Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

         .........................................Suite de l’examen de la proposition de loi visant à faciliter l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail (n° 771) (Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure)                            2

 


 

 

 

Mercredi
12 février 2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 36

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Florent Boudié,
président


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La séance est ouverte à 15 heures.

Présidence de M. Florent Boudié, président.

La Commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à faciliter l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail (n° 771) (Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure).

M. le président Florent Boudié. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi visant à faciliter l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail. Nous nous en étions arrêtés au milieu de la discussion générale.

M. Xavier Albertini (HOR). Le droit d’asile se situe au confluent de trois sources juridiques majeures : le droit constitutionnel, le droit de l’Union européenne et le droit international. Dans ce cadre juridique protecteur, un équilibre a été trouvé s’agissant de l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile. Depuis 2005, un délai d’attente est imposé à ceux qui souhaitent une autorisation de travail, afin de simplifier les reconduites à la frontièreau cas où ils seraient in fine déboutés. Initialement fixé à douze mois, puis à neuf mois, le délai a été réduit à six mois par une loi de 2018.

Notre groupe estime que la suppression de ce délai, objet de la proposition de loi, serait excessive et inopportune. Le droit positif français respecte les exigences européennes en matière d’asile, à savoir un délai maximal de neuf mois à compter de la date d’introduction de la demande de protection internationale, au terme duquel les demandeurs doivent avoir accès au marché du travail.

En pratique, le nombre de demandes d’autorisation de travail et le taux de délivrance de ces autorisations sont très limités. En 2022, selon le ministère de l’intérieur, 4 254 demandes d’autorisation de travail ont été déposées sur un total de 103 164 demandes d’asile, soit une proportion de 4,1 %. Au terme de l’instruction, seules 1 148 autorisations ont été effectivement délivrées, ce qui représente un taux de décisions favorables de 27 %. Ces chiffres témoignent du faible recours des demandeurs d’asile aux procédures d’autorisation d’accès au marché du travail et de la nécessité de contrôler administrativement les demandes. Par ailleurs, qu’en serait-il des demandeurs d’asile qui trouveraient un emploi mais seraient déboutés, ce qui est le cas de 65 % d’entre eux ?

La proposition de loi vise aussi à mettre notre droit interne en conformité avec le droit de l’Union européenne, le Conseil d’État ayant annulé l’article L. 554-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) en tant qu’il exclut l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du règlement dit Dublin III. Si notre groupe soutient pleinement cette mesure, il ne peut souscrire à la jonction, au sein d’un même texte, des deux objectifs législatifs poursuivis par le groupe Écologiste. Nous voterons donc contre la proposition de loi, à moins que nos débats n’aboutissent à dissocier ces objectifs.

M. Paul Molac (LIOT). Il convient d’accueillir les réfugiés avec dignité et de faciliter leur intégration, laquelle passe par le travail.

Toute demande d’asile doit être examinée afin de vérifier son motif et de s’assurer de sa légitimité. Si l’on veut réellement améliorer les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, la priorité doit être d’améliorer les délais d’instruction, qui sont en moyenne de dix mois.

Quoi qu’il en soit, il n’est plus possible d’éluder la question des conditions de vie des demandeurs qui attendent une décision concernant leur statut. Il faut sortir des positions dogmatiques. Le droit actuel n’est pas neutre. En imposant un délai de six mois avant d’accorder éventuellement aux demandeurs d’asile l’accès au marché de l’emploi, notre droit les plonge volontairement et automatiquement dans la précarité et la dépendance, envers un employeur notamment.

Cette précarité a un coût pour nos finances publiques. Dans le budget pour 2025, une enveloppe de 300 millions d’euros est consacrée à la seule allocation pour demandeur d’asile. Une telle dépense pourrait être évitée si on permettait à ces personnes de travailler. Au fond, l’autorisation immédiate de travailler proposée dans le texte aurait trois avantages : renforcer l’intégration par l’emploi, lutter contre le travail dissimulé et répondre aux besoins des secteurs en tension. Un quart des personnes qui travaillent dans le secteur de l’aide à la personne sont d’origine étrangère et l’UMIH, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, estime que 40 % des emplois de ce secteur sont occupés par des étrangers, en situation régulière ou non.

Si les intentions de notre rapporteure sont plus que louables, elle me paraît un peu trop ambitieuse, compte tenu de la composition actuelle du Parlement et de la couleur politique du ministre de l’intérieur. Une solution de compromis consistant à reprendre l’ancien article 4 du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration aurait plus de chance d’être adoptée. Pour rappel, cet article visait à donner un accès immédiat au marché de l’emploi aux seuls demandeurs d’asile qui, en raison de leur pays d’origine, avaient de véritables chances d’obtenir le statut de réfugié.

En tout état de cause, parce qu’il est grand temps d’avancer dans ce domaine, notre groupe votera pour la proposition de la loi.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Ce texte est une erreur majeure : il risque de fragiliser notre politique migratoire, d’encourager l’immigration illégale et de faire peser une pression supplémentaire sur notre système social et nos services publics, déjà saturés.

Soyons clairs : en France, 60 % des demandes d’asile sont rejetées. La majorité de ceux qui déposent une demande ne remplissent donc pas les critères du droit d’asile. Si on leur donne accès au travail dès les premiers mois, nous créerons une véritable filière de régularisation déguisée, qui détournera encore davantage la procédure d’asile de son objectif premier : protéger les persécutés et non offrir un visa économique déguisé.

En 2015, après avoir facilité l’accès à l’emploi des demandeurs d’asile, l’Allemagne a vu affluer des milliers de faux demandeurs au point que le gouvernement allemand a fait machine arrière en 2019. L’Italie a connu une situation similaire. Les travailleurs français des secteurs en tension ne doivent pas subir la concurrence déloyale provoquée par une immigration massive et incontrôlée. La priorité doit être donnée aux Français et aux travailleurs étrangers en situation régulière.

Enfin, ce texte enverrait un signal désastreux aux filières de passeurs, qui n’hésiteront pas à présenter la France comme une terre d’opportunités faciles où l’asile n’est plus qu’un simple ticket d’entrée vers l’emploi, puis vers la régularisation. Nous risquons de voir exploser le nombre des entrées irrégulières et de perdre définitivement la maîtrise de nos frontières.

La proposition de loi ouvrirait la porte au chaos migratoire. Nous devons refuser cet appel d’air et défendre une politique d’asile rigoureuse et ferme. Pour notre groupe, l’asile n’est pas et ne sera jamais un outil de régularisation massive. C’est pourquoi nous voterons contre le texte.

M. Sacha Houlié (NI). Je remercie le groupe Écologiste et social de remettre l’ouvrage sur le métier, puisque nous nous étions déjà efforcés d’obtenir des progrès dans ce domaine avec l’article 4 du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Certains s’y opposent de manière populiste en entretenant la confusion entre l’accès au marché du travail et la régularité du séjour, semblant omettre que le droit d’asile ne correspond ni à un titre de séjour ni à un visa. Quoi qu’il en soit, cet article, rétabli par la commission des Lois après sa suppression au Sénat, a disparu lors de la commission mixte paritaire.

Il visait à autoriser un accès immédiat au marché du travail aux demandeurs d’asile dont la nationalité laisse penser qu’ils seront protégés in fine, tirant les conséquences de la doctrine Castaner qui priorise les demandes les moins éligibles, du fait de la nationalité du demandeur. En effet, plus vite une demande est étudiée, plus vite on peut apporter une réponse et, le cas échéant, rediriger le demandeur ou le reconduire dans son pays. Ce principe a conduit des Afghans et des Syriens, notamment, qui sont les plus éligibles, à devoir attendre six mois pour travailler. Ce qui nous est proposé aujourd’hui permettrait de résoudre cette équation infernale.

Je souscris à la position du président Coquerel en ce qui concerne la recevabilité financière des dispositions correspondant au II de l’ancien article 4 du projet de loi de 2023, qui créeraient une charge nouvelle. Madame la rapporteure, votre amendement de repli CL14 vise à lever l’exigence d’une autorisation de travailet reprend desdispositions quasiment identiques au I de l’article 4 que j’ai évoqué, ce qui me paraît tout à fait approprié dans le cadre du compromis que vous cherchez avec la majorité présidentielle.

Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure. Monsieur Sanvert, je suis un peu déçue par votre première intervention. Lors de l’audition que nous avons menée avec la Cimade et la FAS (Fédération des acteurs de la solidarité), vous m’avez émue, en parlant de la famille ukrainienne que vous avez accueillie et pour laquelle tout se passe bien, puisqu’elle a pu avoir accès au marché du travail. Vous vous étiez alors montré bien plus humain et en prise avec la réalité, loin des amalgames et des fausses informations que propage votre groupe.

Monsieur Lescure, je vous remercie de votre ouverture à un dialogue, notamment autour de l’idée que la situation de l’emploi pourrait ne plus être opposable aux demandeurs d’asile. C’est à l’issue des discussions avec la DGEF (direction générale des étrangers en France), du ministère de l’intérieur, que j’ai imaginé cet amendement de repli. On ne peut pas dire que le ministère de l’intérieur soit un théoricien du no border, mais il prend l’autorisation de travail pour ce qu’elle doit être : un instrument de protection des demandeurs d’asile qui permet de contrôler que les employeurs respectent les conditions salariales et leurs obligations sociales et conventionnelles. Le dispositif que je propose ne concernerait que les demandeurs d’asile bénéficiant d’un fort taux de protection. L’autorisation de travail serait soumise aux mêmes conditions d’octroi qu’aujourd’hui, lors d’un examen en préfecture, mais sans opposabilité de la situation de l’emploi.

Madame Martin, je suis d’accord avec ce que vous avez dit au sujet de la vision utilitariste de l’immigration chez certains collègues. J’essaie de parler à l’intelligence de chacune et chacun, d’allumer des parties du cerveau. La question de la non-opposabilité de la situation de l’emploi a fait surgir celle des métiers en tension. Il ne s’agit plus de savoir si ces personnes ont une utilité ou non mais si on les protège.

Monsieur Christophle, je remercie le groupe socialiste de son soutien. Il ne s’agit pas tant d’assouplir le cadre actuel que de revenir à la situation antérieure à 1991 en levant une interdiction. Une circulaire de Mme Cresson était alors revenue sur un principe qui permettait aux personnes demandant l’asile de travailler et, partant, de subvenir à leurs besoins et d’accélérer leur inclusion. Nous serions tous fort marris s’il nous était interdit de travailler.

M. Pauget a mentionné la hausse des demandes d’asile en 2023. Ce sont les ressortissants ukrainiens qui ont contribué, cette année-là, à faire augmenter le nombre des demandes, en raison de la fin des protections temporaires. En 2024, l’Ofpra a relevé que les demandes individuelles en Spada, les structures de premier accueil des demandeurs d’asile, baissaient pour la première fois. Cela n’est pas dû aux déclarations à l’emporte-pièce sur l’immigration des uns et des autres, mais au fait que les phénomènes de migration changent. Les principaux pays de destination sont limitrophes de ceux où des personnes subissent la guerre, la famine ou le dérèglement climatique.

Monsieur Albertini, je n’ai pas vraiment compris votre propos. Vous avez dit que la proposition de loi était une mauvaise idée en prenant pour preuve le faible taux d’acceptation des demandes d’autorisation de travail. En revanche, vous avez été plusieurs à faire part de craintes concernant des personnes qui n’obtiendraient pas l’asile au terme d’un processus dont la durée moyenne est de onze mois, de la première instance, à l’Ofpra, à un éventuel recours devant la CNDA. Après des échanges avec l’Ofpra et la DGEF, j’ai déposé des amendements visant à réserver la suppression du délai d’attente à ceux qui ne sont pas en procédure accélérée ou qui sont des ressortissants d’un pays bénéficiant d’un fort taux de protection. J’ai voulu aménager la proposition de loi dans un véritable esprit de consensus.

Monsieur Molac, vous avez parlé du coût pour les finances publiques. L’allocation pour demandeur d’asile ne serait pas versée à celles et ceux qui travailleraient et percevraient un salaire supérieur à l’allocation, qui est de 14,20 euros par jour pour une personne seule et d’environ 200 euros par mois pour une personne accueillie dans un hébergement d’urgence. N’oublions pas que 6 500 places ont été supprimées, ce qui va plonger encore plus de gens dans la précarité et renforcer pour eux la nécessité d’occuper un emploi déclaré ou non. À cause du délai de six mois, encore plus de personnes travaillent de manière non déclarée et sont d’autant plus vulnérables. En autorisant un travail déclaré, on protège, en revanche, l’ensemble des salariés, locaux et étrangers. Des études européennes ont montré que permettre aux personnes étrangères d’accéder au travail contribue à faire monter les salaires pour l’ensemble de la population.

Madame Ricourt Vaginay, il ne s’agit donc pas du tout d’une concurrence déloyale. Vous avez dit que 60 % des personnes se voient refuser l’asile. En réalité, le taux d’acceptation est de 50 % en 2024 si on prend en compte les recours devant la CNDA.

Monsieur Houlié, vous avez fait la démonstration qu’il est possible de trouver des chemins et de faire progresser les droits grâce à l’intelligence collective.

Pour conclure, il ne s’agit pas d’ouvrir un nouveau droit mais d’arrêter d’interdire aux gens de travailler pendant six mois. Imaginez que vous arriviez dans un pays dans lequel vous souhaitez travailler pour subvenir à vos besoins et venir en aide à votre famille avec laquelle vous avez fui votre pays en guerre, parce que vous êtes un opposant politique. On vous impose de ne pas contribuer à la société que vous avez choisie pour vous accueillir et de ne pas travailler pour vous permettre de sortir de la misère. Il ne s’agit que de cela, rien de plus, rien de moins, et ce n’est pas un appel d’air mais un appel à l’humanité.

Article unique

Amendements de suppression CL1 de M. Éric Pauget et CL8 de M. Arnaud Sanvert

M. le président Florent Boudié. J’ai reçu de la part de plusieurs députés des groupes Rassemblement national et UDR une demande de scrutin sur ces amendements.

M. Ian Boucard (DR). Madame la rapporteure, arrêter d’interdire, c’est ouvrir un nouveau droit. Par ailleurs, peu importe que les demandes d’asile viennent d’Ukraine ou d’ailleurs, elles ont augmenté en 2023. Contrairement à certains collègues, nous ne regardons pas la provenance des demandeurs d’asile mais la statistique brute.

Nous proposons de supprimer l’article unique de la proposition de loi, car le contrôle de l’immigration est, selon nous, un enjeu majeur pour l’avenir de notre pays. Nous estimons que notre système d’accueil est à bout de souffle et qu’il est impératif d’agir pour reprendre le contrôle de notre destin en matière migratoire en actionnant un frein d’urgence. Il faut adresser un signal clair aux trois quarts des Français qui considèrent à juste titre que les flux migratoires ne sont pas maîtrisés. Or cette proposition de loi facilitera l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, organisera en quelque sorte l’impuissance publique et rendra encore plus inexpulsables les demandeurs d’asile qui seront déboutés, en leur permettant de travailler dès le dépôt de leur demande.

M. Arnaud Sanvert (RN). Il s’agit de supprimer l’article unique de cette proposition de loi qui tend à accorder un accès immédiat au marché du travail aux demandeurs d’asile, dès le dépôt de leur demande. Une telle mesure pose de sérieuses difficultés. Elle encourage l’installation durable, indépendamment de l’issue de la demande, et complique l’éloignement en cas de rejet par l’Ofpra. Elle risque ainsi de détourner le droit d’asile de sa finalité initiale, en en faisant un vecteur d’immigration économique à l’encontre du principe de maîtrise des flux migratoires.

Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure. Avis défavorable. Vous n’avez pas écouté, me semble-t-il, ce que j’ai dit au sujet de mes amendements de repli. Ils visent à appliquer l’accélération de l’accès au marché de l’emploi aux personnes qui ne sont pas en procédure accélérée et ont une nationalité bénéficiant d’un fort taux de protection – elles restent, nous le savons, en France. Ces amendements répondent à vos angoisses.

Quant au fameux appel d’air, il n’est qu’un fantasme. Nous avons assez de recul sur les politiques migratoires européennes pour savoir que la facilitation de l’accès au marché du travail ne provoque pas d’arrivées massives. Le Portugal a supprimé le délai d’attente pour les personnes demandant l’asile sans que les arrivées augmentent et lorsque nous avons octroyé la protection temporaire aux réfugiés ukrainiens, il n’y a pas eu plus de gens choisissant la France.

M. Jordan Guitton (RN). Selon nous, les demandes d’asile doivent se faire en dehors de notre territoire, dans les ambassades. Par ailleurs, pouvoir travailler avant même d’avoir l’autorisation de séjourner légalement sur le territoire français pose un problème. Vous détournez les règles mêmes du droit d’asile. Nous opposerons toujours une immigration choisie à une immigration subie. On voit bien ici quel est le projet du Nouveau Front populaire : une demande sur deux étant refusée par l’Ofpra, que se passera-t-il si un demandeur d’asile a un contrat de travail et que sa demande n’est pas acceptée ? Des personnes en situation irrégulière seront dotées d’un contrat de travail. Ce message n’est pas le bon.

Vous parlez de fantasme, madame la rapporteure ; je me fie, moi, à ce que pensent les Français. Selon un sondage mené par BFM TV, qui n’est pas un institut du Rassemblement national, sept Français sur dix considèrent qu’il existe une submersion migratoire. Chers collègues, revoyez plutôt votre copie et essayez modestement de défendre l’intérêt du peuple français.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). En défendant ces amendements de suppression, vous n’honorez pas la parole que la France donne en signant des traités et des conventions internationales. Surtout, il ne s’agit pas tant de savoir si nous sommes favorables à plus ou moins d’immigration, mais si nous sommes capables, solidairement, à l’échelle internationale, de prendre notre part face au chaos du monde. Le réchauffement climatique n’a pas de frontières et contrairement à ce que vous dites, au Rassemblement national, il n’existe pas de couloirs qui conduiraient directement des millions de gens vers le territoire national, puisqu’ils vont d’abord dans les pays limitrophes des leurs.

Par ailleurs, c’est une folie de vouloir empêcher des gens de travailler, a fortiori quand vous pensez ce que vous pensez, c’est-à-dire que les étrangers ne causeraient que des problèmes. Plongez les gens dans une précarité absolue, sans droit de travailler, donc sans possibilité de payer un logement, des repas, et vous créerez du désordre permanent. Au-delà de l’inhumanité dans laquelle vous nous entraînez, je souhaite que notre ordre social soit digne pour tout le monde. Si des personnes travaillent, cela signifie des cotisations en plus, des emplois pourvus, des compétences, des expériences supplémentaires.

Enfin, on le voit lorsque des parcours de migrants sont mis à l’honneur par des ONG ou des reportages télévisés, ces mémoires immigrées viennent faire un en-commun national. La mémoire française n’est pas monochrome. Elle est composée aussi de ces fabuleux parcours, pourtant faits de traumatismes, qui participent pleinement à un récit national que je préfère au vôtre.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Statistiquement, la France est loin du top 10 des pays d’accueil, même si je comprends bien que c’est le fonds de commerce du Rassemblement national, ainsi que du Premier ministre et de son ministre de l’intérieur. Parler de submersion migratoire est absolument inacceptable. C’est une façon de cacher certaines réalités auxquelles on participe soi-même. Il est évident que laisser des gens dans un tel dénuement leur interdit de mener une vie tranquille.

M. Sacha Houlié (NI). Vouloir forcer les demandeurs d’asile à se manifester auprès des pouvoirs publics dans un pays où ils sont persécutés : quelle considération pour le droit d’asile, au Rassemblement national !

L’année dernière, nous avons longuement débattu de l’opportunité d’accorder ces autorisations de travail. Or, en 2024, les demandes d’asile ont diminué de 5,5 % : on se demande où est l’appel d’air.

Vous avez dit qu’un demandeur d’asile sur deux obtient le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. La proposition de repli consistant à autoriser à travailler ceux qui sont les plus certains d’obtenir une protection, du fait de leur nationalité, ne devrait donc pas vous gêner.

Enfin, vous qui faites preuve d’une telle rigueur à l’égard des prestations sociales pour les personnes qui n’ont pas la nationalité française, ne voyez-vous pas les économies possibles sur l’allocation versée aux demandeurs d’asile s’ils sont autorisés à travailler ?

Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous voterons contre ces amendements indignes. Je rêve qu’un jour, pendant vingt-quatre heures, toutes les personnes de nationalité étrangère arrêtent de travailler. Vous verriez, mesdames et messieurs du RN, à quel point elles sont un apport pour notre société, dans tous les secteurs, ici même au Palais Bourbon, dans les restaurants, les hôpitaux, les maisons de retraite ou les sociétés de services. Ces amendements visent à jeter de l’huile sur le feu et à susciter un débat inutile. Que deviendriez-vous, ce jour-là ?

Mme Béatrice Roullaud (RN). Je rêve, moi, d’une journée où il n’y aurait plus de morts en mer. Je ne sais pas si vous connaissez cette chanson de Christophe Maé, « Lampedusa », que je ne peux pas écouter sans pleurer. L’idée de Marine Le Pen de traiter les demandes d’asile hors de France est bonne. On force des jeunes à traverser. Quand j’étais avocate, des personnes majeures en garde à vue m’ont expliqué que des trafiquants les avaient forcées, mineures, à monter sur un bateau à coups de crosse dans les côtes. C’est ce système que vous encouragez. Au Rassemblement national, nous souhaitons mettre fin à ces trafics et réduire le nombre de morts en mer.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

Nombre de votants :                                    41

Nombre de suffrages exprimés :                 41

Majorité absolue :                                       21

Pour l’adoption :                                          9

Contre l’adoption :                                     32

La commission rejette les amendements.

Amendement CL7 de M. Arnaud Sanvert, amendements identiques CL5 de M. Éric Martineau et CL10 de M. Roland Lescure, amendements CL13, CL14 et CL15 de Mme Léa Balage El Mariky (discussion commune)

M. Arnaud Sanvert (RN). Notre amendement vise à réécrire l’article unique pour abroger les articles L. 554-1 à L. 554-4 du Ceseda. La présence des intéressés sur notre territoire est conditionnée à leur demande d’asile. En leur ouvrant l’accès au marché du travail avant même que l’Ofpra ait statué, on compliquerait leur éloignement en cas de rejet de leur demande, ce qui va à l’encontre du principe même du droit d’asile.

M. Éric Martineau (Dem). L’amendement CL5 tend à réécrire l’article L. 554-1 du Ceseda pour y inclure la situation des demandeurs d’asile soumis à la procédure Dublin. Il s’agit de leur permettre d’accéder au marché du travail lorsqu’ils n’ont pas été transférés dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision de transfert – à moins que cette situation ne soit imputable au demandeur, par exemple en cas d’emprisonnement ou de fuite – et, en tout état de cause, dans un délai de neuf mois à compter de l’enregistrement de la demande, conformément à une directive européenne de 2013.

M. Roland Lescure (EPR). L’amendement CL10 vise à combler un vide juridique. À l’heure actuelle, les demandeurs d’asile dits dublinés, qui auraient déposé leur demande en France avant de partir à l’étranger puis d’être renvoyés chez nous, ne sont pas en mesure de travailler. Nous proposons que ces personnes puissent commencer à le faire dans un délai de neuf mois à compter de l’enregistrement de leur demande. Cette disposition devait compléter l’amendement que j’ai évoqué ce matin et qui a été jugé irrecevable. Il aurait permis aux non dublinés de travailler dans un délai de six mois.

Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure. Ma proposition initiale était de permettre aux demandeurs d’asile de solliciter une autorisation de travail dès l’introduction de leur demande. À l’issue des auditions et des échanges, j’ai souhaité compléter le dispositif pour tenir compte des arguments des uns et des autres.

L’amendement CL13 vise à exclure de la proposition de loi celles et ceux qui font l’objet d’une procédure accélérée, autrement dit qui proviennent d’un pays considéré comme sûr. En effet, ces personnes reçoivent généralement une réponse dans un délai de deux semaines.

Les deux amendements suivants sont de repli. L’amendement CL14 vise à permettre aux personnes encourant un grand danger dans leur pays d’origine d’accéder au marché du travail dès l’enregistrement de leur demande d’asile. Cela concerne les ressortissants de pays bénéficiant d’un fort taux de protection de la part de l’Ofpra et de la CNDA, tels l’Afghanistan, Haïti, la République démocratique du Congo, la Guinée ou encore l’Ukraine. Ces personnes pourraient ainsi travailler, de la même façon qu’elles pourront le faire lorsqu’elles se verront remettre une carte de résident ou un titre de séjour « vie privée et familiale », sans avoir à solliciter une autorisation de travail. Il n’y a pas lieu, en effet, de les soumettre à cette autorisation qui a pour objet de faire travailler des gens disposant de compétences que les entreprises ne trouvent pas ailleurs.

L’amendement CL15 vise à ce que l’on ne puisse pas opposer la situation de l’emploiaux ressortissants de pays faisant l’objet d’un fort taux de protection. En revanche, ces personnes devront toujours solliciter une autorisation de travail, que le métier qu’elles exercent soit ou non en tension.

Je vous propose d’accomplir un grand pas en avant dans l’intérêt des demandeurs d’asile, qui attendent un message d’espoir. Ils ont choisi la France comme refuge : c’est pourquoi nous leur devons un discours apaisé, digne de nos engagements internationaux. Il s’agit de mener une politique migratoire éloignée des représentations, des sondages commandés par BFM TV ou d’autres acteurs, mais axée sur la réalité, sur ce que nous disent les administrations et les associations.

Monsieur Sanvert, j’avais eu le sentiment, en début de semaine, que vous aviez compris les enjeux de l’action des associations et des opérateurs qui accompagnent les demandeurs d’asile, mais, par la présentation de cet amendement, vous me décevez. Pourtant, cela ne devrait pas me surprendre, s’agissant d’une proposition de votre groupe.

Monsieur Martineau, monsieur Lescure, vos amendements présentent certes le mérite de mettre notre droit en conformité avec nos engagements internationaux mais ils ne nous permettraient pas d’emprunter le chemin sur lequel nous devons, à mon sens, nous engager. Par conséquent, là aussi, demande de retrait ou avis défavorable.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). J’aimerais que certains collègues me réexpliquent en quoi le fait de permettre à des gens de travailler légalement amplifierait le travail irrégulier. Ils prétendent, par ailleurs, que la conclusion d’un contrat de travail empêcherait d’être expulsé. Cela revient à nier, contre toute évidence, que même lorsque l’on travaille et que l’on vit de manière régulière, depuis des décennies, dans notre pays, on n’a aucune garantie de se voir délivrer un titre de séjour. En témoigne le nombre de renouvellements de titres de séjour suspendus depuis de longs mois dans les préfectures.

La doctrine de l’extrême droite, qui vise à faire de la vie en France un enfer pour tous les étrangers afin de décourager ceux qui voudraient rejoindre le pays des droits de l’homme, est aussi contre-productive qu’inhumaine, et elle est contraire à l’esprit même de notre droit et des valeurs qui le sous-tendent. Les sanctions collectives n’existent pas en France, et encore moins le droit de punir par dérogation ceux qui n’ont rien fait. L’amendement CL7 vise à interdire à tout réfugié de travailler, quand bien même il aurait obtenu le droit de vivre en France, ce qui en dit long sur votre ignominie. Vous prétendez parfois que ce n’est pas à tous les étrangers que vous en voulez, mais uniquement à certains d’entre eux. Cet amendement fait tomber bien bas vos masques : vous êtes un parti xénophobe et raciste.

M. Yoann Gillet (RN). M. Houlié a affirmé que le nombre des demandes d’asile avait diminué alors qu’il a connu, en réalité, une hausse en 2024. Les demandes effectuées auprès des organismes centralisateurs d’accueil des demandeurs d’asile ont certes baissé, mais les entrées en instruction à l’Ofpra ont augmenté de plus de 7 % – et je ne parle pas des stocks. L’Ofpra qualifie d’ailleurs 2024 d’année record.

Dire que le droit d’asile est dévoyé, ce n’est pas être inhumain, c’est dresser un constat. Ce phénomène a de lourdes répercussions sur ceux qui pourraient légitimement bénéficier du droit d’asile. Être inhumain, c’est au contraire laisser faire les choses, accepter que certains se voient accorder des droits auxquels ils ne peuvent normalement prétendre et priver de la protection internationale, en raison de la submersion migratoire et du dévoiement du droit d’asile, des personnes qui mériteraient notre soutien.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Comment peut-on dire que l’on n’est pas inhumain quand on parle sans cesse de flux et de stocks ? Il s’agit d’êtres humains, de personnes protégées par des conventions internationales qui engagent la France. J’ai été choqué, ce matin, par la tonalité des propos du Rassemblement national mais aussi du ministre de l’intérieur, qui témoignent d’une obstination idéologique au sujet des travailleurs sans papiers. Il faut, d’évidence, les régulariser. Cela simplifierait la vie des employeurs, garantirait des droits aux travailleurs et éviterait à l’administration préfectorale d’être submergée à cause de la bêtise du débat public sur la question migratoire et des obsessions racistes de certains.

Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure. Les demandes initiales d’asile ont baissé de 5,5 % en 2024. L’augmentation que vous évoquez, monsieur Gillet, concerne les demandes de personnes dublinées : on ne les compte pas deux fois. Je tiens à votre disposition les chiffres de l’Ofpra.

La commission rejette successivement les amendements CL7, CL5 et CL10.

Elle adopte l’amendement CL13 et l’article unique est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CL14 et CL15 tombent.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi adopté.

 

La séance est levée à 16 heures.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Xavier Albertini, Mme Marie-José Allemand, M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Marc de Fleurian, M. Moerani Frébault, Mme Martine Froger, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Stéphane Mazars, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, M. Thomas Portes, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot

Excusés. - Mme Blandine Brocard, Mme Émeline K/Bidi, Mme Naïma Moutchou, Mme Andrée Taurinya, M. Antoine Villedieu, M. Jiovanny William, Mme Caroline Yadan