Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Suite de l’examen de la proposition de loi visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d'actions d'entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d'abattage ou de commerce de produits d'origine animale (n° 579) (M. Xavier Breton, rapporteur). 2
– Examen de la proposition de loi visant à abroger le titre de séjour pour étranger malade (n° 689) (M. Éric Pauget, rapporteur). 19
Mercredi
29 janvier 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 32
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Florent Boudié,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à 15 heures
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d'actions d'entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d'abattage ou de commerce de produits d'origine animale (n° 579) (M. Xavier Breton, rapporteur).
M. le président Florent Boudié. Nous reprenons par l’examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er (art. 431-1 du code pénal) : Faciliter la qualification d’entrave à l’exercice des libertés d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation
Amendements de suppression CL14 de Mme Gabrielle Cathala, CL37 de Mme Elsa Faucillon et CL44 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Nous sommes totalement opposés à ce texte qui constitue pour nous une menace pour la liberté d’expression. Les associations qui pénètrent dans des structures où les animaux subissent des maltraitances sont d’utilité publique. En mettant au jour des pratiques qui vont à l’encontre du bien-être animal, elles peuvent obtenir la fermeture de certains établissements.
Outre les lanceurs d’alerte, ce texte menace, de manière plus générale, le mouvement associatif. C’est d’ailleurs une tendance que nous voyons à l’œuvre depuis quelque temps avec le contrat d’engagement républicain et la multiplication des dissolutions administratives. Lors des débats sur la loi dite « séparatisme », nous avions mis en garde contre le risque que ses dispositions soient appliquées aux associations écologistes, animalistes et antiracistes et c’est exactement ce qui s’est passé.
Enfin, les sanctions prévues à l’article 1er ne respectent pas le principe de proportionnalité des peines qui figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Cet amendement de suppression sera suivi d’autres amendements de suppression déposés aux articles suivants.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Les peines prévues à l’article 1er nous semblent en effet disproportionnées, d’autant que l’arsenal législatif permet déjà de sanctionner les actes visés, tels que les incendies volontaires évoqués ce matin.
Nous voyons bien dans ce texte comme dans le rapport d’information qui l’a précédé que ceux et celles qui sont visés sont les militants et les activistes écologistes. Or nous savons qu’en ce domaine, notre pays est déjà sur une pente dangereuse.
Je rejoins ma collègue Gabrielle Cathala quand elle souligne que ce texte remet en cause de manière générale les libertés associatives et les libertés syndicales. Nous notons depuis un certain temps que les associations de défense des droits fondamentaux sont elles aussi criminalisées.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Constatons d’abord que cet article 1er, qui porte sur le délit d’entrave, entrave lui-même la liberté d’expression.
Remarquons ensuite qu’il rompt doublement avec la philosophie du délit d’entrave.
D’une part, il entend mettre des activités de loisirs comme la chasse sur le même plan que des libertés constitutionnellement garanties telles que les libertés d’expression et d’association. Ce choix de société laisse perplexe, d’autant que de telles dispositions ne sont pas nécessaires pour répondre au problème soulevé. L’entrave à l’acte de chasse fait déjà l’objet d’une contravention de cinquième classe. Si sa définition ne couvre pas les entraves à la mise à mort de l’animal, ce n’est pas en l’élevant au rang de délit que les choses changeront. Cette aggravation des peines ne répond à aucun besoin. L’Office français de la biodiversité (OFB), qui organise régulièrement des dialogues avec les représentants du monde de la chasse, n’a fait part d’aucune alerte à ce sujet.
D’autre part, cet article étend dangereusement le délit d’entrave à des actions militantes pacifiques dont le mode opératoire ne relève pas de la menace. Les auteurs de cette proposition de loi visent clairement à criminaliser les associations de défense de l’environnement et du bien-être animal, déjà visées par des amendements du Rassemblement national au projet de loi de finances dans le but de les retirer du champ des associations ouvrant droit à une réduction fiscale au titre des dons. Nous le voyons, la cible de ce texte, ce sont les militants du monde associatif qui s’emploient à dénoncer les activités de certains acteurs économiques.
M. Xavier Breton, rapporteur. L’argumentation qui sous-entend ces amendements de suppression aurait été recevable si nous n’avions pas modifié la version initiale du texte qui ne comportait pas de référence à la protection des lanceurs d’alerte. C’est tout l’intérêt du travail d’auditions : il nous a permis d’apporter des améliorations.
C’est l’occasion pour moi de rappeler comment nous avons procédé. Nous avons d’abord repris dans une proposition de loi les recommandations émises par les rapporteurs de la mission d’information sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales. Nous nous sommes ensuite appuyés sur les auditions pour améliorer la fiabilité juridique des dispositions proposées et établir un meilleur équilibre entre la répression des actes d’entrave et le respect des principes et libertés constitutionnels, notamment la liberté d’expression. La lecture de l’avant-propos du rapport d’information de 2021 vous montrera que j’insistais déjà sur cette nécessaire conciliation.
Rappelons que l’article 1er, dans sa rédaction actuelle, ne réprime pas les actions des lanceurs d’alerte. Il sanctionne les entraves commises sans menaces mais par des actes d’obstruction. Il s’agit de prendre en compte l’évolution des actions d’entrave que le rapport de la mission d’information commune de 2021 que j’ai présidée a clairement identifiée. Par ailleurs, il supprime le critère de concertation pour qualifier les entraves : non seulement il est très difficile à démontrer mais de plus en plus d’actions sont réalisées de façon isolée.
Pour améliorer cet article, je vous proposerai plusieurs amendements. L’un d’eux consiste à supprimer le délit d’entrave à une activité sportive ou de loisir pour en rester à la contravention d’entrave à la chasse, dont la récidive serait néanmoins transformée en délit.
Dans le cadre de notre débat à l’article 1er et à l’article 2, nous pourrons également discuter de rédactions permettant de garantir que les lanceurs d’alerte, protégés par la loi dite « Sapin 2 », ne sont pas concernés.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à ces amendements de suppression.
M. Jordan Guitton (RN). La vision qui transparaît dans les amendements de la gauche est déplorable : elle soutient indirectement la cause d’associations qui menacent la propriété privée et le droit aux loisirs. Nos agriculteurs apprécieront, eux qui font constamment l’objet d’un agribashing qu’une partie des groupes de gauche entretient dans nos salles de commission et dans l’hémicycle. Il nous appartient, en tant que parlementaires, de protéger les activités relevant de la culture de la ruralité des actions menées par des associations militantes extrémistes qui ne respectent pas la loi. Les ruraux n’ont pas besoin des leçons de morale d’associations de gauche ou d’extrême gauche composées bien souvent de gens des villes qui ne comprennent rien à leurs modes de vie. Chers collègues, ouvrez un peu les yeux au lieu de défendre des associations qui se livrent à des actions parfaitement illégales et qui ne devraient pas être subventionnées par de l’argent public.
Ce texte a le mérite d’exister et envoie un message clair aux agriculteurs, aux éleveurs et aux chasseurs. Nous le soutiendrons, notamment parce qu’il améliore la définition du délit d’entrave.
M. Stéphane Mazars (EPR). Je remercie le rapporteur d’avoir déposé des amendements destinés à prendre en compte les lanceurs d’alerte, qui pourront continuer à faire œuvre utile lorsque c’est nécessaire.
Lors des auditions très diverses qui ont précédé nos discussions, ont été mises en relief les exactions commises par des activistes qui, loin de se contenter d’exprimer des idées, qui peuvent être respectables, s’en prennent aux outils de travail, voire au travail lui-même des agriculteurs et à l’activité de chasse. Ce texte cherche des moyens de sanctionner ces actions dont vous semblez vous-mêmes reconnaître le caractère répréhensible puisque vous avez souligné que l’arsenal juridique actuel était suffisant. Pour notre part, nous estimons qu’il faut aller plus loin et ce texte nous en donne l’occasion. Prenons un exemple : si une personne commet un délit en s’introduisant dans une cour de ferme ou une stabulation ouverte, elle ne peut actuellement faire l’objet de poursuites ; avec ce texte, nous aurons les moyens de sanctionner ce type de comportement qui n’est pas admissible.
Mme Émilie Bonnivard (DR). En tant que députés, nous n’avons pas à défendre une idéologie plutôt qu’une autre. Nous devons avoir en vue le seul intérêt général et la recherche du consensus. C’est l’objectif de Xavier Breton qui a déposé des amendements permettant de protéger les lanceurs d’alerte tout en réprimant des actions illégales menées à l’encontre de pratiques légales attachées aux activités agricoles, commerciales et cynégétiques. Nous aurions pu tous nous unir autour de la recherche d’équilibres. Malheureusement, en défendant ces amendements de suppression, chères collègues, vous servez une idéologie sectaire. Nous voterons bien évidemment contre.
M. Éric Martineau (Dem). Nous ne pouvons que nous opposer à ces amendements de suppression. Nous considérons qu’il faut pouvoir discuter de ce texte, que nous soutiendrons si certains amendements sont adoptés.
Revenons aux conditions de vie des agriculteurs. N’importe qui peut aujourd’hui rentrer dans une stabulation ouverte même si ce n’est pas légal. Tolérerait-on que des gens pénètrent dans les jardins des particuliers pour s’assurer que ceux-ci respectent bien la loi ? Je citerai le cas de mes voisins agriculteurs qui ont été obligés d’installer des caméras dans leur ferme pour détecter d’éventuelles intrusions car certains militants n’hésitent pas à venir filmer la nuit des choses qui pourraient leur déplaire. Cela les oblige à se lever, après avoir travaillé pendant près de quinze heures, dès qu’un mouvement est signalé. Bien évidemment, le bien-être des animaux est à prendre en considération mais il faut aussi respecter le droit à la vie privée des agriculteurs. Ils ne peuvent pas continuer à travailler dans de telles conditions. Certes, les lanceurs d’alerte doivent conserver leurs marges d’action, néanmoins je ne trouve pas admissible que l’on puisse entrer chez quelqu’un pour y faire des photos et des vidéos sans son accord. Une autre possibilité serait de fermer les stabulations mais cela ne servirait pas les animaux.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Je suis quand même impressionné par la capacité qu’ont certains à passer la moitié de leur temps à déplorer l’inflation législative et l’autre à proposer des textes motivés principalement par des objectifs de communication politique. La présente proposition de loi contribuera au mieux à réprimer des actes qui le sont déjà et, au pire, à restreindre la liberté d’expression et d’information sur les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur agroalimentaire.
La sécurité des fermes est mise en avant, or la majorité des atteintes aux biens sont liées à des actes de délinquance, contre lesquels les gendarmeries ne peuvent lutter efficacement, faute de moyens suffisants.
Vos débats sur les normes empêchent de prendre en considération les moyens pour les faire respecter. Si les gens deviennent activistes, c’est parce qu’ils sont confrontés de manière récurrente à des pratiques illégales auxquelles l’État ne met pas fin. La majorité des défenseurs de la cause animale ont bien autre chose à faire que d’aller vérifier si les règles sont respectées dans les abattoirs.
Je vous alerte sur le caractère contre-productif des mesures contenues dans ce texte. Tout le monde peut comprendre que certains commettent des fautes – qui n’en fait pas ? – mais ce que les gens ne supportent plus, c’est l’impunité. En limitant la capacité à informer et à montrer ce qui se passe dans certains lieux, vous risquez de jeter l’opprobre sur des filières entières alors qu’elles sont pour leur plus grande part vertueuses. Cessez d’entretenir l’arbitraire qui génère des tensions dans la société et arrêtez de caricaturer nos positions : nous sommes tous attachés à la sécurité des agriculteurs et de leurs installations. Tout est question d’équilibre, or l’équilibre n’est pas au rendez-vous avec cette proposition de loi.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Je m’étonne que certains prétendent défendre les intérêts des agriculteurs et des éleveurs en soutenant un texte qui sanctionne les actions de ceux qui dénoncent les pratiques, non des petits agriculteurs et des petits éleveurs, mais des élevages et des abattoirs industriels. Madame Bonnivard, dois-je vous rappeler qu’au mois de novembre, des images transmises à la presse ont dévoilé que des animaux étaient équarris vivants dans l’abattoir de Saint-Étienne-de-Cuines, situé dans votre propre circonscription ? Cet établissement a dû fermer pour se conformer aux normes sanitaires, ce qui paraît le minimum. Les éleveurs qui envoient leurs bêtes là-bas ne seraient pas satisfaits, je pense, de savoir que l’on peut dissimuler de telles pratiques. Ce que nous cherchons, c’est à donner la possibilité aux lanceurs d’alerte de continuer à faire un travail de salubrité publique.
Nous parlons de deux types d’activités différentes : les éleveurs et agriculteurs qui font leur métier dans des conditions satisfaisantes et ceux qui ont choisi des modèles industriels où rien n’est respecté. Je précise que l’abattoir en question a des liens avec l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev) et qu’il fournit des magasins comme Super U. Par ces amendements, nous demandons la suppression d’un dispositif qui ne sert pas l’agriculture.
La commission rejette les amendements de suppression.
Amendements CL2 de Mme Marie-France Lorho et CL20 de M. Xavier Breton (discussion commune)
Mme Marie-France Lorho (RN). Notre amendement CL2, de nature rédactionnelle, vise à dissiper une ambiguïté portant sur le caractère cumulatif des actes énumérés.
M. Xavier Breton, rapporteur. Nous avions intégré les actes d’intrusion parmi les moyens permettant de qualifier le délit d’entrave à certaines libertés détaillés à l’article 431-1 du code pénal. Il nous paraît toutefois préférable de supprimer cette mention puisque l’article 2 crée un délit spécifique d’intrusion dans un lieu où sont exercées des activités commerciales, industrielles, artisanales ou agricoles, dans le but de troubler la tranquillité ou le déroulement normal de ces activités. Ainsi, sera établie une claire distinction du champ des deux infractions : d’une part, les entraves aux libertés commises par l’intermédiaire de menaces, ce que prévoit le droit actuel, ou par des actes d’obstruction, ajout auquel procède l’article 1er ; d’autre part, les intrusions destinées à troubler le déroulement d’une activité économique ou agricole, que vise l’article 2.
Je demande donc le retrait de l’amendement CL2 de Mme Lorho, satisfait mais qui fait mention des actes d’intrusion que nous voulons précisément supprimer à l’article 1er.
L’amendement CL2 est retiré.
La commission adopte l’amendement CL20.
Amendement CL41 de M. Stéphane Mazars
M. Stéphane Mazars (EPR). Cet amendement du groupe Ensemble pour la République va dans le sens de la recherche d’un meilleur équilibre : d’une part, renforcer notre arsenal juridique pour sanctionner des exactions constitutives d’un délit d’entrave à l’encontre de personnes exerçant de manière légale leurs activités professionnelles ; d’autre part, permettre aux lanceurs d’alerte de continuer à dénoncer des pratiques illicites.
En introduisant la notion de « motif légitime » dans la définition du délit d’entrave, il vise à protéger ces derniers : la responsabilité pénale d’une personne ne pourrait être engagée si c’est pour un motif légitime qu’elle commet un tel délit. J’ai déposé un amendement similaire à l’article 2.
M. Xavier Breton, rapporteur. Je partage l’objectif de votre amendement, cher collègue. Je crois que nous sommes tous attachés à la liberté d’expression. Le renforcement de la lutte contre les entraves ne doit pas affaiblir la protection dont font l’objet les lanceurs d’alerte. C’est le sens de deux de mes amendements à l’article 2, qui font expressément référence à l’article 122-9 du code pénal relatif à l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte.
Bien que la notion de motif légitime que vous introduisez soit entourée de flou et qu’elle ne modifie pas le cadre légal de protection des lanceurs d’alerte, il me semble important d’afficher clairement notre volonté de préserver leurs actions. Mon avis sera donc favorable.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Cet amendement ne contribue pas, à notre sens, à rééquilibrer le texte car il est totalement inutile. C’est une illusion de croire que l’ajout de la référence au motif légitime permettra d’exonérer les lanceurs d’alerte de leur responsabilité pénale. Il ne protégera pas les personnes morales notamment. Comme l’a rappelé la Défenseure des droits dans son guide du lanceur d’alerte, l’article 122-9 du code pénal limite cette exonération aux violations du secret professionnel et aux détournements d’informations obtenues de manière licite, ce qui exclut les militants qui s’introduisent dans les exploitations.
Pour établir un juste équilibre, il faudrait s’inspirer de la jurisprudence européenne, qui se fonde notamment sur l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Elle protège la diffusion d’informations d’intérêt général, en particulier les images portant sur l’élevage et l’abattage, qui relèvent de débats d’intérêt public relatifs à la santé publique, à la protection animale et à l’environnement – je vous renvoie à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 2009.
Avec cet amendement, vous cherchez avant tout à négocier pour tenter de faire adopter ce texte qui n’empêchera en rien à celles et ceux qui essayent de nous faire voir la vérité en face d’être censurés par des procédures-bâillons.
M. Xavier Breton, rapporteur. Soyons clairs : cette proposition de loi n’a pas pour objet de redéfinir le statut des lanceurs d’alerte. Si nous voulions aller dans ce sens, il faudrait choisir un autre véhicule législatif.
Comme je l’ai indiqué en réponse à M. Mazars, il importe de préciser la notion de motif légitime. Les tribunaux pourront y contribuer, à moins que nous ne trouvions d’ici à la séance une meilleure formulation.
M. Stéphane Mazars (EPR). Les juridictions pourront se livrer à des appréciations in concreto en déterminant pour chaque cas si la personne avait ou non un motif légitime d’agir. Autrement dit, cette rédaction offre une finesse d’interprétation que ne permet sans doute pas d’atteindre le seul statut de lanceur d’alerte.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL21 et CL22 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. L’amendement CL21 est un amendement de coordination. Dans la mesure où l’alinéa 3 de l’article 1er supprime le critère de concertation pour qualifier le délit d’entrave mentionné au premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal, il convient d’en faire de même pour les délits d’entrave prévus aux autres alinéas de ce même article 431-1.
L’amendement CL22 vise à supprimer de la proposition de loi le délit d’entrave à certaines activités sportives ou de loisirs, cette notion apparaissant trop large. Je propose d’en revenir à la contravention d’entrave à un acte de chasse telle qu’elle est prévue à l’article R.428-12-1 du code de l’environnement. Dans ce cadre, nous supprimerions, là aussi, le critère de concertation, car celui-ci suppose que l’obstruction soit collective et qu’elle ait fait l’objet d’une préparation antérieure, ce qui n’est pas toujours le cas.
Il est également proposé de délictualiser la récidive de cette contravention d’entrave, comme le permet l’article 132-11 du code pénal. Ce serait une manière efficace de dissuader les personnes qui commettent cette infraction de rééditer leurs méfaits.
M. Stéphane Mazars (EPR). Nous sommes assez favorables à ces amendements. Distinguer l’acte de chasse des autres activités de loisirs permettra de gagner en clarté.
Il semble également opportun de considérer que le premier acte constitue une contravention, seule la récidive constituant un délit. Peut-être pourrons-nous, d’ici à la séance, débattre du quantum de la peine encourue dans ce cadre : au vu des enjeux, une amende délictuelle pourrait être plus appropriée. En attendant, nous voterons pour ces amendements.
M. Xavier Breton, rapporteur. J’entends votre dernière remarque. Sans doute conviendra-t-il aussi de revoir la définition de l’acte de chasse, qui mériterait peut-être d’être élargie – même si, pour l’heure, nous nous en sommes tenus au cadre réglementaire existant.
La commission adopte successivement les amendements.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Article 2 (art. 431-2-1 [nouveau] du code pénal) : Création d’un délit d’introduction sans droit dans un lieu d’exercice d’activités commerciales, industrielles, artisanales, agricoles ou de loisirs
Amendements de suppression CL15 de M. Bastien Lachaud, CL38 de Mme Émeline K/Bidi et CL45 de Mme Balage El Mariky
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). L’article 2 vise ouvertement les associations écologistes et animalistes. Il prévoit des circonstances aggravantes « lorsque le but de l’introduction est de filmer ou capter les paroles prononcées dans ces lieux aux fins d’espionner autrui ou l’activité d’autrui ou de rendre publiques les images ou paroles captées », dont les cibles sont clairement les lanceurs d’alerte ou les associations comme L214, que je salue. De telles images sont pourtant d’une grande utilité pour nos concitoyens, qui doivent être informés sur les maltraitances animales.
Par ailleurs, les notions de « tranquillité » ou de « déroulement normal de l’activité » exercée me semblent très floues et dépourvues de sens juridique.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). En créant un délit d’intrusion dans des lieux d’exercice d’activités économiques ou de loisirs, puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, l’article 2 tend à criminaliser les défenseurs de l’environnement et du bien-être animal. Il vise également à réprimer plus sévèrement ces actions lorsque le but de l’intrusion est de capter les paroles prononcées dans ces lieux pour les rendre publiques, ce qui concerne bien évidemment les lanceurs d’alerte que vous prétendiez protéger à l’article 1er.
Il s’agit là d’une atteinte inacceptable à la liberté d’informer, d’autant plus injustifiable que l’intrusion est sanctionnée alors même qu’elle a lieu sans menace, voie de fait ou contrainte, par opposition à la violation de domicile, prétendument parce que cette dernière ne s’applique qu’aux lieux clos.
Sous couvert de compléter un arsenal législatif présenté comme insuffisant, l’article 2 porte une atteinte disproportionnée aux activités militantes utiles et pacifistes des lanceurs d’alerte.
M. Xavier Breton, rapporteur. Vous ne serez pas étonnées d’apprendre que je suis défavorable à ces amendements. Les travaux de la mission d’information ont montré l’insuffisance de l’arsenal pénal existant en matière d’intrusions. La violation de domicile est en effet difficile à qualifier dans le cadre d’intrusions dans des exploitations agricoles : ces lieux sont rarement clos et leur accès n’est généralement pas réglementé, si bien qu’ils ne satisfont pas aux critères retenus par la Cour de cassation. Le délit d’introduction frauduleuse dans un local, créé par la loi dite Kasbarian du 27 juillet 2023, pose les mêmes difficultés.
C’est pourquoi la création d’un délit spécifique d’intrusion dans un lieu où sont exercées des activités agricoles ou économiques paraît nécessaire. La rédaction proposée est inspirée des délits d’intrusion existant dans le code pénal, en particulier celui d’intrusion dans un établissement scolaire « dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre ». Je réponds ainsi à la remarque de Mme Cathala : cette notion n’est pas floue, elle existe juridiquement, figure dans le code pénal depuis une quinzaine d’années et a même été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010‑604 DC du 25 février 2010.
Je présenterai néanmoins plusieurs amendements visant à affiner la rédaction de l’article 2.
M. Jordan Guitton (RN). Le renforcement du délit d’intrusion va plutôt dans le bon sens. Dans leurs exposés sommaires, les représentantes de la gauche de la gauche s’y opposent en invoquant la liberté d’informer. Or, la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, en l’occurrence la liberté d’entreprendre, de commercer ou de produire.
En justifiant toutes les entraves aux activités économiques et commerciales au nom de la liberté d’informer, vous promouvez l’anarchisme juridique ! Au nom de la liberté d’informer, on pourrait donc casser une vitrine, s’introduire dans un lieu de manière illicite, menacer le droit à la propriété privée. C’est une conception très inquiétante de l’état de droit et même de l’agriculture.
Au fond, votre objectif est d’inciter des associations à décourager les entrepreneurs agricoles et les promoteurs de certaines activités de loisirs pour, finalement, pousser à une décroissance agricole complète. Que se passera-t-il, au bout du compte ? Si nous ne pouvons plus rien produire sur le territoire national, où les pratiques des agriculteurs sont fortement encadrées et doivent respecter des normes strictes, la France finira par importer des produits d’élevage provenant de pays où les animaux sont parfois traités de manière lamentable.
Il ne faut pas, au nom de la liberté d’informer, soutenir des associations dont le seul but est de détruire ce qui incarne une part de notre identité, notamment dans les zones rurales. Nous voterons donc contre ces amendements de suppression.
M. Ian Boucard (DR). Nous sommes, sans surprise, défavorables à ces amendements de suppression. Cette proposition de loi vise à combler une lacune de notre arsenal législatif. À l’évidence, une ferme devrait être considérée comme une habitation : même si les intrus entrent dans les locaux destinés à l’exploitation agricole, le paysan habite souvent juste à côté. Une intrusion dans les locaux où il élève ses animaux est donc une intrusion dans son domicile. Si des lanceurs d’alerte estiment que des pratiques de maltraitance animale ont cours dans une exploitation, c’est aux policiers, aux gendarmes ou encore à l’OFB, que la gauche défende ardemment, qu’il revient d’intervenir.
Notre groupe est tout à fait opposé à la maltraitance animale. Seulement, nous soutenons aussi le bien‑être de ceux qui produisent et nous nourrissent. Nous ne voulons pas que n’importe qui puisse s’introduire chez eux pour faire des vidéos. C’est le sens de l’article 2. Je remercie Xavier Breton pour son texte. Il faut évidemment préserver la tranquillité de ceux qui nous nourrissent et leur permettre de travailler.
M. Stéphane Mazars (EPR). Je souscris totalement à ces propos. La notion d’intrusion est très importante. Pour rendre régulièrement visite aux exploitants de mon département rural, je peux confirmer que leurs habitations sont imbriquées dans les bâtiments agricoles : une personne qui s’y introduit pour capter des images dans une stabulation, une bergerie ou une étable passe devant la maison de l’agriculteur. Ces actions sont donc très mal vécues par les agriculteurs. Le discours selon lequel ils devraient se barricader pour s’en prémunir est totalement inaudible : les paysans veulent au contraire avoir des cours de ferme ouvertes à tous, parce que c’est ainsi qu’ils ont toujours vécu. Il faut les protéger de ces intrusions, qui, bien souvent, ne sont pas le fait de visiteurs animés de nobles intentions, mais de personnes en quête de polémiques.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Les intrusions par des associations ou des militants de la condition animale ne représentent que 0,32 % des dégradations constatées dans les exploitations agricoles. Ramenons les choses à leur juste proportion : ce que vous dénoncez comme un phénomène planétaire imputable à des militants écologistes enragés est en réalité un phénomène très marginal.
Je ne dis pas que les intrusions ou les dégradations ne sont pas des problèmes – la preuve en est qu’elles sont sanctionnées par notre droit. Les violences aux personnes et aux biens doivent être punies. Le propre de la désobéissance civile est d’être non violente : ces militants sont, en majorité, non violents. Replaçons le débat là où il doit être, c’est-à-dire sur le plan du droit et de la nécessaire conciliation des libertés individuelles et publiques, et non sur celui des amalgames et des préjugés à l’encontre des militants écologistes ou des défenseurs de la condition animale.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Le débat est assez caricatural : à vous entendre, les militants attaqueraient des petits paysans jusque dans leurs petites fermes modèles. En réalité, chacun sait que les militants dénoncent la maltraitance de l’agro-industrie. Peut-être ne fréquentez-vous pas régulièrement leurs sites internet, mais il y est question de dizaines de cochons laissés à l’agonie pendant des jours après un incendie, d’élevages sordides de lapins, de la réouverture d’un abattoir pourtant condamné à la fermeture, de maltraitance dans un élevage laitier, d’animaux découpés vivant dans un abattoir de Maurienne.
Les intrusions illégales sur la propriété des agriculteurs sont déjà réprimées par le code pénal. Il est évident que ce texte vise les militants et les lanceurs d’alerte. N’essayez pas de nous faire croire qu’il aidera les petits agriculteurs, que vous ignorez totalement dès lors qu’il s’agit de leur garantir des prix rémunérateurs, de leur permettre de partir à la retraite plus tôt ou de les protéger des accords de libre‑échange comme celui conclu avec le Mercosur.
Mme Marine Le Pen, dans son livret thématique consacré à la protection des animaux, parle de leur accorder une reconnaissance constitutionnelle, de créer un nouveau statut civil, de renforcer les peines sanctionnant les infractions commises envers les animaux ainsi que le rôle des associations, de lutter contre les fraudes pour mieux les protéger, de doter l’État des outils nécessaires à la protection animale ou encore de rendre la parole aux citoyens par la création d’un référendum d’initiative populaire en matière législative. Pourtant, comme d’habitude, le groupe RN n’a jamais proposé quoi que ce soit en ce sens à l’Assemblée nationale.
M. Éric Martineau (Dem). Je ne peux pas laisser dire que seuls des élevages industriels sont attaqués. Étienne Fourmont, éleveur de la Sarthe qui a créé sa propre chaîne YouTube, a par exemple découvert, un matin de Noël, sa ferme couverte de tags dénonçant son élevage, alors qu’il est à la tête d’une exploitation de taille moyenne. Ces faits sont certes réprimés, mais les agriculteurs ne portent pas toujours plainte, faute de temps. Le même constat vaut lorsque des installations d’irrigation sont endommagées.
M. Xavier Breton, rapporteur. Les agressions, qu’elles soient déjà réprimées ou qu’elles soient appelées à l’être après l’adoption de ce texte, ne concernent pas que l’agriculture industrialisée ou les grands groupes. L’élément déclencheur de mon travail a été l’incendie d’un abattoir familial dans mon département en 2018. Toutes les formes d’agriculture sont concernées.
Encore une fois, les lanceurs d’alerte ne sont nullement concernés. Je présenterai tout à l’heure un amendement précisant que le délit d’intrusion n’est pas applicable dans les cas prévus à l’article 122-9 du code pénal, qui consacre l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte. Ces derniers pourront donc continuer à agir. Si vous faites référence à d’autres formes de militantisme, dites-nous lesquelles, mais, en l’état, votre argument ne tient pas, car les lanceurs d’alerte seront bien protégés dans la version finale du texte.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL23 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. Cet amendement vise à améliorer la cohérence juridique du texte en insérant le délit d’intrusion dans un lieu d’exercice d’activités commerciales, industrielles, artisanales ou agricoles dans une section dédiée du code pénal.
Il tend aussi à supprimer le délit d’introduction dans un lieu où sont pratiquées des activités de loisirs, dans la mesure où ce délit n’est pas applicable aux entraves à la chasse.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL24 de M. Xavier Breton et CL42 de M. Stéphane Mazars (discussion commune)
M. Xavier Breton, rapporteur. Mon amendement, essentiellement rédactionnel, a trois objectifs : aligner la rédaction du nouveau délit d’intrusion sur celle du délit d’intrusion dans un établissement d’enseignement scolaire, prévu à l’article 431-22 du code pénal ; remplacer la notion d’activité « exercée de façon licite » par celle, plus précise, d’activités « exercées conformément à la loi ou au règlement » ; préciser que le délit d’intrusion n’est pas applicable dans les cas prévus à l’article 122-9 du code pénal relatif aux lanceurs d’alerte.
M. Stéphane Mazars (EPR). Je propose de prévoir que le délit d’intrusion ne peut être commis si celle‑ci répond à des motifs légitimes. Cette notion étant désormais retenue à l’article 1er, il serait bon de l’inscrire à l’article 2, dans un souci de parallélisme des formes. En outre, la notion de motif légitime, qui serait appréciée au cas par cas par les magistrats judiciaires, est plus large que celle de lanceur d’alerte, définie strictement à l’article 122-9 du code pénal.
M. Xavier Breton, rapporteur. Si je partage votre objectif, l’adoption de votre amendement ferait tomber le mien, dont le champ est plus large. Je vous propose donc soit de sous-amender mon amendement, soit de déposer un nouvel amendement en séance pour introduire cette notion de motif légitime.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Vous semblez entretenir une grande confusion autour de la notion de lanceur d’alerte, dans le but de donner le sentiment que ce texte est équilibré. La qualité de lanceur d’alerte n’est accordée qu’à un tout petit nombre de personnes : seuls les salariés peuvent en bénéficier. Les citoyens engagés en sont complètement exclus. Pour que ce statut soit opérant en l’espèce, il faudrait donc qu’un citoyen engagé parvienne à convaincre le salarié d’une exploitation agricole de divulguer une information – et encore, seulement en attendant qu’un délit de conviction soit créé !
Les citoyens et les militants associatifs ne sont pas considérés comme des lanceurs d’alerte au sens pénal du terme. C’est bien l’application de la jurisprudence européenne qui permet parfois d’exciper d’un motif légitime pour les exempter de responsabilité pénale, comme cela a été le cas pour les décrocheurs des portraits d’Emmanuel Macron. Nous devons avancer sur la question du régime de protection des lanceurs d’alerte, mais, en l’espèce, ces amendements sont inutiles, car inopérants.
M. Xavier Breton, rapporteur. Encore une fois, vous voulez étendre le champ de l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte. Ce n’est pas l’objet de ce texte. Nous nous conformons au cadre réglementaire et législatif existant.
L’amendement CL42 est retiré.
La commission adopte l’amendement CL24.
Amendements CL3 de Mme Marie-France Lorho et CL25 de M. Xavier Breton (discussion commune)
Mme Marie-France Lorho (RN). L’amendement CL3, rédactionnel, vise à préciser le montant et la durée de la peine prévue en cas de circonstances aggravantes.
M. Xavier Breton, rapporteur. L’amendement CL25 tend à remplacer la circonstance aggravante d’intrusion dans le but de capter et de diffuser des paroles par la création d’un délit distinct d’intrusion aux fins de captation d’images ou d’enregistrement dans le but de les diffuser publiquement, qui serait soumis à la même peine, soit un an d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende. De tels actes obéissent en effet à une autre finalité que le trouble à la tranquillité ou au bon déroulement d’une activité.
Il vise aussi à appliquer le principe de légalité des délits et des peines en définissant dans la loi une circonstance aggravante lorsque l’intrusion présente un risque sanitaire. La peine serait alors fixée à deux ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
L’amendement de Mme Lorho, qui prévoit la même peine de prison, mais une amende plus faible, serait ainsi satisfait. Je lui propose donc de le retirer au profit du mien.
La commission rejette l’amendement CL3.
Elle adopte l’amendement CL25.
La commission adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendements CL33, CL34 et CL35 de Mme Sophie Ricourt Vaginay
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Contrairement à nos collègues d’extrême gauche, nous estimons que les entités qui incitent, organisent ou soutiennent des actions perturbatrices doivent être sanctionnées. Nous proposons donc, à travers l’amendement CL33, d’introduire une interdiction de financement public des groupements concernés pour une durée de cinq ans ainsi qu’une possibilité de dissolution judiciaire en cas de récidive ou de préjudice grave à l’ordre public. Les associations qui appellent à la violence ou à l’entrave n’ont pas leur place dans la République : les financements publics doivent être réservés à des structures qui œuvrent pour le bien commun et non pour détruire des outils de travail ou semer la terreur.
Les deux amendements suivants visent à adapter les sanctions en fonction de l’ampleur et de la gravité des infractions. Les actions menées à grande échelle par des organisations structurées causant des perturbations significatives pour l’économie, pour la sécurité publique ou pour les droits fondamentaux doivent être traitées avec la plus grande sévérité. Nous proposons donc de porter les peines encourues à dix ans de prison et 100 000 euros d’amende, et de prévoir une interdiction d’exercer toute fonction de direction au sein d’une association pour une durée de quinze ans.
M. Xavier Breton, rapporteur. L’amendement CL33 introduit des peines complémentaires – interdiction de financement public et dissolution – à l’encontre de personnes morales qui incitent ou soutiennent des entraves. Il pose plusieurs difficultés qui me conduisent à en demander le retrait. Tout d’abord, il est impossible de définir un tel groupement, ce qui pose un problème constitutionnel : on peut évoquer des personnes morales condamnées, ou bien des personnes physiques condamnées pour des faits commis en tant que membres d’un groupement, mais en l’état, votre proposition n’est pas suffisamment précise. En outre, l’article 131-39 du code pénal dispose que la peine de dissolution n’est pas applicable aux personnes morales pour les délits punis de moins de trois ans d’emprisonnement, ce qui est le cas de ceux créés aux articles 1er et 2 de la proposition de loi.
L’amendement CL34 vise à condamner les dirigeants d’associations ayant participé à des actes de perturbation. Il comporte un risque d’inconstitutionnalité, car, aux termes de l’article 121-1 du code pénal, « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » Il serait en outre inopérant, car les personnes morales sont déjà, en application de l’article 121-2 du même code, responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Par ailleurs, la rédaction de votre amendement pose différents problèmes en ce qu’elle manque de précision : dans la formule « qui ont directement participé à l’organisation d’actes perturbateurs », le mot « qui » pourrait faire référence aussi bien aux dirigeants qu’aux associations. La fourchette de peine – 10 000 à 45 000 euros d’amende – pourrait par ailleurs méconnaître le principe constitutionnel d’individualisation des peines. Je vous propose donc de retirer votre amendement pour le retravailler. À défaut, j’y serai défavorable.
Enfin, votre amendement CL35 vise à réprimer plus sévèrement les atteintes qui entraîneraient des perturbations significatives de l’économie, de la sécurité publique ou des droits fondamentaux des citoyens. Il méconnaît les exigences de précision de la loi pénale, pour plusieurs raisons. Les actes d’intrusion ou d’obstruction que vous visez ne sont pas en eux-mêmes des délits, mais des moyens de commettre les délits créés par les articles 1er et 2 de la proposition de loi. Ils ne sauraient donc faire l’objet de circonstances aggravantes. Par ailleurs, la notion de « perturbation significative » est trop vague, en particulier lorsqu’elle se rapporte aux droits fondamentaux. Là encore, demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Votre proposition de loi ne prévoit malheureusement pas l’incrimination d’associations. Certains collègues ont jugé que certains propos étaient caricaturaux mais il y a des activistes de la décroissance – lesquels font d’ailleurs partie de leurs sympathisants.
Dans l’Aveyron, plusieurs mâts d’éoliennes ont été endommagés, ce qui a entraîné un préjudice de plusieurs millions d’euros. En Bretagne, des militants ont vandalisé une partie du réseau de bus électriques, tandis qu’une usine de méthanisation et un élevage ont été incendiés en 2022 et en 2023, provoquant la mort de centaines d’animaux et plusieurs millions d’euros de dégâts. En 2022, les serres de plusieurs exploitations ont été vandalisées, notamment en Occitanie. En 2023, des miradors de chasse ont été abattus ou incendiés en Alsace et dans le Sud-Ouest par des activistes anti-chasse, mettant en danger la vie des chasseurs.
Enfin, exemple le plus célèbre, des militants écologistes ont violemment contesté la construction de retenues d’eau à Sainte-Soline, les fameuses méga bassines, ce qui a conduit à un climat de tension extrême avec les agriculteurs.
En réalité, des groupements et des associations sont également responsables de tout cela et ils devraient être très fortement sanctionnés.
Les amendements CL33, CL34 et CL35 sont retirés.
Article 3 (art. 225-1 et 225-3 du code pénal) : Interdiction des discriminations fondées sur l’activité professionnelle exercée
Amendements de suppression CL16 de Mme Gabrielle Cathala, CL39 de Mme Elsa Faucillon et CL46 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Cet article porte atteinte à la liberté de boycotter qui, d’après la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), découle de la liberté d’expression. La jurisprudence ayant tranché cette question, nous proposons de supprimer cet article.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). L’article ajoute l’activité professionnelle à la liste des mobiles discriminatoires interdits par le code pénal. Son but est donc de criminaliser le boycott, alors que ce type d’action est parfaitement légitime dès lors qu’il est fondé sur des choix de consommation et non sur des préjugés racistes, sexistes ou antisémites.
Le boycott est une réponse efficace pour contraindre des auteurs de mauvaises pratiques à changer de comportement. Il faut conserver une liberté de choix. Lorsque Joël Robuchon a décidé en 2013 de suspendre ses approvisionnements de foie gras chez un producteur mis en cause pour maltraitance animale par une association de défense des animaux, ce n’était pas de la discrimination.
Cette notion est faite non pas pour sauvegarder des intérêts économiques mais pour protéger la dignité des personnes. La droite cible la liberté de boycotter – c’est-à-dire la liberté de consommer ou non des produits – et c’est inacceptable.
M. Xavier Breton, rapporteur. L’entrave à une activité économique, ou le refus de fournir un bien ou un service constituent actuellement des délits de discrimination, prévus à l’article 225-2 du code pénal. Leur finalité est de protéger les intérêts économiques des personnes qui en sont victimes.
Mais les travaux de la mission d’information de 2021 ont montré que ces délits n’étaient pas réellement applicables dans un certain nombre de cas, lorsque l’entrave ou le refus de fournir un service est justifié par la nature même de l’activité professionnelle exercée. C’est par exemple le cas si un transporteur refuse de prendre en charge les marchandises de certains producteurs, ce qui conduit pourtant à entraver l’activité économique de ces derniers.
Contrairement à ce qui a été dit, le dispositif proposé ne conduira pas à sanctionner des particuliers qui boycotteraient une entreprise car, dans ce cas, le délit de discrimination prévu à l’article 225-2 du code pénal n’est pas constitué.
Avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL26 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. Cet amendement de coordination rend applicable l’article 3 de la proposition de loi aux discriminations opérées entre personnes physiques, et non uniquement aux discriminations opérées entre personnes morales.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL27 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. Cet amendement de précision vise à exclure le mobile discriminatoire fondé sur l’activité professionnelle de certains délits de discrimination. Il est en effet normal que des discriminations, en particulier en matière d’embauche mais aussi de stage ou de formation, soient justifiées par l’expérience professionnelle des personnes concernées.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement CL4 de Mme Marie-France Lorho tombe.
La commission adopte l’article 3 modifié.
Article 4 (art. 225-4-1 A [nouveau] du code pénal) : Création d’un délit de diffamation publique à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs
Amendements de suppression CL17 de M. Bastien Lachaud, CL40 de Mme Émeline K/Bidi et CL47 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Comme les autres articles de cette proposition de loi, qui ont pour unique objectif d’organiser une répression inutile, l’article 4 crée un délit de diffamation publique à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs, puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Il vise évidemment à limiter les oppositions, les critiques ou les commentaires à l’encontre de certaines activités ou de certains loisirs. Cette mesure fait suite aux propositions du rapport de la mission d’information de 2021, dont nous contestons les conclusions.
Nous nous opposons à cet article qui cible encore une fois les associations écologistes et animalistes.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous avons déjà souligné la disproportion des délits créés par ce texte et des sanctions qui leur sont associées.
Cet article est au cœur de ces attaques contre la liberté d’expression. Avec ce dispositif, pourrait-être sanctionnée une expression publique. On voit de plus en plus de textes fondés sur une logique de suspicion, afin de réprimer, avant même la commission des faits, ce qui a permis d’attaquer des militants en justice. Avec le recul, on peut mesurer combien nos arguments contre ces mesures étaient justifiés, l’arsenal législatif permettant de s’en prendre directement à la liberté d’expression.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Mes collègues ont très bien exposé pourquoi il faut supprimer cet article. En plus d’être dangereux, il est inutile puisqu’il est déjà possible de lutter contre le dénigrement sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
M. Xavier Breton, rapporteur. Les travaux de la mission d’information de 2021 et les auditions menées la semaine dernière ont mis en évidence une augmentation des actions de diffamation à l’encontre d’agriculteurs, d’éleveurs et de chasseurs – en particulier sur les réseaux sociaux – et les difficultés posées par le cadre juridique actuel pour y répondre.
Je suis d’accord avec vous sur un point : les peines prévues par l’article 4 dans sa version initiale sont trop élevées. Mais vos arguments sont désormais décalés compte tenu de mon amendement CL28 de réécriture de l’article, qui vise à préserver la liberté d’expression tout en renforçant la lutte contre les entraves.
Cet amendement prévoit tout d’abord d’insérer ce nouveau délit de diffamation publique dans la loi du 29 juillet 1881. Cela offre des garanties procédurales plus protectrices que celles prévues pour les délits figurant dans le code pénal, comme l’impossibilité d’être placé en détention provisoire, ainsi que des délais de prescription plus courts.
Je propose ensuite de supprimer la peine d’emprisonnement et de ramener à 15 000 euros le montant de l’amende, au lieu de 45 000 euros dans la proposition initiale. Cela permet néanmoins de renforcer légèrement la peine par rapport aux 12 000 euros prévus actuellement pour le délit de diffamation à l’encontre d’un particulier.M. Stéphane Mazars (EPR). Le groupe EPR votera contre ces amendements de suppression. L’amendement CL28 du rapporteur permet en effet de rester dans le cadre du droit de la presse, ce qui offre des garanties importantes pour la personne poursuivie, et il supprime la peine d’emprisonnement, qui était largement disproportionnée.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL28 de M. Xavier Breton
M. le président Florent Boudié. Monsieur le rapporteur, il s’agit de l’amendement que vous nous avez largement présenté en répondant aux auteurs des amendements de suppression.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 4 est ainsi rédigé et les amendements CL5 de Mme Marie-France Lorho, CL19 de M. Jean Moulliere et CL8 de Mme Marie-France Lorho tombent.
Article 5 (art. 225-4-1 B [nouveau] du code pénal et art. 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) : Création d’un délit de provocation à la discrimination à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de leurs loisirs
Amendements de suppression CL18 de Mme Gabrielle Cathala, CL36 de Mme Émeline K/Bidi et CL48 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Cet article crée lui aussi un nouveau délit, raison pour laquelle nous nous y opposons.
Il nous semble complètement inutile. Il est d’ailleurs précisé dans le rapport de la mission d’information que « ces ajouts faciliteraient la sanction de personnes appelant au boycott, permettraient de mieux lutter contre les appels à l’entrave qui peuvent être émis sur les réseaux sociaux par des membres ou des sympathisants d’associations et de collectifs, l’infraction de provocation à la discrimination étant applicable aux contenus publiés sur internet et sur les réseaux sociaux. »
Il s’agit là encore d’une atteinte à la liberté d’expression et tant la Cour de cassation que la CEDH ont déjà rendu des décisions à ce sujet.
M. Xavier Breton, rapporteur. Avis défavorable.
Les peines prévues initialement par la proposition étaient en effet trop élevées. C’est pourquoi je présenterai deux amendements destinés à tenir compte des remarques émises sur le dispositif et visant à mieux préserver la liberté d’expression tout en renforçant la lutte contre les entraves.
L’amendement CL29 insère le nouveau délit de provocation à la discrimination dans la loi sur la liberté de la presse, comme nous l’avons fait à l’article précédent.
L’amendement CL30 prévoit quant à lui de supprimer la peine d’emprisonnement et de ramener l’amende de 45 000 à 15 000 euros.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques CL29 de M. Xavier Breton et CL7 de Mme Marie-France Lorho
Mme Marie-France Lorho (RN). Cet amendement vise à éviter la création d’un doublon.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’amendement CL9 de Mme Marie-France Lorho tombe.
Amendement CL30 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. Cet amendement vise à assurer le respect du principe de proportionnalité des peines.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Avec cet article, si mon association qui défend les poules poste une publication sur un réseau social pour expliquer qu’il vaut mieux acheter des œufs de telle marque plutôt que de celles qui tuent les poules lorsqu’elles ne sont plus productives, suis-je passible de 15 000 euros d’amende ?
M. Xavier Breton, rapporteur. Je prends bonne note de cette question en vue de la séance publique.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 5 modifié.
Après l’article 5
Amendement CL31 de M. Xavier Breton
M. Xavier Breton, rapporteur. Cet amendement de coordination prévoit l’application du texte outre‑mer.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL1 de Mme Marie-France Lorho
Mme Marie-France Lorho (RN). Si des initiatives comme les observatoires départementaux de l’agribashing permettent de recenser les actes de malveillance contre les exploitations agricoles, on manque de données consolidées à l’échelle nationale. Par ailleurs, ces observatoires ne s’occupent pas des actions menées contre les activités cynégétiques. Or les représentants de la FNC ont souligné combien la chasse était visée par de tels actes.
Cet amendement demande donc au gouvernement de remettre au Parlement un rapport recensant de manière précise les actes de malveillance perpétrés à l’encontre des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale.
M. Xavier Breton, rapporteur. La mission d’information de 2021 avait effectué un bilan très complet. Il convient cependant de l’actualiser et j’ai insisté sur la nécessité de bien suivre ces actes de malveillance dans le cadre de la politique du renseignement, en s’intéressant aux liens entre les actions locales, nationales et internationales.
La rédaction de l’amendement méritant toutefois d’être améliorée d’ici à la séance publique, je demande le retrait de cet amendement.
L’amendement est retiré.
Titre
Amendement CL43 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Nous proposons d’appeler un chat un chat. Ce texte a pour seul but d’entraver l’accès du public à l’information en matière d’environnement afin de protéger la réputation et la tranquillité d’esprit des lobbyistes qu’il défend.
M. Xavier Breton, rapporteur. Avis défavorable.
Nos travaux ont permis d’aboutir à un meilleur équilibre entre la liberté d’expression et la lutte contre les entraves. Les infractions sont définies avec précision et les peines sont proportionnées.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
La réunion est suspendue de seize heures vingt à seize heures trente.
*
* *
Puis, la Commission examine la proposition de loi visant à abroger le titre de séjour pour étranger malade (n° 689) (M. Éric Pauget, rapporteur).
M. Éric Pauget, rapporteur. Cette proposition de loi déposée par notre ancienne collègue Véronique Louwagie vise à abroger le titre de séjour pour étranger malade. Cependant, il ne remet pas en cause la prise en charge des soins dont bénéficient les personnes en situation irrégulière, désormais protégées par une dizaine de dispositifs. En revanche, il propose de supprimer une mesure devenue redondante, car le titre de séjour pour soins a été progressivement dévoyé pour devenir un outil de régularisation de l’immigration illégale.
Créé il y a une trentaine d’année, bien avant l’aide médicale de l’État (AME) ou la couverture médicale universelle (CMU), l’admission au séjour pour soins en France visait à répondre essentiellement aux défis sanitaires causés par la pandémie de VIH.
À l’origine, nos anciens collègues avaient imaginé ce dispositif pour ne pas mettre en danger la vie des étrangers séropositifs présents en France et dont le pronostic vital était engagé en cas d’absence de traitement. Il s’agissait aussi de limiter la propagation de la pandémie sur notre territoire. Comme il n’existait pas à l’époque de dispositif de soins dédié aux clandestins, ils avaient proposé de protéger des mesures d’éloignement l’étranger résidant habituellement en France atteint d’une pathologie grave nécessitant un traitement médical dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays de renvoi.
Encore régi pour l’essentiel par l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), le titre de séjour pour soins, qui a été considérablement élargi au fil du temps et progressivement remplacé par de nouveaux dispositifs de santé au bénéfice des personnes en situation irrégulière, semble avoir été détourné pour devenir un outil de régulation migratoire.
En effet, la majorité issue des élections de 1997 a profondément modifié et étendu le dispositif, en créant un titre de séjour en bonne et due forme pour motif médical. L’accès au traitement médical et la régularisation du séjour étaient dès lors intimement liés.
Son bénéfice a ensuite été progressivement élargi, malgré les alternances politiques qui en ont modifié les conditions sans remettre en cause ce lien. L’une des principales questions était de savoir si c’est l’absence de traitement dans le pays d’origine qui doit permettre le droit à l’admission au séjour pour motif médical ou l’effectivité de l’accès à ce traitement – notion qui intègre des critères socio-économiques.
Symbole de ces dérives, alors qu’une loi de 2011 avait retenu le critère de « l’absence de traitement », une nouvelle loi adoptée en 2016 était revenu à celui de « bénéfice effectif ».
Aussi, malgré les modifications législatives, l’admission au séjour pour soins est depuis trente ans un élément important de notre politique d’immigration. Environ 21 000 personnes bénéficient aujourd’hui d’un tel titre de séjour.
Si l’objet de ce texte n’est pas de remettre en cause le droit aux soins des personnes en situation irrégulière, nous devons nous interroger sur les conséquences des modifications de l’accès au titre de séjour pour soins, qui l’ont éloigné de son objectif initial.
Comme je l’ai dit, l’admission au séjour pour soins est actuellement soumise à un certain nombre de conditions.
La première est celle de résidence habituelle, notion que nous avons précisée dans la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Or cette condition est malheureusement peu contrôlée. Pire encore, l’article R. 425-14 du Ceseda permet à l’étranger ne la respectant pas de se voir tout de même délivrer une autorisation provisoire de séjour pour motif médical.
La deuxième condition tient à l’état de santé de la personne concernée, qui doit nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d’une gravité exceptionnelle. Cette condition est notamment appréciée au regard de l’engagement du pronostic vital. Les étrangers qui la remplissent peuvent désormais bénéficier du nouveau dispositif de soins urgents et vitaux (DSUV).
La dernière condition est liée aux caractéristiques du système de santé dans le pays d’origine, qui ne doivent pas permettre à l’étranger d’y bénéficier effectivement d’un traitement approprié.
Une personne en situation irrégulière satisfaisant à toutes ces conditions se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », valable un an et renouvelable pour toute la durée des soins.
L’appréciation des deux dernières conditions est confiée aux médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), qui a repris la mission d’instruction médicale des demandes de ce titre de séjour depuis 2017. Cette compétence était auparavant confiée aux agences régionales de santé (ARS).
L’instruction est effectuée par un collège de médecins, qui apprécient l’état de santé de la personne concernée ainsi que les conditions d’accès aux soins dans le pays d’origine. Si leur avis est positif, le préfet ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée.
Gageons enfin que la reconnaissance d’un droit au traitement à vie peut entraîner la délivrance d’un titre de séjour pour soins à vie, même si cette dérive se traduit le plus souvent par une mesure de régularisation.
Ces dévoiements ont été mis en lumière par Véronique Louwagie dans son rapport d’information sur l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière et mon groupe a décidé de proposer l’abrogation du titre de séjour pour étranger malade. Ce faisant, nous avons délibérément choisi d’aller plus loin que le dispositif visant à mieux encadrer ses conditions de délivrance, adopté en commission mixte paritaire et censuré par le Conseil constitutionnel en janvier 2024 au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.
En effet, l’admission au séjour pour soins nous semble être devenue un outil totalement dévoyé de régularisation pour les raisons suivantes.
Tout d’abord, l’universalité du dispositif l’a détourné de son objectif humanitaire initial. N’importe quel ressortissant de n’importe quel pays peut présenter une demande – et la voir acceptée – dès lors qu’il justifie de l’absence d’une couverture médicale suffisante dans son pays. Cette situation conduit d’autant plus à s’interroger qu’il est difficile d’évaluer les caractéristiques du système de santé d’un pays en l’absence de bases de données fiables et actualisées. Le Sida est la seule maladie pour laquelle les médecins de l’Ofii disposent de d’informations précises sur les capacités des systèmes de santé nationaux.
Par ailleurs, il convient de noter que les capacités médicales se sont développées dans de nombreux pays, en particulier sur le continent africain, pour la prise en charge notamment du VIH, sous l’égide d’Onusida, projet auquel la France a beaucoup contribué.
Ensuite, force est de constater que la prise en charge des frais médicaux des étrangers en France s’est beaucoup développée ces dernières années. Notre ancienne collègue Véronique Louwagie avait dénombré pas moins de onze dispositifs pour cette prise en charge, dont le principal est l’’aide médicale de l’’État.
De la sorte, aujourd’hui, la prise en charge des frais médicaux des étrangers est devenue indépendante de la régularité du séjour. En effet, dès leur premier jour de présence en France, les personnes sans titre de séjour régulier sont couvertes par le DSUV. Il leur permet de bénéficier des soins destinés à lutter contre la propagation d’une maladie initialement couverte par le titre de séjour pour soins. Il permet aussi de soigner les personnes en situation irrégulière dont le pronostic vital est engagé ou touchées par une altération grave et durable de leur état de santé. Les personnes en situation irrégulière présentes en France depuis trois mois peuvent, quant à elles, disposer des soins pris en charge par l’aide médicale de l’’État créée en l’’an 2000, y compris en cas de soins urgents. L’AME est d’ailleurs plus favorable que l’admission au séjour pour soins, dès lors qu’elle n’est pas conditionnée aux caractéristiques du système de santé du pays d’origine ou à l’importance vitale du traitement.
Les personnes disposant d’un titre de séjour sont affiliées, dès trois mois de résidence, à l’assurance maladie grâce au dispositif de la protection universelle maladie (Puma). Je rappelle que la France est le seul pays au monde à proposer un titre de séjour pour soins. La Belgique a voulu se doter d’un dispositif similaire, mais il n’est finalement comparable en rien à notre dispositif tant ses conditions d’accès sont restrictives.
L’admission au séjour pour soins en France va donc largement au-delà des obligations que nous assigne le droit européen. Ces dérives créent des effets de bord préjudiciables envers nos concitoyens qui ont de plus en plus de mal à se soigner. Certains étrangers extracommunautaires bénéficiant de titres de séjour dans un autre pays de l’Union et, à ce titre, de la prise en charge des frais médicaux par le système de santé du pays concerné viennent quand même déposer une demande de titre de séjour en France pour bénéficier d’une prise en charge plus favorable. Cette prise en charge est d’ailleurs tellement favorable qu’elle attire des ressortissants des pays du G20 – ce que l’Ofii nous a confirmé lors de son audition –dont certains sont pourtant dotés de systèmes de santé équivalents au nôtre. Plus de 6 000 ressortissants de ces pays, par exemple des États-Unis, du Canada, du Japon ou de la Chine, ont effectué une telle demande de carte de séjour pour soins en France entre 2017 et 2024. Ces ressortissants viennent chercher une prise en charge que seule l’assurance maladie française est capable d’offrir, notamment pour certaines molécules innovantes.
L’octroi de titres de séjour pour soins emporte deux conséquences bien moins visibles, mais qui ont un impact majeur sur notre système de santé et de solidarité, pour lesquelles nos compatriotes cotisent.
D’une part, l’obtention du titre de séjour pour soins, régularisant la situation des clandestins, permet aux personnes en situation irrégulière, souvent bien plus jeunes que nos compatriotes candidats à une greffe, de pouvoir être prioritaires dans l’accès aux greffons, car leur âge présente de meilleures garanties de réussite de l’opération. Conséquence directe de cette pratique – ce qui nous a aussi été confirmé lors des auditions –, plus de 400 de nos concitoyens perdent la vie chaque année et des milliers d’autres sont condamnés à la dialyse à vie car ils ne peuvent être greffés.
D’autre part, le bénéfice du titre de séjour pour soins constitue une porte d’entrée dérobée vers la solidarité nationale. En effet, par-delà le droit aux soins offerts aux personnes en situation irrégulière par l’octroi de ce titre, qui pourraient pourtant être soignées grâce aux onze dispositifs de santé dédiés aux étrangers, la délivrance du titre de séjour pour soins ouvre l’accès aux personnes en situation irrégulière à l’ensemble des prestations sociales – titres de transport gratuits, aides au logement ou allocation aux adultes handicapés (AAH).
Au vu de l’existence de multiples dispositifs de soins pour les étrangers, il existe donc une véritable dérive sous-jacente du titre de séjour pour soins qui se manifeste par le dévoiement des objectifs initiaux de sauvegarde de la santé des personnes en situation irrégulière vers un outil de régularisation aux multiples avantages.
Notre groupe ne souhaite pas empêcher l’accès aux soins des étrangers présents en France. Nous souhaitons interroger un dispositif progressivement dévoyé en outil de régularisation, alors même qu’une prise en charge médicale est assurée indépendamment de la régularité du séjour. Avec le développement de la Puma et de l’aide médicale de l’État, il convient d’aller au bout de la logique d’universalisation de la prise en charge des frais de santé et d’abroger un dispositif devenu obsolète et source d’abus. Avec cette proposition de loi, c’est empreints de bon sens que nous souhaitons achever ce mouvement en décorrélant l’accès aux soins de la délivrance d’un titre de séjour. Tel est l’objet de cet article unique proposant d’abroger l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Laure Miller (EPR). Nous étudions cette proposition de loi qui porte sur l’abrogation du titre de séjour étranger malade. Nous avons déjà abordé ce sujet lors de l’examen du projet de loi de Gérald Darmanin l’année dernière.
Ce titre de séjour concerne moins de 10 000 cas chaque année, chiffre à comparer aux 400 000 bénéficiaires de l’AME. Il est né dans les années 1990 pour aider des personnes atteintes du sida qui ne pouvaient pas bénéficier d’une trithérapie dans leur pays d’origine. Nous ne sommes plus dans la même situation aujourd’hui.
Pour en bénéficier, trois conditions sont à remplir : l’étranger doit résider habituellement en France, son état de santé doit nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité et il pourrait ne pas bénéficier d’un traitement approprié eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de son pays d’origine.
Avant 2011, le critère était celui de la disponibilité du traitement dans le pays d’origine. En 2011, la loi a évolué pour retenir le critère de l’absence du traitement avant de revenir en 2016 à la notion de bénéfice effectif dans le pays d’origine. 2016 est aussi l’année où l’évaluation médicale des demandes de titres de séjour est passée sous la responsabilité de l’Ofii, réforme décidée à la suite de rapports d’inspection faisant état de réels dysfonctionnements. Grâce à cette réforme, le nombre de titres délivrés chaque année a baissé.
Lors de l’examen de la loi « immigration », nous étions arrivés à une solution intéressante pour encadrer plus justement ce titre, mais les articles concernés du projet de loi ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Il s’agissait alors de revenir à la situation antérieure à 2016, où le critère était l’absence de traitements appropriés dans le pays d’origine, sauf circonstances humanitaires exceptionnelles, appréciées par l’Ofii.
Malgré un arrêté de janvier 2017 précisant la notion d’« exceptionnelle gravité » justifiant la prise en charge de l’étranger, les interprétations par la jurisprudence de ce critère sont variables et parfois discutables. Faire de cet arrêté une disposition législative permettrait de lutter contre les jurisprudences contraires à l’esprit du législateur de 2016.
Le compromis juste et digne que nous avions trouvé fin 2023 en commission mixte paritaire sur ce titre de séjour nous incite à ne pas soutenir sa suppression pure et simple. Les amendements déposés par le groupe Horizons permettraient de mettre fin aux failles du système et à la légitime incompréhension de nos compatriotes.
M. le président Florent Boudié. Je me permets de préciser vos propos, puisque le nombre de titres délivrés chaque année – environ 3 000 – est bien inférieur au chiffre de 10 000 que vous avez cité.
M. Jonathan Gery (RN). La France est un eldorado pour les étrangers malades, qui contribuent à la dérive de nos dépenses de soins. C’est, en résumé, le principal enseignement de la dernière note de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie consacrée à l’immigration et au système de santé.
Parmi les onze dispositifs de prise en charge sanitaire des étrangers en vigueur dans notre pays, deux sont financés quasi intégralement par la solidarité nationale : l’aide médicale de l’État, réservée aux immigrés en situation irrégulière, dont la générosité est sans égale dans le monde, et le séjour pour soins, qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui et qui est, lui aussi, une exception française.
Le titre de séjour pour soins, prévu par l’article L. 425-9 du Ceseda, permet à un étranger en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale urgente d’obtenir un droit de séjour temporaire renouvelable en fonction de ses besoins médicaux. Pour en bénéficier, le demandeur doit en théorie justifier d’une résidence habituelle en France d’au moins un an et ne pas avoir accès à des soins appropriés dans son pays d’origine. En outre, sa santé doit être exposée à des conséquences d’une exceptionnelle gravité en cas d’absence de traitement.
Ce dispositif a été conçu à l’origine pour des situations exceptionnelles et humanitaires mais il a évolué pour inclure un nombre croissant de bénéficiaires. Entre 2017 et 2022, 140 000 demandes ont été déposées, avec un taux d’avis favorable de 57 %. Le système français est souvent présenté comme l’un des plus favorables en Europe, bien au-delà des exigences des autres États membres de l’Union européenne.
Plusieurs critiques émergent quant à la gestion et aux critères d’accès au dispositif. La condition de résidence habituelle en France est jugée trop souple, permettant à des personnes récemment arrivées d’accéder au dispositif. En 2022, environ 13 % des demandes concernaient des étrangers présents en France depuis moins d’un an. De plus, le critère de gravité exceptionnelle des pathologies est souvent interprété de manière trop large, permettant l’admission de cas non conformes à l’objectif initial. Par exemple, des traitements comme la procréation médicalement assistée ont été approuvés pour des ressortissants dont le pays d’origine ne disposait pas de cette technologie. Enfin, le critère d’absence de traitements disponibles dans le pays d’origine est fréquemment contourné, permettant à des ressortissants de pays disposant de systèmes de santé performants comme les États-Unis et le Canada d’être admis.
Le coût du dispositif est un autre point central. Bien qu’il soit difficile à quantifier précisément, les pathologies prises en charge sont souvent lourdes et coûteuses. Par exemple, des traitements pour l’hémophilie A ou l’amyotrophie spinale peuvent coûter entre 300 000 et 1 million d’euros par an et par patient. En 2022, environ 30 000 titres de séjour pour soins étaient actifs, générant un coût estimé à au moins 100 millions, sans inclure les coûts administratifs. De plus, ces coûts pèsent sur l’assurance maladie sans que les bénéficiaires ne contribuent directement à leur financement.
Il faut souligner l’impact du dispositif sur les infrastructures de santé françaises, pourtant déjà sous pression. Les secteurs de l’oncopédiatrie, de la dialyse rénale et des greffes d’organes sont particulièrement affectés. Ainsi, 20 % des lits en hématopédiatrie au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse étaient occupés par des étrangers en 2022, créant des tensions dans l’accès aux soins pour les résidents français. Les cas de greffe d’organes illustrent cette problématique : sur les 3 400 greffes de reins réalisées en France en 2022, une proportion croissante concernait des étrangers, malgré un temps d’attente médian de deux ans et demi pour les résidents.
L’ensemble de ces éléments nous conduit à mettre en lumière l’existence d’une véritable dette de santé importée en France par l’actuelle politique d’immigration. La pression migratoire exercée sur le système de santé français apparaît difficilement soutenable à moyen et long terme, non seulement sur le plan des finances publiques, mais aussi parce qu’elle aggrave la saturation de l’offre sanitaire.
Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement national soutient cette proportion de loi.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). L’avantage avec la figure de l’étranger, c’est qu’on peut le rendre responsable de tout. Cette figure fantasmée et caricaturée évite de parler des vrais problèmes. Croyez-vous vraiment que les problèmes du système public de santé, et particulièrement des hôpitaux publics, soient dus à l’existence d’un titre de séjour pour étranger malade qui donne accès aux soins dans une logique à la fois sanitaire et humaniste ? Il faudrait plutôt réfléchir à d’autres recettes pour l’État, particulièrement en taxant les hauts revenus et les gros patrimoines, sans oublier évidemment les boursicoteurs. Mais le 49.3 est passé par là et le travail de notre assemblée, démocratique pourtant, a été mis à bas.
Vous avez été bien inspirés de déposer cette proposition de loi dans un contexte où le Président de la République évoque honteusement les Mamadou aux urgences. La couleur de peau ne dit pas la nationalité, surtout dans un pays comme le nôtre où 25 % d’entre nous ont au moins un grand-parent étranger. Nous sommes donc des mélangés et nous en sommes fiers. Vous avez été bien inspirés lorsque l’illégitime Premier ministre parle de submersion migratoire. C’est inacceptable et absolument dégoûtant. Comme à votre habitude, vous utilisez des logiques de bouc émissaire, ce qui signifie du racisme et de la xénophobie, mâtinées d’une démagogie absolue.
Vous êtes en effet incapables de préciser le nombre de bénéficiaires et les coûts afférents. Nous avons pu le constater dans les propos des orateurs précédents qui ont parlé de 30 000 bénéficiaires, parfois de 21 000, 10 000, 4 000 ou 3 000. Vous évoquez un « appel d’air migratoire », ce qui n’est pas anodin, tout en avouant qu’il est impossible de le prouver.
Vous vous prenez les pieds dans le tapis et faites des comptes d’apothicaires approximatifs. Le rapport d’information de Véronique Louwagie sur l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière en fournit des exemples : il parle d’un « dispositif sans doute onéreux », d’« un coût difficile à estimer », d’un montant « certainement très significatif » et d’« un faisceau d’indices [laissant] supposer que ces dépenses peuvent être élevées ». Vous dégradez encore un peu plus la France humaniste en raison de coûts que vous ne connaissez même pas.
Vous ne dites pas la vérité sur la nationalité des bénéficiaires. Les premières nationalités représentées ne sont pas les Américains et les Canadiens, mais – c’est dans le rapport de Mme Louwagie – les Algériens, les Congolais et jusqu’à nos amis arméniens.
Je m’étonne au passage de votre énumération des maladies chroniques liées au mode de vie. Vous ne reculez devant rien : elle est très large. Dois-je comprendre que vous visez le capitalisme et l’ensemble de ses méfaits ?
Vous essayez de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Vous parlez d’appel d’air, mais vous ne connaissez pas le chiffre exact des bénéficiaires. Vous laissez entendre que ce titre serait facilement distribué alors que ce n’est pas le cas puisqu’il est soumis à plusieurs conditions : résidence habituelle, défaut de prise en charge exposant la personne à des conséquences d’une exceptionnelle gravité et, en conformité avec une décision du Conseil d’État du 7 avril 2010, absence d’accès effectif au traitement en fonction de la situation économique de la personne concernée.
Ce texte xénophobe, qui vise, encore et toujours, les étrangers, et démagogique, puisque vous n’êtes pas en mesure de fonder l’abrogation du dispositif en raison, défigure encore un peu plus la France, dont le devoir est de venir en aide et de faire preuve de fraternité.
M. Paul Christophle (SOC). Ce texte, promu par une droite qu’on souhaiterait républicaine, rejoint la longue liste de ceux qui ne font pas honneur à la République. Nous étions habitués aux attaques obsessionnelles du Rassemblement national envers les étrangers. Nous sommes désormais habitués à celles des Républicains, qui décident cette fois de s’attaquer aux étrangers dont la survie médicale est en jeu.
Le titre de séjour que ce texte abroge permet à un étranger malade d’obtenir un titre de séjour d’une année aux conditions suivantes : il doit résider habituellement en France, il doit ne représenter aucune menace pour l’ordre public, il doit souffrir d’une maladie dont l’absence de prise en charge pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et dont il ne pourrait pas se soigner de manière appropriée dans son pays d’origine.
Face à ce dispositif, dont l’utilité est aujourd’hui avérée, vous opposez des arguments fallacieux qui ne résistent pas à l’analyse des faits. Vous estimez que ce titre de séjour constitue un appel d’air migratoire vers la France. Rien n’est plus faux.
Son octroi est en effet soumis à une procédure stricte qui repose sur un contrôle du corps médical du ministère de l’intérieur et une analyse du dossier par le préfet, à qui revient la décision finale d’attribution. La personne doit résider habituellement en France pour en bénéficier, ce qui permet, comme l’indique l’Ofii, d’écarter de ce dispositif les étrangers récemment entrés en France et dont le séjour sur le territoire français a manifestement pour finalité majeure l’accès aux soins en France pour traiter une maladie déjà ancienne. L’Ofii indique d’ailleurs que la durée moyenne de présence des primo-demandeurs adultes sur le territoire français à la date de dépôt de la demande est de trois ans. Votre argumentation selon laquelle des étrangers viendraient spécifiquement pour se faire soigner en France d’une maladie déjà contractée n’a donc aucun fondement. D’après les données de la direction générale des étrangers en France, 3 090 premiers titres de séjour étranger malade ont été délivrés en 2023, ce qui représente moins de 1 % des premiers titres de séjour délivrés en France cette même année. Depuis quatre ans, leur nombre a été réduit de 43 %, soit une diminution de 2 400 premiers titres de séjour pour soins entre 2019 et 2023. On est vraiment très loin de l’effet d’appel d’air migratoire que vous évoquez dans l’exposé des motifs de votre texte. On est très loin aussi de la submersion migratoire évoquée par le Premier ministre. Nos débats sur l’immigration en France méritent mieux qu’ignorance et démagogie.
Vous indiquez ensuite que la suppression de ce titre serait justifiée par le coût exorbitant qu’il représente. L’exposé des motifs reconnaît pourtant que les auteurs de ce texte ont été incapables de chiffrer son coût. Surtout, il ne prend aucunement en compte le bénéfice de ce dispositif. Il oublie de préciser que les trois premières maladies conduisant à l’obtention de ce titre sont des maladies infectieuses, transmissibles de personne à personne. La prise en charge de personnes présentes sur le territoire français souffrant de VIH, de tuberculose ou d’hépatite permet de stopper leur propagation et leur transmission.
En définitive, ce texte ne vise qu’à s’attaquer aux personnes les plus précaires à des fins purement électoralistes. Il surfe et alimente une vague anti-immigration en mettant en danger la santé publique et l’existence de personnes qui vivent et travaillent en France et qui cotisent donc à notre système de protection sociale dont vous souhaitez pourtant les priver. Pour toutes ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés s’opposera fermement à cette proposition de loi.
M. Xavier Breton (DR). Je voudrais tout d’abord remercier notre collègue Éric Pauget pour la présentation de cette proposition de loi qui avait été initialement déposée par notre collègue Véronique Louwagie dont chacun peut reconnaître le souci de rigueur au niveau de la gestion des finances publiques et une vision modérée et humaine des dossiers. C’est important de le préciser, car les sujets concernant les étrangers sont actuellement abordés dans un climat éruptif.
Comme l’a indiqué le Premier ministre hier lors des questions au gouvernement, il ne faut pas nier les excès qui peuvent exister dans l’application de certains dispositifs. Il ne faut pas les exagérer non plus. Cette proposition de loi nous invite à regarder un de ces dispositifs en face, qui est aujourd’hui dévoyé puisque les critères de délivrance du titre l’ouvrent potentiellement à toutes les personnes qui, dans le monde, n’ont pas accès à une couverture sanitaire optimale. Des ressortissants de pays riches déposent ainsi des demandes, attirés par la qualité des soins en France.
Nous sommes le seul pays européen à disposer d’un tel dispositif. Or, on entend souvent qu’il faudrait aligner nos politiques sur nos voisins européens, ce qui me semble d’autant plus nécessaire dans ce domaine que, pour beaucoup de Français, la couverture sanitaire et le droit d’accès aux soins sont loin d’être optimaux. Selon une enquête menée par l’institut CSA en 2023, près de 20 % des Français déclarent renoncer à des soins médicaux pour des raisons financières et ce taux monte même à 40 % pour les ménages aux revenus les plus modestes. Dans certains territoires, et notamment dans les déserts médicaux, les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous médical peuvent dépasser six mois, même pour des pathologies graves. Ces chiffres témoignent d’une véritable crise de l’accès aux soins pour nos compatriotes.
Cette proposition de loi incarne notre volonté de préserver l’équité et la justice sociale dans l’accès aux soins par la suppression d’un dispositif qui détourne des ressources pourtant nécessaires à nos concitoyens dans l’accès aux soins.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je ne suis pas surprise par cette proposition de loi, déposée par un groupe parlementaire qui multiplie les provocations et appels du pied à l’extrême droite depuis la dernière législature. Déjà, l’année dernière, lors de votre niche parlementaire, vous aviez choisi de stigmatiser, sous des arguments fallacieux, toute une partie de la population. À l’époque, il s’agissait les Algériens et ils sont encore aujourd’hui votre obsession. Aujourd’hui, il s’agit des étrangers malades. Au lieu de vous atteler aux réformes structurelles pour notre modèle de soins, vous préférez pointer du doigt les étrangers.
Dans votre proposition de loi, pas beaucoup de chiffres, pas beaucoup de sérieux mais beaucoup d’amalgames et d’idéologie raciste. Vous parlez de submersion, d’appel d’air, de filière d’immigration, comme si tout le monde était suspect, comme si être soigné devait être réservé à une certaine catégorie de personnes. Mais où est donc passée votre humanité ? Les droits humains sont pourtant de ceux qui ne se négocient pas. Aujourd’hui, vous visez les étrangers malades, mais demain, qui sera sur votre liste ? Les chômeurs, qu’on jugera trop coûteux, les retraités, les plus précaires, pour peu qu’ils aient une couleur de peau différente ou une religion qui ne vous convient pas ? Rogner les droits des uns, c’est toujours ouvrir une brèche pour diminuer ceux des autres.
Votre proposition de loi, inhumaine par essence, continue d’alimenter un discours de peur, d’exclusion et de xénophobie qui est de plus en plus mal caché par vos prises de position. Tout à coup, le danger viendrait de celui qui aurait le VIH, le cancer, la sclérose en plaques ou encore le paludisme. Je rappelle que nous parlons de 3 291 titres de séjour pour soins délivrés en 2022, soit 1 % du total des titres de séjour délivrés.
Vous parlez souvent des valeurs civilisationnelles et judéo-chrétiennes de notre pays. Aider son prochain en fait partie. L’avez-vous oublié ? Pourquoi vouloir systématiquement enlever des droits aux autres ? Qui vous a traumatisé au point d’être obsédé par tout ce qui n’est pas blanc, catholique, européen ou simplement français ? Nous sommes devenus français au cours de la grande histoire de France, au gré des invasions. Il y a encore moins de 200 ans, le comté de Nice était étranger à la France. Jusqu’au siècle dernier, un Algérois était citoyen français.
Votre proposition de loi, si elle était adoptée, condamnerait des milliers de personnes, dont des mineurs. Elle arrêterait brutalement leurs traitements, les expulserait dans des pays où ils ne sont pas accessibles et où, parfois, leurs droits humains ne sont même pas respectés. Votre proposition de loi les condamnerait pour avoir eu le malheur de naître ailleurs.
Ce titre de séjour n’est pas un coût et la santé n’est d’ailleurs jamais un coût. Il est une question de dignité. Notre France ne trie pas les malades entre ceux qui méritent de vivre et ceux qui doivent mourir en silence, loin des regards. Notre France n’est pas celle de la sélection par la souffrance. L’étranger n’existe que par des frontières mal dessinées, par des achats de petits bouts de territoire, par des mariages plus ou moins arrangés et par des colonisations parfois barbares. Il existe à la faveur de massifs montagneux ou de fleuves qui, passant par là, ont fait reculer des invasions et mis des armées en échec.
Je vous invite à faire vôtre ces mots d’Amine Maalouf : « c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances et c’est notre regard qui peut aussi les libérer »
Mme Anne Bergantz (Dem). Cette proposition de loi vise à abroger le titre de séjour pour étrangers malades. Lors de sa création en 1998, sa philosophie et son humanisme étaient très clairs puisqu’il s’agissait de venir en aide à ceux qui ne pouvaient être soignés du VIH dans leur pays d’origine en raison d’une absence totale de soins adéquats. Au gré des réformes, ce titre de séjour a été en partie détourné de sa mission initiale. Ainsi, nous constatons qu’un nombre croissant d’étrangers demandent ce titre pour des pathologies vraisemblablement prises en charge par le système de santé de leur pays.
Selon l’Ofii, que nous avons auditionné, il existe 21 000 titres de séjour étranger malade en stock. On peut considérer que c’est peu face au nombre de cartes de séjour en circulation, mais il ne faut pas oublier que ces titres représentent un coût non négligeable pour l’assurance maladie. Ce coût n’est certes pas quantifiable, mais il est évaluable. Pour chacun des 21 000 bénéficiaires, dont la maladie entre dans la définition des affections de longue durée nécessitant donc un traitement prolongé et une thérapeutique coûteuse, les soins pourraient représenter au moins 50 000 euros par an et par personne, voire beaucoup plus pour les dialyses et les thérapies innovantes. Le coût global du dispositif devrait ainsi facilement atteindre 1 milliard par an.
À l’heure où l’assurance maladie et, plus largement, l’ensemble de nos finances publiques sont en crise, ces dépenses ne sont pas neutres. Elles s’ajoutent au coût de l’AME, supporté par l’État, qui correspond à l’étape préalable à la demande du titre de séjour étranger malade.
Dans un contexte de tension budgétaire et de crise hospitalière, liée notamment au manque de médecins et de personnel paramédical, il ne faut pas fuir le débat. Je vais donc poser une question difficile, éthique même : quelles capacités financières et humaines pouvons-nous allouer à l’accueil des étrangers malades, sans détériorer l’offre de soins de ceux qui contribuent à notre système social ?
Prenons un exemple concret, celui de la situation des centres de dialyse. Ils doivent faire face à l’explosion du nombre de patients atteints d’insuffisance rénale terminale, à la croissance du nombre de titres de séjour étranger malade pour insuffisance rénale et à un « atypisme concernant l’activité de dialyse pour les bénéficiaires de l’AME » – je cite le rapport Evin et Stefanini sur l’AME. Dans ces conditions, comment soigner les 10 000 nouveaux dialysés qui, chaque année, viennent rejoindre les rangs des personnes demandant des soins requérant des équipements lourds et du personnel médical et paramédical spécialisé ? Je rappelle qu’un dialysé nécessite 156 séances par an. Nous souhaiterions tous pouvoir accueillir et soigner tous les étrangers, mais on ne peut ignorer les tensions que cela ferait peser sur notre système de soins.
Le groupe Les Démocrates considère ainsi que les modalités d’accès à ce titre peuvent être questionnées. Nous soutiendrons donc la démarche du groupe Horizons visant à revenir à l’ancienne condition d’absence effective de traitements appropriés dans le pays d’origine, en remplacement de l’actuel critère de bénéfice effectif.
Notre groupe estime que si le périmètre de l’éligibilité du titre de séjour étranger malade doit être révisé, l’abrogation n’est pas une solution car elle ne permettra pas d’améliorer le contrôle des flux migratoires. En effet, en supprimant ce titre, nous supprimerions la procédure d’examen par l’Ofii pour en transférer la responsabilité aux préfectures, qui devront instruire des demandes d’autorisation provisoire de séjour. Elles ne disposeraient alors plus d’aucun avis médical sur lequel motiver leur décision concernant le titre de séjour. Notre groupe conditionnera donc son vote à une réécriture en profondeur de l’article unique sur les conditions d’accès au titre de séjour.
M. Paul Molac (LIOT). Monsieur le rapporteur, votre rapport contient beaucoup de chiffres. Pourtant, les étrangers malades sont avant tout des personnes dont le pronostic vital est engagé. En 2022, selon l’Ofii, il y a eu 150 primo-demandes de titre de séjour pour dialyse. Peut-être cela coûtera-t-il cher, mais ce seront aussi 150 personnes potentiellement sauvées. Il me semblait que ce qui comptait le plus, c’était la vie humaine. Assurément, le système actuel n’est pas parfait et il faut corriger ses failles. En revanche, proposer sa suppression pure et simple, sans vous poser la question des conséquences sur les personnes concernées, heurte mes valeurs humanistes.
Aux termes de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le titre est destiné à « l’étranger, résidant habituellement en France, dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité ». On est loin d’une procédure excessive ! D’ailleurs, le nombre de demandes n’a cessé de diminuer, en passant de 44 000 en 2017 à 24 000. En 2023, seuls 3 000 premiers titres ont été délivrés.
Plusieurs lois ont resserré les critères d’admission, dont celle relative au droit des étrangers de 2016 qui a transféré l’examen médical à un médecin de l’Ofii et non plus d’une agence régionale de santé (ARS), ce qui a permis d’harmoniser les pratiques. Le titre de séjour pour soins est essentiel. Il met en œuvre une solidarité nationale et traduit les valeurs humanistes de notre pays. Pourquoi vouloir le supprimer au lieu de chercher à l’améliorer ? À la lecture du rapport de l’Ofii, je constate que les difficultés ne viennent pas tant de la loi que de son application et d’une jurisprudence qui ne prend pas en compte l’évolution des systèmes de santé dans certains pays.
L’exposé des motifs évoque des effets d’aubaine au profit de citoyens américains, canadiens ou japonais. Si c’est le cas, je vous rejoins sur la nécessité de mieux calibrer les critères. Mais, dans le rapport de l’Ofii et même dans votre pré-rapport, ces trois pays ne figurent pas dans la liste des principaux demandeurs. Pourquoi les abus de quelques-uns devraient-ils conduire à l’abrogation d’un titre dont des hommes et des femmes ont véritablement besoin ? À ce stade, notre groupe demande au gouvernement de remettre au Parlement un chiffrage précis du coût pour l’assurance maladie des soins effectués par les bénéficiaires de ce titre de séjour. Cela permettrait d’éclairer et d’apaiser le débat public.
Je dois vous avouer une solide culture judéo-chrétienne et, comme il me reste un peu de temps, je pense qu’il ne serait pas inutile de rappeler ici la parabole du bon Samaritain. Un homme, après s’être fait rouer de coups et dépouiller, est abandonné au bord d’une route. Un prêtre passe et détourne les yeux. Un séminariste passe et détourne les yeux. Finalement, c’est un Samaritain, qui n’est pourtant pas en odeur de sainteté auprès des Hébreux de cette époque, qui s’occupe de l’homme blessé et le conduit dans un hôtel. Au fond, on pourrait tout aussi bien dire que la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer) coûte trop cher et que les gens en perdition en mer peuvent se débrouiller. Si on les sauve, c’est parce que l’on a des principes. Notre groupe ne soutiendra pas ce texte.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Chers collègues du bloc central, je suis prise d’un certain effroi voire d’un vertige à vous voir glisser si vite, utiliser les termes, les constats et une partie des propositions que la droite a elle-même copiés-collés des vieilles propositions du Front national. Tout cela relève d’une obsession – je ne vois pas d’autre mot pour qualifier votre manie de vouloir diminuer à ce point les droits des étrangers. Hier, c’était l’aide médicale d’État et le titre de séjour vie privée et familiale. Aujourd’hui, c’est celui pour étranger malade. On retrouve les mêmes éléments de langage : des dispositifs présentés comme des exceptions françaises et dont le coût est flou, le danger d’un supposé tourisme médical et, évidemment, pour achever la combinaison gagnante, le prétendu appel d’air.
Pourtant, ce titre concerne peu de personnes et son octroi est très encadré. Il a été créé en 1998, grâce à des mobilisations associatives, citoyennes et militantes contre le VIH. Il est réservé aux personnes étrangères gravement malades qui résident déjà en France. Alors que nous disposons de plein de chiffres, on dirait que vous n’en avez rien à faire. Selon le rapport de l’Office français de l’immigration et de l’intégration remis au Parlement le 20 décembre 2024 et portant sur l’année 2022, les principales raisons des demandes de titre de séjour pour soins étaient les maladies infectieuses et les maladies de l’appareil circulatoire, suivies des maladies endocriniennes et des cancers. Le nombre de personnes titulaires d’une carte de séjour pour raisons médicales est resté stable pendant des années, autour de 30 000, ce qui ne représente que 0,6 % de l’ensemble des titres de séjour délivrés. Supprimer ce titre entraînerait une dégradation de la santé des personnes et accroîtrait les risques d’exposition et de contamination de la population à des pathologies graves ou contagieuses.
Après les chiffres, je veux en venir aux personnes. Je suis sûre que tous les parlementaires reçoivent des gens cherchant à obtenir des titres de séjour. Avez-vous eu une seule fois le sentiment que ces personnes qui souhaitaient un titre étranger malade étaient là pour frauder ? Une maman avait plusieurs enfants dont l’un bénéficiait de ce titre – il était en France pour une maladie incurable. Elle avait un titre vie privée et familiale pour continuer de l’accompagner. Une préfecture n’a rien trouvé de mieux que de lui mettre une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Voulez-vous qu’on en arrive là ? Que des parents soient renvoyés, alors que leur enfant va mourir en France ? Où allons-nous ? En vous attaquant à ce titre, vous vous attaquez aux plus vulnérables. Ces personnes viennent avec le seul espoir d’être soignées.
M. Sacha Houlié (NI). Cette proposition de loi n’a qu’un seul mérite : témoigner de la constance de votre parti, monsieur le rapporteur, malgré les récriminations et les censures du Conseil constitutionnel, à remettre sur le métier l’abrogation de la carte de séjour temporaire au titre de l’admission pour étranger malade. Une constance qui n’a d’égale que celle du directeur de l’Ofii, Didier Leschi, qui mène un lobbying assez intensif auprès de tous les parlementaires pour parvenir à cette même fin. Une constance qui, au fond, ne se justifie même pas par les chiffres qu’il produit lui-même et ceux de la direction générale des étrangers en France. En 2019, juste après la réforme de 2018 qui a conduit à introduire une dérogation au secret médical, pour avoir un avis médical des médecins sur l’état de santé des personnes sollicitant ce titre, il y avait 5 411 titres délivrés. Dans votre rapport, vous mentionnez une baisse de 6 % entre 2022 et 2023. Entre 2019 et 2023, la baisse a été de 57 %, ce qui montre que ce que nous avons voté en 2018 se suffit à lui-même pour traiter les abus.
Vous faites état d’une immense demande de titres, peut-être même d’une submersion. Il faut la rapporter au nombre de titres accordés. En 2019, près de 30 000 demandes ont été déposées pour 5 411 titres délivrés ; en 2023, 24 800 demandes pour 3 300 titres délivrés. Le taux d’attribution est donc en baisse, alors même que 64 % des avis médicaux sont favorables. C’est dire le fort contrôle de l’Ofii et des préfets. Il n’y a plus d’abus.
Par ailleurs, vous parlez d’un dispositif coûteux et redondant, tout en reconnaissant que le coût de l’admission au séjour pour soins n’est pas précisément connu. Une telle contradiction est dérangeante. Vous citez aussi un rapport de Mme Louwagie qui mentionne un chiffre de 90 millions, avant de préciser qu’il est largement sous-estimé, sans donner plus de raisons.
Dernière approximation : vous rapprochez ce titre des coûts de l’AME et de la Puma (protection universelle maladie). En réalité, vous mélangez des choux et des carottes ! Il y a, d’une part, une couverture médicale qui bénéficie à des personnes, quel que soit leur titre, et, d’autre part, un titre qui vise à protéger des gens qui en ont besoin, selon des critères définis par la loi et très largement encadrés depuis 2018.
Je pense qu’il faut rejeter ce texte.
M. le président Florent Boudié. Monsieur Houlié, le groupe Les Républicains n’a pas fait preuve de constance sur ce sujet, puisque, jusqu’à présent, me semble-t-il, il n’était pas favorable à l’abrogation pure et simple de ce titre mais à des aménagements. En 2011, un aménagement a été voté, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. C’est en 2016 que la loi a permis le contrôle par les médecins de l’Ofii et c’est d’ailleurs à partir de ce moment-là que la courbe des premiers titres délivrés s’est mise à descendre. Personnellement, je pense que c’est une erreur, et peut-être plus qu’une erreur, de vouloir abroger cette disposition.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je pense que l’on se méprend sur l’objet de ce titre. L’accès aux soins n’est pas remis en cause. Quand ce titre de séjour, qui est un outil de maîtrise de notre immigration, a été créé, il n’y avait pas tous les dispositifs qui existent aujourd’hui et dont les deux plus connus sont l’AME et la Puma. Le titre de séjour pour soins permettait de soigner. Il y a bien, en moyenne, 25 000 demandes par an instruites pour 3 000 titres délivrés. Que croyez-vous ? Que les 22 000 autres personnes ne sont pas soignées dans notre pays ? Elles le sont, au titre de l’un des onze dispositifs existants. Il faut absolument décorréler les deux aspects. Les gens sont soignés, que ce soit leur premier jour sur le territoire, qu’ils y aient passé trois mois ou qu’ils y travaillent, même s’ils ne sont pas régularisés. Le titre dont nous parlons est un outil dont s’est doté l’État pour régulariser.
J’entends vos remarques mais je vous assure, chers collègues, que vous vous méprenez, puisque le soin est bien dispensé. Le vrai sujet, c’est celui de la visibilité et de la traçabilité des crédits permettant la prise en charge du soin. L’AME, par exemple, représente des crédits d’environ 1,2 milliard d’euros. Nous avons un montant précis. Le jour où le titre de séjour est accordé, on bascule dans le droit commun, ce qui interdit toute traçabilité précise. Or ce titre a été dévoyé au fil des trente dernières années. D’après les chiffres que je donnais précédemment, il y a chaque année environ 22 000 personnes qui n’ont pas obtenu leur régularisation au titre de la santé, qui continuent à être soignés – on ne les a pas mises dehors !
J’ai conscience que le sujet est politiquement inflammable. Mettons un peu de froideur dans notre approche juridique et administrative. Dans la mesure où ces personnes sont prises en charge par la sécurité sociale, le sujet de l’incidence budgétaire n’est pas au cœur de la proposition de loi. La vraie question est celle-ci : la France doit-elle délivrer une régularisation de séjour au nom de la santé ? Si l’on n’avait pas de dispositif pour soigner, je vous rejoins, madame Faucillon, la question se poserait. Mais aujourd’hui, que ce soit à Mayotte ou en Guyane, une personne de nationalité étrangère en situation irrégulière, quelle que soit sa maladie, est prise en charge dans notre pays. Avec l’AME, elle sera même prise en charge plus rapidement et plus directement, parce qu’un collège de médecins n’aura pas eu à examiner si elle pouvait être soignée dans son pays d’origine.
Si les amendements de suppression ne sont pas adoptés, je serai favorable à l’amendement CL4 du groupe Horizons, qui soutient la position qui était celle de notre groupe au début de l’année 2024, avant que les articles 9 et 10 de la loi immigration ne soient modifiés par la CMP : non pas une abrogation mais un renforcement des conditions d’accès au titre de séjour pour soins.
Article unique
Amendements de suppression CL1 de M. Paul Christophle, CL2 de Mme Elsa Faucillon, CL5 de Mme Élisa Martin et CL12 de Mme Sabrina Sebaihi
Mme Elsa Faucillon (GDR). Ce titre de séjour permet de sécuriser administrativement des gens à un moment où ils ont particulièrement besoin de sérénité. C’est tout à l’honneur de notre pays d’avoir des médecins formidables et des personnels grâce auxquels, quoi qu’il arrive, des gens sont soignés. C’est cela qu’il faut mettre en avant !
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). La proposition de loi est extrêmement idéologique.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Entre 2021 et 2022, les demandes de titre de séjour pour soins ont diminué de 12 %. Vous dites que ces situations seraient mieux prises en charge par l’AME, alors même que vous souhaitez sa suppression ! On entend aussi qu’il faudrait que les personnes qui se font soigner en France contribuent. Des personnes malades, pour certaines mourantes ! Contribuer à quoi ? Et comment ? Un peu de décence !
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable. L’article L. 425-9 du Ceseda est, je le redis, obsolète, redondant et dévoyé. Que deviennent les 22 000 personnes qui n’obtiennent pas le titre pour soins ? Elles sont soignées. C’est l’octroi d’un titre de séjour qui est imposé au nom du soin et non la prise en charge médicale.
Mme Anne Bergantz (Dem). Je suis toujours navrée de voir que les discours sur l’immigration sont dépourvus de toute nuance et qu’il est compliqué voire impossible d’en parler sans se faire traiter de racistes, ce qui profondément insultant. Je ne crois pas que ces sujets doivent être préemptés par le Rassemblement national ; nous devons être capables d’en parler. Vous nous avez accusés de dire qu’il y avait des abus. Dans la mesure où le titre existe, les personnes qui en bénéficient sont évidemment dans leur droit. Nous souhaitons seulement revenir à une position ancienne, avec des conditions d’absence effective de traitement approprié dans le pays d’origine.
On entend toujours qu’il faut accueillir tout le monde et que ce ne serait qu’une question de moyens. Pour moi, ce n’est pas uniquement une question de moyens financiers ou humains. On ne peut pas faire abstraction des difficultés de notre système de santé. Sur 12 000 personnes en attente d’une greffe, 3 000 sont greffées chaque année. Selon vous, l’État devrait trouver quatre fois plus de greffons pour greffer tout le monde ? Les étrangers avec des titres de séjour sont prioritaires pour des questions d’âge. Est-ce juste et éthique ?
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Monsieur le rapporteur, vos arguments m’étonnent. Vous nous expliquez que l’accès aux soins ne sera pas réduit pour les étrangers et qu’il s’agira seulement d’une précarisation administrative. Je note tout de même que les groupes qui se sont exprimés en faveur du texte ont avancé comme raison que cette loi permettrait de diminuer le nombre d’étrangers soignés en France, ce qui désemboliserait notre système de santé et le remettrait au service des Français. Leur motivation est en totale contradiction avec la manière dont vous le défendez. Faire des économies et désemboliser nos hôpitaux ne sont a priori pas l’objectif du texte.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, votre groupe, qui s’est largement restreint au fil des élections ces dernières années, choisit pour sa niche un texte sans étude d’impact qui permettrait de comprendre en quoi il vient satisfaire l’intérêt général voire un intérêt particulier. En réalité, il ne satisfait qu’un intérêt idéologique. Et, comme le disait Mme Bergantz, si vous ne l’aviez pas déposé, le Rassemblement national aurait proposé un texte en tous points similaire, puisque l’immigration est la tête de gondole de son aspirateur à électeurs. Vous devez être gêné, monsieur le rapporteur, de défendre un texte aussi cruel, qui va à l’encontre de toute charité. Laisser des personnes sans soins ! Pouvez-vous raisonnablement croire que des gens vont traverser la Méditerranée en bateau pneumatique pour se faire dialyser ? Vous connaissez sans doute des gens qui sont dialysés : vous font-ils état d’une submersion migratoire ?
Mme Anne Bergantz (Dem). Oui, il y a un vrai problème !
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Aucun hôpital ne vous dira non plus qu’il manque d’organes en raison de la gourmandise des personnes migrantes !
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article unique est supprimé et les autres amendements tombent.
Après l’article unique
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL8 de M. Aurélien Lopez-Liguori.
La commission ayant supprimé l’article unique de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.
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La séance est levée à 17 heures 40.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Marie-José Allemand, Mme Anne Bergantz, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Maud Bregeon, M. Xavier Breton, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Jonathan Gery, M. Jordan Guitton, Mme Florence Herouin-Léautey, M. Patrick Hetzel, M. Jérémie Iordanoff, M. Bastien Lachaud, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Éric Pauget, M. Thomas Portes, Mme Sophie Ricourt Vaginay, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, M. Roger Vicot, Mme Dominique Voynet, Mme Caroline Yadan
Excusés. - M. Moerani Frébault, Mme Émeline K/Bidi, Mme Naïma Moutchou, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Antoine Villedieu, M. Jiovanny William
Assistaient également à la réunion. - M. Ian Boucard, M. Pierre Cordier, M. Sacha Houlié