Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

 Élection d’un vice-président, en remplacement de M. Jérémie Iordanoff  2

 Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités (n° 465) (Mme Colette Capdevielle, rapporteure)                            2

 Audition de M. Didier Leschi, dont la nomination à la fonction de directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est proposée par le Président de le République (M. Pouria Amirshahi, rapporteur)                            14

         Vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement  31

 Informations relatives à la Commission................ 32

 

 


Mercredi
13 novembre 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 17

session ordinaire de 2024 - 2025

Présidence
de M. Florent Boudié, président


  1 

La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Florent Boudié, président.

La Commission procède à l’élection d’un vice-président, en remplacement de M. Jérémie Iordanoff.

La commission est saisie des candidatures de Mme Brigitte Barèges et de Mme Sandra Regol.

L’élection du vice-président donne lieu à un tour de scrutin :

Nombre de votants………………………………… 35

Bulletins blancs ou nuls…………………………… 7

Suffrages exprimés………………………………… 28

Majorité absolue…………………………………… 15

Ont obtenu :

Mme Brigitte Barèges………………………………8 suffrages

Mme Sandra Regol …………………………………20 suffrages

Mme Sandra Regol ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, elle est élue vice-présidente.

*

*     *

Puis, la Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités (n° 465) (Mme Colette Capdevielle, rapporteure).

M. le président Florent Boudié. Par une décision du 28 septembre 2023, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions du code de procédure pénale prévoyant la purge des nullités de l’instruction préparatoire en matière correctionnelle, renvoyant les effets de sa décision au 1er octobre 2024 afin de laisser au législateur le temps de modifier les dispositions litigieuses.

La question de la purge des nullités se trouve à la confluence de la nécessité d’efficacité et de célérité des procédures, et de la garantie essentielle des droits des parties, en particulier le droit à un recours juridictionnel effectif.

La dissolution nous a empêchés de légiférer dans les temps et nous sommes désormais contraints par une certaine urgence, la date du 1er octobre étant passée. C’est pourquoi le gouvernement a choisi d’inscrire à l’ordre du jour de la séance publique du 19 novembre une proposition de loi visant à régler cette difficulté. Le Sénat l’a adoptée le 17 octobre à l’initiative de François-Noël Buffet. Nous avons quant à nous désigné Colette Capdevielle rapporteure.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Notre commission est saisie d’un texte en apparence technique, dont la portée pratique est importante, notamment pour les juridictions chargées de l’instruction des dossiers les plus complexes. La procédure d’instruction concerne un nombre limité de dossiers : obligatoire en matière criminelle, elle est facultative en matière correctionnelle et contraventionnelle. Elle est particulièrement précieuse pour faire la lumière sur les faits relevant de la criminalité organisée – notamment la délinquance économique et financière et le narcotrafic –, dont le traitement demande des investigations poussées. L’instruction préparatoire suit une procédure précisément détaillée par le code de procédure pénale, qu’il s’agisse de son ouverture, de son déroulement ou de sa clôture.

Le contrôle du respect de la procédure lors d’une instruction préparatoire repose sur un équilibre élaboré dans les années 1990. Le code de procédure pénale permet ainsi aux parties de veiller, tout au long de l’instruction, au respect de la procédure, qui peut être entachée de nullités.

Les parties peuvent porter ces nullités devant la chambre de l’instruction, qui est compétente. Comme l’indique l’article 171 du code de procédure pénale, il y a nullité lorsque la méconnaissance d’une formalité substantielle prévue par toute disposition du code de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. C’est une garantie procédurale essentielle permettant d’assurer le principe du contradictoire et les droits de la défense.

Les conséquences du prononcé d’une nullité sont parfois considérables. Comme le prévoit l’article 206 du code de procédure pénale, si la chambre de l’instruction découvre une cause de nullité, elle prononce la nullité de l’acte qui en est entaché et, le cas échéant, celle de tout ou partie de la procédure ultérieure. En d’autres termes, la découverte d’une nullité peut profondément fragiliser un dossier d’instruction, avec des incidences potentiellement lourdes, telles que la remise en liberté d’une personne détenue.

En contrepartie, la clôture de l’instruction entraîne la purge des nullités, qui ne peuvent plus être invoquées par la suite, que ce soit devant la chambre de l’instruction ou la juridiction de jugement. Cette purge des nullités est un élément essentiel de sécurisation des procédures d’instruction, qui permet de concentrer les débats devant la juridiction de jugement sur les questions de fond – la culpabilité et la peine. Elle est d’autant plus importante que ces nullités sont soulevées, dans la quasi-totalité des cas, dans des dossiers de criminalité organisée. Or, elles le sont devant des chambres de l’instruction déjà encombrées et très sollicitées, ce qui ne fait que ralentir l’avancée des procédures.

Le principe de la purge des nullités, introduit en 1993, a été validé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais certaines de ses récentes décisions l’ont fragilisé. À la suite d’une QPC transmise par la Cour de cassation, le Conseil a censuré la purge des nullités en matière correctionnelle, dans la mesure où elle ne prévoyait pas d’exception lorsqu’une partie ne pouvait avoir connaissance de l’existence de cette nullité et ne pouvait, dès lors, en contester la légalité devant la chambre de l’instruction.

S’agissant de la QPC soulevée à l’occasion de la célèbre affaire « François F. », le moyen de nullité excipé par la partie concernée provenait de déclarations de l’ancienne procureure de la République financière lors des auditions de la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, présidée par notre collègue Ugo Bernalicis et rapportée par Didier Paris. À l'époque, ces déclarations avaient causé un certain émoi. Or cette cause éventuelle de nullité, portée par l’une des parties devant le tribunal correctionnel, avait été purgée par la clôture de l’instruction, empêchant la partie concernée de la faire étudier. Le Conseil constitutionnel, saisi, a considéré que l’impossibilité de faire examiner une cause de nullité postérieurement à la clôture de l’instruction, pour le seul cas d’une nullité que les parties n’avaient pas pu connaître avant, méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense qui découlent de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le 28 septembre 2023, le Conseil constitutionnel a prononcé la censure des dispositions de l’article 385 du code de procédure pénale prévoyant la purge des nullités en matière correctionnelle. Eu égard à la déstabilisation des procédures en cours qui pourrait s’ensuivre, il a différé les effets de sa décision au 1er octobre 2024, comme le lui permet l’article 62 de la Constitution.

Ce délai est désormais échu. Bien que le calendrier ait été connu du précédent gouvernement depuis septembre 2023, il a fallu attendre une initiative sénatoriale, début juin, pour qu’une proposition de loi remédiant à la déclaration d’inconstitutionnalité soit déposée. Puisqu’elle a été adoptée par le Sénat le 17 octobre dernier, il revient à notre assemblée de se prononcer pour remédier à cette inconstitutionnalité.

Je regrette vivement que le Parlement n’ait pu se prononcer plus tôt. Le calendrier est d’autant plus problématique que le présent texte est inscrit à l’ordre du jour de la séance publique le 19 novembre, c’est-à-dire le même jour qu’une audience publique du Conseil constitutionnel à propos d’une QPC portant sur le mécanisme de purge des nullités en matière criminelle. Cette QPC en instance concerne l’alinéa 4 de l’article 181 du code de procédure pénale, c'est-à-dire des dispositions que le présent texte nous propose de modifier.

En tant que législateurs, nous nous retrouvons dans une situation inconfortable à double titre : tout d’abord, parce que nous devons nous prononcer dans l’urgence compte tenu du vide juridique existant en matière correctionnelle depuis le 1er octobre, mais aussi parce que nous devons prendre une décision dans un contexte juridique incertain, suspendu à une décision prochaine du Conseil constitutionnel.

Nous faisons face à un dilemme. Le gouvernement souhaite une adoption conforme pour sécuriser le mécanisme de purge des nullités en matière criminelle, correctionnelle et contraventionnelle. Dans cette optique, le présent texte se conforme à la jurisprudence constitutionnelle en ajoutant une exception pour les nullités dont les parties n’auraient pu avoir connaissance avant la clôture de l’instruction. Seules ces nullités pourraient ainsi être soulevées devant la juridiction de jugement.

Toutefois, mes travaux ont permis d’identifier des problèmes de rédaction, notamment à l’alinéa 12 de l’article 1er, dans la rédaction telle que modifiée par le Sénat. Cet alinéa modifie l’article 385 du code de procédure pénale, afin de prévoir que le tribunal correctionnel peut connaître, par exception, des moyens de nullité qui n’ont pu être connus par la partie qui les soulève « avant la clôture de l’instruction ou avant l’expiration des délais d’un mois ou de trois mois prévus par l’article 175 du code de procédure pénale ». Or ces délais expirent avant la clôture de l’instruction ; leur mention est donc inutile et peut même devenir une source de contentieux. La supprimer permettrait donc de sécuriser le texte.

Bien que je ne me satisfasse pas des conditions dans lesquelles le gouvernement nous demande de nous prononcer, je suis bien consciente de l’urgence de combler le vide juridique existant depuis le 1er octobre. Après en avoir discuté hier après-midi avec le ministre de la justice, je retire mes amendements au profit d’une adoption conforme de ce texte, malgré ses défauts, que l’examen du texte relatif au narcotrafic en début d’année prochaine nous permettra de corriger. Cela étant, je le répète, c’est l’imprévision du précédent gouvernement qui nous a conduits à la situation actuelle.

M. le président Florent Boudié. C’est tout de même le Conseil constitutionnel qui a censuré les dispositions du code de procédure pénale.

Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Marie-France Lorho (RN). Dans la procédure pénale, un acte n’est annulable que s’il méconnaît une formalité substantielle et qu’il porte atteinte aux droits de la partie qui le soulève, notamment la défense.

Le législateur a créé un mécanisme dit de purge des nullités, afin que ces dernières ne soient pas soulevées de façon dilatoire, voire pour la première fois le jour même de l’audience, alors que les actes d’enquête se sont poursuivis et sont devenus inutiles. Ainsi, l’ordonnance de renvoi, une fois rendue, permet aux parties de soulever la nullité des actes antérieurs à celle-ci.

Dans une décision du 28 septembre 2023, le Conseil constitutionnel a censuré ce dispositif parce qu’il ne prévoit pas d’exception pour les personnes qui n’auraient pu avoir connaissance des irrégularités éventuelles. Les conséquences de cette décision ouvrent la possibilité de voir des nullités soulevées très tardivement dans la procédure, perturbant l’audiencement des affaires, déjà chaotique et à flux tendu. Il était donc important d’adapter notre régime de purge des nullités à la décision du Conseil constitutionnel. Il s’agit d’une nouvelle preuve que cette autorité devient de plus en plus un colégislateur – mais c’est un autre débat.

Sur le fond, le groupe Rassemblement national est favorable à cette proposition de loi qui sauve un mécanisme de purge cohérent. Il apparaît logique qu’une partie soulève une nullité lorsque celle-ci lui cause un grief et affecte ses droits, et ce, dès qu’elle en a connaissance et non pas quand elle le souhaite, voire le jour-même de l’audience. Le mécanisme de purge connaîtra donc une exception lorsque la partie n’était pas en mesure de connaître la nullité et que sa défaillance ne procède pas d’une manœuvre ou de la négligence.

Les juridictions ne seront pas forcément épargnées par les contestations et les stratagèmes judiciaires. En effet, la jurisprudence devra préciser au cas par cas quelles situations recoupent l’exception au principe de la purge des nullités. À cet égard, il eut été préférable d’exclure de l’exception la partie en fuite ou celle qui ne répond pas aux convocations du juge ou des enquêteurs munis d’une commission rogatoire. En l’état, le groupe Rassemblement national votera en faveur de cette proposition de loi.

M. Ludovic Mendes (EPR). Cette proposition de loi vise à sécuriser le mécanisme de purge des nullités en matière pénale, à la suite de la censure de l’article 385 du code de procédure pénale par une décision du Conseil constitutionnel. Elle prévoit la possibilité de soulever une nullité même après la fin de l’instruction si la partie n’en avait pas connaissance antérieurement.

Pour rappel, la nullité est invocable devant toutes les juridictions pénales et a pour effet l’annulation de l’acte concerné. En d’autres termes, celui-ci ne peut plus être retenu contre la personne mise en cause ou mise en examen au cours de l’enquête ou de l’instruction, ni devant la juridiction de jugement. Cette impossibilité touche non seulement l’acte lui-même, mais aussi l’ensemble des éléments de preuve qu'il a permis de recueillir.

Plusieurs raisons justifient le retour de ce mécanisme de purge des nullités. Tout d’abord, il garantit le respect des droits fondamentaux tout en maintenant l’efficacité de la justice pénale. Le respect des droits de la défense est au cœur du fonctionnement de notre système judiciaire, mais il est également impératif d’assurer la bonne administration de la justice, d’éviter les retards et de préserver l’efficacité des procédures pénales. En réintroduisant une exception au mécanisme de purge des nullités, ce texte trouve un équilibre entre ces deux exigences contradictoires. Il permet de protéger les droits de la défense tout en évitant que les irrégularités procédurales ne soient utilisées comme un outil dilatoire, risquant ainsi de paralyser les juridictions et de ralentir le processus judiciaire.

Le respect de la décision du Conseil constitutionnel est un gage de conformité avec les principes fondamentaux, car la censure par le Conseil constitutionnel du premier alinéa de l’article 385 s’inscrit dans la logique de respect des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif. Cette décision a rappelé la nécessité de garantir aux prévenus la possibilité d’identifier et de soulever des nullités qui ne sont apparues qu’après la clôture de l’instruction. En rétablissant une solution similaire à celle qui prévalait avant la réforme de 2024, ce texte respecte pleinement cette décision constitutionnelle. Il ajuste l’architecture procédurale pour qu’aucune partie ne soit privée de la possibilité de défendre ses droits, en particulier dans les situations où elles ne peuvent avoir connaissance des irrégularités qu’après la fin de l’instruction.

C’est pourquoi le maintien de l’efficacité des juridictions et de la gestion des délais est impératif pour concilier le respect des droits des justiciables avec l’exigence de gestion des délais dans la procédure pénale. L’introduction de la possibilité de soulever une nullité en correctionnelle, dans un cadre précis, vise à éviter un recours systématique et disproportionné aux nullités. Sans cette mesure, les juridictions risqueraient de se retrouver surchargées par des demandes de nullité, entraînant une prolongation indue des procédures pénales et une mise en péril de l’efficacité des juridictions correctionnelles.

Ce texte est une réponse pragmatique aux défis posés par les réformes précédentes, en réintroduisant une exception permettant de soulever une nullité en fonction de la prise de connaissance tardive de cette irrégularité. Il s’adapte aux réalités des procédures pénales contemporaines. De plus, cette solution est transposée aux procédures criminelles, ainsi qu’aux procédures devant le tribunal de police, garantissant ainsi une uniformité et une équité dans le traitement des questions procédurales à tous les niveaux de la juridiction pénale.

La présente proposition de loi vise à apporter une réponse équilibrée aux impératifs de protection des droits de la défense et de maintien de l’efficacité de la justice pénale. En réintroduisant un mécanisme de contrôle des nullités dans des conditions strictement encadrées, elle protège les justiciables tout en limitant les abus procéduraux et les retards inutiles. Elle propose un compromis nécessaire pour garantir une justice équitable et réactive, sans que le processus judiciaire soit paralysé par des recours dilatoires. L’abrogation du mécanisme de purge de nullités ayant pris effet au 1er octobre 2024, il est nécessaire de légiférer rapidement, afin d’éviter toute surcharge des juridictions pénales par une avalanche potentielle de requêtes en nullité.

Le texte doit entrer rapidement en vigueur et la version adoptée par le Sénat permet de répondre à l’ensemble des enjeux évoqués. C’est pourquoi le groupe Ensemble pour la République est favorable à une adoption conforme du texte issu de la chambre haute.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Pour un mis en cause, les purges de nullité peuvent avoir l’effet d’un couperet. L’enjeu de cette proposition de loi, soutenue par le gouvernement, consiste à la fois à sécuriser la procédure et à respecter les droits fondamentaux de la défense. Pour atteindre ce délicat équilibre, le texte vise à ajouter deux points au code de procédure pénale.

Premièrement, une nullité pourra être invoquée après la fin d’une enquête, si le mis en cause n’a pu en avoir connaissance avant. Mais comment le prouver ? En outre, l’état d’avancement des travaux de la rapporteure évoque la lutte contre les narcotrafiquants. On a du mal à comprendre comment on passe d’une QPC relative à l’affaire François Fillon à la lutte contre les narcotrafiquants – à moins que celui-ci en soit devenu un, ce dont je doute malgré tout ? Le gouvernement et les sénateurs ont-ils décidé que tout se jouerait sous cette nouvelle égide ?

Cette première proposition ne nous convainc donc qu’à moitié, dans la mesure où elle n’est pas suffisamment définie. Nous aurions préféré que la dimension de nouveauté soit plus explicite et que l’ensemble soit clairement énoncé. Prêter à attention à la question de la forme est absolument fondamental en matière de procédure pénale si l’on veut écarter tout arbitraire.

Le deuxième aspect de la proposition de loi, concernant les manœuvres dilatoires, nous pose problème. À travers les manœuvres dilatoires semblent en effet visées les droits de la défense et le travail des avocats. Cette partie est très problématique, parce qu’elle attaque les droits de la défense. Nous osons dire que cet ajout est hors sujet et s’apparente à un cavalier législatif. Nous nous méfions des apprentis sorciers qui pensent résoudre des problèmes, en l’occurrence la criminalité organisée, terme que nous préférons à « narcotrafic », en modifiant le code de procédure pénale qui, à nos yeux, n’a d’efficacité que s’il respecte les droits et les libertés attachés à notre République.

M. le président Florent Boudié. Cette proposition de loi ne constitue en rien un cavalier législatif.

M. Hervé Saulignac (SOC). Cette proposition de loi fait figure de cas d'école pour tous les étudiants en droit pénal et en droit constitutionnel, peut-être aussi pour certains ministres, tant elle montre à quoi sert l'État de droit. Dans un État de droit comme le nôtre, un citoyen a les moyens de contester les procédures dont il fait l’objet par une QPC, comme l’a fait l’ancien premier ministre François Fillon. Le Conseil constitutionnel, auquel la Cour de cassation l’a transmise, a pu en vérifier la conformité avec deux principes fondamentaux de notre République et pas des moindres : le droit à un recours effectif et les droits de la défense.

Après la décision de censure qui a été prise, c'est au législateur de prendre ses responsabilités et de corriger, en quelque sorte, le droit en pleine souveraineté, dans le respect des principes fondamentaux de notre pays. Un seul acteur n'a finalement pas tout à fait joué son rôle constitutionnel, c'est le gouvernement précédent et nous le regrettons. Le Conseil constitutionnel avait pourtant été prévenant en laissant un délai d'un an à compter de sa décision. Ce délai est désormais échu et notre droit est fragilisé.

Ce n’est donc pas un projet de loi que nous examinons, mais une proposition de loi, celle des sénateurs François-Noël Buffet et Philippe Bonnecarrère, qui a recueilli l’assentiment du gouvernement. Je veux saluer l’initiative de nos collègues qui démontre une fois de plus la vitalité de la vie parlementaire de ce pays. Nous aurions fait preuve d’une légèreté incompréhensible si nous avions laissé béant un tel vide juridique et l’on aurait pu nous en tenir pour responsables, voire coupables.

Le mécanisme de la purge des nullités de l'instruction préparatoire en matière correctionnelle et criminelle est aussi indispensable que son fonctionnement paraît aride. L'enjeu est grave, compte tenu des guérillas judiciaires que subissent nos magistrats, notamment dans les affaires de criminalité organisée. Notre droit ne peut pas se permettre la moindre lacune.

Il y a donc urgence à combler ce vide juridique et cette commission doit y répondre. Il est néanmoins regrettable de légiférer dans de telles conditions. La rapporteure, dont je salue le travail précis et pragmatique, mais aussi la sagesse puisqu'elle a indiqué qu'elle allait retirer ses propres amendements, a soulevé des interrogations légitimes et nous les partageons mais nous devons tous faire preuve avec elle de pragmatisme. Le texte a déjà reçu des modifications heureuses au Sénat. Le dispositif a été harmonisé et simplifié : l'examen des vices de procédure est désormais confié à la seule juridiction compétente au fond. Ainsi a été établi un équilibre entre, d'une part, le respect du droit à un recours juridictionnel effectif, par la faculté ouverte à la défense de soulever une nullité qu'elle ne pouvait connaître au moment de l'instruction, et, d'autre part, la garantie de la sécurité juridique et de l'efficacité de la justice, grâce à une limitation des abus de procédure. Dans un esprit de responsabilité et d'efficacité, le groupe Socialistes et apparentés votera cette proposition de loi.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, socle de notre État de droit, pose, à son article 16, un principe fondamental : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. ». En découlent le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable, sur lesquels s'est appuyé le Conseil constitutionnel pour rendre sa décision, que nous saluons, car elle va dans le sens du respect de l’État de droit.

Si je tiens à mon tour à rappeler qu’elle fait suite à une question prioritaire de constitutionalité déposée par l'ancien premier ministre et candidat à l’élection présidentielle François Fillon, condamné à près de 750 000 euros d'amende dans l’affaire des emplois fictifs, c’est pour déplorer que certaines forces politiques ne s'intéressent au droit à un procès équitable et aux droits de la défense que lorsque l’un des leurs est sur le banc des accusés Ces postures nourrissent l'idée fausse d'une justice à deux vitesses.

Nous regrettons que notre assemblée se penche avec retard sur les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, qui a pris effet le 1er octobre dernier. Alors que nous avions un an devant nous, il nous faut maintenant légiférer dans l’urgence pour combler un vide juridique qui expose les droits de la défense et des justiciables à des risques.

Sur le fond, cette proposition de loi nous semble constituer une réponse adaptée à la décision du Conseil constitutionnel. Elle vise à trouver un équilibre entre le droit à un recours juridictionnel effectif, en permettant à la défense de soulever une nullité encore inconnue lors de l'instruction, et la nécessité de renforcer la sécurité juridique ainsi que l'efficacité des procédures. Les modifications du code de procédure pénale auxquelles elle procède ont vocation à s'appliquer en matière correctionnelle, contraventionnelle et criminelle. Son objectif est de limiter les abus procéduraux, de mieux encadrer les délais dans lesquels les nullités peuvent être soulevées, et de régulariser les irrégularités sans compromettre les droits fondamentaux des justiciables.

Le groupe Écologiste et social estime qu’il est essentiel de sécuriser les décisions de justice, tout en protégeant les droits des victimes et ceux des justiciables, et d’assurer des procédures à la fois rapides et équitables. Dans un esprit de responsabilité et par souci de l'efficacité de la justice, il votera pour ce texte.

M. Philippe Latombe (Dem). La purge des nullités constitue un enjeu essentiel dans la procédure pénale. Nous savons quelles conséquences désastreuses peut avoir le prononcé d’une nullité lorsqu’il intervient tardivement dans la procédure. La presse se fait ainsi souvent l’écho de nullités de procédure soulevées par les avocats de prévenus poursuivis pour des faits de vol, d'agressions sexuelles, de violences ou bien encore de narcotrafics, conduisant à des relaxes aux conséquences dramatiques. Pour autant, il n'est pas question de remettre en cause la possibilité d’agir en nullité, bien au contraire. Ces sanctions prononcées par le juge, en raison de la violation de règles procédurales, sont particulièrement nécessaires à une bonne administration de la justice et à la protection des droits des justiciables. Elles conduisent à l'inefficacité d'actes juridiques ne répondant pas, sur le fond ou la forme, aux conditions de leur validité. C’est dans ce but que le législateur a fait le choix de mettre en place ce mécanisme dans les années 1990.

La proposition de loi fait suite à la censure prononcée par le Conseil constitutionnel sur les dispositions relatives à la purge des nullités en matière correctionnelle. Il a estimé que celles-ci n'étaient pas conformes au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense. Un requérant avait découvert une cause de nullité après la clôture de l'instruction, alors que le vice s'était produit pendant l'instruction. La purge l’avait alors empêché d'exposer ses arguments aux fins de nullité. Le Conseil constitutionnel a retenu la censure d'une partie de l'article 385 du code de procédure pénale en reportant son abrogation au 1er octobre 2024. En l’absence de modifications depuis cette date, les procédures pendantes et à venir devant les tribunaux correctionnels sont exposées à une insécurité juridique, à laquelle il nous faut mettre fin de manière urgente. Tel est l'objectif de la présente proposition de loi.

Le texte prévoit de rétablir le mécanisme des purges de nullité devant le tribunal correctionnel tout en prenant en compte les exceptions résultant de la décision du Conseil constitutionnel, autrement dit en permettant qu'une nullité puisse toujours être soulevée si le requérant n'a pu en avoir connaissance avant la clôture de l'instruction.

En outre, la proposition de loi va plus loin : elle étend cette possibilité à l’ensemble des juridictions répressives. Les simplifications proposées par le Sénat vont dans le bon sens selon nous, en assurant notamment aux justiciables la possibilité de soulever la nullité d'un acte non couvert par les purges. Plus précisément, il s'agissait de préciser dans la loi que l'ignorance de la personne mise en cause dans le cadre d'un délit ne peut lui profiter qu'en l'absence de manœuvre ou de négligence de sa part. En outre, il est de bon aloi de prévoir que seules les juridictions du fond seront compétentes pour connaître des cas de nullité que les parties ne pouvaient pas connaître avant la clôture de l'instruction.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi : le dispositif élaboré par le Sénat, équilibré et lisible, contribue à une bonne administration de la justice. Il nous paraît indispensable de l'adopter dans les plus brefs délais. À cet égard, nous nous félicitons du choix de la rapporteure de retirer ses amendements en vue d’une adoption conforme.

Je profite de l’examen de ce texte pour vous rappeler que nous sommes confrontés à un vide juridique similaire s’agissant des réquisitions de données de connexion par les procureurs. Il n'y a eu aucune évolution législative depuis le 1er janvier 2023, date à laquelle la censure est devenue effective.

M. le président Florent Boudié. Je souscris à votre dernière remarque.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Le groupe Horizons & indépendants tient à saluer l'initiative des sénateurs François-Noël Buffet et Philippe Bonnecarrère. Après la censure prononcée par le Conseil constitutionnel, leur proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités était nécessaire pour sauvegarder cette procédure utile.

La possibilité de soulever un moyen de nullité fait partie des exigences liées au respect des droits de la défense. Nous comprenons bien toutes les raisons pour lesquelles les procédures judiciaires ne pourraient aller à leur terme en cas de méconnaissance de formalités substantielles. Des garanties essentielles sont en effet en jeu lorsque les intérêts d’une partie sont lésés – pensons à l’absence d’un interprète lorsque le mis en cause n'est pas en mesure de comprendre ou de lire le français.

Toutefois, il est tout aussi nécessaire d'éviter que ces motifs de nullité ne constituent des obstacles pour les enquêteurs, que des manœuvres dilatoires empêcheraient de traduire en justice les personnes mises en cause. C'est tout l'objet du mécanisme de purge des nullités qui rend irrecevable devant la juridiction de jugement toute exception tirée de la nullité de la procédure antérieure à sa saisine. Il permet ainsi de préserver l'efficacité et la rapidité des procédures, impératifs qui doivent toutefois être conciliés avec la pleine garantie des droits des parties, sous peine de censure du Conseil constitutionnel.

Dans sa décision du 28 septembre 2023, celui-ci a estimé que le mécanisme de purge des nullités méconnaît le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense, dans la mesure où il ne prévoit aucune exception lorsque la partie n'a pu avoir connaissance de l'irrégularité éventuelle d'un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l'instruction.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, notre groupe estime qu'il est indispensable de rétablir le mécanisme de purge des nullités qui a partiellement disparu de notre code de procédure pénale depuis le 1er octobre 2024. Cette proposition de loi, si elle est essentiellement technique, est en outre plus que justifiée par l'actualité, marquée par l’annulation de procès de narcotrafiquants en raison de nullités de procédure.

Notre groupe souhaite également saluer la qualité du texte transmis par le Sénat. En retenant une rédaction large et en incluant tous les types de juridictions, cette proposition de loi permettra d'écarter le risque d’une censure ultérieure. Le vote conforme est nécessaire si nous voulons combler le vide juridique auxquels nous sommes confrontés et je tiens à mon tour à remercier la rapporteure d'avoir retiré ses amendements. Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette proposition de loi.

Mme Martine Froger (LIOT). Cela fait plus d'un an que le Conseil constitutionnel a censuré le mécanisme de purge des nullités à la suite de la QPC déposée par François Fillon. L'apparente technicité du sujet de cette proposition de loi ne doit pas en atténuer les enjeux. L'activité quotidienne des juridictions pénales nous montre à quel point un mécanisme de purge des nullités est indispensable, compte tenu des effets dévastateurs que peuvent avoir les nullités sur une procédure. Face aux effets disproportionnés qu'aurait eus une censure brutale, le Conseil constitutionnel avait fait le choix judicieux de laisser du temps au gouvernement pour réagir. Celui-ci avait jusqu'au 1er octobre 2024 mais la date butoir a été dépassée sans qu’il ait pris d’initiative pour modifier le code de procédure pénale. Le Sénat s’y est donc attelé.

Personne ici ne remet en doute l'utilité de la purge des nullités qui permet de sécuriser l'instruction judiciaire dans les dossiers les plus complexes. Ce mécanisme vise essentiellement à limiter les recours dilatoires et traduit le devoir de loyauté de la défense en empêchant qu'une partie n'invoque au dernier moment une nullité qu'elle aurait pu soulever à une étape antérieure. Cela dit, les deux censures du Conseil constitutionnel, en matière criminelle puis en matière correctionnelle, étaient justifiées : dans un État de droit, le droit à un recours effectif et les droits de la défense doivent toujours être préservés. Or, dans quelques cas, la purge intervenait avant même que les parties n'aient pu avoir connaissance d’une nullité.

Sans remettre en cause le régime de la purge, le Conseil constitutionnel a légitimement demandé au législateur de prévoir des exceptions. En réponse à cette demande, le Sénat a effectué le travail que le gouvernement n'a pas fait. Le présent texte permet de modifier le mécanisme de purge conformément à la jurisprudence constitutionnelle. Il prévoit une exception permettant aux parties de soulever une nullité si elles n’ont pu en avoir connaissance avant la clôture de l'instruction.

Notre groupe salue le choix de rénover et d'harmoniser l'ensemble des procédures en matière contraventionnelle, correctionnelle et criminelle afin d'éviter une nouvelle censure. L'équilibre du texte devrait assurer la bonne administration du service public de la justice, tout en garantissant les droits de la défense. Notre seule réserve porte donc sur le calendrier. Le manque d'anticipation nous oblige à légiférer sur un sujet sensible dans des délais contraints. De plus, notre groupe constate que l'examen de ce texte survient alors qu'une nouvelle QPC est en instance devant le Conseil constitutionnel. Ces remarques de forme faites, nous voterons pour cette proposition de loi.

M. le président Florent Boudié. Je rappelle que le retard est dû principalement à la dissolution. La responsabilité n’en incombe à personne dans cette salle.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). En matière de procédure pénale, il faut trouver le bon équilibre entre sécurité juridique, respect des droits de la défense et bonne administration de la justice. La tenue d'un procès coûte de l'argent et il semblerait qu’il n’y en ait plus beaucoup dans les caisses de l'État. Lorsqu’une procédure aboutit devant le juge d’instruction, il faut constituer un jury, mobiliser des magistrats professionnels, des greffiers et prévoir plusieurs jours d’audience. Si, dans un État de droit, il est bon que des nullités puissent être soulevées, il importe de s’assurer qu’elles ne le soient pas à la dernière minute, réduisant à néant ce coûteux travail d’organisation. Le mécanisme de purge des nullités est, à cet égard, indispensable au bon fonctionnement de la justice pénale.

Le Conseil constitutionnel est venu censurer en partie ce régime, considérant que certains principes constitutionnels n’étaient pas respectés. Cette proposition de loi entend rétablir ce mécanisme, en prenant en considération les exigences du Conseil. J'entends bien que la dissolution a pu chambouler quelques agendas, les nôtres en premier lieu, et nous n'en sommes pas responsables. Reste que depuis le 1er octobre, le mécanisme de purge des nullités n'existe plus. Il y a donc urgence à légiférer. Nous voterons en faveur de cette proposition de loi, nécessaire pour notre justice pénale.

Mme Brigitte Barèges (UDR). En prenant connaissance du titre du texte, j’ai cru que le grand soir était arrivé et que la partie du code de procédure pénale consacrée aux nullités serait révisée. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité et la difficulté de trouver un équilibre entre la préservation des droits de la défense, le respect des libertés publiques et la lutte contre l’obstruction systématique qui entrave l’efficacité de la justice pénale à coups de recours dilatoires pour vices de procédure – manœuvres qui peuvent mener à l’annulation pure et simple de toute la procédure et empêcher les poursuites pénales.

De mes années d’avocate, j’ai le souvenir d’avocats corses, qui, à l’audience, parvenaient à obtenir la relaxe de leurs clients, au casier judiciaire particulièrement chargé, juste parce que tel ou tel article du code leur permettait de faire annuler toute la procédure. C’était très impressionnant. Forcément, je suis donc un peu déçue de ce texte minimaliste – même la rapporteure en a convenu. Au regard de l’urgence, le groupe Union des droites pour la République le votera, mais nous attendons toujours le grand soir promis par Bruno Retailleau – peut-être viendra-t-il de la proposition de loi sur le narcotrafic ?

Monsieur Duplessy, nous sommes tous engagés pour défendre l’équité devant la loi et les droits de la défense – principes que j’ai toujours défendus à titre personnel comme professionnel. Néanmoins, nous savons tous combien le recours excessif aux nullités peut être un obstacle dans la procédure judiciaire. Les enquêteurs de la gendarmerie, de la police, les personnes chargées de l’instruction du parquet, travaillent souvent dans l’urgence et dans des conditions difficiles : il est terrible de voir un petit détail – un grain de sable – passé inaperçu réduire à néant leur travail pour traduire de vrais truands devant les tribunaux.

Les ordonnances de renvoi, qui permettent de purger les nullités antérieures dans la procédure d’instruction, ont été un succès. Néanmoins, le Conseil constitutionnel a souligné que les parties pouvaient ne pas avoir eu connaissance de certaines causes de nullité avant le rendu de l’ordonnance. Soit, je comprends le principe, mais le dispositif proposé pour pallier ce manque m’inquiète, car il est source de contentieux. Comment s’assurer que la partie n’était réellement pas au courant, la demande est-elle légitime ou n’est-ce qu’un moyen de se soustraire à la procédure ? La jurisprudence confortera probablement la place de la présomption dans l’examen de la légitimité et de la recevabilité de la demande de nullité.

En somme, nous allons reculer pour mieux sauter. Pour rendre la justice plus efficace et éviter l’obstruction systématique des vrais voyous et des délinquants dangereux, il faudra bien, un jour ou l’autre, toiletter le code de procédure pénale. Ce travail d’Hercule ne sera pas facile, car l’équilibre avec les droits de la défense est délicat, mais il est indispensable.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Je vous remercie de vous être intéressés à ce sujet aride et d’avoir souligné la nécessité de trouver un équilibre entre la recherche d’efficacité et la préservation des droits.

Monsieur Mendes, vous avez souligné que le texte proposait une solution pragmatique pour éviter la surcharge des juridictions tout en assurant la nécessaire protection des droits de la défense, mais craignez une avalanche de procédures en nullité : à ma connaissance, ce n’est pas le cas, mais le risque est d’autant plus évident que le dispositif vise des dossiers dans lesquels les enjeux sont très importants, et la défense très organisée – vous voyez à quoi je fais allusion.

Madame Martin, le respect des droits de la défense est évidemment important, mais celui du droit des victimes à un procès équitable aussi : le respect des délais en fait partie. Sur la forme, avec la décision du Conseil constitutionnel, le code de procédure pénale ouvrira la possibilité à une personne mise en examen de soulever une cause de nullité dont elle n'aurait pas eu connaissance devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police, y compris une fois l’ordonnance de renvoi rendue, afin d’éviter d’entacher de nullité la procédure d’instruction.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). C’est la deuxième partie du dispositif que nous contestons !

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Dans l’affaire le concernant, François Fillon n’avait pas pu se prévaloir des déclarations d’un témoin pour demander la nullité de la procédure, car l’ordonnance de renvoi avait déjà été prononcée. Ce genre de cas reste, fort heureusement, peu fréquent.

Il s’agit uniquement, je le répète, de combler un vide juridique. Cela ne me semble pas être un cavalier législatif.

Monsieur Saulignac, je vous remercie d’avoir rappelé les principes de l’État de droit et la nécessité d’agir avec efficacité, pragmatisme et sens de la responsabilité.

Monsieur Duplessy, il faut effectivement limiter les abus procéduraux, ne serait-ce que par respect pour le droit des victimes. Vous êtes le seul à en avoir parlé, et je vous en remercie. N’oublions pas qu’elles aussi sont partie au procès.

Vous avez tous, unanimement, souligné la nécessité de trouver un équilibre entre préservation des droits et respect des procédures, c’est-à-dire d’allier responsabilité, efficacité et sécurité.

Madame Froger, je suis d’accord : entre la décision du Conseil constitutionnel, en septembre, et la dissolution, en juin, nous avions amplement le temps de nous saisir de ce sujet. On ne peut que déplorer le temps de gestation du texte. À cet égard, monsieur le président, il serait souhaitable de s’assurer qu’il n’y a pas d’autres décisions du Conseil constitutionnel pendantes pour, le cas échéant, les examiner rapidement : cela éviterait d’avoir à choisir entre l’amélioration du dispositif et la nécessité d’adopter rapidement un texte pour combler un vide juridique. Ce dilemme m’a mise mal à l’aise.

Madame Barèges, le risque de contentieux est inhérent à tout droit. Quoi qu’il en soit, le débat sur les moyens de nullité sera rouvert avec la proposition de loi sur le narcotrafic, qui sera examinée au Sénat avant d’arriver devant l’Assemblée. Ce ne sera peut-être pas le grand soir que vous attendez, mais la question des nullités se posera inévitablement.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons à l’examen des articles.

Article 1er : Modification du régime de purge des nullités

Amendement CL1 de M. Ugo Bernalicis

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Je n’ai probablement pas été suffisamment claire : seule la seconde partie du dispositif nous semble être un cavalier législatif, c’est pourquoi nous proposons de la supprimer.

En signe d’ouverture, nous acceptons que la révélation d’une nullité entache rétroactivement tout ou partie de la procédure. La forme étant garante de droit, nous aurions préféré que les situations visées soient plus clairement définies, mais nous acceptons votre choix, qui reste plutôt logique et juste.

En contrepartie, nous vous demandons de supprimer la seconde partie du dispositif, qui revient à inverser la charge de la preuve. On ne peut pas demander aux avocats de la défense de prouver que la méconnaissance d’une nullité ne résulte pas d’une négligence de leur part ! C’est une atteinte aux droits de la défense, et donc au droit à un procès équitable dû à toute victime. Nous ne pouvons l’accepter, et c’est pourquoi nous avons déposé cet amendement.

Si cet amendement n’était pas adopté, nous voterions contre la proposition de loi.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer la restriction à l’exception de la purge des nullités en matière correctionnelle pour les défauts d’information de la personne mise en examen.

Je comprends votre inquiétude concernant les droits de la défense, mais nous ne faisons qu’étendre à la procédure correctionnelle et en matière de police un dispositif qui existe déjà en matière criminelle. Cela me semble plutôt logique, et même légitime : je ne vois pas au nom de quoi on ferait une distinction, d’autant que, contrairement à ce que vous avez laissé entendre, on juge aussi des affaires très graves en correctionnelle.

En supprimant la possibilité d’invoquer sa propre négligence pour se prévaloir d’une nullité, l’objectif est bien d’éviter les manœuvres – tout est dans le terme – dilatoires des justiciables malhonnêtes qui détournent les textes pour éviter de comparaître devant les juridictions. Ce n’est pas acceptable, et vous en êtes sûrement d’accord.

D’ailleurs, contrairement à ce que vous pensez, le texte ne prévoit pas qu’il appartient à la partie qui soulève la nullité de prouver qu’il n’y a eu ni manœuvre, ni négligence de sa part : c’est pure invention. Le droit pénal et la procédure pénale s’interprètent strictement, ne leur faites pas dire ce qu’ils ne disent pas. Notons, car c’est important, qu’une fois prononcée l’ordonnance de renvoi, toutes les parties ont la possibilité de soulever des nullités devant les juridictions saisies. Je ne comprends donc vraiment pas votre position.

Enfin, il me semble important de sécuriser le renvoi des affaires devant les juridictions dans un délai raisonnable.

J’ai bien pris acte de votre décision de voter contre le texte si cet amendement n’était pas adopté, mais je vous demande de bien vouloir le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Je comprends vos arguments, mais ce sera forcément aux avocats de la défense de prouver qu’ils n’ont pas été négligents – je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.

Si l’objectif est d’empêcher les manœuvres dilatoires et les négligences organisées – qui sont effectivement un problème –, peut-être vaudrait-il mieux s’assurer que les ordonnances de renvoi vers les juridictions sont argumentées et rédigées avec rigueur, afin que les avocats de la défense ne puissent pas se glisser dans une éventuelle faille. Encore faut-il en donner les moyens à ceux qui rédigent ces ordonnances. À cet égard, cette proposition de loi ne réglera rien. On a souvent l’impression que les changements du code de procédure pénale ne servent qu’à pallier un manque de moyens et des problèmes d’organisation.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 1er non modifié.

Article 2 : Application outre-mer

La commission adopte l’article 2 non modifié.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

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*     *

Puis, la Commission auditionne M. Didier Leschi, dont la nomination à la fonction de directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est proposée par le Président de le République (M. Pouria Amirshahi, rapporteur).

M. le président Florent Boudié. La commission est réunie pour examiner, sur proposition du président de la République, la reconduction de M. Didier Leschi aux fonctions de directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) auxquelles il a été nommé en 2016 et renouvelé en 2019 puis en 2022. La loi organique du 30 mars 2020 impose que les commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale se prononcent sur cette nomination. Conformément à l’article 13 de la Constitution, elle ne pourra avoir lieu si l’addition des votes négatifs représente plus de trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

M. Leschi vient d’être entendu par la commission des lois du Sénat ; pour préserver la simultanéité des travaux, le dépouillement aura lieu en même temps à l’Assemblée nationale et au Sénat, à l’issue de cette audition.

Ainsi qu’en dispose l’article 29-1 du règlement de l’Assemblée, la commission a désigné un rapporteur appartenant à un groupe minoritaire ou d’opposition en la personne de Pouria Amirshahi du groupe Écologiste et social. Le rapporteur a envoyé un questionnaire à M. Leschi auquel ce dernier a apporté des réponses écrites ; elles ont été adressées aux commissaires des lois hier, puis mises en ligne sur le site internet de l’Assemblée à la page consacrée à l’activité de la commission.

M. Pouria Amirshahi, rapporteur. Notre commission vous reçoit pour apprécier votre bilan et connaître votre regard sur l’institution, les enjeux que vous identifiez et vos priorités si votre nomination était confirmée.

Bien que vous soyez directeur général de l’Ofii depuis janvier 2016, c’est seulement la deuxième fois que notre commission se prononcera sur votre reconduction, puisque votre fonction n’est soumise à la procédure de nomination rappelée par le président que depuis l’adoption de la loi organique du 30 mars 2020. Cet ajout témoigne de l’importance de vos missions dans la conduite de la politique migratoire et de l’attention que le Parlement doit y porter. L’établissement public que vous dirigez depuis plus de huit ans joue un rôle essentiel dans l’accueil et l’intégration des étrangers en France. À l’heure où l’immigration n’est plus abordée que sous l’angle sécuritaire, un bref rappel historique n’est pas inutile.

Créé, ce que d’aucuns oublient, par une ordonnance du général de Gaulle le 2 novembre 1945, ce qui était alors l’Office national d’immigration (ONI) avait pour missions originelles le recrutement, l’accueil et l’intégration des travailleurs étrangers pour participer à la reconstruction de la France au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Depuis, les missions de l’Office se sont diversifiées. Il intervient dans le premier accueil et l’accompagnement des demandeurs d’asile, la gestion des procédures d’immigration régulière tant professionnelles que par le regroupement familial et l’admission au séjour pour soins médicaux, ainsi qu’en matière de retour volontaire et d’aide à la réinsertion des étrangers dans leur pays d’origine. De plus, l’Ofii assure l’accueil et l’intégration des étrangers autorisés à séjourner durablement en France par le biais de formations civiques et linguistiques délivrées dans le cadre du contrat d’intégration républicaine.

Je ne reviendrai pas sur votre parcours désormais bien connu de notre commission, mais je souhaite avoir votre regard informé sur la politique d’accueil et d’intégration menée en France, dont vous êtes un opérateur éminent.

Les migrations sont un phénomène structurel mondial qui pourrait à l’avenir être aussi nourri par le changement climatique. La France n’accueille qu’une faible partie des migrations. Entre 2014 et 2020 par exemple, elle n’a recueilli que 4,5 % des demandes d’asile déposées dans l’Union européenne par les ressortissants syriens, irakiens ou afghans. Trois quarts des réfugiés et des personnes ayant besoin de protection ne sont pas accueillis en Europe mais dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Les migrations sont souvent infrarégionales : on se déplace plus facilement dans le pays voisin que l’on ne prend le risque de parcourir des milliers de kilomètres pour trouver un abri éventuel. Ce faible taux d’accueil est d’autant plus paradoxal que le déclin démographique que connaît la France provoque un fort besoin de main d’œuvre ; l’immigration pourrait y répondre, ainsi qu’au défi de notre système de protection sociale.

Plutôt que le débat public se focalise sur l’immigration illégale, ne faudrait-il pas définir une politique favorisant les voies légales et sûres de l’immigration ainsi que l’accueil et la régularisation des étrangers présents sur notre territoire où, faute de statut, ils sont bien souvent contraints de travailler dans l’illégalité ? L’État ne crée-t-il pas lui-même les difficultés d’intégration en maintenant dans l’illégalité des personnes qui peuvent s’installer durablement en France et participer au monde du travail ?

L’accueil des déplacés ukrainiens est à cet égard emblématique. L’Europe et la France ont montré que, lorsqu’on simplifie les démarches en permettant l’accès rapide à un statut légal, au marché de l’emploi et à l’hébergement, on facilite considérablement la bonne intégration. Quelles raisons, selon vous, ont conduit à ne pas établir le même dispositif pour les demandeurs d’asile d’autres pays ? Cette expérience ne devrait-elle pas inciter à faciliter l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile ?

Cette audition nous permettra d’apprécier vos compétences et vos motivations pour continuer d’exercer votre fonction. Je vous remercie d’avoir pris le temps de répondre au questionnaire que je vous ai adressé pour éclairer nos débats. Vous mentionnez la complexité de la procédure du regroupement familial ; voyez-vous des leviers de simplification permettant de faciliter l’exercice de ce droit et de limiter la charge administrative pour les acteurs concernés ? Quel bilan faites-vous de l’orientation directive des demandeurs d’asile ? Vous indiquez qu’entre 2021 et août 2024, 72 451 demandeurs d’asile ont accepté l’orientation vers une place d’hébergement hors l’Île-de-France ; quelle proportion des demandeurs d’asile cela représente-t-il ? Enfin, comment se traduira pour l’Office l’application du Pacte européen sur l’asile et la migration ?

M. Didier Leschi. Le président de la République propose mon renouvellement à votre appréciation et j’en suis honoré. S’occuper de l’immigration et de l’intégration est un métier que j’aime. J’ai maintes fois croisé ces questions, sous différents angles, pendant mon parcours professionnel. J’ai été chargé de la politique de la ville dans le Rhône et quatre ans préfet en Seine-Saint-Denis, où je me suis occupé de rénovation urbaine et de politique de la ville. J’ai longtemps travaillé sur les questions de laïcité, et j’ai accompagné nos compatriotes musulmans dans l’installation du Conseil français du culte musulman, enjeu important et que je continue de suivre. Je fus aussi cinq ans directeur du service de l’accès aux droits et de l’aide aux victimes du ministère de la justice. Toutes ces compétences ont un rapport avec les enjeux d’intégration, en termes de droits, d’accompagnement professionnel et d’insertion. La question de ma longévité à ce poste m’a été posée au Sénat. Je suis entré assez tardivement dans l’administration, après une carrière d’Ouvrier du livre. Le sujet dont je traite est une importante question de société, et rares sont les postes aussi passionnants. Le bureau des cultes en a été un, les enjeux de la politique de la ville également.

Votre rapporteur a rappelé l’ordonnance de 1945 du général de Gaulle. À l’époque de son installation, l’ONI avait un vice-président issu de la Confédération générale du travail, parce que cet Office a justement été créé – c’était une des discussions du Conseil national de la Résistance – pour arrêter les modalités de l’introduction en France de personnes ou de travailleurs immigrants. Elle était jusqu’alors laissée à l’initiative patronale dans le cadre de la Société générale d’immigration, et faite dans des conditions tout à fait discutables, très combattues par les organisations syndicales.

À mon arrivée à l’Ofii, on signait 103 000 contrats d’intégration ; 128 000 ont été signés en 2023. Il est important de rappeler que l’immigration en France est d’abord une immigration légale. L’essentiel de ceux qui signent le contrat d’intégration républicaine ont un droit acquis au séjour ; le nombre de titres de séjour en circulation en France a augmenté depuis une dizaine d’années, passant de 2,2 millions à plus de 4 millions.

De manière générale, l’Europe est une grande zone d’immigration : 13 % de la population européenne est immigrée, une proportion beaucoup plus élevée qu’elle ne l’est en Amérique latine ou en Asie, où elle ne dépasse pas 3 % de la population. La réalité migratoire, c’est que l’Europe est un continent ouvert avec, d’abord, une grande immigration légale. Dans l’Union européenne, 3,7 millions de titres de séjour ont été attribués l’année dernière à des ressortissants de pays tiers ; en 2012, on était encore à 1,5 million. Le nombre d’immigrés dans l’Union était de 75 millions en 2020 ; il n’était que de 45 millions en l’an 2000. L’Europe n’est ni une passoire ni une forteresse, et les questions d’intégration se posent différemment selon les pays, en fonction de leur contexte social.

C’est pourquoi l’Ofii insiste particulièrement sur l’accompagnement des personnes vers l’autonomie, enjeu majeur pour les immigrants. À cette fin, l’Office a renforcé les rapports avec France Travail et accompli un effort marqué en faveur de l’acquisition de la langue française. Quand je suis arrivé, l’Ofii organisait 5 millions de cours de langue ; nous en étions à 12 millions en 2023. Notre pays a accumulé un très grand retard historique à ce sujet au cours des dernières décennies. À la fin des années 1990, on discutait beaucoup plus du développement des langues régionales que de l’apprentissage du français par les nouveaux arrivants, contrairement à ce que faisaient certains de nos voisins, l’Allemagne en particulier.

L’Ofii s’est vu attribuer, au moment où je suis arrivé, l’accueil des demandeurs d’asile dans ses deux volets liés, dont les conditions matérielles d’accueil. La reprise, difficile, du versement de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) par l’Office a été l’objet de rapports de la Cour des comptes et de rapports parlementaires. Les difficultés rencontrées s’expliquent par la rapidité de prise en charge attendue de nous par le Parlement et au fait que les fichiers transmis par Pôle emploi étaient incomplètement satisfaisants ; il nous a fallu procéder à un gros travail d’harmonisation et de reprise de ces données. À mon arrivée à l’Ofii, on comptait moins de 95 000 allocataires de l’ADA ; ils sont maintenant 176 000, Ukrainiens bénéficiaires de la protection temporaire compris, puisque c’est à l’Office qu’en raison de sa rapidité le gouvernement a demandé de prendre en charge l’allocation prévue pour eux par les textes européens. En 2023, 449 millions d’euros ont été versés aux allocataires, pour 307 millions quand je suis arrivé à l’Ofii. Une carte d’allocataire a été créée ; ce dispositif a été repris par nos voisins allemands, séduits par son efficacité.

À mon arrivée à l’Office, les demandes d’asile étaient pour beaucoup concentrées en Île-de-France ; ce fut l’un des enjeux de l’orientation régionale. À ce moment en effet, l’Île-de-France enregistrait autant de demandeurs d’asile que l’Italie, qui avait pour particularité de ne pas enregistrer les personnes arrivant sur son sol. Plus de 50 000 demandeurs d’asile étaient enregistrés ; grâce à la répartition de l’accueil sur le territoire, en particulier l’orientation régionale, l’Île-de-France ne concentre que 24 % de la demande d’asile. Les configurations régionales en matière de logement et d’accompagnement vers l’emploi pouvant rendre les choses beaucoup plus faciles qu’elles ne le sont en région parisienne, l’orientation régionale est un bon dispositif.

La complexité de la procédure de regroupement familial résulte de textes législatifs que je ne veux pas commenter en soi. Nous avons dématérialisé le dépôt des dossiers, ce qui permet à l’Office de vérifier leur complétude et aux requérants de suivre l’évolution de leur demande. Ce sont les préfectures qui prennent la décision d’admettre ou non les personnes dans le cadre du regroupement familial. Il représente une part minime de l’immigration familiale qui, en France, résulte pour l’essentiel de l’immigration des conjoints de Français.

Nous avons fait un effort important en matière de santé. Au moment de mon arrivée, il a été décidé, à la suite d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, de confier la procédure de titre de séjour pour soins à l’Ofii, dont le spectre d’intervention en matière médicale avait été très longtemps limité à la vérification de la santé pulmonaire des personnes. Nous nous sommes attachés à établir une procédure rigoureuse comprenant identitovigilance et conclusion d’accords avec des laboratoires pour essayer de garantir que les pathologies arguées soient effectivement celles qui méritent l’obtention du titre de séjour pour soins. Cette procédure particulière à la France consiste à accorder un titre de séjour à toutes les personnes qui ne peuvent pas socialement accéder à un soin ; c’est pourquoi des ressortissants de pays du G20 peuvent y prétendre. L’Office a rendu la procédure transparente par un rapport annuel spécifique au Parlement, ce que ne faisaient pas les agences régionales de santé.

Nous avons aussi institué un rendez-vous santé pour les primo-arrivants demandeurs d’asile. L’expérimentation est en cours et nous souhaitons la développer. Il faut prendre en charge au plus tôt les questions de santé des demandeurs d’asile, dont les parcours migratoires peuvent avoir des effets sur la dynamique d’insertion.

Les données relatives aux titres de séjour pour soins figurent dans le rapport dont j’ai fait état. Mais les rapports destinés au Parlement ont ceci de particulier que les députés n’y ont accès que s’ils les demandent, et je regrette qu’ils ne soient pas plus discutés ; ils méritent une plus grande attention. Notre rapport d’activité pour 2023 est en retard, mais votre assemblée doit désigner au plus tôt un représentant à notre conseil d’administration, qui se réunira alors fin novembre. Depuis que j’ai pris mes fonctions à l’Ofii, nous avons reçu 205 000 demandes de titre de séjour pour soins. Aujourd’hui, 21 900 personnes ont un de ces titres ; elles étaient 37 000 lors de mon arrivée.

Nous avons une grande activité d’aide au retour volontaire, adossé à un pécule qui peut atteindre 2 500 euros. D’autre part, à partir de ses représentations à l’étranger, l’Ofii organise du microdéveloppement et de l’aide à la réinsertion.

Pour remplir toutes ces missions, auxquelles s’ajoute l’aide sociale dans les centres de rétention, l’établissement public a bénéficié de moyens supplémentaires. À mon arrivée, l’Ofii comptait un peu moins de mille emplois ; nous avons aujourd’hui 1 400 fiches de salaire. L’Office est organisé en directions territoriales, présentes dans les capitales régionales préexistant au dernier découpage régional, et en représentations à l’étranger en raison de son activité d’introduction de travailleurs ; la dynamique globale est l’augmentation de l’introduction de travailleurs en France et ils étaient 554 000 l’année dernière. L’Office exerce aussi une forte activité, méconnue, dans l’organisation du travail saisonnier ; ainsi faisons-nous venir tous les ans 16 000 saisonniers du Maroc pour les travaux agricoles.

Le président de l’Ofii, établissement public, est un membre du Conseil d’État. Du point de vue juridique, nous sommes comparables à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), et placés sous la tutelle du ministère de l’intérieur.

À mon arrivée à l’Ofii, j’ai instauré un contrôle interne – puisque nous avons fait l’objet de plusieurs rapports de la Cour des comptes sur l’ensemble de nos missions, nous devons pouvoir améliorer nos activités métiers – et un contrôle externe pour nos opérateurs.

Je vous dirai maintenant ce qui me semble important. Je l’ai indiqué, l’orientation régionale me semble une manière de répartir au mieux les activités d’accueil. J’ai répondu à votre question sur la complexité du regroupement familial. J’insiste sur l’importance que nous attachons aux questions de santé. Nous aimerions que l’Ofii devienne un centre de vaccination pour tous ceux qui arrivent, afin de permettre le rattrapage vaccinal nécessaire ; nous en discutons avec le ministère de la santé car l’enjeu de santé publique est important. Il nous faut renforcer les liens avec France Travail. D’autre part, nous avons conclu des accords directs avec des filières professionnelles et des employeurs pour permettre au mieux l’intégration de ceux qui arrivent. Enfin, nous menons un important travail au sujet de la traite des êtres humains, et nous avons spécialisé plus de 300 places destinées aux publics les plus vulnérables, les femmes en particulier ; nous devons poursuivre dans ce registre.

Le pacte européen sur l’asile et la migration a des incidences de deux sortes. Par la loi de janvier 2024, le Parlement a introduit un changement d’optique en ce qui concerne le niveau de connaissance de la langue française requis pour pouvoir bénéficier d’un titre de séjour pluriannuel. Pendant très longtemps il a été demandé aux personnes, dans le cadre du contrat d’intégration républicaine, d’assister à 80 % des heures de cours. Maintenant, notre philosophie quant à l’objectif fixé rejoint celle des pays tels que l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, extrêmement attachés à leur langue ; en Allemagne, le titulaire d’un titre de séjour annuel peut être sanctionné parce qu’il n’a pas atteint un niveau de langue donné. Historiquement, ce lien entre connaissance de la langue et titre de séjour n’existait pas en France. Cette évolution est importante, comme celle qui concerne le niveau de connaissances civiques et sociales demandé pour la naturalisation ; nous avons pour enjeu de vérifier et de renforcer les procédures de l’apprentissage de ce qu’est la société française sur le plan social et de ce qu’est son droit général.

Le pacte européen aura une très forte incidence sur la délivrance des conditions matérielles d’accueil pour les « Dublin », les personnes relevant d’un État autre que la France parce qu’ils ont déjà déposé leur demande d’asile ailleurs dans l’Union européenne. C’est d’autant plus important pour nous qu’en janvier dernier notre voisin allemand a anticipé le pacte en retirant les conditions matérielles d’accueil pour certains publics, les célibataires en particulier, qui relèvent d’autres États. Des pays d’Europe – on pense à l’Angleterre, à l’Allemagne, à l’Italie – bénéficient d’une immigration légale importante ou y font appel, et l’Allemagne se définit aujourd’hui comme un pays à immigration choisie, avec des règles précises. Ces États veulent qu’à l’immigration choisie ne s’ajoute pas une immigration irrégulière donnant aux populations le sentiment que quelque chose n’est pas maîtrisé.

Mme Sophie Blanc (RN). En 2022, vous déclariez publiquement que vous ne collaboreriez pas avec Marine Le Pen si elle venait à être élue présidente de la République. Vous vous érigiez au-dessus du choix potentiel des Français, mettiez en garde contre la montée des nationalismes que vous présentiez comme un retour des « courants anti-Lumières », et rappeliez l’hostilité historique de certaines idéologies qualifiées de fascistes au libéralisme politique. Alors que les flux migratoires continuent d’augmenter en France et que de nombreux citoyens expriment une inquiétude croissante face à ce qu’ils perçoivent comme une perte de contrôle des frontières et une insécurité culturelle accrue, maintenez-vous que vous excluriez de collaborer avec Marine Le Pen si elle accédait à la présidence ?

M. le président Florent Boudié. Je rappelle que la durée du mandat de directeur général de l’Ofii est de trois ans.

Mme Laure Miller (EPR). Vous avez toute la confiance du groupe Ensemble pour la République, d’abord parce que votre bilan plaide en votre faveur. Je pense à la révolution opérée au sujet des demandes de titres de séjour pour soins et à la procédure dite « étranger malade » qui, devenue fiable et transparente, a permis d’abaisser le nombre de bénéficiaires. Je pense au développement de l’aide au retour volontaire et au soutien très nettement renforcé aux femmes et aux autres demandeurs d’asiles victimes de violences ; peut-être pourrez-vous exposer ce que vous avez entrepris à ce sujet à Marseille, où vos services travaillent beaucoup avec les acteurs locaux. Vous insistez sur le fait que la méconnaissance de la langue française est l’obstacle principal à l’intégration, comme le sont les forts écarts culturels. Dites-nous-en un peu plus sur l’application de la loi que nous avons votée en janvier dernier, qu’il s’agisse de l’obligation de résultats quant à la maîtrise de la langue ou de l’examen sur les valeurs de la République et de la laïcité qui conditionne désormais l’obtention d’un titre de séjour pluriannuel.

Notre groupe vous renouvelle aussi sa confiance parce que les qualités d’un haut fonctionnaire chargé d’un sujet sensible et complexe résident aussi dans sa capacité à faire œuvre de pédagogie auprès du grand public et à partager avec nous des idées d’évolution. C’est ce que vous faites, et il est précieux d’entendre une parole s’inscrire en faux contre certains raccourcis trop souvent repris dans le débat public : non, la France ne maltraite pas les immigrés, non, la France n’est pas non plus un appel d’air pour l’immigration mondiale.

Enfin, lorsqu’un serviteur de l’État est compétent sur une politique publique aussi fondamentale que l’immigration, il faut le garder le plus longtemps possible pour assurer la continuité de l’État en cette matière et la maîtrise des nombreuses réformes législatives passées et à venir. Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de votre renouvellement.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). J’ai lu dans vos réponses au questionnaire du rapporteur votre satisfaction que la dépense d’allocation pour demandeurs d’asile ait augmenté moins vite que le nombre d’allocataires après que la carte achat a remplacé le versement en numéraire. Fliquer les pauvres devient donc un gage de rigueur si vous pensez qu’ils dépensent mal leur argent. De même, pour l’hébergement, vous avez réduit de 10 % à 3 % le taux de places vacantes ; la Cour des comptes peut alors vanter « le travail rigoureux de l’Ofii dans sa gestion de la dépense », les promoteurs de l’austérité saluant l’optimisation de la gestion du parc. Faire des économies sur des conditions de survie, était-ce votre vocation, pendant que les associations recourent aux collectes Leetchi ? Vous avez aussi accumulé continûment les difficultés administratives pour les demandeurs d’asile, avec pour conséquence la multiplication des refus et l’interruption des conditions matérielles d’accueil, sanction courante du non-respect des orientations et directives imposées aux demandeurs que vous contrôlez minutieusement.

Il faut bien désengorger l'Île-de-France en essayant de suivre les clés de répartition du schéma national d’accueil – répartir des stocks d’êtres humains pour supporter le flux des demandes. Mais les propositions d’orientation produites par la loterie d’un traitement algorithmique demeurent, ô surprise, massivement refusées. Selon les statistiques relatives à l’Île-de-France, en 2023, 14 220 demandeurs d’asile ont refusé l'orientation et 3 365 qui l’ont acceptée ne s’y sont pas présentés. Vous comprendrez que le groupe de La France insoumise s'interroge. Votre reconduction n’aggravera-t-elle pas la tendance haussière du retrait des conditions matérielles d’accueil ? Alors que 735 personnes sont mortes dans la rue en 2023, avez-vous conscience des raisons qui poussent des gens dépourvus de tout à refuser ces orientations au risque de s’exposer à la misère la plus noire ?

M. Paul Christophle (SOC). Il y a 13 % d’immigrés en moyenne dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques ; la France est à la quinzième place de ce classement et nous sommes 1,5 point en dessous de la moyenne de ces pays.

Bien qu’une loi ait été promulguée il y a moins d’un an, le ministre de l’intérieur souhaite un nouveau texte législatif sur l’immigration en 2025. Pourraient alors être réintroduites quelques-unes des mesures suivantes : instauration d’une caution « retour » pour les étudiants étrangers ; fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants étrangers nés en France ; instauration d’une préférence nationale retardant les prestations sociales pour les étrangers en situation régulière qui travaillent. Ces mesures iraient-elles dans le bon sens ?

Dans votre réponse écrite au rapporteur, vous soulignez que les décrets d’application de la loi Immigration promulguée en janvier n’ont pas encore été pris, par exemple pour ce qui concerne la définition du niveau cible en langue ou les modalités de l’obligation de libération du salarié par l’employeur pour la formation. Avant d’engager un nouveau travail législatif, ne faut-il pas achever le précédent et en évaluer les effets ?

Êtes-vous favorable à l’allongement de la durée de rétention administrative ? Quelle est selon vous l’utilité comparée de cette mesure et de l’augmentation de l’aide au retour volontaire, dont j’ai noté pour m’en réjouir que le nombre de bénéficiaires s’est accru ?

M. Fabien Di Filippo (DR). La crise de l’intégration et la hausse des communautarismes étant ce qu’elles sont, les choses ne peuvent rester en l’état. Le premier facteur d’intégration est le niveau de langue. Quand on ne parle pas la langue du pays où l’on vit, on tend bien sûr à chercher des personnes parlant la même langue que soi, ce qui favorise le communautarisme. Que pensez-vous les annonces du ministre visant à faire passer de A2 à B1 du cadre européen le niveau de langue exigé pour l’octroi de certains titres de séjour ? L’intégration professionnelle passe par le travail ; pouvez-vous faire le point sur l’évolution de vos activités en la matière ? Enfin, il est question de créer un contrat d’adhésion aux valeurs républicaines ; considérez-vous que l’éradication de la clandestinité soit l’une des solutions à la crise de l’intégration actuelle ?

Vous avez mentionné l’enjeu des écarts culturels selon la provenance des candidats à l’obtention de titres de séjour en France et l’impact que cela pouvait avoir sur leur capacité d’intégration. Qu’en est-il concrètement étant donné la réalité des flux et les tendances qui se renforcent année après année ? Enfin, j’aimerais en savoir plus sur l’activité des officiers de liaison, sur le budget consacré aux projets de relocalisations dans les pays d’origine et sur les résultats obtenus.

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). À la question écrite du rapporteur qui vous demandait ce que sont les principaux freins à l’intégration des étrangers en France, vous répondez : « Il y a des freins culturels nouveaux tant les écarts culturels et sociétaux entre les pays d’origine, la France et l’Europe se sont accentués ». Cette phrase dangereuse a des relents xénophobes. Aucun élément concret ne permet d’affirmer cela ; c’est l’expression d’une impression, au pire d’une idéologie. Tout nous montre qu’il y a des rapprochements de valeurs et de pratiques entre les pays d’origine et les pays d’accueil. Ainsi, la part des étudiants et des diplômés dans l’immigration a considérablement augmenté. Par ailleurs plus de femmes que d’hommes arrivent en France. Ces précisions servent à balayer des idées reçues diffusées sur les plateaux de télévision et que je suis assez surprise de lire dans les réponses faites à notre rapporteur.

Pourquoi poser ce constat alors qu’il y a une responsabilité partagée entre la société d’accueil et les personnes nouvelles arrivantes dans la capacité d’intégrer et plutôt d’inclure ? Nous devons viser l’inclusion des personnes nouvelles arrivantes et cette responsabilité repose sur l’Ofii par la création de parcours innovants permettant l’interaction entre la société d’accueil et les personnes nouvelles arrivantes. Or, sachant que, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 12 % seulement des nouveaux arrivants ont une interaction avec une personne qui n’est pas payée pour cela, on comprend que l’interculturalité ne peut s’accomplir.

Mme Blandine Brocard (Dem). Nous nous penchons sur l’immigration légale et nous parlerons donc principalement d’accueil, d’accompagnement et d’intégration. Accueille-t-on bien et peut-on faire mieux ? Accompagne-t-on suffisamment les étrangers que l’on souhaite accueillir et cet accompagnement est-il suffisant pour permettre la réussite et l’intégration ? La loi qui vous a donné ces missions vous donne-t-elle des moyens suffisants pour les mener à bien ?

Le renforcement des moyens de l’Ofpra et de la Cour nationale du droit d’asile a permis de réduire considérablement les délais d’instruction et de recours à un délai moyen de 9,9 mois avant une décision définitive, avec un objectif de traitement en six mois ; c’est absolument nécessaire. Ressentez-vous les effets de cette accélération, notamment en ce qui concerne l’hébergement ? Quelles mesures spécifiques prenez-vous pour assurer l’hébergement de familles accompagnées d’enfants ? L’Office est aussi chargé de la mise en œuvre du contrat d’intégration républicaine, obligatoire pour les résidents étrangers et qui peut leur permettre d’obtenir un titre de séjour pluriannuel. Quel est votre sentiment sur ce contrat et que faudrait-il encore améliorer ? Je pense notamment aux disparités territoriales pour l’accès aux cours de français. L’apprentissage de notre langue est primordial, vous l’avez rappelé. Vous y êtes fortement attaché, et vous avez donné pour exemple l’Allemagne où des examens exigeants ont été définis. Pourrions-nous renforcer ce parcours pour permettre une meilleure réussite de l’intégration ?

Le groupe démocrate, fidèle à notre tradition républicaine d’accueil, souhaite que l’on accueille dignement et dans les meilleures conditions les personnes que nous avons fait le choix d’accueillir, et que les personnes étrangères qui n’ont pas vocation à rester sur notre territoire en soient informées dans des délais réduits.

M. David Guerin (HOR). Le groupe Horizons et indépendants émettra un vote favorable à votre reconduction. Votre discours équilibré et nuancé contribue à maintenir un cadre serein pour la discussion d’enjeux qui prêtent à certains raccourcis.

En 2022, près de 5 000 étrangers ont bénéficié du dispositif d’aide au retour volontaire des personnes en situation irrégulière visant à faciliter la réinsertion dans le pays d’origine. Vous dites qu’il coûte beaucoup moins cher de financer un retour volontaire que de mener à bien un retour contraint ; quels sont les ordres de grandeur des coûts respectifs ?

M. Paul Molac (LIOT). Si l’on a beaucoup parlé des langues régionales, on ne peut dire que l’activité législative à ce sujet ait été pléthorique puisqu’il a fallu attendre le mois de mai 2021 pour qu’une loi reconnaisse enfin des langues qui sont aussi les langues de la République. D’autre part, certains locuteurs étrangers sont de très bons locuteurs de la langue bretonne, par exemple. Je juge ces précisions nécessaires pour avoir cru percevoir une certaine désapprobation dont je m’inquiétais forcément, la haute administration ne nous ayant pas toujours habitués à une certaine largeur d’esprit en ce qui concerne les allogènes de la République auxquels le Breton que je suis appartient évidemment.

Qu’est-ce qui a changé dans les régularisations depuis la loi Immigration de janvier 2024 ? Le réseau territorial de l’Ofii travaille-t-il avec les collectivités pour mieux répondre aux besoins des territoires, en particulier des besoins en main d’œuvre ? Le ministre de l’intérieur a évoqué l’abrogation de la circulaire Valls relative à ces régularisations. Que pensez-vous de cette proposition ? Pourrions-nous assouplir les règles d’accès au marché du travail pour les demandeurs d’asile dont on sait très bien que, étant donné leur pays d’origine, ils auront de toute façon le statut de réfugié ? Qu’ils soient malgré cela obligés d’attendre six mois paraît un peu idiot. Quelles actions de terrain, s’il y en a, mène le réseau de l’Ofii pour favoriser l’intégration professionnelle des réfugiés ?

Mme Elsa Faucillon (GDR). Vous avez régulièrement fait connaître votre opinion sur les politiques migratoires ces dernières années. Vous avez d’ailleurs été l’un des défenseurs de la sinistre loi Darmanin du 26 janvier 2024, décrivant, dans une tribune de soutien à ce texte parue dans le journal Le Monde, les opposants à cette loi comme étant à l’origine d’un psychodrame. Je vous le dis donc, j’étais particulièrement opposée à ce texte qui souhaitait instaurer la préférence nationale, un texte qui a été un moment de bascule et qui permet d’ailleurs qu’un ministre du gouvernement actuel vienne dans notre hémicycle, le jour d’une niche du Rassemblement national, crier en tribune : « Les étrangers, dehors ! ». De même, dans vos réponses au questionnaire de notre rapporteur, vous expliquez que les frontières protègent les acquis sociaux. Je constate surtout que pendant que l’on pointe les immigrés, on cache la lente destruction des acquis sociaux avec laquelle ils n’ont rien à voir – ils ont même souvent participé à leur conquête. Vous évoquez encore « des freins culturels nouveaux tant les écarts culturels et sociétaux entre les pays d’origine, la France et l’Europe se sont accentués ». Je ne peux imaginer que vous soyez un tenant de la théorie du choc des civilisations ; peut-être pouvez-vous préciser ce que vous avez voulu dire. Enfin, le français est évidemment un formidable outil de partage et d’inclusion. La loi que vous avez soutenue a haussé le niveau d’exigence pour l’acquisition de notre langue, mais les crédits alloués à ce budget dans le projet de loi de finances pour 2025 sont en diminution. Comment ferez-vous ? Quelle est votre opinion sur ces choix budgétaires ?

Mme Brigitte Barèges (UDR). La procédure d’admission au séjour pour soins s’ajoute au dispositif de l’aide médicale d’État qui, lui, permet aux clandestins de se soigner gratuitement. Pour être admis au séjour pour soins, il suffit à un ressortissant étranger d’invoquer l’impossibilité d’être soigné dans son pays et de demander à être pris en charge gratuitement en France. Ce système ô combien trop généreux souffre de deux dérives : le dévoiement des motifs de santé dans les dossiers d’immigration et le développement d’une forme de tourisme médical. Les Français n’ont rien demandé, mais ils doivent payer. Plus de cent nationalités bénéficient des largesses d’un système devenu fou, au premier rang desquels les Algériens, dont le gouvernement ne rate pas une occasion d’exprimer des commentaires peu amènes à l’égard de la France, mais aussi des Américains, des Émiratis, des citoyens de pays dont le PIB par habitant est supérieur à celui de la France. Or, le taux d’avis favorables donné par l’Ofii à ces demandes est passé de 51,37 % en 2017 à 61,5 % en 2022 et quelque 22 000 personnes auront été admises en France à ce titre en 2023. Dans votre rapport, vous écrivez à propos de l’admission au séjour pour soins que « la France dispose ainsi d’un système unique au monde, plus favorable et se situant bien au-delà des obligations qui s’imposent aux pays européens ». Notre générosité ne va-t-elle pas trop loin ?

M. Jonathan Gery (RN). L’assimilation consiste à faire siennes les mœurs culturelles du pays d’accueil. C’est un mariage d’amour et de raison : d’amour parce qu’on s’arrime ainsi à une histoire, à un passé, à des héros et à une sentimentalité ; de raison car l’assimilation requiert des devoirs, et surtout de partager une certaine idée de la France pour préserver une unité culturelle. Pour bon nombre de nos compatriotes d’origine étrangère, il est impossible, à juste titre, de renier leur histoire et leur origine. Mais l’assimilation n’exige pas d’oublier son bagage culturel : elle exige d’accepter d’y intégrer un Panthéon imaginaire qui n’est pas forcément celui de son pays de naissance.

En revanche, l’intégration est un processus technique, clinique, froid. On peut intégrer par ses papiers et son travail. L’assimilation relève d’une étape supérieure. Il y a une distinction nécessaire entre assimilation, intégration et inclusion. On vous entend souvent, dans vos interventions, utiliser la notion d’intégration. Vous indiquez que l’immigration doit être envisagée sous l’angle des conditions d’accueil et non des chiffres ; en somme, vous expliquez que la maîtrise de l’immigration se réduit à une dimension socio-économique : santé, logement, travail, langue… En effet, les conditions d’accueil sont importantes pour les étrangers nouveaux arrivants dans notre pays. Pensez-vous qu’une immigration réussie repose sur un processus d’assimilation culturelle des nouveaux arrivants dans notre pays, en d’autres termes par l’adoption des valeurs, des normes sociales et des pratiques culturelles de la société d’accueil ?

M. Antoine Villedieu (RN). Vous avez maintes fois indiqué qu’il convient d’examiner l’immigration sous l’angle des conditions d’accueil plutôt que par une approche strictement quantitative. Vous avez également évoqué les défis que pose l’équilibre entre l’intégration des nouveaux arrivants et la préservation des piliers de l’État social français. Quelle est votre vision globale de l’immigration en France ? Dans le contexte de tensions entre exigences économiques, crise identitaire et impératifs sécuritaires, quels seraient les leviers prioritaires pour concilier les intérêts nationaux et l’accueil des personnes immigrées tout en préservant l’identité sociale et la culture de la France ?

M. Thomas Portes (LFI-NFP). Il est regrettable que, loin de respecter votre devoir de réserve, vous multipliiez les interventions médiatiques aux propos stigmatisants, parlant de l’effondrement des espérances laïques, d’un islamisme qui nous met en danger et de certaines immigrations déstructurées opposées aux immigrations espagnole ou italienne. Ce discours ciblant de manière à peine voilée l’immigration africaine et musulmane nous inquiète d’autant plus qu’il trouve écho au gouvernement et à l’extrême droite, on l’a vu ce matin encore, alors que le ministre Retailleau plaide pour une énième loi sur l’immigration à laquelle vous semblez à nouveau adhérer.

Or, l’hypocrisie est manifeste. Les associations accompagnant chaque jour les personnes exilées pointent les graves dysfonctionnements du contrat d’intégration républicain. Vous déplorez un prétendu manque d’intégration, mais vous passez sous silence les graves défaillances d’un dispositif dont l’Ofii est responsable. Vous n’avez pas dit un mot critique sur la faible quantité et la faible qualité des formations proposées aux exilés. Quelques heures de cours de français pendant quatre jours, dispensés par des bénévoles, sont insuffisantes pour accompagner efficacement les nouveaux arrivants. Quant aux délais d’attente pour obtenir ce contrat, ils sont incroyablement longs, pouvant aller jusqu’à quinze mois.

Pire, vous n’évoquez jamais les graves insuffisances de financement qui empêchent même la tenue de ces formations. Selon les acteurs de terrain, aucune convocation aux formations nécessaires pour obtenir un contrat d’intégration républicaine n’a eu lieu pendant les quatre derniers mois en région parisienne. Ne pas obtenir ce contrat empêche d’obtenir un titre de séjour, ce qui plonge les personnes dans une extrême vulnérabilité. Ce constat alarmant démontre un manque de moyens criant pour accompagner dignement les personnes exilées. Si vous êtes reconduit dans vos fonctions, quelles mesures comptez-vous prendre pour remédier à cette situation qui met des milliers de personnes en danger ?

M. Hervé Saulignac (SOC). Dans votre ouvrage Ce grand dérangement – L’immigration en face, on lit : « L’accélération des flux est préjudiciable aux plus démunis et aux salariés les plus faibles, les moins qualifiés ». Ces propos s’inscrivent dans une longue histoire du rejet de l’immigration, en France et ailleurs : les immigrés occuperaient des emplois à la place des Français qui se trouvent au chômage par leur faute. Parallèlement, les étrangers sont assez souvent accusés de profiter des allocations chômage ; cela fait d’eux des voleurs d’emploi au chômage, joli paradoxe qui n’a jamais fait reculer l’extrême droite. Je m’étonne de lire cette phrase sous la plume d’un homme qui sait très bien que les immigrés sont surreprésentés dans des métiers ingrats dont personne ne veut, caractérisés par la pénibilité et de faibles rémunérations.

Les conclusions de l’étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) de 2021 portant sur les métiers des immigrés vous contredisent, mais vos propos ne sont pas clairs. Pourriez-vous préciser votre pensée sur les préjudices que subiraient les salariés les plus faibles en raison des flux migratoires ?

M. Éric Pauget (DR). Mon département, les Alpes-Maritimes, frontalier de l’Italie, est particulièrement concerné par la gestion des flux migratoires. Les conseils départementaux sont chargés des mineurs non accompagnés (MNA) et, dans ma circonscription, le maire d’une petite commune s’est vu imposer sans aucune concertation, un centre d’accueil pour MNA. Qu’avez-vous mis en œuvre et qu’envisagez-vous pour améliorer coopération et coordination avec les collectivités territoriales, notamment les départements et les communes, les maires étant directement concernés ? C’est un gage de réussite d’un bon accueil et d’une bonne intégration.

Mme Sandra Regol (EcoS). Comme beaucoup de mes collègues, je m’interroge sur vos déclarations favorables à une nouvelle loi Immigration. Le long et douloureux débat sur la dernière loi a fracturé jusque dans les rangs de ce qui était alors la majorité de gouvernement. Des séquelles demeurent, puisque des concepts fondamentaux de l’État de droit ont été remis en question. Fort heureusement, une partie du texte a été censurée ; c’est cette partie qui pourrait revenir et que vous entendez soutenir. Vous comprendrez donc que nous soyons nombreux à vous interroger, car quand on est républicain, on respecte l’État de droit et le droit d’asile dont on trouve des traces depuis le Moyen-Âge.

Vous mentionnez, dans vos réponses au questionnaire du rapporteur, la création d’un « laboratoire d’innovation ». De quoi parlez-vous ? S’agit-il de vous appuyer sur la dernière loi Immigration pour en développer une de plus – dois-je rappeler le nombre dingue de lois qui se sont succédé au fil des ans à ce sujet ? Au moment où l’on parle beaucoup de l’apprentissage de la langue française mais que toutes les subventions au Français langue étrangère sont supprimées, on assiste, plutôt qu’à l’organisation de l’intégration, à l’absence de possibilité d’intégration, quand même tous les grands discours disent l’inverse.

M. Didier Leschi. Je pense, et je dis, que nous connaissons une difficulté d’intégration liée à la disparition du mouvement ouvrier qui prenait en charge les nouveaux arrivants dans les années 1930. À cette époque, l’immigration italienne est alphabétisée à plus de 70 % et parmi les 800 000 Italiens présents en France en 1937, plus de 30 000 militants antifascistes renforcent la capacité d’encadrement des organisations ouvrières françaises, avec laquelle ils partagent une même vision d’avenir de la société. Ces mécanismes d’encadrement n’existent plus et il y a moins d’espérance dans les banlieues aujourd’hui qu’il y en avait alors au sein de multiples courants très forts.

Je pense aussi, et vous ne me ferez pas changer d’avis, qu’une partie de l’immigration est la projection du chaos psychologique, culturel et idéologique du monde, et que ce n’est pas la même chose d’espérer en 1918 dans la Révolution russe ou de partir faire le djihad en Syrie, et qu’il y a là quelque chose de régressif.

Je répondrais volontiers à vos questions et pour commencer à celles de M. Géry sur l’assimilation culturelle si, avant de voter, vous pouviez m’écouter hors ce brouhaha. Pendant la Révolution française, celui qui adhère à l’élan peut, tel Thomas Paine, être représentant de la Nation. « L’étranger », pour la Révolution française, est celui qui se met en dehors du pacte civique, qui ne partage pas l’élan hérité de la philosophie des Lumières en train de se construire. Je pense qu’il y a effectivement un problème, que ne pas le prendre en charge c’est refuser l’intégration à ceux à qui on a donné un titre de séjour et participer d’une sorte de décomposition intellectuelle et pratique que l’on peut constater, malheureusement, dans certaines zones ou dans certains quartiers. Ne pas le comprendre, ce n’est faire œuvre utile ni pour ceux que nous accueillons ni pour la société française. Je continuerai de le penser indépendamment de la question de savoir si vous acceptez de me reconduire dans mes fonctions.

C’est pourquoi la question de la langue est centrale, puisqu’à travers elle on acquiert évidemment une culture. Monsieur Molac, je parle moi-même une langue régionale et je n’ai aucun mépris pour ces langues, mais le sujet qui nous occupe est autre : c’est le retard dans la prise de conscience de l’importance de l’apprentissage de la langue nationale pour ceux qui arrivent et à qui on a accordé un titre de séjour. Ces dernières années, nous sommes passés de quelques centaines d’heures à 600 heures au moins ; c’est un progrès important. Nous avons aussi renforcé les exigences en matière linguistique, ce qui est un autre progrès marquant, et il faut poursuivre…

M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, il serait bon que vous vous taisiez pour laisser le directeur général répondre aux questions qui ont été posées.

M. Didier Leschi. L’Allemagne, qui lie étroitement son identité nationale à sa langue est exemplaire de ce point de vue. Ses exigences sont depuis longtemps très supérieures aux nôtres…

M. le président Florent Boudié. Collègues, soit ce bruit très gênant cesse, soit je suspends l’audition.

M. Didier Leschi. Je vous remercie, monsieur le président. L’apprentissage linguistique est fondamental. Quant à savoir quel niveau de connaissance de la langue doit être choisi, il faut différencier un haut fonctionnaire d’un responsable politique, mais l’expérience me fait dire qu’aujourd’hui les difficultés d’intégration sont en grande partie liées à la langue. Le marché du travail est extrêmement corrélé à la capacité de lire, ne serait-ce que les consignes de sécurité. Il y a eu une grande évolution du marché du travail depuis les années 1960-1970, certaines fonctions, les emplois de caisse par exemple, ayant été automatisées. De plus, et c’est pourquoi, à mon sens, les difficultés d’intégration présentes ne tiennent pas seulement à une question de nombre, les problèmes de certains secteurs comme le bâtiment ont un impact direct sur la capacité d’accompagner les personnes vers l’emploi.

Ce que montrent l’étude de la Dares citée et l’étude Trajectoires et origines de l’Insee, c’est d’abord que 31 % des immigrés en France vivent en dessous du seuil de pauvreté. La ventilation de cette population spécifique par origine continentale fait constater une surreprésentation, parmi ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, des immigrés venant du continent africain, plus forte encore quand ils viennent de la région subsaharienne. Pourquoi cela ? Parce que ces personnes arrivent de pays où la capacité de formation est cassée depuis longtemps pour des raisons historiques, si bien que le taux d’alphabétisation est très faible. Se présenter dans ces conditions sur un marché du travail où l’on demande de plus en plus de compétences freine l’intégration. Ce problème n’est pas propre à la France ; on le voit ailleurs, par exemple en Suède où le marché du travail est extrêmement technologisé.

Cela ne signifie pas que personne ne s’intègre. Je l’indique dans l’ouvrage que vous avez cité, la majorité des immigrants en France s’intègrent. Notre problème, c’est la prise en charge d’une marge qui a de plus en plus de difficultés à s’intégrer parce qu’elle vient de zones déstructurées depuis longtemps – il en est ainsi, particulièrement, des signataires d’un contrat d’intégration républicaine non-lecteurs, non-scripteurs.

Pour les économistes, l’immigration peut être un facteur d’augmentation des salaires quand les emplois sont très qualifiés, et favoriser une tendance baissière quand les emplois sont peu ou pas qualifiés. Je vous renvoie à ce sujet aux travaux de Robert Castel. Il montrait, dans les années 1980, comment une forme de libéralisme faisait pression sur le statut du salariat ; on le voit aujourd’hui avec l’ubérisation, qui casse le statut du travailleur construit pendant des décennies. Voilà ce qui est en jeu.

L’une des difficultés du débat est que l’on se polarise sur l’immigration illégale plutôt que de travailler beaucoup plus sur l’immigration légale. Une autre difficulté – et c’est un problème pour vous, responsables politiques, autant que pour moi, citoyen – est le sentiment donné à une grande partie de la population qu’on lui demande d’accueillir plus démuni qu’elle dans des zones précises. On aborde là la question de la dynamique du logement. Lors de la naissance de la Seine-Saint-Denis, au milieu des années 1960, c’est le huitième département français en nombre d’immigrés. La dynamique foncière, à Paris en particulier, l’a fait passer à la première place avec, de plus, une très forte concentration de la pauvreté dans certaines zones désindustrialisées. La désindustrialisation a été un grand facteur d’entrave à l’intégration de ceux que l’on appelait auparavant « les travailleurs immigrés » et maintenant « les exilés », sans aucune référence à leur potentielle utilité sociale.

Monsieur Porte, expliquer que parce qu’il y aurait des retards dans la délivrance du contrat d’intégration républicaine, ce qui est discutable, on empêcherait l’accès à un titre de séjour est faux : les personnes qui signent le contrat d’intégration républicaine ont déjà obtenu leur titre de séjour. Il faut être précis, et le problème de ce débat est la fréquente absence de précision des commentaires.

Le titre de séjour pour soins est effectivement une particularité française. Depuis que je suis arrivé à l’Ofii, 205 000 demandes ont été faites, mais les bénéficiaires actuels de ce document sont 21 900 en tout ; ce nombre n’est pas celui des titres que l’on délivre chaque année. Le taux d’acceptation augmente en raison de la vigilance dont nous faisons preuve sur la qualité médicale des dossiers. Dès lors que vous, législateurs, avez choisi une procédure extrêmement large, les personnes qui en bénéficient doivent être celles dont le cas correspond à ce qu’a fixé la loi. Les procédures rigoureuses que nous avons définies ont eu pour effet que si, quand je suis arrivé, 37 000 personnes avaient un titre de séjour pour soins, elles ne sont plus que 21 900 maintenant, mais que ce sont effectivement des malades, qu’il faut prendre en charge comme le dit la loi.

Ce sont les préfets qui déterminent les lieux d’accueil des mineurs non accompagnés, mais nous travaillons avec les collectivités locales et avec les employeurs pour la suite. Il faut parvenir à faire que ceux qui ont obtenu un titre de séjour au titre d’une protection quittent le plus vite possible les centres d’accueil. Or, à ce jour, plus de 10 000 places sont occupées par des personnes dont le parcours migratoire est bloqué faute qu’elles puissent accéder à un logement, alors qu’elles ont un titre de séjour. Un des moyens de résoudre ce problème est de travailler, au plus près du terrain, avec des employeurs et avec des collectivités locales pour essayer de résoudre les questions de logement, car la situation dans certaines zones de France n’est pas aussi tendue qu’elle l’est en Île-de-France.

Ce n’est pas une gestion méprisante des migrants que d’organiser la répartition de leur accueil sur le territoire. Si l’on pense véritablement que les flux peuvent augmenter, ils ne peuvent être assumées par la société française que si la charge de l’accueil est répartie. Penser que l’on peut laisser les personnes s’installer où elles veulent, quand elles veulent et pour le temps qu’elles veulent est absurde. Il faut au contraire adopter une approche planificatrice, mais cela participe de l’effondrement des espérances laïques que de ne plus avoir ce type de considération.

Le lien avec les collectivités territoriales est important et je comprends les difficultés qui peuvent apparaître mais, selon mon expérience, alors que 20 % du parc national d’accueil des demandeurs d’asile est situé dans des départements comptant moins de 500 000 habitants, les choses se passent plutôt bien et en tout cas mieux que dans des zones beaucoup plus concentrées. Mais je n’ignore pas les difficultés et je pense qu’un travail de coordination, qui est plutôt du ressort du préfet, permettrait de faire mieux, j’en suis d’accord. L’Office a 31 directions territoriales ; nous ne sommes pas présents dans tous les départements. Cela montre aussi les difficultés auxquelles nous faisons face.

Je n’ai pas à me prononcer sur l’allongement éventuel de la durée de rétention administrative ; ce n’est pas ma fonction. Ce que j’ai écrit dans une tribune qui a manifestement suscité votre curiosité, c’est que l’enjeu pour la société française, en particulier pour qui défend l’idée d’une Union européenne – ce qui, je crois, est le cas de beaucoup d’entre vous –, est de savoir si le régime juridique de la France est dans la moyenne des États européens. L’Allemagne vient de durcir ses mécanismes de rétention administrative, de délivrance des conditions matérielles d’accueil et d’exigences pour l’immigration légale, le chancelier Scholz ayant dit que l’Allemagne devait être un pays d’immigration choisie, avec des critères comparables à ceux de l’Australie. Ce qui est en jeu, dans le cadre de l’harmonisation européenne, est de savoir si la France est en deçà ou si elle accompagne ses principaux partenaires ; ensuite, il revient aux autorités politiques de choisir ce qu’elles veulent faire. Mais on ne peut pas expliquer que la loi qui a été présentée par M. Darmanin et qui a été votée serait la plus répressive d’Europe, en particulier pour la rétention. Le gouvernement travailliste, par exemple, vient de rouvrir des centres de rétention qu’il avait lui-même fermés il y a une quinzaine d’années, et rendu la rétention illimitée ; en France, elle est de 90 jours au plus.

Voilà la question qui se pose à nous si nous voulons maintenir une société ouverte à l’immigration. La France est l’un des pays d’Europe qui donnent le plus de visas. Cette politique suppose que ceux qui viennent en dehors des règles puissent être reconduits. Il n’y a pas de gestion possible des flux migratoires sans contrainte. On peut discuter du niveau de contrainte, mais la question philosophique est : la contrainte dans la gestion de l’immigration est-elle légitime ou illégitime ? Aucun pays, aucun gouvernement de droite ou de gauche, n’a démontré parvenir à résoudre ce problème sans contrainte. Peut-être y a-t-il d’autres solutions, mais alors il faut les présenter ; peut-être sera-ce l’honneur de la France d’y parvenir.

En attendant, exercer la contrainte ou faire des orientations pour répartir la charge de l’accueil, ce n’est pas « fliquer les pauvres ». Un tel vocabulaire, qui les assimile à je ne sais quoi, est méprisant pour les fonctionnaires chargés de ces tâches.

À Marseille, ville avec laquelle nous travaillons beaucoup – nous y avons organisé la vaccination immédiate des personnes contre la covid-19 – nous avons créé un mécanisme spécifique de prise en charge des femmes victimes de la traite, car il y a là une zone extrêmement touchée par ce sujet, en mettant en liaison l’ensemble des acteurs. Nous voulons développer ce mécanisme l’année prochaine à Bordeaux et dans d’autres villes. C’est très important, car cela un impact très fort en matière d’ordre public aussi.

Je ne sais pas si j’ai des idées reçues en matière culturelle, mais si on n’emmène pas sa patrie à la semelle de ses souliers, on emmène sa culture, et elle peut être antagonique à la nôtre dans les comportements quotidiens, on le sait. C’est toute la question de l’égalité, de dire qu’une vaut un, que chacun a le droit de penser, de croire ou de ne pas croire. Eh bien oui, il faut l’imposer à ceux qui arrivent parce que ce sont des acquis issus des luttes très fortes qu’il ne faut pas renier. Ce serait les renier d’abdiquer en disant que toutes les cultures se valent, qu’il n’y a pas de hiérarchie. Je vous renvoie à ce sujet aux travaux de Claude Lévi-Strauss.

Six millions d’euros sont consacrés à l’aide au retour. Quand je suis arrivé à l’Ofii, plus de personnes venant de pays non soumis à visa bénéficiaient de l’aide au retour que de personnes soumises à visa. Il est important d’accentuer l’effort sur ces dernières parce que c’est le moyen d’aider à la gestion des flux migratoires.

Je ne suis pas sûr de m’être prononcé pour une nouvelle loi. Ce qui est certain, c’est que le pacte migratoire devra être transposé, et ce n’est pas possible sans une nouvelle loi. Il ne me semble pas être passé du côté obscur de la force en faisant un constat juridique minimal.

La mondialisation crée effectivement des déséquilibres abyssaux, et l’un des enjeux est de savoir si elle ne va pas emporter certains acquis sociaux ou l’État social, singulièrement quand on voit des géants tels que la Chine faire subir à leur classe ouvrière un traitement qui est de l’ordre du XIXe siècle, mais en l’absence du mouvement ouvrier équivalent, parce que la liberté syndicale n’y existe pas.

Madame Blanc, il est toujours dangereux pour un haut fonctionnaire de répondre à des journalistes, je le conçois. Voici ce que j’ai exactement dit ce jour-là : « Je ne pourrais pas collaborer avec une autorité politique dont j’aurais la conviction profonde qu’elle est en rupture avec nos traditions républicaines, en particulier quand on mène une politique publique en charge d’abord des situations humaines » – même si on considère, dans une partie de cette salle, que je ne suis pas humain. C’est toujours ce que je crois. Mais les échanges entendus dans l’hémicycle et parfois même dans cette salle me font penser que l’esprit républicain n’infuse pas spontanément partout. L’idée que certains seraient moins que d’autres ne relève pas de mon éthique personnelle. En ce qui concerne les démissions, ma référence est Jean-Pierre Chevènement avec qui j’ai longtemps travaillé : la démission, ça se donne mais ça ne s’annonce pas… Cependant, je me dois de vous dire que lorsque, en tant que citoyen, j’ai vu arriver votre sensibilité politique, j’ai eu une certaine appréhension mais que, dans la pratique, j’ai, ès qualités, toujours eu droit à une très grande attention et même à une estime, et n’ai jamais été agressé par votre sensibilité politique. Ce n’est pas toujours le cas et j’en souffre parfois. Savoir que l’on vous écoute et qu’il y a quelque chose de l’ordre du dialogue, comme cela a été le cas avec Mme Diaz au sujet de sa proposition de loi, fait partie des bonnes surprises pour la démocratie. La manière dont on donne à voir la démocratie, en particulier la démocratie parlementaire et la manière dont les hauts fonctionnaires attachés à l’État républicain sont traités par les parlementaires nous dit quelque chose de l’état de la République.

M. Pouria Amirshahi, rapporteur. On voit qu’au-delà la nécessité de porter un jugement sur vos compétences et la pertinence du plan d’action confié à l’Ofii, il est besoin d’un débat stratégique, intelligent si possible, sur l’enjeu migratoire. À celles et à ceux qui, dans cette salle, sont réticents, par principe ou par idéologie, à l’immigration, une position qui n’est en soi ni très intelligente ni intelligible, je redis que d’une part, nous serons confrontés à un problème démographique croissant et que d’autre part, personne, sauf les touristes, ne quitte son pays dans la joie mais que, souvent, on est confronté aux fracas du monde, dans lesquels notre pays a parfois une part de responsabilité. On ne peut simplement dire « ce n’est pas notre affaire » et ériger des murs, ne serait-ce que par réalisme. Les mouvements de population vont s’accroître en raison de multiples désordres : désordre des guerres, désordre de la pauvreté, désordre d’un système économique mondial très inégalitaire et désormais désordre climatique. Je vous demande de bien vouloir y réfléchir parce qu’un Ofii même idéal n’y suffira pas. Essayons donc d’avoir un peu de tenue pour appréhender ces enjeux lourds.

Il y a déjà de la facilité et parfois une certaine désinvolture, quand on évoque les difficultés liées à l’intégration, à dire que les immigrants étrangers viendraient concurrencer les personnes en situation régulière ou les Français. C’est un raccourci malheureux, car on peut tout aussi bien imaginer régulariser, comme l’ont fait l’Espagne, et avant cela la France en 1981, des personnes en situation irrégulière présentes sur le territoire et dont il ne sera pas facile de « se débarrasser ». Procéder de la sorte, c’est donner à ces femmes et à ces hommes une sécurité professionnelle et faire monter le niveau de protection générale en leur permettant de participer à la construction du pays. L’histoire a montré combien les immigrés ont contribué au redressement économique de notre pays après des guerres et de graves crises économiques.

Je rappelle aussi que nous avons besoin de personnes venant enrichir notre modèle social, ne serait-ce qu’en contribuant au financement de notre système de protection sociale. Notre population active va croître très légèrement d’ici 2050 pour décroître d’ici 2070. Cette évolution appelle une réflexion stratégique, et il faut s’interroger sur la régularisation des personnes en situation irrégulière. On peut prendre toutes les postures idéologiques ou dogmatiques que l’on veut, il n’empêche que des pays européens tout à fait comparables au nôtre, y compris sur le plan culturel, ont pris leurs responsabilités et assumer la régularisation par le travail.

J’ai présenté ici, en 2014, un rapport sur la langue française qui a été adopté à l’unanimité. Je suis convaincu de l’importance de cette langue, outil commun dans le monde du travail, dans la société, dans les lieux de cultes aussi. Mais outre la langue française, qui est la langue de la République, il y a les langues de France, qui ne sont pas que les langues régionales. J’en citerai quelques-unes, outre la langue des signes : le yiddish, le romani, le judéo-espagnol, le berbère, l’arménien occidental et le darja, autrement dit l’arabe dialectal maghrébin. Ce sont des langues de France parce qu’elles sont parlées par des millions de nos compatriotes issus de l’immigration.

Voilà qui contribue à un autre volet de notre réflexion. Il ne s’agit plus de notre intérêt national ou des enjeux démographiques mais de notre identité, en réalité composée d’identités multiples, car la France est une multitude, un mot qui évoque la diversité de notre pays et de notre culture, qui se fabrique par sédimentations et croisements. Que cela plaise ou non, la société moderne qui s’annonce est une société mélangée, la République métissée. C’est au nom de toutes ces Françaises et de tous ces Français que nous parlons, ceux qui ont des mémoires immigrées, dont celle de leur langue et de leur culture. Effectivement, ils amènent en venant leur culture, et aussi leurs diplômes : le niveau de diplôme des personnes issues de l’immigration extra-européenne est en augmentation nette et continue. Il n’y a donc pas de corrélation automatique entre les personnes issues de cultures extra-européennes et un faible niveau de diplôme.

Je ne conclurai pas sans vous dire que je suis né étranger, en Iran. Je suis un immigré, mes chers collègues… Vous pouvez réagir comme vous le faites, mesdames et messieurs du Rassemblement national, mais permettez-moi de dire que quand j’entends décréter a priori des incompatibilités culturelles, j’en suis très ému. La France, notre nation, est faite de ces mélanges, de ces apports, de ces enrichissements du monde entier. La France n’a pas inventé seule la poésie, les mathématiques, les sciences. Mais aujourd’hui encore, toutes les personnes qui désirent venir en France – je ne parle ni des malintentionnés qu’il faut contrôler, ni des touristes – le font avec un souci d’égalité entre les femmes et hommes. Les Afghanes et les Afghans qui veulent venir le font par souci d’égalité, et ce n’est pas antagoniste avec la culture française. Il en va de même pour les Iraniens et les Iraniennes, les Syriennes et les Syriens, les Ukrainiennes et les Ukrainiens. Partout, on cherche l’égalité. C’est aussi cela, la France.

M. le président Florent Boudié. Monsieur Leschi, je vous remercie.

 

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À l’issue de cette audition, délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l’article 29-1 du Règlement, sur cette proposition de nomination.

Les résultats du scrutin ont été annoncés, simultanément à ceux de la commission des lois du Sénat, à 12 heures 50 :

Nombre de votants :............52

Bulletins blancs, nuls ou abstentions :.2

Suffrages exprimés :............50

Avis favorables :..............31

Avis défavorables :............19

 

La séance est levée à 12 heures 55.

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Informations relatives à la Commission

 

La Commission a désigné :

-       M. Jean Terlier, rapporteur de la proposition de loi visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents (n° 448) ;

-       M. Philippe Gosselin, rapporteur pour avis sur les articles 13 à 19 et 42, délégués à la commission des Lois par la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes (n° 529).

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, Mme Aurore Bergé, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Moerani Frébault, Mme Martine Froger, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. David Guerin, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Émeline K/Bidi, Mme Eliane Kremer, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, M. Aurélien Lopez‑Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Marc Pena, M. Thomas Portes, Mme Josy Poueyto, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Prisca Thevenot, Mme Céline Thiébault-Martinez

 

Excusés. - Mme Marietta Karamanli, Mme Naïma Moutchou, M. Philippe Schreck, Mme Sophie Vaginay, M. Antoine Villedieu, M. Jean-Luc Warsmann

 

Assistaient également à la réunion. - M. Erwan Balanant, M. Fabien Di Filippo