Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Élection d’un rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de
M. Richard Ferrand en tant que membre du Conseil constitutionnel 2
– Élection d’un rapporteur sur la proposition de nomination, par la Présidente de l’Assemblée nationale, de Mme Laurence Vichnievsky en tant que membre du Conseil constitutionnel. 3
– Examen de la proposition de loi visant à faciliter l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail (n° 771) (Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure) 4
– .........................................Audition de M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’Intérieur, et de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargée du Travail et de l'Emploi, sur la circulaire du 23 janvier 2025 fixant les orientations générales relatives à l’admission exceptionnelle au séjour prévue aux articles L.435-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et sur les régularisations justifiées par le travail. 12
– Informations relatives à la Commission................ 13
Mercredi
12 février 2025
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 35
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Florent Boudié,
président, puis de Mme Sandra Regol,
vice-présidente, puis de M. Florent Boudié,
président
— 1 —
La séance est ouverte à 10 heures.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission procède à l’élection d’un rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Richard Ferrand en tant que membre du Conseil constitutionnel.
M. le président Florent Boudié. Comme vous le savez, par communiqué du 10 février, le président de la République a indiqué qu’il souhaitait nommer M. Richard Ferrand membre – et président – du Conseil constitutionnel. La présidente de l’Assemblée nationale, qui doit également désigner un nouveau membre du Conseil, a porté son choix sur Mme Laurence Vichnievsky. Ces propositions de nomination feront l’objet d’une audition et d’un vote mercredi prochain, respectivement à huit heures trente et à quinze heures. L’article 29-1 du règlement prévoit que nous désignions un rapporteur sur chaque proposition de nomination, étant entendu qu’il doit appartenir à un groupe minoritaire ou d’opposition.
Nous commençons par la désignation d’un rapporteur sur la proposition de nomination de M. Richard Ferrand par M. le président de la République.
La commission est saisie des candidatures de Mme Marietta Karamanli et de M. Bryan Masson.
M. le président Florent Boudié. Le nombre de candidats étant supérieur à celui des sièges à pourvoir, nous allons devoir les départager. S’agissant d’une désignation personnelle, le scrutin est de droit s’il est demandé par un seul commissaire : je le demande en votre nom. J’appelle à la tribune deux secrétaires du bureau pour procéder au dépouillement. Je remercie Mmes Colette Capdevielle et Martine Froger, ici présentes.
La désignation du rapporteur donne lieu à un tour de scrutin :
Nombre de votants…................54
Bulletins blancs ou nuls…........1
Suffrages exprimés…...............53
Majorité absolue......................27
Ont obtenu :
Mme Marietta Karamanli........38 suffrages
M. Bryan Masson…….............15 suffrages
Mme Marietta Karamanli, ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, est désignée rapporteure.
*
* *
Puis, la Commission procède à l’élection d’un rapporteur sur la proposition de nomination, par la Présidente de l’Assemblée nationale, de Mme Laurence Vichnievsky en tant que membre du Conseil constitutionnel.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons à la désignation d’un rapporteur sur la proposition de nomination de Mme Laurence Vichnievsky par Mme la présidente de l’Assemblée nationale en qualité de membre du Conseil constitutionnel.
La commission est saisie des candidatures de M. Jean-François Coulomme et de M. Bryan Masson.
M. le président Florent Boudié. Le nombre de candidats étant supérieur à celui des sièges à pourvoir, nous allons devoir les départager. S’agissant d’une désignation personnelle, je rappelle que le scrutin est de droit s’il est demandé par un seul commissaire : je le demande en votre nom. Les scrutateurs restent Mmes Colette Capdevielle et Martine Froger.
La commission procède à un vote par scrutin.
M. Yoann Gillet (RN). Je n’ai pas pu voter – c’est allé tellement vite.
M. le président Florent Boudié. J’ai fait un appel nominal. Je n’en sais rien – les conditions du scrutin ne me permettent même pas de vérifier si vous avez voté ou non –, mais si quelqu’un ne vote pas lorsque son nom est appelé, c’est peut-être parce qu’il discutait avec son voisin.
M. Yoann Gillet (RN). Il n’est pas normal de m’empêcher de voter. Tout ce qui se passe dans cette commission depuis le début de la législature est d’ailleurs anormal..
M. le président Florent Boudié. Me sentant très directement interpellé, je vous demande de préciser ce que vous entendez par fonctionnement « anormal » de la commission.
M. Yoann Gillet (RN). Les groupes RN et UDR ne sont pas traités à la mesure de leur poids politique. Les arrangements entre les uns et les autres, notamment pour les nominations des rapporteurs, ne sont pas normaux
M. Bryan Masson (RN). Mes collaborateurs m’ont envoyé la vidéo de la réunion. On entend, au début du deuxième scrutin, Mme Froger prononcer les mots suivants : « Ils font des voix, ces cons. » Je voudrais qu’elle précise qui elle visait et je demande son remplacement pour le dépouillement du scrutin.
Mme Martine Froger (LIOT). Ce n’était pas moi.
M. Roland Lescure (EPR). J’ai eu l’honneur et le plaisir de présider une commission pendant cinq ans et il m’arrive de présider en ce moment des séances publiques parfois un peu houleuses : je voudrais vous remercier et vous féliciter sincèrement, monsieur le président, pour la qualité de votre présidence, qui a toujours été respectueuse des droits et des devoirs de tous les groupes politiques, de la majorité comme de l’opposition.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je suis assez surpris : au moment de la désignation des vice-présidents de la commission, les députés du groupe Rassemblement national étaient très contents d’avoir conclu un accord avec les macronistes. La France insoumise n’est pas représentée parmi les vice-présidents de notre commission, alors qu’elle est le troisième groupe de l’Assemblée nationale, à cause des arrangements que vous dénoncez aujourd’hui. Pour notre part, nous ne passons aucun accord en sous-main. Nous faisons simplement preuve de logique : heureusement qu’il y a encore des députés qui préfèrent voter pour un candidat opposé à celui du Rassemblement national !
M. le président Florent Boudié. Je rappelle que 60 à 70 % des textes essentiels à notre République transitent par la commission des lois. L’un des groupes contestant le vote, je vous propose de procéder à un nouveau scrutin afin de ramener la sérénité et de faire en sorte que tout soit absolument clair.
La commission procède à un nouveau vote par scrutin :
Nombre de votants…......................48
Bulletins blancs ou nuls.................10
Suffrages exprimés.........................38
Majorité absolue............................20
Ont obtenu :
M. Jean-François Coulomme........20 suffrages
M. Bryan Masson….......................18 suffrages
M. Jean-François Coulomme, ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, est désigné rapporteur.
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Puis, la Commission examine la proposition de loi visant à faciliter l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail (n° 771) (Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure).
M. le président Florent Boudié. Je rappelle que cette proposition de loi est inscrite en séance publique lors de la journée d’initiative parlementaire du groupe Écologiste et social du 20 février.
Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure. En 2024, la France a accordé l’asile à 70 000 personnes. Ressortissants afghans, ukrainiens ou guinéens, ces gens qui fuient les persécutions dans leur pays d’origine ont vocation à séjourner durablement sur le sol français où ils ont trouvé protection.
Toutefois, avant d’obtenir le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, ils ont souvent affronté un parcours du combattant, ponctué par les difficultés administratives et la précarité. En effet, les demandeurs d’asile ont l’interdiction de travailler pendant six mois, sauf si l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) statue sur leur demande et leur octroi le statut de réfugié dans ce délai. Cependant, la durée moyenne d’une procédure d’asile est estimée à onze mois.
Six mois après avoir déposé son dossier, un demandeur d’asile peut chercher un travail et son employeur doit alors effectuer une demande d’autorisation de travail, dont la délivrance est soumise à de nombreuses conditions et à laquelle peut être opposée la situation de l’emploi. L’instruction de la demande d’autorisation peut courir pendant deux mois. Cela peut donc porter l’interdiction de travailler à huit mois.
Cette interdiction a des effets : très peu de demandeurs d’asile accèdent au marché du travail avant la reconnaissance de leur statut de réfugié. Selon les dernières données du ministère de l’intérieur, portant sur une période comprise entre avril 2021 et avril 2022, 38 % des 4 745 demandes d’autorisation de travail présentées ont fait l’objet d’un accord, ce qui représente 2,3 % du total des demandes d’asile de majeurs enregistrées en 2021.
Rien n’impose une telle rigueur. Cette législation est à la fois injuste et contre-productive. Laissez-moi vous parler d’un exemple qui va mettre tout le monde d’accord, celui d’un ingénieur spécialisé dans la construction de pipelines. Après avoir introduit sa demande d’asile puis envoyé son CV, il a reçu plus de dix appels par jour pour occuper un poste, mais il faut qu’il attende six mois pour qu’une autorisation de travail lui soit éventuellement accordée. On marche sur la tête ! Cette interdiction de travail pendant six mois est injuste, car les demandeurs d’asile dépendent de l’octroi des conditions matérielles d’accueil et se retrouvent contraints à des périodes d’inactivité.
L’allocation pour demandeur d’asile est une allocation de subsistance dont le montant, de 426 euros par mois, ne permet pas aux demandeurs de subvenir à leurs besoins dans des conditions dignes et les place, de fait, dans une situation de précarité. Qui peut dire qu’avec 426 euros par mois il est possible de payer son loyer, sa nourriture, son transport, d’apprendre le français et de préparer un entretien à l’Ofpra dans de bonnes conditions, donc de s’occuper de sauver sa vie, puisqu’il s’agit de cela ?
Les demandeurs d’asile sont particulièrement exposés au risque d’exploitation et de traite des êtres humains. Je pense à une cuisinière qui a payé 3 000 euros en espèces un avocat, qui ne lui a jamais répondu, pour l’aider à déposer sa demande d’asile et qui a été contrainte d’accepter tous les boulots non déclarés parce qu’elle devait rembourser cette somme. Je pense aussi à Husnia, journaliste afghane qui m’a expliqué cette semaine qu’elle se trouvait dans un rapport humiliant avec la personne qui l’hébergeait, en raison de sa précarité économique.
La législation actuelle est, par ailleurs, contre-productive. La longue période pendant laquelle l’accès au marché du travail est interdit affecte largement le capital humain des demandeurs d’asile. Privés du droit de mettre leurs talents au service de notre collectivité, ils finissent par perdre les compétences acquises dans leur pays d’origine et surtout leur confiance en eux. Toutes les études démontrent que plus une période sans activité professionnelle est longue, moins l’intégration future est garantie dans toutes ses dimensions, sociale, culturelle et linguistique. Il est prouvé que perdre trois mois en la matière ne se rattrape pas en moins de quatre ans.
En second lieu, la législation est néfaste à la société française : elle prive nos territoires et nos entreprises de ressources humaines dans des secteurs qui peinent à recruter. Hélène, qui vient de la RDC (République démocratique du Congo) et que nous avons rencontrée hier matin à l’Assemblée nationale, souhaite travailler dans une crèche ; elle a le CV et les compétences pour occuper un tel emploi, mais elle doit attendre, alors qu’elle vient d’un pays en guerre et que son avenir est en France.
Les restrictions imposées aux demandeurs d’asile pour accéder au marché du travail ont un coût pour les finances publiques et l’économie. À l’aide sociale versée aux demandeurs d’asile s’ajoutent les cotisations et les impôts que la collectivité aurait pu percevoir si ces personnes avaient été autorisées à travailler. Plus globalement, une moindre quantité de travail représente une perte de production. Des chercheurs ont estimé à 37 milliards d’euros la perte de production due aux interdictions de travail imposées aux demandeurs d’asile qui sont arrivés en Europe en 2015, lors de la crise de l’accueil des réfugiés.
Alors qu’il est question d’intelligence artificielle, j’ai rencontré hier pas moins de trois ingénieurs en informatique prêts à nous aider à défendre la souveraineté européenne en la matière. Et nous voudrions nous passer de ces personnes formées ? J’ai leurs coordonnées et leur CV. Elles sont sympathiques et parlent mieux anglais que la moyenne d’entre nous, mais on leur interdit de travailler.
Pour l’ensemble de ces raisons, la proposition de loi a pour objet de supprimer l’actuel délai de six mois qui fait perdre du temps à tout le monde. Par ailleurs, une décision du Conseil d’État du 24 février 2022, non exécutée par le gouvernement à ce jour, implique d’inclure dans le dispositif les demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du règlement Dublin III.
La proposition de loi s’inscrit dans la continuité de nombreuses recommandations, comme celles de la Défenseure des droits, émises en juillet 2023, ou celles de Jean-Noël Barrot et Stella Dupont, formulées dans leur rapport de 2020 relatif à l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés. Le texte s’appuie également sur l’expérience réussie de l’accès immédiat au marché du travail des déplacés ukrainiens.
Au-delà des rapports, des chiffres et des études économiques, je pense à celles et ceux que j’ai rencontrés pendant les auditions, notamment Alhassane, de Guinée, qui anime des ateliers pour préserver la santé mentale d’autres réfugiés ou demandeurs d’asile. Il recueille les témoignages de parcours de vie, comme le ferait votre psy – vous ne payez pas votre psy, vous ? Je pense aussi à un couple qui a fui l’Ukraine et que M. Sanvert, membre du groupe Rassemblement national, a hébergé pendant quelque temps, m’a-t-il dit. Tout s’est bien passé, ce couple travaille et leurs deux enfants vont à l’école. La seule différence entre Alhassane, Hélène, Husnia et eux, c’est que nous avons autorisé les personnes venues d’Ukraine à travailler dès leur arrivée en France. Cela se passe bien quand on permet aux gens de travailler : ce n’est pas le chaos et le chômage n’augmente pas. Ces femmes et ces hommes souhaitent simplement, comme vous et moi, vivre de leur travail, ni plus ni moins.
Parce qu’il est essentiel d’avancer sur cette question, j’ai été à l’écoute des groupes politiques qui ont souhaité faire preuve d’ouverture. J’ai déposé une série d’amendements visant à construire un consensus et à prouver que le travail parlementaire peut permettre, s’il repose sur des faits plutôt que sur des représentations, de lever l’interdiction de travailler subie par certaines personnes.
Le texte concernait initialement tous les demandeurs d’asile, mais j’accepte de ne pas inclure les personnes faisant l’objet d’une procédure accélérée et qui obtiennent une réponse rapide à leur demande. L’accès sans délai au marché du travail serait alors réservé à tous les autres demandeurs d’asile. Les dispenser d’autorisation de travail serait une bonne manière d’accélérer leur inclusion.
J’ai également entendu celles et ceux qui souhaitent que les efforts d’accélération profitent d’abord aux personnes qui bénéficient d’un fort taux de protection et pour lesquelles l’octroi d’une protection internationale est presque certain. Cette voie n’a pas ma préférence car elle instaure une différence de traitement entre nationalités, là où la protection internationale repose sur l’examen d’une situation personnelle. Néanmoins, j’ai entendu les questions de certains élus et je suis prête à faire un pas, pour autant que cela permette d’avoir une dispense d’autorisation de travail.
Troisièmement, pour ces mêmes personnes, je veux bien conserver l’autorisation de travail à la condition que la situation de l’emploi ne leur soit pas opposable, puisqu’il s’agit, d’après ce que nous a dit le ministère de l’intérieur, d’un outil de protection contre les vulnérabilités des demandeurs d’asile, par le contrôle du respect des exigences salariales et sociales des employeurs.
J’invite celles et ceux qui souhaitent œuvrer dans l’intérêt général à emprunter ensemble le chemin d’un dialogue parlementaire fécond.
Présidence de Mme Sandra Regol, vice-présidente
M. Arnaud Sanvert (RN). Nous examinons ce matin une proposition de loi dont l’adoption constituerait un appel d’air pour l’immigration. Déguisé sous les oripeaux de la solidarité et de l’humanisme, ce texte offrirait une aubaine aux filières illégales de passeurs. Il vise en effet à autoriser les demandeurs d’asile à accéder au marché du travail dès le dépôt de leur demande, avant que l’Ofpra se soit prononcé sur le bien-fondé de leur présence.
Selon BFM TV, près de sept Français sur dix partagent notre constat d’une submersion migratoire. Notre pays est rongé par une immigration massive, anarchique et incontrôlée. L’asile, qui devait être une protection réservée aux victimes de persécutions, est devenu un canal détourné d’immigration, notamment économique. En 2024, plus de 153 000 demandes de protection internationale ont été introduites à l’Ofpra, toutes procédures confondues. Parmi elles, on dénombre quelque 129 440 premières demandes d’asile. Selon les données disponibles, le taux de protection accordé par l’Ofpra et la Cour nationale du droit d’asile s’établissait à 49,3 % en 2024, ce qui signifie qu’une majorité des demandeurs d’asile ne relèvent en rien du droit d’asile.
Alors que notre pays souffre d’un chômage structurel et que nos finances publiques sont au bord du gouffre, des parlementaires proposent d’intégrer ces étrangers au marché du travail. Ce serait une faute politique et un message désastreux pour tous ceux qui rêvent d’un illusoire et fictif eldorado français. Cette mesure transformerait davantage le droit d’asile en porte d’entrée d’une immigration de peuplement car, une fois inséré dans l’emploi, un débouté du droit d’asile partira bien plus difficilement : il pourra invoquer la vie privée et familiale et s’accrocher à tous les recours possibles pour parvenir à obtenir un titre de séjour. Votre proposition de loi est en réalité un piège à régularisations.
Par ailleurs, ce texte est injuste socialement : comment expliquer à nos compatriotes qu’un étranger fraîchement arrivé accède immédiatement au marché du travail alors que tant de Français peinent à retrouver un emploi ? Comment justifier que des entreprises puissent embaucher des demandeurs d’asile quand près de 3 millions de nos concitoyens sont au chômage ? Les partisans du laxisme migratoire, à l’origine de ce texte, ouvrent la porte à une précarisation du travail et à des abus massifs. Qui garantira que les demandeurs d’asile ne seront pas sous-payés, exploités et utilisés comme une main-d’œuvre corvéable et bon marché ?
Enfin, la proposition de loi trahit l’esprit même du droit d’asile. Il a été conçu comme une protection temporaire pour ceux qui fuient des persécutions avérées. Il ne doit en aucun cas devenir une voie détournée d’une immigration non choisie. En ouvrant immédiatement le marché du travail aux demandeurs d’asile, ce texte dévoie l’asile de son objectif premier pour en faire une passerelle migratoire sans retour. La France n’a pas besoin de votre proposition de loi ; elle a besoin de reprendre le contrôle de ses frontières, de réguler ses flux migratoires, de lutter contre le dévoiement du droit d’asile en prévoyant, notamment, le dépôt des demandes auprès des consulats français à l’étranger, et d’accélérer les expulsions des déboutés.
Le Rassemblement national votera contre cette proposition de loi. Il souhaite aller plus loin en abrogeant les articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) qui donnent aux demandeurs d’asile la possibilité d’accéder au marché du travail dans un délai de six mois.
M. Roland Lescure (EPR). Cette question divise notre assemblée et nos compatriotes. J’aimerais penser, néanmoins, que nous pourrions nous rassembler autour de l’intégration par le travail des demandeurs d’asile. Un autre élément important de l’intégration de cette population est l’apprentissage de la langue française.
Je vous remercie, madame la rapporteure, d’avoir mis sur la table cette proposition de loi, même si le groupe Ensemble pour la République ne pourra pas la soutenir en l’état. Le travail est un facteur clé de l’intégration en général et de la limitation de l’impact du droit humanitaire sur les finances publiques – pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la France accueille en son sein des étrangers soumis à des persécutions dans leur pays d’origine.
Ce n’est pas la première fois que la commission des Lois se saisit de ce sujet. En décembre 2023, elle a adopté un amendement au projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, défendu par M. Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur, qui visait à accélérer l’accès à l’emploi, dans des conditions un peu plus strictes que celles fixées par cette proposition de loi, des demandeurs d’asile provenant de pays dits surprotégés et figurant sur une liste qui aurait été édictée par le ministre de l’intérieur. Des pays tels que l’Afghanistan et le Yémen devaient se trouver sur cette liste – l’Ukraine bénéficiait déjà d’un tel régime.
Cet amendement, largement adopté en commission des Lois, n’ayant pas pu être discuté en séance publique du fait de l’adoption de la motion de rejet préalable, j’avais déposé, sur la présente proposition de loi, deux amendements s’inspirant de sa rédaction. Ils ont été – contrairement, du reste, à des propositions de loi dont le coût s’élève à quelque 40 milliards d’euros… – jugés irrecevables par le président de la commission des finances. Ils auraient pourtant permis aux demandeurs d’asile provenant de pays « surprotégés » d’apprendre le français ; je les redéposerai, le cas échéant, en séance publique.
Mme la rapporteure a déposé trois amendements de réécriture afin de prendre en compte les résultats des auditions. De fait, dans sa rédaction actuelle, le texte est peu trop « open bar » : il ouvrirait un accès excessivement large au travail puisque pourraient en bénéficier des demandeurs d’asile qui, compte tenu de leur pays d’origine, n’ont pas vocation à obtenir le statut de réfugié. Par ailleurs, notre groupe ne peut soutenir ces amendements dans la mesure où ils négligent l’opposabilité de la situation de l’emploi, qui permet de limiter l’accès au travail des demandeurs d’asile à des métiers en tension ou à des emplois pour lesquels le chef d’entreprise a recherché sans succès des candidats français.
Néanmoins, l’amendement CL15 me semble offrir une bonne base de travail dans la perspective d’une éventuelle discussion en séance publique. À titre personnel, j’envisage même de voter pour cet amendement si l’occasion se présente.
Mme Sandra Regol, présidente. Si cela peut vous rassurer, l’article 40 est opposé à tous les députés ici présents, à peu près tous les jours et sur tous les textes.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous remercions le groupe Écologiste et social d’avoir déposé cette proposition de loi, en particulier dans le contexte politique actuel, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il s’aggrave.
Attachés par principe aux droits des étrangers, et même à l’égalité des droits, nous sommes favorables à la régularisation des travailleurs et au droit des demandeurs d’asile de travailler dès le dépôt de leur demande. Faut-il en effet rappeler que le droit d’asile est sanctuarisé par l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et qu’il a été consacré par notre pays après-guerre, dans un contexte qu’il conviendrait de ne pas oublier ?
En revanche, nous ne sommes pas favorables à une vision utilitariste du rapport aux étrangers. Il nous paraît ainsi maladroit d’envisager l’autorisation qui leur serait accordée de travailler comme une source d’économie en matière d’aides sociales, et discutable de limiter leur accès au marché du travail aux seuls métiers en tension. Si nous sommes favorables à la proposition de loi, nous ne souscrivons pas à ce type d’arguments, même si nous pouvons en comprendre la dimension tactique. Nous souhaitons, par principe, aller plus loin : ces personnes doivent faire l’objet d’un respect absolu.
Tout en nous gardant de qualifier à nouveau les principes idéologiques de certains membres du gouvernement, nous ne pouvons que juger problématique le fait que d’aucuns parlent de « Français de papier » : ce type de propos ne fait qu’alimenter les idées d’extrême droite et favoriser leur diffusion.
Nous voterons très volontiers pour ce texte de progrès.
M. Paul Christophle (SOC). Récemment, notre commission a examiné deux textes visant respectivement à restreindre le droit du sol à Mayotte et à empêcher les étrangers qui tomberaient gravement malades sur notre territoire de se faire soigner. Ces textes ne concernent quelques centaines ou milliers de personnes, si bien qu’on pourrait renommer la commission des Lois « commission des cas exceptionnels et des particularités législatives ». Si les verrous du langage identitaire cèdent chaque jour un peu plus sous les coups de boutoir de ceux qui, par calcul ou idéologie, font le pari de la division et de la stigmatisation, nous favoriserons un peu plus l’avènement de l’extrême droite au pouvoir.
À cet égard, la proposition de loi du groupe Écologiste et social nous offre une forme de respiration républicaine bienvenue.
Le délai d’attente de six mois actuellement opposé aux demandeurs d’asile qui souhaitent obtenir une autorisation de travail a des effets, puisque très peu d’entre eux accèdent au marché du travail avant la reconnaissance de leur statut de réfugié. Et pour ceux qui en bénéficient, le chemin est encore long avant d’obtenir les documents officiels qui leur permettront de travailler. Selon le ministère de l’intérieur, en 2022, 1 148 autorisations ont été délivrées pour 103 164 demandes d’asile, soit environ 1,1 %. Il nous est donc proposé d’assouplir le cadre actuel en permettant aux demandeurs d’asile de solliciter une autorisation de travail dès le dépôt de leur demande d’asile. De fait, le délai actuel est inutilement restrictif et ne se justifie pas.
Le texte est équilibré : d’une part, les demandeurs d’asile restent soumis à la délivrance d’une autorisation de travail ; d’autre part, cette autorisation n’est délivrée qu’à titre temporaire, jusqu’à ce que leur statut fasse l’objet d’une décision définitive. Le groupe Socialistes et apparentés soutiendra donc pleinement la proposition de loi.
M. Éric Pauget (DR). Au lieu de répondre à l’exigence de reprise en main de l’immigration, ce texte tend à supprimer le délai de six mois actuellement imposé aux demandeurs d’asile avant toute sollicitation d’une autorisation de travail. La proposition de loi s’inscrit ainsi dans une logique d’assouplissement systématique du droit des étrangers et brouille la distinction entre demandeurs d’asile et migrants économiques : le droit d’asile ne doit pas devenir un moyen de détourner le droit du travail pour faciliter l’installation de personnes qui n’ont pas encore prouvé qu’elles étaient en danger dans leur pays d’origine.
Ce texte risque, en outre, de créer un nouvel appel d’air. En effet, plus un pays facilite l’accès au travail des demandeurs d’asile, plus il devient attractif pour l’immigration irrégulière. Lorsque l’Allemagne et la Suède ont pris une telle décision après la crise migratoire de 2015, les demandes ont explosé au point que ces pays ont dû revoir leur politique pour limiter le phénomène. En France, le risque d’appel d’air n’est pas un mythe : en 2023, le nombre des premières demandes d’asile s’est élevé à 123 400, soit une augmentation de 8,6 % par rapport à 2022. La préférence de la France doit aller à l’immigration de travail d’une main-d’œuvre qualifiée et choisie.
Enfin, ce texte provoquerait une explosion du travail dissimulé. La suppression du délai actuel pousserait des employeurs peu scrupuleux à exploiter une main-d’œuvre vulnérable puisque la plupart des demandeurs d’asile n’ont ni formation ni compétences adaptées aux exigences du marché du travail. Nos priorités doivent être la formation et l’intégration des étrangers déjà régularisés.
En conclusion, il faut adresser un message clair aux trois quarts des Français qui considèrent à juste titre que les flux migratoires ne sont pas maîtrisés. Or, en facilitant l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, la proposition de loi du groupe Écologiste et social organise l’impuissance publique et rend inexpulsables ceux d’entre eux qui seront déboutés. Les députés du groupe Droite républicaine voteront donc contre la proposition de loi.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Au cours des dix dernières années, 220 millions de personnes ont dû fuir leur pays à cause des catastrophes liées au dérèglement climatique et, en juin 2024, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estimait à 120 millions le nombre des personnes déplacées de force dans le monde pour cause de guerre, de persécutions ou de violences. Pourtant, d’aucuns considèrent encore ces malheureux comme des gens de trop ! Ne leur en déplaise, le droit d’asile est et sera plus que jamais au cœur des enjeux. L’heure doit donc être au renforcement et à l’amélioration de notre système d’accueil et non à la répression et au repli sécuritaire.
En 2009, à la suite du massacre – qui a pu être qualifié de génocide – des Tamouls au Sri Lanka, 300 000 d’entre eux ont fui leur pays pour trouver asile en France. Ils doivent attendre six mois avant d’être autorisés à travailler. Si l’Ofpra déboute un de ces demandeurs d’asile au bout de sept mois, il aura dû vivre jusque-là avec les 360 euros qu’on lui verse mensuellement, notamment pour payer son logement d’urgence. Comment imaginer qu’il puisse engager une démarche de demande d’asile sereinement dans des conditions aussi déplorables ? Comment peut-on se satisfaire qu’une personne qui a fui les pires exactions soit maintenue dans un tel état de précarité ?
La politique qui vise prétendument à réguler l’immigration est en fait une trappe à illégalité, à travail dissimulé. Ceux qui s’opposent à la proposition de loi ne feraient, si elle était rejetée, qu’accentuer ce qu’ils dénoncent car, sans revenus ni repères, ces hommes et ces femmes vivront dans un état de pauvreté indicible et se tourneront nécessairement vers un travail illégal pour tenter de survivre. Alors que le travail a toujours été considéré par tous comme la première étape vers l’intégration, le lien social et une vie stable en France, pourquoi le refuser à ces personnes ?
La politique sécuritaire ne garantit en aucun cas la sécurité. Ceux qui ne veulent pas laisser les demandeurs d’asile travailler légalement en France organisent la clandestinité, la mal-intégration, l’errance. Comment pouvons-nous leur refuser le droit d’avoir des droits, même les plus essentiels ? Pourquoi, de surcroît, nous priver de leurs compétences, dont ont besoin nos territoires et nos entreprises ? En 2022, à peine 3 % des demandeurs d’asile ont obtenu une autorisation de travail. Que font les 97 % restants ?
Selon le groupe Écologiste et social, notre humanité, la raison et le bon sens nous commandent de soutenir pleinement ce texte.
M. Éric Martineau (Dem). La proposition de loi a pour objet de permettre aux primo-demandeurs d’asile ainsi qu’aux demandeurs placés sous procédure Dublin et faisant l’objet d’une procédure de transfert de déposer une demande d’autorisation de travail simultanément à leur demande d’asile.
Actuellement, l’accès au marché du travail peut être autorisé au demandeur d’asile lorsque l’Ofpra, pour des raisons qui ne sont pas imputables au demandeur, n’a pas statué dans un délai de six mois à compter de l’introduction de la demande. À l’expiration de ce délai, le demandeur est soumis aux règles de droit commun applicables aux travailleurs étrangers et doit déposer une demande d’autorisation de travail accompagnée d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche. L’autorité administrative dispose ensuite de deux mois pour s’assurer que l’embauche respecte les conditions de droit commun d’accès au marché du travail. À défaut de notification dans ce délai, l’autorisation est réputée acquise et s’applique pendant la durée du droit au maintien sur le territoire français du demandeur d’asile.
Le groupe Les Démocrates n’a aucun mal à reconnaître que l’accès rapide des étrangers au marché du travail est un très bon moyen de faciliter leur intégration sociale, culturelle et linguistique. Dans les faits, force est de constater que très peu de demandeurs d’asile parviennent à accéder à ce marché. En tant qu’agriculteur et ancien président d’une organisation de producteurs, je ne peux que souligner l’importance d’accorder des autorisations de travail aux étrangers. Mais nous devons veiller à ne pas favoriser le dépôt de demandes infondées et nous réserver la possibilité d’éloigner les personnes déboutées du droit d’asile. C’est pourquoi il est nécessaire que la décision de l’Ofpra intervienne dans les plus brefs délais et avant que le demandeur d’asile ait accédé au marché du travail.
Le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, examiné en 2023, comportait une solution de compromis : il était prévu que les personnes originaires de pays à fort taux de protection internationale pourraient déposer simultanément leur demande d’asile et leur demande d’autorisation de travail et que leur accès au marché du travail serait subordonné à la délivrance d’une autorisation de travail par le préfet, chargé d’examiner la situation de la profession et du bassin d’emploi eu égard à la liste des métiers en tension. Ce faisant, le gouvernement entendait accélérer le parcours d’intégration des demandeurs d’asile presque assurés d’obtenir le statut de réfugié et lutter contre le travail des étrangers sans autorisation de travail.
Dans une démarche de compromis avec le groupe Écologiste, nous avons proposé un amendement de réécriture allant en ce sens ; il n’a pas été retenu. Or nous ne pouvons soutenir l’accès immédiat au marché du travail de l’ensemble des demandeurs d’asile. Nous avons déposé un autre amendement qui, tenant compte de la décision du Conseil d’État du 24 février 2022, permettra également aux demandeurs placés sous procédure Dublin mais n’ayant pas pu être transférés dans un délai de six mois d’accéder au marché du travail.
Nous ne pourrons soutenir le texte que si notre amendement de réécriture est adopté en commission. En séance publique, nous souhaitons continuer de dialoguer avec le groupe Écologiste pour parvenir à un compromis.
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Présidence de M. Florent Boudié, président
Puis, la Commission auditionne M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’Intérieur, et Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargée du Travail et de l'Emploi, sur la circulaire du 23 janvier 2025 fixant les orientations générales relatives à l’admission exceptionnelle au séjour prévue aux articles L.435-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et sur les régularisations justifiées par le travail.
M. le président Florent Boudié. Monsieur le ministre d’État, madame la ministre, je vous remercie d’avoir répondu rapidement à mon invitation après la publication de la circulaire du 23 janvier dernier qui modifie les conditions de mise en œuvre de l’admission exceptionnelle au séjour (AES).
Nous voulions vous entendre rapidement, car si le contenu d’une circulaire relève évidemment du pouvoir d’appréciation de l’exécutif, la représentation nationale ne peut s’en désintéresser, surtout lorsque le texte porte sur une question aussi sensible que la régularisation des étrangers en situation irrégulière. Il nous semblait donc normal que notre commission puisse exercer dans les plus brefs délais le contrôle politique qui constitue l’une de ses missions essentielles.
Si votre circulaire est brève, elle crée par là même plusieurs zones d’incertitude. Elle abroge en effet la circulaire dite Valls du 28 novembre 2012 sans réintroduire les précisions qui permettaient d’encadrer ou d’orienter le pouvoir d’appréciation des préfets. La circulaire Valls détaillait par exemple les critères à prendre en compte pour instruire une demande d’AES au titre de la vie privée et familiale – enfants scolarisés en France, mineurs devenus majeurs, conjoints d’étrangers en situation régulière, considérations humanitaires –, mais tous ces éléments ne figurent plus dans la nouvelle circulaire. Qu’en sera-t-il donc concrètement ?
S’agissant des AES justifiées par le travail, la circulaire demande aux préfets de privilégier les régularisations sur le fondement de l’article L. 435-4 du Ceseda (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Cet article, introduit par la loi « immigration » du 26 janvier 2024, permet la régularisation des étrangers justifiant de trois ans de présence continue en France et douze mois d’ancienneté dans l’exercice d’un métier en tension au cours des vingt-quatre derniers mois. Au fond, si ma lecture est bonne, votre circulaire fusionne les AES justifiées par le travail que permettait la circulaire Valls avec les régularisations au titre des métiers en tension. Or l’intention du législateur – je parle en tant qu’ancien rapporteur général du projet de loi « immigration » – était plutôt d’additionner les possibilités.
Nous avons souhaité votre présence, madame la ministre chargée du travail et de l’emploi, car la question de la liste ou du périmètre des métiers en tension est stratégique. En effet, si je comprends bien les termes de la circulaire, l’AES au titre du travail serait réduite à ces métiers. Il est important que vous nous fassiez part des travaux que vous avez menés sur ce point précis.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Pourquoi, plus de dix ans après la publication de la circulaire dite Valls, fallait-il en rédiger une nouvelle ? Pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le contexte a changé. On a connu, depuis 2012, des vagues d’immigration, notamment celle de 2015. La pression migratoire n’est plus du tout la même.
Par ailleurs, depuis que la circulaire Valls a été adressée aux préfets, plusieurs lois relatives à l’immigration ont été promulguées. Je pense notamment à celles de 2016 et 2018, mais surtout à celle du 26 janvier 2024. Une circulaire ne refait pas un texte, mais éclaire pour l’administration et les préfets les dispositions en vigueur. Des textes nouveaux nécessitaient donc une circulaire nouvelle.
La loi du 26 janvier 2024 a fait entrer dans le droit commun, si j’ose dire, des mesures qui n’étaient évoquées que dans la précédente circulaire pour motiver une admission exceptionnelle au séjour – je pense par exemple aux situations de violences intrafamiliales ou de traite des êtres humains et aux liens privés et familiaux. Il n’est donc plus justifié de traiter ces trois motifs dans le cadre de l’AES.
La loi de 2024 a également créé certaines procédures ad hoc applicables aux étrangers hébergés par des Oacas, les organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires, tels que les communautés Emmaüs, aux mineurs de l’ASE (aide sociale à l’enfance) qui deviennent majeurs et sont engagés dans un parcours professionnel ou d’apprentissage, ainsi qu’aux étrangers exerçant des métiers en tension. Il était important que la nouvelle circulaire, qui est un document administratif réglementaire, puisse en tenir compte.
En outre, nous avons constaté que les préfectures avaient adopté des pratiques très différentes. Il est ressorti de mes discussions avec les préfets que la publication d’une circulaire permettant d’harmoniser les procédures et de repréciser le cadre de l’AES s’avérait donc nécessaire.
Le texte fait d’abord œuvre de simplification. Alors que la circulaire Valls énumérait vingt-sept critères, nous avons considéré que nous ne pouvions donner que des orientations. De douze pages, nous sommes ainsi passés à trois pages, rappelant trois principes : le caractère nécessairement exceptionnel de la régularisation ; l’impossibilité de régulariser le séjour d’un individu dont la présence en France constitue une menace à l’ordre public, ce qui est d’ailleurs inscrit noir sur blanc dans la loi du 26 janvier 2024 ; la prise en compte de l’intégration de l’étranger dans la société française et de son respect des principes républicains. En somme, j’ai souhaité fixer des orientations générales fondées sur des principes fondamentaux plutôt que de nous égarer dans des critères trop précis qui verrouilleraient la procédure, ce qui n’aurait au demeurant aucun sens eu égard à la nature juridique d’une circulaire.
Je l’ai dit, ce texte vise aussi à rappeler le caractère exceptionnel de l’AES. Il n’y a pas de droit automatique à la régularisation. Nulle part dans notre droit vous ne trouverez une disposition permettant de faire d’une admission exceptionnelle un droit opposable. La régularisation d’un étranger en situation irrégulière relève d’une décision souveraine de l’État. Il appartient donc au préfet d’apprécier s’il est ou non possible, lorsque des conditions strictes sont réunies, d’admettre la régularisation d’un étranger entré clandestinement sur notre territoire.
Monsieur le président, la circulaire ne procède à aucune fusion. L’article 27 de la loi de 2024, dont les dispositions figuraient au fameux article 3, puis à l’article 4 bis du projet de loi lors de la navette, et qui évoque les métiers en tension, ne modifie pas toute l’architecture de la procédure d’AES. Les situations transversales, si j’ose dire, subsistent. Cependant, l’intention du législateur était évidemment de privilégier les personnes exerçant des métiers en tension, puisque leur présence dans notre pays répond à des besoins sur le marché du travail.
Il existe toujours deux types de cas, qui appellent des orientations un peu différentes.
La loi du 26 janvier 2024 a très précisément énuméré les conditions nécessaires à la régularisation d’un étranger exerçant un métier en tension. Il faut justifier de douze mois d’activité au cours des vingt-quatre derniers mois et d’une résidence ininterrompue sur le territoire français depuis au moins trois ans. Il appartient aux préfets de vérifier l’effectivité du travail. J’y tiens beaucoup, d’autant qu’il est désormais très simple de produire des feuilles de paie par la voie numérique. J’en profite pour souligner que des filières de travail clandestin ont été démasquées et que, l’an dernier, les infractions constatées ont donné lieu à 44 millions d’euros d’amendes. Les autres conditions à remplir sont l’insertion sociale et familiale, le respect de l’ordre public et l’intégration dans la société française, qui passe notamment par l’adhésion aux principes républicains.
Dans les autres cas, dits transversaux, l’étranger doit justifier d’un certain niveau d’intégration – qui se mesure en particulier par la maîtrise de la langue française et, toujours, par le respect des principes républicains – et d’une présence sur le territoire depuis au moins sept ans. Par ailleurs, il ne doit pas menacer l’ordre public, ni faire l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire. On considère en effet qu’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) fait obstacle à cette voie exceptionnelle de l’admission.
Nous avons travaillé pendant environ trois mois avec les préfets pour élaborer la circulaire, car ce sont eux qui dirigent les bureaux des étrangers et qui pratiquent donc régulièrement cette matière. Quelques allers-retours et ajustements nous ont conduits à la rédaction finale. Je me suis moi-même déplacé en préfecture, où j’ai passé du temps avec les agents chargés de ces procédures. Je pense que la circulaire a été bien reçue, notamment parce qu’elle permet beaucoup de simplifications par rapport à la précédente.
Encore une fois, ce n’est pas le ministre de l’intérieur qui régularise, mais chaque préfet, qui apprécie la situation en fonction des critères que j’ai cités. Je le répète, la régularisation n’est jamais de droit.
Ma collègue pourrait vous le dire mieux que moi : en France, plus de 400 000 étrangers en situation régulière sont au chômage. Par ailleurs, vous connaissez la dynamique actuelle : des millions de Français sont confrontés au chômage de masse. Pour ma part, je pense que nous devons donner la priorité aux étrangers arrivés régulièrement – et non clandestinement – sur notre territoire, ainsi qu’à nos nationaux. Nous devons aussi être capables de proposer des formations afin de répondre aux besoins du marché du travail.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi. La question des travailleurs en situation irrégulière a provoqué des débats importants lors de la discussion de la loi du 26 janvier 2024. Le législateur a finalement créé un nouveau dispositif d’admission exceptionnelle au séjour qui conduit à la délivrance d’un titre portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire ». Le demandeur d’une telle admission doit justifier d’une durée de résidence ininterrompue et de l’exercice d’une activité professionnelle inscrite sur la liste des métiers en tension. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, à la main du préfet, et non d’un droit opposable.
Le cas des travailleurs en situation irrégulière pose une question délicate du point de vue de l’action publique – une question de principe. Par définition, nous ne savons pas comptabiliser ces personnes, et pourtant elles sont là, autour de nous et parfois très près de nous. Des travailleurs en situation irrégulière occupent toutes sortes d’emplois, y compris des métiers dits essentiels dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics, de la propreté, ou encore du soin auprès de ceux qui nous sont les plus chers. Cette situation n’est évidemment pas satisfaisante, sur le plan des principes, dans un pays qui compte 2,3 millions de chômeurs. Elle n’est pas satisfaisante non plus du point de vue des salaires et des conditions de travail si la présence des travailleurs en situation irrégulière dispense les secteurs concernés de faire des efforts pour accroître l’attractivité d’emplois faisant l’objet de difficultés de recrutement.
Le dispositif prévu par la loi « immigration » pour les métiers en tension, de même que le dispositif plus général mais encadré de la circulaire du 23 janvier 2025, permet à l’État de répondre à certaines demandes de régularisation. La procédure repose sur une liste des métiers en tension, qui doit être actualisée par un arrêté conjoint de nos deux ministères. Cette liste ne concernait jusqu’à présent que la régulation de l’immigration de travail régulière.
Une liste de métiers en tension a été établie en 2021, en s’appuyant notamment sur l’enquête « Besoins en main-d’œuvre » régulièrement publiée par la Dares (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), qui liste les anticipations de recrutement des employeurs. L’actualisation réalisée en mars 2024 s’est traduite par l’ajout de quatre catégories de métiers agricoles, à la suite de la crise survenue au début de l’année dans ce secteur.
Après la promulgation de la loi « immigration », cette liste a été utilisée pour l’application du dispositif créant un nouveau motif d’admission exceptionnelle au séjour, qui permet la délivrance d’un titre de séjour à des personnes en situation irrégulière.
Nous travaillons à une actualisation. Il ne vous aura pas échappé que l’instabilité gouvernementale en 2024 ne nous a pas permis d’avancer comme nous l’aurions voulu et aussi vite qu’il l’aurait fallu, puisque la loi prévoit une révision annuelle.
En vue de l’actualisation en cours, la Dares est repartie de la liste de 2021, qui concerne les métiers en tension, et a également pris en compte ceux où les travailleurs étrangers sont les plus représentés, afin de proposer des listes par région. Ces listes régionales ont été transmises, pour concertation, à chaque comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles. Ces comités, coprésidés par le préfet de région et le président du conseil régional, sont composés de représentants de toutes les organisations représentatives, tant syndicales que patronales. Nous avons ensuite discuté avec les fédérations professionnelles – je pense notamment à l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) et aux organisations agricoles – et avec le ministère de l’intérieur pour aboutir à un projet. Il nous reste à consulter de nouveau et de manière plus formelle les partenaires sociaux, cette fois au niveau national et interprofessionnel.
Si la notion de métier en tension est relativement facile à définir, il est plus délicat de déterminer les métiers méritant de figurer sur la liste en raison de la contribution des salariés étrangers, en situation régulière ou non.
L’objectif politique n’a jamais été de créer des filières professionnelles de régularisation, ni de prendre acte de tous les besoins exprimés par les acteurs économiques et sociaux. L’immigration, qu’elle soit légale ou irrégulière, ne peut et ne doit pas être la seule solution aux tensions de recrutement. Le choix des filières et des métiers doit être fait en tenant compte de la cohérence d’ensemble de nos politiques de l’emploi.
Enfin, il ne s’agit pas de mettre les travailleurs en situation irrégulière en concurrence avec les autres, qu’ils soient français ou étrangers en situation régulière. L’objectif est de répondre avec humanité et lucidité à des demandes individuelles de personnes qui travaillent ici depuis plusieurs années, paient des cotisations sociales ou des impôts et souhaitent se mettre en règle pour sortir de l’ombre.
M. le président Florent Boudié. Sans parler de fusion au sens strict, je continue de penser qu’à partir du moment où la circulaire demande aux préfets de concentrer l’AES au titre du travail sur les métiers en tension, on s’oriente vers un motif de régularisation unifié autour de ces métiers.
Par ailleurs, moins il y a de critères, plus le risque est grand d’un manque d’harmonisation des décisions entre les départements. Les critères permettent en effet d’uniformiser les procédures et les décisions des préfets. Une circulaire plus concentrée et plus brève ne peut que laisser plus de place au pouvoir discrétionnaire des préfets, pour reprendre le terme que vous avez employé.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). En 2024, le nombre des premiers titres de séjour délivrés a augmenté de 1,8 %, atteignant 337 000 titres – un record ! Le volume des titres en cours de validité a crû de 4 %, et la délivrance de visas de 16,8 %. L’immigration est en hausse dans notre pays, et le bilan de votre ministère l’année dernière est catastrophique. Visiblement, votre arrivée au gouvernement n’a rien changé.
Je sais ce que vous allez nous répondre : vous allez parler de la baisse des régularisations et de la hausse de 26 % des expulsions. Mais quand on part d’aussi bas, cela n’a rien d’exceptionnel : en 2019, Christophe Castaner a expulsé davantage de migrants. Vous jouez les gros bras, vous faites de grands discours et mille promesses, mais nous avons en réalité l’impression que vous brassez de l’air. Les résultats ne suivent pas les annonces et les mots. Un influenceur algérien expulsé par la France a été renvoyé dans notre pays par l’Algérie. Une humiliation de notre nation, voilà donc le seul grand fait d’armes de votre ministère !
Votre nouvelle circulaire ne réglera rien. Vous parlez d’un durcissement, mais ce n’est que de l’affichage : votre texte ne remet pas en cause le principe de la régularisation, dont nous combattons l’existence même. Un étranger qui arrive illégalement en France n’a rien à faire sur notre territoire : il faut l’expulser, toute autre possibilité doit être écartée. Or ce n’est pas ce que prévoit votre circulaire.
Au Rassemblement national, nous proposons des solutions : organisation d’un référendum sur la suppression du droit du sol, interdiction de toute régularisation, mise en place de la double frontière. Ce sont ces mesures qui permettront de tarir l’immigration illégale et de réduire l’immigration légale.
Il n’est pas trop tard pour changer de cap et faire en sorte que les migrants illégaux soient systématiquement expulsés. Aurez-vous le courage d’exiger du président de la République et du premier ministre la tenue d’un référendum à ce sujet ? Vous avez parlé d’une restauration du délit de séjour irrégulier mais, au-delà des annonces, qu’allez-vous faire ?
M. Stéphane Mazars (EPR). Je salue l’initiative que vous avez prise, monsieur le président, d’organiser cette audition de nos deux ministres en tandem, car les questions d’immigration et d’intégration des étrangers sont tout particulièrement liées à celle du travail. Il est donc pertinent d’adopter une approche interministérielle.
On le constate sur le terrain, dans bon nombre de nos circonscriptions : les chefs d’entreprise ont de plus en plus de difficultés à recruter. Dans certains secteurs professionnels et certains territoires, c’est même quasiment impossible ! Dans mon département, et plus particulièrement dans ma circonscription, où le taux de chômage est de 4,5 %, tous les secteurs sont en tension. Lors de votre déplacement dans l’Aveyron il y a quelques semaines, madame la ministre, vous avez pu vous rendre compte que, malgré les efforts pour accroître l’attractivité, dans le secteur privé comme dans le secteur public, un grand nombre d’emplois ne sont pas pourvus ; les acteurs économiques s’autolimitent même en matière d’investissement et de développement.
La loi « immigration » du 26 janvier 2024 permet de régulariser des étrangers en situation irrégulière, mais dans des conditions assez restrictives, en tout cas bien plus que celles que prévoyait la circulaire Valls de 2012, qui a été abrogée. Bon nombre d’associations d’employeurs considèrent que ces conditions seront difficiles à réunir. Pouvez-vous évaluer le nombre de personnes susceptibles de les remplir et de faire l’objet d’une admission exceptionnelle au séjour ?
Par ailleurs, un point important pour l’application de la nouvelle circulaire n’a toujours pas été réglé : l’élaboration de la liste des métiers considérés comme en tension. Dans l’Aveyron comme dans de nombreux départements ruraux, ce ne sont pas quelques secteurs qui sont en tension, mais le territoire tout entier, pour des raisons parfois démographiques, mais aussi souvent de fort dynamisme économique. À quelle échelle faut-il donc apprécier la tension de l’emploi ? J’ai bien compris que tout cela était en train d’être défini au niveau régional, mais ne pourrait-on pas prévoir une application plus fine, au niveau de chaque département ?
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). « La réalité dément les études scientifiques. » On pourrait légitimement se demander si cette phrase a été prononcée par des créationnistes d’outre-Atlantique. Elle l’a pourtant été par un ministre français de l’intérieur, sur une chaîne nationale et à une heure de grande écoute, pour justifier son fantasme et son instrumentalisation d’un lien entre immigration et délinquance. C’est sur ce genre d’allégations toxiques que vous faites reposer toute votre circulaire, et plus largement toute votre politique xénophobe et discriminante. La vérité, les chiffres, les données scientifiques et statistiques ne sont dans votre monde qu’une opinion. C’est alarmant. Un peu de rigueur et d’honnêteté dans l’exercice de vos fonctions serait le bienvenu !
Selon le même fantasme et malgré des décennies de recherches scientifiques qui concluent unanimement à l’absence d’impact de l’immigration sur la délinquance, vous publiez une circulaire hors-sol précarisant toujours plus ceux que vous espérez vouer à la haine nationale. Vous réduisez en effet drastiquement les possibilités effectives de régularisation au titre de la vie privée et familiale en supprimant les critères de la circulaire Valls. Vous exigez désormais sept ans de présence en France, et l’existence d’une OQTF non exécutée pourra justifier un refus de régularisation. On récapitule : vous maintenez des personnes dans l’irrégularité pendant au moins deux années supplémentaires, pendant lesquelles elles risquent de se voir signifier une OQTF, et vous faites ensuite de cette OQTF un critère pour les écarter de la régularisation.
Outre qu’elle est insoutenable pour les personnes concernées et alarmante du point de vue du droit et de la dignité, une telle mesure est profondément contre-productive, car ce ne sont pas sept années sans aucune stabilité administrative qui permettent de s’intégrer. Ces sept années sans accès au logement, aux soins, ni aux garanties du droit du travail permettront plutôt la multiplication des situations d’exploitation par le travail ou par des intermédiaires commerciaux, négriers modernes qui pourraient profiter de la vulnérabilité des personnes ainsi invisibilisées.
M. Hervé Saulignac (SOC). J’entends bien que cette circulaire fixe plutôt une orientation qu’une liste de critères. Mais elle exige une présence de sept ans, ce qui à mon sens constitue bien un critère. Or qui peut raisonnablement croire que prolonger de deux ans une situation d’irrégularité, de précarité, d’incertitude sera un meilleur gage d’intégration ? Loin de résoudre quoi que ce soit ou de garantir une intégration sereine, vous allez multiplier les situations d’exploitation, ce qui fera le lit de la délinquance et de l’illégalité.
Et comment croire que cette mesure désengorgera les préfectures ? Les étrangers en situation irrégulière devront attendre deux ans de plus et les services préfectoraux seront seulement un peu plus atrophiés, il suffit de leur tendre l’oreille pour le comprendre.
La circulaire Valls a permis à 31 250 demandeurs d’obtenir une admission exceptionnelle au séjour en 2024, dont seulement 9 600 au titre du travail : vous reconnaîtrez qu’on cause beaucoup de quelque chose qui relève du symbole.
Comment pouvez-vous prendre des mesures qui feront de vous le ministre non pas de l’ordre, mais du désordre public ?
M. Éric Pauget (DR). Cette circulaire claire, concise et efficace va dans le bon sens en renforçant l’appréciation de l’intégration, en imposant la justification d’une bonne connaissance de la langue française et la signature d’un contrat d’engagement à respecter les principes de la République, en encadrant mieux la prise en compte de la durée de présence en France, allongée de cinq à sept ans, et en assortissant systématiquement d’une OQTF le refus de délivrance d’un titre de séjour exceptionnel. Ces avancées courageuses et pragmatiques doivent nous amener à approfondir notre réflexion sur une meilleure régulation des flux migratoires.
L’administration peut demander l’inscription au fichier des personnes recherchées (FPR) d’individus représentant une menace grave pour la sécurité publique. Compte tenu de la délivrance systématique d’une OQTF pour tout refus de régularisation exceptionnelle, votre ministère serait-il prêt – notamment par voie de circulaire – à demander une inscription systématique au FPR des étrangers sous OQTF qui constitueraient une menace pour l’ordre public ?
Afin d’éviter que des étrangers ne brandissent leur OQTF pour justifier de leur présence sur le sol français depuis un certain nombre d’années, pouvez-vous me confirmer que votre circulaire invite bien les préfets à exclure les périodes de validité d’exécution d’une OQTF du calcul de la période de présence en France ?
Pour agir efficacement contre l’immigration illégale, nous devons aussi rétablir le délit de séjour irrégulier. Y êtes-vous favorable ?
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Vous vous contredisez, monsieur le ministre, et un examen rationnel de votre circulaire montre qu’elle est inutile et dangereuse.
Aucun retour d’expérience n’établit qu’un durcissement des conditions de l’admission exceptionnelle au séjour permet de réduire le flux migratoire. En Italie, Giorgia Meloni a fait toute sa campagne en prétendant qu’elle arrêterait l’immigration ; résultat des courses, son gouvernement procède à des régularisations.
Aller dans votre sens est également inutile, et même pas très malin, parce que la régularisation de travailleurs sans-papiers fait augmenter les salaires des personnes locales, améliore les conditions de travail et – des études économiques sérieuses le montrent – fait croître le PIB. Arrêtez donc avec votre théorie de l’appel d’air !
Le taux de régularisation annuel depuis 2012 est de 7 % : sur 500 000 étrangers sans titre, environ 30 000 admissions exceptionnelles au séjour, au titre du travail ou de la vie familiale, sont délivrées chaque année. Cela représente 0,04 % de la population française : on ne peut toujours pas parler d’appel d’air.
Les conditions étaient déjà très strictes ; vous avez voulu les renforcer en exigeant sept années de présence. Mais pourquoi sept ans ? Pourquoi pas six ans, trois mois et huit jours ? On ne le sait pas, car vous ne vous appuyez sur aucune expertise, aucune donnée.
Vous parlez de renforcer le niveau de langue alors que les Opco (opérateurs de compétences) ne sont pas mobilisés pour l’apprentissage et que les associations voient leur financement baisser. Combien de langues parlez-vous au niveau B1, monsieur le ministre ?
Votre circulaire va condamner à l’attente des femmes et des hommes qui travaillent, qui élèvent leurs enfants, qui les confient à nos écoles. Leur précarisation est encore accentuée par les dysfonctionnements de l’Anef (administration numérique pour les étrangers en France), qui ne sont plus à démontrer : on fabrique des sans-papiers parce que les instructions sont trop longues et les rendez-vous impossibles à obtenir.
Bref, vous nous faites perdre du temps, des compétences et des savoirs. Pourquoi organisez-vous ce chaos ?
M. Éric Martineau (Dem). La semaine dernière, j’ai eu le plaisir d’accueillir le garde des sceaux, Gérald Darmanin, dans la Sarthe. Nous avons rencontré des représentants du monde agricole dans la perspective d’une amélioration de l’accompagnement des agriculteurs en difficulté, qui sont notamment exposés à des procédures administratives et judiciaires toujours nombreuses et complexes.
Les agriculteurs embauchent souvent de la main-d’œuvre temporaire. En tant qu’ancien président d’une organisation de producteurs, on me parle souvent des recrutements de main-d’œuvre étrangère saisonnière. Ils sont indispensables, car il est impossible de trouver de la main-d’œuvre uniquement française. Un Sarthois sur deux habite Le Mans et sa couronne : on demande à des gens de faire 100 kilomètres aller et retour par jour pour travailler sept heures au Smic dans le Sud du département. On ne peut pas reprocher à des personnes seules, qui ne possèdent pas de voiture, de ne pas accepter de tels contrats. On ne peut pas non plus reprocher aux agriculteurs de payer de bas salaires, puisqu’ils ne fixent pas le prix de leurs produits. La régularisation de travailleurs étrangers, notamment par la procédure des métiers en tension, est donc un levier important pour répondre à nos besoins de main-d’œuvre. Soyons honnêtes, si nous ne pouvions pas faire appel à des étrangers, nous ne pourrions pas recruter suffisamment et nous n’aurions rien à mettre dans nos assiettes. Votre circulaire ne devrait pas freiner ces procédures. Il y va aussi de notre souveraineté alimentaire.
Madame la ministre, le risque pour l’agriculteur qui a recours à France Travail est d’avoir à recruter des personnes qui lui sont envoyées alors qu’elles ne sont pas motivées et qu’elles acceptent seulement un travail de peur d’être radiées. Dans ce cas, les missions sont souvent mal effectuées et il faut licencier les gens pendant la période d’essai ; ils retournent ensuite à France Travail. C’est alors que nous faisons appel à une main-d’œuvre étrangère. Comment rassurer nos agriculteurs et nos employeurs ?
M. Jean Moulliere (HOR). Le groupe Horizons & indépendants soutient pleinement l’objectif de la circulaire Retailleau, qui durcit les conditions de régularisation. Nous estimons en particulier que le renforcement des exigences linguistiques et la signature d’un contrat d’engagement républicain sont des mesures indispensables qui porteront leurs fruits à court et moyen terme.
Si cette circulaire traite de la régularisation, quand elle est justifiée, d’étrangers en situation irrégulière, elle ne traite pas vraiment des refus d’admission exceptionnelle au séjour d’étrangers qui travaillent et qui continueraient ensuite de travailler de façon non déclarée. La circulaire prévoit la délivrance systématique d’une OQTF en cas de refus, mais l’exécution des OQTF relève davantage de considérations diplomatiques. L’efficacité de la circulaire pourrait s’en trouver entravée ; ne risque-t-elle pas de conduire à une recrudescence du travail non déclaré d’étrangers en situation irrégulière ? Comment le gouvernement entend-il renforcer la coopération avec les pays d’origine, notamment l’Algérie, pour assurer l’exécution effective des mesures d’éloignement et garantir que les objectifs de la circulaire seront pleinement atteints ?
Madame la ministre, quelles sont vos propositions pour inciter les demandeurs d’emploi à aller vers les secteurs en tension, comme l’aide à la personne, le bâtiment et la restauration ? Il nous faut retrouver le sens de l’effort en faisant en sorte que le travail paie davantage que l’inactivité.
Mme Martine Froger (LIOT). À défaut d’une énième loi, vous avez obtenu une nouvelle circulaire. Vous évitez ainsi le débat démocratique et vous mettez le Parlement devant le fait accompli.
La dernière loi sur l’immigration comportait un volet consacré à l’intégration par le travail. Un an après, qu’en reste-t-il ? De plus en plus d’entreprises et d’élus locaux nous parlent d’individus qui ont fait l’effort de s’intégrer, qui veulent travailler, qui sont compétents, qui répondent à un besoin économique mais qui, même en suivant à la lettre les procédures, n’arrivent pas à être régularisés. Pourquoi refuser de tenir compte des réalités locales ? Pourquoi durcir les conditions d’admission au séjour au lieu de privilégier un meilleur dialogue entre les préfectures et les entreprises ?
Vous avez dit, madame la ministre, que la liste des métiers en tension serait bientôt actualisée : tant mieux. Notre groupe a toujours plaidé pour une véritable territorialisation de cette liste. Soyons réalistes : les besoins des entreprises ne sont pas les mêmes dans les zones urbaines que dans les zones rurales. Comment allez-vous tenir compte des spécificités de chaque territoire ? Avez-vous mené des concertations au niveau local ?
S’agissant du nouveau critère de sept ans de présence sur notre territoire, quel intérêt ? Au-delà de la logique d’affichage, pourquoi revenir sur les choix opérés par la circulaire Valls ? Je ne vois pas en quoi passer sept années dans une situation de vulnérabilité, sans perspective d’avenir, assurerait une meilleure intégration.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Cette nouvelle circulaire est une nouvelle fabrique à sans-papiers, qui créera des inégalités de traitement dans les préfectures. Elle envoie, par ailleurs, un message positif à ceux qui exploitent des travailleurs sans papiers.
Je sais bien que, dans votre monde de post-vérité, ni les études ni les faits ne comptent. Mais tout montre que les régularisations importantes de travailleurs et travailleuses sans papiers n’ont pas fait augmenter les arrivées, qu’elles constituent un moyen efficace de lutter contre les trappes à bas salaires et qu’elles apportent de la cohésion sociale.
Cette circulaire va créer de la clandestinité, vous le savez très bien, mais vous n’en avez que faire. Elle augmentera le nombre d’OQTF, ce dont vous vous vanterez, alors que ce sont des vies qui sont en jeu, et parmi les plus précaires. Tout cela est mauvais pour notre cohésion sociale.
Madame la ministre, le critère retenu pour établir la liste des métiers en tension est-il bien le fait qu’un grand nombre de travailleurs sans papiers y sont aujourd’hui présents ?
Je m’étonne – et c’est aussi un reproche – que vous n’ayez pas reçu les syndicats de salariés en première instance, pour des consultations nationales.
Dans quelle mesure, sur une échelle allant d’un à dix, assumez-vous la circulaire Retailleau ?
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). La circulaire Valls illustre le naufrage du dispositif de régularisation exceptionnelle. Le pouvoir discrétionnaire laissé aux préfets a créé des disparités : l’application de ces mesures est opaque et imprévisible.
Contrairement à ce qui est souvent avancé, la directive européenne 2008/115/CE n’impose aucune régularisation systématique et ne limite pas strictement les expulsions. Elle laisse au contraire aux États une grande latitude pour agir. Ce sont bien des politiques français – dont M. Valls – qui ont choisi ces dernières années une approche laxiste en matière d’immigration illégale.
Il était urgent d’encadrer plus strictement les critères de régularisation en réduisant les marges d’interprétation des préfets et en harmonisant les décisions au niveau national. Vous allez dans ce sens, mais vous restez bien trop timide.
Surtout, le vrai problème est ailleurs : nous traitons les conséquences de l’immigration irrégulière sans nous attaquer aux causes. Nous débattons inlassablement de régularisations, d’expulsions, de titres de séjour exceptionnels, mais tant que les flux d’entrée restent incontrôlés, nous ne faisons que gérer une crise permanente. Certains pays européens ont pris, contrairement à la France, des mesures radicales et efficaces pour réduire drastiquement les arrivées : l’Espagne, qui a signé des accords de réadmission stricts avec le Maroc ou la Mauritanie, réduisant de moitié les arrivées de migrants, le Danemark, le Royaume-Uni, la Suisse ou les Pays-Bas. Nous devons, en France, inverser la logique actuelle en élaborant une véritable stratégie de réduction des entrées irrégulières. Avant de parler de régularisations ou d’expulsions, il faut stopper les flux en amont. Quelles mesures concrètes proposez-vous pour mener une politique migratoire souveraine et efficace ?
Mme Stella Dupont (NI). J’ai regardé moi aussi les chiffres : l’Insee estime que, depuis vingt ans, notre pays compte à peu près 100 000 immigrés supplémentaires, sur une population de 68 millions. Cela relativise l’importance de la question, qui relève, comme certains l’ont dit, du symbole.
Le sujet des migrations a monté dans les médias ; il est agité de toutes parts pour surfer sur les peurs et flatter la pensée d’extrême droite. Le parti Les Républicains mène déjà campagne dans la perspective de 2027. Dans ce contexte, le législateur ne peut pas bien travailler.
L’accession à un titre de séjour est un parcours du combattant pour les étrangers qui travaillent, qui sont intégrés, qui payent des impôts. Notre économie a pourtant besoin d’eux et bon nombre de Français, qui s’intéressent à la réalité des faits plus qu’aux discours négatifs tenus dans les médias, ne comprennent pas ce qu’ils voient.
Notre pays délivre des OQTF à tour de bras : 140 000 par an, contre 40 000 seulement en Allemagne. On se disperse alors qu’il faudrait se concentrer sur les personnes qui posent effectivement problème et que l’État devrait reconduire dans leur pays d’origine en respectant le cadre légal en vigueur – la France est un État de droit, monsieur le ministre.
La circulaire, cela a été dit, créera de la clandestinité, quand il faudrait instruire les dossiers pour accorder rapidement des titres de séjour à tous ceux qui ont leur place dans notre pays, qui travaillent pour faire tourner l’économie. Madame la ministre, en Pays de la Loire, l’Umih attend que ses métiers soient considérés comme en tension – cela ne semble pas être le cas aujourd’hui.
Mme Pascale Bordes (RN). Monsieur le ministre, vous parlez d’une circulaire de fermeté. Je ne partage pas votre optimisme quant à ce texte à la rhétorique accrocheuse. Les priorités que vous affichez sont identiques à celles de la circulaire Valls de 2012, qui n’a pas eu, tant s’en faut, l’effet escompté. Et ce n’est qu’une circulaire, pas une loi : elle ne revêt aucun caractère obligatoire. Or pour être ferme, il est indispensable d’obliger plutôt que de suggérer en laissant une marge d’interprétation, ce qui conduit à une grande disparité des décisions préfectorales. La Cour des comptes le constate depuis des années à propos de la circulaire Valls, et la vôtre subira le même sort. Entendez-vous proposer un projet de loi, seule façon de s’attaquer à ce sujet primordial ?
Votre circulaire ouvre la possibilité de régulariser des étrangers frappés d’une OQTF et qui n’auraient pas quitté le territoire national. La préservation de l’ordre public exige l’inverse : il faut expulser tous les étrangers sous OQTF au lieu de les régulariser, sous quelque prétexte que ce soit.
Vous excluez du bénéfice de la circulaire les étrangers en situation de polygamie sur le territoire national. Dont acte. Mais, en pratique, les mariages religieux ou coutumiers, qu’ils aient été prononcés en France ou à l’étranger, ne sont pas pris en considération dans la définition de la polygamie au sens de l’article 147 du code civil. Or ils sont très nombreux. Que comptez-vous faire pour vous attaquer enfin sérieusement à ces atteintes à l’ordre public ?
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Monsieur le ministre, je crois que vous rencontrez quelques problèmes pour comprendre l’État de droit. Vous avez dit qu’une circulaire n’était pas là pour créer du droit. Il y a en réalité deux types de circulaires : celles qui sont interprétatives, comme la vôtre – qui ne dit rien, au fond, et se contente de rappeler vaguement la loi –, et d’autres qui, comme la précédente, sont créatrices de droits, et même opposables dans une certaine mesure. C’est lunaire : vous dites que la précédente circulaire était arbitraire et que la vôtre ne le sera pas, mais c’est justement quand on ne fixe pas de critères précis qu’on ouvre la porte à l’arbitraire et que chacun fait comme il veut ! On marche sur la tête, étant entendu que les préfets, en fait, sont invités à expulser le plus possible.
Je prends l’exemple des victimes de violences conjugales : la loi dit que, dans ce cas, on peut renouveler le titre de séjour. Une circulaire volontariste aurait pu demander aux préfets de le faire par tous les moyens possibles et donc d’appliquer plus strictement la loi. Vous ne le faites pas, évidemment, puisque votre objectif est d’expulser le plus de personnes possible.
Vous opposez régulièrement – vous l’avez encore fait ce matin sur France Inter – les droits individuels aux intérêts de la société et de la nation. Très vite, vous allez opposer les individus à la nation, ce qui est le fondement de l’idéologie fasciste. Philippe Pétain lui-même disait que l’individu devait s’effacer devant la nécessité nationale : je suis effrayé de vous entendre répéter ce poncif sur les plateaux télé, à la radio et à l’Assemblée nationale. C’est insupportable – et on pourrait aussi parler de votre remise en cause des magistrats.
Je vous avais posé une question, avant toutes ces déclarations, au sujet de l’accueil dans les préfectures. Des tas de gens sombrent dans l’irrégularité parce que nous ne sommes pas fichus de dégager des moyens suffisants pour donner des rendez-vous, délivrer des récépissés et octroyer des titres en temps et en heure. Comment allez-vous agir contre ce phénomène ?
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). J’ai assisté lundi à l’audience solennelle de rentrée du tribunal administratif de Melun. L’émotion était très vive car, depuis plusieurs jours, certains membres du personnel font l’objet de menaces particulièrement graves. Vous n’y êtes pas étranger : le 6 février, vous avez choisi de critiquer publiquement la décision de ce tribunal qui annulait l’OQTF de l’influenceur algérien Boualem Naman. Depuis, les juges, les greffiers et les avocats concernés reçoivent des menaces de mort. Il y a eu des appels à la décapitation, et même pire encore.
Vous avez affirmé que des règles juridiques « entravent » et « ne protègent plus la société ». Mais ces règles, c’est vous qui les avez écrites ! La décision qui vous contrarie tant est simplement l’application de la loi du 26 janvier 2024, qui interdit de prononcer une OQTF à l’égard d’un étranger titulaire d’une carte de résident de dix ans si celle-ci lui a été retirée : c’est l’article L. 432‑12 du code des étrangers, créé par cette loi que le groupe Les Républicains du Sénat, que vous présidiez alors, a votée.
Remettre en cause la chose jugée est grave, mais quand cela vient du ministre de l’intérieur, c’est un problème démocratique majeur. De plus, tout cela n’est pas sans écho avec les déclarations aberrantes que vous avez faites à propos de l’État de droit. Remettre en cause la règle de droit semble constituer le fil rouge de votre action.
Ce soir, nous débattrons d’une proposition de loi visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents. Comment pouvez-vous prétendre y contribuer alors que vous-même, en tant que ministre, contestez publiquement des décisions fondées sur des textes que vous avez fait adopter ? Et quelles mesures de protection envisagez-vous pour celles et ceux qui voient aujourd’hui leur vie menacée ?
M. Julien Rancoule (RN). La nouvelle circulaire se veut plus restrictive. On peut se féliciter de certaines de ses dispositions, comme l’invitation faite aux préfets d’assortir systématiquement le rejet d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour d’une obligation de quitter le territoire français, mais il faut se souvenir qu’en 2024 encore, moins de 10 % des OQTF ont été exécutées. Que changera concrètement cette circulaire qui ne revêt aucun caractère juridiquement contraignant ?
N’est-elle pas plutôt une maigre consolation qui vous a été accordée pour votre participation à un gouvernement du « en même temps », où nombre de vos collègues, à commencer par le premier ministre, ne sont pas favorables à une vraie loi d’endiguement de la submersion migratoire, dont ils estiment qu’elle n’est qu’un sentiment ?
Vous vous êtes prononcé en faveur d’un référendum sur l’immigration, que Marine Le Pen demande depuis des années, comme neuf Français sur dix. François Bayrou s’est empressé de vous désavouer. Vous avez accepté d’intégrer un gouvernement macroniste, mais ce faisant ne vous êtes-vous pas compromis ? Croyez-vous encore que l’on vous laissera agir contre l’immigration incontrôlée, ou resterez-vous la caution impuissante du gouvernement ? Les paroles fortes et autres effets d’annonce ne suffisent plus : pour mettre vos actes en conformité avec vos discours, accepteriez-vous d’entrer dans un prochain gouvernement Bardella ?
Mme Marietta Karamanli (SOC). Un bilan de l’application de la circulaire Valls a-t-il été dressé ? Est-il alors possible de nous le transmettre ? Nous voudrions en connaître les enseignements.
Votre circulaire met l’accent sur l’apprentissage de la langue française et, dans certains cas, sur sa maîtrise écrite. Pour un titre de séjour de deux à quatre ans, il faudra un niveau de fin de collège ; pour un titre de dix ans, un niveau lycée ; pour l’accès à la nationalité, un niveau universitaire. Bon nombre de cours se tiennent aujourd’hui en distanciel, alors que l’apprentissage avec un professeur en présentiel est fondamental. Comment le dispositif sera-t-il évalué ? L’éducation nationale y est-elle associée ? Les experts sont-ils des enseignants bons connaisseurs du français langue étrangère ? Enfin, quels moyens seront dégagés ?
Madame la ministre, lors de la discussion de la dernière loi sur l’immigration, il était apparu que certains secteurs n’étaient pas considérés comme sous tension car les emplois y étaient occupés par des travailleurs étrangers, lesquels n’étaient d’ailleurs pas toujours salariés même si les ordres, horaires et rémunérations étaient déterminés par des entreprises, dans les secteurs de la livraison ou de la restauration par exemple. La nouvelle cartographie prend-elle ce point en considération ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Je vous confirme, monsieur Lopez-Liguori, que nous avons obtenu nos meilleurs chiffres l’année dernière en matière d’expulsions, mais ce n’est pas tout : les primo-délivrances mensuelles de titres de séjour, par exemple, sont passées de 32 000 au cours des neuf premiers mois à 16 500 au cours des trois derniers.
Le Conseil constitutionnel a censuré, pour des raisons de forme, les dispositions relatives au délit de séjour irrégulier prévues par la loi « immigration ». J’étais hier au Parlement européen ; à cette occasion, j’ai évoqué avec un certain nombre de responsables la nécessité de revoir la directive « retour » pour pénaliser le séjour irrégulier.
Il est difficile de quantifier les régularisations, monsieur Mazars, car le dispositif est exceptionnel. Les préfets ont des orientations générales, mais pas d’objectifs chiffrés. La circulaire risquerait d’ailleurs d’être annulée si elle donnait trop de précisions en la matière.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Les listes régionales de métiers en tension sont élaborées en fonction de deux critères. Le premier est un indicateur de tension mesuré par trois paramètres : le ratio offre-demande d’emplois, la rapidité de sortie des listes de France Travail et l’anticipation des difficultés de recrutement par métier. Le second critère est le taux de représentation des travailleurs étrangers dans les métiers. Le croisement de ces deux critères permet de déterminer quels métiers sont en tension et se caractérisent par une forte représentation de travailleurs irréguliers.
Vous avez raison de souligner, monsieur Mazars, que les caractéristiques d’un département peuvent être différentes de celles de sa région. C’est le cas dans votre circonscription, où le taux de chômage est de 4,5 % à Rodez et deux fois supérieur dans des départements voisins. Sachez que les listes établies au niveau de la maille régionale prennent en compte les réalités départementales.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. J’en viens à l’intervention de M. Coulomme. Le constat dressé par mon prédécesseur, Gérald Darmanin, sur la surreprésentation des étrangers dans la population carcérale a suscité une polémique, mais les chiffres sont là : ce sont des faits.
Je le répète, la circulaire respecte l’esprit de la loi, qui est l’exceptionnalité. Un pouvoir discrétionnaire est laissé à chaque préfet.
La durée de sept ans – et par là je réponds aussi à M. Saulignac – n’est pas un critère, mais une orientation. Elle est issue du retour d’expérience des préfets en matière de régularisation et correspond au délai médian constaté depuis plusieurs années.
En ce qui concerne l’inscription au fichier des personnes recherchées, monsieur Pauget, ce que vous demandez est satisfait, et les préfets sont invités à tenir compte d’éventuelles OQTF lors de l’examen des dossiers.
Je suis très favorable, je l’ai dit, au délit de séjour irrégulier. Plusieurs propositions de loi en ce sens ont été ou vont être déposées, à l’Assemblée ou au Sénat.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Je reviens sur la maîtrise du français. Le taux de chômage des étrangers est de 16 %, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Comme le révèlent les enquêtes de France Travail, un des principaux obstacles est celui de la langue. Quand cette barrière est levée grâce à des formations – notamment celles que propose France Travail en matière de maîtrise du geste professionnel –, le taux d’insertion dans l’emploi rejoint celui des personnes parlant parfaitement français, tous niveaux de qualification confondus. Il ne faut donc absolument pas négliger cette question. Les modules de français langue étrangère sont d’ailleurs très demandés dans le cadre des CPF (comptes personnels de formation), tant par les travailleurs étrangers que par les employeurs. C’est le meilleur facteur d’intégration.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Sachez aussi que l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas imposent des conditions de maîtrise de la langue plus exigeantes que les nôtres.
Salaire et clandestinité ne font pas bon ménage, madame Balage El Mariky. Ceux qui pensent que les filières clandestines n’exercent pas une pression à la baisse sur les salaires se trompent. On ne doit pas considérer les étrangers en situation irrégulière comme une sorte d’armée de réserve.
Je précise à M. Martineau que les saisonniers ne sont pas concernés par la circulaire.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. En revanche, les métiers agricoles sont bien pris en compte. En 2024, quatre nouvelles activités ont été ajoutées à la vingtaine de métiers agricoles sous tension identifiés en 2021 : les agriculteurs salariés ; les éleveurs salariés ; les maraîchers et horticulteurs salariés ; les viticulteurs et arboriculteurs salariés. La démarche régionale et locale permet de répondre aux besoins du terrain.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Je remercie M. Moulliere pour son soutien.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué les choix de nos voisins en matière de régularisation. Deux voies se distinguent en Europe. Certains pays régularisent de façon exceptionnelle, comme la France avec ses grandes opérations de 1981 – 130 000 régularisations – ou de 1997 – 80 000 régularisations. D’autres pays régularisent massivement. Si nous voulons lutter contre l’immigration irrégulière, la voie française est la meilleure et elle correspond mieux à notre tradition.
S’agissant de l’exécution des OQTF, une discussion européenne est en cours sur trois leviers. Le premier concerne les visas et la coopération avec les pays tiers en matière de réadmission, en application de l’article 25 bis du code communautaire des visas. Des mesures de rétorsion pourraient être prises – il faut les assumer. Le deuxième levier est celui du système des préférences généralisées, autrement dit les droits de douane. Le droit international repose sur la coopération et la réciprocité. Pourquoi accorderions-nous des droits de douane préférentiels à des États qui coopèrent mal ? Le troisième levier a trait à l’aide au développement. L’Europe est de très loin le premier pourvoyeur d’aide humanitaire et au développement : il faut exercer dans ce cadre certains rapports de force. De ce point de vue, les choses avancent en Europe. Je ne reviens pas sur le cas de l’Algérie – votre groupe, monsieur Moulliere, a consacré une excellente tribune à l’accord de 1968.
Madame Ricourt Vaginay, vous me demandez comment mieux maîtriser les flux d’entrées irrégulières. Nous avons trois lignes de défense : la conclusion d’accords bilatéraux – j’ai chargé Patrick Stefanini de les multiplier, étant entendu que l’existence d’un accord bilatéral nous permet, conformément à la directive « retour », de nous passer du consentement de l’étranger en situation irrégulière –, la révision de cette directive, qui est fondamentale, et enfin, au niveau national, les règlements ou circulaires et les propositions de loi – c’est le plus efficace.
Madame Faucillon, je ne pense pas que la circulaire accroîtra la clandestinité. En revanche, si tout étranger qui entrait sur le territoire de façon irrégulière était assuré d’être régularisé, cela provoquerait un appel d’air. Par ailleurs, plus de 400 000 étrangers en situation régulière sont sans emploi. Leur taux de chômage est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Nous devons prêter attention à leur situation et leur faire acquérir des qualifications, car eux respectent nos lois.
Madame Froger, j’ai répondu à la question portant sur la durée de présence en France.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Madame Faucillon, des consultations ont lieu avec les syndicats et le patronat au niveau régional, et elles se déploieront prochainement au niveau national. Cela étant, je n’ai pas attendu pour avoir des discussions avec ces acteurs – elles sont même régulières. J’ai rencontré les syndicats dès septembre, pour la plupart au niveau des centrales.
Quant à mon niveau de confort à l’égard de la circulaire, il est proche de dix. Je suis attachée à la possibilité donnée à un travailleur en situation irrégulière d’engager une démarche de régularisation sans avoir à demander l’autorisation de son patron. C’est une véritable avancée par rapport à la circulaire Valls. En effet, certains employeurs entament volontiers ces démarches, mais d’autres s’accommodent très bien de la précarité de leurs salariés. Si je me suis abstenue lors du vote du projet de loi « immigration », c’est parce qu’il prévoyait de différer l’accès à certains droits pour les travailleurs étrangers en situation régulière. J’estime que tous ceux qui travaillent, qui paient des cotisations et des impôts doivent accéder aux mêmes droits, qu’ils soient français ou étrangers. La circulaire traite d’un autre sujet, et elle me convient.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Je ne sais pas à quoi correspond le chiffre de 100 000 immigrés supplémentaires que vous avancez, madame Dupont. Nous avons enregistré plus de 330 000 primo-délivrances de titres en 2024, et cela n’inclut pas les demandes d’asile, par exemple. Vous confondez les étrangers et les immigrés. L’outil statistique extrêmement pointu dont dispose le ministère de l’intérieur nous permet de dire que le nombre total des entrées est plutôt de l’ordre d’un demi-million par an.
Je reviens sur les OQTF, pour répondre notamment à Mme Bordes. Une OQTF est une décision qui constate l’irrégularité du séjour, auquel nous souhaitons mettre fin. C’est même une décision que nous devons prendre, en application de la directive « retour ». L’Allemagne, qui avait une vision beaucoup plus laxiste que nous, a été condamnée en 2021 pour ne pas avoir prononcé systématiquement des OQTF à l’encontre des étrangers qui devaient en faire l’objet. Malheureusement, le texte européen est plutôt une directive de non-retour, puisqu’il laisse le choix au clandestin, notamment en matière de délai. Cette directive nous prive ainsi d’une action décisive, et j’espère qu’elle sera révisée dans les prochains mois. Par ailleurs, l’exécution des OQTF ne dépend pas de nous, mais de la délivrance des laissez-passer consulaires. C’est pourquoi nous devons faire un travail en amont afin de maîtriser les flux d’entrées.
L’interdiction de la polygamie n’a pas à être mentionnée dans la circulaire puisqu’elle figure déjà dans la loi.
Quand je visite des préfectures, monsieur Bernalicis, je m’efforce de rencontrer les fonctionnaires des bureaux des étrangers. Ils accomplissent d’une façon très professionnelle un travail extrêmement difficile. Ils ont à cœur d’appliquer le droit français et d’examiner chacune des situations. Je me suis notamment entretenu avec des agents de la préfecture des Yvelines pour mieux appréhender leur action et savoir comment ils percevaient la circulaire. Croyez-moi, elle est bien reçue.
Monsieur Rancoule, une de vos questions ne concernait pas la circulaire et ne se posera pas. Pour le reste, l’article 11 de la Constitution ne permet pas d’organiser un référendum sur l’immigration, sauf s’il est relatif aux questions sociales qui s’y rapportent. Le Conseil constitutionnel l’a confirmé au sujet de la demande de référendum d’initiative partagée qui avait été déposée par ma famille politique en la matière – il était notamment question du délai de carence pour les prestations sociales non contributives.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Madame Karamanli, les crédits liés à l’apprentissage de la langue française ont augmenté de 7 %. Au-delà des moyens, l’organisation de la formation est largement perfectible. Elle repose sur l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration), qui relève du ministère de l’intérieur, sur France Travail pour la formation aux gestes professionnels, sans que les niveaux requis soient, jusque-là, les mêmes, et sur les régions – certaines d’entre elles s’intéressent à la question, mais pas d’autres. La prochaine étape sera de mieux organiser l’apprentissage du français langue étrangère. C’est un point capital pour l’intégration, notamment des femmes, dans notre pays et dans le marché du travail. Le taux d’activité des femmes d’origine immigrée n’est que de 55 %, contre une moyenne nationale de 70 %. L’un des premiers obstacles qu’elles rencontrent est la maîtrise de la langue française.
Enfin, l’identification des métiers en tension tient compte tout à la fois des difficultés de recrutement et du taux de présence de travailleurs étrangers en situation régulière. La combinaison de ces deux critères nous semble offrir une vision plus globale des métiers en tension.
M. le président Florent Boudié. Je vous remercie, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, d’avoir répondu à l’ensemble des questions.
La séance est levée à 13 heures.
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Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné :
Mme Marietta Karamanli, rapporteure sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Richard Ferrand en tant que membre du Conseil constitutionnel. ;
M. Jean-François Coulomme, rapporteur sur la proposition de nomination, par la Présidente de l’Assemblée nationale, de Mme Laurence Vichnievsky en tant que membre du Conseil constitutionnel. ;
Mmes Sabrina Sebaihi, Marietta Karamanli, M. Ludovic Mendes, rapporteurs en vue du débat thématique de contrôle en séance publique du 26 mars 2025 sur le thème « Haine anti‑musulmans, islamophobie : qualification juridique et politiques publiques de lutte contre ces discriminations ».
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Albertini, Mme Marie-José Allemand, M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, M. Ugo Bernalicis, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Maud Bregeon, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Olivier Fayssat, M. Marc de Fleurian, M. Moerani Frébault, Mme Martine Froger, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Patrick Hetzel, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Bryan Masson, M. Damien Maudet, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Thomas Portes, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, Mme Marie-Ange Rousselot, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot, Mme Caroline Yadan
Excusés. - Mme Blandine Brocard, Mme Émeline K/Bidi, M. Olivier Marleix, Mme Andrée Taurinya, M. Antoine Villedieu, M. Jean-Luc Warsmann, M. Jiovanny William
Assistaient également à la réunion. - Mme Gabrielle Cathala, Mme Stella Dupont, M. Sacha Houlié, M. Robert Le Bourgeois, M. Eric Liégeon, M. Arnaud Sanvert