Télérecours. Cela concerne aussi bien les procédures civiles que pénales.
Je partage votre analyse sur l’indemnisation des victimes. Le principe de l’intermédiation est intéressant, mais l’appliquer suppose que l’État se donne les moyens de recouvrer efficacement les sommes dues. Cela nous ramène à la question de la contribution des détenus condamnés à leurs frais d’incarcération. Il me semble parfaitement envisageable qu’une partie de cette contribution puisse être affectée au fonds de garantie des victimes.
Il est également indispensable d’améliorer le recouvrement des amendes et des dommages et intérêts. Nous devons reconnaître nos lacunes dans ce domaine, tant au ministère de la justice qu’au ministère chargé du budget et des comptes publics. Parfois, face à de petites sommes, y compris pour les victimes, nous hésitons à engager des procédures de recouvrement jugées trop coûteuses. Confier cette tâche à un commissaire de justice, ainsi que je l’ai suggéré, pourrait offrir une solution efficace. Le taux de recouvrement des amendes, qui s’élève actuellement à 40 %, laisse une marge d’amélioration considérable. Nous pourrions d’ailleurs envisager, comme pour les radars, qu’une partie de ces sommes soit affectée au fonds de garantie des victimes.
Enfin, il convient peut-être reconsidérer le coût du procès lui-même dans cette réflexion globale sur l’indemnisation des victimes et le financement de la justice. J’ai évoqué l’idée que des personnes condamnées disposant d’une importante surface financière puissent être amenées à rembourser les frais d’enquête et de procès, en plus des amendes et des peines de prison. Dans ce cadre, il me paraît envisageable qu’une partie de ces sommes soit allouée au budget des victimes.
Cependant, appréhender ces questions requiert de définir précisément le statut de victime. Je vous ai répondu en faisant référence aux victimes dans le cadre de procès judiciaires, mais la politique des victimes concerne également les victimes de calamités agricoles ou de catastrophes naturelles. Aussi, bien que je partage l’essentiel de votre propos, il me semble inopportun de mobiliser de manière indiscriminée le fonds d’aide aux victimes. En d’autres termes, je considère qu’il existe suffisamment de ressources financières pour répondre aux besoins sans prélever des fonds destinés à certaines victimes pour les redistribuer à d’autres.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). En 2023, l’Assemblée votait une loi de programmation budgétaire pour le ministère de la justice, mais le recours par le premier ministre à l’article 49.3 a réduit la trajectoire budgétaire prévue de 250 millions d’euros pour 2025. Cette réduction a été suivie d’une nouvelle amputation de 140 millions d’euros à la faveur d’un décret publié le 25 avril. Ainsi, 390 millions d’euros ont été retirés du budget initialement voté, et ce, sans consultation parlementaire. Comment envisagez-vous de compenser cette réduction budgétaire significative tout en assurant les recrutements prévus de magistrats, greffiers et assistants de justice ? Cette question est d’autant plus pressante que les services de la Chancellerie admettent que la trajectoire de la LOPJ est désormais compromise.
Je m’interroge sur la capacité du ministère à maintenir les recrutements promis aux différentes juridictions, au moment où vous confirmez, monsieur le ministre, la création d’une prison de haute sécurité de 500 places en Guyane, à Saint-Laurent-du-Maroni. Ce choix ravive le souvenir douloureux des bagnes coloniaux et a été très mal accueilli par la population guyanaise, qui n’a pas été consultée. Il semble donc qu’il n’y ait pas de budget pour la justice du quotidien, mais qu’il en reste toujours pour la politique du tout-carcéral.
Je souhaite également revenir sur votre proposition de faire contribuer financièrement les personnes détenues aux frais pénitentiaires. Je me demande, et l’Observatoire international des prisons se le demande aussi, quel tarif serait appliqué pour dormir sur un matelas au sol infesté de punaises de lit dans une cellule surpeuplée. Il est important de rappeler que la moitié des personnes détenues était sans emploi avant leur incarcération, qu’un tiers d’entre elles connaissait des problèmes de logement et que 8 % étaient sans domicile fixe. Cette précarité contribue souvent à leur incarcération et s’aggrave pendant la détention. En prison, de nombreux services sont payants : la télévision coûte 14 euros par mois, la location d’un réfrigérateur est facturée, l’accès à des produits frais est onéreux. En outre, seul un tiers des détenus a accès à une activité rémunérée, avec une rémunération comprise entre 25 % et 45 % du Smic. Dans ce contexte, maintenez-vous votre position sur la contribution financière des personnes détenues aux frais pénitentiaires ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Le président de la commission des finances l’a lui-même rappelé : le ministère de la justice a été relativement épargné par les restrictions budgétaires. Concernant les effectifs, nous respectons scrupuleusement les engagements budgétaires. Les difficultés de recrutement, notamment dans l’administration pénitentiaire, sont en voie de résolution. Les réductions budgétaires que vous mentionnez concernent principalement des dépenses que nous avons jugées non prioritaires, comme les 120 millions d’euros initialement prévus pour l’achat de tablettes numériques dans les cellules. Dans l’ensemble, nous restons très proches des objectifs fixés par la loi de finances, avec un écart de seulement quelques dizaines de millions d’euros sur un budget total de 13 milliards d’euros.
Je ne suis pas actuellement en mesure de vous apporter des réponses définitives sur les perspectives pour 2026, puisque nous attendons des précisions du premier ministre sur la nature exacte des restrictions en matière de création d’emplois. Il s’agira de déterminer s’il s’agit d’un gel des créations nettes ou d’un arrêt total des créations de postes, ce qui pourrait effectivement remettre en question notre programmation. Mais pour l’instant, nous poursuivons nos recrutements comme prévu, comme en témoigne la récente publication de l’arrêté concernant la prochaine promotion de l’ENM.
Votre interpellation sur la contribution des détenus aux frais d’incarcération me permet de clarifier ma position. Je le répète, il ne s’agit en aucun cas de faire payer les détenus en situation précaire ou en détention provisoire. Cette mesure viserait uniquement les personnes disposant de moyens financiers importants, souvent issus d’activités illégales, qui pourraient contribuer aux frais de leur incarcération. Je pense par exemple à ce détenu de la prison des Baumettes qui, condamné définitivement, jouit des rentes de ses activités de blanchiment d’argent et des 31 appartements qu’il possède à Dubaï : je considère que l’administration pourrait lui demander de contribuer un peu aux 128 euros par jour qu’il coûte à la nation. Je pense aussi à Mohamed Amra, ce criminel qui aurait proposé 2 millions d’euros à des policiers roumains lors de son arrestation, et qui pourrait, à mon sens, participer au financement de notre système pénitentiaire, voire contribuer à aider les familles des victimes de ses actes présumés.
M. le président Éric Coquerel. Mon appréciation sur le budget du ministère, monsieur le ministre, n’était pas aussi univoque que vous le laissez entendre. J’ai effectivement mentionné que les crédits pour 2025 augmentent de 1,3 % par rapport à 2024, ce qui est inférieur à l’inflation. Cependant, j’ai aussi rappelé que 330 millions d’euros de crédits ont été annulés en février 2024 par le précédent gouvernement, une réduction qui n’a pas été compensée.
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous avez effectivement apporté cette nuance. Toutefois, j’aimerais souligner que nous sommes très proches des objectifs budgétaires initiaux, à quelques dizaines de millions d’euros près. Il est vrai que certaines dépenses prévues n’ont pas été réalisées, notamment les 120 millions d’euros destinés à l’acquisition de tablettes numériques pour l’administration pénitentiaire, que j’ai décidé d’annuler au nom du principe de bonne gestion des deniers publics. Par ailleurs, concernant les crédits gelés, je rappelle que l’aide juridictionnelle avait été surestimée lors de l’élaboration du budget. J’ai donc accepté la proposition du premier ministre d’ajuster ces crédits en conséquence.
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Je tiens à attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la situation préoccupante de notre système judiciaire. Dans la majorité des tribunaux, les stocks d’affaires en attente sont considérables, entraînant des délais de traitement de deux à trois ans. Cette situation affecte des milliers de justiciables à travers la France, contraints d’attendre des mois, voire des années, pour que leur plainte soit examinée. Il est particulièrement alarmant de constater que dans la plupart des cas, notamment les cas de violences faites aux femmes, ces plaintes sont classées sans suite. Ce fléau touche chaque année 250 000 femmes, ce qui est inacceptable.
Vous avez récemment proposé aux magistrats et aux agents du ministère de la justice d’étendre la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, dite de plaider-coupable, aux affaires criminelles. Cette mesure viserait à désengorger les cours criminelles départementales, elles-mêmes généralisées il y a trois ans pour alléger la charge des cours d’assises. La mission en cours à la commission des lois sur ces cours criminelles départementales met en lumière plusieurs pistes d’évolution envisagées. Ces propositions semblent clairement motivées par une volonté de réduire les coûts de fonctionnement de ces juridictions : à l’introduction du plaider-coupable s’ajoutent la réduction du nombre de magistrats mobilisés de cinq à trois et la diminution de la durée des audiences pour une occupation moindre des locaux judiciaires.
Aujourd’hui, près de 85 % des affaires jugées dans les cours criminelles départementales concernent des viols et des violences sexistes et sexuelles. Par conséquent, toute modification du fonctionnement de ces cours affectera principalement des femmes victimes.
Au-delà des considérations budgétaires, l’introduction du plaider-coupable et le passage du jury populaire des assises aux magistrats professionnels des cours criminelles soulèvent des questions fondamentales sur la perception sociétale de ces crimes. Pouvons-nous raisonnablement envisager qu’un Dominique Pelicot puisse avoir recours au plaider-coupable ? Est-il concevable que les victimes de Joël Le Scouarnec voient leur affaire traitée dans un couloir, sans débat public, dans le cadre d’une procédure de plaider-coupable ?
Dans votre document budgétaire, vous affichez l’ambition de rendre une justice de qualité et plus rapide. Cependant, votre budget 2025 ne prévoit qu’une augmentation de 1,1 % des crédits de paiement, ce qui ne couvre même pas l’inflation. En janvier 2025, vous annonciez le recrutement de cent magistrats supplémentaires d’ici 2027 pour la justice des mineurs, ainsi que le doublement des effectifs pour lutter contre le narcotrafic. Dans ces conditions, comment pouvez-vous garantir que les femmes victimes ne deviendront pas la variable d’ajustement de votre politique ? Quels moyens spécifiques prévoyez-vous pour elles ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Permettez-moi de rectifier une inexactitude dans vos propos. Comme l’a souligné le président de la commission des finances, le budget de la justice connaît en réalité une augmentation de 1,2 % au-dessus de l’inflation. Il est donc erroné d’affirmer que cette hausse ne couvre pas l’inflation. Sur les sept dernières années, l’augmentation budgétaire a été quatre fois supérieure à l’inflation, ce qui témoigne d’un effort soutenu en faveur de la justice.
À l’image de l’introduction du code de la justice pénale des mineurs, qui a fait l’objet de fortes réticences lors de son introduction, les cours criminelles ont été dans un premier temps contestées. Elles sont désormais largement acceptées. Leur principal avantage réside dans la criminalisation effective de comportements criminels, notamment le viol qui, auparavant, étaient souvent correctionnalisés. La difficulté majeure de ces cours réside dans le respect du délai de jugement de six mois, imposé par le législateur puis confirmé par la Cour de cassation. Il convient de noter que ce sont plutôt les cours d’assises qui connaissent des délais d’audiencement extrêmement élevés. À Paris, certains procès d’assises ont lieu quatre, sept, voire dix ans après les faits. Le dossier le plus ancien en Île-de-France a dix-sept ans.
Nous avons effectivement traité en priorité les violences sexuelles, ce qui d’ailleurs explique en partie la surpopulation carcérale actuelle. En sept ans, la proportion de détenus condamnés pour violence sexuelle et viol est passée de 8 % à 18 %, soit plus qu’un doublement. Cette évolution est en grande partie due à l’efficacité des cours criminelles.
Concernant l’évaluation des cours criminelles, je laisse le Parlement mener son travail, mais je précise que je ne suis pas favorable à la réduction du nombre de magistrats de cinq à trois. Ce n’est absolument pas ce que nous envisageons. Nous attendrons les conclusions du rapport parlementaire pour envisager d’éventuelles simplifications.
Le plaider-coupable, déjà instauré dans d’autres domaines, a prouvé son efficacité. Cette procédure n’a pas vocation à s’infiltrer dans le fonctionnement des cours criminelles. Elle ne se déroule pas « dans un couloir », comme vous semblez le croire. Le magistrat conserve le pouvoir de refuser l’homologation proposée par le procureur, la victime et l’auteur présumé. Le juge décide, lors d’une audience publique, d’accepter ou non cet accord qui, encore une fois, ne saurait être mis en œuvre sans que toutes les parties – victime, avocats, procureur, magistrats – y consentent à l’unanimité. Dans les affaires médiatisées que vous mentionnez, si une seule victime s’opposait au plaider-coupable, un procès classique aurait lieu. De même, le procureur conserverait le pouvoir de refuser cette procédure s’il estimait que l’affaire revêt une importance sociétale particulière nécessitant un débat public.
Selon les estimations, entre 50 et 60 % des auteurs d’actes criminels reconnaissent leur culpabilité. Organiser de longs procès pour établir la culpabilité de personnes qui l’admettent déjà n’est pas toujours la meilleure manière d’utiliser des ressources judiciaires, surtout quand de nombreuses victimes attendent leur tour au tribunal.
La réflexion sur le plaider-coupable en matière criminelle est indépendante de l’évaluation des cours criminelles menée par l’Assemblée nationale. Elle pose la question de l’adoption d’une procédure déjà en vigueur dans la quasi-totalité des pays frontaliers de la France. L’Espagne, par exemple, pays particulièrement avancé dans la lutte contre les violences intrafamiliales, a adopté cette procédure.
Mme Justine Gruet (DR). Je tiens en premier lieu à exprimer ma reconnaissance envers les magistrats qui œuvrent pour que justice soit rendue, ainsi qu’envers les agents pénitentiaires pour leur rôle déterminant dans la gestion de nos prisons et l’accompagnement des détenus.
Concernant l’engagement des détenus dans le financement des lieux de détention, je souhaite savoir comment vous envisagez concrètement, monsieur le ministre, cette contribution financière ou matérielle, si par exemple vous l’envisagez sous forme de tâches ménagères, de jardinage ou de cuisine, une initiative que je juge pertinente.
Par ailleurs, l’investissement initialement prévu de 120 millions d’euros dans les tablettes numériques m’interpelle. Bien que j’aie pu constater leur utilité pour la simplification administrative dans la maison d’arrêt du Jura, cela soulève des interrogations quant aux priorités allouées à ce secteur, d’autant plus qu’une utilisation détournée de ces outils numériques peut remettre en question leur bien-fondé.
Face au manque de places en prison, nous sommes contraints de prioriser les incarcérations. Je propose donc que nous réfléchissions ensemble à des mesures alternatives plus efficaces pour les auteurs de violences et de dégradations matérielles. Ainsi, pourrions-nous instaurer une redevance financière pour réparer les dommages, par exemple ceux causés récemment à la suite de la victoire du PSG en Ligue des champions, ou, à défaut, l’imputer à leur responsable légal ? Des travaux d’intérêt général, déjà expérimentés dans certaines collectivités, pourraient également constituer une solution, et ce, dès le premier délit. Il est impératif que l’injustice change de camp, et que nous permettions une réinsertion portée par la volonté d’obtenir une deuxième chance, une réinsertion par le travail. Cela requiert du respect, de la volonté et du courage politique.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je partage votre préoccupation concernant les priorités de l’administration pénitentiaire. J’ai personnellement annulé les 120 millions d’euros de crédit destinés aux tablettes numériques en vertu d’un principe de bonne gestion des deniers publics, mais aussi parce que, tout en comprenant les motivations de l’administration pénitentiaire, je considère que le contact physique entre le détenu et l’agent pénitentiaire doit être maintenu pour les demandes et l’accès aux services. En outre, le risque de détournement de ces tablettes est réel. J’estime enfin que, dans un avenir proche, grâce à l’intelligence artificielle, nous disposerons d’autres moyens de communication avec les détenus.
En France, les condamnations sont sévères, mais souvent elles interviennent après plusieurs récidives, lorsque les personnes s’inscrivent déjà dans un parcours de délinquance. Lorsqu’elles entrent en prison, elles sont déjà récidivistes, et l’incarcération ne les aide pas à se réinsérer efficacement. Il convient par conséquent d’envisager une approche différente, condamner plus tôt, pas nécessairement à une peine de prison, mais à une sanction sûre, immédiate et rapide, comme le préconisait Beccaria, pour marquer l’autorité dès le premier fait.
Malheureusement, je ne suis pas certain que l’interprétation du code pénal par ceux qui l’appliquent corresponde à cette appréhension du problème. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai moi-même évolué sur la question des peines planchers, parce que ces peines, si elles sont sévères, ne sont prononcées qu’en cas de récidive, c’est-à-dire trop tard. Il me semble plus opportun d’encourager les peines minimales, qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement synonymes de peines de prison. Je suis également ouvert au débat sur le sujet des peines ultracourtes, bien que je ne sois pas totalement convaincu. Cela précisé, une peine minimale dès les premiers faits me semble plus appropriée, et c’est dans cette optique que j’ai proposé une révision de l’échelle des peines, conformément à l’orientation que j’ai donnée aux magistrats. Je pense que cette approche, madame Gruet, répondra à votre souci d’autorité.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Bien que le budget de la justice ait été relativement épargné lors du dernier exercice, l’annulation de 140 millions d’euros de crédits constitue une nouvelle préoccupante. La France accuse un retard structurel d’investissement dans le domaine de la justice depuis de nombreuses années, et malheureusement, cela nous éloigne encore de la moyenne européenne. Cette situation s’inscrit dans un contexte particulier où nos concitoyens, mais surtout certaines forces politiques, attendent beaucoup de la justice. Elles en attendent parfois même des miracles, en imaginant par exemple qu’il suffirait d’augmenter certaines peines pour résoudre tous les problèmes de la société, en particulier les situations de violence.
Je perçois cependant un risque et une forte contradiction dans ce que l’on pourrait considérer comme des postures relativement démagogiques. Prenons l’exemple de la jeunesse : l’actualité nous rappelle qu’il existe parfois de réelles difficultés, mais parallèlement, le camp gouvernemental propose de durcir la justice pour les mineurs tout en réduisant les moyens de la PJJ, laquelle peine déjà à atteindre ses objectifs de protection. À cet égard, la coupe budgétaire de 25 millions d’euros est particulièrement dommageable.
Une justice efficace ne requiert pas simplement un code pénal prévoyant de lourdes peines. Encore faut-il qu’elle dispose des moyens nécessaires pour faire exécuter ses décisions et accompagner à la fois les victimes et les auteurs d’infractions dans leur réinsertion. Lorsque l’on évoque les moyens, on désigne souvent les ressources humaines et matérielles nécessaires au fonctionnement de la justice, mais moins les investissements.
J’ai bien compris, monsieur le ministre, la stratégie que vous comptez mener pour atteindre les objectifs de construction de places de prison, en différenciant les types d’établissements selon les délits – je pourrais d’ailleurs adhérer à cette logique. Mais ma question porte plutôt sur les juridictions elles-mêmes. À Orléans, le palais de justice, qui accueille différentes juridictions, est saturé depuis des années. L’installation d’un centre de rétention administrative (CRA) il y a quelques années a entraîné une augmentation significative des affaires. Les effectifs sont en hausse, ce dont nous nous félicitons, mais les locaux sont devenus particulièrement exigus. Pouvez-vous nous informer des projets d’investissement concernant directement les locaux des juridictions, et non les centres pénitentiaires ? Les agents du tribunal d’Orléans peuvent-ils espérer de nouveaux locaux ou des agrandissements dans un avenir proche ?
M. Gérald Darmanin, ministre. En tant que ministre, je n’ignore pas les difficultés posées par les annulations de crédits. À l’évidence, tout ministre préfèrerait disposer de davantage de crédits. Après huit années d’expérience ministérielle, j’ai pleinement conscience que le personnel sous mon autorité attend de moi que je défende ardemment les crédits alloués à notre ministère.
Vous avez parfaitement raison de souligner que même si les annulations de crédits ont été relativement limitées pour le ministère de la justice par rapport à d’autres ministères, elles ont néanmoins des répercussions. Les quelques millions d’euros retirés, à la PJJ ou à d’autres services du ministère, engendrent effectivement des difficultés opérationnelles.
Cependant, il convient de replacer cette situation dans le contexte plus large des restrictions budgétaires décidées par le premier ministre, M. Bayrou, exacerbées par la censure du budget initialement préparé par son prédécesseur, M. Barnier. Dans ces circonstances, nous en convenons tous, le ministère de la justice s’en sort relativement bien. Partageant votre constat, je continuerai à me battre pour obtenir davantage de crédits pour notre ministère.
Je connais bien la situation du CRA d’Orléans, puisque j’ai participé à sa conception, à sa budgétisation et à son inauguration. Il est vrai que le parc immobilier judiciaire est vieillissant dans l’ensemble du pays, à quelques exceptions près. Actuellement, nous menons une quarantaine de projets immobiliers judiciaires, mais Orléans n’en fait pas partie à ma connaissance. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas de besoins ou de projets potentiels pour cette ville.
Je tiens à souligner une particularité du ministère de la justice : c’est le seul ministère, à ma connaissance, qui finance intégralement l’implantation de ses sites, alors même que ces structures contribuent significativement à l’activité économique locale. Cette situation contraste avec celle d’autres secteurs, où les collectivités locales participent souvent au financement de l’implantation d’entreprises ou d’autres services publics.
Monsieur Duplessy, je suis tout à fait disposé à engager un dialogue avec vous et les élus orléanais autour d’un éventuel projet immobilier judiciaire à Orléans. Si les collectivités locales peuvent contribuer, ne serait-ce qu’en mettant un terrain à disposition, cela faciliterait grandement la réalisation de tels projets. Cette approche collaborative a déjà porté ses fruits dans d’autres villes, comme Dieppe, où la municipalité participe à hauteur de 10 % à la construction du nouveau tribunal.
Mme Sophie Mette (Dem). Les questions que je m’apprête à vous poser, monsieur le ministre, portent sur des sujets chers à ma collègue Mme Perrine Goulet, notamment la protection des mineurs. Je tiens également à saluer votre action en faveur des mineurs depuis votre prise de fonction.
Premièrement, j’aimerais attirer votre attention sur le statut des administrateurs ad hoc, dont le rôle est central dans la représentation des intérêts des enfants lors des procédures judiciaires. Malgré l’élargissement constant de leur mission, notamment depuis le décret d’application de la loi relative à la protection de l’enfance, dite loi Taquet, paru le 2 octobre 2023, aucune évolution significative de leur statut ou des moyens alloués n’est encore envisagée. Comptez-vous lancer ou relancer une réflexion sur la reconnaissance légale du statut des administrateurs ad hoc et sur l’allocation de moyens adaptés à leurs responsabilités croissantes ?
Deuxièmement, bien que la loi garantisse sous certaines conditions le droit à un avocat en matière pénale comme en matière civile pour les mineurs, nous manquons de données précises sur le nombre d’enfants effectivement assistés par un avocat chaque année. Pouvez-vous indiquer le nombre d’enfants ayant bénéficié de l’assistance d’un avocat en 2024 et nous éclairer sur les conditions concrètes dans lesquelles ce droit est assuré aujourd’hui ?
Troisièmement, vous avez récemment exprimé votre volonté de renforcer les effectifs judiciaires dédiés aux mineurs en annonçant la création de cent postes de magistrats supplémentaires d’ici 2027, dont cinquante juges pour enfants dans un avenir proche. Pouvez-vous préciser le calendrier de ce renforcement ? Au-delà de la question des effectifs, quelle est votre vision concernant l’évolution des moyens matériels et juridiques mis à la disposition des juges pour enfants afin qu’ils puissent remplir pleinement leur mission ?
Quatrièmement, concernant la politique d’aide publique aux victimes, nous nous réjouissons de l’augmentation significative du budget en 2025. Au-delà de cette hausse budgétaire, quelles orientations précises votre ministère adopte-t-il pour faciliter l’accès des enfants victimes, notamment de violences conjugales ou sexuelles, aux dispositifs d’aide, en particulier pour les plus vulnérables ?
Enfin, deux ans après la signature de la convention nationale relative aux chiens d’assistance judiciaire, dont la présence contribue à apaiser les victimes lors des auditions ou des procès, quelle est votre position quant à la poursuite de leur déploiement dans l’ensemble des juridictions du territoire et à leur présence en salle d’audience, dans le respect des droits de la défense ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Permettez à mon tour, madame Mette, que je salue votre engagement, et celui de Mme Goulet sur la question cruciale de la justice des mineurs.
Je partage votre avis sur la nécessité de revoir le statut des administrateurs ad hoc et de renforcer leur accompagnement. Cela implique effectivement une réflexion sur leur rémunération.
Nous ne disposons malheureusement pas de statistiques précises relatives au nombre d’enfants accompagnés par un avocat. Cette lacune s’inscrit dans un constat plus large de manque d’indicateurs d’évaluation au sein du ministère, notamment en ce qui concerne les mineurs, qui ne sont pas couverts par les unités de valeur de l’aide juridictionnelle. L’affectation du droit de timbre, que j’ai évoquée précédemment, pourrait constituer un levier pour faciliter l’accès des enfants victimes à un avocat, indépendamment de leur condition sociale. Nous savons que cet accompagnement reste aujourd’hui insuffisant, particulièrement en province où les possibilités de représentation sont plus limitées, malgré l’engagement remarquable des barreaux.
J’ai pris la décision de créer cinquante postes supplémentaires de juges pour enfants. Cette mesure, combinée aux créations de postes commencées par mon prédécesseur, permettra de réduire la charge de travail moyenne d’environ 400 à 300 dossiers par juge. Bien que ce chiffre reste élevé, il représente une amélioration significative. L’affectation de ces nouveaux juges se fera progressivement sur les trois prochaines années, avec une concentration sur les deux premières années. Dès septembre, nous commencerons à déployer ces renforts, notamment dans les territoires les plus en difficulté, comme à Cambrai où un troisième cabinet de juge pour enfants sera créé.
J’ai adressé une circulaire aux procureurs de la République pour renforcer le contrôle des structures d’accueil pour les enfants placés. Nous sommes confrontés à plusieurs défis : le manque de moyens des juges, la difficulté de placer les enfants hors de leur milieu familial immédiat, et surtout le manque criant de structures d’accueil, qu’il s’agisse d’établissements collectifs ou de familles d’accueil. Actuellement, environ 3 000 enfants en France, dont 300 dans le seul département du Nord, font l’objet d’une décision de placement non exécutée. Cette situation est inacceptable et exige une réaction concertée de l’ensemble des pouvoirs publics.
Enfin, je ne dispose pas d’informations précises sur le dispositif de chiens d’assistance judiciaire, mais je m’engage à vous fournir une réponse dans les meilleurs délais.
M. Christophe Plassard (HOR). La mission Justice revêt une importance capitale dans le champ des finances publiques, non seulement par l’ampleur des moyens qu’elle mobilise, mais surtout parce que son efficacité conditionne le respect de nos principes fondamentaux.
L’attractivité des métiers pénitentiaires demeure un défi crucial. Malgré les efforts consentis en matière indemnitaire, que nous soutenons, de nombreux territoires continuent de faire face à des tensions de recrutement importantes. Le métier souffre encore d’un manque de reconnaissance et de perspectives, comme l’a souligné M. le rapporteur spécial. Dans ce contexte, quelles pistes le ministère envisage-t-il pour rendre ces carrières plus attractives, en particulier dans les bassins les plus en tension ?
Par ailleurs, la trajectoire du plan « 15 000 places de prison » constitue un marqueur politique fort, auquel nous sommes nombreux à être attachés. Ce plan vise à répondre à une réalité pénitentiaire objectivement critique. Cependant, les retards s’accumulent et dès la fin de l’année dernière, votre prédécesseur au ministère de la justice, M. Didier Migaud, avait reconnu que les délais ne seraient pas tenus, avec seulement 42 % des places prévues créées en 2027. Cette lucidité, que nous saluons, doit aujourd’hui se traduire par une actualisation claire et assumée du calendrier de mise en œuvre, afin de respecter les engagements pris devant les Français et inscrits dans la LOPJ. Une trajectoire révisée du plan a-t-elle été formalisée ? Comment le gouvernement entend-il sécuriser dans la durée les moyens budgétaires nécessaires ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous révisons actuellement notre approche du plan « 15 000 places de prison » afin d’accélérer la construction et de réduire les coûts. Notre objectif, je l’ai indiqué, consiste à construire trois fois plus vite et deux fois moins cher, en spécialisant des prisons existantes et en concevant des établissements à taille plus humaine, adaptés aux différents niveaux de sécurité requis. Nous prévoyons de tenir l’objectif du plan à l’horizon 2028-2029, avec une accélération significative dès l’année prochaine.
S’agissant de l’attractivité des métiers pénitentiaires, la revalorisation de la catégorie des agents pénitentiaires au 1er janvier 2024, passant en catégorie B, devrait contribuer à améliorer la situation. Cette mesure se traduit déjà par un intérêt accru pour les concours de recrutement. En outre, 40 % des agents passeront au deuxième ou troisième grade cette année, entraînant une augmentation de rémunération. Il est à noter que nous sommes le seul ministère à avoir bénéficié d’une dérogation à la circulaire de gel des mesures catégorielles dans la fonction publique, ce qui témoigne de l’importance accordée à ce sujet.
Ces avancées, qui incluent également les magistrats et les greffiers, s’inscrivent dans la continuité des négociations entamées par mon prédécesseur. Nous nous efforçons ainsi de répondre aux enjeux d’attractivité et de reconnaissance des métiers de la justice, essentiels au bon fonctionnement de notre système judiciaire.
De manière générale, il convient de faire connaître les métiers de l’administration pénitentiaire. Cette troisième force de sécurité de notre pays est insuffisamment valorisée et mise en avant, malgré une forte mobilité en son sein. Le recrutement est très concentré, avec plus de 40 % des agents pénitentiaires originaires d’outre-mer, dont une grande partie de Polynésie française, et 20 % des départements du Nord et du Pas-de-Calais. L’outre-mer et ces deux départements constituent ainsi deux grands viviers d’agents des services publics, incluant militaires, policiers, gendarmes et agents pénitentiaires.
Il appartient à l’administration pénitentiaire d’améliorer sa communication, à l’instar de la gendarmerie, pour faire connaître dans d’autres territoires ses métiers, et les perspectives qu’elle offre en matière de mobilité et d’avancement au mérite, avec la création d’une inspection spécifique pour lutter contre les menaces et la corruption. Je rappelle également que l’anonymisation des procédures, votée lors de l’adoption en avril de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, s’applique à tous les agents de l’administration pénitentiaire et concourt à leur protection.
Enfin, la mise en place d’une police pénitentiaire est essentielle. Elle permettra de professionnaliser davantage le secteur et d’offrir aux agents la possibilité d’évoluer entre les services d’insertion et de probation, l’administration pénitentiaire classique et la police pénitentiaire. Il s’agit donc d’une question d’attractivité du métier que nous devons valoriser, maintenant que la rémunération, sans être excessive, a atteint un niveau comparable à celui des policiers et des gendarmes.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Une question m’est venue en vous écoutant, monsieur le ministre, concernant le faible taux de recouvrement du produit des amendes pénales. Vous avez mentionné un taux de 40 % de recouvrement, mais j’ignore ce que cela représente en volume financier. De quelle manière pourrions-nous améliorer ce taux ? Ces recettes supplémentaires pourraient-elles bénéficier directement à votre ministère, peut-être sous forme de primes au recouvrement ? Le rapporteur général m’a également informé que le taux de recouvrement varie considérablement d’un département à l’autre. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Le montant des amendes prononcées par les tribunaux atteint environ 200 millions d’euros. Cependant, ce chiffre fluctue en fonction des méga-procès et ne prend pas en compte les transactions effectuées par Bercy ou les transactions pénales réalisées en dehors des procès. De plus, il n’inclut pas les amendes forfaitaires délictuelles, principalement liées à la sécurité routière, ainsi qu’à la lutte contre le trafic de drogue et d’autres infractions.
Le fait que nous ne disposions pas de chiffres précis révèle effectivement un défaut dans notre système d’évaluation. Actuellement, nous recouvrons 40 % de ces 200 millions d’euros, sans compter les saisies et confiscations. Il est évident que nous pourrions améliorer ce taux. Plusieurs pistes sont envisageables pour y parvenir. Premièrement, nous devons résoudre le problème organisationnel au sein du ministère de la justice, notamment en ce qui concerne le décalage entre les horaires des audiences et ceux des bureaux d’exécution des peines. De nombreuses personnes sont disposées à payer leurs amendes immédiatement après l’audience, mais ne peuvent le faire en raison de cette inadéquation horaire. Il est donc impératif d’adapter les horaires des BEX à ceux des tribunaux, ou d’envisager des audiences nocturnes, ce qui serait bénéfique pour tous et pour une justice plus efficace.
Deuxièmement, je propose de confier le recouvrement de ces amendes aux commissaires de justice, avec un pourcentage d’intéressement plafonné, ce qui pourrait rendre cette mission plus attractive pour leur profession.
Troisièmement, nous devons travailler en étroite collaboration avec la DGFIP. Actuellement, nous sommes confrontés à une incompatibilité entre les systèmes numériques de la DGFIP et ceux de la justice, ce qui entrave l’échange d’informations sur les amendes. Cette situation est absurde et témoigne du retard numérique du ministère de la justice. De plus, les agents des finances publiques, bien que très consciencieux, considèrent parfois que certaines amendes ne valent pas la peine d’être recouvrées, ce qui est frustrant. Nous devons donc repenser notre approche, en considérant que l’enjeu du recouvrement des amendes n’est pas seulement financier, mais aussi symbolique.
Par ailleurs, des amendes peuvent paraître dérisoires au regard de la fortune de certains condamnés. Dans ces cas, la saisie et la confiscation des biens, y compris ceux potentiellement mal acquis, pourraient s’avérer plus efficaces. Nous devons donc travailler à la fois sur l’amélioration du recouvrement des amendes pénales et sur le renforcement des procédures de saisie et de confiscation.
Je tiens à rappeler que la loi Warsmann nous permet de saisir et de confisquer des biens avant même la déclaration de culpabilité d’un individu. Si la personne est finalement innocentée, nous remboursons la valeur du bien saisi. Malheureusement, cette procédure reste sous-utilisée ou limitée à des cas très spécifiques. Nous avons récemment procédé à la vente d’un bateau dans le sud de la France, mais ces actions relèvent davantage du symbole que d’une politique généralisée.
En conclusion, nous avons un important potentiel d’amélioration, que ce soit dans l’organisation de notre système judiciaire, dans le prononcé des amendes, dans les procédures de saisie et de confiscation, ou dans le recouvrement des recettes. Ces améliorations bénéficieraient directement au ministère de la justice et à l’efficacité de notre système judiciaire dans son ensemble.
M. le président Éric Coquerel. Je souscris à vos propos relatifs aux condamnés fortunés : cette approche semble plus pertinente que de faire payer quelques euros à des délinquants très fortunés pour leur séjour en prison.
Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier d’avoir pris cette audition très au sérieux. Vous avez répondu à toutes les questions sans détour. Bien que je ne partage pas toutes les vues exprimées à travers vos réponses, je tiens à vous en féliciter, ainsi que vos conseillers.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 3 juin 2025 à 21 heures
Présents. - M. David Amiel, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Emmanuel Fouquart, Mme Sophie Mette, M. Christophe Plassard
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Mathieu Lefèvre, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Emmanuel Tjibaou
Assistaient également à la réunion. - Mme Gabrielle Cathala, M. Emmanuel Duplessy, Mme Justine Gruet, Mme Céline Thiébault-Martinez