Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Audition de M. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur 2
Mercredi
2 octobre 2024
Séance de 18 heures
Compte rendu n° 2
session ordinaire de 2024 - 2025
Présidence
de M. Florent Boudié, président
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La séance est ouverte à 18 heures.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission auditionne M. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur.
M. le président Florent Boudié. Monsieur le ministre de l’intérieur, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation que je vous ai adressée peu après votre nomination.
Avant de vous donner la parole pour une intervention liminaire et d’entendre les représentants des groupes politiques, je souhaiterais vous poser deux séries de questions.
Monsieur le ministre, depuis votre nomination, le 21 septembre, vous avez déployé beaucoup d’énergie à vous exprimer par voie de presse sur des sujets qui concernent non seulement la Place Beauvau mais aussi la Place Vendôme. Je souhaiterais d’abord vous interroger sur vos récentes déclarations relatives à la notion d’État de droit. Nous avons pris connaissance du compte rendu du dernier Conseil des ministres et avons entendu le Premier ministre, hier, lors de sa déclaration de politique générale. Il reste que votre formule « l’État de droit n’est ni intangible, ni sacré » a suscité de très nombreuses réactions. J’ai moi-même eu l’occasion de dire qu’une République où l’֤État de droit ne serait pas sacré serait une République de sable. Nous attendons des précisions de votre part sur la portée de ces propos. Je me permets de rappeler que l’État de droit, dans notre démocratie républicaine, exige que la puissance publique soit soumise, au même titre que les personnes, au respect du droit, ce qui implique – c’est une condition essentielle, pour ne pas dire sacrée et intangible – que ce respect soit sanctionné en dernier ressort par un juge indépendant. C’est le rôle qu’assume, au sommet de notre hiérarchie des normes, le juge constitutionnel.
Ma seconde série de question porte sur l’exécution de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) – dont 70 % des décrets d’application ont été pris – et sur le respect d’un certain nombre d’engagements de votre prédécesseur, M. Gérald Darmanin. Allez-vous maintenir les crédits supplémentaires de 15 milliards d’euros jusqu’en 2027 ? Confirmez-vous la création, sur l’ensemble de la période, des 8 500 équivalents temps plein (ETP) attendus dans la police nationale, la gendarmerie nationale et les préfectures ? Je rappelle qu’une première vague de création de postes a eu lieu dès avant les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) pour en garantir la sécurité. Par ailleurs, pour la première fois depuis une vingtaine d’années, le nombre d’agents dans les préfectures a augmenté, comme le révèlent les chiffres relatifs à l’évolution des effectifs depuis deux ans. Poursuivrez-vous cette stratégie, en particulier dans les préfectures, pour traiter, notamment, de la situation des ressortissants de nationalité étrangère ?
Confirmez-vous les crédits déployés par la Lopmi en faveur de la sécurité civile, en particulier ceux destinés à l’achat de moyens aériens ? Chacun a en mémoire les mégafeux dont mon département, la Gironde, a été la proie à l’été 2022. Confirmez-vous la création de la Formisc (formation militaire de la sécurité civile) 4 de Libourne, dont les premiers militaires sont arrivés cet été ?
Confirmez-vous également la construction des 1 500 places supplémentaires attendues dans les centres de rétention administrative (CRA) d’ici à 2027, 450 ayant déjà été créées ces dernières années ? Vous proposez de porter la durée maximale de la rétention administrative de 90 à 180, voire 210 jours : à quels types de profils cela s’appliquerait-il ?
Confirmez-vous la création des 239 nouvelles brigades territoriales de gendarmerie ou encore la construction du nouvel hôtel de police de Marseille ?
À quelle échéance prendrez-vous les mesures réglementaires en vue de la régularisation de 10 000 travailleurs sans papiers par an dans les métiers en tension, comme nous l’avons prévu à l’article 27 de la loi « immigration » ?
M. Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur. Il serait présomptueux de ma part de prétendre que, depuis la passation de pouvoirs, il y a huit jours, j’ai eu le temps d’examiner tous les sujets dans le détail, mais je voudrais, à tout le moins, que vous voyiez dans quelle direction je veux aller et quel sens j’entends donner à mon action politique, au-delà des mesures techniques, dans lesquelles elle se perd souvent. C’est le sens qui détermine l’action.
En préambule, je rappellerai que j’ai été, durant quelques années, député puis, longtemps, sénateur. J’ai occupé, au Sénat, les fonctions de président de groupe durant de longues années. Je suis partisan du parlementarisme : je sais ce que le Parlement peut apporter à l’action publique et j’ai toujours veillé scrupuleusement à ce qu’il soit respecté.
La situation politique est inédite, puisqu’il n’y a aucune majorité. L’Assemblée nationale est totalement archipellisée. Le Gouvernement est, en quelque sorte, une union des bonnes volontés. Si vous m’aviez dit, il y a deux mois, que je ferais partie du prochain gouvernement, je ne vous aurais pas cru. Nos convictions peuvent différer mais, comme vous, j’ai, chevillés au corps, l’amour de ma patrie et la volonté de servir l’intérêt général : c’est l’axe de mon engagement politique, dont je ne dévierai jamais. J’ai considéré, avec d’autres, qu’à un moment où la France était menacée par une crise multiforme, il convenait de monter au créneau et d’assumer des responsabilités. Cela comporte de grands risques, car nous ne savons pas combien de temps durera le Gouvernement mais il est important que chacun de nous, dans la position qu’il occupe, soit utile aux Français, d’où qu’ils viennent, quel que soit leur vote. Il faut se garder de tout esprit de sectarisme, comme l’a dit le Premier ministre lors de la passation de pouvoirs.
Je voudrais vous présenter, aussi précisément que possible, nos chantiers prioritaires, qui sont la sécurité intérieure, l’immigration, l’islam politique, l’organisation territoriale de l’État et la protection civile. Il ne s’agit pas seulement des priorités du Gouvernement, que le Premier ministre a déclinées hier lors de sa déclaration de politique générale, mais aussi, pour ce qui concerne mon ministère, des attentes des trois quarts des Français. Nos compatriotes veulent plus de sécurité. Ils souhaitent – y compris les électeurs de gauche – que l’on reprenne le contrôle de l’immigration, comme le montrent de très nombreuses études émanant d’instituts très divers et portant sur des échantillons fort différents. Il ne s’agit donc pas d’une lubie personnelle : j’ai la volonté, comme tous les démocrates, de répondre aux aspirations des Français. Ainsi qu’on le voit en Europe, lorsqu’on néglige les aspirations des peuples, ils trouvent, à un moment ou à un autre, le moyen de vous le rappeler, souvent brutalement.
J’entends protéger les Français contre la montée des violences. Mon prédécesseur, Gérald Darmanin, avait parlé d’« ensauvagement ». Le chef de l’État, Emmanuel Macron, avait évoqué une forme de « décivilisation ». Ce sont des termes que je reprends sans aucun problème à mon compte car ils se justifient par les chiffres : on relève, toutes les vingt minutes, un refus d’obtempérer ; toutes les heures, une attaque avec arme ; et tous les jours, plus d’un millier d’agressions. Il faut mettre la tête dans le sable pour ne pas voir cette réalité. Malheureusement, cela va au-delà des réalités statistiques car, derrière ces chiffres, ce sont des existences qui sont amputées, des corps qui sont brisés et, parfois, des vies qui sont volées. La première des libertés est l’ordre et la tranquillité. Là où il n’y a pas d’ordre, il n’y a ni liberté, ni égalité – car la loi du plus fort règne –, ni fraternité.
On ne peut répondre à ces attentes par petites touches : on doit le faire de façon globale, dans un sens vertical mais aussi horizontal. Vertical, car la stratégie doit se déployer simultanément en direction du haut et du bas du spectre. Le haut du spectre, c’est la gangrène que constitue la criminalité organisée et, en particulier, le narcotrafic ; elle peut aller très loin, jusqu’à menacer la souveraineté de notre pays. Il faut agir dans le même temps sur le bas du spectre, c’est-à-dire sur la délinquance du quotidien, qui empoisonne l’existence de nos concitoyens.
Nous devons intervenir, dans le même temps, à une échelle horizontale, car les nombreux acteurs formant le continuum de la sécurité doivent travailler main la main : outre les policiers et les gendarmes, qui relèvent de mon ministère, sont concernés, notamment, les douaniers et les policiers municipaux. Nous devons assumer ce continuum avec le ministère de la justice. Je le dis depuis longtemps : il ne peut pas y avoir de résultats si l’attelage Beauvau-Vendôme tire à hue et à dia. Nous sommes nombreux à avoir assumé des fonctions exécutives locales, et nous savons que l’exercice des responsabilités exige de la cohérence et ne se satisfait pas d’une action parcellaire.
Pour ce qui est du haut du spectre, je voudrais revenir sur les opérations « place nette » diligentées par mon prédécesseur, qui ont commencé il y a près d’un an et pour lesquelles nous disposerons bientôt d’un retour d’expérience (retex). On peut déjà dire, à ce stade, que l’efficacité de ces actions dépend de leur cohérence. Leur réussite exige une préparation très en amont, le concours des services fiscaux et, surtout, la judiciarisation, autrement dit, l’implication des procureurs. Je vous en parlerai plus en détail lorsque nous disposerons du retex définitif.
Face à la criminalité organisée, il faut cibler en profondeur et taper au portefeuille : Al Capone, rappelons-le, a chuté sur une enquête fiscale. Nous devrons mener des enquêtes patrimoniales. Il faudra sans doute un texte – que M. Dupond-Moretti avait commencé à préparer – sur le statut du repenti et les indicateurs. L’affaire qui vient de se solder par la relaxe d’un commissaire divisionnaire a donné lieu à une réflexion sur l’encadrement de la coopération entre nos forces de sécurité intérieure et les indicateurs. Si l’on n’assure pas cet encadrement, les policiers et les gendarmes n’auront pas d’information. Cette coopération doit s’inscrire dans le cadre de l’État de droit.
Il nous faudra aussi, me semble-t-il, un texte sur le narcotrafic. Ce phénomène ne constitue pas seulement une forme de délinquance : il soulève également des enjeux de souveraineté et de corruption. J’avais été à l’initiative de la création d’une commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic, qui était présidée par Jérôme Durain, sénateur socialiste, et dont le rapporteur, Étienne Blanc, appartient au groupe Les Républicains. Leurs propositions pourraient, à mon sens, être enrichies par votre commission pour nous permettre de déployer une action vigoureuse et rapide. Je pose la question, en prenant tout le monde à témoin : est-on prêt, en France, à stopper un phénomène qui pèse entre 3 et 6 milliards et qui, parfois, gangrène un certain nombre de réseaux dans les territoires ?
Concernant le bas du spectre, je souhaiterais que nous agissions dans trois directions. D’abord, je constate que nous avons un problème avec la filière d’investigation. On a beaucoup investi dans les opérations « place nette » et pour avoir du « bleu » sur la voie publique, mais des centaines de milliers d’affaires ne sont pas traitées. Nous ne pourrons pas obtenir de résultats si nous ne confortons pas la filière d’investigation. La procédure dure aujourd’hui un an. Après avoir déposé plainte, les gens n’ont plus de nouvelles. Cela explique qu’un nombre élevé de Français considèrent qu’il y a un problème avec le service public de la justice. Les services travaillent sur la question de l’investigation. Je reviendrai devant vous pour vous donner plus de précisions.
Il nous faut ensuite améliorer l’accueil des victimes et, pour ce faire, accomplir un effort de formation des personnels qui sont au contact de la population, dans les gendarmeries et les commissariats. L’accueil des victimes est fondamental – je me trouvais hier auprès de la famille de Philippine. C’est un service public comme un autre : lorsqu’on reçoit un usager, et singulièrement une victime, il faut faire preuve d’un minimum de compassion.
Enfin, il convient de se concentrer non seulement sur la victime et l’auteur, comme on s’y emploie actuellement, mais aussi sur le citoyen, en développant la visibilité et la présence des forces de sécurité. Les statistiques sont très mauvaises, depuis un an, dans les transports. Il nous manque un texte en la matière – une navette était en cours, si je ne me trompe. Un certain nombre de personnes, à l’instar de Jean Castex, y sont très attachées. Si l’on veut traiter la délinquance là où elle se produit, il faut porter une grande attention à cette dimension, ce qui implique de sécuriser les trains mais aussi les gares et leurs abords. Nous pourrions recourir à cette fin aux réservistes, qui ont été peu employés jusqu’à présent.
Le continuum de sécurité est essentiel, non seulement au sein de mon ministère, entre la gendarmerie, la police nationale, la police municipale et la police des transports, mais aussi avec l’ensemble des partenaires et les collectivités territoriales, notamment par le biais des contrats locaux de sécurité, très appréciés des maires. Nous disposons de moyens pour renforcer l’efficacité des polices municipales.
Le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice mènent traditionnellement un travail conjoint, même si leur vision des choses peut différer. Cela étant, je revendique la reconnaissance de la légitimité de notre action. Je me suis rendu à La Courneuve pour rencontrer des policiers. L’un s’est fait broyer une main par un individu mineur ayant trente-trois antécédents, dont un vol avec actes de torture qui ne lui a pas valu un seul jour de prison. Je dois la protection aux policiers et aux gendarmes, ainsi qu’à leur famille. Ce que je demande, c’est que l’on agisse main dans la main avec le ministère de la justice. Didier Migaud et moi en avons beaucoup parlé et je suis très heureux des annonces faites par le Premier ministre sur les courtes peines – dont je suis un partisan de longue date – et sur les peines planchers. Sans inflexion de la politique pénale, nous nous heurterons à des difficultés – je le dis tout de go.
Le deuxième chantier consiste à réduire l’immigration illégale mais aussi légale : c’est un objectif que j’assume. L’an dernier, la France a accueilli 470 000 étrangers, si l’on prend en compte les premiers titres de séjour délivrés et les demandes d’asile acceptées. À ce chiffre s’ajoutent les personnes arrivées illégalement. Au total, plus d’un demi-million de personnes sont entrées en France. Ce n’est pas tenable : nous devons reprendre le contrôle de la politique migratoire. Ne pas le faire revient à déléguer l’exercice de cette politique aux passeurs, qui font du trafic d’êtres humains. J’ajoute que, si le nombre de personnes entrant en France est trop élevé, il est impossible de les accueillir correctement.
Pour mener une action globale et cohérente, il faut agir simultanément – sous peine d’échec – à un triple niveau : international, européen et national.
Sur le plan international, nous rencontrons un problème avec les laissez-passer consulaires, comme on l’a vu dans l’affaire du meurtre de Philippine. Chaque jour, je prends connaissance de cas terribles, qui ne parviendront pas tous à la lumière médiatique. Je suis frappé par la chronique quotidienne des faits abominables. La butée, dans notre maîtrise de l’immigration, notamment pour l’éloignement, ce sont les laissez-passer consulaires. Comme l’a dit le Premier ministre, nous allons multiplier les contacts et, surtout, les accords bilatéraux. Nous comptons sur la bonne volonté de nos partenaires, en nous réservant la possibilité d’utiliser tous les moyens à notre disposition pour faire pression.
Le premier de ces moyens est la politique d’octroi des visas. À titre d’exemple, nous accordons entre 203 000 et 204 000 visas aux ressortissants algériens, alors que l’Algérie nous octroie moins de 2 000 laissez-passer consulaires. Je demande la réciprocité, qui est la règle en droit international.
Le deuxième moyen est l’aide publique au développement (APD). Si un pays ne joue pas le jeu, pourquoi l’aiderait-on en lui apportant une telle aide ?
L’Europe nous offre une troisième possibilité, qui consiste à mettre à profit la révision du mécanisme des préférences commerciales dans le cadre d’une négociation à l’échelle européenne. Nous ne devons pas écarter cette possibilité. Michel Barnier a cité d’autres accords, tel l’accord franco-algérien, auquel nous pourrions aussi nous intéresser. Je me rendrai demain à Naples, pour un G7 des ministres de l’intérieur, au cours duquel j’aurai des entretiens bilatéraux avec les représentants des grands pays européens, parmi lesquels le Royaume-Uni. Au sein du monde occidental, nous partageons les mêmes préoccupations en matière d’immigration.
Au niveau européen, il est essentiel que soit déployé très rapidement le pacte sur la migration et l’asile, notamment parce que la fiction juridique de non-entrée sur le territoire européen permettra de retenir les personnes le temps que les procédures soient mises en œuvre. Ce pacte a été acté, au sein du trilogue, tant par les États membres que par le Parlement et la Commission européenne. Nous étudions actuellement les conditions de son déploiement, lequel nécessitera vraisemblablement des actes de transposition. Quant à la mal nommée directive « retour » – qui rend quasiment impossibles les retours ! –, la volonté de la remettre en chantier s’est heurtée, depuis 2018, à l’absence de consensus européen sur le sujet. Or aujourd’hui, un nombre croissant d’États membres – certains étant dirigés par des gouvernements socio-démocrates – souhaitent engager sa révision. On pourrait ainsi envisager, dès 2025, d’inverser la charge de la preuve entre l’État et l’étranger qu’il souhaite éloigner : il reviendrait à ce dernier de prouver qu’il n’est reconductible ni dans un pays de transit sûr ni dans son pays d’origine. Il s’agirait d’une évolution considérable, à laquelle une très large majorité d’États membres, ainsi que la Commission, sont favorables.
Au niveau national, je donnerai des instructions aux préfets pour faciliter les expulsions. Je veillerai notamment à ce qu’ils s’approprient les dispositions de la loi pour contrôler l’immigration, laquelle lève la plupart des protections absolues et relatives dans le but de faciliter les interdictions du territoire français (ITF) et les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Nous réécrirons par ailleurs la circulaire Valls. Je pense enfin, pour ma part, qu’un certain nombre de cavaliers législatifs censurés par le Conseil constitutionnel pourraient être remis en chantier dans un autre vecteur législatif.
J’ai été interrogé tout à l’heure par votre Assemblée, lors des questions au Gouvernement, sur le meurtre de la jeune Philippine. Franchement, pourquoi la durée de rétention des auteurs de crimes sexuels ne pourrait-elle pas aller jusqu’à 210 jours, comme pour les terroristes ? Qui, ici, s’opposerait à une telle évolution législative ? De la même façon, la loi ne devrait-elle pas prévoir que le juge des libertés vérifie l’absence de dangerosité d’une personne, plutôt que l’existence pour elle d’une perspective de retour ? Les Français comprennent cela ! Croyez-moi, ils ont du bon sens. Ce travail est devant nous, et nous le ferons.
Le troisième chantier concerne l’islam politique. Je rappelle, à ce sujet, que le Conseil constitutionnel a considéré la laïcité comme l’un des seuls principes inhérents à notre identité constitutionnelle. Il existe aujourd’hui un islam politique très intrusif, le frérisme, dont nos services observent la matrice idéologique : la prééminence de la loi coranique sur la loi républicaine ; l’infériorisation de la femme ; l’antisémitisme qui se découvre sous le masque de l’antisionisme ; et bien souvent, l’instrumentalisation de l’islamophobie. Nous devons aujourd’hui passer de la lutte contre le séparatisme à la lutte contre l’islam politique intrusif. J’ai pris connaissance à ce sujet d’un rapport très intéressant que mon prédécesseur Gérald Darmanin avait commandé à l’ambassadeur François Gouyette, fin connaisseur des pays arabes, et au préfet Pascal Courtade – vous voyez que ce n’est pas une lubie personnelle ! Je demanderai à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) la remise d’un nouveau dossier circonstancié sur le sujet, dont je rendrai publique la partie non protégée par le secret-défense : j’assumerai ce name and shame.
Sur le plan de la répression, nous prendrons le temps d’élaborer une nouvelle incrimination pénale élargissant les possibilités de dissolution des associations au-delà de ce qu’a fait mon prédécesseur : aujourd’hui, les seules incriminations nous permettant d’agir avec certitude sans risquer les foudres des juridictions sont l’apologie du terrorisme, l’incitation à la haine ou encore la discrimination. Nous devons agir d’une main tremblante, afin que cette nouvelle incrimination soit bien dimensionnée sur le plan juridique et qu’elle respecte évidemment l’État de droit. Mes services juridiques ont commencé d’y travailler. En nous appuyant sur les informations remontées au travers des groupes d’évaluation départementaux de la radicalisation islamiste (GED) présidés par les préfets, nous devons systématiser les contrôles d’écoles hors contrat, d’associations et de clubs de sport. Nous allons déployer notre action, dans les territoires, à l’ensemble des activités visées par l’entrisme de l’islam politique. Je n’oublie pas le haut du spectre et voudrais rendre hommage à nos services qui, même si cela ne fait pas la une de la presse, déjouent des attentats. Ils sont de très bon niveau, mais nous ne devons pas relâcher notre vigilance. Les événements qui se déroulent actuellement au Moyen-Orient pourraient en effet avoir des conséquences. Pour l’heure, le Hezbollah s’est toujours cantonné au territoire libanais mais on ne peut exclure qu’à l’avenir, il mène des actions ailleurs. Nous assurons dans ce domaine une surveillance très précise.
Le quatrième chantier porte sur la modernisation de l’action de l’État. Je crois avoir été le plus départementaliste de tous les présidents de région : selon moi, la déconcentration et la décentralisation – des termes imparfaits, auxquels je préfère celui de « libertés locales » – doivent reposer non pas sur la région mais sur le département, dont le préfet doit unifier la voix des différents services et organismes de l’État. En tant qu’élu local j’ai vu parfois des directions régionales, voire départementales, contredire des préfets. Comme facteur de simplification, je crois profondément au pouvoir de dérogation, que j’avais encouragé au Sénat dans le cadre d’une expérimentation menée dans dix départements. Avec un vrai pouvoir de dérogation – lequel a certes été élargi, mais reste très peu utilisé –, les préfets pourraient adapter les normes au terrain. Tout en étant attaché, par tradition politique, à l’unicité de notre nation, je pense que nous avons besoin actuellement d’un peu de souplesse.
Je ne m’étendrai pas sur la dématérialisation et l’intelligence artificielle, qui constitueront l’une des actions prioritaires du ministère : si nous ne nous saisissons pas de ces outils, qui pourront être utiles dans chacun des chantiers que j’ai évoqués, nous risquons de rater la grande révolution technologique des prochaines années.
J’en viens à la sécurité civile. En tant que président de département, j’ai géré un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) et, à ce titre, je connais bien les sapeurs-pompiers et les associations. Je suis très attaché à la singularité du modèle français, qui diffère des modèles anglais et allemand par exemple. Il repose en effet sur la mixité des statuts, associant volontaires et professionnels mais aussi militaires – je pense au bataillon de marins-pompiers de Marseille. Ce modèle doit être protégé contre la directive européenne sur le temps de travail, au titre de laquelle le volontariat devrait être assimilé au salariat : si tel était le cas, il en serait fini de ce modèle fiable, qui offre un extraordinaire rapport coût/qualité. Dans mon département, j'avais refusé que le nombre de centres de secours soit réduit de moitié : chacun d’entre eux, en effet, est un drapeau du civisme planté dans l’un de nos villages – ce qui est irremplaçable.
Cela soulève clairement une question de moyens. Or le ministère a déjà beaucoup donné cette année : après l’annulation de crédits de 577 millions d’euros décidée en février, il a connu un gel de 500 millions cet été. Par rapport à la Lopmi, ce milliard d’euros en moins pose un problème. Le ministère doit en effet financer 239 brigades de gendarmerie, dont 80 nouvellement créées, mais aussi le renforcement des effectifs et les CRA. Nous aurons besoin, dans ce domaine, de l’aide du Parlement.
Je suis très attaché, aussi, à la quatrième Unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC), basée à Libourne. En tant que président de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia, qui avait fait des dizaines de morts, dont vingt-neuf dans la seule commune de La Faute-sur-Mer je me suis rendu dans un laboratoire d’épidémiologie climatique aux Pays-Bas : les terres y étant en dessous du niveau de la mer, une catastrophe y a fait un jour près de 2 000 morts. L’un des chercheurs m’avait expliqué qu’avec chaque élévation de dix ou quinze centimètres du niveau de la mer, l’occurrence centennale de certains événements pourrait devenir décennale. Les statistiques montrent que les événements climatiques les plus violents se concentrent sur les vingt-quatre premières années de notre siècle. Je veillerai à ce que nous restions vigilants sur ce point.
Je voudrais dire un mot, enfin, sur l’État de droit, au sujet duquel une partie de mon propos a été volontairement coupée. L’État de droit, ce sont des principes intangibles : des normes, une hiérarchie normative, un contrôle juridictionnel – pour contenir l’État, notamment, vis-à-vis des libertés publiques – et une séparation des pouvoirs, trouvant la source de leur légitimité dans la volonté générale. Dans nos démocraties libérales, l’État de droit articule en permanence cette légitimité populaire, cette souveraineté, avec l’ensemble de ces principes. À aucun moment, je n’ai voulu abolir l’État de droit. J’ai simplement dit qu’il fallait déplacer le curseur, dans l’État de droit, entre les libertés publiques et la protection de la société, comme nous l’avons fait lorsque notre pays a été frappé par le terrorisme puis touché par le covid.
Si j’ai fait cette déclaration, ce n’est aucunement pour remettre en cause l’État de droit mais pour contester ceux et celles qui y agrègent des règles qui n’en sont pas constitutives. Je l’ai dit tout à l’heure : lorsque les règles de droit ne protègent pas la société, on les change ! L’étude des différentes jurisprudences est passionnante. Lorsque, dans son arrêt Quadrature du Net, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que les opérateurs ne pouvaient conserver certaines données, y compris pour lutter contre le terrorisme, le Conseil d’État a considéré qu’elle excédait ses pouvoirs. Il faut adapter en permanence non pas les principes intangibles de l’État de droit mais les règles de droit, lorsque cela est nécessaire pour protéger nos concitoyens. Il n’y a pas d’impossibilisme juridique !
M. Julien Rancoule (RN). Vous étiez présents la semaine dernière, avec le Premier ministre Michel Barnier, au 130e congrès national des sapeurs-pompiers à Mâcon. Comme vous avez pu l’entendre, un certain nombre de problèmes menacent aujourd’hui plus que jamais notre modèle de sécurité civile et doivent donc être traités. Sans prétendre à l’exhaustivité, je voudrais tout d’abord vous alerter sur le système de volontariat, mis en danger par une série de décisions émanant des plus hautes instances européennes. Notre système, fondé sur l’engagement citoyen altruiste, est un pilier essentiel de notre sécurité civile : pour rappel, le volontariat représente 79 % des effectifs et 67 % du temps d’intervention. La préservation de notre modèle doit passer par l’exclusion des sapeurs-pompiers volontaires du champ d’application de la directive européenne sur le temps de travail, comme je le préconise dans la proposition de résolution que j’ai de nouveau déposée le 16 septembre dernier. Je suis ravi des propos que vous avez tenus à ce sujet, monsieur le ministre. Comme le Président de la République, vos prédécesseurs ont fréquemment abordé le sujet ces dernières années, mais sans agir. J’espère que vous passerez ce cap. Nous déplorons par ailleurs que n’ait toujours pas été publié le décret d’application accordant une bonification de trimestres de retraite aux sapeurs-pompiers volontaires au titre de la solidarité nationale – conformément à une proposition adoptée par le Parlement à l’unanimité il y a un an et demi.
D’autres problèmes méritent d’être soulevés, comme l’indisponibilité de Canadairs, qui s’aggrave chaque année. L’été a été particulièrement difficile pour les pilotes de la sécurité civile qui ont dû une nouvelle fois pallier les manques. Nous devons d’urgence nous doter de moyens suffisants pour faire face au risque de multiplication des feux ces prochaines années. La France accuse également un retard dans la prévention, le dépistage et la reconnaissance des maladies professionnelles chez les sapeurs-pompiers, pourtant régulièrement exposés à des substances dangereuses. Quelles sont vos priorités et engagements, monsieur le ministre, dans le domaine de la sécurité civile ?
M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Je vous remercie, monsieur le ministre, de vous être rendu disponible aussi rapidement. Notre groupe n’a eu de cesse, depuis 2017, d’agir pour accroître la sécurité de nos concitoyens, renforcer notre justice et améliorer sans cesse nos politiques d’accueil, d’intégration et de contrôle de l’immigration. Et contrairement à ce qu’affirment nombre de commentateurs populistes, les résultats sont bien là, comme nous le rappelait la semaine dernière Laurent Nuñez, préfet de police de Paris. Bien entendu, des travaux restent à mener et des politiques doivent encore être renforcées. Vous avez ainsi cité deux chantiers à mener avec la justice, la lutte contre les réseaux de stupéfiants et l’accueil des victimes – peut-être pourriez-vous y revenir ? –, ainsi que la lutte contre l’islam politique.
Je ne peux cependant vous cacher que vos multiples prises de parole depuis une semaine, assez éloignées de la tonalité voulue par le Premier ministre, ont quelque peu surpris, interrogé, inquiété voire indigné notre groupe – qu’il s’agisse de vos propos sur l’État de droit, sur la justice ou sur l’immigration. Des clarifications doivent y être apportées, au regard notamment de la déclaration de politique générale du Premier ministre.
J’ai par ailleurs plusieurs questions. Pouvez-vous nous garantir la bonne et entière application de la Lopmi, sans décalage budgétaire ? Avez-vous des corrections à y apporter ? Ma question est la même au sujet de la loi relative à l’immigration adoptée l’hiver dernier, dans les conditions que vous connaissez puisque vous étiez membre de la commission mixte paritaire. L’appliquerez-vous ? Quels sont les points concrets que vous souhaitez modifier ? Enfin, nous avons observé la semaine dernière quelques escarmouches avec votre collègue de la justice : pourriez-vous nous dire ce que seront vos relations de travail, et nous rassurer sur la bonne entente entre la place Beauvau et la place Vendôme ?
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Il y a deux jours, vous parliez d’État de droit. Or il n’y a pas de démocratie en République sans État de droit, qui la fonde et la garantit. Ce concept juridique doit régir votre pratique en tant que ministre de l’intérieur. Il est donc fondamental de le comprendre et d’en mesurer l’importance. Ce qui pose problème, c’est que vous évoquiez l’État de droit pour en pervertir l’essence. Vous avez ainsi déclaré que l’État de droit n’était ni intangible ni sacré. Cette déclaration tout à fait mesurée est révélatrice de l’idéologie très préoccupante qui est la vôtre. Cela nous semble extrêmement grave au regard de la fonction que vous exercez. L’État de droit désigne un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Il s’oppose au pouvoir de l’arbitraire et, grossièrement, répond à la formule « nul n’est au-dessus de la loi » : ni vous, membre de l’exécutif, ni mes collègues et moi-même, qui représentons le législateur, ne le sommes. L’État de droit est donc un système de limitation non seulement des autorités exécutives et administratives mais aussi du corps législatif.
Puisque vous remettez cela en question, avez-vous pour projet de vous affranchir des lois et des droits, pour ne leur substituer que des devoirs ? Vous avez ajouté, à la suite de cette déclaration, que la source de l’État de droit c’était la démocratie, le peuple souverain. Il y a là une grossière erreur, puisque c’est la démocratie qui se fonde sur l’État de droit et non l’inverse. C’est parce que nous respectons les trois piliers caractérisant un État de droit – la hiérarchie des normes, l’égalité des citoyens devant la loi et la séparation des pouvoirs – que le peuple est souverain et donc, in fine, que nous vivons dans un état démocratique. Considérez-vous qu’un système arbitraire et autoritaire serait plus respectueux des volontés du peuple et de celles de votre gouvernement ? Partagez-vous l’idée que le problème de la police, c’est la justice ?
M. Roger Vicot (SOC). Vous avez débuté dans vos fonctions il y a quelques jours, monsieur le ministre, sous les auspices d’un champ lexical relativement restreint. J’avais déjà noté l’ordre en premier lieu, l’ordre en second lieu et l’ordre en troisième. En vous écoutant avec beaucoup d’attention tout à l’heure, j’ai ajouté à cette liste les mots « gangrène », « corruption », « répression », « taper » – et je ne suis pas exhaustif. Je suis en désaccord total avec vous lorsque vous employez indifféremment les mots « ordre » et « sécurité » : celle-ci est un droit universel, incontestable, tandis que l’ordre s’appuie les valeurs subjectives de celui qui le prône – par exemple, l’ordre moral. On voit bien là l’orientation que vous voulez donner à votre ministère, qui sera marqué par une conception extrêmement autoritaire de l’action régalienne de l’État. Le Premier ministre nous a indiqué hier que la présence des policiers sur le terrain devrait être la norme, quand leur présence dans les commissariats devrait être limitée au minimum nécessaire. Emmanuel Macron avait tenu le même discours en 2017, lorsqu’il avait présenté la police de sécurité du quotidien, et l’avait répété en 2022, avec les résultats que l’on connaît.
Quelle conception avez-vous, si vous en avez une, de la police de proximité ? Doit-elle selon vous être présente en amont de la commission des faits ? Doit-elle se trouver partout, près de tous les acteurs de la ville, et non pas seulement être une police d’intervention ? Surtout, doit-elle être active dans sa relation avec la population ? J’aimerais savoir enfin si vous êtes toujours favorable, pour les forces de l’ordre, à la présomption de légitime défense, laquelle serait évidemment irréfragable et exclurait tout contrôle du juge.
M. Ian Boucard (DR). Merci, monsieur le ministre, pour votre présence et pour les pistes que vous avez présentées. Je voudrais rappeler à nos collègues de gauche, comme nous l’avons fait à de nombreuses reprises depuis 2017, que les plus pauvres, qu’ils prétendent défendre, sont toujours les premières victimes de l’insécurité. C’est la raison pour laquelle nous soutenons, à droite, une politique ferme en matière de sécurité : vous aurez notre soutien, monsieur le ministre. Nous soutenons également les forces de l’ordre, qui sont le plus beau visage de la République. Ces hommes et ces femmes de la police nationale, de la gendarmerie nationale ou des douanes, qui vêtissent l’uniforme de la République pour protéger les vies des citoyens, sont malheureusement trop souvent victimes, ici, de propos violents.
Vous avez rappelé qu’il se produisait plus de soixante-dix refus d’obtempérer par jour, aboutissant parfois à des blessures voire au décès de membres des forces de l’ordre, et provoquant parfois d’autres accidents. Quelles sont vos pistes pour lutter contre ce fléau ? Notre groupe avait évidemment soutenu la proposition de notre collègue Naïma Moutchou visant à rétablir les peines planchers à l’encontre de ceux qui agressent les forces de l’ordre. Le garde des sceaux de l’époque, M. Éric Dupond-Moretti, l’avait malheureusement repoussée mais nous espérons pouvoir la remettre sur la table. Par ailleurs, je déposerai demain une proposition de loi visant à supprimer la possibilité de sursis pour les auteurs de refus d’obtempérer : je crois nécessaire, pour éviter d’autres drames, de punir plus sévèrement leurs auteurs.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). J’exprime la profonde inquiétude du groupe Écologiste et social à la suite de vos récentes déclarations. À peine nommé, vous remettiez en cause l’État de droit, ce principe fondamental qui n’empêche en aucun cas l’évolution de la loi, mais qui y soumet l’administration et ses agents. En reprenant les mots et le combat historique de l'extrême droite pour un État et des administrations arbitraires, vous légitimez une vision du pouvoir fondamentalement contraire à notre histoire républicaine, et le recadrage opéré en début d’audition peine à nous convaincre.
Vous ne ferez pas de la France une démocratie illibérale comme on les voit se multiplier en Europe, où la force et la contrainte administrative s’appliquent selon le bon vouloir des gouvernements et des administrations. Nombre d'entre nous avons été élus grâce à des voix dont la seule revendication était le refus de l'extrême droite, et je dois admettre ma surprise et ma crainte que beaucoup tolèrent les concessions politiques qui lui sont faites. Les années passées ont pourtant démontré que ce n'est ni en reprenant la rhétorique de l'extrême droite, ni en appliquant ses fausses solutions qu'elle reculera ; au contraire, plus sa vision tronquée et trompeuse du monde et des hommes est reprise, plus elle progresse dans les consciences et les urnes.
Hier après-midi, Michel Barnier concluait son discours par cette formule : « Prenons soin de la République, elle est fragile. » Quand on voit quelle est votre compréhension de la République, on ne peut que lui donner raison. Qu’entendez-vous par : « L'État de droit n’est pas intangible » ? Est-ce une conviction profonde ou bien un choix tactique pour séduire les députés RN, dont le soutien est nécessaire au maintien de votre gouvernement ?
M. Éric Martineau (Dem). Vous présentez l’ambition de rétablir l'ordre et nous savons combien les attentes des Français sont fortes sur la sécurité. Puisque c’est l'argent disponible qui orientera votre action, nous nous interrogeons sur la trajectoire que vous entendez donner à votre action dans le contexte dégradé qu’implique un déficit public important.
En 2022, la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur fixait un budget de 15 milliards d'euros d'ici à 2027, soit une hausse de 22 % en cinq ans. L'objectif était de doubler la présence des forces de l'ordre sur le terrain d'ici à 2030 et de créer 200 nouvelles brigades de gendarmerie. Les attentes sont également fortes en matière de renouvellement du parc automobile et immobilier. Le rapport de la Cour des comptes sur la première année d’application de la Lopmi, paru en avril 2023, en tire un premier bilan décevant : il pointe que la hausse des rémunérations et l'inflation ont conduit à une réduction des investissements prévus. Or, si la rémunération des forces de l'ordre est un point important, leur fidélisation passe aussi par les investissements dans l'immobilier, le numérique et les moyens lourds pour améliorer les conditions de travail.
Tiendrez-vous les engagements pris sous la précédente législature pour l'année 2025 ? Si la trajectoire budgétaire est contrainte par rapport à la programmation initiale, quelles seront vos priorités ?
Mme Naïma Moutchou (HOR). Je n’aime pas entendre dire que le problème de la police, c’est la justice ou, inversement, que la police ne fait pas son travail. De même, quand on entend que M. Retailleau est un ministre de droite et M. Migaud un ministre de gauche, on a l’impression d’un duel plutôt que d’un duo. La réforme de la procédure pénale est un chantier essentiel qui nécessitera une entente cordiale entre les deux ministères. L’échec des politiques publiques est parfois dû à la mésentente entre deux personnalités ; si l’on veut aller au bout d’un sujet, il faut savoir mettre les désaccords sur la table. Ma question est donc simple : comment apaiser les conflits et restaurer la confiance entre les forces de sécurité et les autorités judiciaires ?
M. Paul Molac (LIOT). Vous avez défini ce que vous entendiez par « État de droit ». J’aurais aimé que vous parliez également de libertés. En effet, depuis que je siège dans cette commission, je vois la loi devenir de plus en plus répressive : des mesures antiterroristes ont finalement été inscrites dans la loi générale et, lors du covid-19, on s'est assis sur le consentement des patients. C’est loin d’être un progrès et j’ai quelquefois peur que l'on s'oriente vers un État policier. On parle de peines planchers, d'alourdissement des peines, de places de prison… Ce qui me paraît le plus important, c’est la police du quotidien – la police de proximité, dont je n’aurai pas la cruauté de rappeler qui l’a supprimée.
L’ordre doit être appliqué avec un certain discernement. Les justiciables entrent en prison mauvais et en ressortent encore plus mauvais ; le juge est là pour apprécier s’il faut les y envoyer ou pas. Je n'ai aucune sympathie pour l'islam politique, mais où s'arrête-t-on ? La liberté de conscience est une liberté fondamentale chèrement acquise.
Enfin, je constate que vous ne faites pas confiance aux élus locaux. Ce que vous proposez, c’est de la déconcentration : vous voulez donner plus de pouvoir non pas aux élus du peuple, mais au préfet, qui est un fonctionnaire aux ordres de Beauvau. Ce n'est pas la notion que je me fais de la démocratie locale, laquelle est limitée depuis 1983 par la réduction de l'autonomie fiscale des collectivités et par une réglementation impossible à appliquer.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Dans votre discours, on entend enfin les solutions aux maux qui ravagent la France. Nous avons tous, comme vous, la défense de notre nation et de l'intérêt général chevillée au corps. Je me réjouis des actions que vous comptez mener contre le narcotrafic, qui est la source d'une grande partie de la délinquance ; le pouvoir de dérogation donné aux préfets permettra d'assouplir certaines normes venues de Paris, qui n'ont rien à voir avec nos territoires ; l’islam radical est un vrai danger contre lequel il faut lutter ; enfin, il y a la réduction de l'immigration. Sur tous ces sujets, vous pourrez compter sur notre entier soutien. Nous attendons des actions fortes. L'État, la France en ont besoin.
M. Sacha Houlié (NI). Personne n’ignorait vos positions radicales, conservatrices et traditionnelles. On était néanmoins en droit d'attendre de vous la mesure et le discernement qu'exige l'étroitesse de la majorité qui vous soutient. Vos débuts tonitruants ont été diversement jugés : le Premier ministre, président de votre conseil d'administration, vous a adressé de molles réprimandes en rappelant ce que chacun considère comme une évidence : que la fermeté de la politique pénale est indissociable du respect de l'État de droit. Dans le même temps, Mme Le Pen, présidente de votre conseil de surveillance, vous a gratifié de francs encouragements, louant vos envolées lyriques sur l'ordre et vous inspirations directement issues de son programme. Même Mme Lavalette reconnaît en vous un alter ego comme porte-parole de son parti.
Les Français n'ont pas constitué le front républicain pour vous permettre d'appliquer à Beauvau le programme du Rassemblement national. En début de semaine, vous avez tenté de justifier vos propos consternants sur l’État de droit en arguant d’une incompréhension collective de vos déclarations, lesquelles visaient en réalité l'état du droit positif.
Cette audition doit nous éclairer sur vos intentions véritables. Allez-vous piétiner joyeusement le champ du garde des sceaux et nier l'évidence d'une meilleure application des peines comme d'un accroissement du quantum des sanctions décidées par les juridictions nationales ? Vous apprêtez-vous à dénier l'office du juge dans l'application comme dans l'interprétation de la loi, en parfaite violation du principe de séparation des pouvoirs, fondement de l'État de droit ? Vous entêterez-vous à défendre la tenue d'un référendum constitutionnel sur l'immigration dont vous ne méconnaissez aucunement le caractère inconstitutionnel, au mépris de la hiérarchie des normes ? Défendrez-vous encore la sortie ou la non-application des conventions internationales ratifiées par la France, telles que la Convention européenne des droits de l'homme et le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ? Obéirez-vous docilement à l’ordre intimé par le Rassemblement national en proposant d’ici au premier trimestre 2025 une loi sur l’immigration comportant, entre autres, une durée minimale de séjour pour l'accès aux prestations sociales ? Intimerez-vous aux médecins de ce pays de renoncer à prodiguer des soins aux étrangers aux dépens de la sécurité sanitaire collective ? En somme, serez-vous, oui ou non, le ministre de l'intérieur dont le Rassemblement national a toujours rêvé ?
Mme Elsa Faucillon (GDR). Je vous interroge à mon tour, après le tollé légitime qu’ont suscité vos propos sur un État de droit « pas sacré, ni intangible », suivis d’un rétropédalage du bout des lèvres puis d’un communiqué qui a balayé la polémique d’un revers de main en la qualifiant de « faux débat ». Je ne suis aucunement rassurée par les explications que vous venez d’apporter.
En tant que ministre de l'intérieur, la hiérarchie des normes et la séparation des pouvoirs devraient vous tenir à cœur. Quand certains scandent que le problème de la police, c’est la justice, il est dangereux pour la paix civile de nier l’universalité et l’égalité des droits, comme le font les partis d’extrême droite et comme vous l’avez fait quand vous étiez sénateur. En dégradant ce concept juridique, politique et philosophique, vous humiliez l’histoire politique de notre pays et vous salissez le modèle républicain.
Sans État de droit, pas de démocratie. Les citoyens savent que c’est l’État de droit qui les protège de la violence de l’arbitraire, même s’il faillit quelquefois, et c’est bien l’État de droit qui garantit la liberté, l’égalité devant la loi et la dignité de la personne humaine ; encore faut-il lui donner toute sa puissance. En République, le ministre de l'intérieur est le garant non pas de l’ordre, mais de la sécurité collective, c'est-à-dire du respect des droits fondamentaux de tous ceux qui résident – qui résident ! – sur le territoire national.
M. Bruno Retailleau, ministre. Il est un peu tard, passé la soixantaine, pour entamer une carrière d’autocrate. J’ai dirigé de grandes collectivités, j’ai présidé un groupe au Sénat : demandez aux présidents de groupe et aux conseillers régionaux de votre couleur politique si je ressemble à la caricature que l’on fait de moi. J’ai toujours dit que le suffrage universel ne faisait pas à lui seul la démocratie libérale et qu’il fallait y adjoindre d’autres éléments, comme la séparation des pouvoirs ; ainsi, M. Poutine n’est pas un démocrate, mais un autocrate.
Le problème est que certains agrègent à l’État de droit des choses qui n’en relèvent pas. Pour ma part, je me bats contre l’impossibilisme juridique que j’ai trouvé tant de fois sur ma route. Lorsque j’étais président de région et que les zadistes manifestaient à Nantes, les juges et les policiers me disaient qu’ils n’avaient plus les moyens de lutter contre les black blocs et qu’il fallait créer un délit de dissimulation du visage sur la voie publique. Quand j’ai déposé une proposition de loi en ce sens, on m’a accusé de menacer la République ; finalement, un jour, en janvier, j’ai entendu le Premier ministre annoncer que le Gouvernement reprenait l’excellente proposition du Sénat.
Chacun – parlementaire, juge, membre de l’exécutif – doit faire respecter les règles de l’État de droit. Nous ne pouvons pas laisser se développer un droit prétorien méconnaissant les textes. La jurisprudence a voulu appliquer ultra vires aux pompiers et aux militaires la directive européenne sur le temps de travail alors que l’article 4, alinéa 2 du TFUE n’attribue pas à l’Union européenne la compétence sur la sécurité nationale. Je ne suis pas le seul à me montrer sourcilleux sur le sujet : lors du quantitative easing, le programme de rachat des dettes souveraines par la Banque centrale européenne – auquel par ailleurs j’étais favorable et qui a sauvé l’euro –, la Cour de Karlsruhe a déclaré que les traités devaient être compris au sens où les peuples les avaient votés. Je pourrais citer d’autres jurisprudences contra legem : en 2010, l’arrêt Melki et Abdeli de la CJUE a sanctionné un contrôle à la frontière franco-belge auquel il a été procédé sur la base de l’article 78-2 du code de procédure pénale au motif que la convention de Schengen s’y opposait, alors qu’elle ne s’y opposait pas.
Je confirme à M. Rancoule l’acquisition de deux Canadair. Concernant l’amélioration de la retraite des sapeurs-pompiers, des négociations sont en cours pour trouver une voie médiane entre le scénario de Bercy et celui que nous avions voté, avec un mode de calcul des trimestres conçu pour fidéliser les volontaires. Je ne reviens pas sur le dépistage des maladies professionnelles ; c’est une évidence.
Monsieur Gouffier-Valente, il faut effectivement former les agents à l’accueil des victimes dans les commissariats et les gendarmeries. Pour répondre à vos préoccupations concernant l’État de droit, je dirai que je veux réarmer l’État régalien. On a beaucoup critiqué Gérald Darmanin pour avoir reconduit sans procès un Ouzbek à la frontière en violation de la Convention européenne des droits de l'homme. Or, d’une part, je considère qu’il faut s’en tenir à la lettre du traité, lequel n’interdit aucunement un tel procédé ; d’autre part, nous devons collectivement faire un choix. Lors de l’examen de la loi sur l’immigration, le rapport du Sénat mentionnait un individu qui bénéficiait de la protection absolue car il était arrivé sur le territoire français avant l’âge de 13 ans ; il avait commis quarante-deux crimes, incluant des violences sexuelles. Et il faudrait le laisser dans la nature ? Certes, l’équilibre est fragile mais nous avons la charge de la protection de nos concitoyens. Quand la société devient violente, il faut savoir le remettre en question.
La Lopmi est un trompe-l’œil. Certes, le budget augmente, mais il faut faire face à l’inflation, à la revalorisation du point d’indice et à l’arrivée des Ukrainiens, qui coûtera environ 100 millions d'euros. Je compte donc sur le Parlement pour sécuriser dans le budget les crédits qui nous permettront de conforter les effectifs, de déployer les 239 gendarmeries et de financer les centres de rétention administrative. Je ne vous cache pas que la situation est difficile – 6,1 % de déficit contre une prévision de 4,4 % – et que nous sommes tout près d’un pépin financier : en juillet, la capitalisation des grandes banques françaises a perdu 25 % en l’espace de dix jours.
Il me semble que l’on pourrait utilement reprendre plusieurs des mesures de la loi sur l’immigration qui ont été retoquées au titre de l’article 45 de la Constitution.
Je vous assure, monsieur Coulomme, que je n’ai aucun problème avec Didier Migaud. Je l’ai connu quand il était Premier président de la cour des comptes et j’ai été le premier à lui demander la certification des comptes régionaux, après avoir découvert un endettement en partie caché. Il est vrai qu’il vient de la gauche et moi de la droite, mais c’est une personne raisonnable qui a le sens de l’État et, bien que nos logiques diffèrent, nous avons prévu de nous voir tous les quinze jours. En définitive, c’est le Premier ministre qui anime le Gouvernement ; dans ses propos sur les courtes peines, je remarque déjà une inflexion par rapport à la politique pénale menée par Christiane Taubira et Nicole Belloubet.
Monsieur Vicot, l’un des enseignements des Jeux olympiques est qu’il faut des policiers et des gendarmes sur la voie publique – et pas seulement pour se balader ou pour jouer au football, car les policiers ne sont ni des assistantes sociales ni des animateurs ; ils ont une fonction que signale leur uniforme.
Je vous remercie, monsieur Boucard, pour le soutien du groupe LR. En effet, la sécurité n’est ni de droite, ni de gauche, comme l’indiquent les études réalisées par le Cevipof sur des échantillons de plus de 11 000 personnes. De même, de nombreux travaux, dont ceux de Christophe Guilluy, indiquent que la demande de contrôle de l’immigration émane des Français les plus modestes, qui n’ont pas assez d’argent pour dresser entre eux et les problèmes des frontières invisibles en vivant dans les beaux quartiers et en envoyant leurs enfants dans les bonnes écoles. Je suis favorable au rétablissement des peines planchers en cas de refus d’obtempérer. C’est un problème fondamental, comme celui de la récidive : 5 % des récidivistes sont à l’origine de 50 % des actes délinquants. Nous ne pouvons pas laisser faire.
Pour répondre à la question de M. Duplessy sur la démocratie libérale, il me revient une phrase de Jacques Julliard qui parlait de « démocratie sans le peuple ».
Monsieur Martineau, je suis prêt à redéployer des crédits mais, sans argent, tout s’effondre. Je compte sur votre soutien pour pérenniser le financement du quatrième régiment de sécurité civile à Libourne, pour lequel nous venons de recruter 163 sapeurs sauveteurs, et celui des centres de rétention administrative.
Madame Moutchou, ce qui embête les policiers, c’est la complexité judiciaire. Il faut simplifier la procédure pénale ; sur ce point, Didier Migaud et moi sommes sur la même longueur d’onde. Jusqu’ici, chaque fois que l’on a essayé, on l’a complexifiée, si bien que les policiers et gendarmes passent plus de temps au commissariat ou à la gendarmerie que sur le terrain et que les juges sont menacés de nullité pour vice de forme.
Monsieur Molac, j’ai bien cité la liberté et je viens d’une famille politique traditionnellement plus attachée à la liberté qu’à l’égalité. Les fréristes et les terroristes veulent séparer de la communauté nationale ceux de nos compatriotes musulmans qui ont une observance parfaitement républicaine de leur religion, et j’attache beaucoup de prix à ce que ces derniers ne se sentent pas discriminés. J’ai toujours pensé que le Conseil français du culte musulman (CFCM) était un outil vicié et qu’organiser l’islam par le haut n’aboutirait pas en raison de la structure de cette religion, car on ne peut pas la comparer à celle du judaïsme ou du christianisme. En revanche, il y a le Forum de l’islam de France (Forif).
J’ai parlé de déconcentration car je suis chargé de la territorialisation de l’action de l’État, mais Catherine Vautrin pourra vous parler de décentralisation. Pour ma part, je préfère faire avancer les libertés locales plutôt que de décentraliser, ce qui impliquerait des transferts de compétences qu’aucun maire ne demande. Je me méfie aussi des grandes administrations régionales, qui sont faussement déconcentrées, et je leur préfère l’échelle départementale pour plus de proximité ; c’est mon côté jacobin.
Je vous remercie pour vos félicitations, madame Barèges. Nous aborderons les points qui vous intéressent dans les semaines à venir.
Sacha Houlié, j’accepte tous les reproches, mais pas celui de méconnaître la Constitution ! Je soutiens le parlementarisme, mais comme je suis gaulliste, il me semble que, dans le contexte démocratique actuel, nous ne pouvons pas attendre cinq ans pour trancher les questions cruciales. Nous devons réarticuler la démocratie représentative avec la démocratie directe. Je n’ignore pas l’article 89 de la Constitution et jamais vous ne m’avez entendu proposer – contrairement à la décision prise par le général de Gaulle en 1962, laquelle lui avait valu d’être accusé de forfaiture par le président du Sénat – l’élargissement du champ du référendum de l’article 11 aux questions migratoires : il faudrait, pour ce faire, un référendum sur le référendum, à savoir une modification de l’article 89, soit par la voie du Congrès, soit par celle du référendum, selon le choix du Président de la République, avant de pouvoir modifier le périmètre des questions pouvant donner lieu à référendum. Je me suis strictement tenu à l’esprit de la Constitution : toute la Constitution et rien que la Constitution.
Elsa Faucillon, j’ai déjà répondu sur l’État de droit, j’espère que je parviendrai à vous faire changer quelque peu d’avis.
Mme Marie-France Lorho (RN). Depuis la création du dispositif par une loi de 2006, le nombre d’OQTF ne cesse d’augmenter, année après année : en 2019, 122 839 mesures d’OQTF ont été prononcées, ce nombre atteignant 134 280 en 2022. À l’inverse, les taux d’application de ces décisions sont très fluctuants : ils stagnent même depuis 2020, seuls 10 % des mesures d’OQTF prononcées étant effectivement mises en œuvre selon la Cour des comptes.
Le meurtre odieux de Philippine Le Noir de Carlan, sauvagement assassinée par un migrant marocain en situation irrégulière ayant fait l’objet d’une mesure d’OQTF, dit toute l’urgence de faire enfin appliquer ces décisions.
Monsieur le ministre, vous avez récemment indiqué qu’il fallait changer les règles des OQTF ; le dispositif pâtit de dysfonctionnements graves, parmi lesquels la difficulté à démontrer l’identité des personnes à expulser, l’engorgement des préfectures et la réticence de certains pays à délivrer des laissez-passer consulaires. Dans un rapport du 4 janvier 2024, la Cour des comptes jugeait que, face à l’ensemble de ces blocages dont une partie s’impose à l’administration, l’État pouvait mieux s’organiser. Vous avez avancé quelques pistes, mais comment entendez-vous réparer les dysfonctionnements actuels, qui empêchent la bonne application des mesures d’OQTF ?
M. Roland Lescure (EPR). Depuis votre nomination il y a une dizaine de jours, vous vous exprimez beaucoup et toujours, comme aujourd’hui, avec talent : j’en déduis que, dans votre bouche, chaque mot compte. Par conséquent, quand vous dites que l’immigration n’est pas une chance pour notre pays, je me demande si vous vous adressez aux 7,3 millions d’immigrés qui vivent, travaillent, étudient et paient des impôts en France, contribuant ainsi au fonctionnement de notre modèle social ; je me demande si vous vous adressez aux quelque 800 000 Français qui vivent en Amérique du Nord, qui sont tous des immigrés et qui m’ont désigné pour les représenter dans cette assemblée : la lecture des nombreux messages que j’ai reçus montre que vos propos les ont extrêmement choqués.
Il y a maintenant un an, à l’occasion du débat sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration – dont le rapporteur général est désormais le bien-aimé président de notre commission –, j’avais eu l’occasion d’insister sur les vertus de l’immigration économique. Dans les dix prochaines années, 1 million d’emplois seront à pourvoir dans l’industrie, dont 100 000 à 200 000 le seront par des immigrés, notamment dans la construction de centrales nucléaires, à laquelle vous êtes attaché. Patrick Martin, président du Medef, avait alors rappelé que ce n’étaient pas les patrons qui réclamaient de l’immigration, mais l’économie. « D’ici à 2050, nous aurons besoin, sauf à réinventer notre modèle social et notre modèle économique, de 3,9 millions de salariés étrangers », avait-il précisé.
Maintenant que vous êtes membre de l’exécutif, vous serez jugé sur vos résultats plus que sur vos mots. Loin des caricatures, pensez-vous, comme moi, que cette immigration est une chance pour notre économie et pour la France ?
Il conviendrait d’élargir le passeport talent, destiné à attirer les talents du monde entier, à des métiers comme le soudage et la chaudronnerie pour lesquels nous aurons besoin de main-d’œuvre, notamment pour les centrales nucléaires : seriez-vous prêt à le faire ?
Comptez-vous donner des instructions aux préfets pour qu’ils déploient les dispositions de l’article 27 de la loi du 26 janvier dernier, dite « immigration », visant à régulariser des travailleurs étrangers ?
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Monsieur le ministre, vous défigurez la France. Que vous le vouliez ou non, nous formons un peuple de mélangés : 25 % d’entre nous – peut-être faites-vous partie de ce groupe – ont un grand-parent étranger. Désigner des boucs émissaires comme vous le faites est dangereux. Vous vous inscrivez dans les pas de la France de Vichy, suspendant l’État de droit au motif de lutter contre l’ennemi intérieur. Vous appartenez à un gouvernement illégitime ayant l’extrême droite pour béquille. Vous êtes à l’image de ces lieux dits de mise à l’abri, situés à nos frontières et dans lesquels on enferme, sans droit ni titre, des femmes et des enfants ; vous êtes à l’image de cette France condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) car elle viole en permanence les droits humains ; vous êtes à l’image de cette France qui laisse se noyer des familles entières ; vous êtes à l’image de ces ministres de l’intérieur, impuissants par manque d’analyse et démagogues, qui, amateurs de surenchère pénale, de coup de menton et de bruit de bottes, ne feront pas illusion bien longtemps.
Nous avons compris à qui nous avions affaire et je n’ai absolument aucune question à vous poser.
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). En 2023, les services de sécurité ont enregistré 71 000 viols et tentatives de viol contre 40 000 en 2017. Les mêmes services ont également recensé 43 000 agressions sexuelles contre 16 500 en 2017. Hier, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a indiqué qu’il n’y aurait aucune tolérance à l’égard des violences faites aux femmes.
Le ministère de l’intérieur joue un rôle essentiel dans la prise en charge des victimes. Bien que notre code pénal prévoie le crime de viol, sa reconnaissance devant la justice est toute relative ; en effet, 94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite et seules 14,7 % des plaintes enregistrées donnent lieu à une condamnation. L’objectif de la tolérance zéro nécessite des moyens et une volonté politique forte : quelles actions comptez-vous déployer pour appliquer la tolérance zéro ?
Je souhaiterais également vous interroger sur les moyens déployés pour assurer l’application de la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Selon les estimations, 15 000 mineurs et 40 000 majeurs se prostitueraient en France. La prostitution et le proxénétisme constituent une violence sexuelle et un obstacle à l’égalité entre les femmes et les hommes. Comme le prévoit la loi, l’État doit protéger et assister les victimes ainsi que lutter fermement contre le proxénétisme et l’achat d’actes sexuels. Pourtant, seules 1 268 personnes ont eu accès à un parcours de sortie de la prostitution en 2023 et seulement 282 hommes ont été interpellés à la suite d’un recours à la prostitution. Les listes d’attente des associations qui accompagnent les personnes sortant de la prostitution sont pleines et les préfectures rechignent à réunir des commissions départementales ou à accorder des autorisations provisoires de séjour parce que ces femmes seraient plus étrangères que victimes de violence. En mai, le Gouvernement a lancé une stratégie interministérielle de lutte contre le système prostitutionnel, dans laquelle votre ministère s’est engagé à sanctionner davantage l’achat d’actes sexuels et à améliorer l’accueil et la prise en charge des victimes : comment comptez-vous assurer le déploiement de cette politique publique ?
M. Éric Pauget (DR). Je tiens tout d’abord à saluer le volontarisme dont vous faites preuve depuis votre nomination à la tête du ministère de l’intérieur : vous êtes en adéquation avec les attentes des Français en matière de sécurité et d’ordre.
Les polices municipales se sont multipliées et institutionnalisées sous l’impulsion des maires au cours des vingt dernières années. Structurés en brigades et spécifiquement formés, les policiers municipaux ne sont plus de simples agents municipaux chargés de faire respecter les arrêtés de police administrative du maire. Dotés de tenues et d’équipements équivalents aux forces de sécurité intérieure (FSI), parfois armés, ils sont devenus des policiers à part entière, qui ont toute leur place dans le continuum de sécurité. Désormais habilités à constater certaines infractions judiciaires, notamment au code de la route ou à celui de l’environnement, ils sont aussi confrontés à la délinquance du quotidien comme aux dangers liés aux refus d’obtempérer et aux trafics de stupéfiants, et ils sont souvent les premiers à intervenir, comme lors des émeutes de 2023.
Si les policiers municipaux n’ont pas vocation à remplacer les forces de police étatiques, ils doivent pouvoir, si les maires le souhaitent, agir comme une police de proximité plus efficace et plus efficiente.
Monsieur le ministre, alors que les polices municipales se sont progressivement imposées comme la troisième force de sécurité de notre pays, quelle est votre vision de leur place au sein de la société ? Seriez-vous favorable à une évolution de leurs pouvoirs ?
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Puisque l’un de mes parents est immigré, je ne suis pas, si je vous ai bien compris, une chance pour la France. Savez-vous au moins ce qu’est la France ? Ce n’est pas une identité immuable, mais un projet politique qui s’appelle la République : une République ouverte, tolérante et émancipatrice, dans laquelle chacun peut réaliser son potentiel et contribuer à la construction d’un avenir meilleur pour nous tous.
Savez-vous à quel âge il nous faudrait partir à la retraite sans les cotisations des personnes immigrées qui travaillent ? Connaissez-vous la part des immigrés dans les créateurs d’entreprise ? Savez-vous que les immigrés sont avant tout des étudiantes et des étudiants ? Vous ne le savez pas évidemment, parce que vous ne connaissez pas la France. Les parcours de vie ne vous intéressent pas, votre obsession est d’agiter les peurs, de dégrader des droits et d’exclure. Exclure des Zakia Khudadadi, championne paralympique de l’équipe des réfugiés, des Nadia Al Soleman, fondatrice d’une association nantaise venant en aide aux parents allophones, des Mamadou Yaya Bah, boulanger à Bourg-en-Bresse, des Ghaees Alshorbajy, créateur d’une entreprise de collecte de déchets métalliques.
Ces parcours sont ceux de la France. Si toute notre énergie et tous nos efforts étaient consacrés à révéler leur potentiel et à faciliter leur inclusion, notre pays serait plus fort et gagnerait en cohésion. Vous en êtes parfaitement conscients, mais vous vous gardez bien de la dire à vos électeurs. Vous n’ouvrirez aucune classe d’école, vous n’éviterez la fermeture d’aucun service d’urgence, vous ne protégerez pas mieux la population contre les catastrophes climatiques en traitant ces personnes comme des indésirables. L’immigration est une chance, contrairement à votre nomination. Mais puisque vous êtes là, je tiens à vous dire que lorsque la règle de droit n’inclut pas, il faut la changer : y êtes-vous prêt ?
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je vous remercie des mots que vous avez eus pour Mayotte cet après-midi dans l’hémicycle, ainsi que de votre annonce concernant le maintien des effectifs dans notre département. Néanmoins, nous avons besoin de renforts. Vous le savez, deux escadrons de gendarmerie sont partis en Nouvelle-Calédonie et ont été mobilisés pour les Jeux olympiques : je souhaiterais que vous nous annonciez leur retour à Mayotte où nous en avons désespérément besoin. Rien que ces derniers jours, une mutinerie a éclaté et trois personnes ont succombé d’une mort violente – deux jeunes ont été poignardés à la sortie de leur établissement scolaire et un homme a été abattu à coups de marmite dans un bidonville.
Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit-il le financement du commandement de gendarmerie à Grande-Terre ? Les gendarmes déployés en permanence dans l’île doivent pouvoir travailler dans des conditions normales.
Lorsque vous étiez sénateur, vous avez soutenu l’abrogation du droit du sol et du double droit du sol à Mayotte. J’ai déposé une proposition de loi constitutionnelle allant en ce sens : allez-vous vous inspirer de la feuille de route du Premier ministre et travailler davantage avec les parlementaires, notamment pour remettre la loi Mayotte à l’ordre du jour du Parlement et donner un horizon politique à notre département ?
Mme Sophie Vaginay (UDR). Comme l’a annoncé hier le président Éric Ciotti, dans sa réponse au discours de politique générale du Premier ministre, notre groupe déposera deux propositions de loi, l’une simple et l’autre constitutionnelle, qui reprendront vos propres idées, formulées au nom des Républicains, sur l’immigration : rétablir le délit de clandestinité et élargir le champ du référendum à l’immigration. Vous montrerez-vous fidèle à vos convictions, que vous avez répétées dimanche dernier, en soutenant, au nom du Gouvernement, vos propres propositions ?
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). En tant que ministre de l’intérieur, votre responsabilité est lourde, car vous avez la charge de rétablir l’ordre dans notre pays. Cette tâche sera plus ardue dans certains quartiers que dans d’autres. Il s’agit des territoires perdus de la République, zones de non-droit dans lesquelles pullulent délinquance, violences et agressions ; les trafiquants y tissent leur toile, l’islamisme s’y répand et les policiers n’osent plus s’y rendre de peur de tomber dans un guet-apens. Entre les balles perdues, les agressions et les menaces omniprésentes, les habitants vivent un enfer quotidien.
Ces zones de non-droit se développaient jadis dans les métropoles, mais les villes moyennes sont désormais tout aussi touchées. Ainsi, dans le quartier de l’île de Thau, situé à Sète, dans ma circonscription, ce sont les trafiquants qui font la loi. Les forces de l’ordre, en sous-effectif et abandonnées par leur ministère, ne peuvent pas lutter : le quartier est au bord de la rupture.
Mille et une promesses ont été faites pour ramener la tranquillité dans ces cités. Votre prédécesseur a joué les gros bras en lançant des opérations « place nette », mais rien n’a changé ou si peu : les trafiquants trafiquent toujours, les agresseurs continuent d’agresser et l’insécurité persiste ; comme l’Hydre de Lerne, chaque tentative d’éradication du mal semble en provoquer davantage et quand un réseau est démantelé, il en apparaît deux nouveaux.
Vous vous targuez de faire du retour de l’ordre votre priorité : c’est très bien, mais que prévoyez-vous pour ces quartiers ? Cela fait trois ans qu’aucune zone n’a été classée comme quartier de reconquête républicaine (QRR), dispositif qui octroie des moyens supplémentaires à la lutte contre la délinquance et la criminalité organisée : prévoyez-vous de classer de nouveaux quartiers en QRR, par exemple celui de l’île de Thau ? Préférez-vous créer un nouveau mécanisme ?
Mme Aurore Bergé (EPR). Au-delà de la question de l’application des mesures d’OQTF, l’abomination qui a frappé Philippine pose avant tout celle de la récidive des crimes sexuels. Une grande partie du sujet relève du ministère de la justice, mais votre ministère est également concerné, notamment pour les investigations dans les dossiers de viols en série : vous avez d’ailleurs évoqué les investissements supplémentaires qu’il faudrait leur consacrer. Il y a lieu d’améliorer le regroupement des dossiers, de manière à effectuer un suivi plus fin et à mieux appréhender la question systémique des violences sexuelles et du viol.
Au moment de la crise du covid, on avait promis aux personnes en première ligne qui travaillaient et soutenaient les autres, notamment les aides à domicile, qu’elles pourraient être régularisées. Certaines d’entre elles l’ont été, mais la promesse n’a pas été pleinement tenue, alors que ces femmes ont montré leur total dévouement et ont parfaitement intégré nos valeurs, notamment par le travail qu’elles ont effectué dans des circonstances extrêmement difficiles.
Il y a quelques années, j’avais déposé avec mon collègue Jean-Baptiste Moreau un amendement visant à protéger nos enfants et à interdire le voilement des petites filles. Il avait malheureusement été déclaré irrecevable, ce qui n’avait pas permis au débat de se tenir. Celui-ci doit avoir lieu, car on trouve sur Google plusieurs boutiques vendant des burqas ou des voiles de motifs et de couleurs différents pour des petites filles âgées de cinq, six ou sept ans. Soutiendriez-vous une telle mesure d’interdiction ?
M. Andy Kerbrat (LFI-NFP). J’espère que vous appréciez votre première audition devant la représentation nationale, qui constitue pour vous un baptême républicain. Mes collègues ont eu à cœur de vous rappeler que notre République se fonde sur l’État de droit et non sur l’instrumentalisation plébiscitaire de l’expression du peuple.
Votre prédécesseur a reconnu en 2022, devant cette même commission, que nous fabriquions des sans-papiers et des situations irrégulières par le blocage artificiel des démarches dans les préfectures. Nous dépensons un demi-milliard d’euros pour traquer et enfermer les étrangers, non pas parce qu’ils auraient commis des crimes comme vous l’insinuez pour les CRA, mais parce qu’ils ne possèdent pas les bons papiers ; en réalité, nous agissons ainsi par obsession et peur panique de l’autre. Pensez-vous, comme Gérald Darmanin, que nous organisons la fabrique de l’étranger et aurez-vous le courage de faire la seule chose qui se doit, à savoir régulariser les travailleurs sans-papiers et les parents d’enfants français ?
Enfin, je me fais le relais des personnes LGBT qui se sont mobilisées en masse pour empêcher le Rassemblement national d’arriver au pouvoir et qui se retrouvent avec un ministre partisan de La Manif pour tous : comment pourrions-nous vous faire confiance pour nous défendre, alors que vous avez refusé de nous donner les mêmes droits que les autres citoyens, que vous avez manifesté avec les homophobes qui nous traitaient de dégénérés, que vous avez soutenu les thérapies de conversion et que vous avez coupé les subventions à nos associations LGBT lorsque vous étiez président de ma région ? Je rappelle que les crimes et délits contre les personnes LGBT ont augmenté de 19 % en 2023. C’est aussi cela le bilan de votre parcours politique. L’agression infâme de Paul, à qui nous apportons affection et soutien, nous frappe tous et vous avez eu le verbe fort, mais comment faire confiance à un homme qui rejette nos existences ? Nous ne faisons pas confiance à l’homophobie, nous la combattons.
M. Marc Pena (SOC). Il n’y a pas d’incompréhension, ni d’erreur d’interprétation de vos propos sur l’État de droit ; ils sont clairs et sont porteurs d’une idéologie dangereuse, que je connais bien et qui voudrait s’imposer en Europe et dans le monde. L’État de droit, qu’incarne notre Constitution, constitue la pierre angulaire de notre démocratie. La Constitution est notre maison commune : elle représente le contrat social qui fonde la légitimité de nos institutions et qui protège nos libertés. La Constitution n’est pas un outil malléable, elle est le cadre juridique supérieur à l’intérieur duquel s’exprime la volonté politique.
L’histoire nous a enseigné les dangers des lois scélérates, des dérives autoritaires, des pulsions et des passions de tous ordres, qui sont souvent celles du moment ou d’un moment. C’est pourquoi nous avons construit au fil du temps un ordre juridique qui transcende les contingences politiques : voilà ce qu’est l’État de droit ! Comme l’a si justement formulé un éminent constitutionnaliste, que vous connaissez peut-être et qui, aujourd’hui décédé, fut mon professeur à l’université d’Aix-en-Provence, Louis Favoreu, « la politique est saisie par le droit. » La volonté politique doit s’exprimer dans un cadre juridique dont vous devez être le garant.
Comment comptez-vous concilier votre appel à l’ordre et au respect des règles avec votre remise en question, inquiétante compte tenu de vos fonctions, de l’État de droit ? N’y a-t-il pas là une contradiction fondamentale, qui met en péril les principes mêmes de notre République ? Soyez assuré que le Parlement sera extrêmement attentif à vos actions et à votre respect de l’État de droit.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Je voudrais vous parler de Philippine, Lola, Mauranne, Laura, violées, torturées ou tuées parce qu’elles ont eu la malchance de croiser la route d’un étranger contre lequel une mesure d’OQTF avait été prise, mais également de celles que l’on n’évoque pas au journal télévisé : elles existent et viennent grossir le nombre scandaleusement élevé de personnes victimes de criminels qui auraient dû quitter le territoire français, à l’image de cette lycéenne de 15 ans, qui s’est fait kidnapper en plein jour, à la sortie de son établissement, à Meaux, dans ma circonscription, le 27 juin dernier, avant de se faire violer dans un appartement d’une rue voisine. L’auteur des faits criminels est un Tunisien de 33 ans sous OQTF, déjà condamné pour agression sexuelle. C’est curieux comme les profils se ressemblent : étrangers, sous OQTF, récidivistes. Ces personnes, qui n’ont pas à se trouver en France, y commettent des crimes sans que les pouvoirs publics esquissent la moindre réaction.
Il est urgent d’agir, monsieur le ministre, mais si je me félicite de vos déclarations récentes, je reste dubitative quant à vos chances de succès. Le groupe politique auquel vous appartenez a toujours refusé de voter les amendements et les mesures efficaces proposés par le Rassemblement national. Dubitative aussi, car le ministre de la justice du gouvernement auquel vous appartenez, pourtant prêt à légiférer à la suite de l’affaire des viols de Mazan, a curieusement indiqué que, dans le cas de l’assassinat de Philippine, on ne pouvait pas légiférer sous le coup de l’émotion. Dans ce contexte, pouvez-vous vous engager à présenter les mesures plébiscitées par notre groupe comme par une écrasante majorité de Français, telles que la restauration du délit de séjour irrégulier – disposition soutenue par 79 % des Français –, la réduction de l’aide médicale de l’État (AME), l’instauration d’une présomption de majorité pour les mineurs non accompagnés qui refuseraient de se soumettre à des tests osseux et la modification du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) ?
M. Vincent Caure (EPR). En septembre, plus de vingt personnes sont décédées dans un naufrage dans la Manche en tentant de rejoindre le Royaume-Uni et 2024 est déjà l’année la plus meurtrière dans cette mer. Pour prévenir ces drames humains, des accords ont été conclus avec nos amis britanniques depuis le traité du Touquet et d’autres véhicules conventionnels ont été élaborés ces vingt dernières années. Votre prédécesseur, Gérald Darmanin, a appelé le mois dernier à la signature d’un nouveau traité migratoire entre la France et le Royaume-Uni ; en 2021, en sa qualité de négociateur du Brexit, l’actuel Premier ministre, Michel Barnier, avait souhaité que le traité du Touquet soit renégocié et qu’un accord migratoire global soit trouvé entre nos deux pays. Quelle est la position du Gouvernement et de votre ministère sur cette question essentielle ? Comment comptez-vous atteindre l’objectif fixé par le Premier ministre de gérer le dossier migratoire avec fermeté, notamment à l’égard des passeurs, avec lesquels nous devons être « impitoyables », pour reprendre les termes de Michel Barnier ?
Député représentant les Français d’Europe du Nord, je m’associe pleinement aux propos de mon collègue Roland Lescure concernant votre opinion sur l’immigration qui ne serait pas une chance : comme lui, j’ai reçu de nombreux messages d’incompréhension devant vos propos, sentiment que je partage.
M. Paul Christophle (SOC). Dimanche dernier, vous avez déclaré dans la presse que l’État de droit n’était ni intangible ni sacré. Devant la stupéfaction que ces propos ont suscitée, vous avez pris soin de préciser hier, dans un message de presque dix lignes, qu’il ne pouvait y avoir de démocratie sans État de droit ; dix lignes, c’est mieux que rien mais c’est fort peu pour sauver l’État de droit lorsque l’on est ministre de l’intérieur. Vous êtes à la tête du ministère qui incarne le droit plus qu’aucun autre. Chaque jour, les policiers, les gendarmes et les agents des préfectures déploient, au plus près des citoyens, les dispositions du droit pénal, du droit des collectivités territoriales et du droit public. Ce sont eux qui autorisent, qui protègent et qui garantissent le traitement équitable et juste de chaque situation. Pour connaître et avoir rencontré certains de vos agents, je peux vous assurer qu’ils sont très attachés à l’État de droit, visiblement plus que vous, qui êtes ultra vires comme vous dites.
Tout le monde est, comme vous, bouleversé par le meurtre de Philippine, drame qui aurait dû être évité : Philippine n’aurait jamais dû croiser son meurtrier et des dysfonctionnements, qu’il conviendra d’établir, se sont manifestement produits. Dimanche, la première victime de l’homme interpellé a écrit dans une lettre que l’OQTF n’avait pas été exécuté et que les raisons de ce dysfonctionnement devaient être éclaircies et les failles corrigées ; elle rajoutait toutefois que cette tâche ne devait pas oblitérer le sujet principal, celui de la prévention de la récidive, qu’elle développait par une longue liste de questions. Monsieur le ministre, je vous pose non pas mes questions, mais les siennes : quels moyens d’investigation le ministère de l’intérieur prévoit-il de déployer contre les violences et les crimes sexuels ? Quelles mesures de prévention de la récidive existent ? Avez-vous étudié l’impact de la détention dans la réduction du risque de récidive ?
M. Nicolas Ray (DR). Dès votre prise de fonction, vous avez fait de la restauration de l’ordre, de la sécurité et de l’autorité votre objectif et votre priorité, conformément aux attentes des Français. Vous pouvez compter sur notre groupe pour soutenir votre action.
Je vous remercie de défendre le système de sécurité civile basé sur le volontariat. Où en sont vos discussions avec les instances européennes s’agissant notamment du projet de directive y afférant ? En outre, pourriez-vous nous présenter le calendrier de mise en œuvre de la bonification des trimestres de retraite pour les sapeurs-pompiers volontaires et nous assurer que cette mesure ne sera pas réservée aux seuls pompiers volontaires qui n’ont pas effectué une carrière complète ?
Par ailleurs, le Premier ministre a évoqué hier l’introduction de la proportionnelle dans le cadre d’une réforme du mode de scrutin pour les élections législatives. Notre groupe y est très opposé pour des raisons de cohérence. La proportionnelle vise à assurer la représentation de toutes les forces politiques, mais celle-ci est bien assurée aujourd’hui. Nous redoutons que certains territoires, notamment ruraux, pourraient ne plus être représentés à l’Assemblée nationale alors que les Français sont très attachés au lien entre le député et son territoire. Nous ne sommes pas opposés à une réflexion sur cette question car nous sommes des gens responsables. Toutefois, prenons garde à ne pas créer des « députés à deux vitesses » ou éloignés des territoires. Quelle est votre feuille de route en la matière ?
M. Antoine Villedieu (RN). « Rétablir l’ordre, rétablir l’ordre, rétablir l’ordre » : voici les trois priorités que vous avez mises en avant lors de votre prise de fonction Place Beauvau. Vous dressez le constat que nous faisons depuis des années. Tous vos prédécesseurs, sans exception, ont eu le verbe haut. Malheureusement, cela n’a jamais été suivi d’effet.
Ce sont ces politiques qui nous ont fait basculer dans une France Orange mécanique, où toutes les quarante-quatre secondes a lieu une agression gratuite, où chaque jour sont commises 120 attaques au couteau, et où les violences sexuelles et les féminicides explosent – sans parler de la menace permanente du terrorisme islamiste sous laquelle vivent les Français. Vouloir rétablir l’ordre passera par un soutien indéfectible aux forces de sécurité intérieure qui, chaque jour, risquent leur vie pour protéger les Français.
Vous avez récemment affirmé être personnellement favorable à la présomption de légitime défense non irréfragable, mesure figurant dans le programme présidentiel de Marine Le Pen. Soutiendrez-vous, avec votre majorité, la proposition de loi en ce sens que nous déposerons de nouveau avec mon collègue Michaël Taverne ? La situation du pays exige des réponses claires et efficaces.
Dans le contexte sécuritaire actuel, cautionnez-vous le projet de mettre en sommeil la brigade anticriminalité de Vesoul ? Laisserez-vous appliquer les politiques voulues par l’extrême gauche factieuse qui empêcheraient les policiers de lutter contre les narcotrafics dans la préfecture de la Haute-Saône ? Si tel était le cas, le message envoyé serait désastreux. Les Français attendent des actes. Sachez que nous agirons toujours dans l’intérêt général et que nous soutiendrons toutes les mesures qui permettront de rétablir l’ordre.
M. Yoann Gillet (RN). Le laxisme migratoire est une réalité dont les Français ne veulent plus. Chaque jour, les flux d’immigration incontrôlée fragilisent la France et ébranlent la sécurité de nos compatriotes. Les drames se succèdent et rien n’a été fait jusqu’ici pour enrayer cette situation. Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’une large majorité de nos compatriotes réclame une politique migratoire très ferme. Alors que 78 % d’entre eux sont favorables à l’emprisonnement systématique et sans limite de temps des individus sous OQTF avant leur expulsion, les gouvernements successifs sont restés passifs, prisonniers d’une idéologie sans-frontiériste.
Pour illustrer les conséquences de ce laxisme, je citerai le cas d’un migrant tunisien, sous le coup d’une interdiction de séjour d’une durée de cinq ans et déjà connu pour des délits graves, qui a été relâché du CRA de Nîmes pour des raisons médicales. Résultat : ce migrant a disparu dans la nature et, quelques semaines plus tard, il s’est rendu coupable d’enlèvement, de viol et de séquestration. Il s’agit là encore d’un drame que nous aurions pu éviter. Tous les ingrédients du laxisme de notre système législatif sont réunis dans cette affaire : l’absence de maîtrise de nos frontières, l’inexécution des OQTF et la libération prématurée du CRA, pour des raisons prétendument médicales. Ce migrant n’avait rien à faire sur notre sol mais il a pu récidiver dans une totale impunité.
Cet exemple n’est malheureusement que la partie visible de l’iceberg. Il s’ajoute à la longue liste des faits tragiques qui frappent notre pays et nos compatriotes depuis tant d’années. Cette sordide affaire est la conséquence de la submersion migratoire que subit notre pays – près de 900 000 clandestins vivent sur notre sol selon les chiffres officiels.
Face à cet ensauvagement, les mesures que nous défendons depuis longtemps au Rassemblement national doivent être appliquées sans tarder : expulsion systématique des étrangers, contrôles renforcés de nos frontières, application de peines judiciaires fermes et sans aménagement, et maîtrise de l’immigration. Ma question est simple : au-delà des belles paroles, allez-vous enfin agir ?
M. le président Florent Boudié. Monsieur le ministre, il me semble que vous n’avez pas répondu à ma question relative à l’application de l’article 27 de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration qui prévoit la régularisation des travailleurs sans papiers ?
M. Bruno Retailleau, ministre. Je ne suis pas encore en mesure de vous répondre sur ce point, qui avait fait l’objet d’âpres discussions lors de l’examen du texte. Je veux qu’on vérifie que les régularisations seront accordées de façon pertinente dans les métiers en tension. À ce titre, une redéfinition des métiers en tension est en cours, à partir des éléments fournis par les régions.
Madame Lorho, des mesures d’éloignement, notamment des OQTF, sont prises ; elles sont très difficiles à appliquer. Essayons donc d’abord de réguler les entrées. La renégociation de la directive « retour » est également essentielle : elle fermera un angle mort en matière de refoulement que la Cour de justice de l’Union européenne a exploité. Dans un arrêt du 21 septembre 2023, elle a jugé que les États devaient accorder un délai et que l’éloignement devait être volontaire. Nous pouvons nettement améliorer le droit, notamment en matière d’accords de réadmission entre la France et les pays d’origine ou des pays tiers sûrs de transit.
Monsieur Lescure, l’immigration actuelle, hors de contrôle, ne constitue pas une chance – j’assume cette position. Posez la question aux Français, ils vous répondront tous de la même façon. Je n’ai jamais prôné l’immigration zéro. Penser qu’on peut, pour reprendre des mots de Michel Rocard, « accueillir toute la misère du monde » sans pouvoir offrir un logement à ces personnes, relève de la fausse générosité. Nous avons besoin d’une migration économique – Padhue (praticiens à diplôme hors Union européenne), passeports talent. Le problème tient à la singularité de l’immigration en France : à l’échelle européenne, on constate qu’elle est la moins qualifiée. Nous devons reprendre la main sur le contrôles des flux migratoires.
S’agissant des régularisations, alors qu’un peu moins de 500 000 étrangers en situation régulière sont au chômage, il me semble préférable de dispenser en priorité une formation à ces derniers afin qu’ils puissent acquérir une qualification, plutôt que de régulariser ceux qui ont fraudé. Voilà le discours que je tiens régulièrement aux chefs d’entreprise et qui vaut aussi pour le million de jeunes Neet (ni en emploi, ni en études, ni en formation) Français âgés de 15 à 29 ans.
Mme Martin ne m’a pas posé de question. Comme l’a dit Michel Barnier, « plus vous serez agressive, plus je serai respectueux », madame.
Mme Thiébault-Martinez m’a interrogé sur la tolérance zéro vis-à-vis de la prostitution des mineurs. Je viens de prendre connaissance du nombre de mineurs qui se prostituent dans ma circonscription, plutôt rurale ; c’est incroyable. Les réseaux de narcotrafic et de prostitution sont souvent connectés. Mais certains jeunes se prostituent sans appartenir à aucun de ces réseaux. Je suis prêt à mettre les moyens pour résoudre ce problème. Je prendrai en compte les bonnes idées, qu’elles soient de droite ou de gauche ; le sujet est trop grave.
Monsieur Pauget, Nicolas Daragon, ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien, et maire de Valence, est passionné par la question du pouvoir des polices municipales. Je vous invite à la contacter. Je suis quant à moi favorable à une extension du rôle des polices municipales. Je ne citerai qu’un exemple : alors que les brigades cynophiles des polices municipales se multiplient, elles ne peuvent intervenir dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants. Nous devons travailler main dans la main, et donner aux policières et aux policiers municipaux un certain nombre d’outils pour affronter les niveaux d’ultraviolence et de délinquance que nous constatons.
Cela étant, ne créons pas de faux espoirs : lorsque ces policiers interviendront dans le champ de la police judiciaire, ils seront sous le contrôle du procureur, et non plus du maire, dans le respect de l’État de droit. Les maires doivent y consentir ; nous ne ferons rien sans l’avis de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF). En tout cas, nous souhaitons avancer vite dans ce sens. J’ai évoqué plusieurs idées avec Nicolas Daragon ce matin. Nous sommes favorables à la proposition de loi que vous avez déposée élargissant les compétences judiciaires des polices municipales.
Madame Balage El Mariky, la détention de la nationalité française n’est pas fonction de la condition sociale, de la confession, ou de la couleur de peau – je partage votre conception. Notre modèle républicain est très original : on est Français lorsqu’on aime la France. Il implique aussi de mettre à distance tout ce qui relève de l’ordre privé afin d’assurer une égalité, à tout le moins symbolique, dans la sphère publique.
Le problème est que l’intégration, à savoir l’assimilation des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité – on n’intègre pas une valeur mais on l’assimile, c’est une question lexicale –, ne peut être réussie que si l’on parvient à maîtriser le nombre de migrants. Nous avons des points de vue différents, c’est la démocratie. En tout cas, nous ne parviendrons pas à bien intégrer les personnes si nous en accueillons toujours plus, sans contrôler ce phénomène.En outre, l’immigration repose sur la réciprocité : les nouveaux venus doivent aussi participer à notre modèle républicain. Voilà ce à quoi je crois.
Madame Youssouffa, je vous confirme la création d’un CRA à Mayotte. Par ailleurs, la question du droit du sol doit être posée : dans ce territoire, cela se justifie totalement. J’y suis favorable même s’il sera compliqué d’obtenir la majorité des trois cinquièmes des suffrages au Congrès.
Aujourd’hui, 1 150 gendarmes et policiers et quatre escadrons de gendarmerie sont déployés, notamment dans le cadre de l’opération « Wuambushu ». Sur les 239 nouvelles brigades de gendarmerie prévues, deux seront créées à Mayotte. Les élus locaux m’ont indiqué que les études de terrain étaient en cours. Je veux bien redéployer des crédits encore faut-il que je dispose d’un budget. Je connais la situation de Mayotte : croyez-moi, j’y serai très attentif. Les deux radars de détection des kwassa-kwassa, qui ont été détruits, devront être réparés. Nous devrons examiner avec la marine nationale dans quelles conditions le rideau de fer pourra être mis en œuvre.
Madame Vaginay, je me suis déjà exprimé sur la question du référendum ; je n’y reviens donc pas.
Monsieur Lopez-Liguori, l’évaluation relative aux quartiers de reconquête est mitigée. Je ne veux pas encore donner d’avis définitif. Néanmoins, je le répète : nous ferons tout pour rendre impossible la vie des trafiquants.
Madame Bergé, vous avez parfaitement raison en ce qui concerne la récidive en matière de viols. Je suis preneur de toutes les bonnes idées.
S’agissant de l’islam politique, la direction des libertés publiques et des affaires publiques, dont les compétences sont très pointues, est en train d’étudier le problème de droit qui se pose à nous – il est vrai que le ministère de l’intérieur est le ministère du droit. Du reste, Pascale Léglise impose le respect lorsqu’elle défend un dossier devant le Conseil d’État. Je reviendrai vers vous dès que les travaux auront avancé. Imposer le voile à des petites filles relève en effet d’une aliénation à des fins idéologiques. Elles doivent être protégées – je partage votre avis.
Monsieur Kerbrat, les régularisations ne seront jamais massives. Je ferai un point au président de la commission dès que je serai en mesure de le faire. Avec le secrétaire d’État chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations, Othman Nasrou, nous serons intraitables en matière de discrimination. Nous pourrons en parler quand vous le souhaiterez.
Monsieur Pena, s’agissant de l’État de droit, je vais donner un exemple car j’ai été trop théorique. En 1993, M. Pasqua présenta un projet de loi relatif à l’immigration qui transposait notamment une directive européenne. Le Conseil constitutionnel censura en partie le texte. Si ce dernier avait été promulgué en l’état, la France serait devenue l’instance d’appel de tous les déboutés du droit d’asile des pays membres de l’Union européenne – contrairement aux règles qui régiront plus tard l’espace Schengen. M. Balladur estima qu’il revenait au constituant de donner son interprétation du texte. Il demanda donc la convocation d’un Congrès pour réviser la Constitution ; c’est ce qu’on appelait autrefois un lit de justice. M. Balladur est-il un dangereux illibéral ? Je ne le crois pas.
S’agissant de l’affaire Philippine, il se trouve qu’elle me touche personnellement. J’ai perdu un ami, assassiné par une personne présente irrégulièrement depuis dix ans sur le territoire français, sous le coup de trois OQTF, et qui a brûlé la cathédrale de Nantes. En raison de troubles psychologiques graves, sa garde à vue a été levée le soir de l’assassinat. À l’époque, on m’avait expliqué qu’il n’y avait pas eu de défaillance de l’État. On peut faire des ronds dans l’eau sur l’État de droit mais tant qu’une règle de droit ne protégera pas les Français, je ferai tout pour la modifier, dans le cadre de l’État de droit. Je ne céderai jamais sur ce point.
Madame Roullaud, je me suis déjà exprimé sur l’affaire Philippine. Parmi les articles censurés par le Conseil constitutionnel, figurait celui sur le délit de séjour irrégulier, que le Sénat avait réintroduit. Il est nécessaire de rétablir cette infraction, qui est conforme à la Constitution à condition qu’elle ne s’accompagne pas d’une peine d’emprisonnement. Cette mesure est importante pour les forces de l’ordre car elle leur donnera des pouvoirs d’enquête.
Monsieur Caure, je ne visais pas les Français établis à l’étranger – je remercie Roland Lescure d’avoir précisé mes propos.
S’agissant du Royaume-Uni, j’ai eu un premier contact avec Yvette Cooper, ministre de l’intérieur. J’ai organisé trois rencontres bilatérales à Naples, à l’occasion du G7 des ministres de l’intérieur : avec M. Matteo Piantedosi, ministre de l’intérieur italien, pour évoquer, notamment, la situation à Vintimille ; avec Mme Nancy Faeser, ministre fédérale allemande de l’intérieur, afin de connaître les modalités de rétablissement des contrôles aux frontières ; et avec Yvette Cooper, en vue de conclure un nouveau traité. Comme l’a justement indiqué Gérald Darmanin, un nouveau traité, auquel l’Union européenne serait partie, est nécessaire pour créer une voie d’immigration légale et encadrer les réadmissions. Depuis le début de l’année, cinquante personnes sont décédées dans la Manche et les forces de l’ordre sont régulièrement attaquées ou blessées – je ne compte plus les rapports que je reçois à ce titre. Nous sommes arrivés au bout du processus : on ne peut déployer davantage de personnes ni construire un mur de l’Atlantique. Il faut donc changer d’approche en signant un accord gagnant-gagnant avec les Britanniques.
Monsieur Christophle, la peine plancher en cas de récidive, c'est plutôt bien, non ? Je sais que ces chiffres ne vous plaisent pas mais je les rappelle : 5 % des récidivistes sont à l’origine de 50 % des actes de délinquance. La justice doit mettre les récidivistes « à l’ombre » pour qu’ils arrêtent de nuire. Cela soulève la question de l’écart entre les peines prononcées et les peines exécutées dont j’ai discuté avec Didier Migaud.
Monsieur Ray, mon objectif est d’appliquer la bonification des trimestres de retraite pour les sapeurs-pompiers volontaires au premier semestre 2025. J’ai un schéma en tête – je ne peux le divulguer – qui, compte tenu des difficultés budgétaires, permettrait de les valoriser. Il faut surtout prendre en compte la fidélité et l’engament de long terme. Dans certains départements, le turnover des sapeurs-pompiers volontaires est important. Je m’engage à leur accorder toute la reconnaissance nécessaire.
Quant à la proportionnelle, ce n’est pas vraiment mon truc. Le Premier ministre a évoqué une réflexion sur cette question : je les accueille toutes. Notre famille politique gaulliste n’y a jamais été très favorable. Le général de Gaulle n’avait pas souhaité faire figurer le mode de scrutin dans la Constitution ; il a bien fait. Je crains que le scrutin proportionnel ne provoque une rupture avec le territoire, à l’instar de la loi sur le non-cumul des mandats qui a déterritorialisé un certain nombre d’élus – nous risquons de ne pas être d’accord de nouveau. Faisons attention : cette proximité est absolument nécessaire. Cela étant, tout dépend de la proportionnelle envisagée. On peut ainsi envisager d’introduire une part de proportionnelle dans le scrutin majoritaire. Mme Braun-Pivet avait fait une proposition en ce sens.
M. le président Florent Boudié. En effet, M. Mignola et Mme Braun-Pivet avaient proposé d’introduire une part de proportionnelle dans le scrutin majoritaire, en élisant selon ce mode de scrutin les députés des départements qui comptent au moins onze députés, soit environ 25 % du nombre total de députés.
M. Bruno Retailleau, ministre. En tout cas, nos concitoyens ne me parlent jamais de ce sujet, qui préoccupe surtout les partis politiques. Les Français se soucient plutôt du pouvoir d’achat, de la sécurité, des services publics et de l’accès aux soins.
Monsieur Villedieu, la présomption de légitime défense pose la question du renversement de la charge de la preuve. En 2012, le Président de la République sortant avait proposé cette mesure dans son programme ; cette question est loin de faire consensus.
Monsieur Gillet, votre question appelle une triple réponse : au niveau international – notamment une collaboration avec les pays de transit, point que je pourrai développer ultérieurement –, européen, et national par la voie d’instructions, de règlements et de lois.
M. le président Florent Boudié. Merci, monsieur le ministre.
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La séance est levée à 20 heures 30.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Marie-José Allemand, M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Aurore Bergé, M. Ugo Bernalicis, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Moerani Frébault, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jérémie Iordanoff, M. Andy Kerbrat, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Stéphane Mazars, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, M. Éric Pauget, M. Marc Pena, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, Mme Sophie Vaginay, M. Roger Vicot, M. Antoine Villedieu, M. Jiovanny William
Excusés. - Mme Émeline K/Bidi, M. Laurent Marcangeli, Mme Caroline Yadan
Assistaient également à la réunion. - Mme Elsa Faucillon, M. Sacha Houlié, M. Nicolas Ray, Mme Estelle Youssouffa