Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur la réalité des bénéfices financiers, directs ou indirects, de l’Union européenne en France de M. Jean-Philippe Tanguy, rapporteur spécial Affaires européennes              2

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur la gestion forestière de l’État de M. Laurent Baumel et Mme Sophie Mette, rapporteurs spéciaux de la mission Cohésion des territoires : Aménagement des territoires              13

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur le soutien public à l’industrie de défense de M. Emeric Salmon, rapporteur spécial de la mission Défense : Budget opérationnel de la Défense              19

  Présence en réunion................................26


Mercredi
25 juin 2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 133

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

puis de

M. Jean-Didier Berger,

Vice-Président

 


  1 

La Commission examine, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information sur la réalité des bénéfices financiers, directs ou indirects, de l’Union européenne en France de M. Jean-Philippe Tanguy, rapporteur spécial Affaires européennes

M. le président Éric Coquerel. Notre ordre du jour appelle l’examen de différents thèmes d’évaluation retenus par les rapporteurs spéciaux dans le cadre du printemps de l’évaluation. Monsieur Jean-Philippe Tanguy, vous êtes le rapporteur spécial Affaires européennes et vous avez choisi comme thème d’évaluation la réalité des bénéfices financiers, directs ou indirects, de l’Union européenne en France.

M. Jean-Philippe Tanguy, rapporteur spécial Affaires européennes. La contribution que nous versons à l’Union européenne (UE) n’a cessé d’augmenter. Entre le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 et le cadre financier pluriannuel actuel qui couvre les années 2021 à 2027, la contribution moyenne annuelle de la France à l’Union européenne, qui inclut le prélèvement sur recettes et les droits de douane, aura augmenté de 6,4 milliards d’euros, passant de 21,8 milliards d’euros à 28,2 milliards d’euros.

Cette contribution augmentera encore de 10 milliards d’euros entre 2024 et 2027, passant de 24,2 milliards d’euros cette année à 34,6 milliards d’euros en 2027. Les Français doivent par ailleurs savoir que cette contribution finance encore et toujours 1,5 milliard d’euros sur les 7 milliards d’euros de rabais qui sont accordés à cinq autres pays contributeurs nets, qui sont par définition les plus riches : l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et l’Autriche.

Au moment d’évoquer la réalité des bénéfices financiers que la France tire de l’Union européenne, il faut relever que la contribution nette de la France, entendue comme le solde entre ce que nous versons à l’Union européenne et les fonds qui sont investis par l’Union européenne en France, ne cesse de gonfler. Elle est passée de 7,6 milliards d’euros au titre du CFP 20142020 à 10,4 milliards d’euros en moyenne au titre des trois premières années du CFP 2021-2027.

Venons-en au détail des retours pour la France. Il y a d’abord le plan de relance européen, Next Generation EU, financé par un emprunt européen qui tient tout du jeu de dupes. Alors que la France doit en percevoir 40,3 milliards d’euros au titre du plan de relance et 5 milliards d’euros au titre de l’abondement des programmes généraux de l’Union européenne, elle devra rembourser à terme 75 milliards d’euros. C’est en tout cas le montant provisionné au sein du compte général de l’État pour rembourser cet emprunt si l’on ne trouve pas les ressources propres que l’Union s’est promise de trouver.

À ce montant, il faut ajouter la charge des intérêts de cette dette, qui s’est accrue considérablement par rapport à ce qui avait été prévu. Alors que cette charge d’intérêts devait atteindre 15 milliards d’euros pour l’ensemble de l’Union européenne entre 2021 et 2027, selon les estimations réalisées par la Commission européenne en 2021, elle devrait presque doubler pour dépasser les 28 milliards d’euros sur les sept années du CFP 2021-2027. À partir de 2028, la charge d’intérêts représentera 11,5 milliards d’euros par an à l’échelle de l’ensemble de l’Union.

Le CFP actuel 2021-2027 laissera derrière lui une montagne de dettes et de restes à liquider de programmes qui n’ont pas été exécutés. En effet, à partir de 2028, l’Union européenne devra rembourser le plan de relance à hauteur de 25 à 30 milliards d’euros par an. Si l’Union ne se met pas d’accord sur de nouvelles ressources propres, cela représentera une hausse de la contribution de la France à l’Union comprise entre 4 et 5 milliards d’euros. Sans nouvelles ressources propres, c’est-à-dire des impôts à l’échelle de l’Union européenne, la contribution française au budget de l’Union devrait donc dépasser les 30 milliards d’euros de manière structurelle et durable.

Par ailleurs, en plus de cette dette liée au plan de relance, le budget de l’Union européenne est grevé par plus de 507 milliards d’euros de « restes à liquider », dont une partie sera reportée sur le futur CFP. La Commission estime à ce titre qu’il y aura, à la fin de l’année 2027, encore 323 milliards d’euros de restes à liquider liés à des programmes non exécutés, qu’il faudra donc honorer durant le prochain CFP. En l’état des négociations entre les partenaires européens, ce sont donc les contribuables dits européens ou les contribuables français qui paieront cette dette, contrairement à ce qui avait été promis, notamment par le Président de la République, Emmanuel Macron, dans son intervention du 21 juillet 2020.

Pour l’heure, la Commission européenne propose trois ressources propres. La première porte sur l’affectation au budget de l’Union des recettes du système européen d’échanges de quotas carbone, qui doivent être étendues au secteur du transport routier, du chauffage des bâtiments, de la construction et des industries qui ne sont pour l’instant pas soumis aux quotas carbone. Cette transposition aurait notamment pour conséquence une hausse de 15 centimes du prix de l’essence et du gazole pour les Français à partir de 2027. J’ai par ailleurs eu confirmation de la direction générale du Trésor qu’aujourd’hui, seules la France et la Pologne n’ont pas encore transposé cette directive. Il conviendra de transposer cette directive avant 2027.

La deuxième ressource propre proposée par la Commission est une ressource statistique qui conduirait les nations européennes à verser un tribut équivalent à 0,5 % de l’excédent brut de toutes les entreprises opérant sur le territoire national. Le troisième type de contribution concerne le fameux mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui ne concerne pour le moment que six secteurs d’activité. Sur les 36 milliards d’euros que ces nouvelles ressources propres proposées par la Commission devraient générer, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ne rapporterait que 1,5 milliard d’euros. À terme, ce sont donc essentiellement les contribuables français et européens qui paieront cette dette, à travers les quotas carbone et la ressource statistique.

Venons-en maintenant aux retours français au titre du budget européen ordinaire. Ils sont évalués à 16,5 milliards d’euros en 2023. L’essentiel de ces retours concerne la politique agricole commune (PAC) pour plus de 9 milliards d’euros, la politique de compétitivité pour 2,7 milliards d’euros et les fonds de la politique de cohésion, pour plus de 2 milliards d’euros. Je me permets au passage de m’interroger sur la comptabilisation de certains de ces retours comme, par exemple, les dépenses administratives, qui relèvent essentiellement du Parlement européen pour 500 millions d’euros ou une partie des dépenses de la politique extérieure de l’Union (71 millions d’euros). Ces dépenses seraient engagées quel que soit le statut de ces dépenses. Dès lors, on peut donc s’interroger sur le fait qu’il s’agisse effectivement de retours français.

À ma grande surprise, les auditions que nous avons menées m’ont conduit à observer l’absence en réalité de politiques à proprement parler européennes. Il n’existe pas véritablement de missions et de budgets transeuropéens mis en œuvre de la même façon dans différents pays européens et encore moins dans l’ensemble des pays européens. En réalité, l’essentiel des retours français est constitué de fonds en gestion partagée qui cofinancent des politiques nationales pour garantir par exemple un revenu aux agriculteurs, appuyer le développement des régions ou encore soutenir des politiques de l’emploi. Ces politiques ne sont pas menées de la même façon, ni même en coordination dans les différents pays de l’Union européenne.

La conclusion est simple : l’Union européenne est finalement absente des grands sujets qu’elle prétend gérer. Il n’existe pas par exemple pas de véritable stratégie pour améliorer notre souveraineté en matière de protéines végétales ou d’engrais. De même, l’agenda de Lisbonne, qui devait permettre, dès les années 1990, de porter les dépenses de recherche et développement à 3 % du PIB européen est un échec : à l’échelle de l’Union, les dépenses affectées à la recherche et au développement demeurent autour de 2 % du PIB européen. Des politiques aussi symboliques que la PAC ou la recherche sont plutôt en voie de renationalisation, à travers des plans stratégiques nationaux.

La Commission européenne propose pour le prochain CFP une refonte du budget de l’Union, articulée non pas autour de plans paneuropéens, mais de plans nationaux, qui donneraient lieu à une fongibilité des fonds, lesquels seraient décaissés en fonction de l’atteinte de jalons et cibles fixés dans un plan national. Elle atteste que le niveau national est toujours, même au sein de l’échelon européen, reconnu comme l’échelon démocratique d’action publique le plus efficace.

En définitive, le budget de l’Union n’est qu’un budget de transfert, dans lequel la France perd 10 milliards d’euros. Les fonds remontent à Bruxelles, redescendent sur les territoires, générant au passage forcément des coûts de gestion et des lourdeurs bureaucratiques qui au surplus méconnaissent le principe de subsidiarité, c’est-à-dire exercer des compétences là où elles peuvent être mises en œuvre le plus utilement, entre l’échelon national et l’échelon européen.

Prenons par exemple la politique de compétitivité. D’une part, si la France enregistre un bon retour sur le programme spatial et le nucléaire, elle ne capte par exemple que 11,4 % des fonds en matière de recherche. Son taux de retour a d’ailleurs stagné depuis le Brexit, alors que l’Allemagne et l’Espagne ont profité du départ du Royaume-Uni pour augmenter de trois points la part de retours dans les fonds qu’ils captent en matière de recherche et le développement. D’autre part, alors que la zone euro décroche par rapport aux États-Unis en termes de compétitivité, la politique de compétitivité de l’UE manque cruellement d’ambition.

Elle étouffe généralement les industries. Celles-ci sont enserrées entre un prix de l’énergie de moins en moins compétitif notamment en raison des règles du marché européen de l’électricité et de la fin de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) prévue pour 2026 et d’une réaction défaillante dans la défense de nos intérêts commerciaux par rapport à la Chine, qui utilise tous les moyens possibles de dumping environnemental, social et économique.

Les auditions que j’ai pu conduire m’ont amené à constater un certain nombre de dysfonctionnements dans la gestion des fonds européens. S’agissant de la pêche, par exemple, autre politique emblématique de la construction européenne depuis le début, l’un des premiers enjeux est le renouvellement d’une flotte française vieille de plus de trente ans en moyenne. Or, l’article 18 du règlement qui encadre le fonds européen aux affaires maritimes, à la pêche et à l’aquaculture (Feampa), impose des règles absurdes. Je pense à l’exclusion des aides à la remotorisation des navires de plus de vingt-quatre mètres ou encore la condition que ces aides soient accordées à des moteurs n’ayant pas une puissance exprimée en kilowatts supérieure à celle du moteur qu’ils remplacent et rejetant au moins 20 % de CO2 en moins par rapport au moteur qu’ils remplacent.

Selon les représentants du comité national des pêches maritimes et des élevages marins que nous avons auditionnés, ces règles ont été établies sans expertise technique préalable ni rapport d’impact. En réalité, ce type de moteurs n’est ni disponible ni réalisable sur le plan technique pour ce type de bateaux empêchant le Feampa de financer la modernisation de la flotte.

On peut aussi évoquer, en termes de mauvaise gestion, l’utilisation de la réserve d’ajustement au Brexit, qui devait servir à soutenir les secteurs les plus durement touchés par la sortie du Royaume-Uni de l’Union. La France devait percevoir 736 millions d’euros au titre de cette réserve. En réalité, au terme de cette opération, seuls 236 millions d’euros, soit un tiers, ont effectivement permis de financer les dépenses pour les infrastructures portuaires, le budget des douanes, le soutien aux entreprises, par exemple les pêcheurs. Ainsi, 500 millions d’euros n’ont pas été utilisés pour permettre à ces secteurs d’activité de s’adapter à la sortie du Royaume-Uni de l’Union, mais ont été reversés pour financer les dépenses du plan de relance français, sans lien direct avec le Brexit.

Enfin, je veux évoquer avec vous le problème des écarts de décaissement de crédit de la politique de cohésion. Pour la programmation 2021-2027, certaines régions et collectivités affichent des taux de programmation trop bas. Le taux de programmation de crédit des fonds de la politique de cohésion est ainsi de 8,5 % en Guyane, de 10 % en Corse, ou encore de 16 % en Martinique. D’autres régions ont au contraire un taux d’engagement intermédiaire, comme la Réunion à 37 %, ou les Hauts-de-France, à 36 %. Certaines régions sont beaucoup plus avancées, comme l’Auvergne-Rhône-Alpes, à 67 %, ou le Grand-Est, qui atteint 73 %. Les différences sont donc considérables.

À ce titre, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a commencé à déployer un dispositif d’appui aux régions dont les taux d’engagement sont bas. Il est essentiel de poursuivre cet appui et de suivre ce taux de programmation pour garantir un taux de décaissement satisfaisant partout en France et améliorer nos retours.

Au terme des auditions nombreuses, deux conclusions doivent être tirées. Il s’agit d’abord de toute évidence de constater le manque de contrôle de la contribution de la France à l’Union, tant en termes de contribution brute que de contribution nette. Il témoigne d’un manque de visibilité et de sincérité des engagements pris par l’Union et ses dirigeants sur les conséquences financières des programmes qui sont promis à nos compatriotes et à nos entreprises.

D’autre part, il faut tout de même analyser la réalité des retours pour la France. Il est évident que le marché commun présente un intérêt pour la France, mais encore faut-il le quantifier, le préciser. Lors de nos auditions, nous n’avons pas eu connaissance d’étude objective qui quantifie l’intérêt pour la France de sa participation à l’Union européenne et permette de l’améliorer.

M. le président Éric Coquerel. Ma première question concerne le thème d’évaluation retenu : la réalité des bénéfices financiers directs ou indirects de l’Union en France. Avez-vous essayé de comprendre pourquoi les dépenses effectuées par certaines structures européennes qui ne relèvent pas entièrement de l’Union européenne sont comptabilisées au titre des retours français ? Je pense notamment à l’Agence spatiale européenne qui inclut la Suisse et le Royaume-Uni. Disposez-vous de pistes de travail qui pourraient éclairer la commission en la matière ?

Ma deuxième question porte sur l’intelligence artificielle (IA), présentée aujourd’hui par le gouvernement comme une priorité en matière d’investissement. En matière d’industrie de services, la majorité des annonces dans le cadre du sommet Choose France concernent le financement de centres de données. Votre rapport cite à ce sujet le programme Europe numérique qui porte sur le financement de l’IA.

Outre l’industrie des services en matière d’agriculture et de pêche, d’autres fonds et programmes sectoriels sont concernés. C’est notamment le cas du Feampa, dont votre rapport indique qu’il doit permettre le développement de l’IA pour la pêche française. Vous citez un projet de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), qui doit « permettre aux engins de pêche de détecter et identifier plus efficacement les espèces capturées et réduire les conséquences sur les fonds marins ». Ne pensez-vous pas que les milliards d’euros investis en faveur de l’intelligence artificielle sont à la fois la renaissance du mirage de l’industrie sans usines et, par ailleurs, que l’IA est commodément instrumentalisée afin de servir un techno-solutionnisme qui évite de s’interroger sur la sortie de certaines activités destructrices ?

Je me permets par ailleurs de vous indiquer qu’un bateau de pêche de 24 mètres n’est pas un petit bateau de pêche. On est plutôt proche de la pêche industrielle.

Frontex, l’agence la plus importante de l’Union européenne, a vu son budget multiplié par 140 en passant de 6 millions d’euros à 845 millions d’euros entre 2005 et 2023. Cette agence a été visée par une plainte pour complicité de crime contre l’humanité. En effet, il y a en ce moment dans les camps financés par les fonds européens des épidémies de gale dans la mesure où les gens sont privés d’accès à l’eau courante. En revanche, tout ce qui est lié à une certaine vision sécuritaire des frontières, notamment à travers Frontex, c’est-à-dire les sociétés de sécurité privées, les drones sont bien financés.

Savez-vous dans quelle proportion la France finance les camps aux frontières de l’Europe ? De manière plus générale, je me demande si l’on ne devrait pas justement s’interroger sur la « rentabilité » de la contribution française au budget de l’Union, notamment par rapport à une agence comme Frontex. Je rappelle que celle-ci a succédé à des opérations de coopération entre les deux rives de la Méditerranée, qui ne me semblaient pas moins efficaces, y compris dans le domaine de l’immigration.

Enfin, dans votre rapport, le mot « nucléaire » apparaît à dix-neuf reprises, alors que le mot « renouvelables » n’apparaît qu’une seule fois. Il n’y a aucune occurrence des mots « solaire » et « éolien ». Je rappelle cependant que le secteur des énergies renouvelables représente 102 000 emplois, selon les dernières données du ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. En outre, aucun des scénarios du gouvernement n’envisage un premier réacteur EPR2 avant 2038, sans compter les retards pris par ce type de technologie nucléaire.

Si un moratoire était aujourd’hui décidé sur l’énergie renouvelable, il entraînerait non seulement un problème en termes d’emplois, mais surtout en termes même de transition. Le manque de référence au développement des énergies renouvelables dans votre rapport doit-il être mis en perspective avec l’amendement que vous avez soutenu concernant le moratoire sur le déploiement des énergies renouvelables ?

M. Jean-Philippe Tanguy, rapporteur spécial. J’ai essayé de dépolitiser le rapport. Je me suis efforcé d’être le représentant de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire et de réaliser un état des lieux le moins subjectif possible.

Je partage avec vous l’idée que les agences qui ne sont pas directement liées ou intégrées à la Commission européenne, comme l’Agence spatiale européenne, fonctionnent évidemment mieux que les programmes européens. Mais nous n’avons pas obtenu de réponses sur ce sujet de la part des personnes auditionnées. Nous ne pouvons donc que le constater.

En revanche, il transparaît de nos auditions un manque, sinon une absence de politique intégrée, transeuropéenne, malgré ce qui peut être dit, au profit du financement de politiques nationales. Un certain nombre de nos interlocuteurs ont d’ailleurs regretté l’absence de politiques de souveraineté européenne dans plusieurs domaines, par exemple sur les engrais et les protéines végétales au sein de la PAC. On nous a indiqué que l’absence de stratégie européenne en matière de protéines végétales était liée aux accords de Blair House où les États-Unis ont obtenu la limitation de la surface européenne des cultures de colza, tournesol et soja destinées à l’alimentation et que c’est cet accord qui jouait un rôle de frein pour améliorer notre souveraineté en matière de protéines végétales.

S’agissant de l’intelligence artificielle, votre question recoupe un élément que je déplore : le risque de saupoudrage des programmes européens, au gré des modes successives, sous la pression de groupes d’intérêt qui cherchent à faire financer ou à valoriser un certain nombre de projets subventionnés. C’était le cas il y a une dizaine d’années pour les réseaux intelligents (smart grids), plus récemment sur l’hydrogène et désormais sur l’IA. À ce sujet, je partage votre analyse : l’IA fait parfois penser au mirage de l’industrie sans usines, un concept sans véritables traductions pratiques. Cependant, il ne faut pas s’interdire de nourrir quelques espoirs ; l’IA peut par exemple ouvrir de nombreuses perspectives pour la robotisation.

S’agissant de la pêche, la flotte française ne conduit pas les mêmes pratiques que celles d’autres pays comme les Pays-Bas, la Norvège, l’Islande ou les Île-Féroé. À ce sujet, je ne crois pas que la disparition de la flotte française constitue une solution à la surpêche. J’ai surtout évoqué cette question dans mon rapport pour souligner les règles absurdes imposées par le règlement encadrant le Feampa pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre de la flotte. Celles-ci ont été fixées sans expertise technique préalable, sans rapport d’impact.

Les fonds attribués à Frontex financent moins la protection des frontières et la sécurité que l’accueil lui-même. Au-delà, la politique menée par Frontex dépasse le cadre de mon rapport, mais nous aurons l’occasion de débattre de celle-ci dans d’autres circonstances.

Par ailleurs, compte tenu des objectifs fixés par le cadre européen sur les énergies renouvelables, on aurait pu s’attendre à ce qu’il existe un programme transeuropéen de maîtrise souveraine de ces technologies, en particulier l’éolien et le solaire. Mais ce n’est pas le cas : il n’existe pas de stratégie de déploiement de filières financées directement ou indirectement par l’Union européenne de manière intégrée et souveraine sur les énergies renouvelables et même sur le nucléaire.

Le projet Euratom, qui était l’un des trois piliers de la construction européenne avec le marché commun et la maîtrise de la sécurité commune, n’a pas été développé, essentiellement sous la pression des Allemands, puis des Autrichiens. En réalité, ce petit programme de développement du nucléaire est très modeste et essentiellement français. De fait, la relance du nucléaire dans les pays européens s’effectue soit à travers des contrats anciens avec les Russes  je le déplore –, soit par des contrats nouveaux essentiellement donnés aux Américains ou aux Coréens, les Coréens pour la République tchèque et les Américains pour la Pologne. À titre personnel, je regrette évidemment que les technologies européennes n’aient pas été sélectionnées par nos partenaires.

M. Anthony Boulogne (RN). Votre rapport illustre bien le coût financier absurde de l’Union européenne pour notre pays. De 24 milliards d’euros en 2024, le montant de la contribution française à l’Union européenne augmentera à 34 milliards d’euros en 2027, soit autant d’argent du contribuable français qui part dans les poches de Bruxelles, pour quels résultats ? L’Union européenne décroche sur le plan économique ; elle ne dispose d’aucune stratégie industrielle pour faire face à nos compétiteurs. Pire encore, les intérêts des pays européens sont bradés au plus offrant.

Je souhaite également aborder un point que vous avez soulevé dans votre rapport, le marché européen de l’électricité, dont le fonctionnement fait dépendre le prix de l’électricité sur celui du gaz. La réforme actée en 2024 n’a pas mis fin à ce mécanisme d’indexation. Les industries électro-intensives françaises ne peuvent toujours pas bénéficier d’une énergie à un prix compétitif. La France dispose pourtant d’un mix électrique décarboné et souverain, mais le prix des électrons tricolores reste dépendant des fluctuations des marchés du gaz.

Notre statut de contributeur net, de même que celui de premier exportateur d’électricité en Europe, nous fournisse des leviers pour défendre nos intérêts. À ce titre, Olivier Lluansi, enseignant à l’École des mines de Paris et expert reconnu des questions industrielles, déclarait en janvier dernier, lors d’une audition au Sénat, qu’il fallait que la France assume un rapport de force avec l’Union européenne sur le marché de l’électricité. Il proposait notamment de sortir une partie de la production nucléaire du marché européen d’électricité pour en faire bénéficier l’industrie tricolore. En cas d’opposition de la part de Bruxelles ou de Berlin, il faudrait envisager alors de limiter nos exportations d’électricité vers l’Allemagne. J’aimerais connaître votre position, monsieur le rapporteur, sur le fait d’assumer un rapport de forces au niveau européen pour enfin défendre la production électronucléaire française.

M. Jean-Philippe Tanguy, rapporteur spécial. Ce rapport vise la transparence. Une fois de plus, nos compatriotes et leurs représentants sont tout à fait aptes à tirer les conclusions à partir de chiffres, mais encore faut-il que ces derniers soient connus. Or, même si ces documents existaient depuis plusieurs années, l’ampleur des financements en jeu, et surtout leur évolution, sont très peu soumises au débat public. De plus, la couverture médiatique du cadre financier pluriannuel est réduite et ses conséquences annuelles sont toujours sous-estimées. Il n’a pas non plus été très évoqué lors des dernières élections européennes, y compris par les partisans d’une construction fédérale.

Par ailleurs, la substitution de financements nationaux par des fonds européens n’a jamais été présentée aux Français, ce qui pose un problème de comptabilité nationale. Des fonds européens, et a fortiori un endettement européen, n’ont pas vocation à prendre le relais de fonds nationaux qui ne sont pas de bon aloi. On est ici proche d’une forme de cavalerie et nos interlocuteurs de Bercy étaient quand même généralement très mal à l’aise face à cette forme de substitution, qui n’est pas de bonne politique.

La situation est encore pire quand on fait financer des dépenses en année zéro par des remboursements qui interviendront in fine en année cinq – je parle évidemment du plan de relance français, financé par des remboursements qui commenceront en 2028. Je ne me prononcerai pas sur la sincérité des engagements pris et du discours qui a consisté à nous expliquer que ce plan de relance ne comportait pas de risque pour les contribuables français. Je note cependant que de nombreux commentateurs avaient averti dès 2020 qu’il était peu probable que les ressources propres de l’Union européenne puissent se substituer aux contributions nationales.

En outre, il existe deux formes de contributions européennes. L’une concerne les acteurs étrangers, à travers les fameuses taxes visant les entreprises du numérique identifiées sous l’acronyme Gafam (Google, Apple, Facebook Amazon et Microsoft) qui opèrent en Europe mais ne paient pas leur juste contribution aux systèmes fiscaux nationaux, ce qui est exact. Une vraie réforme avait été portée sur ce sujet par Bruno Le Maire. L’autre porte sur des contribuables dits européens, qui paient par exemple une taxe carbone. Or la clé de répartition de ces ressources est la même. Pour le moment, à part le mécanisme d’ajustement aux frontières, aucune contribution européenne n’est payée par des « non-Européens ». De plus, nous pouvons craindre que le mécanisme d’ajustement aux frontières soit répercuté sur les producteurs européens.

Enfin, le marché européen de l’électricité ne fait pas l’objet de ce rapport, mais tout le monde connaît mon opinion sur ce sujet.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Je reconnais le travail effectué, ainsi que le grand nombre d’auditions conduites. Mais sur le fond, nous connaissons depuis des décennies tous les éléments que vous évoquez ; vous ne faites que rappeler le fonctionnement de l’Union européenne, qui est une construction politique. Elle demeure imparfaite, mais je la soutiens, je suis pro-européen. Depuis 1958, la France est contributrice nette au budget de l’Union européenne, au même titre que l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas ou d’autres pays.

Votre rapport entretient une confusion entre les compétences exclusives, peu nombreuses (l’union douanière, le commerce, la monnaie, la concurrence) et les compétences partagées de l’Union européenne. Il y a un paradoxe à ce que vous déploriez un manque de fédéralisme alors que vous ne cessez de dire que l’Union européenne ne fait pas assez de place aux États membres. En réalité, vous faîtes la démonstration que l’Union européenne est une union politique où les États membres sont au cœur de tout. Personnellement, je le déplore car il me semble que nous devons aller plus loin dans la fédéralisation politique. Je suis assez inquiet d’une forme de renationalisation des politiques européennes, débat que nous avions eu l’année dernière avec Pascal Lamy, lors de son audition. En résumé, je suis très étonné qu’un député opposé à la construction européenne formule ce genre de remarques.

M. Jean-Philippe Tanguy, rapporteur spécial. Il est exact que la France a toujours été contributrice nette. Du temps de Jacques Chirac, notre contribution nette annuelle s’élevait à 2 milliards d’euros ; elle était de 6,6 milliards d’euros en moyenne chaque année lors du précédent CFP 2014-2020 et s’établit en moyenne à 10 milliards d’euros dans le CFP actuel ; soit une multiplication par cinq. C’est d’autant plus paradoxal que, comme vous l’indiquez, certaines politiques ont été partiellement renationalisées.

Puisqu’il nous est dit qu’il faut davantage financer l’Union européenne, nous devrions nous attendre en retour à des politiques européennes plus prononcées. Mais à ma grande surprise, j’ai constaté que sur un certain nombre de sujets, cet argent est fléché vers le refinancement de fonds nationaux. À titre d’exemple, le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire français demande une politique européenne intégrée en matière d’engrais traditionnels et de protéines végétales ; mais celle-ci est inexistante.

Mme Sophie Mette (Dem). Le rapport que nous examinons ce jour a le mérite de nous permettre de débattre sur le budget de l’Union européenne quelques semaines après avoir auditionné, à huis clos, le commissaire européen au budget sur le futur cadre financier pluriannuel de l’Union. Dans votre rapport, vous dénoncez le fait que la contribution française vis-à-vis de l’Union européenne ne cesse d’augmenter, mais vous oubliez de dire que notre pays est devenu en 2023 le premier bénéficiaire en volume des crédits du budget européen et le deuxième bénéficiaire des crédits du plan de relance Next Generation EU. Par ailleurs, vous indiquez à juste titre que la France a perçu 9,5 milliards d’euros au titre de la PAC et de la politique commune de la pêche, mais vous omettez de dire que nous sommes de loin le premier bénéficiaire de cette PAC.

Enfin, vous oubliez de rappeler que notre pays affiche des retours en constante progression, comme le ministre Benjamin Haddad l’avait rappelé au moment de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, même si la comparaison avec certains de nos voisins montre que nous pouvons faire encore mieux. En ce sens, votre tableau, page 16, aurait pu faire figurer les taux de retour annuel en sus du taux de retour moyen pour la période 2021-2023.

Au-delà de ces remarques, je souligne toutefois que votre rapport évoque des enjeux majeurs pour le futur du budget de l’Union, qui fera face à plusieurs défis majeurs de financement : le remboursement du plan de relance européen, le remplacement de la contribution du Royaume-Uni, ou encore le soutien à des priorités politiques capitales pour la sécurité et la prospérité de notre Union. Pour le groupe Les Démocrates, les relever passera par des recettes renforcées et modernisées, notamment au moyen de nouvelles ressources propres, afin de garantir un financement de nos priorités communes, sans rehausser les contributions des États membres.

Dans votre rapport, vous évoquez l’opportunité de mettre en place de nouvelles ressources propres qui ne seraient pas payées par les contribuables ou acteurs économiques français. Avez-vous des exemples de nouvelles ressources propres qui rempliraient ces critères ? Plus généralement, quelle est exactement votre philosophie sur le sujet des ressources propres ?

M. Jean-Philippe Tanguy, rapporteur spécial. En page 16, nous aurions pu présenter le tableau autrement, mais cela n’aurait pas modifié fondamentalement le message. Cela étant, nous pourrons agir de la sorte dans le prochain rapport, l’année prochaine, si les collègues me font encore confiance sur ce sujet.

Ensuite, je m’inquiète à bon escient de la hausse de notre contribution : alors que nous vivons une période de restrictions budgétaires, il nous faudra trouver 7 milliards d’euros l’année prochaine pour financer la hausse de notre contribution, qui va dépasser le seuil symbolique des 30 milliards d’euros. Cette contribution va par ailleurs augmenter de 10 milliards d’euros sur deux ans. Il ne me semble pas qu’une hausse de 30 % en un an puisse être évacuée du revers de la main, sous prétexte qu’elle est « tendancielle » pour reprendre les mots de la ministre chargée des comptes publics. J’ajoute que l’exécution des programmes pose également problème : aujourd’hui, il existe un stock de 500 milliards d’euros de projets qui n’ont pas été réalisés et il en restera pour 300 milliards d’euros au terme de ce budget, c’est-à-dire un montant considérable. Nous sommes en train de finaliser l’exécution de certains programmes du cadre financier pluriannuel 2014 – 2020 avec cinq ans de retard. Dès lors, quoi que l’on pense de la construction européenne, il existe bien un problème de gestion des crédits européens.

S’agissant des nouvelles ressources propres, auxquelles je suis par ailleurs opposé, j’ai donné l’exemple du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Lors des auditions que nous avons conduites, peu de personnes croyaient sincèrement à ces nouvelles ressources propres. Il demeure un problème de sincérité démocratique lorsque l’on a indiqué aux Français et aux Européens que le plan de relance ne serait pas payé par les contribuables. Les Français mais aussi les autres Européens doivent savoir qu’ils paieront le plan de relance européen. Enfin, il faut également mentionner le problème des intérêts. Les règles européennes interdisaient à la Commission européenne d’emprunter à taux très bas sur les marchés en 2020 et 2021 l’intégralité des fonds nécessaires au plan car l’argent ne pouvait pas être déboursé dans l’année fiscale. Mais il s’agit de mauvaises règles qui coûteront 15 milliards d’euros supplémentaires aux contribuables.

M. le président Éric Coquerel. Vous avez évoqué un peu plus tôt des effets de mode. Il y a deux ans, le rapport Prodi estimait à 800 milliards d’euros l’investissement nécessaire, notamment en termes de bifurcation écologique. Deux ans plus tard, un rapport semblable a été publié, cette fois-ci sur l’économie de la défense. À la lumière de ces deux exemples, ne constate-t-on pas que des objectifs légitimes restent limités à de simples effets d’annonce ?

Ensuite, ces effets d’annonce sans lendemain ne sont-ils pas inhérents au type de construction européenne choisie, c’est-à-dire un grand marché commun sans harmonisation sociale et fiscale et sans se préoccuper du développement industriel souverain de l’Europe ?

M. Jean-Philippe Tanguy, rapporteur spécial. Ces effets d’annonce sans lendemain sont en partie liés à l’évolution et au rôle d’une certaine forme de communication.

Les travaux que vous avez cités sont sérieux et les besoins existent. Mais il me semble nécessaire d’élargir la réflexion. La Banque centrale européenne (BCE) a mené des politiques de création monétaire très extensives sans fixer de cible aux financements et les banques ont en quelque sorte fait ce qu’elles voulaient, c’est-à-dire pas grand-chose selon moi. En conséquence, il est souhaitable d’initier une nouvelle ère du policy mix, une coordination entre la politique monétaire indépendante d’une part, et la politique budgétaire d’autre part. Cette coordination ne permettrait-elle pas de financer des dépenses très importantes, celles qui sont évoquées dans les différents rapports que vous avez mentionnés, soit un montant de 2 500 milliards d’euros au total si l’on tient compte des besoins pour la bifurcation écologique, les enjeux du marché commun et l’industrie de défense ?

En tant que rapporteur spécial, il ne me revient pas de me prononcer sur les éléments inhérents à la construction européenne telle qu’elle a été choisie. Mais à titre personnel, je pense qu’inclure des politiques économiques dans des traités internationaux, voire dans des textes qui pourraient s’apparenter à une constitution, constituait une erreur.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Je souhaite formuler deux remarques. D’abord, il est beaucoup question de prélèvements qui pourraient être mutualisés et beaucoup plus acceptables pour chaque pays. Ensuite, dans votre rapport, vous mentionnez l’enjeu d’un appui aux régions dont les taux d’engagement de la politique de cohésion sont relativement faibles. Quels sont les facteurs de grippage ? La réforme des régions a-t-elle diminué la fluidité ? Quels dysfonctionnements avez-vous constatés à ce niveau ?

M. Jean-Philippe Tanguy, rapporteur spécial. La situation s’est objectivement améliorée, mais des dysfonctionnements demeurent. Ils sont essentiellement dus, dans le cadre de la décentralisation française, au manque de moyens techniques d’encadrement des régions françaises jusqu’à une période récente. Les territoires d’outre-mer ont éprouvé des difficultés à identifier et recruter les personnes compétentes pour mener ces programmes très exigeants techniquement.

Aujourd’hui, les dossiers européens sont moins complexes qu’on ne pourrait le croire et, simultanément, les régions progressent. L’Association des régions de France pourrait utilement partager les meilleures pratiques et peut-être certains profils, afin que les territoires d’outre-mer améliorent leur gestion des fonds. Au-delà, il faut souligner l’éternel dilemme français, qui consiste à ne pas réussir à choisir entre l’échelon régional et l’échelon national pour conduire la politique sociale européenne.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Selon moi, le rapport ne prend pas en compte la globalité des retours. En réalité, monsieur le rapporteur, vous pratiquez une approche très comptable. L’euro nous permet de nous endetter, peut-être de façon excessive. Si l’euro n’avait pas existé et que nous vivions toujours sous le régime du franc, les coûts budgétaires de notre endettement auraient été bien supérieurs.

Ensuite, vous avez émis des doutes sur la manière dont était comptabilisée la présence des institutions européennes en France, à Strasbourg. En tant qu’Alsacien, j’observe que le retour va bien au-delà des chiffres que vous avancez. Le Parlement européen génère des flux très importants, notamment par l’accueil de très nombreuses délégations. Surtout, pour la France, il s’agit d’un outil politique considérable et de prestige. De fait, l’approche des politiques et des dépenses européennes ne doit pas être que comptable. En résumé, le projet européen, éminemment politique, engendre des retours bien supérieurs aux millions d’euros qui sont parfois avancés.

M. le président Éric Coquerel. Je rappelle que la dette française ne date pas de l’euro. En revanche, dans les années 1980, un dispositif législatif nous a obligés à emprunter sur les marchés financiers et à ne plus pouvoir avoir recours au circuit du Trésor. En réalité, l’euro est lié à cette forme de financiarisation de la dette.

M. Jean-Philippe Tanguy, rapporteur spécial. Je ne suis pas sûr que la possibilité de nous endetter au-delà de ce que notre économie aurait pu permettre sans l’euro constitue forcément un avantage. Mais, une fois de plus, les Français jugeront.

Ensuite, je me suis contenté de travailler à partir de l’approche comptable retenue par les instances européennes et françaises. J’ai repris les chiffres qui m’ont été transmis. Au-delà, les travaux économétriques sur les avantages et les désavantages de notre appartenance à l’Union européenne sont rares en réalité, ce qui est regrettable pour la qualité du débat public.

En revanche, j’ai malgré tout travaillé sur l’effet du plan de relance européen, aux niveaux européen et français. Or celui-ci est très déceptif : le keynésianisme européen ne remplit pas ses fonctions puisque même les chiffres fournis par la direction générale du Trésor et la Commission européenne donnent un effet économique quasiment égal à l’argent injecté. Ce matin, j’ai rencontré le président de la Banque mondiale, qui s’inquiétait de l’endettement des économies occidentales. De fait, la logique keynésienne ou néo-keynésienne qui considère que toute dépense créera forcément un effet multiplicateur doit être interrogée.

La commission autorise, en application de l’article 146 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.


Puis la commission examine, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information sur la gestion forestière de l’État de M. Laurent Baumel et Mme Sophie Mette, rapporteurs spéciaux de la mission Cohésion des territoires : Aménagement des territoires

M. Jean-Didier Berger, président. Je souhaite la bienvenue à Sophie Mette et à Laurent Baumel, les rapporteurs spéciaux de la mission Cohésion des territoires : Aménagements des territoires, qui ont choisi la gestion forestière de l’État comme thème d’évaluation.

Mme Sophie Mette, rapporteure spéciale de la mission Cohésion des territoires : Aménagements des territoires. Depuis le 1er janvier 2025, 18 500 hectares de forêt ont brûlé en France, soit près de trois fois la moyenne annuelle observée entre 2006 et 2023. Ce chiffre, à lui seul, témoigne de l’accélération nette et durable des incendies dans notre pays. Surtout, ces incendies ne touchent plus seulement le sud. Ils se propagent désormais à l’ouest et à l’est, dans des départements jusqu’alors peu concernés, comme le Finistère ou le Jura.

À cette extension géographique s’ajoute une extension temporelle. Les périodes à risque commencent plus tôt, finissent plus tard et s’inscrivent dans un contexte de sécheresse chronique qui affaiblit durablement les massifs forestiers. Dans ma circonscription, en Gironde, historiquement confrontée à ce risque, les conséquences sont bien connues. Mais désormais de nombreuses autres circonscriptions sont touchées, y compris celles de mon corapporteur Laurent Baumel.

C’est donc tout naturellement que nous avons choisi de consacrer notre rapport du printemps de l’évaluation à la gestion forestière de l’État. Nous avons d’abord analysé la gouvernance de la politique forestière et le rôle des différents acteurs impliqués. Nos travaux révèlent une organisation fragmentée, complexe et parfois difficilement lisible en raison de la compétence partagée entre plusieurs ministères : agriculture, transition écologique, intérieur.

La création en avril 2024 d’un délégué interministériel à la forêt constitue un signe encourageant, témoignant d’une volonté affirmée de renforcer la cohérence et la coordination entre ces acteurs. Cependant, les moyens humains et financiers alloués ne correspondent pas à cette ambition. Les postes prévus pour accompagner le délégué interministériel n’ont par exemple jamais été pourvus.

Nous appelons donc à la vigilance. Une politique forestière ambitieuse exige une impulsion interministérielle forte accompagnée de moyens à la hauteur des enjeux. Nous nous sommes également penchés sur la situation financière de deux établissements publics qui occupent une place centrale dans la mise en œuvre des politiques forestières, l’Office national des forêts (ONF), en charge des forêts publiques, et le Centre national de la propriété forestière (CNPF), compétent pour la forêt privée. Notre analyse rejoint les conclusions de la Cour des comptes dans son rapport de 2024 : alors même que les missions confiées à ces deux structures s’élargissent, les moyens humains et financiers qui leur sont alloués demeurent insuffisants. Dans ces conditions, ils ne pourront durablement faire face aux conséquences climatiques et sanitaires qui pèsent sur nos massifs. Il est donc essentiel d’assurer une trajectoire budgétaire cohérente avec les responsabilités stratégiques qui leur sont confiées.

S’agissant de la prévention des incendies et de la gestion des crises, le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, M. Julien Marion, a résumé avec justesse l’enjeu : nous faisons face à un véritable changement d’échelle du risque incendie en France, et la trajectoire budgétaire doit impérativement être ajustée pour maintenir une réponse opérationnelle de qualité.

Mais le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises a aussi insisté sur un point qui nous semble essentiel : l’augmentation des crédits à elle seule ne suffira pas. Il faut renforcer la coordination entre acteurs, impliquer davantage les citoyens, et surtout développer une véritable culture du risque. Cet aspect va être abordé par mon corapporteur

M. Laurent Baumel, rapporteur spécial de la mission Cohésion des territoires : Aménagements des territoires. Il nous a paru en effet pertinent de nous pencher sur cette question dans le cadre du printemps de l’évaluation, mais surtout à la veille d’un été qui pourrait être de nouveau préjudiciable pour la forêt française en raison des températures. Nous avons en particulier travaillé sur l’enjeu central de l’accompagnement des propriétaires forestiers dans la prévention des incendies.

Nous avons ainsi voulu nous intéresser à la mise en œuvre des obligations légales de débroussaillement (OLD). Elles ne consistent pas en un défrichement, mais en un entretien ciblé de la végétation dans un périmètre de cinquante mètres autour des constructions, dès lors que celles-ci se trouvent à moins de 200 mètres d’une zone boisée à risque.

Il s’agit aujourd’hui là de la première ligne de défense contre les incendies, celle qui freine la propagation des feux, facilite l’intervention des secours, protège les habitations. De ce point de vue, son efficacité est prouvée : 90 % des maisons qui ont été détruites dans les incendies par les flammes se trouvent sur des terrains qui n’avaient pas été débroussaillés ou qui ont été mal entretenus.

Mais si ces obligations sont justifiées, leur mise en œuvre reste aujourd’hui problématique. Le taux moyen de conformité est estimé, en effet, à 37 %, avec des très fortes disparités territoriales. Un tel écart s’explique pour différentes raisons. D’abord, dans les zones historiquement concernées par la défense contre les incendies, le dispositif est bien connu, mais suscite parfois des réserves. Lors de nos auditions, les représentants d’associations environnementales, des syndicats forestiers ou du CNPF ont souligné notamment des injonctions qui paraissent parfois contradictoires entre prévention du risque incendie, d’une part, et prévention de la biodiversité, d’autre part.

De plus, la loi du 10 juillet 2023 a étendu ses obligations au-delà des zones traditionnellement exposées au risque d’incendie à des territoires qui étaient jusqu’alors peu concernés. C’est l’exemple de mon département, l’Indre-et-Loire, où ces problématiques arrivent désormais. Les propriétaires forestiers de ces communes, qui ne disposent pas toujours de l’expérience ni des outils adaptés doivent désormais mettre en œuvre ces obligations un peu lourdes, parfois notamment sur des terrains qui appartiennent à des tiers et dans un cadre juridique qui leur apparaît comme peu lisible et complexe.

Dans le cadre de nos auditions, les habitants de ces territoires nous ont décrit la réalité concrète des démarches : recherche de propriétaires parfois décédés, indivision extrêmement complexe, envoi de courrier recommandé. Certains doivent contacter plus d’une dizaine de propriétaires pour pouvoir intervenir sur les parcelles voisines. Par ailleurs, ces travaux ne se résument pas à un simple débroussaillage. Ils impliquent élagage, abattage, évacuation des déchets verts avec des matériels coûteux et des compétences techniques spécifiques.

À partir de ces éléments, notre conviction est claire. L’accompagnement doit être renforcé, en particulier dans les territoires nouvellement concernés par le dispositif. Cela suppose de soutenir les acteurs qui agissent déjà auprès des propriétaires forestiers. Bien évidemment, le CNPF joue un rôle central : il mène un travail d’information et de sensibilisation, propose des visites de conseil, intègre les OLD dans les documents de gestion forestière. Il organise aussi des formations dans les régions exposées au risque. Cette action mérite un soutien renforcé, tant en termes de budget, bien sûr, que d’effectifs.

En second lieu, une meilleure appropriation des OLD passe par un accompagnement plus pédagogique de la part des services de l’État, mais aussi par une application progressive et différenciée qui tienne compte des spécificités locales, pour éviter les contradictions et surtout pour mieux mobiliser et mieux convaincre de la nécessité d’appliquer ces obligations.

Enfin, les services déconcentrés de l’État doivent jouer un rôle de facilitateurs, non simplement publier des arrêtés enjoignant aux obligations de débroussaillement, mais aider à identifier les propriétaires, à gérer les démarches administratives, informer les tiers, souvent peu au fait de leurs obligations.

Les travaux engagés ce printemps nous permettront d’aborder l’automne budgétaire avec une vigilance accrue sur ces enjeux.

M. Emeric Salmon (RN). Mon département, la Haute-Saône, très forestier, était jusqu’alors épargné. L’année dernière, un grand incendie a nécessité l’apport de pompiers extérieurs. Environ 90 % des incendies de forêt sont d’origine humaine, qu’elle soit accidentelle ou volontaire.

Dans ces départements nouvellement confrontés aux incendies de forêt, un besoin supplémentaire de pédagogie vis-à-vis de la population n’est-il pas nécessaire ? Lorsque l’on traverse le département de la Gironde, des panneaux en bord de route indiquent par exemple qu’il ne faut pas jeter son mégot de cigarette par la fenêtre de sa voiture. Je n’en vois pas en Haute-Saône. Avez-vous des préconisations à formuler en matière de pédagogie vis-à-vis des incendies de forêt ?

Mme Sophie Mette, rapporteure spéciale. Dans tous les départements et régions, un travail a été mené par les préfets afin que les élus locaux et les pompiers puissent informer la population, effectuer ce travail de pédagogie. S’agissant des OLD, il est exact que les gens doivent apprendre à entretenir leur terrain. Le niveau d’acculturation diffère naturellement selon les territoires, mais les préconisations doivent être apportées et suivies dans tous les départements.

M. Laurent Baumel, rapporteur spécial. Les OLD existent dans l’intérêt bien compris des habitants qui protègent leurs propres biens en les appliquant, même si le travail difficile et pénible. Il existe en quelque sorte un intérêt individuel à se soumettre à ces prescriptions collectives. Dans ce cas, la protection de la forêt et la protection de sa propre maison peuvent être liées. La difficulté des OLD tient aux démarches qu’elles impliquent, notamment administratives, lesquelles peuvent constituer un frein non négligeable.

Mme Sophie Mette, rapporteure spéciale. En complément de ma réponse initiale, j’indique qu’il existe également une campagne d’information concernant le risque incendie. Cette campagne sera reconduite.

Mme Sophie Pantel (SOC). Je vous remercie pour ce rapport et pour avoir rappelé l’importance des moyens en faveur de la sécurité civile. La situation des OLD est encore plus complexe que celle que vous avez pu évoquer dans le rapport. Je rappelle que le législateur avait choisi de faire porter la charge des OLD sur les habitats, en considérant que le risque était finalement humain. Mais aujourd’hui, le risque incendie est aussi lié au réchauffement climatique.

Dans ma circonscription des Cévennes vivent des habitants qui disposent de très faibles revenus et retraites et qui se trouvent confrontés à devoir faire du défrichement, voire de l’abattage d’arbres. Vous avez parlé des propriétaires de bois qui devaient être accompagnés. En réalité, aujourd’hui, des personnes qui ne sont pas forcément propriétaires de la forêt sont obligées de réaliser ces travaux au titre des OLD. Au-delà de la procédure et des démarches administratives se posent la question du maintien de l’habitat permanent. En effet, nombre d’entre eux ne peuvent plus payer les sommes importantes nécessaires pour procéder à ces travaux. Dès lors, ils doivent se résoudre à vendre des maisons au profit de résidents secondaires qui disposent des moyens nécessaires.

Il existe une possibilité de déduire, avec un plafond, une partie de ces dépenses, à condition de payer des impôts. Or les personnes qui sont en difficulté, celles dont je vous parlais, n’ont pas de crédit d’impôt. En conséquence, lors de l’étude du prochain budget, nous devrons, me semble-t-il, nous poser la question du crédit d’impôt. Une deuxième piste de travail concerne la dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales (DSCAR) qui pourrait permettre d’aider les communes à participer financièrement.

Je souhaite également évoquer la préservation du sylvo-pastoralisme. Aujourd’hui, quand une forêt appartient à une commune, elle est automatiquement soumise au régime forestier. Auparavant, ces terres étaient souvent mises à disposition de nos agriculteurs et elles représentaient des hectares importants pour l’autonomie fourragère. Mais aujourd’hui, nous nous rendons compte de l’existence des contraintes imposées dans le cadre de la préservation de la forêt, qui empêchent nos agriculteurs de bénéficier de ces hectares, les plaçant de facto en difficulté.

En résumé, je tiens à rappeler l’importance du sylvo-pastoralisme, qui doit être envisagé différemment d’une simple gestion forestière sur laquelle il n’existe pas de pâturage.

M. Laurent Baumel, rapporteur spécial. Vous avez raison de mentionner le cas de personnes pour lesquelles le recours à un prestataire engendre des dépenses non négligeables au regard de leurs ressources. À ce titre, des facilités pourraient être apportées de type crédit d’impôt. Nous y avons réfléchi, mais à ce stade, nous n’avons pas voulu formuler des préconisations qui auraient visé le budget à venir. La question pourra cependant être posée en temps et en heure.

Une autre possibilité consisterait à établir un dispositif de type Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) pour la forêt. Mais là aussi, il nous a semblé prématuré de préconiser une mise à contribution de l’ensemble des contribuables d’un territoire pour la préservation de la forêt, même à travers une petite taxe ou un faible taux. Dans un certain nombre d’années, tous les habitants d’un territoire se sentiront peut-être concernés par la répétition des feux de forêt, même s’ils n’habitent pas eux-mêmes à la lisière des bois, et pourraient donc juger utile de payer une petite contribution afin que la collectivité prenne en charge ce type de travaux.

En résumé, nous avons réfléchi à fiscalité constante.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Je tiens à vous remercier pour ce rapport particulièrement intéressant. Vous évoquez les défis multiples liés à la forêt : changement climatique, biodiversité, nouveaux usages. Dans vos travaux, vous relevez que le soutien étatique est déjà structuré, mais doit continuer de se renforcer face à l’aggravation des menaces pesant sur la durabilité des forêts.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux qui avaient été fixés par le Président de la République – 1 milliard d’arbres sur dix ans –,a été nommé un délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages. Vous relevez toutefois que les postes de chargés de mission prévus pour l’accompagner n’avaient pas été pourvus, limitant ainsi sa capacité d’action. Savez-vous pourquoi exactement ces postes n’ont pas été pourvus ou n’ont pas été créés ? Lors de vos auditions, avez-vous eu des éléments sur les perspectives d’amélioration de l’accompagnement du délégué interministériel dans son travail ?

S’agissant de la gouvernance, on évoque actuellement un certain rapprochement des opérateurs de l’État dans une logique d’efficience et de visibilité de l’action publique. Que pensez-vous de l’idée de fusionner l’ONF et le CNPF ? Au regard de vos travaux, pensez-vous que cette fusion serait pertinente afin de donner plus de cohérence d’ensemble à la politique forestière de l’État en permettant une mutualisation des moyens, la mise en place d’un guichet unique et la mise en œuvre d’une stratégie globale pour la forêt publique et privée ?

J’aimerais vous interroger également sur une des recommandations que vous formulez au sujet des obligations légales de débroussaillement. Vous proposez d’encourager une mise en œuvre progressive et différenciée de ces obligations en tenant compte des particularités écologiques et sociales de chaque zone. Quels seraient concrètement les critères et la méthode retenus dans cette optique pour procéder à une mise en œuvre de l’obligation en tenant plus encore compte des spécificités des territoires ?

Mme Sophie Mette, rapporteure spéciale. La nomination du délégué interministériel est intervenue à un mauvais moment, juste avant la dissolution, engendrant un moment de flottement. Issu de ce milieu forestier, il est très engagé sur ces sujets, mais regrette d’être seul aujourd’hui pour pouvoir déployer ce travail de pédagogie auprès des élus et des différents ministères. Nous ne pouvons que souhaiter qu’il soit soutenu par l’adjonction de quelques personnes à ses côtés.

Ensuite, l’ONF et le CNPF sont deux organismes différents, qui traitent de sujets différents. Leur fusion ne semble donc pas appropriée.

M. Laurent Baumel, rapporteur spécial. S’agissant de l’adaptation des OLD aux spécificités territoriales, j’évoquais surtout la nécessité de ne pas immédiatement calquer dans des départements qui commencent à être concernés des modèles qui sont en place depuis longtemps dans des départements historiquement impactés, afin de ne pas créer de décalage brutal. L’acculturation doit être progressive.

Ensuite, il faut sans doute prendre en compte les différences entre les milieux forestiers. À ce titre, il est possible de dresser un parallèle avec la révision des plans de prévention des risques d’inondation (PPRI), dans laquelle des zones entières sont déclarées à risque, indépendamment des travaux de digues qui ont pu être conduits.

Notre rapport n’a pas pour objet de critiquer les OLD. Nous savons qu’il faut s’inscrire dans cette logique de prévention des incendies. Mais dans les départements qui commencent à être concernés par ces sujets, il me semble nécessaire d’intervenir de façon progressive : la mobilisation ne fonctionne que si elle est facile à mettre en œuvre et en rapport avec la perception du risque par les habitants.

M. Pierre Henriet (HOR). Je tiens à remercier les rapporteurs pour leur travail, qui nous offre un éclairage très complet sur la politique forestière de l’État. Votre rapport montre que les crédits budgétaires sont orientés en hausse, mais restent éclatés dans de multiples programmes, et dont le pilotage est assez complexe. Vous soulignez, à juste titre, que le programme 149 ne permet pas de rendre compte clairement de l’effort budgétaire global en faveur de la forêt.

Ce manque de lisibilité nuit forcément à la stratégie, comme aux débats parlementaires. Par ailleurs, la situation de l’ONF appelle des clarifications. Vous montrez que la subvention pour charges de service public a doublé depuis 2021, sans que les missions exactes financées soient toujours bien identifiées. Il existe un risque réel de voir l’État accroître son effort financier sans pilotage stratégique renforcé. Comment renforcer la place des acteurs locaux dans la définition de la stratégie forestière au-delà des dispositifs contractuels ? Quelles évolutions recommandez-vous dans la gouvernance de l’ONF pour mieux articuler les missions d’intérêt général et la viabilité économique de l’établissement ?

Mme Sophie Mette, rapporteure spéciale. Le délégué interministériel a pour mission d’assurer le pilotage, mais il manque de moyens. Nous souhaitons fortement qu’il puisse être accompagné, pour améliorer et accélérer ce pilotage.

M. Laurent Baumel, rapporteur spécial. M. Philippe Canot, le président de la Fédération nationale des communes forestières a attiré notre attention sur le fait que les élus des communes forestières sont particulièrement impliqués sur ces sujets. Il mentionnait notamment la possibilité que ces élus jouent un rôle délibératif dans les commissions des FCI, au sein desquelles se discute la stratégie de prévention globale des incendies.

Mme Sophie Mette, rapporteure spéciale. J’ajoute que nos auditions ont également révélé un besoin de transparence sur la manière dont est réparti l’argent en faveur du risque incendie.

La commission autorise, en application de l’article 146 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.

 

 

 

 


Enfin, la commission examine, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information sur le soutien public à l’industrie de défense de M. Emeric Salmon, rapporteur spécial de la mission Défense : Budget opérationnel de la Défense

M. Jean-Didier Berger, président. Monsieur Salmon, rapporteur spécial du budget opérationnel de la mission Défense, vous avez choisi comme thème d’évaluation le soutien public à l’industrie de défense.

M. Emeric Salmon, rapporteur spécial de la mission Défense : Budget opérationnel de la défense. J’ai effectivement choisi de consacrer mon rapport au soutien public à l’industrie de défense. De nombreux travaux ont été lancés et sont en cours sur ce sujet majeur pour la reconquête de notre souveraineté et de notre indépendance stratégique, ainsi que celle de nos voisins européens, s’ils consentent à se tourner davantage vers les productions de haute qualité de nos industriels.

D’aucuns n’ont pas manqué de relever qu’en tant que rapporteur spécial des programmes 178 et 212, mon champ d’évaluation habituel ne s’étendait pas à tous les aspects de la commande publique. Au-delà de strictes délimitations, il est utile de multiplier les points de vue et de ne pas compartimenter des sujets qui relèvent tous, in fine, de la qualité de la gestion des budgets de la mission Défense et de la sincérité de notre programmation militaire.

Je voudrais aussi souligner que le soutien public, tel que je l’ai entendu, ne se limite pas à un soutien financier, que de nombreuses autres modalités et voies d’action sont possibles pour améliorer l’écosystème économique et social de notre industrie de défense. Il faut se féliciter à ce titre que plusieurs collègues parlementaires se soient emparés du sujet. Je pense aux contributions récentes de notre collègue sénateur de Legge, qui a tiré la sonnette d’alarme sur l’exécution de la loi de programmation militaire (LPM), ou de la mission confiée par le gouvernement à notre collègue Jean-Louis Thiériot sur la stratégie européenne industrielle de défense et dont nous attendons les conclusions avec intérêt.

Ma première intention en entamant ces travaux était de dresser un état des lieux objectif des forces et faiblesses du soutien apporté à notre industrie. J’ai donc mené une quinzaine d’auditions avec les administrations de Bercy, des armées, la Direction générale de l’armement (DGA), le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et les acteurs de l’investissement public. J’ai également interrogé les représentants de la filière, les groupements industriels sur les trois armes – le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (Gicat), le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), le Groupement des industries de construction et activités navales (Gican) – et quelques-uns des neuf maîtres d’œuvre que sont Thales, Safran, Arquus, Dassault et Airbus.

La base industrielle et technologique de défense (BITD) est une filière fortement intégrée, avec un nombre limité de maîtres d’œuvre, qui dirigent la conception et la livraison de programmes commandés par l’État, et plus de 4 500 sous-traitants et fournisseurs, généralement des petites et moyennes entreprises (PME) et quelques entreprises de taille intermédiaire (ETI). Pour ne pas me limiter au point de vue des chefs de file, j’ai entrepris de rencontrer à Bordeaux un panel de dirigeants de plus petites structures et notamment des start-up innovantes.

Le premier constat est le suivant : nous avons entre nos mains d’excellents outils pour donner à la filière l’impulsion dont elle a besoin afin de réussir la montée en cadence capacitaire. La DGA est inventive, soucieuse de proximité avec l’ensemble de la filière et dotée d’une compréhension fine des acteurs et de leurs défis techniques, ses agents ayant effectué de nombreux allers-retours entre l’administration et l’industrie. Cette organisation constitue une force pour accompagner nos entreprises dans les défis à relever, d’abord en proposant à nos voisins européens des technologies et matériels de conception française dont l’usage souverain leur sera garanti, sans crainte d’une paralysie du fait des réglementations ITAR (International Traffic in Arms Regulations) américaines.

Bruxelles est en train d’en prendre conscience ; il était temps. Mais nous devons refuser de voir la Commission européenne se constituer en plateforme d’achat groupé d’armement pour ses membres. Notre DGA possède bien plus d’expertise sur la manière dont nous devons équiper nos armées qu’un exécutif européen qui a longtemps affiché la plus grande réticence à l’égard de toute politique industrielle de défense européenne. Des stigmates persistent d’ailleurs, et la France doit lutter avec détermination contre les dernières marques d’hostilité ou de défiance que l’on trouve, par exemple, dans la doctrine du Fonds européen d’investissement (FEI) sur certains armements prétendument controversés.

Sur le plan intérieur, la révision des doctrines du secteur des banques assurances et des fonds d’investissement est visiblement en cours, et nous nous en félicitons, à condition que les proclamations de soutien qui ont été faites à Bercy le 20 mars dernier lors de la conférence sur le financement de la BITD percolent jusqu’à l’échelon des agences dans les territoires, où les dirigeants en quête de financement de leur besoin en fonds de roulement (BFR) ou de leur innovation se heurtent encore à des incompréhensions, voire à de secs refus.

S’agissant du soutien public, il faut saluer encore l’engagement de Bpifrance, la banque publique d’investissement, qui a déployé de nombreux dispositifs, en partant des besoins exprimés par les dirigeants d’entreprises de la BITD, notamment les PME. Une clarification des dispositifs, quelque peu morcelés, serait néanmoins souhaitable, ainsi qu’un accompagnement des entrepreneurs qui peuvent se sentir un peu perdus dans le maquis des dispositifs. L’effet d’entraînement de l’investissement public est déterminant pour notre BITD. Cela doit inciter Bpifrance à accélérer sur les chantiers qu’elle a annoncés, avec le lancement de son nouveau fonds de private equity, ouvert à la souscription des particuliers.

Nous n’ignorons pas le temps nécessaire à la mise sur pied d’un tel fonds, aux contraintes réglementaires et à la procédure d’agrément de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Le public ne s’en est pas moins fait prendre de vitesse par un fonds d’investissement privé, Tikehau, qui a annoncé au Salon du Bourget la commercialisation de son propre fonds de private equity défense dès le mois de septembre.

Certes, l’objectif de démocratisation poursuivi par Bpifrance ne se retrouve pas chez Tikehau, car le ticket d’entrée reste celui du private equity, c’est-à-dire 20 000 à 30 000 euros pour Tikehau contre 500 euros pour le fonds de Bpifrance. Mais il existe un risque que les investisseurs les plus pressés de contribuer à l’effort de défense se tournent vers cette enveloppe, pour ceux qui ont une somme conséquente à placer. Nous souhaitons le plus grand succès à Bpifrance Défense et surtout une commercialisation rapide, mais nous voulons être plus ambitieux encore pour proposer aux Français des solutions d’épargne patriotique.

Comme vous le savez, mon groupe a défendu le fléchage d’une partie des fonds du livret A vers la défense, sans remettre en cause le soutien au logement social. Je crois que cela serait complémentaire, en offrant un placement réglementé au capital garanti, propre à séduire l’ensemble des Français. Pour les entreprises, les fonds du livret A pourraient servir à financer leur trésorerie à court terme. Des comptes à terme pourraient aussi compléter l’éventail des placements bénéfiques à notre effort de défense.

Mon rapport a permis de mettre en exergue d’autres modalités de soutien public à la BITD. J’ai voulu insister en particulier sur les politiques liées de financement de l’export et de l’innovation. Ces dispositifs anciens ont fait leur preuve et ne représentent aucun coût pour l’État, comme la procédure des avances remboursables dite « article 90 », mais sont malheureusement trop peu utilisés parce qu’ils demeurent méconnus de nos industriels.

La force de notre BITD, comme l’avait voulu le général de Gaulle, réside dans sa complétude, c’est-à-dire sa capacité à couvrir l’ensemble des besoins des armées en matériels et technologies. Aucune autre puissance moyenne que la France ne dispose d’un tel outil industriel au service de sa défense. C’est une force, mais aussi une fragilité qui fait du succès à l’export un enjeu vital pour nos entreprises.

Dès lors, il est de la responsabilité de l’État de tout mettre en œuvre pour les soutenir. Cela peut passer aussi par des adaptations des marchés conclus par la DGA avec les industriels en intégrant dès la phase de conception les perspectives d’exportation. Une telle prise en compte pourrait d’ailleurs être bénéfique pour les finances publiques en incluant, comme cela existe aux États-Unis, des contrats avec formule de prix.

Un matériel développé par la BITD française qui a pu convaincre d’autres États de sa performance et conquérir des marchés étrangers devrait coûter moins cher à l’achat à nos armées. Nous en revenons donc à la question budgétaire sur laquelle je vais conclure et qui nous oblige à dénoncer le décalage entre la parole politique résolue, voire martiale, quand il s’agit d’inciter les industriels à monter en cadence, et la réalité des commandes qui sont réduites à la portion congrue, faute de moyens en ce premier semestre 2025. « Il n’y a plus un kopeck en caisse » titrait, de façon un peu triviale, un journaliste au début de ce mois, en soulignant un recul d’un tiers des commandes par rapport à la même période de 2024. Ce journaliste concluait que Bercy refuse d’appliquer la LPM, mais je dirais plutôt que la LPM était insoutenable, en affichant des programmes ambitieux sans souci de la réalité des crédits disponibles. Le niveau des reports de charges qui se dégradent d’exercice en exercice limite la capacité de la DGA à passer les contrats qu’elle a pourtant annoncés. La paralysie des commandes qui en est la conséquence inquiète nos industriels et la crédibilité de la programmation militaire censée donner de la visibilité à moyen et long terme est gravement entamée.

Dans ce contexte, parler d’économie de guerre et tancer les industriels qui ne produisent pas assez vite relève d’un discours bien peu conscient de la situation catastrophique de nos comptes, qui ne nous permet plus de financer nos priorités stratégiques. Il est donc indispensable et urgent de sortir des faux-semblants et de rebâtir un texte de programmation militaire sans attendre l’horizon 2030 ou même 2027.

Non financée, irréaliste dans ses jalons capacitaires, la LPM ne pourra pas éternellement être réagencée en ajustement annuel de la programmation militaire (A2PM) dans l’opacité de bureaux ministériels, quitte à trahir les engagements pris devant la représentation nationale. Chers collègues, notre BITD n’est pas en attente de soutien public. Elle réclame les commandes que nous lui avons promises. Le rapport que j’ai l’honneur de vous soumettre aujourd’hui avance quelques pistes qui permettront, je l’espère, de restaurer les qualités de l’État acheteur en étant, pour nos industriels, un partenaire fiable, prévisible et de long terme.

M. Thibaut Monnier (RN). Dans son rapport, le député Emeric Salmon nous alerte sur l’écart entre les ambitions affichées par le gouvernement et les obstacles concrets à une véritable économie de guerre. Dans un contexte international tendu, une mobilisation crédible de notre industrie de défense est essentielle.

Ce rapport dévoile que notre BITD reste massivement dépendante de la commande publique, structurellement fragile et exposée à un soutien budgétaire instable d’un côté, et une défiance persistante des financeurs privés de l’autre. Les chiffres sont clairs : en 2025, les reports de charges atteignent 8 milliards d’euros, soit près d’un quart des crédits hors masse salariale de la mission Défense.

Cette situation fragilise toute la chaîne industrielle. Les 4 500 PME et ETI de la défense, qui constituent l’ossature du tissu productif, sont particulièrement exposées. Elles attendent en vain les commandes promises, voient leur trésorerie se détériorer et peinent à obtenir les crédits nécessaires au maintien de leur capacité.

La LPM 2024-2030, censée garantir visibilité et cohérence, se trouve dépourvue de toute marge de manœuvre. Elle a été construite sur des bases budgétaires fragiles. Qu’en est-il de la budgétisation des 13 milliards d’euros provenant de ressources extra-budgétaires ? Notre groupe le redit : l’inflation n’a pas été correctement anticipée et de nombreux programmes sont déjà ralentis par le manque de crédits bloqués par Bercy : six mois de retard pour le programme Scorpion et des retards de livraison des frégates de défense et d’intervention (FDI) pour la marine.

Le rapport préconise donc un budget sincère pour clarifier les priorités, mieux hiérarchiser les programmes, une révision anticipée de la LPM, privilégier des contrats locaux avec la fin d’une écologie punitive par les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et une simplification des procédures pour le maintien à l’export. La montée en puissance de la BITD ne se décrète pas, elle se construit. Si une montée en cadence a déjà eu lieu, des efforts sont encore nécessaires tant au niveau stratégique que sur les plans financiers et normatifs.

Sans une industrie de défense robuste, il n’y a pas de souveraineté. Monsieur le rapporteur, comment redonner à l’État son rôle de stratège industriel en assumant pleinement ses responsabilités d’acheteur, d’investisseur et de promoteur, afin que notre BITD soit véritablement à la hauteur des enjeux stratégiques actuels ?

M. Emeric Salmon, rapporteur spécial. Votre question reprend les grandes lignes de mon rapport et je ne peux que valider vos interrogations. Vous trouverez dans le rapport des éléments plus précis sur les inquiétudes que j’ai exprimées brièvement dans ma présentation.

Un point particulièrement sensible concerne la soutenabilité de la LPM, qui dépend de la baisse des reports de charges, qui constituait déjà un objectif de la précédente LPM. Elle devait arriver à un niveau qui, aujourd’hui, n’est plus maîtrisé. Aujourd’hui, le risque est réel pour nos entreprises que ces reports de charges entament les capacités de la DGA de passer des commandes en début d’année.

La censure du gouvernement avait reporté le vote du budget, mais ce n’était qu’un petit décalage qui se rattrape facilement. Si nous continuons sur cette pente dangereuse des reports de charges, nous atteindrons la soutenabilité réelle de la LPM.

M. Christophe Plassard (HOR). À la lecture de votre rapport, j’ai été surpris, parce que je ne m’attendais pas à ce que vous repreniez, trois ans plus tard, le constat qui a été unanimement établi sur la nécessité de préparer notre BITD à une économie de guerre. Je m’interroge cependant sur plusieurs points. D’abord, comme vous le dites, la commande publique constitue le cœur du modèle économique de l’industrie de défense.

Avec 51 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 18,6 milliards en crédits de paiement (CP), le programme 146 de l’équipement des forces – dont j’ignorais accessoirement que vous étiez devenu le rapporteur spécial – constitue le carburant principal de notre BITD. Il en sera de même pour l’économie américaine comme pour l’économie allemande, comme pour la BITD coréenne, puisque chacun dépend de la commande publique de son État, seul légitime à se doter des moyens d’exercice de sa défense et donc de l’exercice de la violence légitime.

Pour autant, le défaut majeur que rencontrent les entreprises de la BITD, notamment des PME, ne provient pas du défaut de paiement de l’État, mais du manque de financement privé et capitalistique qui constitue aussi une menace majeure pour notre industrie de défense. Nous devons revoir le cadre des procédures des marchés publics et abaisser les TRL (technology readiness level), ce que je préconisais déjà dans mon rapport paru il y a deux ans.

Mais sans accès au crédit bancaire et aux capitaux privés, nos PME sont condamnées à ne pas croître, au risque, d’ailleurs, de se faire absorber. Votre recommandation n° 3vise à promouvoir une nouvelle culture de finance patriotique, notamment en proposant une formation sur les spécificités de la BITD aux directeurs d’agence bancaire. Un rapport, toujours ancien, paru en 2021, sur le financement de la BITD, préconisait la mise en place de référents défense dans chaque banque afin de diffuser cette culture spécifique et de servir de médiateur entre les entreprises de la BITD et les agences. Votre proposition est irréaliste puisqu’elle correspond à une population estimée à environ 10 000 directeurs d’agence. La solution se trouve, en réalité, plus simplement dans le développement de référents défense au niveau régional, puis départemental. Je pense qu’il faut plutôt décliner au niveau départemental avant de vouloir s’attaquer à l’ensemble des directeurs d’agence, ce qui me semble irréaliste à ce jour.

Enfin, j’ai été stupéfait par votre treizième recommandation qui consiste à flécher une partie des fonds du Livret A vers la BITD. Quel revirement de situation ! Je rappelle que vous avez voté contre ma proposition de loi, qui visait exactement la même chose, le 14 mars 2024. Peut-être avez-vous obtenu l’accord de votre présidente, qui s’est elle-même opposée en conférence des présidents à la mise à l’ordre du jour de la loi quasiment identique votée de façon quasiment unanime au Sénat. Cette loi avait été proposée à l’ordre du jour dans une version transpartisane et avait, là aussi, recueilli un vote défavorable du Rassemblement National.

Pourquoi êtes-vous sorti de votre périmètre de rapporteur spécial des programmes 178 et 212 si ce n’est finalement pour reprendre des constats qui avaient déjà été faits, des recommandations qui avaient déjà été formulées dans différents rapports de l’Assemblée, du Sénat, dans une proposition de loi contre laquelle vous avez voté ? Je rappelle enfin que ces recommandations figuraient dans ma note d’exécution budgétaire publiée il y a quelques semaines, qui alertait sur les fragilités que l’on connaît.

M. Jean-Didier Berger, président. Je commencerai par répondre à la question du périmètre, puisque nous en avons discuté avec le président Coquerel et les membres du bureau de la commission.

Comme vous le savez, il est de tradition pour notre commission de ne pas exercer quelque censure que ce soit sur les thèmes choisis par les rapporteurs spéciaux qui sont en charge personnellement des conditions d’exercice de leur mission. De façon générale, cette décision de n’exercer aucune contrainte sur les périmètres peut entraîner de légers chevauchements entre les thèmes de différents rapporteurs spéciaux lorsqu’ils travaillent sur les mêmes missions budgétaires.

Toutefois, si nous n’exerçons aucun contrôle a priori sur les thèmes choisis par les rapporteurs spéciaux pour leur laisser la pleine et entière liberté de cette mission d’évaluation et de contrôle, rien n’empêche les différents rapporteurs spéciaux d’établir un dialogue fructueux entre eux pour se mettre d’accord et faire en sorte qu’il n’y ait pas d’interférences, ou en tout cas le moins possible, voire de présenter de façon commune des travaux pour éclairer au maximum les membres de notre commission.

En l’occurrence, nous vous y invitons, afin qu’il n’y ait pas de polémique particulière. Cette réponse institutionnelle étant apportée sur la forme, je vous propose de laisser le rapporteur spécial répondre sur le fond des autres questions que vous avez soulevées.

M. Emeric Salmon, rapporteur spécial. Au début de mon intervention, j’ai bien précisé que disposer d’une multitude de points de vue permet d’élargir le sujet et que mon travail ne va pas à l’encontre du vôtre, M. Plassard, bien au contraire.

Vous avez évoqué les référents défense, qui ont effectivement été mis en place au niveau régional dans chaque banque, mais des améliorations doivent être poursuivies. Il ne s’agit pas de demander aux directeurs d’agences bancaires de se former sur un sujet qui ne concerne pas leurs clients. En revanche, l’estimation de 10 000 personnes ciblées que vous avez établie serait tout de même largement réduite si l’on ne prend en compte que les territoires réellement concernés par des industries de défense, comme cela est l’objet de ma proposition.

Ensuite, nos recommandations préconisent une réflexion sur la mise en place d’un fonds patriotique, qui constituerait un intérêt pour nos concitoyens. Vous aviez mené cette proposition de loi, que je n’avais effectivement pas votée, au même titre que mon groupe. Cependant, je pense qu’il est utile aujourd’hui de mener une réflexion, afin de satisfaire la demande des entreprises et leurs besoins à court terme. Les fonds du livret A peuvent correspondre à de tels besoins, en revanche leurs besoins en capitaux propres appellent d’autres outils, comme des fonds de capital investissement.

M. Christophe Plassard (HOR). S’agissant de la forme, je suis conscient de l’existence d’éventuelles porosités. En revanche, l’un des programmes pour lesquels j’ai été désigné rapporteur spécial depuis trois ans s’intitule Équipement des forces, sujet qui fait précisément l’objet du rapport de M. Salmon. J’ajoute que j’ai déjà présenté un rapport d’information sur l’économie de guerre et que je pésente dans quinze jours un rapport d’information sur la guerre économique. En outre, l’élégance aurait voulu que je sois prévenu de votre volonté de produire ce rapport afin, pourquoi pas, d’envisager une collaboration.

Enfin, je rappelle que votre groupe et vous-même avez effectivement voté contre ma proposition qui consistait à flécher une partie des fonds du Livret A vers la BITD. Je ne peux que saluer votre revirement total de position.

Mme Sophie Mette (Dem). Dans votre rapport, vous abordez un certain nombre de défis cruciaux pour assurer cette accélération de la production, dont celui du manque de solvabilité de la BITD et des conséquences sur ses capacités à trouver des financements privés. Comme vous le relevez, les PME et ETI qui composent principalement la BITD disposent d’un ratio d’endettement élevé au regard des marges qu’elles dégagent, sur des cycles très longs, ce qui peut décourager les financeurs privés potentiels. Il s’agit également d’un enjeu réputationnel, de nombreux financeurs ayant postulé l’incompatibilité entre le secteur de la défense et le respect des critères ESG, par exemple.

S’agissant de ce qu’on pourrait qualifier de « stigmatisation », les personnes auditionnées lors de vos travaux ont-elles observé des évolutions depuis le début de l’année 2025 avec la menace russe et la suspension annoncée du soutien américain à l’Ukraine ? Par ailleurs, quels sont selon vous les axes prioritaires dans lesquels l’État devrait s’investir pour améliorer le modèle économique des PME et ETI de la BITD afin de leur permettre d’accéder plus facilement à des financements privés ?

M. Emeric Salmon, rapporteur spécial. Il n’y a pas vraiment eu d’évolution depuis le début de l’année 2025. Lors de nos auditions, il nous a été indiqué qu’il était sans doute pertinent de renforcer l’étage des ETI de la BITD, afin d’établir un lien plus fluide avec les grands donneurs d’ordre. Lorsque j’ai rencontré Dassault et des PME à Bordeaux, il m’a été dit que le manque d’ETI constitue un frein. L’État, à travers ses financeurs, peut sans doute apporter des éléments pour essayer de densifier cette catégorie d’entreprises et leur permettre d’être plus robustes dans le domaine de l’export. De leur côté, les PME exportent très peu, à part si elles occupent des niches.

La commission autorise, en application de l’article 146 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mercredi 25 juin 2025 à 15 heures

Présents. - M. Laurent Baumel, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Eddy Casterman, M. Éric Coquerel, M. Pierre Henriet, M. Jean-Paul Mattei, Mme Sophie Mette, Mme Sophie Pantel, M. Christophe Plassard, M. Emeric Salmon, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusés. - M. Charles Alloncle, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Charles de Courson, M. Philippe Juvin, M. Damien Maudet, M. Nicolas Metzdorf, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Emmanuel Tjibaou

Assistait également à la réunion. - M. Thibaut Monnier