Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

  Examen du rapport d’information sur l’application des mesures fiscales (M. Charles de Courson, rapporteur général) 2

  Examen du rapport d’information sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l’Assemblée nationale (M. Éric Coquerel, président)              3

  Information relative à la commission........................13

  Présence en réunion...................................14


Mardi
30 septembre 2025

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 146

 

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

puis de

M. Philippe Brun,

Vice-président

 


  1 

La commission examine le rapport d’information sur l’application des mesures fiscales (M. Charles de Courson, rapporteur général)

 


Enfin la commission examine le rapport d’information sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l’Assemblée nationale (M. Éric Coquerel)

M. Philippe Brun, président. Ce rapport d’information sur le contrôle de la recevabilité financière et organique est le dixième de ce type présenté par un président de la commission des finances. Plus de trois ans après la publication du précédent, ce travail est précieux pour chacun de nous car il permet de faire le point sur l’état et les évolutions de la jurisprudence – notamment s’agissant des propositions de loi – et donc d’éviter que nos initiatives et amendements se heurtent à des décisions d’irrecevabilité.

M. Éric Coquerel, rapporteur. Mes chers collègues, ce projet de rapport vous a été transmis un peu tardivement mais je souhaitais qu’il soit examiné avant le renouvellement du bureau, qui aura lieu le 2 octobre.

Je vous propose donc d’autoriser la publication d’un rapport sur les règles de la recevabilité financière et de la recevabilité organique, lesquelles sont toutes deux contrôlées à titre principal par le président de la commission des finances.

Il s’agit tout d’abord d’un état des lieux de la jurisprudence. La lecture attentive des rapports précédents montre en effet que l’appréciation de la recevabilité n’est pas une affaire purement scientifique puisque cette jurisprudence évolue, y compris en fonction des situations politiques. Le rapport constitue ensuite un document sur la façon dont j’ai appliqué les règles de recevabilité depuis trois ans – étant entendu que cela n’engage pas la personne qui me succédera.

La présentation d’un rapport dit de l’article 40 est une coutume bien établie par mes prédécesseurs puisque neuf ont déjà été présentés, depuis celui de Jean Charbonnel, en 1971, jusqu’à celui d’Éric Woerth, en 2022. L’intérêt de commenter les dernières réformes organiques, adoptées en 2021 et en 2022, et l’accélération du rythme des législatures m’ont conduit à préparer celui-ci en amont du terme prévisionnel de la XVIIe législature.

Ce travail intervient au terme de trois années qui auront été marquées par l’inflation du nombre d’amendements soumis à l’appréciation du président de la commission des finances. Deux chiffres suffiront à l’illustrer : alors que, sous la précédente législature, un peu plus de 97 000 amendements avaient été contrôlés en cinq ans, ce sont plus de 101 000 amendements qui l’ont été en trois ans, entre juillet 2022 et juillet 2025.

Je ne surprendrai personne en rappelant ma position sur l’article 40. Je considère qu’il s’agit d’une disposition qui contraint fortement l’initiative parlementaire. Il instaure une inégalité entre le gouvernement, qui peut proposer des dépenses nouvelles, et les parlementaires, à qui la Constitution interdit de faire de même. L’objectif de cet article est double : conférer à l’exécutif le privilège budgétaire et déresponsabiliser les parlementaires, en laissant entendre qu’ils feraient plonger le déficit public sans cette contrainte. Cet article a également pour effet d’imposer une politique en particulier, celle qui envisage uniquement les baisses de dépenses pour améliorer la situation des finances publiques.

Pour toutes ces raisons, je plaide pour l’abrogation de l’article 40 –  et je ne suis pas le premier. Mon prédécesseur par exemple, Éric Woerth, l’avait demandé en 2018 en déposant un amendement cosigné par l’ensemble des membres de son groupe. Il s’agirait d’une véritable avancée qui permettrait d’élargir nos débats et de revaloriser le rôle d’un Parlement dont les prérogatives et la liberté sont régulièrement limitées par l’exécutif. La France rejoindrait alors les 52 % de pays membres de l’OCDE qui ne prévoient pas de restrictions au droit d’amendement.

Je reçois souvent des délégations de parlementaires, y compris de pays qui ne sont pas caractérisés par un déficit public élevé ; tous sont très étonnés par l’article 40, de même que par l’article 49.3. J’ai récemment reçu des Japonais, qui sont à peu près dans la même situation que nous, le gouvernement ne disposant pas d’une majorité : ils parviennent à y faire face sans disposer de l’équivalent de ces deux articles.

En attendant l’abrogation de l’article 40, je respecte évidemment le cadre juridique particulièrement rigoureux qui s’impose au président de la commission des finances. Mais, depuis 2022, j’ai tenu à favoriser autant que possible l’initiative parlementaire, pour concilier au mieux les exigences de l’article 40 avec le droit d’amendement des députés, lui aussi inscrit dans la Constitution – et ce quel que soit leur groupe politique.

J’en veux pour preuve la diminution constante du taux d’irrecevabilité financière depuis le début de ma présidence : partant de 16,4 % l’année précédant mon arrivée, il est passé à 12,1 % en 2022-2023, puis 8 %, et enfin 7,3 % en 2024-2025. La tendance est manifeste alors même que la réforme de la Lolf (loi organique relative aux lois de finances) et de la LOLFSS (loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale) en 2021 et 2022 a durci certaines règles de recevabilité, notamment en ce qui concerne l’affectation d’une imposition ou la création de nouveaux allègements sociaux.

L’assouplissement de la jurisprudence ne s’apparente nullement à une absence de contrôle. Je rappelle que le Conseil constitutionnel a jugé à plusieurs reprises que les assemblées étaient tenues de mettre en œuvre un contrôle de recevabilité effectif et systématique dès le stade du dépôt des amendements. À défaut, le juge constitutionnel ne serait plus lié par la règle dite du « préalable parlementaire », en application de laquelle il n’intervient qu’en appel d’une éventuelle contestation au cours de la navette parlementaire.

Je me suis donc attaché à respecter ce cadre, tout en assouplissant la jurisprudence. Sauf dans de très rares cas – qui n’ont pas manqué d’être médiatisés –, mes avis ont été suivis par mes homologues ainsi que par la présidente de l’Assemblée nationale. Il y a eu très peu de désaccords, ce qui montre bien qu’il était sans doute nécessaire de réduire la proportion des déclarations d’irrecevabilité.

En matière de diminution des recettes publiques, la jurisprudence a peu évolué, puisque la possibilité pour les députés de gager leurs amendements rend les cas d’irrecevabilité plus rares. Aux tolérances admises par mes prédécesseurs j’ai ajouté le principe de l’auto-gage : lorsqu’un amendement propose à la fois une diminution une hausse de recettes, il est recevable sans gage lorsqu’il est manifeste que son effet global est bénéfique pour les finances publiques.

En matière de création ou d’aggravation d’une charge publique, puisque l’article 40 laisse peu de marge de manœuvre aux députés, j’ai évidemment maintenu les dérogations favorables à l’initiative parlementaire établies par mes prédécesseurs, en les élargissant lorsque cela était possible afin de favoriser les débats au sein de notre assemblée.

J’ai interprété le plus largement possible les jurisprudences existantes, par exemple celles relatives aux charges indirectes – qui ne constituent que l’effet secondaire d’un amendement ; aux charges de gestion – qui peuvent être absorbées à moyens constants ; aux charges de trésorerie – qui sont recevables si elles demeurent infra-annuelles et ne sont pas massives ; à l’État employeur – jurisprudence permettant de proposer des mesures coûteuses si elles concernent à la fois des personnes publiques et privées ; et aux expérimentations – permettant de proposer des mesures coûteuses aux fins d’améliorer l’efficacité de l’action publique.

Je souligne que le Conseil constitutionnel, dans sa décision sur la loi dite PLM, a validé l’ensemble des raisonnements que j’avais suivis s’agissant des charges de gestion ou de celles dont l’effet est indirect ou incertain.

J’ai également admis un grand nombre d’amendements proposant des mesures coûteuses dès lors qu’ils étaient programmatiques, c’est-à-dire non normatifs, et n’emportaient pas en eux-mêmes de nouvelles dépenses. Cela m’a semblé utile pour permettre à notre assemblée d’avoir de vrais débats de fond.

Enfin, j’ai eu à cœur de faire converger la jurisprudence avec les règles appliquées par le président de la commission des finances du Sénat, qui sont depuis longtemps plus souples. J’ai notamment utilisé la jurisprudence « démocratie » que mes prédécesseurs à l’Assemblée n’avaient jamais appliquée. Elle permet aux députés de déposer des amendements coûteux lorsqu’ils visent à permettre ou améliorer l’exercice de la démocratie par les citoyens : le coût de ces mesures est alors considéré comme secondaire dès lors qu’il s’agit avant tout de ne pas entraver l’exercice de la volonté populaire, qui, là encore, est un principe constitutionnel.

Ces trois dernières années, j’ai également dû me prononcer sur la recevabilité de propositions de lois. Si certains considèrent qu’un « gage de charge » est insuffisant pour garantir la recevabilité d’un texte, j’estime qu’il n’y a pas de raison d’être plus sévère que le bureau de l’Assemblée nationale, qui accepte le dépôt de ce type de propositions coûteuses. Par ailleurs, une lecture trop stricte de l’article 40 dans le cadre de l’examen de la recevabilité d’une proposition de loi devant être discutée lors d’une niche parlementaire rendrait inopérante une autre disposition de la Constitution, celle qui garantit un droit d’initiative parlementaire spécifique aux groupes d’opposition.

J’ai constaté que, depuis des années, la possibilité de déclarer irrecevables de telles propositions de loi destinées à être examinées dans le cadre d’une niche parlementaire était plus ou moins tombée en déshérence. Sans doute considérait-on qu’il était normal qu’elles soient débattues, sachant qu’en tout état de cause, si l’exécutif n’était pas favorable à leur adoption, elles seraient rejetées en séance publique. L’absence de majorité explique peut-être pourquoi l’on s’interroge de nouveau sur la recevabilité de ces propositions de loi, mais cette situation ne doit pas, selon moi, conduire à être moins souple dans l’appréciation de leur recevabilité.

S’agissant des irrecevabilités liées à la Lolf et à la Lolfss, qui limitent encore plus l’initiative parlementaire, notamment sur les textes financiers, j’ai été confronté aux nouvelles règles issues des réformes de 2021 et 2022, qui ont, par certains aspects, durci les conditions de recevabilité des amendements. Ainsi, il n’est plus possible de proposer d’affecter une imposition à un tiers autre que les collectivités territoriales ou les organismes de sécurité sociale dans un autre texte que le projet de loi de finances. De même, la création de nouveaux allègements sociaux pour plus de trois ans ne peut être désormais proposée qu’à l’occasion du PLFSS. Je me suis bien évidemment efforcé d’interpréter ces nouvelles règles de la façon la plus favorable à l’initiative parlementaire, comme vous pourrez le constater en lisant mon rapport.

Par ailleurs, j’ai assoupli la jurisprudence sur d’autres pans de la recevabilité organique, notamment en allégeant – sans les supprimer – les exigences de motivation des amendements de crédits. Le projet de loi de finances est chaque année un moment important de notre vie parlementaire et démocratique, et il m’a semblé important que tous les débats puissent se tenir.

S’agissant de mon rôle de conseil aux députés, j’ai veillé, de même que les équipes qui m’accompagnent, à apporter à ceux qui me sollicitaient les explications les plus détaillées possibles sur les règles applicables et sur les décisions rendues, ainsi qu’à prodiguer tous conseils de nature à rendre les amendements recevables, par exemple par des modifications entre la commission et la séance. Lors de l’examen des textes relatifs à la fin de vie, des solutions ont ainsi pu être proposées pour rendre recevables certains amendements, ce qui a beaucoup contribué à la qualité des débats qui se sont tenus.

Pour conclure, je tiens à remercier l’ensemble des membres de l’administration de la commission des finances, et plus particulièrement le pôle de la recevabilité financière, pour leur travail sur ce rapport mais également pour le traitement tout au long de l’année des amendements qui me sont soumis, dans des volumes inédits et dans des délais très restreints.

M. Philippe Brun, président. Comme vous l’avez rappelé, la suppression de l’article 40 est une demande constante des présidents de la commission des finances depuis de très nombreuses années. Il s’en est fallu de peu qu’il soit supprimé en 2008, lorsque Didier Migaud, qui présidait la commission, a déposé un amendement en ce sens à l’occasion de la révision constitutionnelle et que Gilles Carrez, alors rapporteur général, l’a voté.

Mais cet article est toujours en vigueur, et c’est une bonne chose qu’il soit interprété de la manière la moins nocive pour l’initiative parlementaire.

Avez-vous envisagé de rendre la décision collégiale ? Vos décisions, monsieur le président, sont certes préparées, mais ne pourrait-on envisager qu’elles soient prises de manière collégiale lorsqu’un désaccord se manifeste ? Cela permettrait d’éviter certains procès en partialité. Je pense en particulier aux polémiques qui ont pu avoir lieu à l’occasion de décisions prises par la présidente de l’Assemblée nationale et aux reproches qui ont pu être adressés aux uns et aux autres.

M. Éric Coquerel, rapporteur. Je ne suis pas opposé aux réflexions, mais cela supposerait que les textes soient modifiés. Ils sont très clairs et l’appréciation de la recevabilité est confiée au président de la commission des finances – sauf s’il est empêché, auquel cas la tâche peut être assurée par un autre membre du bureau de la commission des finances, à commencer par le rapporteur général.

En outre, le fait que ce président soit membre de l’opposition assure qu’il n’est pas soumis aux pressions de l’exécutif. Lors de la révision constitutionnelle engagée par Nicolas Sarkozy, cela était apparu comme une amélioration des garanties démocratiques. Il ne faudrait pas que la mise en place d’un cadre collectif conduise à assujettir la décision au bon vouloir de l’exécutif – en tout cas lorsqu’il dispose d’une majorité. Il faudrait donc obtenir des garanties sur ce point, car on voit bien ce qui pourrait se passer. L’article 40 induit déjà un déséquilibre entre le législatif et l’exécutif. Il serait encore aggravé si la décision en matière de recevabilité revenait de fait à la majorité gouvernementale, et donc in fine à l’exécutif.

Je rappelle que, s’agissant des propositions de loi, l’appréciation initiale de la recevabilité est confiée au bureau de l’Assemblée. Le bureau exerce toujours cette prérogative, même si cela fait des années qu’il fait en sorte de favoriser le plus possible la discussion.

Le contrôle ne relève donc pas du seul président de la commission des finances. En outre, la présidente de l’Assemblée nationale, qui apprécie la recevabilité des amendements déposés en séance publique, consulte le président de la commission des finances. Si elle peut ne pas suivre son avis, celae n’est arrivé depuis trois ans que dans des cas très rares, même s’ils ont été très médiatisés car ils étaient très politiques et liés à la réforme des retraites. Cela montre qu’après tout, la présidente de l’Assemblée n’était peut-être pas opposée aux évolutions que j’ai introduites.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Je salue cette synthèse sur les règles d’appréciation de la recevabilité financière, qui nous aidera tous à éviter de déposer des amendements notoirement irrecevables.

L’assouplissement global des règles par la loi organique du 28 décembre 2021 s’est-il traduit par une évolution du taux d’irrecevabilité ? Dans quelles proportions ?

Vous avez souhaité étendre la tolérance du bureau de l’Assemblée nationale au sujet des gages de charge figurant dans des propositions de loi non plus uniquement au moment de leur dépôt, mais également en cas de contrôle incident, en application du quatrième alinéa de l’article 89 du règlement. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel indique explicitement que les charges ne peuvent être compensées. C’est d’ailleurs ce qui est appliqué pour les amendements. Qu’est-ce qui vous laisse penser que les règles pourraient être différentes pour les propositions de loi ? Pensez-vous que le Conseil constitutionnel validerait une telle évolution ?

M. Éric Coquerel, rapporteur. J’ai déjà en partie répondu à votre première question dans mon propos introductif. En 2021-2022, année précédant mon arrivée, 16,4 % des amendements avaient été déclarés irrecevables. Ce taux est passé à 12,1 % lors de ma première année, puis à 8 % l’année suivante, avant d’atteindre 7,3 % en 2024-2025.

Cette évolution est clairement liée à mon choix de rechercher les jurisprudences les plus avantageuses pour le droit d’amendement. Cela traduit également le fait que j’ai toujours cherché à fournir aux députés qui me le demandaient, quel que soit leur groupe, une solution pour rendre des amendements recevables lors de la discussion en séance.

Je l’ai également fait pour les propositions de loi susceptibles de créer une charge, ce dont Philippe Brun peut témoigner au sujet de sa proposition visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement. Mes arguments avaient d’ailleurs été repris par le rapporteur général du budget au Sénat. De même, lorsque j’ai été saisi de la recevabilité de la proposition de loi PLM, déposée par des députés du bord opposé au mien, j’ai considéré que cette initiative parlementaire était valide car elle n’entraînait qu’une charge de gestion. Saisi sur ce point, le Conseil constitutionnel m’a donné raison.

La diminution du taux d’irrecevabilité est probablement une conséquence du travail mené en collaboration avec les députés de tous les groupes, sans exception, qui ont eu recours à mon expertise – même s’il est exact qu’il s’agit majoritairement de députés de l’opposition, puisqu’ils déposent davantage d’amendements.

S’agissant de votre deuxième question, la séquence qui a entouré l’examen des différentes propositions visant à remettre en cause la réforme des retraites, en 2023-2024, a suscité une controverse importante – et qui demeure latente – relative à la recevabilité des dispositions coûteuses des propositions de loi qui comportent un gage de charge.

Alors que certains pensent que la présence d’un tel gage ne suffit pas à purger une proposition de loi de son éventuelle irrecevabilité en cas de contrôle incident, sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 89 du règlement, j’ai considéré au contraire que, dans la mesure où le bureau de l’Assemblée – qui est chargé d’examiner la recevabilité des propositions lors de leur dépôt – accepte des propositions de loi coûteuses ainsi gagées, le président de la commission des finances n’a pas à remettre en cause ce raisonnement lors du contrôle incident.

Les tenants de la première thèse souhaitent que le contrôle exercé par le président de la commission des finances sur les propositions dont il est saisi soit plus rigoureux et exigeant que la procédure suivie par le bureau au stade du dépôt.

Pour ma part, je pense qu’il n’y a pas de raison, ni objective ni politique, pour que ce soit le cas. Sinon, cela voudrait dire que le juge d’appel de la recevabilité doit en tout état de cause être plus sévère que le juge de première instance. Cela consacrerait un contrôle aléatoire et à deux vitesses, dont seraient victimes les parlementaires dont les propositions font l’objet d’une demande d’examen de la recevabilité financière en cours de discussion.

Je me permets de souligner l’incohérence juridique sous-jacente à la première thèse : elle revient à admettre que le contrôle systématique lors du dépôt, pourtant requis par le Conseil constitutionnel, serait défaillant et que le bureau de l’Assemblée méconnaîtrait ainsi les exigences constitutionnelles.

Enfin, s’il faut reconnaître que, sur cette question du contrôle de la recevabilité incidente des propositions de loi, je n’ai sans doute pas encore réussi à convertir la présidente de l’Assemblée, cette divergence n’affecte pas – et fort heureusement – le contrôle des amendements, qui n’a donné lieu à presque aucun désaccord. Il y en a eu quelques-uns au tout début, probablement parce que la présidente était inquiète de ma position sur l’abrogation de l’article 40, mais je pense qu’elle s’est aperçue assez rapidement que je ne tentais pas de méconnaître les devoirs de ma charge.

Dit autrement, les chiffres montrent que les décisions d’irrecevabilité pour des propositions de loi ont diminué au fil des années, jusqu’à devenir quasiment inexistantes. Il me semble que la dernière a été prise par Éric Woerth – qui, en l’occurrence, s’était lui-même saisi. Selon moi, ce mouvement s’explique par le fait que mes prédécesseurs ont estimé nécessaire que les propositions déposées par les groupes d’opposition puissent effectivement être discutées à l’occasion des journées qui leur sont réservées une fois par an en séance. Ils ont donc apprécié la recevabilité avec une certaine souplesse, afin de respecter le droit de l’opposition à soulever des questions de fond. C’est la situation politique actuelle qui pousse à remettre cette interprétation en cause, en raison de l’incertitude qui entoure désormais le vote sur ces propositions. C’est un problème collectif.

Peut-être faudrait-il trancher une fois pour toutes la question de la recevabilité des propositions de loi. Certaines de mes décisions ont suscité des polémiques, même si elles ont été rares : j’ouvre donc le débat. On n’avait jamais imaginé que l’exécutif pourrait être aussi minoritaire au Parlement. Cela change les choses car dès lors, l’article 40, tout comme d’ailleurs l’article 49.3, peut être utilisé pour empêcher d’en arriver au vote sur un texte dont on sait qu’il recueille une majorité au sein de l’Assemblée, ce qui diffère de sa vocation initiale.

M. Philippe Brun, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Emeric Salmon (RN). En lisant ce rapport, certes en diagonale mais avec intérêt, j’ai eu un sourire amer. Au fond, tout y est dit : l’article 40, censé protéger les finances publiques, sert surtout à prémunir le gouvernement contre tout débat gênant. Il paraît que les parlementaires seraient trop dépensiers : c’est amusant, alors que ce sont les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, qui ont fait exploser la dette et laissé filer les déficits ! Mais eux ont le droit de creuser le trou ; nous, représentants du peuple, sommes trop dangereux pour toucher au budget.

L’article 40 est un peu la version institutionnelle de la muselière : on laisse les députés parler, mais pas trop fort et surtout pas des sujets qui fâchent – retraites, pouvoir d’achat, services publics. Circulez, y a rien à voir !

On explique que cet article responsabilise les élus. Quelle ironie ! En réalité, il déresponsabilise l’Assemblée, réduit nos marges de manœuvre et prive les Français d’un véritable débat démocratique. Le Rassemblement national le dit clairement : il est temps de briser ce carcan. Nous demandons d’assouplir sérieusement cet article car un Parlement qui n’a pas le droit de proposer, c’est un Parlement qui n’a plus de pouvoir, qui est la simple chambre d’enregistrement des caprices gouvernementaux. Bref ce n’est plus la démocratie.

D’ailleurs, je remercie la présidente Yaël Braun-Pivet d’avoir inscrit à l’ordre du jour d’une des réunions du groupe de travail sur le règlement de l’Assemblée nationale un point consacré à l’article 40, preuve que ce sujet est important.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Bien que ce soit très has been, je vais défendre la Constitution – rien que la Constitution, toute la Constitution.

Je ne suis qu’à moitié étonné que le Rassemblement national se plaigne du respect de la Constitution. La voilà qui musellerait les députés ! Par ailleurs, je connais également les positions de M. Coquerel. Mais, monsieur le président, ce n’est pas parce que vous respectez le code de la route que vous avez le droit, de temps en temps, de prendre les virages à 200 kilomètres à l’heure, ainsi que vous l’avez fait.

Il est possible de modifier la Constitution, et son article 40 comme les autres. En attendant, notre devoir de parlementaire est de le respecter. En voici le texte : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Il n’y a aucune ambiguïté. Vous le respectez très souvent, monsieur le président – sauf que de temps en temps, sans que l’on comprenne pourquoi, selon votre bon vouloir, vous ne le respectez pas.

Quant aux propositions de loi, le président Carrez avait rappelé très clairement que ce n’est pas parce que le bureau autorise le dépôt de l’une d’elles qu’elle est pour autant purgée de son irrecevabilité.

L’article 40 s’accompagne d’une jurisprudence très claire, qui protège les finances publiques. Je ne sais pas où l’on en serait sans elle. Tant que la Constitution n’a pas été modifiée, c’est cet article que nous devons respecter. Monsieur le président, je ne suis pas convaincu par vos arguments.

M. Éric Coquerel, rapporteur. Je ne désespère pas d’avoir le temps de déposer une proposition de loi constitutionnelle visant à abroger l’article 40 de la Constitution, ainsi que certains de mes illustres prédécesseurs l’avaient fait.

Je suis en désaccord total avec votre analyse, monsieur Cazeneuve, qui me semble partiale. Selon vous, l’article 40 serait gravé dans le marbre et la jurisprudence qui s’y rattache n’évoluerait pas. C’est totalement faux : la lecture des neuf rapports de mes prédécesseurs montre que la jurisprudence n’a cessé d’évoluer. Ce n’est pas moi qui ai inventé les jurisprudences relatives aux charges indirectes, aux charges de gestion, aux charges de trésorerie, à l’État employeur et aux expérimentations ! La Constitution n’est pas non plus gravée dans le marbre, elle a été révisée à plusieurs reprises. On peut être favorable à la Constitution tout en souhaitant la modifier, car il faut bien admettre que c’est une norme vivante qui bénéficie – ou subit – des évolutions jurisprudentielles.

J’ai apporté des évolutions jurisprudentielles, mais jamais je n’ai validé un amendement ou une proposition de loi aggravant une charge ou ne prévoyant pas de gage. Vous estimez que ce fut le cas pour la proposition de loi du groupe LIOT visant à abroger la réforme des retraites : c’est votre point de vue, le mien est différent. Plusieurs propositions de loi prévoyant des dépenses significatives, gagées exactement de la même façon, avaient précédemment été validées par le bureau – y compris lorsque M. Woerth présidait la commission des finances ; or cette proposition de loi ne l’a pas été. La question est donc bien politique : cette fois, le gouvernement craignait de ne pas disposer d’une majorité.

Je serais très heureux qu’on saisisse le Conseil constitutionnel de ce type de questions afin qu’il les tranche. Cela éviterait des débats. Par exemple, certains ont estimé que je n’aurais pas dû déclarer la loi PLM recevable car elle était coûteuse, et que le Conseil constitutionnel la jugerait irrecevable. Or il l’a déclarée recevable. Il convient que chacun reste prudent dans ses interprétations.

Lorsque le bureau de l’Assemblée autorise le dépôt d’une proposition de loi, c’est qu’il l’a contrôlée. Si vous estimez que, depuis des années, le bureau ne fait pas ce travail, je vous invite à l’interpeller. Pour ma part, je suis persuadé que si le bureau, au fur et à mesure des années, a fait preuve de souplesse dans son interprétation, c’est parce qu’il a estimé qu’il était important de ne pas entraver l’initiative parlementaire des oppositions. Mais encore une fois, je serais très intéressé que le Conseil constitutionnel soit saisi de la question.

M. Nicolas Ray (DR). L’article 40, très souvent critiqué, n’a jamais été supprimé malgré de nombreuses révisions constitutionnelles. Cet article majeur de la Constitution prévoit un subtil équilibre entre le pouvoir des parlementaires, dépositaires de la souveraineté populaire, et la nécessité de maîtriser les comptes publics et la trajectoire budgétaire.

J’observe que l’application de l’article varie selon qu’il s’agit d’une proposition de loi ou d’un amendement, alors que le texte de la Constitution prévoit un traitement identique.

Pour assouplir encore l’article 40 sans pour autant l’abroger, ne faudrait-il pas autoriser les parlementaires à modifier la répartition des crédits entre les différentes missions ? Cela n’est pour l’instant possible qu’au sein d’une même mission. Par ailleurs, pourquoi ne pas autoriser la diminution de ressources publiques si elle est gagée par une baisse des dépenses publiques ? Enfin, mais je sais que cette proposition remporte peu de succès, ne faudrait-il pas limiter le nombre d’amendements que chaque député pourrait déposer ? Cela permettrait d’éviter des formes d’obstruction qui nuisent à la qualité des travaux et portent atteinte à l’image de notre assemblée auprès de nos concitoyens.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Puisque le président de la République cherche des sujets de référendum, le fameux article 40 en est un ! Je propose que le peuple se prononce sur les modalités de fonctionnement qui privent les parlementaires – qui sont ses représentants – de nombreuses prérogatives lors du vote du budget, qui contraignent leurs amendements, qui ne leur laissent presque aucune marge de manœuvre au sein d’enveloppes prédéterminées. Et en assortissant l’article 40 du 49.3, on ferait un beau tir groupé !

S’agissant de la motivation des décisions, je n’ai jamais réussi à savoir pourquoi un même amendement, à la virgule près, pouvait être déclaré recevable en commission puis jugé irrecevable en séance. Je peux comprendre qu’il ait été examiné un peu vite à un moment, mais tant les services de la commission que ceux de la séance devraient motiver les décisions prises en application de l’article 40.

M. Éric Coquerel, rapporteur. Il faudrait voir au cas par cas. De façon générale, un président de commission n’est pas tenu de me saisir de la recevabilité des amendements déposés sur un texte que sa commission examinera au fond. Il arrive donc qu’un amendement ne soit pas déclaré irrecevable à ce stade mais le soit au moment de son dépôt en séance, moment où j’ai un avis à donner. J’invite donc les présidents de commission à me saisir dès le départ.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Il s’agit d’un amendement que j’avais déposé en commission des finances.

M. Éric Coquerel, rapporteur. J’examinerai le cas que vous évoquez.

Monsieur Ray, je suis favorable à votre première proposition, qui requiert toutefois une modification de la Lolf. Elle permettrait de renforcer l’initiative parlementaire et l’influence des parlementaires sur le budget, ce qui me paraît tout à fait nécessaire.

En revanche, je suis défavorable à votre deuxième proposition, qui conduirait à ce que de simples modalités d’organisation favorisent une politique économique bien particulière : il n’y aurait pas de baisse des impôts proposée sans diminution des dépenses publiques. De façon générale, je suis contre la constitutionnalisation de l’économie : celle-ci doit évoluer en fonction des décisions politiques – c’est la raison pour laquelle j’étais opposé au Traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Enfin, si le nombre d’amendements a considérablement augmenté depuis trois ans, il est déjà arrivé dans l’histoire parlementaire qu’il soit beaucoup plus élevé. Les chiffres actuels s’expliquent notamment par l’absence de majorité et le nombre important de groupes. On voit aussi au fil des années les groupes de la majorité déposer de plus en plus d’amendements.

Dans la situation politique actuelle, je serais plutôt favorable à l’application à la discussion budgétaire d’une sorte de procédure de temps législatif programmé. Mais il faut veiller à ne pas remettre en cause le droit d’amendement. Il faut trouver un équilibre.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Mon groupe a accueilli avec une très grande réserve les conclusions de ce rapport.

L’article 40 visait à limiter l’initiative parlementaire en matière budgétaire afin d’éviter le débordement de propositions dépensières. L’application de cette règle, présentée comme institutionnelle, a fait très souvent l’objet d’une interprétation littérale et formaliste par les présidents de la commission des finances. Comme toute lecture étroite, cette méthode aboutissait à des résultats impeccables dans la forme, mais qui pouvaient se révéler politiquement absurdes. Il pouvait arriver qu’à la marge, les présidents successifs de la commission des finances procèdent à une lecture plus politique de la recevabilité, supposant une interprétation très souple des critères.

M. le président Coquerel propose une évolution jurisprudentielle consistant à inverser l’ordre des priorités : la lecture politique de la recevabilité financière devient le principe, et la lecture technique traditionnelle l’exception.

La composition politique actuelle de l’Assemblée encourage cette interprétation de la règle. Néanmoins, serait-il prudent de renoncer complètement à un mécanisme de contrôle qui se justifie, au regard des impératifs partagés de maîtrise des finances publiques ? Il ne faudrait pas, comme ce fut le cas l’an dernier, qu’une interprétation très large de la recevabilité financière conduise à l’examen de propositions que nous jugeons irréalistes, voire excessives et démagogiques.

Cette approche suscite une opposition ferme de notre groupe, lequel considère qu’en matière budgétaire, le gouvernement doit garder la main et jouer un rôle primordial. Notre groupe ne votera donc pas ce rapport.

M. Éric Coquerel, rapporteur. Je m’étonne de cette conclusion : il ne s’agit dans ce rapport que de présenter ce qui a été fait, pas de valider mes décisions. Sans ce rapport, mes successeurs ne pourraient pas comprendre pourquoi j’ai pris telle ou telle décision. D’une manière générale, les rapports d’information présentés en commission sont votés et publiés.

Vous êtes défavorable à l’absence de contrôle. Pour ma part, je n’ai jamais écrit que je ne voulais pas de contrôle. Je vous invite à lire le rapport – dont j’admets qu’il a été envoyé tard.

J’ai dit, par honnêteté, que je souhaitais l’abrogation de l’article 40. D’abord, cela n’équivaudrait pas à supprimer tout contrôle : penser cela reviendrait à considérer que l’Assemblée est irresponsable – ce n’est pas ma conception de la démocratie parlementaire. Ensuite, l’article étant toujours en vigueur, je ne me suis aucunement exonéré de ce contrôle.

Je vous invite à regarder par-delà la fumée médiatique. Dans la plupart des cas, j’ai été suivi. La baisse du taux d’irrecevabilité a bénéficié à tous les groupes sans que ni la présidente de l’Assemblée ni aucun groupe n’expriment de désaccords. Il y a l’exception des propositions de loi – celle sur EDF, celle sur PLM et celles sur l’abrogation de la réforme des retraites – dont je comprends qu’elles constituent des irritants majeurs. Du reste, j’observe que mes décisions ont été soutenues par des constitutionnalistes et que, si certaines personnes qui se prennent pour le Conseil constitutionnel à elles toutes seules les critiquent, on est loin de l’unanimité pour me donner tort.

Ce n’est pas très grave – cela fait des débats. La présidente de l’Assemblée nationale a pu  parfois avoir une appréciation différente de la mienne, cela n’autorise pas à dire que je n’ai pas exercé le contrôle dont j’étais chargé. Ce n’est pas ce qui s’est passé dans les faits.

La commission autorise la publication du rapport d’information.

 

 

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Information relative à la commission

La commission a nommé Mme Sophie-Laurence Roy rapporteure spéciale des crédits de la mission Monde combattant, mémoire et liens avec la Nation.

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mardi 30 septembre 2025 à 16 heures 45

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Jean-Didier Berger, M. Carlos Martens Bilongo, M. Philippe Brun, M. Eddy Casterman, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, M. Benjamin Dirx, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, M. Pierre Henriet, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, Mme Constance Le Grip, Mme Claire Lejeune, M. Thierry Liger, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Nicolas Metzdorf, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Emmanuel Tjibaou

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Stéphanie Galzy, M. Antoine Golliot