Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française et M. Étienne Barel, directeur général délégué 2
– Présence en réunion................................20
Mardi
8 juillet 2025
Séance de 18 heures 30
Compte rendu n° 138
session extraordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
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La Commission entend Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française et M. Étienne Barel, directeur général délégué
M. le président Éric Coquerel. Dans le prolongement de l’audition du ministre Éric Lombard sur la question de l’imposition à la source des dividendes perçus les non-résidents, nous allons maintenant entendre Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), et M. Étienne Barel, son directeur général délégué, qui pourront également s’exprimer sur d’autres sujets s’ils le souhaitent.
Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française. Je vous remercie d’avoir invité notre fédération, qui représente toute la profession bancaire française, à exposer son analyse. Nous aurions pu en effet saisir cette occasion pour évoquer la riche actualité financière européenne, son impact sur le financement de notre économie et la manière dont nous rendons ce service à l’économie. Nous aurions également pu parler de la conjoncture en France.
Cependant, nous concentrerons nos propos sur le sujet que vous avez précisé. Il est en effet particulièrement important pour nous, parce qu’au quotidien, les banques sont un partenaire de l’État dans la lutte contre toutes les fraudes, contre le blanchiment, contre le financement du terrorisme et contre l’évasion fiscale. En témoigne le fait que la majorité des déclarations de soupçons reçues par Tracfin proviennent de la FBF. En outre, chaque année, les banques sont parmi les plus importants contribuables avec, en 2024, 22 milliards d’euros d’impôts et de charges sociales, ce qui représente un taux effectif d’impôts de 28 %, nettement supérieur à la moyenne des quarante plus grandes entreprises cotées.
Dans ce contexte, l’ordre fiscal doit régner, comme l’a dit le ministre lors de son audition. Nous accueillons des contrôles fiscaux, auxquels nous répondons dans nos établissements, chez nos adhérents. Nous comprenons bien entendu que les opérations frauduleuses doivent être contrôlées, sanctionnées et redressées, sous le contrôle des tribunaux et dans le respect des voies de droit. C’est tout à fait normal.
La Fédération bancaire française répond à l’ensemble des sollicitations des pouvoirs publics dans le cadre des textes sur les représentants d’intérêt et de nos pratiques. Nous analysons les textes qui ont un impact sur l’action de nos 320 adhérents. Je rappelle qu’ils emploient 400 000 salariés et alternants au service du financement de l’économie. Nous fournissons ainsi 3 000 milliards d’euros de crédits bancaires aux ménages, aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux autres entreprises ainsi que des financements de marché pour l’État et les émetteurs de valeurs mobilières.
En tant que fédération professionnelle, notre rôle dans ce dossier a été de coordonner l’analyse des points de droit soulevant des interrogations communes aux établissements. Nous ne sommes donc pas partie aux contrôles en cours ni aux contentieux qui y seraient rattachés. Notre rôle est de demander un cadre juridique clair pour l’ensemble des parties, publiques comme privées, afin que les activités de tenue de marché, qui reposent sur des cessions temporaires de titres et des dérivés sur actions françaises, soient réalisées en France. Ces activités sont utiles car elles permettent la liquidité des actions. Sans elles, ces actions perdraient une partie de leur valeur, ce qui serait un problème pour notre économie.
Je souhaite rappeler les initiatives que nous avons prises en faveur d’un cadre clair et pour proposer des solutions d’application de la loi. Ces initiatives sont la manifestation de notre volonté de travailler de façon ouverte, transparente et constructive pour séparer les opérations légitimes et nécessaires de financement des entreprises, des opérations qui n’auraient qu’un but fiscal et qui relèveraient à ce titre de contrôles anti-fraude qui sont, bien évidemment, à maintenir.
En 2018, après l’introduction du nouveau dispositif anti-abus prévu par l’article 119 bis A du code général des impôts, nous avons ressenti le besoin que soient précisées par le bulletin officiel des finances publiques (Bofip) ou une circulaire les modalités de mise en œuvre de la loi de finances. Ces commentaires administratifs d’usage sont nécessaires. Les banques ont appliqué sans délai les dispositions de la loi et des contrôles, accompagnés de discussions administratives, ont eu lieu. En revanche, les commentaires administratifs que nous attendions n’ont pas été publiés. Nous avons donc écrit au ministre des finances le 8 septembre 2021 pour attirer son attention sur l’urgence de clarifier le cadre fiscal afin d’assurer le bon fonctionnement des transactions sur la place financière française à l’heure où la bascule d’activités entre pays battait son plein. Une clarification était nécessaire pour pouvoir séparer ce qui était effectivement abusif du reste.
Sur la proposition du ministre, nous avons échangé tout au long de l’année 2022 avec les services de Bercy – direction de la législation fiscale (DLF), service juridique et direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) – pour clarifier la situation en allant jusqu’à solliciter notre président et notre vice-président. Le Bofip publié le 15 février 2023 nous a paru aller bien au-delà d’un commentaire administratif sur la notion de bénéficiaire effectif. Nous avons donc exercé un recours sur ce point et un arrêt du Conseil d’État du 8 décembre 2023 a invalidé la position de l’administration. En parallèle, une mission externe a été confiée à Robert Ophèle, une autorité publique de premier plan, ancien sous-gouverneur de la Banque de France – et donc lui-même opérateur – et ancien président de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Elle a permis de souligner l’apport essentiel des opérations pour le financement de l’économie. Il serait certainement très intéressant de l’entendre sur son analyse et sur ses propositions, qui étaient très claires.
Lors de cette nouvelle étape, nous avons à nouveau travaillé avec l’État – la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la DLF – pour que, à loi constante, un cadre clair soit établi pour les intermédiaires financiers, les investisseurs et les entreprises qui émettent des actions. Grâce à ce travail collectif avec l’administration fiscale, un document qu’elle a finalisé en juillet 2024 a établi les opérations qui ne pouvaient être considérées comme constitutives d’un abus de droit, donnant ainsi une compréhension commune de la réalité des opérations concernées. Ce document n’a pas pu être diffusé dans les circonstances du moment. Des banques ont écrit directement au ministre, mais n’ont pas reçu de réponse, à notre connaissance. En 2025, les dernières étapes ont été celles d’un débat législatif, d’un Bofip et d’un avis du Conseil d’État sur certains points.
Ce travail collectif a porté sur des pratiques d’arbitrage dites CumCum, qui font l’objet d’une confusion avec les opérations dites CumEx, identifiées en Allemagne du fait de spécificités de ce pays qui n’existent pas en France. La fraude CumEx consiste, pour plusieurs acteurs, à obtenir l’imputation ou le remboursement d’un crédit d’impôt plusieurs fois, alors que l’administration fiscale n’a perçu qu’une seule retenue à la source. Elle est possible parce qu’il y a deux personnes distinctes pour la retenue à la source et l’attestation fiscale, ce qui n’est pas le cas en France, où il y a simplement l’établissement payeur. Les auditions que vous menez permettront certainement de mettre fin à la confusion qui règne en France entre ces deux opérations, qui continue à être entretenue.
Je voudrais également revenir sur le chiffrage de 33 milliards d’euros, qui correspondrait aux pertes de recettes fiscales pour la France résultant des pratiques d’arbitrages dites CumCum entre 2000 et 2020. Il a sa source dans une étude du professeur Spengel de l’université de Mannheim, qui comporte de nombreuses approximations, conduisant à une forte surestimation des paramètres de calcul.
Cette étude se fonde sur des données allemandes concernant à la fois des opérations CumCum et des opérations CumEx. Elle contient également une erreur, puisqu’elle retient une proportion de l’actionnariat étranger des sociétés du CAC40 de 70,9 % alors qu’une simple consultation du site de la Banque de France permet de vérifier que cette proportion est en moyenne de 46 % sur la période considérée, avec un maximum au-delà de 50 %, mais seulement pendant quelques trimestres. Dernière approximation : selon cette étude, 100 % des investisseurs ont intérêt à éluder l’impôt et 50 % ont recours à la fraude. Même dans les pires études simulant les fraudes, personne n’oserait avancer ce chiffre de 50 % de fraudeurs. J’ajoute qu’une partie des investisseurs non-résidents bénéficient d’exonérations de retenue à la source ou d’un crédit d’impôt du fait de conventions fiscales.
Ce chiffre de 33 milliards d’euros sur vingt ans est donc infondé et largement surestimé aujourd’hui. C’est pourquoi notre fédération dit et répète qu’il n’y a pas de fraude systémique liée à ces opérations et poursuit ses efforts collectifs pour l’établissement d’un cadre clair préservant à la fois la réalisation des opérations utiles et la capacité pour l’administration à lutter contre les opérations frauduleuses.
M. Étienne Barel, directeur général délégué de la Fédération bancaire française. Je souhaite faire passer deux messages. Le premier, c’est que la réalisation des opérations de prêt-emprunt de titres et des opérations sur les marchés dérivés constituent un élément fondamental pour assurer la liquidité des marchés et donc la valorisation des entreprises. Le second, c’est que la loi de finances pour 2025 a eu un impact très sensible sur la liquidité des marchés au détriment de la place française, et donc également au détriment des finances publiques.
Les pratiques d’optimisation fiscale agressives, qui pourraient être utilisées par certains détenteurs étrangers d’actions françaises, doivent être combattues, poursuivies et, si nécessaire, redressées. Il est indispensable de ne pas les confondre avec les opérations relevant d’un fonctionnement normal des marchés dont le but est non seulement légitime, mais indispensable pour les entreprises cotées. Elles correspondent en effet à un besoin économique incontestable. Un marché d’actions cotées liquide et profond est essentiel pour permettre un financement efficient de l’économie en rendant le capital accessible à un coût raisonnable, et, plus généralement, en répondant aux besoins des émetteurs et des investisseurs.
Les marchés d’actions n’assurent pas de manière spontanée la rencontre entre l’offre et la demande de capital, car les besoins des investisseurs ne sont pas forcément alignés avec ceux des entreprises ou des particuliers, que ce soit en termes de calendrier d’investissement ou d’appétit au risque. Les banques répondent à cette problématique, en animant les marchés d’actions et en offrant des solutions de produits dérivés. Celles-ci permettent de modifier les paramètres d’une action, par exemple, en baissant le risque pour l’investisseur pour lui éviter d’être exposé, le cas échéant, à une baisse de l’ensemble des marchés.
La liquidité des marchés d’actions repose donc, dans tous les pays, sur un écosystème réunissant les activités sur dérivés et les activités de prêt-emprunt de titres. Il n’existe pas de marché efficient sans ces activités, qui se pratiquent quel que soit le cadre fiscal. Une étude réalisée par un courtier d’actions sur le marché français indique d’ailleurs que les transactions liées aux prêts-emprunts et aux dérivés assurent les neuf dixièmes de la liquidité du marché.
Si ces opérations ne peuvent plus être réalisées normalement, la liquidité des actions baisse, ce qui a des conséquences sur la valorisation des entreprises et entraîne une augmentation du coût du capital avec des répercussions sur le coût du financement des entreprises et donc de notre pays. Une telle situation peut inciter les entreprises à coter leurs actions sur des marchés plus liquides que le marché français.
Depuis la loi de finances pour 2025, l’activité sur le marché des dérivés cotés en bourse a connu une forte baisse. L’exemple de quatre grandes valeurs le démontre avec une baisse de cette activité pour la période 2024-2025 à hauteur de 72 % pour BNP Paribas, de 65 % pour AXA, de 57 % pour Engie et de 88 % pour Sanofi. Cette baisse des prêts-emprunts et des dérivés est handicapante pour la place de Paris. C’est un peu comme si un propriétaire ne pouvait pas bénéficier du marché locatif pour louer son appartement, qui subirait de ce fait une décote.
On constate en parallèle que les opérations quittent la France. Le graphique que vous avez sous les yeux présente l’évolution en cumulé des contrats exécutés sur les valeurs de l’Euro Stoxx 50 – le plus grand indice européen d’actions – par les banques basées en France sur une courbe et celle de banques basées hors de France sur une autre courbe. Jusqu’au 16 février, date de l’entrée en vigueur de la loi, les deux courbes se confondent, avant de diverger ensuite complètement. Les opérateurs basés en France ont en effet basculé une partie de leurs opérations vers l’étranger.
C’est doublement dommageable, d’une part parce que les clés de la liquidité du marché français ont ainsi été remises à des intervenants basés hors de France, ce qui constitue un abandon de notre souveraineté, et d’autre part parce que ces mouvements représentent un manque à gagner pour les finances publiques puisque, la loi française n’étant pas extraterritoriale, ces produits dérivés sont, tout à fait légalement, exemptés de retenue à la source, même s’ils ont un sous-jacent français. Aujourd’hui, ces opérations sont majoritairement, en cumul, réalisées depuis l’étranger. Les recettes publiques diminuent donc, d’autant plus que l’activité a diminué. En visant l’ensemble de l’activité des prêts-emprunts sur les actions françaises et des dérivés, le législateur a choisi un dispositif qui, en pratique, pénalise des opérations qui sont parfaitement légitimes et qui sont réalisées par les banques situées en France.
Pour réconcilier ces impératifs, il existe des solutions, tant dans le cadre français que dans le cadre européen, peut-être avec plusieurs grands États. Le ministre a ainsi cité tout à l’heure le label Finance Europe. Notre dispositif anti-abus pourrait s’inspirer de celui, très différent, mais efficace, qui a été mis en place aux États-Unis. Nous sommes naturellement prêts à contribuer à des solutions qui établiraient un cadre clair et opérant.
En conclusion, je souhaite rappeler nos principaux messages. Le premier est notre demande répétée, depuis des années, dans le plein respect de la souveraineté du Parlement, d’un cadre efficace pour, à la fois, lutter contre la fraude et assurer le bon fonctionnement de la place française. Nous continuerons à travailler avec l’administration et à être force de proposition, chacun dans son domaine.
Le second est que les opérations de prêt-emprunt de titres et de dérivés sont capitales pour la place de Paris. En l’absence d’un cadre sûr et opérant, son rang risque d’être menacé par une baisse de volume et nous verrons des opérateurs intervenir depuis l’étranger, ce qui est d’ailleurs déjà le cas depuis février 2025. Nous appelons donc de nos vœux la mise en place d’un cadre opérant, à la fois pour notre activité et pour les finances publiques.
M. le président Éric Coquerel. Nous aurons besoin de davantage d’éléments pour nous convaincre de la corrélation entre la loi de finances et la trajectoire des courbes que vous avez présentée. En effet, depuis février, beaucoup de choses ont changé dans le monde de manière globale. La politique menée par les États-Unis d’Amérique, notamment, a ainsi considérablement perturbé les places boursières et l’économie en général. Cette corrélation vous convient, puisque vous remettez cette loi en question, mais ce point mérite davantage d’analyse.
La presse a fait état d’une note que vous avez adressée aux sénateurs le 7 novembre 2024 dans laquelle vous indiquez qu’« il n’existe pas de phénomène de fraude, en France, résultant de pratiques d’arbitrage de dividendes » – propos que vous venez de confirmer en nous disant qu’il n’y avait pas de fraude systémique – et que « les montants en jeu ne correspondent pas aux chiffrages élevés des journalistes ». Le ministre de l’économie, que nous venons d’auditionner, a pourtant confirmé l’existence d’une fraude et de redressements pour un montant de 4,5 milliards d’euros. J’aimerais que vous nous expliquiez cette divergence d’analyse. Puisque vous contestez le chiffre de 33 milliards d’euros, quelle est votre estimation de la fraude CumCum ?
Les acteurs bancaires adoptent une attitude très offensive afin d’éviter que la retenue à la source puisse être appliquée de façon trop large, notamment lorsqu’il n’est pas possible de connaître le pays de résidence du bénéficiaire effectif de dividendes. Dans la note transmise aux sénateurs, vous indiquez que la modification du dispositif de lutte introduite par la loi de finances aurait des « effets délétères » et entraînerait une « perte de compétitivité des institutions financières françaises ». Confirmez-vous avoir envoyé cette analyse aux sénateurs ? Tout cela me semble lié au contrôle effectué par Jean-François Husson.
Pourquoi est-il à ce point vital pour les acteurs bancaires d’éviter le plus possible l’application de la retenue à la source ? Considérez-vous qu’il est acceptable que l’attractivité des banques françaises se fasse au détriment des finances publiques, puisqu’il s’agirait d’octroyer des dérogations qui auraient un impact sur les finances publiques ?
La Fédération bancaire française a sollicité Bercy pour connaître son interprétation du dispositif de lutte contre la pratique d’arbitrage de dividendes introduite par la loi de finances pour 2025. Dans sa réponse du 1er avril, l’administration fiscale a exclu certaines opérations du dispositif antifraude. Or l’avis du Conseil d’État sur lequel se fondait Bercy pour exclure ces opérations du dispositif datait d’avant la loi. L’instruction fiscale n’a donc tout simplement pas appliqué la loi. Cette réponse vous semble-t-elle préférable ? Avez-vous sollicité Bercy avant la publication de cette instruction fiscale pour leur soumettre votre analyse ? Est-il possible d’avoir une estimation du nombre d’opérations qui seront exonérées de retenue à la source avec cette interprétation ? Lors de son audition, le ministre nous a dit que Bercy allait changer son interprétation si celle-ci s’écartait effectivement de la loi. J’espère que cela sera suivi d’effets.
La clause de sauvegarde permet aux contribuables étrangers subissant une retenue à la source d’en obtenir le remboursement s’ils parviennent à établir qu’elle n’était pas justifiée. Dans ce cas, pourquoi avoir tout fait pour neutraliser la mesure prévue par la loi de finances ? La clause de sauvegarde n’est-elle pas une garantie suffisante pour éviter les doubles impositions et éviter ainsi les risques que vous avez mentionnés pour défendre les exonérations de retenue à la source ?
Mme Maya Atig. La note remise à M. Husson a été largement diffusée, puisque nous avons à cœur de travailler de façon transparente. Lorsque nous disons qu’il n’y a pas de phénomènes de fraude, nous voulons parler de fraude systémique. La lecture des premiers paragraphes de la note le montre. Les opérations de prêts-emprunts de titres et de dérivés sur actions ne sont pas, en elles-mêmes, génératrices de fraude systémique.
Nous retenons d’ailleurs, dans l’ensemble de la note, des hypothèses où des fraudes interviennent et nous disons bien qu’il faut effectivement lutter contre les situations abusives. Le titre, pris hors contexte, peut paraître choquant et je comprends que vous ayez été choqués. Je comprends également le sentiment de déni, mais la lecture de la note montre bien qu’elle fait la distinction entre la logique de ces opérations et les situations où elles sont abusives. J’ajoute que les demandes que nous avons adressées à l’administration sont publiques.
M. Étienne Barel. Nous ne voulons absolument pas éviter systématiquement une retenue à la source. Le Parlement est complètement souverain et peut le décider. Nous nous contentons d’attirer l’attention sur les conséquences d’un tel vote.
Il aurait d’abord des conséquences, de manière générale, sur les actions françaises, qui subiraient une imposition supplémentaire. Ensuite, le dispositif d’exonération serait très compliqué à mettre en place puisqu’il faudrait d’abord payer avant de demander, muni de justificatifs, un remboursement. Le ministre a mentionné ce qui se passait en Allemagne. Un tel système ne protège pas contre les fraudes et il serait pénalisant pour les investissements en France puisqu’il constituerait un obstacle à l’achat d’actions françaises. Il faudrait en outre qu’il fonctionne de la même façon pour l’opérateur, qu’il soit en France ou à l’étranger. Rien ne serait pire qu’un dispositif prévoyant des retenues à la source pour les opérations traitées en France et aucune retenue pour ces mêmes opérations traitées depuis l’étranger.
Je suis d’accord, de nombreux éléments peuvent expliquer l’évolution des courbes que nous avons présentée. Toutefois, ces chiffres sont le résultat d’une observation semaine par semaine. Nous constatons que, dès le 17 février, toutes les banques ont cessé de traiter l’Euro Stoxx 50, mais que, dans les semaines suivantes, la part des banques françaises a continué à diminuer alors que les banques basées à l’étranger ont repris ces activités car elles avaient basculé ce qu’elles traitaient en France vers l’étranger.
Nous avons effectivement sollicité un avis avant la publication du Bofip, mais nous l’avons fait publiquement : le 17 février 2025, soit le lendemain de l’entrée en vigueur de la loi de finances, nous avons écrit une lettre à la directrice générale des finances publiques dans laquelle nous demandions si notre lecture de la loi était la bonne. Cette lettre a été publiée sur notre site. Le Bofip, qui a été publié le 17 avril 2025, ne répond pas, loin de là, à toutes nos demandes. Il ne nous donne pas la clarté et la sécurité nécessaires pour faire ces opérations. Les opérations n’ont d’ailleurs pas repris en France après cette publication. Un graphique, qui reprend les chiffres officiels d’Euronext et qui concerne l’ensemble du CAC40 et pas seulement les quatre actions du graphique précédent, montre ainsi qu’il n’y a pas eu de reprise des opérations de dérivés, les opérateurs estimant qu’il existait trop d’incertitudes. Cela pose donc une vraie difficulté pour la liquidité et l’attractivité du marché français.
Nous n’avons aucun chiffre sur le montant de l’évitement et de la fraude. Le ministre a parlé de 4,5 milliards d’euros de redressements. Cela comprend sans doute, en plus du principal, les pénalités de 40 % ou 80 % et les intérêts de retard, mais nous n’avons aucune connaissance de ces redressements, puisque ces procédures se déroulent entre les banques et le contrôle fiscal. Je ne peux donc pas évaluer ces montants.
Enfin, nous considérons qu’il existe une ambiguïté dans l’application de la clause de sauvegarde. Si elle intervient ab initio, sans retenue à la source, cela nous paraît très bien ; en revanche, si elle intervient a posteriori, cela suppose d’entrer dans un système où l’on demande à tout le monde de payer au préalable la retenue à la source. Or sur le marché, on ne peut pas savoir s’il y a en face un résident ou un non-résident ; c’est la chambre de compensation qui, en tant qu’unique contrepartie, centralise, de la même manière qu’en matière d’emprunt immobilier, la banque s’interpose entre le déposant et l’emprunteur sans qu’il soit possible de déterminer si c’est le dépôt de M. X ou de M. Z qui finance le crédit de Mme Y.
M. le président Éric Coquerel. Vous affirmez qu’il n’y a pas de fraude systémique. Ce n’est pas ce que nous a dit tout à l’heure le ministre, qui s’est appuyé sur des graphiques très éclairants.
Il ne s’agit pas d’ajouter une imposition mais d’opérer une rectification par rapport à des procédés qui suscitent aussi des interrogations à Bercy : comment limiter au maximum une fraude, en faisant en sorte que son coût pour les banques soit supérieur au bénéfice qu’elles pourraient en retirer ?
M. Charles de Courson, rapporteur général. Madame la directrice générale, la première de mes cinq séries de questions est très simple : pourriez-vous indiquer à notre commission combien les opérations de CumCum, qu’elles soient internes ou externes, ont rapporté à vos adhérents en 2023 et en 2024 ? Quel est l’ordre de grandeur des taux des commissions perçues ?
Deuxièmement, pouvez-vous rappeler les demandes que vous avez adressées à l’administration ou au gouvernement dès les débats sur le PLF pour 2025 et après l’adoption de la loi de finances initiale (LFI) pour 2025 qui a modifié le dispositif prévu par l’article 119 bis A du code général des impôts ? Quels ont été vos interlocuteurs ? Pourquoi la restriction de l’application de la retenue à source est-elle si importante pour vos adhérents ? Un État comme l’Allemagne soumet de manière systématique les revenus distribués à une retenue à la source sans pour autant que son système bancaire ou son économie ne se soit effondré. Les réserves que vous avez émises sur la possibilité pour une banque d’identifier le bénéficiaire effectif des dividendes versés sont-elles techniques ou relèvent-elles de craintes sur l’activité même des banques françaises ?
Troisièmement, la Fédération bancaire française a fait savoir à de nombreuses reprises que ses adhérents étaient prêts à délocaliser leurs activités en cas de durcissement du régime fiscal français applicable aux arbitrages de dividendes. Or, on peut douter qu’une délocalisation à Londres, par exemple, suffise aux banques pour se soustraire à la retenue à la source. Elle ne leur permettrait pas de garantir la sécurité juridique auxquelles elles disent aspirer car un dividende sortant d’une entreprise française et transitant par un acteur extérieur resterait passible de redressement sur le fondement de l’abus de droit, quand bien même le contrat dérivé serait conclu à l’étranger. C’est d’ailleurs sur cette base juridique qu’ont pu être notifiés les redressements à hauteur de 4,5 milliards d’euros – je note d’ailleurs qu’il ne reste plus que cinq contentieux, le Crédit Agricole ayant accepté un compromis. Vos adhérents envisagent-ils réellement de créer des succursales dans les pays du Golfe, malgré un risque fiscal et réputationnel fort ?
Quatrièmement, les dispositions adoptées dans la loi de finances initiale pour 2025 portent à la fois sur les opérations dites CumCum internes et sur les montages dits CumCum externes qui reposent sur l’interposition d’un résident d’un État ayant signé avec la France une convention fiscale exonérant de retenue à la source les dividendes versés à ses ressortissants. Neuf États sont concernés : l’Arabie Saoudite, le Bahreïn, l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Finlande, le Koweït, le Liban, Oman et le Qatar. Pouvez-vous nous dire si vos adhérents mettent ou ont mis en œuvre des montages externes impliquant ces pays ?
Enfin, qu’en est-il de l’assiette de la retenue à la source ? La Fédération bancaire française a indiqué à l’administration fiscale considérer qu’elle ne devait pas inclure les éléments rémunérant le prêt de titres, indépendamment du détachement des dividendes, dès lors qu’en application de l’article 119 bis A du CGI, le transfert de valeur s’entend de la part du produit d’actions ou du revenu assimilé effectivement appréhendée par la personne établie hors de France. Or, cela peut revenir à exclure de l’assiette de l’impôt la commission perçue par vos adhérents qui jouent le rôle d’intermédiaire dans les montages CumCum, pour lesquels les prêts et emprunts de titres ont été largement mobilisés, quel que soit leur rôle dans le fonctionnement normal des marchés. En parallèle, dans le cadre des contentieux en cours sur les CumCum, les banques françaises ont fait valoir auprès de l’administration qu’elles n’étaient que les collectrices de la retenue à la source et qu’à cet égard, elles ne pouvaient pas être tenues responsables d’un éventuel abus de droit. Estimez-vous normal que les établissements, d’un côté, profitent des commissions liées aux opérations CumCum et, de l’autre, fassent valoir leur absence de responsabilité dans ces montages ? Vous ne pouvez pas dire tout et son contraire. Rappelons que vous avez obtenu de l’administration fiscale que les commissions touchées par les banques soient exclues de l’assiette prise en compte pour calculer la retenue à la source.
Mme Maya Atig. Je le répète, nous n’avons pas les détails, banque par banque, des éléments liés aux contrôles fiscaux et aux redressements. Quelques questions sont communes à tous les établissements mais s’agissant de la conduite de chacune des opérations, de l’éventuel montant des pénalités, nous n’avons pas les informations. Il en va de même pour les montants des commissions. Bien entendu, il y a des chiffres publics concernant les activités des banques de financement et d’investissement mais, pas plus dans ce domaine que dans d’autres, il n’y a de décomposition des revenus par lignes de métier. Nous n’avons donc pas de réponses à vous donner sur les montants tirés de ces activités, opération par opération. Nous ne pouvons pas non plus vous fournir d’informations sur d’autres sujets car nous ne disposons pas pour ces opérations d’éléments relevant d’une comptabilité analytique.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Qu’en est-il des taux des commissions ?
Mme Maya Atig. Ils sont de nature concurrentielle et peuvent varier en fonction de la situation des marchés.
M. le président Éric Coquerel. Vous devez bien en avoir une idée.
M. Étienne Barel. Nous n’avons aucune connaissance de ceux-ci, je le dis très sérieusement. Les taux classiques des commissions d’intermédiation des banques sont de l’ordre de 0,3 % ou 0,4 %. Généralement, pour les opérations sur les dérivés, les commissions sont très faibles parce que ce sont des produits très classiques sur lesquels il y a une énorme concurrence entre banques. Le taux serait-il supérieur ou inférieur dans les cas de fraudes, que nous condamnons et que les banques condamnent elles-mêmes ? Honnêtement, je ne le sais pas.
En revanche, je peux répondre très précisément à vos autres questions, en commençant par les demandes que nous avons adressées à l’administration. Le 17 février 2025, nous avons écrit à Mme la directrice générale des finances publiques, en mettant en copie M. le directeur de la législation fiscale, pour donner notre interprétation de la loi et demander quelle était la leur. Le 2 juin 2025, nous leur avons à nouveau écrit : après lecture du Bofip publié le 17 avril 2025, dont nous avons constaté qu’il ne traitait pas toutes les questions que nous avions soulevées, nous leur avons indiqué ce que nous avions l’intention de mettre en pratique en leur demandant leur avis. Nous n’avons pas eu de réponse à cette deuxième lettre. Je précise que, dans un souci de pleine transparence, ces courriers sont consultables sur le site internet de la FBF.
Vous nous demandez pourquoi il est si important pour nous d’éviter un système à l’allemande. Je ne peux pas me prononcer sur les marchés de chacun mais sur le marché allemand des actions, il ne vous aura peut-être pas échappé qu’il y a de moins en moins de banques allemandes. La plus grande d’entre elles, la Deutsche Bank, a vendu l’ensemble de ses activités sur les actions et les dérivés à une autre banque hors d’Allemagne et les autres banques allemandes, la Commerzbank ou les Landesbanken, ne sont pas actives du tout sur ce marché allemand de l’equity. Je pense que ce type de disposition fiscale a eu un impact très net.
Nos adhérents français sont-ils prêts à délocaliser leurs activités pour tenter d’échapper à la loi française dans une logique du « pas vu, pas pris » ? La réponse est non. Ils demandent qu’un cadre soit établi pour faire en sorte que ces activités puissent être mises au service de l’économie française. Chacun, bien sûr, a sa politique, mais aucun ne dit : « si vous faites ça, je délocalise ». Comme le graphique que nous avons présenté le montre, si l’activité en France diminue, ce n’est pas parce que nos adhérents partent mais parce qu’elle est reprise par des établissements qui sont déjà à l’étranger.
Quand un dividende sur une action française est versé à Londres, son bénéficiaire se voit appliquer une retenue à la source. S’il y échappe, il y a fraude. En revanche, il n’y a pas de fraude possible sur les dérivés, même si le sous-jacent est français : il n’y a pas de flux financiers entre la France et l’Angleterre. Par conséquent, la retenue à la source ne peut s’appliquer. Il s’agit d’un instrument de droit anglais impliquant des acteurs qui peuvent être, par exemple, un fonds de Singapour et un fonds de pension américain.
Nos adhérents font bien sûr ce qu’ils veulent mais jusqu’à présent, aucun d’entre eux n’a voulu délocaliser ses activités dans un pays du Golfe pour échapper à la retenue à la source. Partir dans le but unique de traiter depuis ces pays des opérations auparavant traitées à Paris, compte tenu de la gouvernance des banques françaises, je ne vois pas comment une telle chose serait possible, je le dis avec toute la sincérité qui est la mienne.
Les banques françaises ont-elles réalisé des montages de CumCum externes impliquant les pays que vous avez cités ? Si c’est le cas, il reviendra aux services fiscaux d’opérer des redressements. Nous ne serons jamais là pour défendre des montages frauduleux. Ces pays devront procéder à une retenue à la source préventive, en vertu des dispositions particulièrement ambitieuses que vous avez votées – applicables à partir du 1er janvier 2026 et non à partir du 16 février 2025 comme pour les opérations de CumCum internes.
Enfin, sur les questions d’assiette, je dois avouer que mes compétences fiscales touchent leurs limites. Pour moi, la retenue à la source prévue dans la loi porte sur le dividende. Doit-elle être étendue à la commission qu’a perçue la banque dans la transaction ? Ce n’est pas ce que j’ai compris. Peut-on considérer la commission comme une charge et ne faire porter l’imposition que sur la différence ? Je suis prêt à revenir, monsieur le rapporteur général, sur cette question qui, pour moi, n’était pas l’essentiel.
Mme Maya Atig. Je voudrais apporter des compléments sur la délocalisation, terme assez générique. Nous constatons que des opérations qui auraient pu être traitées en France par des acteurs français ou étrangers installés en France se font ailleurs, mais ces évolutions ne s’expliquent pas par un contournement des textes. Que des entités internationales exerçant en France choisissent de ne plus développer leurs activités en ce domaine à Paris et préfèrent l’exercer depuis d’autres bureaux est tout à fait envisageable. Par ailleurs, les banques françaises ont des établissements partout dans le monde et sont déjà installées au Moyen-Orient. Ce que montrent nos graphiques, c’est qu’une activité consubstantielle au fonctionnement des marchés des actions part de France. Ceux qui réalisent déjà des opérations depuis d’autres places boursières décideront peut-être d’ici deux à trois ans de ne plus faire du tout d’opérations sur des titres français. On aurait alors encore moins d’opérations en France.
M. le président Éric Coquerel. Rappelons que les opérations dites CumCum visent à transférer temporairement, juste avant la période de versement des dividendes, la propriété des actions d’un titulaire à un intermédiaire établi dans un pays où la fiscalité est réduite. Je dois dire qu’il est difficile d’y voir un mécanisme non frauduleux. Le ministre l’a d’ailleurs reconnu tout à l’heure.
Nous passons aux interventions des représentants des groupes.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Le débat entre la représentation nationale et le lobby bancaire – nous voyons bien que les banques, dans leur diversité, se retrouvent très unies pour défendre leurs positions sur ce sujet comme sur tant d’autres –, c’est une chose, mais ce n’est pas le problème. Nous avons décidé de lutter contre ces montages. Vous n’êtes pas contents, c’est votre droit, mais on ne va pas refaire le débat sur la pertinence des CumCum. La position qu’a indiquée Éric Coquerel me paraît de bon aloi. Du reste, la fraude n’est pas seule en cause – nous venons de vivre un moment un peu surréaliste avec l’audition du ministre –, il s’agit aussi de savoir comment nous voulons que l’économie française fonctionne. Je ne vois pas quel intérêt représentent pour l’économie réelle des actions qui se baladent de cette façon.
Ce que j’aimerais comprendre, c’est comment on en est arrivé à cette situation. Comment ont évolué les positions de votre fédération et de vos adhérents ? Nous savons que vous étiez opposés à la rédaction adoptée par la commission mixte paritaire et vous avez entamé un dialogue avec le ministre et son cabinet, ce que nous pouvons comprendre, c’est votre métier. Étiez-vous opposés aux modifications intervenues depuis 2018 ? Comment lisez-vous ce qui s’est passé ensuite ? Comment percevez-vous les révélations faites par le rapporteur général Husson ? Vous êtes pris entre le marteau et l’enclume dans cette confrontation qui oppose le Parlement, qui réaffirme sa légitimité, aux manœuvres de Bercy et du ministre Lombard. Quelles répercussions cela a-t-il pour vous ? J’ai l’impression qu’on vous fait dire des choses qu’on n’a pas à vous faire dire, parce que vous n’êtes pas élus, vous n’avez pas d’autorité autre que celle que vous confèrent vos adhérents.? Pourquoi, après le vote du Parlement souverain, être intervenus dans l’application qu’aurait dû faire le ministre des dispositions adoptées, c’est-à-dire une application servile ? Je rappelle que l’origine du mot « ministre » est « serviteur » : un ministre sert le Parlement.
Mme Maya Atig. Nous nous sommes exprimés très simplement sur notre rôle qui consiste à exposer les conséquences qu’ont les textes pour les acteurs économiques, à alerter et à échanger, en manifestant le plus grand respect pour les deux assemblées et les pouvoirs publics. Nous avons notamment évoqué avec les différentes directions de Bercy leur rôle, les procédures, le fait que les contrôles fiscaux étaient indépendants du ministre. Notre métier est d’exposer, de la manière la plus factuelle possible, les constats que nous dressons ainsi que les analyses et les projections que nous élaborons à partir d’eux. Assez souvent, à partir du moment où un texte est adopté, les professionnels peuvent interroger l’administration. Pendant des années, nous avons échangé avec Bercy et avec les parlementaires que cela intéressait, qui disposaient d’ailleurs parfois d’informations transmises directement par le contrôle fiscal.
Nous avons publié un communiqué le 20 juin dernier pour récuser les insinuations calomnieuses dont avait fait l’objet la profession. Nous avons réaffirmé que nous agissions en toute transparence et que nous continuerions à le faire avec force, en insistant sur l’importance d’avoir un débat de qualité, fondé sur la réalité des faits. Étienne Barel va évoquer plus longuement l’apport pour le financement de l’économie, qui occupe une place centrale dans notre argumentation.
M. Étienne Barel. Outre l’utilité des prêts et emprunts de titres, j’aborderai notre position sur la rédaction du Sénat, Maya Atig ayant tout dit sur notre position à l’égard du rapporteur général du Sénat.
Le prêt d’un titre est une source supplémentaire de rendement, par exemple pour les investisseurs institutionnels. Je reprends ma comparaison immobilière : quand vous êtes propriétaire d’une maison, vous pouvez la louer pour générer des revenus et la récupérer ensuite. L’emprunt de titres est consubstantiel à un mode de fonctionnement des marchés qui est la vente à découvert. Vous empruntez un titre, puis vous le vendez en espérant que son cours va baisser pour le racheter moins cher en vue de sa restitution à celui à qui vous l’avez emprunté. C’est un mécanisme très simple.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Quel intérêt pour l’économie réelle ?
M. Étienne Barel. Nous estimons que le financement de l’économie par les marchés, notamment secondaires, est essentiel. Il est très important d’avoir des liquidités. S’il n’y en a pas, vous êtes obligés de garder éternellement ce qui vous appartient et l’économie ne peut être financée – pensons à un bien immobilier, par nature illiquide. Sur les marchés, tout le monde ne doit pas agir dans le même sens ; il faut qu’il y ait des achats et des ventes, d’où l’importance de cette vente à découvert, qui contribue à financer l’économie. Je suis désolé de rentrer dans ces considérations techniques mais s’il n’y a pas de financement grâce aux mouvements autour des actions, il n’y a pas de fonds propres pour les entreprises et donc pas d’endettement possible en complément des fonds propres, ce qui se traduit par une économie à l’arrêt. Tous les efforts fournis en vue d’une union de l’épargne et de l’investissement à l’échelle européenne partent du constat qu’il faut davantage de fonds propres pour les entreprises, donc une intervention plus grande des marchés de fonds propres et une cotation accrue des actions.
S’agissant de la rédaction retenue par le Sénat, je rappelle la position de la Fédération bancaire française : elle estimait que si la clause de sauvegarde ne pouvait être invoquée qu’a posteriori, cela revenait à instaurer une retenue à la source systématique puisqu’il est consubstantiel au fonctionnement des marchés réglementés qu’il n’y ait qu’une seule contrepartie, la chambre de compensation.
M. le président Éric Coquerel. Vous saviez qu’en demandant qu’une modification soit apportée au texte soumis à la commission mixte paritaire, vous alliez dans un sens contraire à ce qu’avait décidé la représentation nationale, laquelle avait rejeté cette modification.
M. Étienne Barel. À aucun moment, nous ne souhaitons aller dans un sens contraire à ce que souhaite la représentation nationale. Je ne veux pas revenir sur le débat que vous avez eu avec le ministre mais nous nous sommes appuyés sur l’avis du Conseil d’État.
M. le président Éric Coquerel. Lequel a été publié avant que la CMP sur le projet de loi de finances ne se tienne.
M. Étienne Barel. La loi précisait qu’une retenue à la source était appliquée aux non-résidents et notre interprétation était la suivante : puisqu’il est impossible de connaître les contreparties, cette retenue n’a pas lieu d’être.
M. le président Éric Coquerel. Vous conviendrez qu’il n’appartient pas aux banques d’interpréter les dispositions adoptées par la représentation nationale, d’autant que, tenant compte de l’avis du Conseil d’État, les parlementaires ont procédé à des rectifications lors de leurs travaux en commission mixte paritaire, Jean-François Husson l’a clairement dit. Le ministre Lombard a affirmé tout à l’heure qu’il réexaminerait l’interprétation administrative du dispositif législatif s’il s’apercevait qu’elle n’était pas conforme à ce que la représentation nationale a voté et je ne vois pas comment il pourrait ne pas s’en rendre compte.
M. Daniel Labaronne (EPR). L’absence de doctrine fiscale sur ces dispositifs crée un climat d’incertitude de nature à remettre en cause l’attractivité de la place bancaire et financière de Paris. Avez-vous bon espoir qu’un jour une clarification sera apportée ?
Observe-t-on statistiquement, avant et après le versement des dividendes, des flux financiers ? Ce serait une bonne manière de constater si les investisseurs étrangers cherchent à se dérober à la retenue à la source.
Dans la perspective de l’union de l’épargne et de l’investissement, peut-on espérer une harmonisation de la fiscalité sur les titres et actions relevant des opérations dites CumCum ? Je précise que je présenterai demain, mercredi 9 juillet, devant la commission des affaires européennes, mon rapport d’information sur l’union des marchés de capitaux, qui proposecinquante recommandations.
Enfin, vous avez constaté que les dispositions de la loi de finances avaient eu un impact sur l’attractivité de la place bancaire et financière de Paris. Pouvez-vous en estimer l’ampleur ? Pensez-vous qu’en l’absence de doctrine fiscale claire, une perte d’attractivité soit à craindre ?
M. Étienne Barel. Ce qui est compliqué, c’est que nous sommes dans une situation marquée par l’incertitude. Une sorte de doctrine a été créée par les contrôles fiscaux, dont, bien sûr, je ne connais pas le détail, mais nous voyons bien avec la notion de bénéficiaire effectif et d’abus de droit qu’un changement de pied s’est produit et nous ne savons pas ce qui va advenir du Bofip. Tout cela donne l’impression qu’il est difficile d’établir une doctrine fiscale. Nous sommes donc très désireux de contribuer, dans le respect des rôles de chacun, à l’élaboration d’une doctrine assurant tout à la fois la perception normale des recettes publiques, y compris en dehors de la France comme les États-Unis l’ont fait, et l’attractivité de la place de Paris.
Pour répondre à votre deuxième question, nous pouvons comparer les courbes du volume des prêts-emprunts des actions HSBC et des actions BNP Paribas pendant une même période de deux ans. HSBC, qui est basée à Londres, verse les dividendes par acompte trimestriel. Cela se traduit graphiquement par un pic de la courbe des prêts-emprunts tous les trimestres. On trouve le même pic du côté de BNP Paribas, mais annuel, car le versement des dividendes n’a lieu qu’une fois par an.
Au final, la courbe est donc la même en Angleterre et en France. Pourtant, l’Angleterre ne prélève pas, contrairement à nous, de retenue à la source sur les dividendes et il n’y a donc là-bas aucun intérêt fiscal à mener des opérations de prêt-emprunt lors du versement des dividendes. Les conclusions ont été les mêmes quand nous avons comparé les actions Total et British Petroleum, ou le Footsie et le CAC40.
La hausse d’activité en matière de prêt-emprunt lors des distributions de dividendes s’explique par le fait que ce sont des périodes où beaucoup d’acteurs parient à la hausse ou à la baisse. Quand le versement de dividendes est annuel, il coïncide avec l’assemblée générale, moment où les actionnaires rapatrient leurs titres, pour pouvoir voter, comme c’est bien normal.
Vous me demandez si, juste avant le versement des dividendes, les Français renforcent leur position, si les non-résidents leur transmettent leurs titres. Une étude globale de IHS Markit, un organisme indépendant, montre que non. Statistiquement, avant le versement des dividendes, les non-résidents se renforcent plus que les Français, leur part de détention des titres augmente. Ce devrait être l’inverse, s’il y avait des schémas d’optimisation.
IHS Markit a également étudié la question action par action, avec des conclusions très différentes selon les cas. Avant le versement des dividendes, les étrangers se renforcent pour certaines actions, maintiennent leur part pour d’autres ; pour d’autres actions encore, ce sont les Français qui se renforcent à ce moment-là. Là encore, il n’y a donc pas de phénomène systémique. Le marché ne s’organise pas pour frauder.
Quant au projet d’union pour l’épargne et l’investissement, nous appelons de toutes nos forces à une harmonisation. Le système de retenue à la source, qui diffère d’un pays à l’autre, est trop compliqué. Ces différences créent un phénomène d'évitement, qui peut ou non être fiscal. Si nous étions dans un espace unique, ces problèmes ne se poseraient pas. Nous sommes donc les premiers défenseurs d’une convergence et nous appelons de nos vœux une initiative soit européenne, soit plurinationale.
Enfin, l’impact de la réforme sur la liquidité et donc l’attractivité de la place parisienne est massif, dès cette année.
Mme Maya Atig. Il est rare que l’on puisse, comme ici, évaluer immédiatement les effets d’un texte. Alors que les troubles récents des marchés, liés notamment aux annonces américaines, ont conduit ailleurs à une hausse des transactions, en France nous constatons une baisse des transactions et leur déport.
M. le président Éric Coquerel. Parfois, la défense d’une harmonisation au niveau européen voire mondial est aussi une manière de ne rien faire face à des pratiques anormales.
Par ailleurs, le législateur avait anticipé et assumé le contrecoup de la réforme pour la place de Paris. Il ne souhaitait pas que Paris continue d’attirer ce type de transferts fiscaux. Même si c’est moins rentable pour vous, vous devez l’entendre.
M. Étienne Barel. Ne croyez pas que nous utilisons une manœuvre dilatoire. J’ai bien précisé que nous serions favorables à un nouveau dispositif, dès lors qu’il s’appliquerait aux transactions hors de France, même s’il était franco-français. Pour l’instaurer, nous n’aurions pas besoin de l’autorisation d’un autre pays européen.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Je rejoins M. le président. Il faut bien qu’un pays prenne l’initiative, avant que les mesures deviennent européennes ou internationales. Il est certain que la lutte contre l’évasion fiscale serait beaucoup plus efficiente si tout le monde appliquait les mêmes mesures en même temps.
Vous ne pouvez pas nous indiquer les montants des commissions et des taux appliqués, dites-vous. Dans la mesure où la pratique concernée est somme toute légale et où ce sont seulement les abus auxquels elle donne lieu qui sont condamnables, c’est un peu curieux.
À vous entendre, on croirait que tout se passe bien, que tous les acteurs sont très honnêtes, que les abus n’existent pas. Tout de même, l’État a appliqué 4,5 milliards d’euros de redressements et des perquisitions ont été menées dans de grandes banques ! Quelque chose s’est donc forcément passé. Je trouve votre discours un peu curieux.
Mme Maya Atig. Au début de mon propos liminaire, j’ai voulu dire que les abus donnaient lieu à des redressements, à des sanctions, parfois à des recours, sous le contrôle des tribunaux. La décision, validée juridiquement, est acceptée.
Nous n’avons pas dit que tout allait bien. Ce type de propos est souvent caricaturé. Simplement, nous indiquons que le recours à des prêts-emprunts de titres lors du versement des dividendes est loin de s’inscrire dans la seule logique de fraude fiscale. Quand c’est le cas, elle doit évidemment être sanctionnée.
Quant aux chiffres que vous demandez, les banques ne publient pas des résultats détaillés par ligne d’activité. Cela nous pose d’ailleurs des problèmes dans différents domaines.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Le groupe Socialistes n’est pas opposé aux produits dérivés, mais à leur utilisation à des fins d’abus fiscal.
Dans vos argumentaires, vous mettez en général en avant l’importance des banques pour l’économie réelle. Sur bien des aspects, vous avez raison : les banques font crédit aux ménages et aux entreprises, proposent des moyens de paiement et des produits d’épargne populaire. Pouvez-vous cependant nous expliquer l’intérêt des CumCum pour l’économie réelle ?
Par ailleurs, selon votre argumentaire, la législation anti-CumCum briderait les activités de marché dites normales des banques. Dans quelle mesure les articles 119 bis et 119 bis A du code général des impôts vous empêchent-ils de réaliser des opérations de couverture d’épargne salariale ou de structuration de contrats à terme pour des acteurs de l’industrie ?
Enfin, de manière surprenante, vos argumentaires mettent régulièrement en avant l’idée que la législation anti-CumCum nuirait à la compétitivité de la place financière parisienne et serait très difficile à appliquer par les banques. Comment expliquer alors que les filiales américaines des principales banques françaises soient en mesure de se plier à la régulation américaine, pourtant beaucoup plus stricte que la nôtre ?
Je rejoins M. le président, voire le ministre Lombard, pour parler de fraude systémique aux CumCum. Vous le savez, les banques offrent ces transactions à leurs clients dans des catalogues similaires à ceux de la Fnac ou de La Redoute.
Enfin, tout à l’heure, vous avez comparé les actions HSBC et BNP Paribas. Mais si la première est plus intéressante pour les actionnaires, c’est qu’elle verse ses dividendes en stock ou en cash, alors que BNP ne les verse qu’en cash. Comparaison n’est pas raison.
M. Étienne Barel. Il n’y a pas un moment où la fraude fiscale a la moindre utilité pour l’économie réelle. En revanche, l’utilisation d’un dérivé ou d’un prêt-emprunt de titres n’est pas en soi frauduleuse. Pour prendre un exemple simple, la transition écologique implique des investissements considérables. Les banques ne peuvent pas en financer l’ensemble par elles-mêmes, si l’épargne des Français n’est pas également mobilisée. Toutefois, les Français peuvent refuser d’assumer tout le risque. Le produit dérivé permet alors de couvrir la partie du risque que les épargnants trouvent excessive. Les pratiques des banques d’investissement et de marché ont donc une utilité très réelle pour l’économie.
Vous citez l’épargne salariale. Si, en général, dans ce type d’opérations, le salarié est, comme c’est bien légitime, protégé de la baisse du titre qu’il possède, c’est grâce à des titres dérivés.
Au nom de la lutte contre la fraude, la législation risque de tout mettre dans le même sac et d’empêcher de mener des opérations de prêt-emprunt normalement. Un cas concret : jusqu’à présent, une entreprise française du CAC40 couvrait toujours son épargne salariale grâce à une banque française d’investissement. Eh bien, cette année, aucune banque française n’a candidaté pour ce contrat. En effet, si les banques françaises empruntaient des titres, il leur était impossible de savoir si leurs détenteurs étaient des résidents ou des non-résidents et donc, si elles devaient ou non appliquer la retenue à la source. Les banques françaises étaient convaincues que le pool des investisseurs français serait insuffisant et voulaient en même temps éviter le risque associé aux investisseurs étrangers. Finalement, c’est une banque américaine qui a accepté de couvrir l’épargne salariale de ce groupe familial français.
Enfin, les banques américaines et les banques françaises qui opèrent aux États-Unis ou sur des valeurs américaines se plient à la législation américaine. Cette législation doit être étudiée, car elle pourrait constituer une solution. Nous ne prétendons pas du tout que les banques françaises ne parviennent pas à s’y plier, contrairement aux Américains. Les quatre grandes banques d’investissement françaises, qui sont membres de la FBF, ont obtenu le statut de qualified investor, en vertu de la section 871(m) de l’Internal Revenue Code. Si elles ne remplissent pas leurs obligations, elles perdront leur agrément. Ce système, dont la mise en place aux États-Unis a demandé dix ans, mérite d’être étudié.
Mme Maya Atig. Quand les banques américaines opèrent sur des titres français, c’est dans le cadre français. Elles n’utilisent pas le cadre américain sur des titres français. Le cadre national qui s’applique à chaque fois est celui du titre concerné, pas celui de l’établissement bancaire. Voilà le cadre dans lequel s’exerce la concurrence.
S’il fallait faire table rase du système pour le rebâtir intégralement, le modèle américain pourrait constituer une solution.
Mme Christine Arrighi (EcoS). La Fédération bancaire française, que vous représentez, défend les intérêts de ses membres, comme c’est légitime.
Nous distinguons parfaitement les opérations CumEx, qui sont une pratique parfaitement illégale et CumCum, une optimisation que le Parlement a décidé de circonscrire.
Nous connaissons la situation budgétaire ; elle conduira à des annonces par le Premier ministre le 15 juillet. Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que la pratique des CumCum n’est pas systémique ? Jusqu’à présent, vous n’avez pas donné d’élément qui le prouve, alors que certaines banques ne se cachent pas du tout de pratiquer cette optimisation pour leurs clients.
Disposez-vous de données consolidées sur le volume des arbitrages de dividendes réalisés par les grandes banques françaises pour compte propre ou pour compte de tiers au cours des cinq dernières années ? Si oui, pouvez-vous vous engager à les transmettre à la représentation nationale ?
Pourquoi vous opposez-vous à l’obligation de transparence sur les bénéficiaires effectifs des arbitrages réalisés autour des dates de détachement des dividendes ? Que craignez-vous ?
Les obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme vous imposent une connaissance très fine de la chaîne de transactions. Pourquoi ces obligations ne s’appliqueraient-elles pas aussi à la chaîne de détention réelle des titres, lorsqu’il s’agit d’arbitrages de dividendes susceptibles d’être qualifiés de manœuvre frauduleuse ou en tout cas d’optimisation ?
Pensez-vous vraiment que le maintien d’un système d’optimisation, qui représente chaque année plusieurs milliards d’euros de pertes pour le budget de l’État – au moins 4,5 milliards, si l’on se fonde sur les seuls contrôles effectués – est compatible avec la responsabilité sociale, environnementale et démocratique que tous les citoyens attendent de la finance ?
M. Étienne Barel. L’étude statistique des modifications de détention lors du versement des dividendes ne montre pas de mouvement systémique de transmission des titres entre les investisseurs non-résidents et les investisseurs résidents. Nous nous fondons sur l’étude IHS Markit que j’ai citée. En outre, deux grands établissements français qui, à eux deux, représentent plus de 50 % du marché de la conservation de titres, ont également étudié l’évolution jour après jour de millions d’actions avant et après le versement des dividendes et ont conclu à l’absence de phénomène systémique. Nous disposons donc d’un faisceau d’indices.
Comme le graphique présenté par M. le ministre le montre, des fraudes peuvent toutefois avoir lieu. Les services de contrôle font leur métier et s’assurent que ce n’est pas le cas.
Vous souhaitez connaître le nombre des opérations sur dérivés par les banques françaises, celui des emprunts de titres par les banques françaises. Je n’en ai aucune idée. Je pense qu'il est considérable – il doit se compter en millions, comme les opérations sur un marché.
Venons-en à l’obligation de transparence. La notion de bénéficiaire effectif renvoie à deux choses différentes, selon que l’on parle du versement de dividendes ou de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Comme c’est bien normal, les banques françaises font des diligences considérables pour trouver le bénéficiaire effectif de tel ou tel virement qui passe par des holdings ou des trusts.
En revanche, je ne peux pas savoir et les banques ne peuvent pas savoir qui est la contrepartie d’une transaction sur un marché réglementé. Comme M. le ministre l’a rappelé, l’AMF elle-même juge qu'il serait contraire au bon fonctionnement des marchés de donner le nom des opérateurs. Si nous permettons à quelqu’un de savoir que quelqu’un d’autre a des intérêts dans une entreprise mais rachète les actions d’une autre entreprise, nous risquons le délit d’initié. Ce ne serait pas bon pour l’ensemble des épargnants et cela casserait la notion même de marché. En gré à gré, on connaît sa contrepartie ; sur un marché, on ne le peut pas.
Nous contribuons très significativement à l’équilibre des finances publiques. Il est légitime que des opérations de contrôle soient menées et qu’elles puissent aboutir à des redressements – lesquelles peuvent être contestées devant un tribunal.
M. Jean-Paul Mattei (Dem). J’ai l’impression qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Je suis étonné par les courbes que vous nous présentez. Le décrochage est-il uniquement dû aux mesures prises contre les pratiques dites CumCum ? Il faut être précis et transparent. La hausse de la taxe sur les transactions financières pourrait être un autre élément d’explication.
Selon vous, les services fiscaux disposent-ils des moyens nécessaires pour redresser les comportements déviants ? Si oui, les dispositions que nous avons adoptées étaient-elles donc inutiles ?
Tant l’Allemagne que les États-Unis ont adopté des règles concernant les CumCum. Vous semblez dire qu’en Allemagne, cela a conduit à un décrochage. En va-t-il de même aux États-Unis ? Que faudrait-il faire ? Quels outils permettraient d’éviter les déviances, les montages aventureux ?
La Fédération bancaire française, que vous représentez, a des obligations vis-à-vis de ses adhérents. Or, pour une banque, un redressement de plusieurs milliards d’euros représenterait une perte importante. Avez-vous instauré une charte, des règles, des sanctions, en cas de comportement déviant, pour les banques qui ne maîtriseraient pas leurs services ? Je rappelle que les établissements bancaires exercent une mission de service public et exercent un monopole sur certaines activités.
Mme Maya Atig. Nous faisons partie des fédérations auxquelles l’adhésion est obligatoire. Ainsi, nous ne pouvons prononcer d’expulsion et les sanctions ne se cumulent pas.
Comme dans tous les secteurs, notre secteur connaît tous les jours des redressements, sur des opérations de toute nature. Une fois que les redressements sont validés – ils ne le sont pas toujours –, il faut instaurer des dispositifs positifs pour tous.
Il y a quelques années, le contrôle de l’interdiction de double détention de livrets d’épargne avait donné lieu à des redressements, à des contestations, à des difficultés. Mais, au fond, tout cela renvoyait à la nécessité de bâtir un nouveau dispositif. Cela a été fait dans un cadre français, puisque les livrets d’épargne réglementée sont uniquement soumis à ce cadre.
Pour le sujet qui nous occupe, un dispositif à l’américaine, qui s’appliquerait à quelques grands pays – à défaut de passer par l’Union européenne, comme le label Finance Europe – pourrait être une cible.
En tout cas, la situation actuelle est la plus insatisfaisante possible. Elle est très liée à l’adoption de la mesure de la loi de finances pour 2025. À l’issue des débats sur celle-ci, nous avons assisté à un gel des activités. De nombreux adhérents, dont certains installés en France mais non français, se sont demandé s’il fallait poursuivre leurs activités. Bien sûr, nous ne pouvons assurer que le décrochage soit intégralement lié à ce vote, mais les dates coïncident et le type d’opération qui décroche est celui qui est concerné par la mesure.
M. Étienne Barel. Il revient au ministre d’apprécier si les services fiscaux disposent de moyens suffisants – je ne suis pas légitime pour le faire. J’ai entendu que le ministre était satisfait des moyens juridiques dont il dispose. Je m’en remets à lui.
Aux États-Unis, les mesures légales prises contre les CumCum n’ont pas conduit à un décrochage. Cela s’explique par la puissance de l’économie américaine. Renoncer à traiter des actions américaines, c’est renoncer aux activités de banque d’investissement.
De même, selon nous, renoncer à traiter l’économie européenne, c’est refuser d’avoir de grandes ambitions pour l’Europe.
L’évolution constatée ne s’explique pas que par la loi de finances. Elle est multifactorielle et s’inscrit dans des tendances de long terme. Toutefois, l’incertitude créée par la nouvelle législation a clairement changé le comportement des acteurs.
M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie.
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 8 juillet 2025 à 18 heures 30
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Mathilde Feld, M. Daniel Labaronne, M. Jean-Paul Mattei, Mme Christine Pirès Beaune, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou