Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Examen du rapport d’information relatif aux dysfonctionnements dans la gestion des impôts locaux et leurs conséquences de Mme Christine Pires Beaune et M. David Amiel, rapporteurs              2

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur le financement de l’agriculture biologique de M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial de la mission Agriculture, alimentation forêt et affaires rurales              20

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur la politique de la ville et ses financements de M. David Guiraud, rapporteur spécial de la mission Cohésion des territoires : politique des territoires              34

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur l’évaluation du bilan et des perspectives de recettes des IFER dites « mobile » et « fixe » de M. Jacques Oberti, rapporteur spécial de la mission Économie : Développement des entreprises et régulations              50

  Présence en réunion................................56


Mercredi
18 juin 2025

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 129

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Philippe Brun,

Vice-Président

 

 


  1 

La commission examine le rapport d’information relatif aux dysfonctionnements dans la gestion des impôts locaux et leurs conséquences de Mme Christine Pirès Beaune et M. David Amiel, rapporteurs

M. Philippe Brun, président. Notre ordre du jour appelle la présentation du rapport d’information sur les dysfonctionnements dans la gestion des impôts locaux et leurs conséquences. Cette mission d’information créée sous la précédente législature, menée par M. Robin Reda et Mme Christine Pirès Beaune, a vu ses travaux interrompus par la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, alors que le rapport était sur le point d’être présenté en commission.

Conformément à la décision de notre bureau, Mme Pirès Beaune a été reconduite au titre de rapporteure de cette mission et M. David Amiel désigné comme nouveau rapporteur. Compte tenu du temps écoulé et des travaux présentés entre-temps par la Cour des comptes sur ces questions, les rapporteurs ont conduit des investigations complémentaires. Nous allons donc entendre les conclusions de ce travail effectué en deux temps.

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Permettez-moi d’abord de saluer la contribution significative de notre ancien collègue, M. Robin Reda, à ces travaux. Ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le président, nous étions effectivement sur le point de présenter ce rapport à la commission lorsque la dissolution est intervenue. Ce rapport devait alors constituer un premier point d’étape concernant plusieurs évolutions majeures dans la gestion des impôts locaux. Un an plus tard, ce point d’étape s’est transformé en un premier bilan qui, au-delà des dysfonctionnements parfois très importants constatés, permet également d’évaluer les mesures mises en œuvre par la direction générale des finances publiques (DGFiP) afin d’y remédier.

Quatre grands sujets ont été traités dans le cadre de cette mission d’information et constituent les quatre parties du rapport. Ils ont pour dénominateur commun l’évaluation des dysfonctionnements relatifs à des sujets de finances locales gérées par la DGFiP, ainsi que leurs conséquences pour les contribuables, les agents et les collectivités territoriales.

Le premier point porte sur l’évolution des erreurs d’attribution de taxes foncières, résultant des retards des services en charge de la publicité foncière, services déconcentrés de la DGFiP.

Le deuxième point traite des graves dysfonctionnements de la campagne déclarative 2023 des taxes d’habitation sur le nouvel outil informatique « Gérer mes biens immobiliers » (GMBI), ainsi que des mesures prises par la DGFiP à la suite de ce lancement défaillant et l’amélioration sensible de la campagne déclarative 2024.

Le troisième point aborde la mise en place du dispositif « Foncier innovant », nouvel outil fondé sur l’intelligence artificielle dont s’est dotée la DGFiP pour détecter les constructions imposables non ou incorrectement déclarées.

Le dernier point concerne un sujet dont l’actualité est particulièrement préoccupante : le transfert de la liquidation des taxes d’urbanisme du ministère de la transition écologique vers la DGFiP. Comme je l’exposerai ultérieurement, cette question présente un risque significatif pour les finances des collectivités territoriales bénéficiaires de taxes d’urbanisme, notamment un risque de trésorerie. Cette menace est déjà une réalité pour les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), financés à 80 % par une portion de la part départementale de la taxe d’aménagement, dont certains ont déjà été contraints de procéder à des licenciements.

M. David Amiel, rapporteur. L’essentiel des investigations menées en vue de ce rapport sont aussi dues à mon prédécesseur, M. Robin Reda. Aussi notre travail a consisté ces dernières semaines en une actualisation à la lumière de la publication des travaux de la Cour des comptes et des nouvelles campagnes de prélèvement.

Le premier sujet abordé dans notre rapport requiert une définition précise de ce que l’on désigne par les erreurs d’attribution de taxes foncières. Il s’agit de l’envoi erroné d’un avis d’imposition à un mauvais propriétaire, généralement l’ancien propriétaire d’un bien lorsqu’une mutation n’a pas été publiée dans un délai suffisamment court par les services de publicité foncière.

Après un recours formulé par la personne ayant reçu à tort l’avis de taxe foncière, l’administration fiscale résout habituellement l’erreur d’attribution en dégrevant le contribuable incorrectement assujetti et en émettant un nouvel avis de taxe foncière pour le véritable propriétaire qui aurait dû l’acquitter. Ces dégrèvements consécutifs aux erreurs d’attribution de taxe foncière se sont élevés à plus de 500 millions d’euros par an en moyenne entre 2017 et 2022, et ont concerné 444 000 contribuables.

Ces dysfonctionnements sont généralement neutres pour les finances publiques à terme, dans la mesure où les montants dégrevés sont récupérés via les produits des rôles supplémentaires émis à l’encontre des véritables contribuables. En revanche, ce jeu de trésorerie entre l’État et le contribuable est particulièrement délétère pour la confiance de nos concitoyens envers les services fiscaux et plus largement envers l’État. Cette situation génère également un nombre considérable d’opérations pour les services fiscaux, alourdissant davantage la gestion déjà complexe des taxes foncières, comme le soulignait la Cour des comptes dans son rapport de 2023.

Le niveau élevé des dégrèvements observés depuis les années 2010 résulte directement des retards accumulés par les services en charge de la publicité foncière dans la mise à jour du fichier immobilier, particulièrement pour l’enregistrement des changements de propriétaire. Le délai moyen d’actualisation de ce répertoire est passé d’une cinquantaine de jours à une centaine entre le début des années 2010 et 2020. La crise sanitaire a porté ce délai à un pic d’environ cent cinquante jours, et jusqu’au début de l’année 2023, il dépassait encore la centaine de jours. Cette dégradation ne résulte donc pas uniquement de la pandémie. Elle avait débuté antérieurement et s’est poursuivie après, bien que la situation se soit nettement améliorée depuis, retrouvant désormais le niveau de 2012.

Comment expliquer cet allongement des délais sur cette période ? Plusieurs facteurs se conjuguent. Nous avons constaté une réduction des effectifs dans les services de publicité foncière d’environ 9 % entre 2017 et 2022, quoique moindre que celle subie par la DGFiP dans son ensemble. La réorganisation des services de publicité foncière (SPF) a également joué un rôle, leur nombre passant de 354 en 2018 à 122 actuellement. Cette restructuration a permis d’augmenter leur taille moyenne, mais a vraisemblablement contribué à l’allongement des délais, un allongement qui s’avère temporaire puisque, une fois cette phase de transition achevée, les délais retrouvent leur niveau antérieur en dépit du regroupement des SPF et la diminution de leurs effectifs.

Parallèlement à cette réorganisation, nous observons une amélioration significative des relations avec les notaires, soutenue par un effort de dématérialisation ayant accéléré la mise à jour du fichier immobilier. À la fin de l’année 2023, nous avons retrouvé le délai de publication foncière de 2012, soit une cinquantaine de jours. Les données préliminaires de 2024 indiquent même une réduction à vingt-cinq jours, témoignant d’une amélioration considérable de la rapidité de publication après quelques années de dégradation.

Cette évolution nous rend relativement optimistes quant à la réduction des dégrèvements futurs, bien que notre rapport ne puisse encore le confirmer faute de données complètes. Nous observons néanmoins qu’en 2024, le montant est déjà descendu à 230 millions d’euros contre 500 millions auparavant. Nos recommandations appellent donc essentiellement à poursuivre ces efforts, à améliorer l’attractivité des SPF, à stabiliser leur organisation et à intensifier la dématérialisation qui a permis ces améliorations notables.

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. La deuxième partie de notre rapport aborde les dysfonctionnements de l’application Gérer mes biens immobiliers. La campagne déclarative de 2023 a engendré d’importantes erreurs d’attribution sur les résidences secondaires, largement relayées par la presse. Je rappelle notamment le cas de ces 16 500 mineurs ayant reçu un avis d’imposition – c’est d’ailleurs cet épisode qui m’avait conduit à réclamer une mission d’information.

En rédigeant notre rapport, nous n’avions aucunement l’intention de dénigrer GMBI, outil qui doit à terme améliorer le traitement des impôts locaux. Sa mise en œuvre s’est toutefois révélée particulièrement difficile. En 2023, les propriétaires ont dû déclarer l’occupation de leurs biens immobiliers sur ce nouvel outil. Cette tâche – d’une ampleur pour le moins certaine : il s’agissait de 71,4 millions de locaux – a été menée sans qu’aucune étude d’impact approfondie n’ait été conduite au préalable, sans pilotage simple et sans portage politique fort, contrairement à ce qui avait été mis en place pour le prélèvement à la source.

La communication auprès des propriétaires a manqué de pédagogie et s’est limitée au canal numérique. Les propriétaires souffrant d’illectronisme se sont ainsi trouvés en grande difficulté, situation aggravée par la menace d’une amende de 150 euros pour non-déclaration, bien que celle-ci n’ait pas encore été appliquée. Notre rapport documente de nombreuses autres défaillances, notamment la complexité excessive des déclarations pour les grands comptes possédant plus de deux cents biens, ainsi que les dysfonctionnements techniques de l’outil.

Cette impréparation a provoqué une hausse massive des sollicitations des services de la DGFiP, rapidement submergés. Les DDFiP ont été littéralement prises d’assaut par des contribuables désorientés, sans que les agents disposent toujours des moyens nécessaires pour les accompagner. À titre d’exemple, les DDFiP n’ont pas été autorisées à produire de formulaire papier pour les usagers incapables d’utiliser GMBI, bien que certaines aient bravé cette interdiction, créant ainsi des inégalités de traitement entre départements. À cet égard, nous tenons à souligner le professionnalisme remarquable de l’ensemble des agents qui ont subi une surcharge de travail considérable durant cette période.

Cette campagne, que la Cour des comptes a elle-même qualifiée de chaotique, a engendré un coût massif pour les finances publiques. L’État a pris en charge des dégrèvements consentis au titre de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires (THRS), de la taxe d’habitation sur les logements vacants (THLV) et de la taxe sur les logements vacants (TLV). Ces dégrèvements ont augmenté de 179 % entre 2022 et 2023, atteignant 1,4 milliard d’euros. L’évolution est spectaculaire : 500 millions d’euros en 2022, 1,4 milliard en 2023, et encore 1,3 milliard prévu en 2024, des montants considérables au regard du niveau initial.

Tirant les leçons de ce lancement manqué, la DGFiP a élaboré un plan d’action comprenant 41 points pour mieux préparer la campagne 2024 et corriger certaines défaillances. Nous nous félicitons de l’adoption rapide de certaines mesures de bon sens, comme la création d’un formulaire papier et la clarification des notions de résidence secondaire et de local vacant sur l’interface GMBI. Cependant, plus de la moitié des actions prévues ne sont toujours pas finalisées.

Nous appelons à la plus grande vigilance quant à l’amélioration du processus déclaratif, tant pour les contribuables que pour les agents de la DGFiP. La campagne 2024, d’une ampleur moindre puisque limitée aux changements de situation d’occupation, s’est mieux déroulée que celle de 2023. Le taux de locaux déclarés est ainsi passé de 77 % à 87 % à l’issue de la campagne, laissant néanmoins 13 % de situations non régularisées.

Un point mérite toutefois notre attention : les montants des dégrèvements au titre de ces trois taxes demeurent extrêmement élevés en 2024, à 1,3 milliard d’euros. Si de nombreux facteurs extérieurs à GMBI expliquent le maintien de ce niveau, tous les dysfonctionnements liés à ce nouveau logiciel n’ont pas disparu. C’est pourquoi nous formulons plusieurs recommandations en complément du plan d’action établi par la DGFiP.

M. David Amiel, rapporteur. La troisième partie de notre rapport traite du projet Foncier innovant, un outil novateur développé par l’administration fiscale qui repose sur l’intelligence artificielle pour détecter les constructions imposables non déclarées, grâce au traitement des images aériennes fournies par l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN).

Les auditions que nous avons menées confirment qu’il s’agit d’un dispositif véritablement innovant, utile et rentable. Innovant, car il constitue un vecteur de fiabilisation massive des bases foncières, dont le caractère industriel permet une application homogène sur l’ensemble du territoire, de manière régulière et pérenne. Utile, car cette méthode garantit par ailleurs l’égalité de tous les contribuables devant l’impôt. Rentable enfin, car elle permet d’accroître significativement les recettes au titre des taxes foncières pour un coût relativement limité, recettes qui bénéficient notamment au bloc communal. Ainsi, le projet représente un investissement pluriannuel de 35 millions d’euros, dont l’essentiel a déjà été exécuté pour son lancement. Or, pour la seule année 2024, les recettes supplémentaires générées s’élèvent à 40 millions d’euros, soit un taux de rentabilité supérieur à 100 %. L’expérimentation initiale menée dans seulement dix départements pour la détection des piscines non déclarées en 2021 avait déjà rapporté 10 millions d’euros.

En 2022, le dispositif a été étendu à l’ensemble du territoire métropolitain, y compris la Corse. Les territoires ultramarins ont dû attendre la fin de l’année 2024 pour bénéficier de cet outil, en raison de difficultés techniques et dans l’attente d’une nouvelle couverture photographique par l’IGN.

Nous estimons qu’il serait opportun que le Gouvernement remette un rapport au Parlement dressant le bilan de cette première campagne de recensement des anomalies relatives aux piscines non déclarées. Cette évaluation apparaît d’autant plus nécessaire que le projet Foncier innovant est promis à une extension au-delà des seules piscines, pour couvrir l’ensemble du bâti non déclaré ou incorrectement imposé, incluant des locaux de diverses natures. L’exploitation des prises de vues aériennes de l’IGN par l’intelligence artificielle permettra d’assurer une mise à jour du plan cadastral plus rapide, avec une « vue du ciel ». Cette nouvelle phase vient d’être expérimentée dans une trentaine de départements et elle est en cours de déploiement dans trente départements supplémentaires. Ainsi, l’ensemble du territoire métropolitain sera couvert en 2026.

Si de telles utilisations de l’intelligence artificielle pour améliorer et fiabiliser nos instruments fiscaux s’avèrent manifestement utiles et rentables, leur déploiement requiert, comme l’ont révélé nos auditions, un dialogue social approfondi pour répondre aux inquiétudes légitimes des agents. Nous avons notamment échangé avec les géomètres du cadastre à ce sujet. Il est évident que ces instruments, appelés à se généraliser dans de nombreux domaines de l’action publique, doivent compléter le travail des agents et faciliter leurs missions quotidiennes.

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Nous terminons cette présentation par la quatrième et dernière partie du rapport, relative au transfert de la liquidation des taxes d’urbanisme du ministère de la transition écologique vers la DGFiP.

Ce transfert s’est effectué de façon progressive. Dans un premier temps, la DGFiP n’a géré que les flux des nouvelles autorisations d’urbanisme, puis, à partir du 1er janvier 2025, une partie seulement du stock, le reste demeurant sous la responsabilité du ministère de la transition écologique. Cette réorganisation vise à accroître l’efficacité en concentrant au sein de la DGFiP l’ensemble des compétences de liquidation de l’impôt. Elle s’appuie également sur un processus entièrement dématérialisé qui utilise les applications du service GMBI.

Cette réforme coïncide avec une autre modification majeure : le décalage de la date d’exigibilité des taxes d’urbanisme à l’achèvement des constructions. Auparavant, ces taxes étaient acquittées en deux versements, à l’image du mécanisme existant pour les taxes foncières. Cette simplification entraîne certes un report de trésorerie, mais constitue un aspect à prendre en compte, car cette modification s’est conjuguée au transfert de compétences entre ministères, ce qui explique en partie les difficultés rencontrées.

Pour accompagner ce transfert de liquidation, 290 équivalents temps plein (ETP) du ministère de la transition écologique devaient être transférés vers Bercy. Cependant, le schéma de transfert de ces emplois n’a pas été pleinement exécuté, puisque seuls 107 emplois ont effectivement été pourvus par des agents du ministère, ce qui compromet sérieusement la qualité de la liquidation des taxes d’urbanisme. Par ailleurs, des dysfonctionnements informatiques significatifs sont apparus dans le processus de liquidation. Les opérations importantes sont aujourd’hui traitées manuellement et une partie des données foncières disparaît de manière inexpliquée.

Ces dysfonctionnements ont conduit à une situation préoccupante concernant la liquidation des taxes d’urbanisme effectuée par la DGFiP. Au 31 décembre 2024, on comptabilisait moins de 79 000 liquidations réalisées par la DGFiP et 317 000 par le ministère de la transition écologique, soit environ 400 000 liquidations au total, à comparer aux 912 000 liquidations de 2023 et aux plus d’un million de liquidations enregistrées en 2022. Le décalage du mode de paiement explique partiellement cette baisse, mais ne suffit pas à justifier un tel écart.

Le montant total liquidé a fortement diminué, s’établissant à 1,6 milliard d’euros pour les deux ministères confondus, contre 2,4 milliards d’euros en 2023, soit une baisse de 31 % par rapport à la moyenne des années 2019-2022. La DGFiP estime que cette diminution s’explique par la nouvelle date d’exigibilité des taxes d’urbanisme qui induit un décalage dans leur liquidation. Cette explication est partiellement fondée, mais nos travaux ont mis en évidence des difficultés bien réelles.

Il nous paraît essentiel d’alerter les collectivités territoriales sur la baisse de leurs recettes de taxes d’urbanisme, particulièrement marquée en 2024. Certaines nous ont déjà signalé avoir constaté une diminution préoccupante de leurs produits. L’association Départements de France estime que le manque à gagner se situe entre 200 et 300 millions d’euros depuis le dernier trimestre 2022, date du transfert de la liquidation à la DGFiP. En outre, les organisations syndicales soulignent un risque majeur : que l’impôt non liquidé ne soit jamais recouvré et que le délai d’exercice du droit de reprise de l’administration fiscale expire, ce qui constituerait une perte nette pour les collectivités territoriales.

En conclusion, nos travaux menés durant cette année et demie ont mis en lumière des dysfonctionnements significatifs dans la gestion des impôts locaux, tout en soulignant la réactivité de la DGFiP et de ses agents face à ces difficultés. Je tiens à nouveau à saluer leur mérite. Ce travail de contrôle ne doit pas demeurer un exercice figé et il conviendra à l’avenir de continuer à évaluer ces politiques de gestion fiscale qui concernent un très large public et exercent une incidence majeure sur les finances de l’État et des collectivités.

J’ajoute un dernier point : toutes ces réformes mises en œuvre doivent contribuer à mener à son terme la révision des valeurs locatives, tant pour les locaux d’habitation que pour les locaux professionnels. Toutes les personnes auditionnées l’ont souligné avec force : ces nouveaux outils doivent nous permettre de finaliser ces réformes essentielles.

M. Philippe Brun, président. Je tiens à vous féliciter, madame et monsieur les rapporteurs, pour votre rapport passionnant qui nous apporte des informations très utiles, notamment pour la préparation du prochain budget.

Le transfert de la liquidation des taxes d’urbanisme du ministère de la transition écologique vers la DGFiP, inscrit dans la loi de finances pour 2022, s’accompagne de nouvelles règles de liquidation, particulièrement pour la taxe d’aménagement, désormais exigible à la date d’achèvement des travaux. Vous constatez dans votre rapport un retard significatif dans la collecte des recettes, auquel s’ajoutent des difficultés administratives, notamment dans le transfert de personnel. Est-il possible d’estimer le montant des pertes sèches pour les collectivités locales si le droit de reprise de l’administration fiscale n’est pas exercé dans les délais ?

Par ailleurs, sachant que les effectifs de la DGFiP ont considérablement diminué ces dernières années – 2 000 ETP par an en moyenne entre 2010 et 2018, soit 17 % des effectifs – cette réduction, combinée au recours aux nouvelles techniques évoqué par M. Amiel, et l’évolution du métier de géomètre du cadastre, constitue-t-elle une exigence raisonnable ? Ne risque-t-elle pas de complexifier davantage le bon recouvrement des impôts locaux ?

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Nous ne sommes pas en mesure d’évaluer précisément d’éventuelles pertes sèches pour les collectivités locales, et nous espérons d’ailleurs qu’elles seront nulles. Tout dépendra de la capacité des ministères des finances et de la transition écologique à gérer le stock de dossiers non transférés, qui sont complexes puisqu’ils ont trait à des litiges et nécessitent à ce titre des recherches approfondies. Le seul élément chiffré dont nous disposons est celui de la diminution du produit perçu, comprise entre 200 et 300 millions d’euros pour les seuls départements.

La réduction des effectifs à la DGFiP n’a pas été sans affecter la gestion de la THRS, de la THLV et de la TLV. Bercy a contribué le plus fortement à la réduction des effectifs, et ce bien avant 2017. Il convient de déplorer, à cet égard, l’absence d’études d’impact, une lacune directement liée à la réforme de la taxe d’habitation, elle-même lancée sans véritable évaluation préalable.

Enfin, le transfert de 107 ETP sur les 290 ETP initialement prévus explique évidemment le retard accumulé. Nous devrions également veiller à l’expertise des personnels transférés, car le recouvrement d’une taxe d’urbanisme diffère substantiellement de celui d’une taxe foncière et requiert une formation spécifique.

M. David Amiel, rapporteur. En matière de taxes foncières, il convient d’observer une division par deux du délai de publication des fichiers par les SPF entre 2017 et 2024, ainsi qu’une division par deux du nombre de contentieux et de dégrèvements, en dépit de cette réduction des effectifs.

Aussi, il apparaît que la question centrale n’est pas tant l’évolution quantitative des effectifs que la méthode de réorganisation des services et de déploiement des nouveaux instruments, facteurs qui peuvent soit améliorer l’efficacité, soit perturber temporairement le fonctionnement administratif. C’est pourquoi notre rapport appelle à une vigilance particulière concernant la mise en œuvre du transfert de liquidation des taxes d’urbanisme.

Nous ne sommes pas en mesure d’affirmer aujourd’hui que les collectivités locales subiront une perte sèche, mais notre vigilance vise précisément à éviter la répétition d’expériences malheureuses observées dans d’autres domaines.

En revanche, notre rapport met en évidence non pas une perte pour les collectivités territoriales, mais un gain substantiel et inattendu de 1,4 milliard d’euros transférés de l’État aux collectivités. Ce gain résulte des dysfonctionnements de la plateforme GMBI affectant les taxes d’habitation sur les résidences secondaires adressées à tort puis dégrevées par l’État, mais dont le produit a été garanti aux collectivités bénéficiaires.

M. Philippe Brun, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Christian Girard (RN). Depuis des années, la fiscalité locale constitue le théâtre d’une complexité croissante et d’une technocratisation opaque. Le rapport de la mission d’information a le mérite de mettre des mots précis sur un désordre fiscal profond et ancien. Ce dysfonctionnement n’est pas circonstanciel, il est structurel. Les outils de gestion, qu’il s’agisse du cadastre, des bases foncières ou de la publicité des mutations, sont devenus instables, lacunaires et inadaptés à l’enjeu.

Les contribuables se trouvent ballottés entre erreurs d’imposition, délais de rectification interminables et injonctions contradictoires. Les collectivités voient leurs marges budgétaires fragilisées par des recettes imprévisibles et des dégrèvements massifs. Votre rapport le montre : 1,3 milliard d’euros ont été remboursés en 2023 en raison d’erreurs administratives. La Cour des comptes confirme d’ailleurs, année après année, la fragilité de nos instruments fiscaux, la sous-performance du cadastre et la dégradation du lien entre l’administration centrale et le terrain.

Madame et monsieur les rapporteurs, vous soulignez à juste titre la nécessité d’améliorer la formation, la coordination et la modernisation, mais pensez-vous fondamentalement que l’État dispose encore de la volonté politique et des moyens humains requis pour gérer sa fiscalité locale de manière équitable, stable et lisible ? Ou bien avons-nous basculé définitivement dans une fiscalité automatisée, déshumanisée et profondément injuste ?

M. David Amiel, rapporteur. Je ne crois absolument pas que nous ayons basculé dans un système inhumain et injuste. Au contraire, un certain nombre d’automatisations mises en œuvre ont permis de rendre le système plus humain en s’adaptant à l’évolution des situations individuelles. Je pense à cet égard au prélèvement à la source, qui constitue une véritable révolution.

De même, l’exemple de Foncier innovant démontre que le recours à l’IA s’avère à la fois très rentable pour les finances publiques et garant d’une plus grande justice pour les contribuables. Cette rentabilité signifie que le niveau d’imposition ne dépend plus d’un dysfonctionnement administratif ou d’une base cadastrale défaillante, mais correspond à une véritable égalité de l’ensemble des territoires et des contribuables devant l’impôt. Les instruments de ce type nécessitent toutefois, pour leur déploiement efficace, une formation adéquate des agents, un accompagnement rigoureux et parfois une évolution des métiers.

Les grands chantiers informatiques de l’État appellent naturellement des interrogations. Certains projets sont parfaitement menés, comme le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, tandis que d’autres ont échoué, à l’instar de GMBI. Cette situation nous interroge sur le portage politique et l’implication nécessaire, y compris celle du Parlement, dans le suivi des grands chantiers informatiques.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je tiens à saluer le travail remarquable des deux rapporteurs qui ont produit un document extrêmement riche, très technique, assorti de conclusions et recommandations particulièrement précieuses. Je souhaite également saluer le travail de la DGFiP, car, malgré l’ensemble des réformes ayant créé une surcharge de travail et engendré certains dysfonctionnements, nous constatons aujourd’hui un nombre de contentieux significativement inférieur aux données historiques.

Je souhaite interroger les rapporteurs sur trois points. Premièrement, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires nous avait été présentée comme une simplification. Cette promesse s’est-elle concrétisée ou, au contraire, le fait qu’une habitation puisse changer de destination et redevenir résidence principale, conjugué à la nécessité de maintenir une base pour les résidences secondaires, nous a-t-il contraints à conserver les systèmes existants ? Des phénomènes d’optimisation entre résidences principales et secondaires visant à réduire le montant des taxes d’habitation ont-ils été observés ?

Deuxièmement, la taxe d’urbanisme correspond-elle précisément à la taxe d’aménagement, ou bien ces termes recouvrent-ils des réalités différentes ? La taxe d’urbanisme n’a-t-elle pas diminué l’année dernière en raison du ralentissement du secteur immobilier et de la réduction du nombre de chantiers engagés ?

Enfin, je partage entièrement les observations de Mme Pirès Beaune relatives à la réforme des valeurs locatives. Existe-t-il actuellement des équipes mobilisées sur ce dossier ?

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Sous le vocable « taxe d’urbanisme » figurent effectivement la taxe d’aménagement mais également la redevance d’archéologie préventive.

Le nombre de contentieux à propos de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires a significativement diminué. En revanche, ce constat ne s’applique pas à la TLV ni à la THLV. Nous constatons 1,4 milliard d’euros de dégrèvements en 2023 et 1,3 milliard d’euros en 2024, ces dégrèvements étant de nature différente. Il est encore prématuré de se prononcer sur les causes de ces dégrèvements, mais ce sujet mérite une analyse approfondie, car un tel volume représente une charge inacceptable pour le budget de l’État.

Nous n’avons pas spécifiquement étudié la question de l’optimisation entre résidence secondaire et résidence principale. En revanche, s’agissant de simplification en matière d’urbanisme, la définition des surfaces constitue un véritable enjeu. Selon le contexte, il existe au moins trois ou quatre définitions différentes des surfaces, ce qui nuit considérablement à la compréhension et à la lisibilité, tant pour les contribuables que pour les collectivités locales et la DGFiP. Une simplification dans ce domaine serait particulièrement bienvenue, quelle que soit l’institution qui s’en empare.

Enfin, j’ose espérer que la DGFiP travaille activement sur la réforme des valeurs locatives, puisque nous avons, dans la loi de finances pour 2024, accordé un délai supplémentaire pour les locaux professionnels. La situation des locaux d’habitation suscite davantage d’inquiétudes, et j’estime que le Parlement devrait se mobiliser fermement sur ce sujet. Nous disposons actuellement de valeurs locatives obsolètes, datant des années 1970, générant des inégalités majeures. Le système GMBI, qui permet de collecter des données sur les loyers, offrira vraisemblablement les outils nécessaires pour engager cette révision. Nous disposerons ainsi des instruments adéquats, et il ne manquera alors que le courage politique.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Les troisième et quatrième parties du rapport mettent en lumière le problème des effectifs, qui affecte malheureusement l’ensemble des services de la DGFiP et soulève de légitimes inquiétudes.

À cet égard, il est permis de s’interroger sur la capacité des services de la DGFiP à collecter efficacement les informations relatives aux logements vacants, sur lesquels de plus en plus de collectivités instaurent une taxe spécifique. En effet, nous constatons systématiquement lors des commissions locales d’évaluation des divergences significatives entre les chiffres des collectivités et ceux de la DGFiP. Des dispositifs sont-ils envisagés pour permettre aux services fiscaux d’identifier les logements vacants autrement que sur la seule base des déclarations ?

Je souhaiterais également comprendre les motivations qui ont présidé au transfert de la liquidation des taxes d’urbanisme à la DGFiP. Quel était précisément l’objectif visé par cette réforme ?

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Le transfert de la liquidation des taxes d’urbanisme à la DGFiP intervient après celui de la perception de certaines taxes qui étaient auparavant perçues des douanes. La réunion, au sein d’un même ministère, de la perception des impôts constitue en soi une avancée positive. Mais, en l’occurrence, le transfert de la liquidation des taxes d’urbanisme n’a pas été correctement préparé.

L’identification des locaux vacants repose en effet sur un principe de déclaration. Au-delà d’un éventuel renforcement des contrôles, nous avons besoin d’une meilleure articulation entre les collectivités locales, les élus et la DGFiP. Nos recommandations visent notamment à fournir davantage d’informations aux collectivités territoriales, à travers une application similaire à celle dont bénéficient les notaires pour l’accès aux fichiers immobiliers.

Dans le cadre de nos travaux, j’ai interrogé une importante collectivité territoriale qui ignorait même l’existence du nouvel outil mis à disposition du service d’urbanisme. Ces défaillances révèlent des lacunes en matière de communication, mais surtout un manque flagrant d’anticipation. Elles montrent également que les effets collatéraux de la réforme de la taxe d’habitation n’ont pas encore été totalement absorbés.

Mme Estelle Mercier (SOC). Le rapport de la mission d’information constitue un document indispensable pour comprendre les erreurs commises lors du lancement chaotique de GMBI. Ces erreurs se rapportent à l’organisation, l’anticipation, la gestion des ressources humaines et, surtout, la relation avec les citoyens. J’espère vivement que l’on saura tirer tous les enseignements de cet épisode dans la perspective des prochains déploiements d’outils dédiés à l’administration.

Au-delà de la problématique des erreurs d’attribution, il me paraît essentiel d’aborder la question des taxes foncières et, de façon plus marginale, celle de la taxe d’habitation pour les résidences secondaires. Ces taxes représentent aujourd’hui près de 63 % des recettes de la fiscalité directe locale. Elles forment donc un pilier fondamental des ressources des collectivités. Sans revenir sur les conséquences négatives de la suppression de la taxe d’habitation, déjà largement évoquées, je considère qu’il est pertinent d’examiner la question de la révision des valeurs locatives.

Les sixième et septième propositions du rapport abordent cette question de manière très explicite. Cette révision, tant pour les habitations que pour les locaux professionnels, constitue une attente maintes fois repoussée, une réforme devenue presque une arlésienne depuis de nombreuses années. Force est de constater que ces valeurs sont aujourd’hui profondément inéquitables et injustes. Leur révision représente donc un objectif majeur de justice et d’équité fiscale.

Quelle réponse le Parlement pourrait-il apporter sur la révision des valeurs locatives des habitations et des locaux professionnels ? Dans quelle mesure la plateforme GMBI pourrait-elle être mobilisée à cet effet ?

M. David Amiel, rapporteur. Notre rapport offre une première analyse des dysfonctionnements de la plateforme GMBI, mais il est effectivement important de nous interroger sur le contraste entre le succès du prélèvement à la source et la gestion très hasardeuse, pour employer un euphémisme, de GMBI.

Je distingue au moins deux différences majeures entre ces deux démarches. La première a trait aux objectifs. Le prélèvement à la source répondait à un objectif extrêmement clair, tandis que GMBI a connu des objectifs successifs, ce projet ayant été lancé au début des années 2010 avant de subir plusieurs évolutions. C’est une règle fondamentale en matière de projets informatiques : quand l’objectif change au fil du temps, on finit par perdre de vue la finalité du projet, ce qui complique considérablement le pilotage.

La seconde différence réside dans l’attention politique, médiatique et parlementaire portée sur le prélèvement à la source en raison de son impact structurant, alors que la plateforme GMBI est restée relativement dans l’ombre. Cette situation n’a certainement pas facilité sa mise en œuvre et a probablement diminué la vigilance collective sur ce projet.

L’utilisation optimisée de GMBI pour fiabiliser les valeurs locatives figurait parmi les objectifs initiaux de la plateforme. En effet, cette plateforme unique centralise les informations sur les montants des loyers perçus par les propriétaires à des endroits précis, ce qui peut faciliter l’estimation de la valeur des biens. Disposer de ces informations rassemblées sur une seule plateforme est indéniablement susceptible de faciliter la mise en œuvre de la révision des valeurs locative, un chantier que nous appelons tous de nos vœux.

Dans un rapport, notre collègue M. Éric Woerth avait d’ailleurs proposé d’accorder davantage de souplesse aux collectivités territoriales, permettant à celles qui le souhaitent d’actualiser les valeurs locatives de manière anticipée. Il convient d’explorer plus avant cette piste, car mener à bien cette révision doit constituer un objectif au niveau national, que GMBI devrait contribuer à atteindre.

Mme Marie-Christine Dalloz (DR). Je suis régulièrement surprise par notre approche des nombreuses réorganisations intervenues ces dernières années. À chaque réorganisation, notamment au sein de la DGFiP, nous mettons en place de nouveaux outils et de nouvelles pratiques. Pourtant, nous persistons à n’envisager ces réorganisations que sous l’aspect du nombre d’agents. Il s’agit à mon sens d’une erreur fondamentale, puisque l’objectif d’une réorganisation est précisément de transformer le mode de fonctionnement.

Monsieur Amiel, vous vous êtes félicité dans votre présentation que les délais d’actualisation des fichiers de biens immobiliers aient retrouvé leur niveau de 2012. Ne pourrait-on pas envisager une réduction supplémentaire de ce délai dans les prochaines années, afin d’améliorer encore l’efficacité du système ?

Par ailleurs, j’aimerais revenir sur la complexité d’usage de GMBI. On ne saurait imaginer système plus déconcertant, même pour un unique bien immobilier. Il n’est pas rare qu’après avoir complété l’ensemble du processus, il faille souvent recommencer à zéro parce que l’usager a oublié de cocher une case. Aussi, le retour à la déclaration sur papier constitue un véritable soulagement, en particulier pour les personnes âgées.

M. David Amiel, rapporteur. Le délai de publication foncière était estimé à environ cinquante jours en 2023, il s’est contracté à vingt-cinq jours en 2024, selon des données provisoires qui restent à confirmer. Ce progrès considérable résulte notamment de l’engagement remarquable des agents de la DGFiP et des réorganisations au sein de cette direction.

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. S’il convient de saluer ces progrès, il est notable que ces délais sont très disparates. En Savoie, le délai est de trois jours seulement, tandis que dans certains départements il dépasse cinquante jours. Cela montre l’importance des services de renforcement et d’appui, qu’il serait judicieux de concentrer davantage dans certains territoires.

Le Gouvernement a établi un plan d’action sur GMBI comportant quarante et une mesures détaillées en annexe de notre rapport. Certaines sont déjà opérationnelles, d’autres restent à déployer. Les déclarations doivent encore être améliorées puisque 13 % des biens demeurent non déclarés au terme de cette année. Les grands comptes ont certes commencé à effectuer leurs déclarations, mais des efforts significatifs restent indéniablement à poursuivre.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Je tiens à saluer les rapporteurs pour ce travail aussi dense que nécessaire, qui met en lumière une réalité préoccupante : celle d’un impôt local souffrant aujourd’hui d’un immense déficit de lisibilité.

Je ne reviendrai pas sur les erreurs d’attribution des taxes foncières, caractérisées par des chiffres saisissants. Cette situation engendre une triple peine, pour les agents confrontés à une multitude de recours, pour les contribuables désespérés recevant des avis inappropriés ou incompréhensibles, et pour l’administration contrainte de prononcer des dégrèvements massifs et d’établir des rôles supplémentaires dans des délais parfois insuffisants pour préserver les finances de l’État.

La mise en œuvre de GMBI, véritable catastrophe industrielle, s’est avérée totalement inappropriée. L’illectronisme n’a visiblement pas été anticipé alors qu’un Français sur dix n’a pas accès à Internet et que 35 % de nos concitoyens rencontrent des difficultés numériques. Là encore, les agents doivent absorber une multiplication des sollicitations numériques, téléphoniques et physiques. Quant à la taxe sur l’urbanisme, les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Madame et monsieur les rapporteurs, quels garde-fous recommandez-vous à court terme pour éviter que la transition numérique des outils fiscaux n’aboutisse à un nouvel affaiblissement de la relation entre contribuables, services fiscaux et collectivités ?

Au regard de la baisse de 8,7 % des effectifs dans les services de publicité foncière et de 29,4 % des géomètres cadastreurs en dix ans, considérez-vous encore réaliste de poursuivre des objectifs de fiabilisation du cadastre et de maîtrise des bases sans renforcer significativement les moyens humains, sachant que la situation des services de publicité foncière était déjà catastrophique avant 2017 ?

Concernant votre proposition 23 visant à compenser les pertes dues à l’expiration du droit de reprise, prévoyez-vous un mécanisme de compensation automatique, ou bien chaque collectivité devra-t-elle saisir l’administration, voire engager une procédure contentieuse pour être indemnisée ?

Vous avez également souligné que la réforme de la taxe d’habitation a rompu le lien fiscal direct entre citoyens et collectivités, avec toutes les conséquences sur la taxe d’habitation des résidences secondaires et sur les locaux vacants, d’où l’explosion des dégrèvements constatés. Pensez-vous qu’il soit nécessaire de recréer un impôt local restaurant ce lien ?

M. David Amiel, rapporteur. La taxe d’habitation est un sujet de débat classique au sein de notre commission. Je tiens simplement à rappeler que cette taxe constituait une spécificité française, inexistante dans les autres pays européens comparables au nôtre. Or, à ma connaissance, le lien entre citoyens et collectivités territoriales demeure tout aussi important, voire davantage, dans des États fortement décentralisés comme l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. En d’autres termes, le lien entre un citoyen et sa commune ne saurait se résumer à la taxe d’habitation.

Cette taxe figurait parmi les impôts les plus inéquitables de notre pays, puisque son montant était paradoxalement plus élevé dans les communes pauvres que dans les communes riches. En tant que député de Paris, je peux témoigner que la taxe d’habitation y était extrêmement faible, la ville disposant de nombreuses autres recettes fiscales. À l’inverse, dans des villes de petite couronne, elle atteignait des niveaux considérables. Cette disparité ne résultait pas uniquement de l’archaïsme des valeurs locatives, mais du fait qu’en l’absence d’autres ressources, certaines collectivités n’avaient d’autre choix que de s’appuyer lourdement sur cette taxe, pesant ainsi davantage sur les communes les moins favorisées. Le mécanisme actuel, que nous considérons comme un renforcement de la péréquation, s’avère territorialement beaucoup plus équitable.

Mme Pirès Beaune et moi-même sommes convaincus que le rôle des géomètres du cadastre non seulement restera important, mais plus indispensable encore à l’heure de l’intelligence artificielle. Ces professionnels complètent efficacement le travail de l’IA qui, certes, permet d’industrialiser la détection de certains biens, notamment les piscines, mais génère également de nombreuses erreurs et des faux positifs. Il est donc nécessaire d’effectuer un travail de vérification des résultats produits par l’IA, qui décharge les agents de certaines tâches, mais ne remplacera certainement pas le travail humain. Au contraire, elle le complète et le rend plus efficace et productif.

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Je ne partage pas les vues de mon co-rapporteur à propos de l’impôt local. Créer une contribution locale me semble relever de l’évidence. Aujourd’hui, nous distinguons deux catégories de citoyens : ceux qui, en tant que propriétaires, paient la taxe foncière et financent ainsi les services publics locaux, et les locataires qui accèdent à ces mêmes services sans participer à leur financement. Une telle situation me semble profondément inéquitable.

Par ailleurs, il existe une disparité flagrante entre les communes. Une ville relevant de la politique de la ville comptant 45 % de logements sociaux, et donc de locataires, dispose de marges de manœuvre considérablement réduites par rapport à une commune voisine où 90 % des habitants sont propriétaires. Je reste donc convaincue qu’un impôt touchant tous les habitants qui bénéficie des services publics locaux serait parfaitement légitime.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Permettez-moi d’abord, monsieur le président, d’exprimer le profond regret que ce rapport fort intéressant ne nous ait été communiqué qu’hier soir, ce qui complique considérablement notre travail d’analyse. Disposer d’une nuit pour examiner un rapport, ce n’est pas très sérieux.

Pour avoir participé à de nombreuses commissions communales des impôts directs, je sais combien nous font défaut des outils de référence intégrant les données de mutations immobilières. Le rapport mentionne le travail accompli avec la DGFiP et le notariat concernant la dématérialisation par l’outil Télé@ctes destinée à accélérer les procédures de publication. Cependant, il me semble que les actes de transmission à titre gratuit, notamment les donations et les donations-partages, ne bénéficient pas du même traitement. Disposez-vous d’informations sur les raisons de ce blocage ?

Les avancées permises par l’intelligence artificielle sont réelles, mais limitées : on n’évaluera pas les surfaces habitables à l’intérieur des maisons avec des drones. Toutefois, cette technologie présente un potentiel certain, notamment pour l’analyse des flux permettant d’identifier les locaux vacants. Dans cette perspective, avez-vous obtenu de l’administration fiscale des indications précises sur le calendrier de déploiement d’un outil véritablement performant et sur les recettes supplémentaires espérées grâce à ces nouvelles méthodes d’analyse ?

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Nous vous devons, M. Amiel et moi-même, des excuses pour l’envoi tardif du projet de rapport, que nous avons finalisé hier seulement. Je comprends parfaitement la difficulté que cela représente pour votre analyse.

J’ai sollicité la DGFiP à propos des droits de mutation à titre gratuit. Il s’avère que les successions sont effectivement traitées par Télé@ctes, mais pas les donations ni les donations-partages. Le volume concerné est certes moins important, mais je ne m’explique pas cette différence de traitement. Nous interviendrons sur ce point, car cette extension faciliterait considérablement les procédures.

Enfin, nous ne disposons pas de chiffres relatifs à l’estimation des recettes attendues par le recours à de nouveaux outils, lesquels progressent par étapes : d’abord les piscines, puis les extensions de bâtiments, et enfin les bâtiments eux-mêmes. J’ignore même si de telles estimations existent.

Mme Félicie Gérard (HOR). Le rapport dresse quatre constats qui constituent autant de chantiers fondamentaux. Premièrement, les erreurs significatives d’attribution des taxes foncières ont compromis la fiabilité de notre système d’imposition locale. Les délais s’améliorent certes, néanmoins les disparités territoriales demeurent préoccupantes. Deuxièmement, le déploiement de GMBI a généré une confusion certaine chez les propriétaires, une surcharge de travail pour les agents et des dégrèvements coûteux. À cet égard, les propositions d’ajustements concernant l’accessibilité et l’accompagnement formulées dans le rapport sont particulièrement pertinentes. Troisièmement, le projet Foncier innovant basé sur l’intelligence artificielle suscite des espoirs légitimes, mais également des inquiétudes quant à son articulation avec les acteurs de terrain.  Quatrièmement, le transfert de la liquidation des taxes d’urbanisme à la DGFiP, dans des conditions manifestement insuffisamment préparées, fait peser un risque sérieux sur les ressources des collectivités.

Ces constats doivent nous alerter, car le lien fiscal entre l’État et les collectivités est trop précieux pour être compromis par des réformes mal pilotées. Au-delà de vos recommandations, notamment celle préconisant la remise d’un rapport au Parlement, comment envisagez-vous que la représentation nationale puisse assurer efficacement le suivi de ces alertes et peser véritablement dans ce débat, afin que les collectivités ne demeurent pas les variables d’ajustement de la modernisation fiscale ?

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Notre délégation ainsi que la délégation sénatoriale aux collectivités locales et à la décentralisation devraient, à mon sens, instaurer une cellule de suivi spécifique aux taxes d’urbanisme afin d’alerter rapidement en cas de problème. Cette proposition pourrait être formellement adressée à la délégation. Parallèlement, les rapporteurs des différentes missions budgétaires pourraient réaliser des analyses ciblées sur ces questions.

La situation actuelle demeure préoccupante, car, si nous constatons une amélioration significative en 2024 par rapport à 2023 concernant la THRS, nous observons simultanément une dégradation de la situation de la TLV et la THLV. Au-delà du cas particulier de la plateforme GMBI, la multiplication des outils informatiques et la diversité des logiciels utilisés tant par les collectivités que par la DGFiP crée une complexité certaine, nécessitant des améliorations substantielles dans ce domaine.

M. David Amiel, rapporteur. Notre rapport identifie trois causes potentielles expliquant la baisse de liquidation des taxes d’urbanisme, particulièrement de la taxe d’aménagement.

Premièrement, le cycle immobilier connaît un ralentissement notable des projets de promotion depuis plusieurs années. Le facteur le plus déterminant à court terme reste la hausse des taux d’intérêt qui a fragilisé considérablement de nombreux projets, ce qui explique fondamentalement la diminution de la construction et, par conséquent, celle des taxes d’aménagement.

Deuxièmement, la modification structurelle du régime des taxes d’aménagement, désormais liquidées à l’achèvement de la construction, provoque un décalage temporel. Il est donc possible que certaines taxes non perçues actuellement se matérialisent dans les mois à venir, leur liquidation ayant simplement été reportée.

Troisièmement, le transfert de compétences du ministère de la transition écologique vers Bercy et les réorganisations qui en découlent ont vraisemblablement perturbé le processus de collecte.

À ce stade de nos travaux, nous ne pouvons déterminer avec certitude laquelle de ces trois hypothèses prédomine. C’est précisément pourquoi nous appelons à la vigilance et à mobiliser différents instruments afin de s’assurer, au moins, que les difficultés ne résultent pas principalement du troisième facteur.

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Un point complémentaire important mérite d’être mentionné : pour les opérations dépassant 5 000 mètres carrés, la DGFiP, consciente des difficultés que cette situation est susceptible d’engendrer, a instauré un système d’acomptes. Les collectivités ont désormais la possibilité de solliciter ces acomptes directement auprès de Bercy.

M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Je partage le constat exprimé par plusieurs collègues concernant l’urgence de l’actualisation des valeurs locatives, urgence que la suppression de la taxe d’habitation a rendue impérieuse. À cet égard, je voudrais dire à M. Amiel qu’ayant exercé la fonction de maire, je sais non seulement l’importance du lien entre contribution et usage des services publics, mais surtout l’ampleur de la compensation que le budget de l’État doit désormais apporter chaque année aux collectivités. Cette compensation s’élève à 20 milliards d’euros annuels, ce qui représente autant de déficit supplémentaire pour le budget de l’État.

Ma question porte sur les taxes d’urbanisme. L’effondrement du cycle immobilier constaté en 2024 et qui, hélas, se poursuit en 2025, va s’ajouter aux effets de la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux (loi ZAN). Je m’interroge sur l’existence d’une étude d’impact de la loi ZAN sur les taxes d’urbanisme générées dans la prochaine décennie, puisque ces taxes seront divisées par deux jusqu’en 2031, puis encore par deux jusqu’à disparaître totalement. Des mesures préventives sont-elles envisagées ? Comment ces pertes de recettes pour les départements et les communes seront-elles compensées ?

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. La loi ZAN aura certainement un impact considérable sur les taxes d’urbanisme. Toutefois, ce sujet excède le périmètre de notre mission d’information.

M. David Amiel, rapporteur. Le ralentissement que nous observons aujourd’hui ne peut pas être attribué à la loi ZAN, puisqu’il concerne des projets antérieurs. Le temps du débat sur l’impact réel de cette loi sur la construction viendra, sachant que de nombreux autres facteurs entrent également en jeu.

M. Philippe Brun, président. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Éric Woerth (EPR). Il convient d’observer que l’administration fiscale, bien que souvent critiquée, car elle assure une mission peu populaire, fait preuve d’une grande capacité d’adaptation aux nouvelles technologies. Elle ajuste également ses effectifs, souvent davantage que les autres administrations, et n’est absolument pas inhumaine, contrairement à ce qui a été affirmé par l’un de nos collègues. L’accessibilité de l’administration fiscale demeure très satisfaisante, que ce soit par courrier électronique ou par téléphone, avec une véritable présence humaine à l’autre bout de la ligne, ce qui est fondamental.

Je suis convaincu qu’un gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, éprouvera les plus grandes difficultés à prendre une décision sur le sujet des valeurs locatives. C’est une affaire de courage politique, qui concerne tous les partis, sans exception. Peut-être faudrait-il confier aux collectivités, notamment aux intercommunalités, la possibilité de demander à l’administration d’effectuer cette révision pour leur territoire, afin d’initier un mouvement. Sans une telle impulsion, nous resterons dans la situation actuelle où les valeurs sont indexées dans chaque loi de finances, ce qui produit un résultat peu cohérent avec la réalité, sans pour autant créer un décrochage complet. Une approche plus fine requiert l’implication des élus locaux, et ces derniers ne manquent généralement pas de courage.

Je ne saisis pas pleinement le fonctionnement de Foncier innovant. D’où proviennent les images utilisées ? De satellites, de drones ? Je comprends l’utilité de l’intelligence artificielle pour le traitement ultérieur des images, mais quelle est précisément leur source ? Existe-t-il un satellite fiscal en orbite ?

M. David Amiel, rapporteur. Le projet Foncier innovant s’appuie sur les images de l’IGN, lesquelles sont collectées par photographie aérienne. La fréquence de collecte est de trois ans, avec des variations selon les territoires.

M. Jacques Oberti (SOC). Grâce aux systèmes d’information, il devrait être possible depuis longtemps d’offrir aux collectivités territoriales une meilleure visibilité et une meilleure prévisibilité de leurs recettes. Il est regrettable que nous n’y soyons pas encore parvenus, malgré la simplification administrative et la centralisation de la gestion au niveau de la DGFiP.

Concernant la suppression de la taxe d’habitation, j’entends l’argument selon lequel cette taxe n’était pas particulièrement équitable. Cependant, le système qui l’a remplacée l’est encore moins pour les collectivités territoriales, puisqu’il n’existe plus de lien direct entre l’impôt prélevé et la gestion de la collectivité elle-même. Je fais référence au débat sur la répartition du foncier bâti, sur la part dédiée à la solidarité – qui constitue d’ailleurs une forme de solidarité inversée vers les collectivités dont le coefficient correcteur est supérieur à 1 – et sur la transparence pour les citoyens quant à la destination réelle de leurs impôts.

Par ailleurs, la suppression de la taxe d’habitation nous avait été présentée comme un préalable à la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation, et nous attendons toujours cette réforme avec impatience.

Enfin, permettez-moi d’évoquer mon cas personnel : je suis moi-même confronté à GMBI, pour des biens situés en Corse, et j’en suis à ma troisième année de procédure sans parvenir à résoudre le problème, tout en devant m’acquitter simultanément d’une taxe sur le foncier bâti et de la taxe sur les logements vacants. Existe-t-il des départements ou territoires accusant un retard particulier dans le traitement de ces questions ?

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Je souscris pleinement à votre remarque sur la nécessité pour les élus locaux d’accéder aux données leur permettant d’améliorer la prévisibilité de leurs recettes. Il n’existe aucune raison valable de ne pas partager l’accès à ces données, et nous avons d’ailleurs formulé des propositions en ce sens.

Je précise que le coefficient correcteur figure sur l’avis d’imposition depuis deux ans. J’admets toutefois que cette information n’est pas particulièrement aisée à identifier sur le document.

Enfin, je ne dispose pas d’informations précises sur l’avancement des dossiers liés à GMBI. Des inégalités territoriales persistent indéniablement, et je pense que les difficultés rencontrées en Corse sont en partie liées à la fiabilité du cadastre.

M. David Amiel, rapporteur. Il y a plus de vingt ans, un candidat à l’élection présidentielle avait promis qu’il réduirait de moitié la taxe d’habitation, l’impôt, disait-il, « le plus archaïque et le plus injuste de notre système fiscal ». Ce candidat était Lionel Jospin. Plusieurs années plus tard, nous avons effectivement supprimé entièrement la taxe d’habitation sur les résidences principales, tout en la maintenant pour les résidences secondaires, précisément parce qu’il s’agissait de l’impôt le plus archaïque et le plus injuste. Dans le débat actuel sur cette contribution-charge supplémentaire, je peine à comprendre en quoi celle-ci différerait d’une taxe d’habitation et pourquoi nous ne risquerions pas de recréer un impôt peut-être plus moderne, mais tout aussi inéquitable.

M. Nicolas Ray (DR). La taxation des locaux affectés aux meublés de tourisme, particulièrement dans les villes touristiques, constitue une problématique récurrente. Ces biens sont assujettis depuis toujours à la cotisation foncière des entreprises (CFE), ce qui est parfaitement logique puisqu’il s’agit d’activités commerciales. Cependant, depuis l’année dernière, ces mêmes locaux sont également imposés de façon quasi automatique à la taxe d’habitation sur les résidences secondaires.

L’administration fiscale justifie cette double imposition par le fait que les propriétaires pourraient théoriquement disposer de ces biens à titre personnel durant une partie de l’année, argument généralement infondé puisque ces propriétaires résident souvent dans la même commune que leur meublé touristique et n’ont donc aucun intérêt à y séjourner. La charge de la preuve incombe entièrement aux propriétaires, et les nombreux justificatifs fournis, y compris les versements de taxes de séjour, s’avèrent insuffisants. La seule solution permettant l’exonération consiste à confier la gestion à une conciergerie, pénalisant ainsi les propriétaires qui préfèrent gérer directement leur bien. Cette situation conduit certains propriétaires, dans plusieurs villes, à abandonner purement et simplement la location touristique. Avez-vous eu l’opportunité d’examiner cette question au cours de vos travaux ?

Mme Christine Pirès Beaune, rapporteure. Nous n’avons pas réellement étudié ce point dans le cadre de nos travaux. Cependant, j’ai interpellé Bercy, sans réponse à ce jour, sur cette question qui se pose avec insistance dans les villes thermales telles que Vichy ou Châtel-Guyon. Il me semble que ce point mérite un amendement transpartisan dans le cadre du projet de loi de finances, tant l’injustice me paraît manifeste.

Je souhaite, avant de conclure, et puisqu’il n’en a pas été question dans les interventions des commissionnaires, revenir sur la situation préoccupante des quatre-vingt-douze CAUE présents sur le territoire français, financés à 80 % par la taxe d’aménagement. Certains CAUE, confrontés à une baisse significative des recettes de cette taxe, n’ont pas reçu des départements les financements escomptés et ont déjà dû procéder à des licenciements, et d’autres pourraient bientôt suivre cette voie. Le gouvernement doit impérativement être alerté sur cette situation. J’adresserai personnellement un courrier à ce sujet, mais je ne dois certainement pas être la seule concernée. À moins de considérer les CAUE comme inutiles – ce qui n’est absolument pas mon cas – nous ne pouvons laisser disparaître ces structures qui offrent un service gratuit et précieux aux collectivités locales.

La commission autorise, en application de l’article 145 du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.

 


Puis la Commission examine, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information sur le financement de l’agriculture biologique de M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial de la mission Agriculture, alimentation forêt et affaires rurales

Nous poursuivons notre séance par l’examen des différents thèmes d’évaluation retenus par les rapporteurs spéciaux dans le cadre du Printemps de l’évaluation. J’accueille M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial de la mission Agriculture, alimentation forêt et affaires rurales. Monsieur le rapporteur spécial, vous avez choisi comme thème d’évaluation le financement de l’agriculture biologique.

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial de la mission Agriculture, alimentation forêt et affaires rurales. Un aspect particulièrement saisissant de nos missions d’évaluation réside dans la découverte que les constats que nous établissons ont souvent été formulés bien avant nous, presque en des termes identiques, sans que ces travaux antérieurs n’aient suscité la moindre prise de conscience sérieuse de la part de l’État. Cette situation révèle simultanément l’inefficience chronique de nos politiques publiques et l’incapacité persistante de l’État à les réformer.

Le dernier rapport parlementaire consacré au financement de l’agriculture biologique remonte à cinq ans. Nos collègues MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, membres de la commission des finances du Sénat, établissaient alors le constat selon lequel « les résultats obtenus jusqu’à présent rendent illusoire l’atteinte de l’objectif de conversion en agriculture biologique. Plus encore que cet échec prévisible, c’est le cadre économique et financier de la politique d’incitation qui suscite la perplexité. Ce sentiment sort encore renforcé de l’analyse des failles du pilotage de la politique visant à asseoir sur des bases solides et fiables le développement du bio. »

Cinq ans plus tard, après avoir mené un travail d’évaluation ayant permis d’auditionner l’ensemble de la filière  producteurs, transformateurs, distributeurs, institutionnels et surtout agriculteurs  je pourrais faire mienne au mot près cette réflexion. Je formulerais même ce constat avec davantage de sévérité, car le contexte de 2025 diffère profondément de celui de 2020. Il convient désormais d’appréhender le financement de l’agriculture biologique dans le cadre d’un objectif plus large et désormais vital : la préservation de notre souveraineté alimentaire.

Dans un contexte de tensions géopolitiques accrues, la France doit impérativement reconquérir son rang de grande puissance agricole. Compte tenu de l’état de nos finances publiques, l’équation est simple : nous devrons faire beaucoup mieux avec moins de moyens, y compris dans le secteur agricole, car les perspectives s’avèrent alarmantes. La politique agricole commune (PAC) 2028-2034 pourrait entraîner une diminution des budgets agricoles d’environ 25 % en euros constants. La Commission européenne envisage même d’imposer une réforme totale du budget de l’Union qui, faute d’opposition politique vigoureuse des États membres, conduirait à la disparition pure et simple d’un budget européen sanctuarisé pour l’agriculture. Au niveau national, après une baisse de 11,2 % des crédits de paiement entre 2024 et 2025, le projet de loi de finances pour 2026 prévoira probablement de nouvelles réductions budgétaires.

Dans ce contexte de crise, les parlementaires viennent pourtant d’inscrire dans la loi d’orientation agricole (LOA) un nouvel objectif de 21 % de surface bio en 2030. En croyant ainsi préserver l’avenir de ce mode de production, nous ne faisons qu’encourager une politique profondément dysfonctionnelle menée depuis dix ans, qui refuse catégoriquement de se connecter à une logique de marché et d’adapter ses dispositifs à la réalité.

Depuis le plan de développement de l’agriculture et de l’alimentation bio Horizon 2012, présenté en septembre 2007, les objectifs ont systématiquement été surestimés et jamais atteints, même en période de forte croissance de la demande. Cette déconnexion constitue une spécificité propre à l’agriculture biologique par rapport au reste du financement agricole dans notre pays. Aucune base documentaire solide, qu’elle soit agronomique ou économique, n’est jamais venue étayer ces objectifs. La racine du problème se situe, comme souvent, au niveau européen. Lors de nos auditions avec les fonctionnaires et directeurs de la direction générale de l’agriculture et du développement rural de la Commission européenne (DG Agri), ceux-ci nous ont confessé que l’objectif de 25 % de surface bio en 2025 dans la stratégie dite « de la ferme à la fourchette » (Farm to Fork, F2F) était purement esthétique : il fallait simplement un chiffre rond et qui rime.

Ce pilotage hors-sol, fondé sur le seul indicateur de surface  qui présente également l’inconvénient de ne pas refléter la production réelle  a conduit à la mise en place de dispositifs d’aides profondément dysfonctionnels. Le soutien à l’agriculture biologique représente environ 700 millions d’euros en France, répartis entre 340 millions d’euros d’aides à la conversion, dont une part importante n’a pas été consommée ces deux dernières années, 200 millions d’euros d’écorégime, 140 millions d’euros de crédits d’impôt, 15 à 20 millions d’euros de fonds Avenir bio, 3 millions d’euros de TVA réduite sur les intrants biologiques, et 90 à 100 millions d’euros d’aides d’urgence en 2023 et 2024.

Dans un contexte initialement favorable à la demande, les aides à la conversion ont parfois précipité certains agriculteurs dans des filières sans débouchés. Aucune étude de marché étayée par filière ne préside à la construction de nos dispositifs d’aides. Ainsi, ces dernières années, des agriculteurs se voient contraints de déclasser leur production laitière biologique, à hauteur de 20 % en 2025, pour la commercialiser au prix du conventionnel.

Ces aides ont par ailleurs généré de nombreux effets d’aubaine. L’aide à la conversion pour la coriandre bio en Occitanie en 2023 et 2024 s’élevait, tenez-vous bien, à 900 euros par hectare. De ce fait, selon la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), la surface de culture en coriandre a doublé entre 2022 et 2023, mais une grande partie de cette production n’a pas été récoltée par les producteurs, ce qui prouve l’absence d’intentions de la commercialiser.

Ces aides à la conversion ont également été largement surestimées, générant, sur les deux dernières années, un reliquat de 257 millions d’euros. Les aides d’urgence ont elles aussi montré leurs limites, car elles n’ont pas prévu de plafonnement des montants versés par exploitation en 2023. Cette absence a eu pour effet de favoriser les grandes fermes disposant de volumes de production ou de surfaces importantes, et souvent mieux équipées pour mobiliser rapidement les dispositifs. Les petites fermes, notamment celles des jeunes exploitants, les structures en circuit court ou les producteurs en polyculture-élevage, ont quant à elles été pénalisées, soit parce qu’elles ne répondaient pas aux critères retenus, soit parce que l’enveloppe avait déjà été consommée avant qu’elles aient pu déposer leurs dossiers.

Au-delà de cette logique opportuniste, il faut bien le dire, pour laquelle il convient de blâmer l’État plus que les agriculteurs, les budgets consacrés au soutien de l’agriculture biologique ont parfois pris la forme d’un dénigrement de l’agriculture conventionnelle. Ce soutien bénéficie en effet indirectement à certains distributeurs qui se sont illustrés par le passé par des campagnes de communication mettant en cause la qualité de l’agriculture française. Au sein même de l’État, le financement de campagnes de communication dédiées à la promotion de l’agriculture biologique pose profondément question. Le budget dédié à la communication, géré par l’Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, dite Agence bio, est passé de 500 000 euros en 2021 à plus de 5 millions d’euros en 2024. Par comparaison, la totalité du budget de communication de l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao) pour l’ensemble des signes de qualité est d’environ 600 000 euros, financés sur ses fonds propres. La campagne de communication de l’Agence bio intitulée « C’est bio la France ! », met en scène la consommation de produits qui pourraient parfaitement venir de l’agriculture conventionnelle, et cela pour générer un réflexe chez le consommateur en ne fournissant aucune information objective.

Je pose enfin la question des marges réalisées par les distributeurs commercialisant les produits issus de l’agriculture biologique. L’Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM) ne suit qu’un panier très limité de produits issus de l’agriculture biologique. Ce travail, en l’état, ne présente pas d’utilité particulière pour le citoyen en raison de son manque de représentativité. L’OFPM fait valoir le manque de données, notamment de données relatives aux conditionnements et l’absence de comparaison possible entre les produits bio et non bio. Certaines études de l’UFC-Que Choisir, menées en 2017 et 2019, semblent indiquer que les marges sont en moyenne 96 % plus élevées en agriculture bio qu’en agriculture conventionnelle. Ces travaux doivent être approfondis de manière plus scientifique et plus systématique pour tirer des conclusions définitives sur une éventuelle politique de surmarge sur les produits issus de l’agriculture biologique.

Face à l’ensemble de ces dysfonctionnements, nous formulons des recommandations claires.

Premièrement, il faut fixer des objectifs réalisables à l’indicateur de part de superficies cultivées en agriculture biologique.

Deuxièmement, il est impératif de compléter cet indicateur par un autre relatif à la production issue des exploitations en agriculture biologique.

Troisièmement, les dispositifs doivent reposer sur une logique d’analyse du marché et de la demande filière par filière afin de favoriser des conversions qui soient durables.

Quatrièmement, il convient d’étudier la possibilité d’introduire un volant conjoncturel et des mécanismes de flexibilité dans les aides à l’agriculture biologique, de manière à adapter le rythme des conversions et le soutien public aux exploitations selon la situation du marché.

Cinquièmement, le ministère se doit d’assurer un suivi beaucoup plus rigoureux des aides mises en place, de leur efficience et des éventuels effets d’aubaine qu’elles génèrent, en associant les acteurs privés intervenant en matière de conseil aux exploitants.

Sixièmement, il importe d’encourager la contractualisation entre producteurs, transformateurs et distributeurs dans le cadre de la loi Egalim 2 du 18 octobre 2021.

Septièmement, les budgets publics dédiés à la communication spécifique sur les produits issus de l’agriculture biologique doivent être supprimés. Faire de la publicité pour des intérêts marchands ne relève pas de la mission de l’État. Ce n’est ni équitable ni efficace.

Huitièmement, il convient d’adapter rapidement les mesures réglementaires afin d’organiser les modalités de transmission par les acteurs privés de toutes les informations nécessaires à la réalisation de la mission de l’OFPM pour les produits de l’agriculture biologique.

Enfin, notre dernière recommandation concerne les opérateurs et agences de l’État. À titre liminaire, je dénonce fermement la liberté de ton de l’Agence bio qui, à plusieurs reprises lors des derniers mois, a fait publiquement valoir sa désapprobation vis-à-vis des décisions prises par son ministère de tutelle quant à son budget. Plus profondément, la mission d’évaluation a permis d’identifier les doublons entre les missions de l’Inao, de l’Agence bio et de FranceAgriMer qu’il conviendrait de regrouper au sein d’un opérateur unique ou de réinternaliser au sein des services du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire pour une gouvernance plus claire et plus efficace.

En conclusion, un choix s’offre à nous aujourd’hui : ou bien persister dans une stratégie fondée sur des objectifs irréalistes, avec le risque de continuer à alimenter une bulle et de fragiliser les agriculteurs déjà engagés, ou bien tirer les leçons des erreurs passées pour recentrer les soutiens sur des bases plus rationnelles et pérennes. J’appelle le ministère à s’emparer de ces recommandations de bon sens afin qu’un nouveau rapport parlementaire ne fasse pas les mêmes constats dans cinq ans, car tandis que les rapports s’accumulent, nos agriculteurs souffrent.

M. Philippe Brun, président. C’est, je crois, tout l’honneur de notre Assemblée nationale que de laisser en son sein s’exprimer des opinions divergentes, et celui de notre commission de laisser la politique s’infiltrer dans nos rapports, puisque nous sommes là pour défendre des idées et une certaine vision du monde.

Toutefois, à la lecture de votre rapport, Monsieur le rapporteur spécial, je déplore un certain manque d’honnêteté intellectuelle sur un certain nombre de sujets au-delà des divergences que l’on peut avoir sur le bio. Vous affirmez par exemple que les aides au bio déstabilisent le marché au détriment de l’agriculture conventionnelle. On ne peut quand même pas affirmer, sauf à ignorer l’effondrement actuel de la vente de produits bio dans notre pays, que l’agriculture conventionnelle pâtisse particulièrement d’une concurrence déloyale de la part du bio qui, de fait, aujourd’hui ne jouit pas d’une grande popularité chez les consommateurs.

Vous proposez de supprimer toute forme de communication publique à l’égard des produits bio, arguant qu’il n’est pas du rôle de l’État de faire de la publicité commerciale. Mais, de la même manière, souhaitez-vous également que l’on supprime les budgets de communication publique pour les produits laitiers, les éleveurs français ou encore les produits régionaux ?

Vous allez assez loin dans votre raisonnement, puisque vous évoquez même des effets d’aubaine. Vous dites par exemple qu’en Occitanie, une partie des territoires ne peuvent pas être cultivés en agriculture intensive en raison de leurs caractéristiques géographiques et géologiques, donc que les exploitants de cette région bénéficient d’aides dont ils n’ont finalement pas besoin.

Vous proposez également de supprimer l’Agence bio, un débat que nous avons eu d’ailleurs en commission mixte paritaire. Vous faites état d’une forme de rébellion de cette agence vis-à-vis de son autorité de tutelle. Pouvez-vous nous dire de quelle rébellion vous parlez exactement, de quelle mise en cause de son autorité de tutelle ? Pour ma part, cela m’avait échappé.

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. La diversité des opinions au sein de notre commission et de l’Assemblée nationale constitue, je vous l’accorde, sa richesse. En revanche, je récuse formellement l’accusation de malhonnêteté intellectuelle que vous venez de formuler à mon encontre. À aucun moment mon rapport ne remet en question l’ensemble du dispositif de subventions bénéficiant à l’agriculture biologique. Si j’avais ignoré les aménités positives de cette agriculture, j’aurais simplement préconisé un réalignement intégral des subventions sur le conventionnel, ce qui n’est nullement le cas.

Je n’ai jamais affirmé que les financements destinés à l’agriculture biologique déstabilisaient l’agriculture conventionnelle. J’ai démontré que certains mécanismes de financement pouvaient perturber les équilibres au sein même des filières biologiques et ne contribuaient pas efficacement à leur pérennisation pour l’ensemble des agriculteurs concernés.

Une réflexion s’impose quant à la légitimité de la publicité faite par l’État aux produits bio. Promouvoir l’agriculture biologique revient, implicitement et par contraste, à stigmatiser l’agriculture conventionnelle, ce qui ne relève pas, à mon sens, des prérogatives de l’État. Fournir une information objective et rigoureusement documentée sur les aménités positives de l’agriculture bio serait pleinement légitime. En revanche, financer des campagnes publicitaires visant à créer un réflexe d’achat sans présenter d’informations objectives sur lesquelles il s’appuie outrepasse le rôle de la puissance publique.

Vous avez évoqué la situation en Occitanie et dans d’autres régions où l’agriculture intensive n’est pas adaptée. Ce point figure précisément dans mon rapport, qui souligne que l’agriculture biologique représente une opportunité économique réelle pour certains territoires dans une logique de marché, à commencer par l’Ardèche. Certains territoires intermédiaires présentent des différentiels de production relativement faibles entre agricultures conventionnelle et biologique. Sur ces espaces, cette agriculture mérite d’être particulièrement encouragée, notamment dans les systèmes de polyculture-élevage.

Quant à mon propos sur l’Agence bio, il s’inscrit dans une perspective plus large. Mon rapport ne préconise pas sa suppression en tant que telle, contrairement à certaines propositions antérieures. Il s’agit d’une réflexion globale sur la réinternalisation des compétences de certains opérateurs au sein des ministères afin d’accroître l’efficacité de l’action publique. Cette recommandation s’applique également à l’Inao et à FranceAgriMer, où des doublons de compétences nécessitent des fusions ou des réintégrations au sein du ministère.

Enfin, je ne détaillerai pas ici l’atmosphère parfois difficile qui a caractérisé certaines auditions conduites en vue de l’élaboration de mon rapport. Force est de constater qu’il existe aujourd’hui des divergences profondes entre les différentes parties prenantes institutionnelles impliquées dans la filière biologique. Ces dissensions se manifestent publiquement et brouillent la perception qu’ont les agriculteurs de la stratégie gouvernementale en matière d’agriculture biologique.

M. Philippe Brun, président. Vous affirmez pourtant dans votre rapport, je cite : « L’Agence bio semble œuvrer dans un sens différent, voire opposé à la politique mise en œuvre par le ministère. Les agences et organes administratifs doivent respecter et mettre en œuvre les orientations politiques choisies par leur ministère de tutelle et n’ont en aucun cas à s’attaquer aux arbitrages rendus ». Je réitère par conséquent ma question : à quels faits précis faites-vous référence ?

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. Je fais précisément référence à la suppression de l’aide exceptionnelle dédiée à la communication dont bénéficiait l’Agence bio. Il s’agissait d’un financement non pérenne, et il est donc parfaitement légitime que la ministre décide aujourd’hui de le reconsidérer. Bien que cette aide ait été initiée par le ministre précédent, nos budgets sont annuels et non pluriannuels, ce qui autorise pleinement la ministre à réduire cette subvention exceptionnelle.

M. Philippe Brun, président. Quelle a été la réaction publique de l’Agence bio sur ce sujet ?

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. L’Agence a manifesté son désaccord explicite face à cet arbitrage ministériel, affirmant que cette décision compromettait la cohérence de son action.

M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Permettez-moi d’intervenir, monsieur le président, pour dire que nous aurions pleinement pu apprécier la qualité de vos échanges avec M. le rapporteur, si nous avions disposé préalablement de son rapport. Sauf erreur de ma part, la convocation à cette réunion envoyée jeudi dernier évoquait l’examen de six ou sept rapports. Hier soir, seuls trois rapports nous ont été transmis, mais pas celui de M. Trébuchet. Dans ces conditions, il nous est difficile de contribuer au débat en nous fondant uniquement sur vos échanges oraux.

M. Philippe Brun, président. Cher collègue, je vous invite à consulter votre messagerie électronique, vous pourrez vérifier ainsi que le rapport de M. Trébuchet nous a été transmis hier soir. Je reconnais néanmoins que ces délais sont particulièrement contraints, situation malheureusement récurrente dans l’ensemble de nos travaux à la Commission des finances. Nous aborderons cette question lors de notre prochaine réunion de bureau afin d’améliorer les conditions d’étude de ces rapports avant leur examen en commission.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Christian Girard (RN). Le rapport présenté aujourd’hui sur l’agriculture biologique établit un diagnostic particulièrement lucide sur les limites d’un pilotage par les subventions totalement déconnecté des réalités du marché, des comportements de consommation et des contraintes économiques auxquelles font face nos agriculteurs.

Depuis de nombreuses années, la puissance publique s’est enfermée dans une logique purement incantatoire. Il fallait atteindre successivement 15 %, puis 18 %, puis 25 % de surface agricole en bio à des échéances précises, sans jamais s’interroger sur l’adéquation de l’offre à la demande, sans jamais développer les outils d’accompagnement économique ou de transformation industrielle qui auraient rendu le bio véritablement soutenable et compétitif.

Les aides à la conversion ont certes attiré de nombreux agriculteurs, souvent de bonne foi, mais aujourd’hui nombre d’entre eux se retrouvent piégés, confrontés à la hausse inexorable des charges, étranglés par la baisse des prix et abandonnés par un État qui s’est cru visionnaire en fixant des objectifs de surface sans considération pour la demande réelle des consommateurs.

Notre groupe politique tient à affirmer clairement sa position : nous ne contestons aucunement la valeur intrinsèque de l’agriculture biologique, mais nous dénonçons une politique agricole qui substitue l’idéologie à une vision équilibrée du développement agricole et de la souveraineté alimentaire.

Monsieur le rapporteur spécial, considérez-vous sincèrement qu’un modèle fondé sur une offre artificiellement subventionnée, dépourvue de débouchés structurés, puisse encore être viable à terme ? Ne faut-il pas désormais reconsidérer l’ensemble du dispositif au bénéfice de tous les producteurs, qu’ils soient engagés dans l’agriculture biologique, certifiés par le label Haute Valeur environnementale (HVE) ou pratiquant une agriculture conventionnelle responsable ?

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. Je partage pleinement votre constat. Pour compléter ma réponse à M. le président, qui semble considérer que mon rapport ne valorise pas suffisamment les aménités positives de l’agriculture biologique, je tiens à préciser que ces bénéfices sont largement pris en compte dans les politiques publiques depuis une décennie.

Mon rapport dénonce en revanche l’absence de considération d’un paramètre fondamental : l’évolution effective de la demande et la nécessaire approche par le marché. Cette omission compromet gravement l’efficacité des dispositifs de soutien actuellement déployés en faveur des agriculteurs engagés dans la transition biologique.

Depuis quinze ans, le financement de l’agriculture biologique a été guidé par des objectifs systématiquement déconnectés des réalités du terrain et jamais atteints, avec un écart qui n’a cessé de se creuser au fil du temps. Je ne préconise pas pour autant une refonte totale du système. Je propose plutôt des mesures correctrices ciblées : définir des objectifs réalistes, conditionner les aides à l’existence de débouchés commerciaux, en s’appuyant sur des études de marché rigoureuses préalables à tout dispositif de soutien, et instaurer des mécanismes d’évaluation de l’efficacité réelle de ces aides.

La contractualisation constitue également un levier majeur. Un rééquilibrage des relations au sein de la filière s’impose, car, actuellement, certains acteurs privés adoptent des comportements opportunistes, tirant profit des financements publics pérennes sans justification économique suffisante.

Enfin, une réorganisation des missions des différentes instances publiques soutenant la filière biologique apparaît nécessaire pour garantir une meilleure efficacité de l’action publique.

M. Laurent Baumel (SOC). La filière bio a bénéficié non seulement des aides à la conversion, mais également des aides au maintien. Ces dernières ont été supprimées en 2023 et vous ne semblez pas proposer, monsieur le rapporteur spécial, leur rétablissement. Cela interroge quant à notre volonté collective de maintenir un engagement public dans le soutien de cette filière. Pouvons-nous réellement nous passer aujourd’hui, dans le contexte difficile que traversent les agriculteurs concernés, d’une pérennisation ou d’un retour de ces aides au maintien ?

Par ailleurs, le respect de la loi Egalim concernant la restauration collective constituait un levier non négligeable de soutien direct à la filière bio. Or les producteurs concernés que nous rencontrons dans nos territoires soulignent fréquemment le déficit d’application de cette loi. J’aimerais connaître votre position sur cette problématique.

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. La question des aides au maintien représente effectivement un enjeu majeur. Leur suppression s’inscrivait dans une logique de forte croissance de la demande, afin de privilégier des aides à la conversion. Force est de constater que l’ensemble de ces dispositifs n’avait pas anticipé les potentiels retournements de marché, qu’ils soient conjoncturels ou structurels, susceptibles d’intervenir lorsqu’une filière tente de dépasser son statut de niche.

Cette question revient aujourd’hui avec une acuité renforcée, compte tenu des grandes difficultés que traversent ces agriculteurs. L’enjeu consiste davantage à garantir la pérennité du mode de production qu’ils ont choisi. Parallèlement, nous constatons un reliquat de 257 millions d’euros pour les aides à la conversion sur 2023-2024, ce qui démontre un dimensionnement inadapté du dispositif. Certes, l’écorégime mis en place propose un niveau finalement supérieur à celui que prévoyaient les aides au maintien. Toutefois, la France présente une spécificité : cet écorégime bénéficie à un public très large. Constitue-t-il véritablement une aide différentielle permettant aux agriculteurs bio de persévérer dans leur choix ? Ce débat mérite d’être posé et le ministère doit s’en emparer.

Les derniers chiffres de l’Agence bio indiquent un taux d’application de 7 % seulement de la loi Egalim, bien en deçà de l’objectif de 20 %. Le respect de cette législation, qui peine manifestement à se concrétiser, demeure à l’évidence un chantier prioritaire pour le ministère.

M. Benoît Biteau (EcoS). La commission des finances a vocation à assurer une gestion optimale des finances publiques. Bien gérer les finances publiques suppose une approche globale. Voilà exactement ce qui fait défaut dans ce rapport.

Celui-ci présente le développement de l’agriculture biologique sous l’angle restrictif des logiques de marché, d’offre et de demande, ce qui ne constitue absolument pas le prisme adéquat pour appréhender ce secteur. Si nous disposons aujourd’hui d’une agriculture conventionnelle proposant des produits à bas prix dans certaines enseignes, c’est précisément parce que nos politiques publiques instaurent une concurrence déloyale au détriment de l’agriculture biologique. Ces politiques font supporter collectivement, en lieu et place des pollueurs, la dépollution de l’air que nous respirons constamment, de l’eau que nous buvons quotidiennement, et tentent de remédier, dans la mesure du possible, aux impacts sanitaires des substances de synthèse. Les produits à bas prix dans les grandes enseignes résultent donc de politiques publiques qui socialisent les dégâts collatéraux.

Je vous invite à considérer une hypothèse alternative : réorienter ces fonds publics, actuellement engloutis dans des solutions curatives, sans fin tant que nous utiliserons des pesticides et engrais de synthèse, vers le soutien d’une agriculture qui préserve notre alimentation, notre eau et notre air. Il s’agirait alors de rémunérer  j’insiste sur ce terme : rémunérer et non plus simplement aider  des agriculteurs qui précisément prennent soin de l’intérêt commun.

Le jour où nous adopterons cette approche, les produits issus de l’agriculture biologique permettront de rémunérer dignement tous les producteurs et de rendre accessibles des aliments sains à l’ensemble des consommateurs, tout en préservant des ressources vitales comme notre nourriture, notre eau et l’air que nous respirons à chaque instant. Tel est l’enjeu véritable du développement de l’agriculture biologique, et cette dimension est totalement absente de ce rapport.

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. Je ne partage absolument pas votre analyse, et ce désaccord repose sur des éléments concrets. Nous prenons en compte de manière structurelle les aménités positives de l’agriculture biologique, comme en témoigne notre système de financement différencié en sa faveur, ainsi que les écorégimes. Si je niais ces bénéfices environnementaux, je préconiserais un alignement complet du financement de l’agriculture biologique sur celui de l’agriculture conventionnelle.

Je tiens par ailleurs à souligner, car je perçois le sous-entendu dans votre intervention, que les menaces pesant sur notre agriculture proviennent avant tout des remises en question injustifiées de la qualité de l’agriculture conventionnelle. Or l’agriculture conventionnelle de notre pays figure parmi les plus vertueuses au monde, avec des niveaux de protection environnementale très élevés, notamment grâce au label HVE, qui constitue une spécificité française.

En admettant votre perspective sur les aménités positives, cela nous exonère-t-il pour autant de considérer les logiques de marché ? De questionner les objectifs que nous fixons arbitrairement ? La prise en compte des dynamiques de marché en corrélation avec les bénéfices écologiques est à mes yeux essentielle.

J’ajoute qu’un travail approfondi reste nécessaire pour documenter davantage ces aménités positives du bio. Actuellement, aucune étude parfaitement concluante sur la santé humaine ne compare, dans des contextes strictement identiques, l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle. Certains critères, comme les seuils de métaux lourds, absents de la réglementation sur le bio, soulèvent également des interrogations. J’ajoute qu’il me paraît préoccupant que la commission envisage une modification du règlement telle qu’elle impliquerait de considérer les agriculteurs biologiques vertueux a priori, et à ce titre exonérés de contrôles véritables sur la mise en œuvre de leurs dispositifs.

Je constate chez certains soutiens de la filière bio l’existence d’un double discours. Quand une partie de la filière refuse catégoriquement l’instauration de dispositifs destinés à réduire les intrants dans l’ensemble de l’agriculture, tout en exigeant une conversion intégrale et immédiate vers 100 % d’agriculture biologique, on comprend que la véritable préoccupation ne réside pas dans le respect de l’environnement, mais dans le maintien d’un pré carré. Je ne vois pas d’autre explication.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Lorsqu’on est rapporteur d’une mission, et qui plus est le seul rapporteur, il convient d’avoir une réelle ouverture d’esprit. Je ne parle pas de malhonnêteté intellectuelle, mais bien d’ouverture d’esprit. C’est là une obligation fondamentale pour le rapporteur que vous êtes, Monsieur Trébuchet : votre rôle consiste à établir un rapport pour l’ensemble de la commission, en pesant objectivement le pour et le contre.

Dans cette perspective, je m’étonne vivement que votre rapport n’aborde pas les externalités positives offertes par l’agriculture biologique, pourtant largement documentées dans de nombreux travaux scientifiques : préservation de la biodiversité, protection des ressources en eau, résistance accrue face aux sécheresses, accumulation de carbone dans les sols, réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour garantir la pleine pertinence de vos travaux, il aurait été impératif de consacrer un développement substantiel à ce point crucial, particulièrement lorsqu’il s’agit d’évaluer l’efficacité de la politique de soutien à l’agriculture biologique au regard des objectifs fixés. S’agit-il d’un simple oubli de votre part, ou bien d’une démarche délibérément orientée ?

Par ailleurs, vous évoquez un axe d’amélioration essentiel pour assurer le développement des produits biologiques : la stimulation de la demande. Le programme Ambition bio 2027, présenté en 2024, consacre précisément un axe entier à la stimulation de la demande et au renforcement de la confiance des consommateurs. Vos travaux vous ont-ils permis d’évaluer l’efficacité de ces actions ? Avez-vous identifié de nouvelles mesures susceptibles de stimuler efficacement la demande en produits biologiques ?

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. Je récuse catégoriquement ces accusations de partialité. Mon rapport se veut essentiellement rétrospectif et se donne pour objectif d’examiner si les dispositifs actuels, tels qu’ils ont été conçus, ont permis une pérennisation de la filière de l’agriculture biologique. La réponse est objectivement négative. Nous constatons depuis deux ans une régression marquée des surfaces en agriculture biologique, preuve manifeste que les dispositifs ont été mal pensés.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des effets d’aubaine ni sur l’absence de logique d’étude de marché préalable à l’allocation des aides. Force est de constater qu’il y a eu, pour une part, un gaspillage d’argent public. C’est un fait documenté qui mérite d’être porté à la connaissance de l’ensemble des citoyens.

La documentation approfondie des aménités positives de l’agriculture biologique relève davantage des attributions de la commission des affaires économiques. Ces externalités positives sont d’ailleurs déjà prises en compte dans l’ensemble des dispositifs spécifiques au développement de l’agriculture biologique, puisque c’est précisément leur reconnaissance qui justifie l’existence de ces dispositifs. À l’inverse, la logique de marché, composante essentielle de l’étude globale d’une filière, n’a jamais été intégrée par le législateur. Mon rapport comble finalement cette lacune en apportant les informations nécessaires à l’établissement d’une politique publique équilibrée.

Concernant la stimulation de la demande, nous disposons d’un recul insuffisant sur l’efficacité générée par l’investissement dans ce domaine. Les premières campagnes menées, notamment par l’Agence bio, l’ont été dans un contexte où la demande progressait d’elle-même, ne permettant pas d’évaluer véritablement l’impact de la communication étatique. Et j’insiste sur le caractère légitime du questionnement que j’ai formulé sur le principe même de ce soutien de l’État à la demande.

Mme Félicie Gérard (HOR). Le rôle de l’État dans le soutien à l’agriculture est manifestement essentiel, notre pays demeurant une grande puissance agricole par sa surface exploitable et la diversité de sa production. En ce sens, je partage votre analyse, monsieur le rapporteur spécial : les choix de financement public de l’agriculture biologique doivent s’effectuer au regard des enjeux de souveraineté alimentaire pour notre pays.

Je souhaite obtenir des précisions sur deux éléments de votre rapport. Premièrement, vous dénoncez la prise en compte de la surface agricole utile comme indicateur plutôt que la production. Il apparaît pourtant évident que l’agriculture biologique, du fait de son cahier des charges spécifique, génère moins de rendement que l’agriculture traditionnelle que vous qualifiez d’agriculture de rendement. Dès lors, comment garantir que le nouveau critère que vous préconisez ne pénalise pas significativement l’agriculture biologique ?

Deuxièmement, vous plaidez pour une rationalisation des aides à l’agriculture biologique. Or, de nombreux agriculteurs ont déjà engagé des transitions partielles ou totales de leur exploitation vers le bio. Il semble donc fondamental d’assurer la pérennité des financements qui leur ont été promis dans la perspective de mener à bien cette transition. Votre rapport intègre-t-il la situation de l’ensemble des agriculteurs en cours de conversion vers le bio ?

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. L’actuel critère de surface ne me paraît effectivement pas le plus pertinent pour mesurer le développement de l’agriculture biologique. Il présente certes un intérêt pour établir des comparaisons internationales et doit donc être maintenu à ce titre. Cependant, j’estime nécessaire d’y adjoindre d’autres indicateurs, notamment celui de la production effective.

Dans un contexte où nous cherchons à retrouver notre souveraineté alimentaire face à des tensions géopolitiques accrues, il devient essentiel de mesurer la contribution réelle de l’agriculture biologique, non seulement en termes d’emprise territoriale, mais également en volume de production. J’ajoute que les différentiels de rendement à l’hectare varient considérablement selon les types de cultures biologiques, paramètre qui mérite également d’être pris en compte. Il ne s’agit aucunement de supprimer l’indicateur existant, mais bien de le compléter par une mesure qui évalue plus précisément la contribution de l’agriculture biologique à notre souveraineté alimentaire.

Quant au maintien des aides pour les exploitants déjà engagés dans une conversion, mon rapport souligne effectivement le caractère erratique des modifications apportées par le ministère aux dispositifs de soutien. Je plaide pour une cohérence de l’action publique : tous les agriculteurs envers lesquels des engagements ont été pris doivent être accompagnés jusqu’au terme du processus. Il convient donc de maintenir intégralement les aides dont ils bénéficient actuellement, particulièrement dans cette phase difficile où la demande demeure atone. Toutefois, je préconise pour l’avenir de reconsidérer nos dispositifs d’aide à la conversion afin de mieux corréler ce mode de production avec les réalités du marché qui peut l’absorber.

M. Philippe Brun, président. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Benoît Biteau (EcoS). Je souhaite, dans un esprit de clarification, opposer quelques faits aux contre-vérités qui, sous forme d’un inventaire à la Prévert, parsèment ce rapport.

Premièrement, la réparation des dégâts causés par l’agriculture conventionnelle coûte seize fois plus cher que le soutien à une véritable politique de développement de l’agriculture biologique. Ce n’est pas un écolo moustachu à queue de cheval et boucle d’oreille qui l’affirme, c’est la Cour des comptes, dans un rapport datant de 2022.

Deuxièmement, c’est bien dans les exploitations agricoles conventionnelles que l’on observe la plus forte concentration de métaux lourds dans les sols et dans les aliments.

Troisièmement, les écorégimes ne constituent qu’une forme de conditionnalité, et sont loin de remplacer les aides au maintien de l’agriculture biologique, puisque le différentiel, de l’ordre de 30 à 40 euros, demeure extrêmement faible.

Enfin, je vous invite monsieur le rapporteur spécial, à consulter le cahier des charges de la certification HVE : à aucun moment celui-ci ne limite les molécules utilisables en agriculture ni leurs dosages. HVE signifie en réalité « haute valeur d’enfumage » et je trouve incompréhensible que nous développions des politiques publiques autour d’une telle fumisterie.

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. J’ai pris connaissance, comme vous monsieur Biteau, du rapport de la Cour des comptes que vous mentionnez. Je tiens cependant à souligner que celui-ci n’est pas exempt de présupposés idéologiques dans sa méthodologie. Par ailleurs, les études menées sur le sujet que vous évoquez ne sont absolument pas exhaustives et ne permettent en aucun cas de valider avec certitude les chiffres que vous avancez. Si tel était le cas, l’État aurait déjà intégré ces données dans l’ensemble des dispositifs mis en place.

Par ailleurs, je ne dis pas que les aides au maintien ne sont pas nécessaires. Cependant, je souligne simplement l’existence préalable des écorégimes ainsi que du crédit d’impôt spécifique à l’agriculture biologique.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Je crois qu’il convient d’appréhender le financement de l’agriculture biologique en se gardant d’une vision trop technocratique. Dans la réalité, nous constatons les difficultés d’installation et de conversion auxquelles sont confrontés de nombreux exploitants, particulièrement les jeunes, dont les projets correspondent pourtant à des aspirations sociétales fortes. En tenant compte de cette expérience concrète d’installation, nous devons reconnaître l’impossibilité d’adopter une logique purement économique sans considérer les contraintes réelles liées aux territoires, aux filières et aux types de cultures. Un accompagnement et une programmation adaptés s’avèrent donc indispensables.

À l’évidence, nous ne disposons pas aujourd’hui d’un modèle économique parfait. Mais vos préconisations, monsieur le rapporteur spécial, ne risquent-elles pas de nous faire retomber dans une opposition étroite entre les différents modèles de production ?

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. Vous mettez en garde, monsieur Mandon, contre une approche technocratique, et j’ai l’impression que vous m’adressez implicitement ce même reproche. Or je soutiens précisément l’inverse : je cherche à nous extraire d’une politique qui, jusqu’à présent, a effectivement été trop technocratique. Ce n’est pas en décrétant arbitrairement dans une loi que nous atteindrons 30 % de surface en agriculture biologique en 2030 que nous y parviendrons, ni même qu’il soit nécessairement souhaitable d’y parvenir. Nous constatons clairement que lorsque les objectifs fixés sont déconnectés de la réalité atteignable par une filière, cela génère des dysfonctionnements dans son accompagnement.

Je ne vois absolument pas en quoi mon rapport conduirait à retomber dans une logique technocratique, puisque je préconise simplement d’introduire une logique de marché avec des études et analyses par filière pour paramétrer nos aides. Cette approche est absolument nécessaire en ce qu’elle permet de garantir à un agriculteur qui se convertit au bio l’existence de débouchés pour sa production.

L’introduction d’un volet conjoncturel et de mécanismes de flexibilité dans les aides à l’agriculture biologique, va précisément dans le sens de vos préoccupations. Elle implique que lorsque la demande stimule fortement la filière, nous pourrions réduire proportionnellement nos aides à la conversion. À l’inverse, face à une demande plus atone, il devient nécessaire de soutenir ceux qui sont déjà engagés. C’est une question de bon sens et d’adaptation à la réalité concrète de la filière. Je rejoins donc pleinement votre position : nous devons abandonner l’approche technocratique au profit d’une analyse concrète du réel et du potentiel véritable de ce mode de production.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Opposer l’agriculture biologique à l’agriculture conventionnelle, comme vous le faites parfois dans vos réponses, monsieur le rapporteur spécial, constitue une erreur fondamentale. Cette opposition équivaudrait à mettre en confrontation la réindustrialisation et l’économie sociale et solidaire, ce qui n’a aucun sens.

Je fais partie, comme probablement beaucoup d’entre vous, de ceux qui souhaitent qu’une alimentation locale et de qualité soit rendue accessible à tous. À cet égard, encourager l’agriculture biologique représente une véritable politique publique. Vous préconisez dans votre rapport davantage de science et de rationalité dans l’analyse des aides au bio, tout en omettant complètement la dimension de santé publique, qui constitue pourtant le fondement même d’une analyse scientifique. Une analyse rationnelle implique nécessairement une vision à 360 degrés. Or, le terme « santé » n’apparait qu’une seule fois dans votre rapport, ce qui me semble très révélateur et profondément problématique.

Vous dénoncez également la légitimité de l’intervention de la puissance publique pour corriger les imperfections du marché. Ces imperfections sont pourtant directement liées à l’asymétrie d’information concernant la qualité des produits : le producteur connaît parfaitement la composition de son produit, contrairement au consommateur. Les dépenses de communication et de labellisation s’avèrent donc indispensables.

Enfin, je souhaite vous interroger sur les aides à la conversion et au maintien : ne devrions-nous pas autoriser l’utilisation des enveloppes de conversion non consommées pour le versement d’aides au maintien ?

M. Vincent Trébuchet, rapporteur spécial. Je récuse formellement dans mon rapport toute opposition entre agriculture biologique et agriculture conventionnelle. Ce réflexe, je l’ai davantage constaté lors de certaines auditions, notamment de la part de personnes fermement convaincues de la nécessité d’atteindre 100 % d’agriculture biologique et témoignant d’une réelle condescendance envers l’agriculture conventionnelle. En réalité, ces deux approches sont complémentaires. L’agriculture biologique ne saurait prétendre constituer l’unique réponse aux enjeux de souveraineté alimentaire, compte tenu de ses rendements significativement inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle.

Vous évoquez, madame Pirès Beaune, l’importance de manger bio et local. Je partage partiellement ce point de vue, car il importe de rappeler que manger local ne signifie pas nécessairement manger bio. Cette confusion constitue l’un des dysfonctionnements majeurs observés dans la commande publique visant 20 % de consommation bio en restauration collective. Cette politique a parfois conduit à l’importation de produits biologiques alors même que des produits locaux, non certifiés bio, étaient disponibles à proximité immédiate. Cette incohérence ne permettait pas, de surcroît, aux établissements de bénéficier d’une prévisibilité d’approvisionnement pourtant indispensable.

Je reconnais que l’asymétrie d’information entre producteur et consommateur est une réalité, et je n’ai jamais contesté la légitimité de l’État à œuvrer pour une meilleure information des consommateurs. Cependant, j’estime que la communication représente une démarche distincte, visant à instaurer des réflexes comportementaux par des campagnes publicitaires dont les images peuvent tout aussi bien provenir de l’agriculture conventionnelle.

Enfin, je considère effectivement qu’un mécanisme plus souple pourrait permettre qu’une part des aides à la conversion non utilisées puisse, durant les périodes de faible demande, contribuer au maintien des agriculteurs dans leur mode de production choisi.

M. Philippe Brun, président. Nous avons achevé la discussion relative à ce thème d’évaluation. J’invite maintenant la commission à se prononcer sur l’autorisation de publication de ce rapport d’information, conformément à l’alinéa 3 de l’article 146 du règlement de l’Assemblée nationale.

Compte tenu de l’opposition de la majorité des commissaires présents, la commission n’adopte pas le rapport et n’autorise pas sa publication.

 

 


La commission examine ensuite, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information sur la politique de la ville et ses financements de M. David Guiraud, rapporteur spécial de la mission Cohésion des territoires : politique des territoires

Nous accueillons à présent M. David Guiraud, rapporteur spécial de la mission Cohésion des territoires : politique des territoires, qui a choisi comme thème d’évaluation la politique de la ville et ses financements.

M. David Guiraud, rapporteur spécial de la mission Cohésion des territoires : politique des territoires.  La politique de la ville est née dans les années 1970, fruit d’une prise de conscience des difficultés émergentes dans les grands ensembles urbains et d’une reconnaissance, je cite, d’une « ségrégation sociale par l’habitat »  terminologie utilisée sous la présidence de Georges Pompidou et qui paraîtrait presque clivante aujourd’hui. Cette politique s’est progressivement renforcée à partir des révoltes urbaines de Vaulx-en-Velin, notamment en 1979, pour évoluer vers une véritable politique de cohésion sociale dans les années 1990. Devenue interministérielle, la politique de la ville a bénéficié de crédits d’intervention spécifiques, telle la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), et s’est orientée résolument vers la réduction active des inégalités.

Les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) subissent continûment une violence tant sociale que politique. L’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) révèle que plus de 55 % des enfants vivant en QPV sont en situation de pauvreté, contre 20 % dans l’ensemble du territoire national. Cette disparité se manifeste également en matière d’emploi, le taux de chômage y étant 2,5 fois supérieur à la moyenne nationale, ainsi qu’en matière d’éducation. La violence politique se traduit par des discours belliqueux stigmatisant ces populations et une focalisation excessive sur les questions sécuritaires, souvent instrumentalisées pour occulter les problématiques fondamentales.

Depuis le 1er janvier 2024, on dénombre précisément 1 362 QPV en France métropolitaine auxquels s’ajoutent, depuis 2025, 246 quartiers en outre-mer. Ainsi, la politique de la ville concerne 5,9 millions d’habitants, soit près de 10 % de la population française. Il convient de garder à l’esprit ces chiffres lorsque l’on porte sa réflexion sur les financements de cette politique.

Pour atténuer les inégalités affectant les habitants des QPV, l’investissement public demeure indispensable, car il manifeste l’effort collectif de solidarité envers les plus défavorisés. L’amélioration des conditions de vie contribue à reconnaître l’importance de ces habitants dans la collectivité nationale, participant ainsi à la cohésion territoriale et nationale. Il n’est bien entendu nullement question d’opposer les quartiers prioritaires aux autres territoires français, notamment ruraux, ni de hiérarchiser les souffrances vécues. Il s’agit simplement de rappeler que les QPV assument une fonction structurelle que nul autre ne souhaite endosser aujourd’hui : ils accueillent les nouveaux arrivants, les exclus, les précaires, les plus pauvres. Alors, après quatre décennies d’une politique de la ville aussi contestée qu’indispensable, il faut le marteler : la politique de la ville n’est pas un palliatif, c’est une vision politique aboutie, proposant des solutions concrètes à des problématiques concrètes.

Les niveaux d’intervention de la politique de la ville se sont diversifiés au fil du temps, avec les zones urbaines sensibles (ZUS) en 1996, qui comprennent les zones de redynamisation urbaine (ZRU) et les zones de redynamisation urbaine (ZRU), puis l’année suivante le réseau d’éducation prioritaire (REP). Ces dispositifs coexistent avec un programme national de rénovation urbaine sous impulsion de l’État (PNRU) initié en 1999, renforcé par la loi de 2003 créant l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).

Neuf ans après les révoltes urbaines de 2005, la du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite loi Lamy, a posé les fondements de la politique de la ville actuelle, recentrée sur 1 514 quartiers prioritaires, déclinée dans un contrat de ville unique, transversal et co-construit. Cette loi a également lancé un nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), doté de 14 milliards d’euros et déployé dans 480 QPV pour engager d’importantes opérations d’aménagement. En parallèle, l’éducation prioritaire a été restructurée en 1 080 REP et 350 réseaux renforcés (REP+), définis par des critères soumis à une révision quadriennale et bénéficiant de moyens accrus.

Depuis 2017, la politique de la ville souffre manifestement d’un déficit de vision globale et d’animation politique, en dépit des propositions figurant dans le rapport Borloo de 2018, dont on sait le peu d’intérêt que lui a porté le président de la République, et dont l’héritage se limite aux cités éducatives et au dédoublement des classes en REP. Le pilotage politique demeure insuffisant et sporadique, le Comité interministériel des villes (CIV) ne s’étant réuni que trois fois depuis 2017, tandis que le ministère délégué chargé de la ville n’est plus systématiquement rattaché au premier ministre. Seules 30 % des 84 annonces formulées lors du dernier CIV ont été effectivement mises en œuvre à ce jour. La lisibilité d’ensemble de cette politique reste problématique, notamment la distinction entre les mesures relevant du droit commun, du droit commun renforcé ou des dispositifs spécifiques à la politique de la ville.

L’avenir du NPNRU se trouve également menacé. Les annulations de crédit du programme 147  100 millions d’euros en 2024 et 15 millions d’euros en 2025  réduisent les fonds mobilisables par l’Anru et fragilisent sa trésorerie. En raison du retard pris par certains projets, la ministre chargée du logement a toutefois étendu la date limite d’engagement des crédits et porté l’échéance de livraison des opérations à 2032. Si le programme devrait par conséquent être soutenu et financé jusqu’à son terme, du moins nous l’espérons, ce désengagement progressif suscite la crainte, notamment parmi les associations d’élus, que l’État ne prolonge pas la politique de renouvellement urbain après le NPNRU.

Il convient toutefois de rappeler que la contribution de l’État à l’Anru reste secondaire, puisqu’il apporte 1,2 milliard d’euros de crédits contre 8 milliards d’euros de concours financiers d’Action logement et 2,4 milliards d’euros mobilisés par les bailleurs sociaux. L’impulsion étatique demeure cependant décisive pour assurer une politique de renouvellement d’ampleur. La crainte réelle concerne l’obligation pour les collectivités locales de financer seules certains projets d’aménagement. Étant donné l’état actuel de leurs finances, nous pouvons redouter le pire, à savoir l’annulation pure et simple des projets.

Quels constats dressons-nous dans ce rapport ? Nous observons d’abord que les investissements dans la politique de la ville produisent des résultats tangibles. Le problème réside précisément dans la faiblesse de ces investissements et les retards accumulés en matière de droit commun.

La politique scolaire contribue par exemple à la réduction des inégalités éducatives, notamment avec les réseaux REP+ et REP. Ces mesures ont généré des effets concrets. Ainsi, la proportion d’enseignants aguerris, c’est-à-dire comptant cinq ans d’ancienneté en REP, a progressé de 1,8 point entre 2021 et 2022 et de 1,4 point entre 2022 et 2023. En comparaison, hors REP, cette proportion a augmenté seulement de 0,1 point entre 2022 et 2023. De même, de 2019 à 2023, l’écart de réussite au brevet des élèves en collège REP+ s’est réduit, passant de – 13 points à – 11 points. Nous constatons donc des résultats, qui demeurent toutefois bien en deçà des objectifs fixés par la refondation de l’école de la République, notamment celui de 10 % d’écart maximum de réussite scolaire.

En dépit des critiques justifiées qui lui sont adressées, le PNRU a permis la construction de 48 000 logements nouveaux et la réhabilitation de 408 000 logements entre 2003 et 2013, pour un coût global de 7 milliards d’euros. Dans l’ensemble, ce plan a également réduit la vacance des logements et augmenté significativement la mixité sociale. Ces avancées se heurtent cependant à un fait majeur : le recul de l’État et des secteurs privés historiquement mobilisés, notamment les banques et les entreprises, dans la construction de logements sociaux ou abordables, lesquels sont devenus trop rares.

Après quarante ans d’existence de la politique de la ville, comment rompre avec cette impression que nous vidons l’océan à la cuillère ? L’incapacité de cette politique à lutter efficacement contre les inégalités territoriales tient à plusieurs facteurs. J’en énoncerai quelques-uns qui intéresseront la commission des finances, notamment l’absence d’un objectif clairement défini de réduction des inégalités socio-spatiales.

Depuis la loi Lamy, la politique de la ville s’oriente vers une logique de subsidiarité renforcée. Elle s’organise désormais en trois niveaux : le droit commun, les crédits renforcés et l’action subsidiaire, notamment via le programme 147. À chacun de ces niveaux, la politique de la ville se compose d’un ensemble d’actions disparates et difficilement lisibles. En outre, la carte des quartiers prioritaires ne correspond pas toujours à celle de l’éducation prioritaire, qui n’a pas été actualisée depuis 2015.

Cette situation engendre parfois des aberrations, comme ces 270 écoles dites « orphelines » situées en QPV, mais non incluses dans la géographie prioritaire. Le même problème affecte les allègements fiscaux et sociaux des zones franches urbaines (ZFU) et des territoires d’industrie. Les quartiers de reconquête républicaine (QRR) connaissent également cette difficulté, tandis que l’Anru possède son propre zonage de conventionnement. La politique de la ville tente de corriger cette complexité excessive, notamment par les contrats de ville qui proposent un cadre territorial unique, mais qui reste difficile à appréhender pour les élus, particulièrement pour distinguer les crédits de droit commun de l’effort spécifique conduit pour les QPV.

Cet entremêlement des niveaux d’intervention compromet tout effort de budgétisation de la politique de la ville. Les montants présentés dans la documentation budgétaire s’écartent ainsi considérablement de la réalité. Un exemple : sur les 40,5 milliards d’euros en autorisations d’engagement présentés dans le document de politique transversale, nous trouvons 15,4 milliards d’euros du programme 157, Handicap et dépendance, et 14 milliards d’euros du programme 304, Inclusion sociale et protection des personnes. Nous comptabilisons donc l’intégralité de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, alors qu’une partie seulement de ces crédits contribue effectivement à la politique de la ville. À l’inverse, pour le programme 140 Enseignement scolaire public du premier degré, nous comptabilisons uniquement la proportion des crédits dits renforcés, soit 1,9 milliard d’euros. Cette confusion entre crédits de droit commun et crédits renforcés empêche toute évaluation sérieuse de la politique de la ville. À cet égard, nous pourrions fixer un objectif quantifiable d’investissement dans les services publics et les infrastructures de transport.

Il importe également d’actualiser la carte de l’éducation prioritaire afin de la faire correspondre aux évolutions issues de la réforme de la cartographie prioritaire de 2024. Il convient aussi de généraliser les cités éducatives et de maintenir les dispositifs existants, comme prévu par le CIV de 2023, puisqu’ils démontrent une bonne appropriation par les académies, les élus et les préfets.

L’examen automatique du droit à la bourse, actuellement en expérimentation, pourrait être généralisé s’il permet effectivement de réduire le taux de non-recours. Son extension à d’autres aides sociales mérite également d’être envisagée. La réforme de la géographie de la politique de la ville a par ailleurs augmenté de 10 % la population vivant en QPV. Cette réforme nécessite donc une augmentation et une sécurisation des crédits de la politique de la ville.

Je considère par ailleurs qu’une clarification du schéma de financement améliorerait l’efficacité de la politique de la ville. Notre collègue M. Éric Woerth formule actuellement des propositions dans ce sens, notamment une convergence, voire une fusion de la DSU avec la dotation politique de la ville (DPV), et de la DPV avec l’ensemble des dotations d’investissement. Les élus que j’ai consultés partagent l’objectif d’une simplification des dotations, mais soulignent que la DSU constitue un outil plus pilotable que la DPV et ne requiert pas de concertation préalable avec le préfet. Je préconise donc de privilégier la décentralisation des crédits non fléchés, permettant ainsi un pilotage plus fin.

Concernant les crédits d’État, je souligne à nouveau l’importance de mieux distinguer les crédits dits de droit commun des crédits renforcés. Pour éviter les à-coups de gestion, nous gagnerions à systématiser les conventions interministérielles d’objectifs entre le ministère chargé de la ville et les différents ministères d’intervention. Le premier ministre pourrait adresser une circulaire aux ministères à ce sujet, sur le modèle de la circulaire de 2016.

Nous devons également harmoniser les règles de gestion financière des différents budgets opérationnels des programmes, afin d’éviter que ne se juxtapose dans les mêmes quartiers une priorisation différente des publics selon le programme budgétaire mobilisé. Ce principe vaut également pour les financements privés, notamment les dépenses fiscales.

La co-construction de la politique de la ville constitue un enjeu fondamental, car elle contribue largement à sa réussite. La capacité des habitants à contester, négocier et discuter d’un projet de renouvellement urbain doit être renforcée pour anticiper les blocages et enrichir les projets. C’est pourquoi il est regrettable que les conseils citoyens prévus par la loi Lamy ne fonctionnent pas systématiquement. Là où ces conseils opèrent, il convient de les préserver. Dans les QPV, de nouveaux dispositifs pourraient être imaginés, tels que des conseils d’initiative citoyenne capables de soutenir toutes les formes de participation émanant des territoires. Ces formes de participation citoyenne doivent être davantage valorisées et bénéficier d’un meilleur financement. Je suggère qu’un fonds d’initiative citoyenne soit adossé au contrat de ville et doté d’un montant significatif et stable, renforçant ainsi les capacités participatives des habitants. L’Anru a d’ailleurs proposé une quote-part, dite 1 % participation, calculée sur le montant du renouvellement urbain, afin de financer ces projets participatifs.

Enfin, nous devons impérativement préparer l’Anru 3. Les besoins de rénovation perdurent et perdureront toujours, chaque bâtiment ayant une durée de vie limitée, surtout si l’entretien n’est pas assuré. Nous devons absolument éviter une période d’inaction de cinq à sept ans qui surviendrait si nous ne déclenchons pas rapidement l’Anru 3, indispensable pour poursuivre les travaux de rénovation et de reconstruction. J’adhère donc pleinement aux préconisations des auteurs du rapport remis à la ministre chargée de la ville, Mme Juliette Méadel, qui concluent à la nécessité d’un nouveau programme. Comme eux, j’estime indispensable la poursuivre de l’amélioration des conditions de logement en QPV.

Les problèmes historiques des logements en QPV demeurent. Ce sont des immeubles anciens présentant une typologie inadaptée aux structures familiales contemporaines : dégradation des espaces communs, faiblesse des commerces de proximité, et inadaptation au changement climatique – un aspect qui devrait constituer un axe majeur de l’Anru 3. Alors que les bailleurs sociaux estiment les besoins à 31 milliards d’euros, j’appelle le gouvernement à proposer rapidement sa propre évaluation et à préparer dès maintenant la transition vers ce futur programme.

M. Philippe Brun, président. Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial, pour votre exposé.

Vous mentionnez dans votre rapport que la Cour des comptes a relevé dès 2018 le faible nombre d’entreprises situées en zones éligibles ayant sollicité l’exonération temporaire de cotisation foncière des entreprises (CFE). La Cour des comptes suggère que cette exonération ne joue qu’un rôle marginal dans les décisions d’implantation. La ministre chargée de la ville vient d’annoncer sa volonté d’harmoniser les exonérations fiscales destinées aux quartiers politique de la ville dans le prochain projet de loi de finances, ce dont vous vous félicitez. Or, cette harmonisation ne doit-elle pas faire craindre, selon vous, un coup de rabot sur ces exonérations fiscales ?

M. David Guiraud, rapporteur spécial. Comme l’ensemble des commissaires aux finances, je crains régulièrement les coups de rabot sur les exonérations fiscales. J’estime cependant que cette harmonisation n’est pas nécessairement négative en soi, même si ce n’est pas le scénario que je privilégie. Comme je l’ai mentionné dans mon rapport, nous pourrions également envisager un système d’aides directes. Le problème fondamental des exonérations fiscales réside dans leur faible réception effective par les entreprises et dans leur manque de lisibilité pour les dirigeants. À ce titre, un système d’aides directes où l’État assumerait sa part en soutenant spontanément les entreprises désireuses de s’implanter dans les ZFU présenterait des avantages significatifs.

Le ministère chargé de la ville a sécurisé certains de ses financements en accélérant leur décaissement, notamment sa contribution à l’Anru. De ce point de vue, nous éviterons les coups de rabot. En revanche, concernant les autres aspects de la politique de la ville, particulièrement dans le cadre du prochain projet de loi de finances, la situation demeure incertaine et préoccupante. De nombreuses entreprises bénéficiant actuellement de ces aides se trouvent dans une situation d’incertitude et de flou budgétaire. Je rappelle que les entreprises implantées en QPV ne disposent pas toutes d’une connaissance approfondie des systèmes fiscaux. Chaque modification est par conséquent susceptible d’engendrer d’importantes perturbations, d’autant que toutes ces structures ne disposent pas d’une armée d’experts-comptables pour gérer ces changements.

M. Philippe Brun, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Avant de commencer mon intervention, je souhaite signaler, monsieur le président, qu’après vérification nous avons effectivement reçu un message à 17h20 contenant trois rapports, mais que les autres rapports ne nous sont pas parvenus. Il est, vous vous en doutez, particulièrement difficile d’examiner en séance des rapports dont nous n’avons pas pu prendre connaissance.

M. Philippe Brun, président. Il semble qu’un problème informatique affecte le système interne. Pour ma part, j’ai bien reçu l’ensemble des rapports, mais j’entends que ce n’est pas le cas de tous les commissionnaires. Nous prenons bonne note de cette difficulté et nous veillerons à ce qu’elle ne se reproduise pas.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). On dit de certaines politiques publiques qu’elles coûtent « un pognon de dingue », pour reprendre une formule fameuse d’un certain président de la République. Les fonds alloués aux QPV pourraient parfaitement correspondre à cette description. Si l’intention est parfaitement louable, force est de constater que les résultats de la politique de la ville, initiée il y a plus de quarante ans, sont, et c’est un euphémisme, bien plus que mitigés. En effet, non seulement l’objectif initial de réduction des inégalités demeure largement insatisfait, mais au contraire ces inégalités semblent continuer à se creuser malgré les milliards d’euros déversés sur ces quartiers, notamment à travers l’Anru.

Loin de toute stigmatisation, il devient nécessaire de pointer une réalité évidente : l’abondance de fonds publics alloués à ces quartiers n’a pas permis d’obtenir des résultats probants en matière de cohésion sociale et de développement. Contrairement à de nombreuses zones rurales dépourvues de services publics – et je suis particulièrement bien placée pour en témoigner en tant que députée d’une circonscription rurale – les QPV disposent souvent de nombreux équipements et points d’accès aux services de l’État.

Puisque les problèmes persistent, il convient de chercher ailleurs des solutions. Nous devons repenser intégralement la politique publique d’aménagement de nos territoires selon un principe simple : un euro pour les quartiers prioritaires de la ville et un euro pour la ruralité, car ces territoires ne doivent en aucun cas être négligés. Nous devons tendre vers cette équité si nous ne voulons pas aggraver la fracture territoriale actuelle.

Monsieur le rapporteur spécial, vous avez évoqué l’habitat comme l’un des problèmes majeurs dans ces quartiers. Dans ma ville, qui compte trois quartiers prioritaires, nous passons progressivement d’un habitat vertical à un habitat horizontal. Ne pensez-vous pas que l’application de la loi ZAN va contraindre cette évolution, alors même que toutes les familles aspirent à disposer d’une maison avec un espace privé ? Si l’application de cette loi se poursuit, la situation risque de devenir extrêmement complexe.

De manière générale, ne croyez-vous pas qu’il faudrait sortir d’une approche idéologique pour revenir à davantage de pragmatisme, en envisageant peut-être des investissements plus modérés et une vision différente ? La précarité et les difficultés ne se limitent pas aux quartiers prioritaires, les zones rurales abritent également des populations en grande précarité et très défavorisées.

M. David Guiraud, rapporteur spécial. Je l’ai dit, mon propos n’a aucunement pour finalité de mettre en concurrence ou de hiérarchiser les difficultés que vivent les habitants des QPV et les habitants en ruralité. D’ailleurs, certains quartiers prioritaires se trouvent dans des zones rurales. En un mot, cette opposition entre quartiers prioritaires et zones rurales n’a pas lieu d’être.

Une discussion est en cours qui porte sur la perspective d’intégrer à l’Anru des espaces ruraux ou des problématiques liées à la ruralité ou au périurbain. J’y suis opposé, car je considère que les problématiques des territoires ruraux ou périurbains requièrent un programme spécifique prenant pleinement en compte leurs particularités.

Lorsque vous mentionnez l’idée de répartir un euro pour l’un et un euro pour l’autre, j’ignore de quelle masse de population vous parlez. Je vous parle, pour ma part, de six millions d’habitants. C’est la réalité des QPV, et c’est ce qui justifie l’investissement, dont j’estime qu’il n’est pas actuellement à la hauteur de l’enjeu. Rien n’empêche cependant, et j’y suis totalement favorable  vous noterez d’ailleurs mes remarques dans le rapport sur la TVA et sur l’utilisation efficace de l’argent public  d’avoir un programme spécifiquement destiné aux territoires ruraux et périurbains, ou à tout le moins un programme renforcé, car des actions sont déjà menées dans ces territoires.

La loi ZAN impose d’envisager l’habitat vertical. Quand l’extension horizontale est contrainte, il faut penser à construire en hauteur. Dans ma ville, Roubaix, qui compte énormément de QPV et où la rénovation urbaine se heurte à des difficultés, la hauteur des bâtiments n’excède pas deux ou trois étages, car historiquement la ville s’est développée sur une surface plus étendue. Nous pourrions aisément gagner un ou deux étages supplémentaires, ce qui comblerait largement les besoins actuels.

Je crois sincèrement que l’avenir est à la verticalité, qui n’exclut d’ailleurs pas la possibilité de créer des espaces privés, et pas uniquement en raison de la loi ZAN. C’est la conception historique des grands ensembles qui génère des problèmes, et non la verticalité en tant que telle. Il existe en France et ailleurs des réalisations remarquables, des constructions verticales sublimes, parfois même destinées à des populations aisées, qui intègrent de nombreux espaces privés ou des espaces communs réservés aux résidents. Que l’on apprécie ou non les constructions verticales, ce type de solution est parfaitement viable, alors que le modèle de la petite maison avec jardin devient plus complexe à maintenir.

Tous les acteurs de la politique de la ville éprouvent une frustration relative aux crédits alloués. J’ai évoqué cette impression de vider l’océan avec une cuillère. Mais chaque fois que nous pointons les insuffisances de la politique de la ville, nous devons également nous interroger : que se passerait-il si nous ne faisions rien ? En matière d’éducation prioritaire, d’accès à la culture et au sport, de médiation sociale  car nous parlons beaucoup de police dans les quartiers, mais chaque suppression de poste d’adulte-relais dans un QPV se ressent très fortement  ce sont des accompagnements en moins pour des enfants lors de sorties ou d’activités leur permettant de découvrir d’autres réalités que celle, souvent difficile, de leur quartier.

La politique de la ville génère certes des frustrations, mais je propose dans mon rapport des réponses concrètes pour améliorer sa lisibilité et son évaluation. Le problème fondamental réside dans le fait que ces quartiers n’ont pas accès au droit commun. Nous ajoutons des crédits renforcés ou subsidiaires sans avoir préalablement comblé les lacunes du droit commun, ce qui crée une confusion. Nous devons identifier précisément où le droit commun fait défaut et où les crédits renforcés ne sont pas véritablement utiles. Pour cela, nous avons besoin d’une lisibilité qui fait aujourd’hui largement défaut.

Mme Estelle Mercier (SOC). J’observe avec satisfaction que vous n’êtes pas tombé dans le piège, monsieur le rapporteur spécial, de limiter l’analyse des crédits budgétaires uniquement à ceux liés au renouvellement urbain. Ces crédits d’investissement sont certes essentiels, mais la politique de la ville ne se résume pas à la seule question bâtimentaire ou immobilière. Elle englobe également la cohésion sociale, la création de liens et l’animation des quartiers.

À Nancy, nous menons un projet de renouvellement urbain exemplaire d’un montant supérieur à 100 millions d’euros, consistant à reconstruire le quartier sur lui-même. Nous avons procédé à l’écrêtement des tours, particulièrement élevées, nous les avons sectionnées et séparées pour redonner une dimension humaine à ces bâtiments, ce qui s’avère fondamental.

Toutefois, nous devons également traiter d’autres problématiques, car si l’aspect bâtimentaire est important, la vie quotidienne des habitants l’est tout autant. Nous sommes notamment confrontés à la question des parcours résidentiels, car contrairement aux idées reçues, les habitants apprécient leur quartier et souhaitent y demeurer tout au long de leur vie. Ils aspirent parfois à accéder à la propriété ou à disposer de petites maisons. Leurs besoins évoluent au rythme de la vie. Lorsque les enfants quittent le foyer, des logements plus petits peuvent être recherchés. Cette dimension des parcours résidentiels n’est souvent pas suffisamment prise en compte dans les projets de renouvellement urbain.

Se pose également la question des transitions et des déplacements pendant la phase de reconstruction. Nous vidons partiellement les quartiers à certaines périodes pour permettre les travaux, puis nous rencontrons parfois des difficultés à faire revenir les habitants. Durant cette transition, les commerces souffrent, la vie sociale s’étiole, et cette situation peut perdurer plusieurs années.

Enfin, l’animation et la vie citoyenne au sein des QPV est un sujet d’importance, et pourtant nous constatons que la politique de la ville tend aujourd’hui à réduire son soutien aux associations, aux intermédiaires, aux adultes-relais. Nous observons progressivement la disparition de cette dimension humaine dans les projets de politique de la ville. Or ce sont précisément ces acteurs qui créent le lien social.

Pour conclure, vous démontrez dans votre rapport que l’engagement et le paiement des crédits du NPRU ont pris du retard, ce qui a conduit le gouvernement à accepter que ces crédits puissent être engagés jusqu’en 2027 et les livraisons effectuées jusqu’en 2032. Néanmoins, vous estimez qu’un nouveau programme de renouvellement devrait être élaboré sans attendre. Pourriez-vous préciser les éléments qui plaident en faveur du chevauchement de ces deux programmes, alors que le précédent n’est pas encore totalement engagé ?

M. David Guiraud, rapporteur spécial. Des discussions portant sur un Anru 3 ont été amorcées avec la ministre du logement. La difficulté réside dans la coordination des crédits budgétaires afin d’éviter que l’Anru et l’État ne soient contraints de financer simultanément et jusqu’en 2030 les opérations déjà engagées et celles d’un futur Anru 3, ce qui créerait un problème budgétaire considérable.

Il demeure néanmoins impératif d’enclencher immédiatement la préparation de l’Anru 3, sans quoi nous ferons face à une interruption de cinq à six ans durant laquelle l’État n’aurait certes rien à payer, mais aucun projet ne serait concrètement initié. Si nous n’agissons pas rapidement, les conséquences potentielles d’un tel manquement s’étendraient sur une décennie. La décision relative à la date de lancement, qu’il s’agisse de 2025, 2026 ou 2027, relève de l’appréciation des services ministériels qui disposent d’instruments de mesure plus précis que les miens. L’essentiel reste de lancer ce processus, une nécessité dont les ministères concernés semblent d’ailleurs avoir pleinement conscience.

Concernant la rénovation urbaine, la ministre d’État a annoncé hier le versement de 116 millions d’euros en 2026 à l’Anru, soit plus du double des 50 millions d’euros initialement prévus. Cette décision témoigne d’une volonté ministérielle de respecter les engagements de l’État, volonté que je salue et qui commence à se concrétiser. Nous restons néanmoins vigilants en raison de précédents regrettables, notamment lors du premier Anru où l’État s’était partiellement désengagé de ses investissements, contraignant Action logement à renflouer les caisses. Cette inquiétude persiste tant que l’État n’aura pas versé l’intégralité de sa contribution, qui demeure jusqu’à présent insuffisante.

Bien que la question du parcours résidentiel ne figure pas explicitement dans le rapport, je tiens à vous livrer mon analyse personnelle. Le parcours résidentiel repose sur essentiellement sur deux piliers. D’abord, il repose la capacité de l’État et du secteur privé à proposer des logements, qu’ils soient sociaux ou privés, donc à construire. Or la construction est aujourd’hui au point mort, ce qui constitue notre problème fondamental. Nous avons des dossiers de relogement en souffrance depuis des années, et pas uniquement dans le secteur social.

Ensuite, il incombe aux collectivités locales ou aux intercommunalités de reprendre l’initiative et de proposer ce parcours résidentiel en adaptant l’offre aux besoins réels. Les quartiers prioritaires sont souvent perçus comme des espaces de transit. Une population nouvelle s’y installe et, avec le temps, bénéficie d’une ascension sociale, phénomène qui reste l’un des rares encore observables en France. Ces habitants souhaitent alors évoluer et nécessitent des typologies de logements différentes, qu’il s’agisse de pavillons dans les villes adjacentes ou d’appartements plus spacieux au sein même du quartier. L’État ne peut concevoir seul ces parcours ; cette mission relève également des collectivités qui doivent optimiser les crédits dont elles disposent.

Enfin, je partage entièrement votre vision, madame Mercier, sur l’animation et la vie citoyenne, sujet qui occupe une place importante dans mon rapport. Certains aspects de la politique de la ville demeurent difficiles à budgétiser ou à quantifier tout en étant fondamentaux. Dans le cadre du renouvellement urbain, il s’avère indispensable de sécuriser des fonds permettant aux habitants de s’approprier les projets en cours. Particulièrement lorsqu’ils contestent ces projets, ils ne devraient pas se retrouver face à des décideurs qui leur demandent, comme cela se produit dans ma circonscription, de livrer un « contre-projet ». Cette exigence est irréaliste, car un habitant ne peut spontanément concevoir un contre-projet alternatif impliquant plusieurs centaines de millions d’euros. Il nous appartient par conséquent de sécuriser cette participation citoyenne. L’Anru a déjà initié une école de formation que nous pourrions développer davantage à destination des citoyens, afin de leur permettre une meilleure compréhension des enjeux et ainsi surmonter certains blocages.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Ce rapport aborde les enjeux complexes de la politique de la ville en s’efforçant d’en dresser un état des lieux équilibré. Nous partageons le constat selon lequel les inégalités territoriales persistent dans nos quartiers prioritaires, phénomène que l’on retrouve d’ailleurs dans l’ensemble du territoire national, particulièrement fracturé.

Malgré une mobilisation importante des pouvoirs publics, nous souscrivons également à l’idée qu’il est nécessaire de mieux coordonner les interventions et d’assurer une meilleure lisibilité des dispositifs, tant pour les acteurs locaux que pour les habitants, qui doivent être associés. Cependant, au-delà de ce diagnostic, certaines propositions ou appréciations formulées dans le rapport méritent d’être débattues.

Vous affirmez, monsieur le rapporteur spécial, que la politique de la ville a souffert ces dernières années d’un défaut d’ambition stratégique de l’État. Pourtant, nous constatons des efforts notables, tant sur le plan budgétaire qu’opérationnel. Je pense notamment au PNRU ou au lancement récent de quarante nouvelles cités éducatives. Le rapport semble sous-estimer la logique interministérielle désormais à l’œuvre ainsi que les outils contractuels comme les contrats de relance et de transition écologique, désormais nommés contrat de réussite de la transition écologique (CRTE) et les nouveaux contrats de ville. Sincèrement, de belles réalisations existent sur nos territoires urbains.

Vous soulignez par ailleurs l’enchevêtrement des dispositifs budgétaires, des zonages prioritaires et des niveaux d’intervention qui compliquent le pilotage de la politique de la ville. Dès lors, que recommandez-vous précisément ? Une recentralisation de cette politique pour plus de lisibilité ou bien, au contraire, un renforcement des compétences et de l’autonomie des territoires ? Cette question constitue pour nous un enjeu fondamental. Convient-il d’harmoniser les zonages ou de reconnaître leur diversité comme le reflet de politiques différenciées en matière de sécurité, d’urbanisme et d’éducation, permettant ainsi de couvrir un champ de besoins plus étendu ?

Enfin, vous appelez à un renforcement de l’ambition stratégique de la politique de la ville à travers quatre priorités structurantes. Dans ce contexte, comment garantir que cette refondation ne contribuera pas à l’empilement de couches supplémentaires dans un paysage institutionnel déjà extrêmement complexe ?

M. David Guiraud, rapporteur spécial. Le nombre de réunions du CIV, seulement trois depuis 2017, témoigne à mon sens des insuffisances de l’ambition stratégique de l’État. En outre, si le nombre d’objectifs annoncés lors du précédent CIV était probablement excessif, seulement 30 % ont été réalisés. Je note toutefois que le choix de se concentrer désormais sur trois ou quatre axes prioritaires constitue une avancée positive, ainsi que l’a souligné Mme Méadel.

Je tiens à clarifier que je ne critique aucunement l’existence des cités éducatives. Au contraire, j’appelle à leur généralisation. Mais il faut bien mesurer la contradiction entre l’ambition initiale du gouvernement de les déployer largement, et l’arrêt actuel de leur développement faute de crédits budgétaires suffisants. Ces cités constituent un dispositif particulièrement intéressant en ce qu’elles permettent à différents services de collaborer avec l’éducation nationale sur des projets communs intégrant des acteurs extérieurs. Cette démarche, inédite dans de nombreux territoires, produit des résultats positifs. Il convient donc de généraliser ce dispositif et d’en sécuriser les financements.

Enfin, pour faire face à l’enchevêtrement des dispositifs, des zonages prioritaires et des niveaux d’intervention, je préconise de décentraliser les crédits non fléchés et de renforcer l’autonomie des acteurs locaux. Dans le cadre du contrat de ville actuel, une décentralisation plus poussée permettrait de s’affranchir de l’approbation systématique du préfet, tout en maintenant une coopération constructive entre l’État et les collectivités locales.

M. François Jolivet (HOR). Monsieur le rapporteur spécial, vous regrettez l’absence ou le recul des crédits de droit commun. En tant qu’ancien dirigeant d’organisme HLM, je ne puis que souscrire à ce constat, ce phénomène perdurant depuis longtemps.

Je souhaite cependant vous interroger sur un aspect complémentaire : le recul des budgets municipaux alloués à ces quartiers. Paradoxalement, les villes comportant ces grands ensembles tirent souvent l’essentiel de leurs ressources fiscales de ces mêmes quartiers. Or, les diagnostics de gestion urbaine de proximité sont catastrophiques, et révèlent que les communes délaissent fréquemment ces territoires.

En supervisant personnellement le premier dossier Anru de France dans l’Indre, j’ai pu constater que notre parc HLM contribuait à hauteur de 47 % aux ressources communales sous forme de taxes foncières, tout en demeurant le parent pauvre des investissements municipaux. Les bailleurs, qui représentent finalement de grandes mutuelles d’habitants, subissent cette situation injuste.

Ce recul des crédits communaux de droit commun pose fondamentalement la question de la gouvernance territoriale. Un maire adjoint responsable d’un quartier HLM devrait pouvoir interpeler son homologue chargé de la voirie en lui demandant pourquoi son quartier ne bénéficie jamais de travaux, pourquoi l’équipe de nettoyage municipale déserte systématiquement ce secteur le samedi pour renforcer le centre-ville, puis reproche à ce quartier un manque de propreté, alors qu’il concentre davantage d’habitants, etc.

Si nous envisageons un troisième programme Anru, nous devrions accélérer le financement des projets portés par les villes désireuses d’évoluer sur les plans urbain et social. Ne faudrait-il pas interroger les règles de gouvernance territoriale des villes comportant ces quartiers et examiner l’allocation des ressources, y compris intercommunales ? Pourquoi impose-t-on des surcoûts de taxes d’enlèvement des ordures ménagères uniquement aux quartiers HLM sous prétexte d’incivilités, alors que les autres immeubles échappent à ce traitement discriminatoire ?

J’attire donc votre attention sur l’importance cruciale de repenser la gouvernance de ces quartiers et la responsabilité première des municipalités.

M. David Guiraud, rapporteur spécial. Vous soulevez là un sujet fondamental : comment définir l’équilibre optimal entre la libre administration des collectivités locales et l’intervention de l’État, sans que ce dernier se substitue aux maires dans la définition des politiques locales ? Cette question récurrente trouve quelques éléments de réponse dans nos propositions.

Permettez-moi d’en avancer une : je suggère de maintenir la DSU dans sa forme actuelle, mais de transformer la DPV en une nouvelle action du programme 147 spécifiquement consacrée au volet investissement des contrats de ville. Cette évolution permettrait de fixer dans le contrat les financements et d’introduire un caractère contraignant, y compris pour les maires signataires.

Par ailleurs, j’ai formulé une recommandation volontairement ouverte concernant l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Cette mesure crée théoriquement des obligations pour les bailleurs sociaux, déjà fragilisés par certaines politiques nationales. Il conviendrait de clarifier et rendre plus contraignants les engagements liés à cette exonération, en établissant des contrats plus précis entre bailleurs et collectivités, avec des objectifs rigoureusement encadrés. Actuellement, ces conventions demeurent par trop imprécises.

Ces mesures contribueraient à préserver la libre administration des collectivités tout en garantissant que les financements étatiques de la politique de la ville produisent des effets concrets. Le cadre contractuel actuel, que nous ne prévoyons pas de modifier fondamentalement, gagnerait ainsi en clarté et en efficacité, notamment par l’intégration de certaines subventions directement dans les contrats de ville. Sans résoudre tous les problèmes, cette approche permettrait un fléchage plus efficace des ressources.

M. Michel Castellani (LIOT). Monsieur le rapporteur spécial, vous écrivez dans votre rapport que la politique de la ville ne résout pas correctement la ségrégation spatiale et vous proposez quatre axes de travail. Je retiens particulièrement celui de la culture et de l’éducation, dont vous soulignez à juste titre qu’elle favorise l’émancipation individuelle et renforce les liens collectifs et républicains. Nous partageons entièrement cette vision que la République constitue un vecteur de promotion et d’insertion sur la plus belle échelle d’ascension sociale, lorsqu’elle est judicieusement mobilisée. Ma génération en témoigne amplement.

La question essentielle est donc la suivante : comment optimiser cette filière fondamentale d’insertion ? Comment redonner à l’étude, et par conséquent au travail, leur pleine valeur sociale et individuelle ? Je me garderai de tout angélisme face aux conditions de vie et aux réalités concrètes observées dans de nombreux quartiers français, dans ce que l’on nomme aujourd’hui les cités.

Ma question peut paraître triviale, mais elle s’impose : comment restituer à l’école sa compétitivité, pour regrettable que soit cette formulation ? Comment contrecarrer efficacement l’attrait des trafics qui, bien que catastrophiques à de multiples égards, offrent malheureusement une rémunération immédiate ? L’école, désormais en situation de concurrence directe avec toutes les formes de dérives que nous constatons, incarne pourtant la promotion sociale et une certaine conception de la vie. C’est bien là une réalité contemporaine, aussi déplorable soit-elle.

M. David Guiraud, rapporteur spécial. La politique de la ville remplit essentiellement une fonction préventive. Elle comporte certaines dispositions en matière de sécurité, notamment concernant la tranquillité publique, mais sa vocation première reste la prévention.

J’ai délibérément choisi dans ce rapport d’intégrer des ministères, notamment ceux de l’éducation nationale et de la culture, qui favorisent l’émancipation des individus en les inscrivant dans des cadres de vie sociaux différenciés. Cette approche leur permet d’échapper à la tentation de s’engager dans des réseaux, qui constituent également des réseaux de sociabilité et de fréquentations. La politique de la ville propose ainsi aux jeunes des alternatives en matière culturelle, sportive et éducative.

Si des dispositifs spécifiques existent, le problème majeur réside dans leur manque de lisibilité, entraînant la non-utilisation de certains crédits par les collectivités ou les établissements. Tous les établissements REP+ disposent de dispositifs pour les élèves décrocheurs, mais leur activation dépend aujourd’hui de la volonté et de la disponibilité de l’établissement scolaire concerné, parfois de l’initiative d’une municipalité informée de la situation difficile d’un jeune et consciente des financements mobilisables. Sans critiquer les municipalités, force est de constater que la passivité de certaines d’entre elles entraîne la non-utilisation de lignes de financement disponibles.

La problématique centrale de la politique de la ville concerne donc des crédits et financements existants, mais insuffisamment lisibles, alors qu’ils offrent de réelles opportunités aux jeunes. J’ai particulièrement abordé l’éducation nationale dans mon rapport, car il s’agit de l’un des acteurs les plus impliqués dans la politique de la ville via les réseaux d’éducation prioritaire. Il s’avère impératif de clarifier les différents dispositifs et lignes de financement, en les rendant accessibles à tous, car actuellement, leur activation repose largement sur l’initiative des directeurs d’établissement.

Une meilleure association des municipalités à ces dispositifs produirait des changements significatifs. Concrètement, si certains dispositifs sont défaillants, la plupart génèrent des effets notables. La médiation sociale et les dispositifs permettant d’éviter qu’un jeune temporairement exclu de son établissement scolaire ne reste inactif chez lui, en lui proposant plutôt des activités structurantes et une réintégration progressive, ont un impact incontestable sur cette jeunesse. Ces mesures ne constituent pas une solution miracle, mais elles produisent des résultats tangibles. Leur efficacité requiert cependant une lisibilité et une accessibilité accrues pour tous les acteurs concernés, évitant ainsi que leur activation ne dépende uniquement d’une poignée de techniciens, de leur disponibilité, de leur volonté ou de leur sensibilité à ces questions, particulièrement au sein de l’éducation nationale.

M. Nicolas Sansu (GDR). La politique de la ville ne se limite évidemment pas à l’Anru, elle englobait auparavant les contrats urbains de cohésion sociale (Cucs), elle comprend aujourd’hui les contrats locaux de sécurité (CLS), voire les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), le réseau France Services, les cités éducatives et d’autres dispositifs encore.

Garantir l’application du droit commun dans les QPV constitue un premier axe d’égalité républicaine, qui implique l’égalité d’accès aux services publics. On prétend parfois que la ruralité connaît des difficultés supérieures à celles des quartiers prioritaires, ce qui s’avère inexact. Les défis sont de même nature, mais diffèrent dans leur manifestation. Actuellement, les quartiers prioritaires sont largement dépourvus de services publics, à tel point que les maisons France Services s’implantent désormais tant dans les QPV qu’en milieu rural, devenant une condition essentielle de l’accès aux services publics. N’oublions pas que la Seine-Saint-Denis représente l’un des plus importants déserts médicaux français, ce qui témoigne d’un défaut d’accès aux soins considérable dans les QPV.

La ministre chargée de la ville a annoncé le lancement d’une étude de préfiguration dans la perspective d’un Anru 3. Cette démarche est encourageante, mais montre bien que nous sommes loin d’un aboutissement. En parallèle, la situation de la trésorerie de l’Anru est inquiétante : si 116 millions d’euros sont inscrits au budget 2026, il faudrait au moins 270 millions pour couvrir les besoins de trésorerie en 2026 et même clôturer l’exercice en cours qui s’annonce particulièrement complexe.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial, de tordre le cou à l’idée tenace selon laquelle l’Anru est financée par l’État. Non, les fonds de l’Anru ne proviennent pas de l’État, mais essentiellement d’Action Logement, ainsi que vous l’avez rappelé. Il s’agit donc de fonds issus des cotisations des salariés, du fruit de leur travail, et non de financements étatiques.

Je terminerai par deux observations. D’abord, il apparaît essentiel d’établir une articulation systématique entre QPV et REP, ce qui n’est pas universellement le cas aujourd’hui.

Ensuite, il importe d’examiner attentivement la spécificité des QPV situés en centres-villes, qui constituent une problématique distincte. La paupérisation des centres urbains dans certaines villes a engendré des QPV centraux nécessitant une intervention différenciée dans le cadre de la politique de la ville.

M. David Guiraud, rapporteur spécial. Vous prêchez un convaincu, monsieur Sansu, notamment sur le lien entre les QPV et la ruralité. Il ne s’agit nullement d’opposer ces territoires, je l’ai dit. Les habitants des QPV et ceux de la ruralité partagent de nombreuses réalités communes. Certes, les QPV présentent des spécificités, mais les difficultés partagées avec les territoires ruraux sont considérables, par exemple en matière d’accès aux soins médicaux.

Nous sortons d’une période où l’État considérait, par principe, que l’Anru n’avait pas besoin de trésorerie. Or, maintenant que nous entrons dans une phase concrète de réalisation et d’exécution des dépenses, tout problème de trésorerie qui surviendra en fin d’année et l’année prochaine créera des difficultés majeures. La ministre a annoncé un doublement des dotations de l’État, mais cela reste insuffisant.

Je me contenterai aujourd’hui de prendre acte, comme vous l’avez fait, des annonces ministérielles sur l’étude de préfiguration de l’Anru 3, et de cette volonté affichée. Je note également que l’État a récemment accéléré ses décaissements de manière à éviter les annulations de crédits, ce qui constitue un point positif.

Pour le reste, j’insiste sur la nécessité de rendre la politique de la ville plus lisible afin de dissiper la confusion entre droit commun, droit renforcé et droit subsidiaire. Le problème fondamental de la politique de la ville tient à notre incapacité à l’évaluer correctement. Dans certains secteurs, nous disposons d’éléments d’appréciation. Les cités éducatives, par exemple, présentent des résultats relativement satisfaisants, avec des circuits de financement identifiés et des retours d’acteurs. En revanche, de nombreux autres dispositifs, comme ceux existant dans les REP+, demeurent impossibles à évaluer correctement.

J’ai souligné précédemment la nécessité d’harmoniser les différents zonages. À cette fin, il me semble nécessaire, tant pour les questions de financement que de coordination, de redonner à cette politique la dimension d’un véritable ministère rattaché au premier ministre. Ainsi, ce dernier pourrait animer, impulser, produire des notes et réunir régulièrement les différents ministères dans un cadre interministériel. Il émettrait également des demandes de clarification budgétaire, car inclure la quasi-totalité de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances dans les 40 milliards d’euros attribués à la politique de la ville n’a aucun sens, cette mission ne se limitant pas aux QPV. À l’inverse, l’éducation nationale distingue clairement ses crédits renforcés dans les REP+ à hauteur de 1,9 milliard d’euros, ce qui témoigne d’une approche plus rigoureuse.

M. Fabien Di Filippo (DR). Je ne vous ai ni lu ni entendu, monsieur le rapporteur spécial, sur les conséquences et le coût exorbitant du vandalisme. Ce coût pour l’État et les collectivités représente plus de la moitié des sommes investies dans ces quartiers.

Je vous ai même entendu affirmer que lorsque des enfants sont temporairement exclus de leur établissement, il incomberait aux collectivités de leur proposer des activités ludiques. J’aurais éventuellement compris si vous aviez évoqué des travaux de réparation, mais votre approche relève d’une dérive idéologique caricaturale.

Ma première question porte donc sur le coût de ces actes de vandalisme, qui ont atteint plus d’un milliard d’euros lors des émeutes de 2023. Comment prenons-nous en compte cette réalité ? Comment responsabiliser ces personnes ? Comment obtenir réparation de leur part et de leurs familles ?

Ma seconde question concerne le logement social. Le mieux est souvent l’ennemi du bien. Nous devrions nous interroger sur les pratiques des autres pays européens : où observez-vous des politiques de logement social aussi étendues qu’en France ? Ce dispositif est censé constituer un sas de transition vers l’accès au logement ordinaire. Or, nos politiques actuelles favorisent plutôt la ghettoïsation, parfois motivées par des considérations clientélistes et électoralistes. Dans le domaine du logement également, nous constatons toujours plus de droits et jamais de devoirs vis-à-vis de ce que la collectivité met à disposition pour ces familles, alors que l’objectif est de les aider à s’insérer ou se réinsérer dans la vie active.

Sur ces questions extrêmement importantes  car les montants évoqués aujourd’hui sont considérables  j’aurais souhaité entendre de votre part un avis qui ne penche pas uniquement du côté des droits, mais qui s’interroge également sur les devoirs qui doivent leur être associés.

M. David Guiraud, rapporteur spécial. Je n’ai sans doute pas la même lecture que vous, monsieur Di Filippo, des épisodes de révoltes urbaines. Mais le temps me manque pour en débattre, et je m’en tiendrais à la seule question du vandalisme. Le vandalisme existe effectivement dans ces quartiers, mais il convient de bien qualifier les situations. Les actes qui minent le quotidien des habitants  cages d’ascenseur détériorées, dysfonctionnements d’ascenseurs, portes cassées que les bailleurs tardent souvent à réparer, etc.  sont déjà sanctionnés par la loi lorsque leurs auteurs sont appréhendés.

Cependant, nous attribuons parfois au vandalisme des phénomènes relevant d’une tout autre réalité. Prenons l’exemple des ascenseurs. La spécificité des quartiers populaires, notamment dans les grandes barres d’immeubles, réside dans leur flux ininterrompu d’habitants. Cette utilisation intensive des ascenseurs, liée à la surpopulation des logements qui contraint les occupants à des entrées et sorties fréquentes, entraîne une usure accélérée souvent confondue avec du vandalisme. Même les habitants pensent parfois à du vandalisme alors qu’il s’agit simplement d’une surutilisation des équipements qui nécessiterait une maintenance plus régulière de la part des bailleurs sociaux.

Les dégradations de l’habitat ne relèvent pas uniquement de la responsabilité de l’État ou des familles. Certains bailleurs bénéficient d’avantages fiscaux sans assumer leurs obligations en termes de sécurisation, préférant recourir à des brigades mobiles temporaires plutôt qu’à un gardiennage permanent. Je suis convaincu que le gardiennage traditionnel, bien qu’un peu plus coûteux, résoudrait efficacement nombre de problèmes de vandalisme. À cet égard, il convient de s’interroger sur l’exonération de TFPB, censée impliquer un devoir de sécurisation de la part des bailleurs.

Vous dites que les quartiers sont de simples sas d’accueil avant un départ vers le parc privé. Je m’inscris en faux contre cette vision. Ces quartiers ne sont pas simplement des lieux de transit, mais des espaces d’accueil permanent. Les habitants s’y trouvent souvent contraints de rester, même lorsque leur situation sociale s’améliore, précisément parce que la construction de logements est insuffisante dans notre pays. Ces quartiers remplissent une fonction sociale essentielle en accueillant des populations qui n’ont pas d’alternative ailleurs. Les personnes les plus démunies éprouvent les plus grandes difficultés à obtenir un logement social ou à accéder au marché privé. Il ne faut donc pas considérer ces quartiers uniquement comme des sas de transition, mais comme des lieux d’accueil indispensables pour les nouveaux arrivants, qu’ils soient d’origine immigrée ou simplement confrontés à la précarité. Cette fonction sociale d’accueil des plus vulnérables justifie pleinement des investissements importants dans l’amélioration des conditions de vie.

Enfin, je réfute votre vision réductrice qui consiste à penser que l’on donne simplement de l’argent pour que les jeunes s’amusent. Lorsque nous intégrons des jeunes dans des structures sociales, sportives ou éducatives, nous leur offrons un encadrement structurant. L’autorité ne se décrète pas, elle se construit avec l’encadrement et la confiance. Pour des jeunes en rupture avec les figures parentales ou institutionnelles, seul un lien de confiance permet de rétablir une autorité effective. L’alternative, c’est de persévérer dans une logique purement répressive dont nous constatons qu’elle est sans issue. En investissant dans des structures d’encadrement exigeantes – car les dispositifs pour jeunes décrocheurs imposent une discipline stricte – nous proposons un accompagnement à échelle humaine qui favorise l’émancipation des jeunes et leur réinsertion dans des parcours bénéfiques tant pour eux-mêmes que pour la société.

M. Philippe Brun, président. Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial. Avant de passer au vote, M. Emeric Salmon souhaite faire un rappel au règlement.

M. Emeric Salmon (RN). Monsieur le président, je voudrais revenir sur ce qui s’est produit lors de l’examen du rapport d’information sur le financement de l’agriculture biologique de M. Trébuchet. Il semble que personne n’avait reçu ce rapport, hormis vous manifestement. Or de nombreux collègues ont voté contre la publication de ce rapport, ce qui contrevient à l’usage républicain de respect du travail des rapporteurs spéciaux. Mon groupe a débattu de cette situation et portera ce point lors de la prochaine réunion du bureau, car nous jugeons inacceptable ce manque de considération pour le travail du rapporteur spécial.

M. Philippe Brun, président. Nous aborderons ce sujet lors de la prochaine réunion du bureau.

J’invite maintenant la commission à se prononcer, conformément à l’alinéa 3 de l’article 146 du règlement de l’Assemblée nationale, sur l’autorisation de publication de ce rapport d’information. En l’absence d’opposition, la mission d’information adopte le rapport et autorise sa publication.

 


Nous en venons à la présentation par M. Jacques Oberti, rapporteur spécial de la mission Économie : Développement des entreprises et régulations, de son rapport d’information sur l’évaluation du bilan et des perspectives de recettes des impositions forfaitaires sur les entreprises de réseau (Ifer) dites « mobile » et « fixe ».

M. Jacques Oberti (SOC). Les travaux réalisés au cours de ces derniers mois ont eu pour objet de vous présenter, au travers de cette commission d’évaluation, deux composantes essentielles de l’Ifer : l’Ifer fixe et l’Ifer mobile.

L’Ifer a été créée en 2010 à la suite de la suppression de la taxe professionnelle et vise à maintenir un lien fiscal entre les infrastructures de réseau et les territoires qui les accueillent. Parmi ses dix composantes, les Ifer mobile et fixe concernent spécifiquement les réseaux de télécommunication. Pour le mobile, les quatre principaux opérateurs français concernés sont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. Ces deux impositions répondent à des enjeux de premier ordre : le financement des collectivités territoriales, les investissements dans les infrastructures de réseau et la couverture des territoires les moins attractifs pour les opérateurs. Leur évaluation intervient dans un moment charnière, où le paysage des télécommunications connaît une profonde transformation. Au déploiement de la fibre et à la montée en puissance de la 5G répond le décommissionnement progressif des réseaux cuivre, de la 2G et de la 3G.

L’Ifer fixe a récemment fait l’objet d’une réforme significative dans la loi de finances pour 2024. L’enjeu consistait à éviter une explosion involontaire de son rendement, liée à l’entrée abrupte des réseaux de fibre optique dans l’assiette fiscale, couplée à un tarif par ligne en augmentation constante du fait du mécanisme de plancher créé en 2011. À ce mécanisme de plancher a été ajouté, dans la loi de finances pour 2024, un mécanisme de plafond, sans quoi le produit de l’Ifer aurait doublé d’ici 2030, atteignant un niveau compromettant les capacités d’investissement des opérateurs et fragilisant les finances des collectivités territoriales propriétaires des réseaux publics, notamment les départements qui ont largement investi dans les réseaux d’initiative publique (RIP). Ce dispositif garantit désormais un rendement croissant, mais maîtrisé, avec plus de 30 % d’augmentation à l’horizon 2030, assurant aux régions, seules bénéficiaires, un financement régulier et prévisible. Cette réforme est désormais stabilisée, acceptée à la fois par les opérateurs et les collectivités et, en ce sens, ne nécessite pas de refonte à ce stade.

En revanche, le constat s’avère beaucoup plus préoccupant concernant l’Ifer mobile. Le régime actuel repose sur une taxation à la station radioélectrique, avec de multiples exonérations qui se sont surajoutées au fil des années et des réductions de tarifs. Ce système d’une grande complexité s’avère peu lisible, inéquitable et globalement inefficace.

La trajectoire du rendement de l’Ifer mobile est erratique. Alors qu’un doublement du produit était envisagé en 2021 selon le rapport de l’Inspection générale des finances, le décommissionnement accéléré de la 2G puis de la 3G a inversé cette tendance. Les communes, intercommunalités et départements bénéficiaires de l’Ifer mobile devraient connaître une chute modérée de la ressource en 2027, puis drastique entre 2028 et 2032, avant de voir leurs recettes augmenter à nouveau. Cette instabilité constitue une menace réelle pour les collectivités concernées et un facteur d’incertitude pour les opérateurs.

Par ailleurs, le régime de l’Ifer mobile s’avère injuste. Les exonérations introduites pour inciter les investissements en zones peu denses n’ont pas produit directement les effets escomptés. La couverture mobile a certes progressé, mais plutôt sous l’effet de la régulation de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et non de la fiscalité. Ces exonérations ont privé les territoires ruraux moins denses d’une grande partie du produit fiscal au profit des zones plus urbaines et denses. Le dispositif est donc devenu une double peine pour les communes les plus fragiles : moins de stations déployées et des stations largement exonérées.

Face à ces constats, trois axes de réforme ont émergé au cours des différentes auditions conduites dans le cadre de ce rapport d’information. Le premier consiste à simplifier l’imposition pour l’Ifer mobile en instaurant une taxation par site à tarif unique, avec une cible de rendement fixée par le législateur pour les prochaines années. Il s’agit de basculer d’un système où chaque technologie sur un site est imposée séparément à un système unifié : un site, une taxe. En supprimant les exonérations inefficaces, nous pourrions obtenir un rendement de l’impôt lissé sur les prochaines années et garantir ainsi sa prévisibilité, tant pour les opérateurs que pour les collectivités. Cette approche permettrait également une meilleure répartition territoriale des recettes au bénéfice des communes rurales, sans alourdir la charge fiscale globale, voire en la limitant dans certains cas.

Le deuxième axe est une proposition d’affecter une fraction du produit de l’Ifer mobile, par exemple 5 %, à l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) pour financer l’inclusion numérique. Depuis 2021, les conseillers numériques constituent le principal dispositif de l’État visant à accompagner la population la plus éloignée du numérique, soit environ un tiers des Français. Avec 2,6 millions de personnes suivies sur trois ans, les conseillers permettent aux citoyens de s’adapter à la numérisation croissante de la société.

Ce dispositif, peu coûteux et efficace, salué par toutes les associations d’élus locaux comme par les administrations centrales, se trouve pourtant aujourd’hui menacé. Les crédits devraient baisser drastiquement au cours des prochaines années, mettant en péril près de 90 % des postes de conseillers numériques d’ici 2027. Une affectation, même modeste et ciblée, de l’Ifer mobile, profitant du lissage des recettes opéré par le législateur, garantirait la pérennité de cette mission essentielle sans peser significativement sur les collectivités bénéficiaires. Cette solution constituerait un compromis équilibré, considérant que l’État ne peut se désengager après avoir dématérialisé de nombreux services publics nationaux dans un objectif de réductions de la dépense publique. Cette affectation représenterait ainsi un vecteur d’équité territoriale préservant le financement de l’inclusion numérique dans le cadre d’un partenariat, particulièrement dans les départements les plus fragiles et conformément à France numérique ensemble, la feuille de route nationale du programme Société numérique de l’ANCT pour les années 2023 à 2027.

Le troisième axe consiste à engager une réflexion nationale et européenne sur la fiscalité du numérique. Actuellement, les opérateurs de réseau supportent l’essentiel du financement des infrastructures, tandis que les grands consommateurs de bande passante  les plateformes de streaming, les réseaux sociaux, les fournisseurs de contenu  n’y contribuent que très marginalement. Cette asymétrie n’est absolument pas soutenable. La fiscalité du numérique doit être entièrement repensée afin de faire peser la charge de l’impôt sur les principaux responsables de la croissance de la consommation des données, tout en anticipant le passage à l’informatique quantique.

La reprise des négociations au niveau européen en faveur d’une taxation des fournisseurs de contenus, sur le modèle du règlement sur les marchés numériques, s’avère donc nécessaire. Parallèlement, une réflexion approfondie doit être menée sur la hiérarchisation des flux de données par les pouvoirs publics, dans une démarche de sobriété et de priorisation des usages essentiels. Sans cette régulation, la croissance exponentielle des données, tirée par le recours à l’intelligence artificielle et par le streaming, pèsera lourdement sur l’empreinte carbone ainsi que sur la consommation d’eau et d’électricité en France. À l’horizon 2050, si aucune mesure n’est prise pour réduire l’empreinte environnementale du numérique et que les usages continuent de progresser au rythme actuel, l’empreinte carbone du secteur pourrait tripler par rapport à 2020, voire davantage.

Les propositions de ce rapport résultent d’un travail approfondi, fondé sur les auditions de l’ensemble des parties prenantes. Elles visent à corriger des déséquilibres manifestes, à renforcer la prévisibilité fiscale, à soutenir l’aménagement du territoire et à garantir l’inclusion de tous dans la transition numérique. Nous disposons aujourd’hui d’une opportunité rare de moderniser un dispositif fiscal devenu obsolète et contre-productif, à un moment où tous les acteurs ont intérêt à une réforme globale. La trajectoire de l’Ifer ne doit donc pas être subie, mais construite, concertée et portée collectivement. Je formule donc ici un appel au dialogue entre l’État, les collectivités et les opérateurs pour faire de cette réforme un levier de justice territoriale et de cohésion numérique.

M. Philippe Brun, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Emeric Salmon (RN). À propos du décommissionnement de la 2G/3G, vous mentionnez dans votre document, monsieur le rapporteur spécial, avoir consulté le cabinet du ministre chargé de l’industrie et de l’énergie qui a lancé une concertation. Je sais que cette question intéresse le président de notre séance de commission, puisque sa proposition de loi sur les ascenseurs évoquait le problème critique de l’extinction de la 2G dans les systèmes d’alarme. Vous citez également d’autres services impactés. Disposez-vous d’informations complémentaires sur ce sujet ?

M. Jacques Oberti (SOC). J’ai remis à différents ministères, dont celui chargé de l’industrie et de l’énergie, un rapport au titre de la Commission supérieure du numérique et des postes spécifiquement consacré à la 2G et à la 3G. Ce document contient un ensemble de recommandations précises en matière d’information, de coordination, d’anticipation et d’accompagnement. Je vous invite à consulter ces préconisations détaillées.

Je mène actuellement des discussions préliminaires avec le cabinet de M. Marc Ferracci, le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie. Il est en effet urgent d’intervenir. Orange, par exemple, a annoncé les premiers décommissionnements de la 2G pour le 31 mars 2026. À cet égard, les autorités se sont engagées à informer les usagers et les fournisseurs de services. Il convient notamment d’alerter les syndicats de copropriétés et les copropriétaires, afin qu’ils se tournent vers leurs prestataires pour assurer la transition de la 2G vers la 4G ou la 5G. Cette problématique s’étend à de nombreux autres domaines, notamment les téléalarmes destinées aux personnes âgées maintenues à domicile, qui ignorent souvent ce décommissionnement imminent.

Mme Marina Ferrari (Dem). Je voudrais d’abord saluer l’efficacité remarquable des deux politiques d’aménagement du territoire que constituent le New Deal mobile et le plan France très haut débit. Leur succès est incontestable : 99 % de notre population bénéficie désormais d’une couverture en 4G, tandis que 89 % des locaux sont raccordables à la fibre. Ces résultats démontrent l’efficacité d’une coordination réussie entre les opérateurs, les territoires et l’État.

Vous avez raison, monsieur le rapporteur spécial, de souligner que les circonstances actuelles pourraient être favorables à une réforme de l’Ifer mobile. Néanmoins, nous ne pouvons ignorer les réticences légitimes des collectivités et des opérateurs face à toute modification de ce dispositif. Cette question mérite d’être posée à l’heure où les ressources des collectivités traversent une période difficile. Ne serait-il pas préférable, plutôt que d’opter pour une taxation unique, de faire évoluer le modèle d’exonération en fonction de la couverture territoriale ? Je fais référence notamment à l’amendement du sénateur M. Bernard Delcros, adopté en loi de finances, concernant les exonérations en zone de montagne. Ces zones étant aujourd’hui relativement bien couvertes, avec un taux compris entre 96 et 98 %, il me semblerait pertinent de réorienter les exonérations vers des territoires plus fragiles, particulièrement les territoires ultramarins comme la Guyane et Mayotte, qui a récemment traversé une crise majeure.

Par ailleurs, ne faudrait-il pas ajuster ces exonérations en fonction des zones blanches restantes ? Malgré l’avancement significatif du plan, la plateforme « Toutes et tous connecté.e.s » lancé en 2023 par l’ANCT a enregistré 5 100 signalements de zones non couvertes, ce qui laisse entendre qu’un deuxième New Deal mobile pourrait être nécessaire dans le but de résoudre ces situations.

Ma troisième interrogation se rapporte aux obstacles techniques et administratifs au déploiement. La question des amenées au réseau, actuellement à la charge des opérateurs, mériterait une révision du cadre d’exonération. Dans leur rapport, nos collègues députés MM. Éric Bothorel et Jérôme Nury proposent que les raccordements mobiles situés à plus de 30 mètres de l’antenne ne soient plus à la charge de l’opérateur, mais de la collectivité, ce qui nécessiterait un mécanisme compensatoire.

Quant à votre proposition de taxation par site, si elle présente des avantages en termes d’équité, j’y perçois un risque de démotivation à la mutualisation. Votre rapport n’est pas totalement explicite sur ce point, alors que vous suggérez par ailleurs une taxation majorée en présence de plusieurs opérateurs, ce qui pourrait au contraire favoriser la mutualisation. Pourriez-vous clarifier votre position sur ce sujet ?

À l’instar de mon collègue, je m’interroge sur le calendrier de décommissionnement de la 2G et de la 3G. MM. Bothorel et Nury proposent dans leur rapport de prolonger le décommissionnement de deux ans afin que les industriels concernés puissent s’organiser, tout en prévoyant une exonération pour les opérateurs devant maintenir le réseau 2G/3G durant cette période. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, votre proposition de réserver une fraction de l’Ifer mobile pour financer les conseillers numériques m’interpelle. Avez-vous envisagé de recourir à l’Ifer fixe, option qui présenterait davantage de cohérence puisqu’elle concerne les réseaux et que les collectivités, déjà impactées, détiennent cette compétence ? C’est précisément pour cette raison que nous avons instauré un système de plafond sur l’Ifer fixe. Ne devrions-nous pas plutôt réfléchir soit à des variations de ce plafond, soit à une exonération des collectivités afin qu’elles disposent des ressources nécessaires pour déployer ces conseillers numériques sur leurs territoires ? Cette réflexion sur les Ifer fixe ou mobile ne pourra toutefois s’effectuer qu’en concertation avec l’ensemble des acteurs, compte tenu de l’extrême sensibilité du sujet.

M. Jacques Oberti (SOC). Concernant les exonérations, nous avons constaté que la régulation assurée par l’Arcep, dès lors qu’elle est fondée et qu’elle ne déséquilibre pas les investissements des opérateurs, se révèle pleinement satisfaisante. Cela n’exclut pas que l’État doive, dans certains cas spécifiques comme Mayotte que vous avez évoqué, déployer des moyens particuliers  nous avons d’ailleurs prévu 50 millions spécifiques pour la fibre à Mayotte dans le projet de loi de finances.

Le décommissionnement de la 2G risque effectivement de créer à nouveau des zones légèrement blanches, ou du moins des zones où les débits ne permettront pas un usage optimal de la téléphonie mobile. Nous privilégions néanmoins la régulation par l’Arcep plutôt qu’un système d’exonération. La taxation par pylône favorise justement la mutualisation entre opérateurs, à condition que des accords soient conclus. Le principe même d’une taxation par site constitue une incitation naturelle à cette mutualisation.

Le rapport Bothorel-Nury présente certaines divergences entre les deux rapporteurs. Ainsi, M. Bothorel s’oppose à l’exonération de deux ans. Je pense pour ma part qu’un compromis reste possible pour relever ce défi. Nous devons toutefois résoudre la problématique de la connaissance précise des cartes SIM étrangères utilisant le roaming, alors que les opérateurs français concernés par le décommissionnement n’identifient que leurs propres clients. Il nous appartient de concentrer nos efforts sur ce point, et d’observer si la pression des usagers sur leurs fournisseurs de services suffira.

Sans une action significative, le manque à gagner risque d’être considérable à court terme, ce qui renforce ma proposition d’utiliser uniquement l’Ifer mobile pour l’inclusion numérique. Pourquoi ? Parce que l’utilisation de l’Ifer fixe, bien que théoriquement envisageable notamment pour la participation des régions au hub d’inclusion numérique, impliquerait soit de prélever la part revenant aux régions, soit d’augmenter les contributions des collectivités territoriales et des départements qui financent déjà les RIP. Cela ne constituerait qu’un système de vases communicants peu efficace.

Compte tenu du décommissionnement, les projections sur l’Ifer mobile pour les prochaines années montrent que les collectivités subiront d’abord une période d’importantes pertes de recettes, suivie d’une phase d’augmentation des contributions des opérateurs. En comblant les creux et en écrêtant les pics, nous pourrions établir un compromis garantissant aux opérateurs une meilleure prévisibilité de leur contribution, tout en assurant un financement stable pour l’inclusion numérique, indépendant des arbitrages annuels du projet de loi de finances.

Mme Félicie Gérard (HOR). Monsieur le rapporteur spécial, deux constats problématiques apparaissent à la lecture de votre rapport : premièrement, la répartition du produit de la composante mobile de l’Ifer s’effectue au détriment des territoires les plus démunis ; deuxièmement, le manque de stabilité et de clarté de l’Ifer mobile compromet les ressources des collectivités.

Je souhaite donc vous interroger sur les modalités d’application de la réforme du régime des Ifer que vous préconisez et de la fiscalité associée. Une évaluation préalable des conséquences pour chaque collectivité sera-t-elle conduite ? Comment pourrons-nous garantir l’efficacité de ce dispositif ?

M. Jacques Oberti (SOC). Il est indispensable d’approfondir l’investigation sur ce sujet compte tenu des enjeux considérables qu’il représente pour les collectivités territoriales. Nous ne disposons pas actuellement d’une étude détaillée de la répartition des recettes de l’Ifer en fonction de la densité des territoires ou par habitant, mais seulement d’une approche globale distinguant communes rurales et communes plus urbaines.

Or une analyse fine constitue un prérequis indispensable pour proposer un rééquilibrage pertinent, voire envisager une stabilisation des recettes pour les communes les plus denses parallèlement à une croissance pour les communes rurales. Notre modèle pourrait le permettre, mais cela exige un approfondissement substantiel.

Ce travail nécessite également une concertation étroite avec les associations d’élus. Départements de France, Régions de France et Intercommunalité de France se montrent plutôt favorables à nos propositions, tandis que l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) s’inquiète d’une possible amputation des recettes. Toutefois, l’opportunité de stabiliser ces ressources, alors que le prix de l’inaction est une baisse significative due au décommissionnement de la 2G, ouvre un espace de négociation. Ces discussions devront s’appuyer sur des études bien plus approfondies que celles que notre rapport a pu mener dans le délai imparti.

M. Philippe Brun, président. Monsieur le rapporteur spécial, je vous remercie pour la qualité de votre rapport. J’invite maintenant la commission à se prononcer sur l’autorisation de publication de ce rapport d’information, conformément à l’alinéa 7 de l’article 145 du règlement de l’Assemblée nationale. En l’absence d’opposition, je propose que nous validions cette publication.

 

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 18 juin 2025 à 9 heures

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Jean-Didier Berger, M. Mickaël Bouloux, M. Michel Castellani, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, Mme Mathilde Feld, Mme Marina Ferrari, M. Emmanuel Fouquart, M. Christian Girard, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Corentin Le Fur, M. Thierry Liger, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jean-Paul Mattei, M. Kévin Mauvieux, Mme Yaël Ménaché, Mme Estelle Mercier, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, Mme Danielle Simonnet, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Vincent Trébuchet, M. Éric Woerth

 

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Nicolas Metzdorf, M. Emmanuel Tjibaou

 

Assistaient également à la réunion. - M. Benoît Biteau, M. Fabien Di Filippo, Mme Félicie Gérard, M. Nicolas Ray